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« Dans l’ombre de la République - Les cabinets ministériels » avec Olivier Schrameck

Transcription, par Taos Aït Si Slimane, des « Matins de France Culture » du lundi 13 novembre 2006, avec Olivier Schrameck. Texte initialement édité sur le blog "Tinhinane", le- lundi 18 décembre 2006 à 19 h 38.

L’oralité est volontairement respectée. Je remercie par avance toute personne qui me signalera les probables imperfections.

Ali Baddou : Ancien directeur du Cabinet du Lionel Jospin à Matignon, c’était entre 1997 et 2002, on vous qualifiait à l’époque de vis-premier ministre, la fonction n’a rien d’officielle mais elle en dit long sur le poste que vous occupiez à l’époque. Vous publiez chez Dalloz (2006), « Dans l’ombre de la République », c’est une réflexion, sur ce que la grande tradition appelait « Les arts de gouverner », en particulier sur les cabinets ministériels. On y trouve une description des mécanismes de la décision politique en France et vous allez nous servir de guide, ce matin, dans ces espaces exotiques, dans le circuit des notes, dans ces zones franches ou interdites. Une première question, pour commencer, Olivier Schrameck, on débat beaucoup de la démocratie participative, de la crise du politique et en fait vous dites, dans ce livre, que le cœur du pouvoir est ailleurs.

Olivier Schrameck : Je ne vais pas jusque là. Le cœur du pouvoir central se joue dans les ministères entre les ministres, le premier ministre et le président de la république, les cabinets ministériels et les directeurs d’administrations centrales mais forte heureusement pour notre pays il y a d’autres pôles de pouvoir et d’autres centres de contrôle.

Ali Baddou : Mais on est, malgré tout, dans l’ombre de la république ?

Olivier Schrameck : C’est vrai. On est au cœur du fonctionnement même de la république mais ce titre même exprime que les cabinets ministériels doivent être eux aussi porteurs des valeurs et des exigences de la république. Leur rôle est très souvent critiqué, ils ont mauvaise presse et j’essaye d’expliquer pourquoi et comment malgré tout ils jouent un rôle utile et même nécessaire, pourquoi et comment ils ne sont pas une spécificité française mais une forme d’organisation du pouvoir que l’on retrouve en tous les temps et en dans tous les pays.

Ali Baddou : On les retrouve effectivement sous des formes différentes, on va revenir dans un instant sur ces différences entre les différents pays sur les différences de situations au sein de ces cabinets ministériels. Un petit travail pédagogique : quand on dit cabinets ministériels, entendons nous bien, on parle à la fois de ce qui se passe dans les ministères mais aussi évidemment à Matignon et puis également vous travaillez dans ce qui se joue à l’Élysée ?

Olivier Schrameck : Oui les cabinets ministériels sont constitués de personnes qui sont individuellement choisies par les responsables du pouvoir politique selon des critères qui ne sont pas prédéfinis et leurs caractéristiques est précisément d’être des phénomènes coutumiers, de ne pas être des institutions juridiques que l’on puisse décrire comme un professeur de droit le fait tout naturellement.

Ali Baddou : Et pourtant vous êtes professeur de droit et fin juriste, en l’occurrence, Olivier Schrameck. Mais est-ce qu’on se trompe de débat à réclamer des jurys citoyens ? Je ne sais si l’expression est bonne ou mauvaise mais elle a été employée, lorsqu’on réclame plus de respiration de la démocratie alors qu’au font ces espaces-là échappent, malgré tout, très largement au regard des citoyens de ceux qui font la vie de la république.

Olivier Schrameck : Les membres des cabinets ministériels normalement n’ont pas vocation à apparaître en première ligne car ils n’ont pas de responsabilité autre que la légitimité personnelle que le ministre leur accorde. Et donc, il ne serait pas bon qu’un contrôle démocratique s’exerce directement sur les membres des cabinets ministériels.

Ali Baddou : Pourquoi pas ?

Olivier Schrameck : C’est au ministre, et le cas échéant dans leurs responsabilités administratives aux directeurs d’en répondre. Ceci étant, il est clair que dans notre vie politique le contrôle est insuffisant. Très modestement d’ailleurs le livre que je viens d’écrire est une contribution à la connaissance des cabinets ministériels, à une meilleure compréhension, par les citoyens, de la façon dont le pouvoir politique central fonctionne.

Ali Baddou : Apparemment vous n’êtes pas le seul à essayer de comprendre le fonctionnement de ces ministères, c’était aussi le cas des juges qui auditionnaient Michelle Alliot-Marie dans le cadre de l’affaire Clerstream. On entendait dans le journal de Marie Pierre Verot, la ministre de la défense en sortant de l’audition, très longue audition, qui disait : nous avons longuement étudié les procédures d’un cabinet ministériel. Alors, ça veut à la fois tout dire et rien dire si ce n’est que même les juges, lorsqu’ils cherchent à s’intéresser à des problèmes qui relèvent de leur juridiction, se trouvent confronter à la difficulté d’avoir une information claire, précise, sur le fonctionnement d’un ministère.

Olivier Schrameck : Oui, ce n’est pas nouveau, d’ailleurs. Plusieurs membres de cabinets ministériels ont été confrontés à des procédures judiciaires parce que les investigations de la justice ne doivent s’arrêter nul part. Mais il est vrai, pour quelqu’un qui est extérieur à cette tradition d’exercice du pouvoir, qu’il est très difficile de se rendre compte de la répartition des circuits de responsabilité. Et c’est précisément parce qu’il s’agit de pratiques coutumières que je me suis dit que c’était quelqu’un qui en avait eu la pratique -puisque dans des fonctions différentes en dernier lieu à Matignon mais ailleurs également, j’ai exercé ces fonctions pendant plus de 12 années- qu’il était plus facile de donner au public une description qui soit, sans fard, sans complaisance, je crois, mais qui est aussi marque que si les cabinets ministériels ont dans notre structure politique tant de pouvoir c’est parce que les politiques, et les grands responsables dans les administrations le leur laissent, ce pouvoir. C’est un point qui me paraît tout à fait essentiel.

Ali Baddou : Le problème c’est qu’ils ne sont pas élus. Ils n’ont aucune légitimité. Lorsqu’on est membre d’une équipe même si c’est celle de Matignon, même celle du président de la république à l’Élysée.

Olivier Schrameck : Certainement. Et le premier devoir des membres de cabinets est d’en avoir la conscience constante. C’est-à-dire, en particulier, de ne pas s’arroger la parole du responsable politique soit en la prenant à sa place, soit en l’interprétant librement vis-à-vis des autres.

Ali Baddou : Et, notamment des administrations, par exemple. Décrivez-nous donc leur rôle d’intermédiaire, très rapidement.

Olivier Schrameck : Les membres des cabinets préparent les décisions des ministres. Pour cela ils sont en effet en contact permanent avec les directions. Ils se chargent de la communication publique des ministres, de leurs relations avec le parlement, et ils arrivent qu’ils doivent, comme on dit dans le vocabulaire de ces milieux, arbitrer sur certaines décisions. Je m’explique. Le nombre de décisions qui doivent être prises dans un ministère, et encore plus évidemment à Matignon et à l’Élysée, chaque jour est considérable. Il n’est pas possible que toutes remontent au responsable politique suprême qu’est le ministre. Et donc ils doivent faire la part entre ce qui relève de l’opportunité administrative, de l’arbitrage technique et du véritable choix politique. Il leur revient donc, naturellement, une part de décision. Encore faut-il qu’ils rendent compte dans une perspective de transparence totale au ministre des décisions qu’ils sont amenés à prendre. Encore faut-il, aussi, dès lors qu’une décision, n’est qu’une décision administrative, ils laissent les responsables de l’administration que sont les directeurs les prendre.

Ali Baddou : Mais est-ce que le système n’est pas malsain, Olivier Schrameck, dans le sens où des membres de cabinets –surtout de grands ministères, à Matignon- peuvent faire pression sur des directeurs d’administration, peuvent faire pression également sur un certain nombre d’élus ? Lorsqu’on est au pouvoir, on a ce pouvoir d’influence, comment faire confiance aux hommes là où il n’y a aucun mécanisme de contrôle ?

Olivier Schrameck : Les risques sont effectivement très grands. Ces risques sont d’autant plus grands que les directeurs peuvent se sentir déstabilisés, dépossédés, perdre leur légitimité en quelque sorte. Je crois que le remède essentiel à cette dérive possible, réside dans des prescriptions déontologiques, en quelques sortes, des membres de cabinets et aussi en ce que soit reconnue véritablement la responsabilité des directeurs. Ce sont eux qui sont en quelque sorte les fils légitime de l’administration. Ils ont été désigné en conseil des ministres, ils ont la confiance du gouvernement et dans un État qui respecte les principes d’impartialité, leur existence ne doit mettre en cause par les foucades et les caprices de certains membres de cabinets.

Ali Baddou : Mais ça, c’est sur du beau papier des institutions et du fonctionnement du système de la Ve République, en l’occurrence. Lorsqu’on regarde un documentaire récent, comme celui qui a été consacré à Jacques Chirac par Patrick Rotman, qu’on voit le rôle de Marie-France Garaud et de Pierre Juillet, quand on reprend les coupures de presse où on vous qualifiait, vous à Matignon, de vice-premier ministre ça montre bien qu’il y a un moment où le membre de cabinet sort de son rôle administratif pour devenir un acteur politique et, pour le coup, sans jamais avoir été élu.

Olivier Schrameck : Il y a d’abord une part de fantasme dans le pouvoir qui est attribué au cabinet ministériel,...

Ali Baddou : Il y a de la réalité quand même ?

Olivier Schrameck : qui n’est pas une toute puissance. Il y a certain membres de cabinets qui prennent une influence déterminante mais cette influence ressort de leurs rapports, de leurs relations personnelles avec le ministre ou le premier ministre. Dans la pratique des choses, le membre de cabinet n’a aucune responsabilité qui lui soit propre. Et s’il se permet de donner à des responsables politiques des instructions, il sort manifestement de son rôle.

Ali Baddou : Le problème c’est qu’ils le font, Olivier Schrameck, on le sait.

Olivier Schrameck : Un petit nombre de ceux-ci le font. Il n’y a pas de remède juridique à cette situation. Il n’y a que la responsabilité des politiques qui doivent savoir ne pas se dessaisir de leur rôle, l’exercer pleinement. Il y a, je le répète, la responsabilité des directeur qui suppose la pratique d’un État impartial.

Ali Baddou : Donc, il suffit, vous dites, de faire confiance aux individus ? Faire confiance à ceux qui occupent ces postes de responsabilité ?

Olivier Schrameck : Non. Il y a des règles tout de même qui peuvent améliorer, encadrer la situation. Je suis personnellement frappé du fait que le thème des cabinets ministériels qui avait été un grand thème de l’élection présidentielle de 1995,...

Ali Baddou : A été complètement passé à la trappe.

Olivier Schrameck : Comme si l’on avait désespéré de pouvoir encadrer, contrôler ce phénomène. On a été dans ce sens petit à petit, notamment en encadrant mieux leurs conditions de recrutement et de rémunération. Il existe aujourd’hui un document budgétaire qui retrace les emplois de cabinet. Mais je crois qu’il faut aller beaucoup, beaucoup plus loin dans l’optique de la transparence. Il faut qu’il y ait des emplois de cabinet avec des conditions d’accès à ces emplois, une information sur les conditions de cet emploi sous le contrôle du parlement comme c’est le cas de l’ensemble des emplois publics. Et il faut que les ministres aient à justifier y compris devant le parlement des recrutements qui leur paraissent nécessaires, y compris le cas échant en usant des indicateurs d’activités qui sont désormais utilisé pour tous les fonctionnaires dans le cadre des contrôles des finances publics.

Ali Baddou : Et d’ailleurs vous vous employez à essayer de formuler des solutions pour les rendre plus efficaces, pour les rendre moins obscures, pour démystifier, également, ce rôle qu’on leur prête beaucoup. Vous parliez de fantasmes en tout cas on peut évoquer cette opacité. Un mot sur un terme qui revient, non pas la « dihiérarchie », mais la « trihiérarchie », qu’est-ce que c’est ?

Olivier Schrameck : C’est un mécanisme triangulaire –là je ne parle pas de la « dihiérarchie » exécutive, entre le président de la république et le premier ministre dont nous pourrions peut-être parler- mais je parle des rapports triangulaires entre le ministre, membre du gouvernement, qui est à la fois une autorité politique et une autorité administrative, chef de son administration, les directeurs qui ont vocation à diriger cette dernière et les membres de cabinet qui sont des intermédiaires. Le problème c’est qu’un membre de cabinet est certes, ou doit être un expert, il ne doit pas être un technocrate, c’est-à-dire posséder le pouvoir et en user. Il doit être un intermédiaire mais il ne doit pas être un manipulateur. Il doit être un auxiliaire mais il ne doit pas être un responsable.

Ali Baddou : Et celui qui a lu justement, ce grand texte : « Les arts de gouverner », il faut remonter au XVIe siècle pour savoir que le pouvoir secrète des arcanes, que le pouvoir suscite aussi ces comportements qui vont de l’imminence grise à celui qui tire les ficelles. C’est un problème anthropologique, quasiment.

Olivier Schrameck : Tous les hommes politiques et ça, ça relève d’une analyse du pouvoir et de la décision, tous les hommes politiques ont besoin d’un entourage. C’est-à-dire de personnes auxquelles ils puissent parler sans que cela tire à conséquences. Ils ont besoin à la fois d’un répondant et d’un miroir. Ça fait partie de la psychologie. On pourrait presque dire de la psychanalyse politique.

Ali Baddou : On va continuer à explorer avec vous cette dimension du pouvoir, Olivier Schrameck, dans un instant. [...] La chronique d’Alain Gérard Slama, ce matin, « Cabinet ministériel, le fumé du rôti », c’est le titre de votre chronique, Alain Gérard ?

Alain Gérard Slama : Oui. Vous connaissez la fable médiévale, cher Ali, dans laquelle le malheureux affamé doit se contenter, au lieu de la viande espérée, du fumé du rôti. Et c’est un peu le lot, me semble-t-il, des membres des cabinets ministériels qui ont parfois du pouvoir, parfois même quand ils sont à Matignon ou à l’Élysée, le pouvoir, mais sans en avoir les responsabilités. Ils arrivent avec des idées de réformes en concordances avec celles de leur ministre et bien décidés à les faire avancer mais pris en étau entre les ministres et les bureaux le membre du cabinet s’aperçoit vite qu’il est prié d’abandonner les idées avec laquelle et pour lesquelles il a été désigné et se voit condamner à gérer les intérêts non plus du ministère mais du ministre lui-même. C’est-à-dire de faire des notes de synthèse, de préparer des dossiers, de répondre au courrier et aux questions des parlementaires, de distribuer des postes et des subventions. De la une propension à surévaluer leur rôle, à ce donner auprès des médias ou par de médiocres intrigues l’importance qu’ils n’ont pas. Le cas le plus pathétique, que je crois bien connaître, est celui du rédacteur du discours qui est prié de penser le moins possible, tout en trouvant les mots pour le dire, agrémenté de citations décoratives, de petites phrases passées au crible des opportunités et des inventions de vocabulaire aussi frappante que possible, par exemple turlupin ou abracadabrantesque, le tout avec le souci que son style s’accorde au tempérament de son ministre, ce qui on en conviendra ne va pas très loin. Tout cela, évidemment, représente une perte d’énergie considérable et l’on cherche des remèdes. Alors, un remède souvent proposé serait la suppression de l’ENA. L’idée sous-jacente est de freiner la tentation qui fait du membre du cabinet, essentiellement recruté dans cette école, enfin un peu trop souvent, d’un doublon d’administration qui en connaît certes les techniques et les rouages mais qui reproduit le formalisme, le comportement de corps et les réflexes conservateurs. Le conseil d’analyse de la société (CAS) vient de publier à la documentation française un amusant petit livre - que je vous conseille à l’égale, peut-être pas tout à fait, du très beau livre d’Olivier Schrameck- intitulé : Si vous étiez au pouvoir, que ferriez-vous ? D’Alain Lambert, ancien et remarquable ministre du budget, et Guillaume Sarkozy, venu de l’entreprise, les intervenants interrogés sont tous technocrates. De Jacques Attali, Michel Camdessus, Alain Juppé, Pascal Lamy, Alain Minc et Michel Rocard, nombre de leurs projets les plus urgents de réforme, la remise en cause du système des grandes écoles. Soit pour l’abroger, soit comme le suggère Alain Minc pour l’élargir. Alain Lambert propose, dans le même sens, de réduire dans des proportions drastiques le nombre de corps de la fonction publique qui est -je ne sais pas si vous le savez, Ali- de 15 000 !, de ramener à 20 de façon à casser l’esprit de caste et de privilèges. Or, il suffit de lire les communications des énarques interrogés dans ce petit livre et surtout de comparer le travail fourni par les énarques sur la forme de rapports, de notes, voire de discours à ce qui se fait chez nos voisins pour être persuadé que le système de l’ENA est le pire de tous les systèmes, à l’exception de tous les autres. Un autre remède consisterait à encadrer l’activité de cabinet, de l’institutionnaliser, de façon à la responsabiliser -je renvois sur ce point au livre d’Olivier Schrameck, qui ouvre des pistes évidemment intéressantes pour la plupart à suivre- mais le principal problème n’est pas le cabinent ministériel, c’est le ministre.

Ali Baddou : Le […] une réaction à ce que disait Alain Gérard Slama ?

Olivier Schrameck : Le Oui. Évidemment j’ai entendu son exposé avec le sourire mais aussi avec approbation sur beaucoup de points.

Ali Baddou : Il disait beaucoup de choses.

Olivier Schrameck : Il disait beaucoup de choses. Il disait d’abord que la responsabilité, il termine par là, essentielle c’est celle du ministre et qu’encore une fois celle qu’il laisse au cabinet est de sa responsabilité. Il disait également – à propos de l’ENA- que c’était le pire système à l’exception de tous les autres. Moi, je trouve souvent dans la critique de l’École national d’administration le même mélange de sincérité et d’hypocrisie que l’on trouve dans la critique des cabinets ministériels. Et s’il n’y avait pas d’énarques dans les cabinets ministériels sans doute la compétence et l’expérience de ces derniers en seraient amoindries, mais pas nécessairement leur pouvoir.

Ali Baddou : Le problème, c’est qu’en l’occurrence quand on voit –Alain Gérard Slama sourit- cette petite tribu de l’administration de l’État, pour reprendre les chiffres d’Alain Gérard, ce n’est pas du tout une petite tribu en vérité. Combien il y a de membres de cabinets ministériels sous le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, par exemple ?

Olivier Schrameck : 685 d’après les décomptes officiels et chacun sait qu’il en est d’officieux.

Ali Baddou : Mais c’est considérable, 685 ?

Olivier Schrameck : C’est considérable.

Ali Baddou : quand on sait qu’il y a un système administratif

Olivier Schrameck : Cela s’explique en grande parti à l’aulne du nombre du gouvernement. S’il n’y avait pas, le plus souvent, entre 40 et 50 membres du gouvernement, ce n’est pas le cas aujourd’hui du temps du gouvernement de Dominique de Villepin, il y aurait moins de membre des cabinets ministériels. Mais le nombre ne fait grand-chose à l‘affaire en définitive. C’est le pouvoir laissé qui est important. Pour prendre une autre référence, j’ai vu tout récemment un film qui a ait parlé de lui The queen.

Ali Baddou : Oui, on va en parler, c’est un livre que nous aimons beaucoup, ici dans les matins de France Culture et qu’on a eu l’occasion d’évoquer récemment, on le reprendra avec vous, juste après les informations, Olivier Schrameck.[…] Jacques Chirac déclarait récemment, c’était lors d’un hommage au Général De Gaulle, que : la Ve république avait donnée à la France ce qui lui manquait depuis des décennies, je cite le président de la république : « Une exceptionnelle solidité institutionnelle, une remarquable capacité d’adaptation » et il mettait en garde : « ceux qui seraient irresponsable », je cite toujours, « et qui seraient tentés de brader ce qu’il y a de plus solide dans nos institutions ». Alors, ces institutions vous les connaissez particulièrement bien, vous les avez pratiqué en étant troublé, la cohabitation, que pensez-vous de ces déclarations du président de la république ?

Olivier Schrameck : Je ne vais pas juger les déclarations du président de la république.

Ali Baddou : Vous pouvez, vous êtes un homme libre.

Olivier Schrameck : Je dirais que la Ve République qui a apporté deux choses majeures : le fait majoritaire et l’alternance. Mais ce régime n’est pas satisfaisant. Précisément parce qu’il vogue entre deux écueils soit il y a une cohérence politique et un risque d’autocratie présidentielle, soit il y a une divergence politique et un exécutif divisé contre lui-même qui tire à u-et-à-dia c’est le régime que j’ai critiqué de la cohabitation. Le problème c’est que le président de la république et le premier ministre ont dans notre système des rôles qui se recoupent, qui ne se distingue pas suffisamment. Je pense que dans un exécutif il faut à la fois un acteur essentiel, et pour moi c’est le premier ministre, et un régulateur, une référence c’est le président de la république.

Ali Baddou : Mais ça, ça ressemble à peu près à ce qui existe aujourd’hui, non ?

Olivier Schrameck : Non. Parce que lorsque le président de la république est de la même couleur politique que le premier ministre il n’est pas un régulateur. Il est un acteur, et un acteur souvent tout puissant, qui plonge jusque dans les détails de la vie publique. Et par conséquent s’il faut faire des réformes institutionnelles, ce que je pense, la constitution n’est pas sacramentelle, elle a d’ailleurs été révisée 18 fois depuis 1958, et bien il faut faire en sorte qu’on distingue mieux les rôles du premier ministre acteur, qui a vocation à présider le conseil des ministres, à être désigner par l’Assemblée nationale, à être le cas échéant renvoyé par elle, et le président de la république à qui il incombe d’incarner, la continuité et la personnalité de la nation.

Ali Baddou : révision, réforme de la constitution, ou changement ? Une nouvelle constitution, une VIe, comme certains l’appellent de leur vœu ?

Olivier Schrameck : Ça, c’est un débat, qui dans la forme est un peu théorique, qui est important du point de vue des procédures des révisions constitutionnelles. Parce que, ce n’est pas la même chose juridiquement de réviser une constitution et de soumettre à l’approbation du peuple une nouvelle constitution.

Ali Baddou : Alors, on essaye toujours de comprendre le fonctionnement de la Ve République ce qui pourrait ne pas aller le cas échéant. Lorsque vous voyez, par exemple, le cabinet de Nicolas Sarkozy, -Nicolas Sarkozy, président de l’UMP, ministre de l’intérieur- son ministère est-ce qu’aujourd’hui lorsqu’il est critiqué en disant : voilà, il lui sert à faire de la campagne politique pour la prochaine présidentielle, est-ce que ce ministère-là est bien employé et quelles procédures de contrôle existent pour éviter la confusion des genres ? Toujours pour explorer ces zones d’ombres, pour reprendre votre terme, ou ces zones grises.

Olivier Schrameck : J’aborde ce problème du point de vue des membres des cabinets ministériels et pas du point de vue des responsables politiques eux-mêmes, puisque ce n’était pas mon sujet. Et, je critique très vivement le fait que les responsables de cabinets usent de leur fonction pour souvent préparer leur propre parcours politiques. Certes il y a une règle selon laquelle ils doivent se mettre en congés lors des campagnes électorales mais les campagnes électorales sont brèves et ils usent auparavant de leur temps, de leur capital de relation, des moyens que leur donne le ministère pour peser en leur faveur dans le débat politique. Nous avons fait des pas pour un meilleur financement des activités politiques, il en reste beaucoup à faire.

Ali Baddou : Aujourd’hui, Claude Gaillon devrait démissionner, le directeur du cabinet ministériel de Nicolas Sarkozy ?

Olivier Schrameck : D’abord je ne souhaite pas personnifier ma remarque mais je dirais que de toute manière...

Ali Baddou : Il s’agit bien d’homme à un moment donné ?

Olivier Schrameck : Le problème s’est posé pour moi-même puisque lorsque Lionel Jospin s’est lancé dans la campagne électorale une claire distinction a été faite entre la direction du cabinet que j’ai continué à assurer dans des formes purement administratives et une campagne électorale qui a été menée par d’autres. Je n’ai jamais mis les pieds sur les lieux de la campagne électorale de Lionel Jospin. Je crois d’ailleurs savoir, puisque vous me parler de monsieur Gaillon qu’il a l’intention au moment qu’il décidera de passer d’un rôle à l’autre.

Ali Baddou : Et on peut vraiment être schizophrène à ce point-là ? Avec le téléphone, avec Internet, avec évidemment toutes les manières de… on n’a pas besoin, physiquement, de se rendre sur le lieu de campagne, le siège de la campagne ?

Olivier Schrameck : Il ne faut pas se cacher que les fonctions de cabinet suivant les circonstances ont un contenu plus ou moins politiques. La fonction du membre du cabinent est aussi de conseiller politiquement le ministre. Sinon le directeur y suffirait.

Ali Baddou : Il y a d’ailleurs les conseillers politiques.

Olivier Schrameck : Il y a des conseillers politiques, et le directeur de cabinet est à la fois une tâche administrative et politique. Là où le bas peut baisser c’est lorsque nous sommes dans les prémices d’une campagne électorale, lorsque le rôle politique devient un rôle partisan.

Ali Baddou : Alors, si on quitte les cabinets ministériels pour parler de l’administration, est-ce qu’il n’y a pas une autre forme d’hypocrisie, Olivier Schrameck ? Hypocrisie à la française qui voudrait que les fonctionnaires seraient des gens neutres. Lorsqu’on voit les directeur d’administration centrale, lorsqu’on on voit ces va-et-vient justement entre les partis et la fonction publique…

Olivier Schrameck : Le concept de neutralité est un concept très ambigu. Parce que le fonctionnaire, comme tout homme engagé dans sa profession, est précisément un homme engagé. Mais le fonctionnaire doit et est d’ailleurs toujours loyal. Lorsqu’il accepte de participer à une équipe ministérielle il doit au surplus être solidaire et fidèle. Le problème du fonctionnement de notre État, aujourd’hui, c’est que les nominations et les promotions ne se font pas de manière impartiale. Et que précisément le fait d’avoir appartenu à une équipe de cabinet, quelque soit sa coloration, est un facteur de disqualification. C’est pour ça que je dis qu’il faut mettre fin à l’hypocrisie. Ou l’on considère, ce que je pense, que la fonction de cabinet qui doit être règlementée, contrôlée, reste aujourd’hui une fonction nécessaire pour le fonctionnement de l’État, et elle doit être reconnue comme telle dans le maximum de transparence, ou alors on considère que cette fonction ne doit pas relever de l’intervention des fonctionnaires et il faut la leur interdire.

Ali Baddou : Et arriver à un système à l’américaine ? Pour le coup il y a véritablement une séparation entre les équipes, celles qui accompagnent ce qu’on pourrait qualifier de ministre mais qui n’en sont pas vraiment, ceux qui accompagne le président de la république et les membres de l’administration ?

Olivier Schrameck : Je ne pense pas qu’on puisse dire du système américain qu’il y ait une telle dichotomie. En effet, beaucoup de membre de cabinet rejoignent ensuite des postes ministériels et beaucoup sont de haut responsables de l’administration ou des agences. Je ne crois pas qu’il y ait de cas dans notre histoire ou dans différents pays qui connaissent des régimes démocratiques où il y ait une séparation totale du politique et de l’administratif dans les cabinets ministériels.

Ali Baddou : Autre dysfonctionnement à vous lire, pour le coup, c’est un cabinet très particulier, c’est celui du président de la république, le fonctionnement de l’Élysée. Là, pour le coup il règne une très grande opacité. Les textes de Régis Debré, je ne sais pas, dans « Loué soit mon seigneur » jusqu’à votre livre on s’aperçoit que là il y aurait vraiment énormément de réformes à apporter ?

Olivier Schrameck : C’est à l’Élysée que règne encore un maximum d’opacité. Quelques soient les efforts que l’on peut faire pour essayer de cerner les moyens et les réseaux de décisions. Les présidents de la république, d’ailleurs, ont toujours refusé l’idée même d’un cabinet en tant qu’une équipe collective et organisée autour d’eux. Ils n’ont accepté que l’idée de réseaux de personnalités. Et c’est ce qui rend ce mécanisme de pouvoir encore plus difficile à saisir.

Ali Baddou : On va continuer à parler avec vous de tous ces fonctionnements, on élargira la discussion avec l’ensemble des collaborateurs de l’émission, Olivier Schrameck, et puis on reparlera de ce film, The queen, c’est filme, mea-culpa, je disais que c’était un livre tout à l’heure.[…]

Ali Baddou : Sur cette dramaturgie du pouvoir que vous décrivez, on a l’unité de lieu, les cabinets ministériels, on a l’unité de temps, l’urgence, on a l’unité d’action, décider et, il y en a une autre qui apparaît aussi au fil des pages, c’est le devenir publicité de la décision politique. Autrement dit les relations qu’entretient le cabinet ministériel avec les médias et là, on s’aperçoit que c’est un acteur à part entière de la vie politique. C’est une évidence et je ne fais qu’enfoncer une porte ouverte mais qu’en l’occurrence ça devient quasiment de la science dure : de pouvoir communiquer, de pouvoir rendre public la décision, la réforme qui a été imaginé dans cet espace fermé ?

Olivier Schrameck : C’est là où l’on retrouve le film, The queen, précisément, puisqu’il raconte comment Tony Blair s’est imposé comme un homme d’État, au moment de la crise créée par le décès de Lady Diana, en personnifiant l’opinion publique britannique. Grâce à l’aide de ces fameux, panderers ( ?). On voit bien que le fonctionnement du cabinet est essentiel pour l’homme politique communiquant qui a compris qu’il devait communiquer en agissant, et, comme je le dis, communiquer avant d’agir aussi et parfois sans agir. Le rôle du cabinet est de lui faciliter cette communication. Attention, ne pas s’y substituer car lorsque ce sont les membres du cabinet qui communiquent officiellement alors ils se détournent de leur rôle d’auxiliaires. Mais il arrive que, dans la confidentialité des rapports avec la presse, la parole des membres des cabinets ministériels compte au moins autant que celle des responsables politiques. En titre.

Ali Baddou : Et aujourd’hui, le conseillé en communication est parfois le premier conseillé d’un cabinet ministériel, Olivier Schrameck ?

Olivier Schrameck : C’est en tout cas l’un des plus importants. Et on retrouve d’ailleurs ce phénomène dans les collectivités locales. Il ya deux rôles du membre du cabinent ministériel qui sont aujourd’hui irremplaçable c’est son rôle de liaison avec les médias et c’est son rôle de liaisons interministérielles.

Ali Baddou : Et c’est ce qui explique qu’aujourd’hui la décision politique émerge dans l’espace public, calibrée, formatée, adaptée en fonction des différents supports de presse ? Il y a les cas où ça se passe moins bien ? Typiquement, lorsque vous étiez à Matignon, l’affaire des paillottes qui éclate, tout à coup ça échappe. Tout à coup on ne peut plus rien sur l’emballement médiatique. Comment est-ce qu’on vit ces moments-là ?

Olivier Schrameck : Fort heureusement l’information n’est pas conditionnée. C’est d’ailleurs la responsabilité des journalistes de faire en sorte qu’elle ne le soit pas. Je crois que lorsqu’une crise survient, il en survient toujours, -la devise de Matignon, pour moi, c’est toujours l’inattendu arrive- et bien il faut expliquer, expliquer, toujours le pourquoi et le comment. Mais il ne faut pas se faire d’illusion, venant des membres des cabinets l’information n’est en quelque sorte jamais crue sur parole.

Olivier Duhamel : J’ai envie de vous poser une question plus politique. Alors, je sais que vous êtes un haut fonctionnaire, je sais que vous tenez à une certaine distance, une certaine impartialité mais enfin quand même vous êtes aussi un citoyen ? Vous êtes aussi un homme politique de surcroit en ce moment vous n’exercez pas de responsabilité de pouvoir, comment est-ce que vous regardez la présidentielle 2007 en générale et cette présidentielle à gauche en particulier, puisque cette semaine va être une semaine assez importante, de ce point de vue ? Est-ce que vous suivez les choses ? Je pense que oui. Est-ce que vous avez une opinion, je pense que oui. Est-ce que vous êtes disposé à nous la donner ? Je crains que non. Je tente ma chance.

Olivier Schrameck : S’il s’agit de personne cela n’aurait ni sens ni décence. S’il s’agit du mécanisme institutionnel qui est en train de se construire, ce que je peux dire c’est que cela m’apparaît comme un progrès démocratique incontestable. Et qu’aujourd’hu, par ce système que l’on voit se construire, il me semble que les enjeux de la présidentielle de 2007 apparaissent mieux que ne sont apparus les enjeux de la présidentielle de 2002.

Ali Baddou : Vous parlez de ce qui se passe au sein du PS ou du débat en général ?

Olivier Schrameck : Du débat en général et en particulier du débat qui se déroule au sein du parti socialiste. D’ailleurs le fait que les membres d’un parti, qui a vocation à être un parti de gouvernement, désigne l’éventuel futur dirigeant c’est une marque de toute les démocraties européennes. C’est comme cela que Tony Blair précisément ou Zapatero ou Madame Merkel ont été choisi. Mais ils ont été choisis beaucoup plus dans le secret des circuits, des décisions politiques partisanes, aujourd’hui, en ce qui concerne le parti socialiste, le choix se fait dans le plein air politique.

Ali Baddou : Ça vous répond Oliver.

Olivier Duhamel : Oui, ça répond sur le fond, qui est très important, mais je persiste sur les préférences personnelles d’Oliver Schrameck mais j’imagine que ça, ce n’est pas la peine que j’insiste cela on n’arriverait à rien ?

Olivier Schrameck : Certes.

Ali Baddou : Pourquoi pas d’ailleurs Olivier Schrameck ?

Olivier Schrameck : Parce que je ne suis pas un homme politique. C’est le seul point sur lequel je reprendrais Olivier Duhamel. Je ne l’ai jamais été. J’ai été toujours fonctionnaire. Il se trouve que la fonction de cabinet ministériel peut faire parti de l’exercice de la fonction publique,

Ali Baddou : Mais vous jouiez un rôle politique, Olivier Schrameck, ne le niez pas ?

Olivier Schrameck : Comme directeur de cabinet du premier ministre mais je n’ai jamais participé à une réunion politique de ma vie. Et, je considère qu’il y a incompatibilité entre les fonctions que j’exerce qui sont de contrôle, d’évaluation, de jugement et les prises de positions politiques en dehors même de l’exercice des responsabilités que peuvent exercer les fonctionnaires.

Alain Gérard Slama : Lorsque vous étiez à Matignon vous aviez fait un livre, monsieur Schrameck, dans lequel vous ne ménagiez pas vos jugements sévères à l’égard de Jacques Chirac, enfin, bon ! Alors je voudrais vous poser une question,...

Ali Baddou : C’est vrai, Olivier Schrameck, ne le niez pas. En l’occurrence là, aussi, on est dans ces zones intermédiaires qui sont très compliquées.

Alain Gérard Slama : Il faut dire que n’aviez pas été ménagé, non plus.

Olivier Schrameck : Je dirais simplement que j’ai remarqué qu’en période de cohabitation, le président était le chef de l’opposition. Ce jugement n’avait rien de personnel car c’est vrai quelque soit le président. Et j’ai critiqué cette situation. Mais il n’y avait pas dans le livre de procès personnel. La seule chose que je soulignerais c’est que précisément parce que j’étais le directeur du cabinet du premier ministre, à l’époque, je n’avais pas le même devoir de réserve qu’est le mien aujourd’hui en tant que membre du Conseil d’État. Et, c’est à ce moment là, et à ce moment là seulement que je pouvais écrire ce que j’ai dit.

Alain Gérard Slama : Vive le Conseil d’État. Alors, je voudrais vous poser une question sur les institutions. Vous avez dit président régulateur, premier ministre acteur. Vous avez mis en évidence deux soucis, très réels, qui sont d’un côté l’excès d’intervention du président de la république sur tout sujet et de l’autre la cohabitation. C’est sur les attributions du président que je voudrais vous interroger. Car, est-ce que vous ne pensez pas qu’à force de s’occuper de tout, le président ne fait plus la différence, finit par ne plus faire la différence, entre la gestion d’un côté et de l’autre les enjeux majeurs qui engageraient sa responsabilité ? Et, sur ce point, est-ce que la bonne réponse ne consisterait pas à suivre, par exemple, l’idée à laquelle je suis très attachée, Olivier qui vient de partir le sait, et qui a été défendue, récemment, dans le débat par Jean-Marcel Jeanneney, c’est-à-dire d’introduire dans le texte constitutionnel la possibilité pour le président, donc le devoir, de mettre en jeu sa responsabilité en cas de question majeure, soit qu’il soit mis en minorité par le parlement, enfin que le gouvernement soit mis en minorité par le parlement et qu’il soutienne et qu’il décide de déféré devant le pays par référendum ou tout autre moyen, voire par dissolution, la question. Avec dans ce cas là, bien sûr, l’obligation pour lui de partir ?

Olivier Schrameck : Je ne partage pas cette conception quelque soit l’estime que j’ai pour son auteur. Je lisais que celui qui doit partir c’est le premier ministre. Le jeu parlementaire se fait entre l’Assemblée nationale et le premier ministre. Si l’institution présidentielle a un sens profond, c’est d’assurer la continuité et les grands choix de la nation. Et, c’est pour cela d’ailleurs que l’élection de la république au suffrage universel, indépendamment du fait que beaucoup la juge irréversible en tant que telle, a son intérêt dans nos institutions. D’abord parce qu’entre le corps électorale tout entier et le parlement il n’y a pas de collège électoral légitime. Ensuite parce que les conditions du choix du président de la république garantissent que ça ce soit une personnalité aguerrie. Or, notre expérience politique nationale a montrée, malheureusement, que les présidents de la république désigné autrement ont laissé choir la république comme ce fut le cas de monsieur Lebrun, ou l’on proposée par une visite à Colombey-les-Deux-Églises, comme se fut le cas de monsieur Cotty, élu au 13ème tour du scrutin. Le président de la république a vocation à répondre aux grands enjeux, aux grandes crises du pays, il n’a pas certainement pas vocation à entrer dans le détail de la gestion.

Alain Gérard Slama : Oui, je suis totalement d’accord avec ça, mais justement la possibilité de mettre en jeu sa responsabilité, pour le président, exclura inévitablement qu’il s’occupe, me semble-t-il, précisément des détails. Autrement dit le risque évidemment serait que si le président engageait sa responsabilité sur tout sujet on revienne à l’instabilité que vous dénoncez. Ça, c’est claire on reviendrait à la VIe République et c’est le président qui tomberait constamment au lieu d’être le président du Conseil. Mais en revanche, si vous voulez, un mécanisme qui fasse qu’uniquement sur les enjeux centraux le président puisse d’une certaine façon faire pencher la balance, parce qu’il est évident que s’il met en jeu sa responsabilité, s’il dit je partirai, les gens réfléchissent. Les gens se disent après-tout les élections de 97 auraient pu peut-être ne pas être perdue parce qu’elles se sont jouées sur pas grand-chose. Si, par exemple, le président de la république avait dit qu’il le considérait comme un enjeu majeur.

Olivier Schrameck : Bien entendu, le président de la république est libre, y compris de partir. Mais il d’autres moyens de mettre en jeu sa responsabilité, notamment par le biais de la consultation référendaire. Ce que je crains, c’est un système dans lequel le président de la république serait précisément un acteur du jeu parlementaire sommé de se retirer dès lors que sa coloration politique ne correspond pas à celle de la majorité du moment.

Ali Baddou : Mais quelque chose comme un discours sur l’état de l’union que le président américain va, chaque année, faire devant le congrès ? On pourrait l’adopter en France ?

Alain Gérard Slama : Ce régime existe, par exemple, en Espagne mais au main de celui qu’on appelle le président, qui est le président du Conseil des ministres, à savoir le premier ministre. La tradition américaine ne me paraît non plus une tradition souhaitable. Je ne suis pas du tout partisan du régime présidentiel. Parce que c’est un régime dans lequel il y a d’un côté le véto et de l’autre le blocage. Et, on le voit bien dans la situation actuelle où le président des Etats-Unis essaye de trouver des accommodements mais il y a une contradiction totale entre la manière dont l’avenir des Etats-Unis, notamment en Irak, est conçu par la majorité démocrate d’aujourd’hui et par l’équipe présidentielle au pouvoir depuis maintenant 6 ans.

Ali Baddou : Si l’on compare ces différents modèles institutionnels, on a parlé des Etats-Unis, de la Grande Bretagne, de l’Espagne, on sent que vous avez une petite préférence pour le modèle espagnole. Vous y avez été ambassadeur de France à Madrid. Effectivement, un gouvernement ramassé, aujourd’hui, autour de José Luis Zapatero, la distribution des postes, la parité, on a l’impression d’un fonctionnement beaucoup plus ouvert et efficace que ce qui se passe en France.

Olivier Schrameck : Effectivement, le régime espagnol a aussi ses failles, comme un système de dépôt qui est pratiqué de manière beaucoup trop large, mais c’est un système démocratique qui fonctionne très bien. Avec un respect du parlement, un choix claire des politiques, deux partis dominants qui représentent 80% du corps électoral, une alternance qui fonctionne et l’affirmation d’une véritable responsabilité du chef du gouvernement, équilibrée par la personne du roi qui précisément personnifie la continuité de la nation espagnole quelque soit ses tendances à autonomie.

Marc Kravetz : Par quoi remplacer le roi ?

Ali Baddou : Bonne question.

Olivier Schrameck : La forme n’a guère d’importance. Je voudrais rappeler que d’une part nous avons dans l’union européenne, indépendamment de la France, 5 pays qui fonctionnent avec un président de la république élu au suffrage universel. La Finlande, l’Islande, l’Irlande, le Portugal et l’Autriche sont dans cette situation. Et, si le problème du bicéphalisme ne se pose pas dans beaucoup de pays c’est précisément parce qu’il y a une présence monarchique. Vous me direz : Est-ce que la monarchie est l’idéal ? Non. Pourquoi ? Parce que le Roi, s’il peut imposer un certain nombre de règles de continuité, de coexistence nationale, ne peut pas prendre d’orientation politique. Il n’a pas pu éviter à l’Espagne l’engagement dans la guerre d’Irak alors que chacun savait qu’il n’y était pas favorable. Alors que le président de la république portugaise, élu au suffrage universel, lui l’a pu car il a dit : Je suis le chef des armées, -au chef du gouvernement qui voulait après le sommet des Acores engager le Portugal dans la guerre irakienne-, envoyez la police si vous le souhaitez c’est de votre responsabilité, monsieur le premier ministre mais l’armée, non, c’est ma responsabilité à moi, président de la république.

Marc Kravetz : Ma question, je vais essayer de vous la poser pas trop maladroitement. En vous lisant on est pris d’un certain malaise. Alors, certes je ne suis pas du tout outillé intellectuellement pour suivre tous les chapitres de votre livre, sauf le début. Le début, ça rappelle les romans du XIXe siècle, notamment Balzac, donc, on y est plus à l’aise. Ne le voyez pas comme une critique. Il n’empêche qu’au bout du compte, se pose quand même obstinément cette question, est-ce qu’il n’y a pas dans cette –à la fois pour le bien, la neutralité, la haute fonction publique, en même temps pour le moins bien - cette ambiance, même si elle était moins opaque – vous souhaitez qu’elle le soit moins, nous le souhaitons aussi, une ambiance disons, aller osons le mot, de caste. Une caste relativement homogène. Il y a certainement des nuances,...

Ali Baddou : Vous vouliez parler de tribu mais en fait caste convient sans doute mieux.

Marc Kravetz : Où en gros, on va se partager le pouvoir, on va se remplacer. Les uns se mettront gentiment à l’écart pendant que les autres assumeront dans d’autres cabinets mais où tout le monde se tutoie dans des couloirs… Quand je dis ça, il ne s’agit ni de complicité ni de complaisance, non, non. Tout cela est dans un bon fonctionnement républicain. Il n’empêche, j’aimais beaucoup le titre d’un essai d’un journaliste, Albert Stam ( ?), décrivant le pouvoir américain en disant : The pouvoir that here !( ?) « Le pouvoir est là ! » et il a peu de chance d’en sortir.

Olivier Schrameck : Je crois d’abord, il ne faut pas s’étonner, que les hommes politiques gouvernent dans la continuité et que -sous réserve de l’alternance bien entendu- les fonctionnaires administrent. Le problème, est celui du contrôle citoyen. Le contrôle citoyen se fait par l’alternance mais il n’est as suffisant. Car entre deux périodes où se produit l’alternance il doit se maintenir. C’est tout le problème de la création de structures intermédiaires, de nature politiques, qui permettent la permanence d’un contrôle. Il y a des procédés de démocratie que l’on dit semi-directe, par exemple, les initiatives référendaires, il y a des procédés de démocratie locale, qui permettent effectivement aux cercles politiques de ne pas rester enfermés dans son milieu spécifique.

Ali Baddou : Il y a aussi un problème de renouvellement de ce personnel, Olivier Schrameck ; ?

Olivier Schrameck : Il est fondamental. Je vais vous dire, sur ce point, je suis à la réflexion très favorable de la limitation du nombre de mandats politiques que peuvent exercer les responsables politiques. Ça n’a pas tellement d’importance s’agissant de députés ou de sénateurs mais s’agissant des responsables de l’exécutif et peut-être tout autant des responsables locaux car il y a des cas locaux ou l’alternance n’est pas possible parce qu’une région ou une commune, le plus souvent, reste axée soit à gauche soit droite.

Ali Baddou : D’où l’expression de fief.

Olivier Schrameck : D’où l’expression de fief et on va se retrouver avec les problèmes de la décentralisation dans des cas où des hommes politiques ou des femmes politiques, plus tard, auront exercé 4, 5 ou 6 mandants et ils continueront à vouloir en exercer. Donc, si l’alternance politique n’est pas possible, il faut imposer l’alternance personnelle.

Ali Baddou : Mais quand vous dites que la république manque d’instances de contrôle, la tendance aujourd’hui est moins au contrôle citoyen qu’à la multiplication de ces instances indépendantes, quelles soient administratives ou pas, mais c’est quand même ça la tendance de fond. On a l’impression qu’il y a une multiplication de conseils, de comités et d’instances qui jugent sans avoir, elles-mêmes, jamais été élues.

Olivier Schrameck : Le problème de ces conseils est que précisément ils sont l’émanation des majorités politiques. On sait parfaitement que ces grands conseils dont vous parlez ne reflètent pas le pluralisme et la diversité. Il faut donc des modes de désignation qui permettent aux citoyens de faire valoir la diversité de leurs tendances et de leurs inclinations.

Marc Kravetz : Je ne suis pas tout à fait satisfait. Je sais bien que quand on prononce le mot de caste on a le sentiment d’isolement, d’enfermement, on n’en est pas tout à fait là. Vu la formation des élites en France, vu cette longue tradition qui fait qu’il y a la vie d’un côté, la politique et l’administration de l’autre - on n’y peut rien, ça fonctionne comme ça et c’est très long à réformer - On le voit bien quand à la marge, d’une certaine façon, Science Po s’ouvre sur… regardez toutes les circonvolutions de langage : quartiers difficiles, zone ceci, zone cela,… on n’arrive pas à parler de la France comme d’un territoire à peu près commun et perméable de partout. Comment on arrive à sortir de là ? En lisant votre livre, très franchement, je ressens cet espèce de malaise de dire : il y a ce monde là, il y a l’autre, et quand on est dans des situations compliquées pour la démocratie, comme maintenant d’ailleurs, où, sans faire dans la démagogie, on voit bien que les citoyens ne sont pas très en phase avec leurs élites. Est-ce qu’on ne pourrait pas se poser des questions un peu plus audacieuses que celles que vous développez ?

Olivier Schrameck : Ça n’était pas mon sujet.

Marc Kravetz : J’entends bien.

Olivier Schrameck : Je reconnais que la spécialisation génère un certain enfermement mais je dirais que cela caractérise tous les milieux de pouvoir et d’influence, y compris le pouvoir médiatique, le pouvoir des affaires. Je pense que la solution vient de la diversification. Je crois profondément au facteur de renouvèlement qu’implique le phénomène de la féminisation de la vie politique. Je crois profondément au facteur de renouvellement qu’implique la diversification des recrutements. C’est pour cela que j’ai salué, et beaucoup soutenu en son temps, la réforme qu’a réalisé Science-Po, qui à mon avis produira ses effets, mais il faut du temps car on n’accède pas aux responsabilités de manière immédiate.

Ali Baddou : Merci infiniment Olivier Schrameck de nous avoir rendu visite.



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