Frédéric Martel : France culture, Masse critique, bonjour. Chaque samedi, en direct du studio 167 de la Maison de Radio, nous nous retrouvons pour une émission sur les industries culturelles. Nous y recevons les acteurs de la culture de marché pour décrypter ce secteur de culture de masse de manière à la fois sérieuse, explicative et critique, d’où le nom de l’émission, Masse critique. Nous avons reçu, ces dernières semaines, les majors, comme le patron de MTV et des indépendants, comme Marin Karmitz, la semaine dernière. Nous avons eu, à ce micro, le patron de la Fnac, Denis Oliven et nous aurons, dans 15 jours, un libraire indépendant. Nous avons eu des éditeurs appartenant à de grands groupes, comme Lagardère, ou à de petits groupes plus indépendants, comme les Editions du Seuil, comme les Editions de l’Olivier d’ailleurs au sein des Editions du Seuil. Nous avons reçu aussi des sociétés Internet, comme Allo Ciné, mais aussi des structures à but non lucratif comme Wikipédia. C’est la même démarche que nous adoptons en matière de télévision. Nous avons reçu en octobre, Laurent Storch, directeur général de TF1 film production, et dans ce même souci pluraliste, entre des majors et des indépendants, des responsables privés et publics, je suis heureux de recevoir, ce matin, Patrice Duhamel, directeur général de France télévision. Bonjour, Patrice Duhamel.
Patrice Duhamel : Bonjour.
Frédéric Martel : Nous sommes ensemble jusqu’à 9h pour une émission consacrée à la culture à la télévision. [annonces diverses]. Patrice Duhamel, vous êtes un homme de médias et peut-être d’abord un homme de radio et de télévision. Vous avez été journaliste à TF1, dès 1970, c’était encore l’ORTF à l’époque ?
Patrice Duhamel : C’était l’ORTF.
Frédéric Martel : Directeur-adjoint ensuite de Radio-Monte-Carlo, directeur de l’information de la 5, à l’époque c’était la chaine d’Hersant et de Berlusconi, directeur des programmes de France Inter, directeur général de cette belle maison, ici, où on est en direct, Radio France, mais vous avez aussi dirigé France 3, puis France 2, avant de devenir directeur-adjoint du Figaro et notamment éditeur des magazines. En août 2005, il y a un peu plus d’un an, vous avez été nommé, au côté de Patrick de Carolis, directeur général de France télévision. Alors, on reviendra tout à l’heure avec Enguerand Renaud, des Echos sur le groupe France télévision, mais nous avons voulu d’abord traiter d’un sujet précis, avec vous, ce matin, à savoir la culture à la télévision et notamment à France télévision. Est-ce que, Patrice Duhamel, le mot télévision et le mot culture sont compatibles ?
Patrice Duhamel : Ils sont totalement compatibles. C’est pour ça que la culture, dès le début du mandat de Patrick de Carolis, dès que nous nous sommes installés, il y a 15, ou 16 mois, ça a été au cœur de la nouvelle stratégie éditoriale. Ce qu’on a appelé le virage éditorial qui se caractérisait par deux points forts. Le premier, c’est une priorité dans la programmation et sur le plan budgétaire donnée aux œuvres de la création française. Et vous savez qu’en 2006, vous le savez parce qu’on l’a beaucoup dit, donc j’espère que les auditeurs s’en souviennent parce que c’est important…
Frédéric Martel : Parfois on dit beaucoup les choses mais les faits ne suivent pas.
Patrice Duhamel : Nous affectons plus de 365 millions d’euros par an aux œuvres.
Frédéric Martel : Vous voulez dire, un million par jour ?
Patrice Duhamel : En réalité on le saura dans quelques mois, mais sans doute un peu plus d’un million par jour. Les œuvres de création étant : la fiction, le documentaire, l’animation et le spectacle vivant. Et puis, le deuxième grand axe, c’était de proposer aux téléspectateurs, de décliner, chaine par chaine, en fonction de leur identité, une offre culturelle qu’on a qualifiée, « sans précédent ». Étant entendu que nous souhaitons que cette culture soit la plus large possible, qu’elle soit la plus accessible possible et qu’elle soit la plus présente possible sur les antennes, je dirais sur l’ensemble des antennes et pour toutes les catégories de publics.
Frédéric Martel : On avait l’impression que la télévision, c’était d’abord un média de divertissement. Ça reste le cas ?
Patrice Duhamel : Nous, nous avons une conception de la télévision publique qui est un peu différente. Le divertissement fait parti de la ligne éditoriale de France 2, ou France 3, mais nous considérons tout simplement que si la télévision publique fait ce que font les télévisions commerciales à travers le monde ce n’est pas la peine que cela soit des télévisions publiques. Donc, les télévisions publiques doivent apporter, renforcer, accentuer et marquer leurs différences. Ce ne sont pas les mêmes programmes sur une télévision publique et une télévision privée. L’un des critères, c’est la place de la culture. L’autre critère, je l’évoquais, c’est l’importance donnée à la création. Un troisième critère, de différence, ça pourrait-être dans le traitement de l’information, la hiérarchie de l’information. Ça, c’est un autre sujet. Donc, nous ne faisons pas le même métier que les télévisions privées qui ont 100% de recettes commerciales. Nous, nous travaillons à 70% avec le produit de la ressource publique et de la redevance. Donc, nous devons apporter une vraie différence et une vraie personnalité aux chaines publiques. C’est pour ça qu’on met l’offre culturelle, sous toutes ses formes, au cœur du projet et de la nouvelle stratégie.
Frédéric Martel : J’aimerais vous faire réagir sur deux moments de télévision. Hier soir, sur France télévision, vous avez lancé Le grand moment, c’est quoi exactement d’ailleurs ?
Patrice Duhamel : Le grand moment est une nouvelle émission. Ça fait partie des émissions à risques, je vous expliquerais pourquoi. Je pense que c’est intéressant.
Frédéric Martel : C’est quand même présenté par Mireille Dumas, le risque…
Patrice Duhamel : Ça, ce n’est pas le problème, ce n’est pas parce que c’est présenté par Mireille Dumas que ce n’est pas une émission à risques.
Frédéric Martel : Le risque est plus grave si…
Patrice Duhamel : Je crois que c’est un risque, pour une chaîne généraliste, de proposer une émission de 2h 45, ou de 2h 30 qui présente les coulisses d’un grand spectacle artistique, ou culturel.
Frédéric Martel : Spectacle vivant…
Patrice Duhamel : Ça ne s’est tout simplement jamais fait à la télévision.
Frédéric Martel : Un spectacle vivant en prime time…
Patrice Duhamel : Je vous rassure, on ne considère pas que nous réinventons la télévision. D’autres l’ont fait avant nous, d’autres la feront et mieux que nous après, simplement c’est vrai que c’est une innovation, et c’est une innovation à risques. En plus, si on rentre dans la programmation et la concurrence, le vendredi soir sur TF1 vous avez la StarAc, ce n’est pas évident de rassembler beaucoup de téléspectateurs, sur une autre chaîne, quand vous avez la StarAc et une série américaine sur M6.
Frédéric Martel : Hier soir, c’était en fait une pièce très rare, peu connue, de Beckett, c’est ça ?
Patrice Duhamel : Non, non, pas du tout, c’était Ben-Hur.
Frédéric Martel : Ah ! Voilà. C’était juste pour vous faire parler de ce spectacle.
Patrice Duhamel : J’ai bien compris.
Frédéric Martel : Ben-Hur. Bientôt vous allez avoir des spectacles…
Patrice Duhamel : Je vois derrière la manière dont…
Frédéric Martel : Sarcastique…
Patrice Duhamel : Vous posez la question que…
Frédéric Martel : Je considère que Ben-Hur est du divertissement.
Patrice Duhamel : Non, non, c’est très important. Nous, nous sommes pour la promotion d’une culture populaire.
Frédéric Martel : Donc, c’est la réussite avec Ben-Hur.
Patrice Duhamel : Donc, on doit présenter au public des programmes culturels ou artistiques. Est-ce que Ben-Hur c’est de l’artistique ? Du culturel ? Ça, ça peut se discuter…
Frédéric Martel : Ou du divertissement, on peut débattre.
Patrice Duhamel : Une forme de divertissement. Oui. Je pense que c’est plutôt un grand spectacle artistique. Mais dans les autres émissions, du Grand moment, il y aura, par exemple, Cyrano, de la Comédie française, on ne peut quand même pas dire que ce n’est pas un grand programme culturel.
Frédéric Martel : Il y aura aussi le grand chanteur de Mexico.
Patrice Duhamel : Il y aura le chanteur de Mexico, au Chatelet, et oui, mais c’est très bien.
Frédéric Martel : Et la Traviata ?
Patrice Duhamel : La Traviata, on verra, ça fait partie des projets 2007.
Frédéric Martel : Le projet, c’est 4 par an, c’est ça ?
Patrice Duhamel : Non, le projet, c’est de faire venir les téléspectateurs, les plus jeunes et les plus anciens, dans une émission, la plus fédératrice possible, à la culture et au spectacle. De la faire venir à travers la télévision en utilisant l’instrument de la télévision. Donc, c’est un pari en termes d’audience, on verra tout à l’heure quel est résultat, sachant qu’on ne juge pas une émission sur une première. On la juge sur 3, ou 4, mais ça fait partie des innovations. On reproche souvent, et parfois légitiment, à la télévision publique, ou privée de ne pas innover suffisamment, nous, on a énormément innové, nous semble-t-il, depuis la rentrée de septembre, mais ça fait partie des innovations importantes.
Frédéric Martel : Il y a une invention aussi, une tentative de vouloir renouveler une forme d’écriture télévisuelle à travers cette émission puisque vous avez un documentaire, des extraits de spectacles, Mireille Dumas qui interview les acteurs… C’est ça aussi le projet de ce Grand moment ?
Patrice Duhamel : Le projet, c’est de prendre un événement, je le disais, qu’il soit artistique, ou culturel d’en montrer l’essentiel, a priori c’est à peu près 1h, au milieu de l’émission, et avant et après de montrer comment ce spectacle a été préparé, monté… En l’occurrence, ce qui était intéressant, dans cette émission consacré au Ben-Hur monté par Rober Hossein, c’est de voir comment un spectacle comme celui-là pouvait être monté dans un stade de 75, où 80 millions de spectateurs…
Frédéric Martel : Au stade de France
Patrice Duhamel : Au stade de France, avec des répétitions à grand spectacle et avec une machinerie extrêmement précise. Je crois que c’était…
Frédéric Martel : Très sophistiqué, en effet.
Patrice Duhamel : Assez sophistiqué et la personnalité de Robert Hossein permet de comprendre comment une opération telle que celle-là a pu être préparée et montée.
Frédéric Martel : Alors, puisque je vous ai titillé sur…
Patrice Duhamel : Non, non.
Frédéric Martel : cette soirée où systématiquement on voit des acteurs courir dans les travées, vous savez quelque soit le spectacle de Robert Hossein, c’est toujours ça qui se passe. Je tiens à saluer le choix que vous faites pour le coup ce soir, sur France 3, la diffusion d’un opéra, et ce n’est pas n’importe lequel, de Peter Eötvös, le compositeur Hongrois, c’est Angels in america, dans une mise-en-scène de Philippe Calvario avec Barbara Hendricks, Julia Migenes. Donc là, il y a effectivement un vrai choix en matière de programmation puisque Angels in america est un spectacle absolument magique. Alors pour poursuivre cette discussion, on a longtemps eu le sentiment, à France télévision, que la culture, et d’ailleurs dans l’histoire des chaînes publiques, est vécue comme une contrainte. Vous souhaitez changer cette donne là, avec Patrick de Carolis ?
Patrice Duhamel : Je vais vous dire, bien évidemment qu’on souhaite le changer, et je pense qu’on est en train de le changer.
Frédéric Martel : Je me doutais que vous répondriez ça…
Patrice Duhamel : C’est aux téléspectateurs de le dire, mais on essaye de le faire. Je pense que vous posez bien la question parce que la place de la culture est notamment organisée, je parle sans lange de bois, et nous le regrettons parce que je trouve que les termes ne sont pas bons, par ce qu’on appelle le cahier des missions et des charges de la télévision. En 2006, appeler ça un cahier des missions et des charges, ce n’est pas bien raisonnable.
Frédéric Martel : Vous voulez dire que c’est un cahier des contraintes ?
Patrice Duhamel : Nous, on aimerait bien qu’il y ait un cadre éditorial dans lequel on puisse évoluer avec souplesse. S’agissant de la culture, notamment du spectacle vivant, c’est-à-dire le théâtre, l’opéra, le ballet, les concerts symphoniques, vous avez dans le cahier des obligations, des charges et des missions, une obligation pour les chaînes d’en diffuser 16 par an. Bon, pourquoi 16 ? Pourquoi pas 15 ? Pourquoi pas 17 ? 16. Voilà. C’est très bien, le Conseil d’administration des chaînes a d’ailleurs décidé, ça fait partie de ses prérogatives, d’élargir, donc il y en a 18 par an. Les chaînes, que cela soit France 2, ou France 3, sont bien au-delà de cet objectif. Je crois qu’elles diffusent chacune 30, ou 40 pièces de théâtres, opéras, ou concerts symphoniques par an. Le problème, si je prends cet exemple là, qui je crois est un bon exemple, c’est que la chaîne qu’elle soit publique ou privée est considérée avoir remplie son cahier des missions et des charges à partir du moment où elle a diffusé ses 16 spectacles. Mais qu’elle les diffuse à 20h 50 ou à 4h du matin c’est exactement la même chose. Nous, si…
Frédéric Martel : On appelait ça, « la nuit et l’été », si vous vous souvenez de ce rapport célèbre de Catherine Clément.
Patrice Duhamel : Oui, c’est ce que Catherine Clément a appelé « la nuit et l’été », elle avait raison. Et nous en train d’essayer…
Frédéric Martel : En fait « le jour et l’hiver ».
Patrice Duhamel : On est en train d’essayer de faire passer l’idée qu’il faut apporter de la souplesse et qu’il faut inciter les diffuseurs à mieux exposer ces émissions. Par exemple, si on dit qu’il y a 16 émissions, spectacles vivants par an, eh bien si c’est à 20h 50, ça compte pour trois. Si c’est à 22h, ça compte pour 2. En revanche si c’est à 2h du matin, ça compte pour 1. Mais je reviens au cœur de la question, c’est essentiel. Nous, nous proposons, à travers France 2, France 3, France 4, France 5 et RFO d’irriguer la culture, ce n’est pas 24h/24h mais du matin au soir à travers toutes les émissions et c’est ce que nous essayons de bâtir depuis le mois de septembre. En quelques mots, si on part du matin, on a, par exemple, tous les matins, dans « Télé matin » de William Leymergie, un bloc note d’un quart d’heure, 20 mn, dont certains disaient ça va faire baisser l’audience etc., ça a fait monter l’audience. Ça a fait monter l’audience de « Télé matin », entre 8h 20 et 8h 40, tous les matins. Et là, les chroniqueurs, autour de Leymergie, présentent un film, un livre, une exposition et pas seulement à Paris, en région, à l’étranger etc. ensuite, je ne décline pas tout sinon 1h ne suffirait pas…
Frédéric Martel : Non, mais le point important c’est aussi l’harmonisation, c’est-à-dire l’idée, le maître mot de votre job c’est aussi l’harmonisation entre ces 5 chaînes.
Patrice Duhamel : Je voudrais marquer la prise de risques. On a créé, à la mi-septembre, un magasine culturel quotidien sur France 3, qui démarre autour de 22h 45. A travers ce magasine, France 3 est la seule chaîne en Europe, dans le monde je ne sais pas, à avoir un magasine culturel quotidien à une heure de bonne écoute, et 22h 45 c’est une heure de bonne écoute. Ça, c’est aussi une prise de risques absolument considérable. Alors, au-delà de ça, nous avons toute une série d’initiatives à travers toutes les émissions...
Frédéric Martel : Le Culture clubFrance 4, le Bateau ivreFrance 5,…
Patrice Duhamel : Vous citez les émissions littéraires mais il y a des choses moins connues. Par exemple, dans les émissions jeunesse sur France 3, pour les plus jeunes, vous avez une petite animation de 1mn qui s’appelle Une minute au musée qui est absolument formidable et qui présente, pour les enfants, un tableau moderne, ou classique de manière extrêmement ludique, c’est formidablement bien fait.
Frédéric Martel : Pour les enfants, c’est 1mn de culture.
Patrice Duhamel : Ça les amène aux musés, à la peinture et aux arts plastiques et croyez-moi parler des arts plastiques à la télévision ce n’est pas très facile.
Frédéric Martel : [annonces diverses] Patrice Duhamel, on parlait de « la nuit et l’été » le but pour vous, dites vous, c’est que la culture imprègne l’ensemble de la grille et qu’elle soit accessible le plus possible, comment est-ce que vous réagissez, est-ce qu’il n’y a pas une forme d’obsession française pour la culture, paradoxalement au dépend de l’éducation ? Pourquoi pas l’éducation comme priorité ? On a un peu l’impression que la culture serait un peu une forme d’identité nationale, quelque chose de plus didactique, de plus pédagogique, plus socioculturel ou éducation culturelle -mot banni, mot détesté au ministère de la culture par exemple- est-ce que ce n’est pas se tromper de mission que de faire sur France2 et France3 du culturel plutôt que de l’éducation ?
Patrice Duhamel : D’abord il y a une grande chaîne sur France télévision qui marche bien. France5 qui marche formidablement bien, et qui a une mission éducative. Elle n’est pas seulement une mission éducative mais qui est aussi une mission de décryptage, qu’elle fait remarquablement bien, mais qui a travers, par exemple, tous ses documentaires France5 a une vraie mission éducative. Vous avez, deux ou trois fois par semaine, dans l’après-midi, sur France5, des documentaires qui réunissent plus d’un million de téléspectateurs. C’est absolument formidable. On est très fier de ce résultat, et l’audience de cette chaîne est en train e progresser sensiblement d’ailleurs. Pour le reste, il ne faut pas confondre les choses. Je ne vous dirais pas que nous n’avons pas une mission éducative. Mais quand on demande au responsable de la fiction de telle ou telle chaîne, si je prends des exemples en cours, quand on demande au responsable de fiction de France 3 de monter –ça sera diffuser pendant les fêtes et ça sera un rand événement- L’avare, interprété par Michel Serrault, c’est de la culture et c’est aussi une mission éducative. Quand on demande au responsable de France 2 d’adapter, c’est en train d’être fait avec de grands réalisateurs, de grands comédiens une série de contes, de nouvelles de Maupassant, ça sera diffuser, sur France 2, au printemps 2007, c’est de la culture et c’est aussi une mission éducative. Quand on est en train, ce qui se fait, je crois, à Saint-Pétersbourg, actuellement de tourner, avec 6 autres grandes télévisions publiques, un nouveau « Guerre et paix », c’est de la culture et c’est aussi une mission éducative. On ne se substitue pas aux enseignants mais je pense que de ce point de vue là nous remplissons une mission importante.
Frédéric Martel : Parmi les nouveautés, vous annoncez aussi, Un soir au musée, sur France 5…
Patrice Duhamel : Depuis le mois d’octobre.
Frédéric Martel : Puis début 2007, un créneau, bien exposé, pour l’opéra, dit-on ? On verra ce que ça devient ?
Patrice Duhamel : Oui, il y a deux choses. Je parlais tout à l’heure de nécessité de souplesse parce qu’il faut que ce que nous présentons de la culture soit accessible au plus grand nombre et fasse venir le plus grand nombre à la culture et on est en train de préparer, pour France 3, une émission qui va s’appeler L’heure de l’opéra, le premier sera le Barbier de Séville , de Rossini, qui décortiquera une grand œuvre lyrique, autour dune heure à peu près, avec les meilleurs moments et en expliquant comment tout ça a été monté, organisé, comment ça a circulé à travers le monde et comment c’est devenu une œuvre mythique.
Frédéric Martel : [annonces diverses] Bonjour Enguerand Renaud.
Enguerand Renaud : Bonjour.
Frédéric Martel : Vous êtes venu en vélo, ce matin, Enguerand ?
Enguerand Renaud : Oui, pour me réveiller.
Frédéric Martel : Vous allez nous expliquer, ce matin, comment fonctionne ou dysfonctionne la famille France télévision.
Enguerand Renaud : Diriger France télévision c’est vivre comme un aristocrate : une belle allure, une culture étendue, un personnel nombreux mais pas assez d’argent pour réparer la toiture du château et financer les travaux d’extension du domaine. C’est aussi être partager entre deux parents aux aspirations contraires. D’un côté le ministère du budget qui veut que son rejeton fasse fortune dans la publicité et de l’autre le ministère de la culture et de la communication qui le rêve en pianiste virtuose. C’est enfin s’occuper de sa nombreuse descendance : France 2, France 3, France 4, France 5 et le petit dernier RFO. Au sein de cette fratrie, il développer un véritable esprit de famille, éviter que ses membres ne s’entredéchirent inutilement. Il faut aussi vivre avec un regret, celui des enfants que l’on n’a pas tout à fait. Ainsi, la chaîne d’information France 24 et la chaine jeunesse Guli auraient du naturellement grandir au sein de la famille France télévision.
Frédéric Martel : Il y a aussi Arte.
Enguerand Renaud : Et Arte. Mais il a fallu se résoudre à une garde partagée TF1 pour France 24 et avec le groupe Lagardère pour Guli. Diriger France télévision c’est surtout tenter de répondre à deux questions existentielles dont vous avez commencé à en parler : quelles sont les missions du service public de l’audiovisuel ? Et, quels sont les principes de financement du service public ? Ces questions sont régulièrement soulevées par les autorités de tutelle, par les parlementaires et même par les concurrents de France télévision, mais personne ne veut prendre la peine de résoudre cette question une fois pour toute. C’est pourtant un problème de fond. En Grande-Bretagne et en Allemagne, le service public est financé à 100% par la redevance, ce qui évite de recourir aux recettes publicitaires et permet d’exiger des chaines publiques une programmation de qualité. En France, les pouvoirs publics n’ont jamais réussit à trancher entre un financement 100% public et un financement qui fait appel à des recettes publicitaires. Ainsi, comme vous le rappeliez, Patrice Duhamel, le budget annuel de France télévision qui s’élève à 2,7 milliards d’euros est couvert à 70% par le produit de la redevance, soit 1,9 milliard, en augmentation, et à 30% par la publicité, soit 800 millions d’euros. Conséquences, on demande à France télévision d’avoir le niveau d’exigences de la BBC tout en s’accordant de petits arrangements avec la qualité pour doper l’audience et engranger des recettes publicitaires. Jean-François Copé, l’actuel ministre du budget, s’est lui-même publiquement interrogé sur l’opportunité d’insérer des coupures publicitaires dans le programme de variétés animé par Patrick Sébastien. C’était il y a moins de 6 mois. Belle illustration du principe de a continuité de l’Etat ! Car en 2000, un gouvernement, certes d’abord opposé, avait réduit le nombre de minutes de 12 à 8 mn par heure pour le service public, ce qu’il n’avait pas fait pour les chaines privées. Pour l’avenir, Jean-François Copé a clairement fait comprendre que la redevance n’augmenterait pas dans les prochaines années, cet impôt est trop impopulaire. Or, le groupe France télévision est, en ce moment même, et on en parlera, en train de négocier durement avec l’Etat son contrat d’objectifs et de moyens pour les 5 prochaines années. Sur cette période, le groupe France télévision devra faire face à de trop lourdes dépenses. Le sous-titrage des programmes pour les sourds et les malentendants devrait coûter une centaine de millions d’euros. L’extension de la télévision numérique terrestre pour couvrir 100% de la population alourdira la facture de diffusion. Il faudra en plus financer le développement de la télévision mobile personnelle et de la télévision haute définition. L’équation financière est donc assez simple : le montant de la redevance n’augmentera pas, l’Etat pourra éventuellement remettre de sa poche un peu d’argent, mais France télévision devra d’abord compter sur lui-même en augmentant ses ressources publicitaires et ses recettes de diversification, et surtout, surtout, il devra faire des économies de structures. Marc Tessier, le président précédent, avait déjà réalisé des économies en évitant tout simplement la gabegie au sein de France télévision. Aujourd’hui, pour trouver de nouvelles ressources d’économie, il faut toucher au cœur même de l’organisation du groupe et en particulier de France 3.
Frédéric Martel : Ce qui explique un certain nombre de grèves et de tensions sociales en ce moment à France 3, mais continuez Enguerand Renaud.
Enguerand Renaud : Exactement, il y a eu des grèves et a priori, il devrait y avoir dans les semaines à venir. Dans le même temps, l’équipe dirigeant de France télévision doit relever un deuxième défi d’une ampleur encore plus grande. La question est de savoir comment les chaines du groupe résisteront à une concurrence de plus en plus féroce. France télévision doit lutter sur plusieurs fronts : d’un côté, les nouvelles chaines de la TNT grignotent petit à petit de l’audience. Pour leur résister France télévision doit disposer de programmes attrayants dans le sport, le cinéma, ou les séries françaises ou américaines. Or, le groupe risque d’être privé de l’accès à ces programmes et ce pour une raison assez importante. La fusion de TPS et de Canal+ qui a lieu officiellement à la fin du mois d’aout a conduit à la construction d’un groupe puissant dont les actionnaires sont Canal+, TF1, et M6. Autant de chaine qui achètent de plus en plus cher les droits sur les événements sportifs, sur les films et sur les séries françaises et américaines. France télévision ne peut lus suivre financièrement. Conséquences, les chaines de France télévision se retrouvent dans une position délicate. TF1, et M6 lui disputent les programmes populaires rassemblant une très large audience, tandis que les nouvelles chaines de la TNT lui disputent les audiences de plus en plus ciblées. Quels sont les espaces d’expression qui restent pour France télévision ? On vient d’en parler, la culture, l’éducation, la fiction. Des territoires nobles mais qui auront du mal à attirer les publicitaires.
Frédéric Martel : Merci, Enguerand Renaud. Vous restez avec nous jusqu’à 9h. [annonces diverses] Patrice Duhamel, je vous laisse peut-être réagir à ce que vient de dire Enguerand Renaud ?
Patrice Duhamel : Il a bien résumé. Ça donne un peu le vertige le samedi matin. C’est assez terrifiant l’analyse mais…
Frédéric Martel : Pris en tenaille, vous voulez un café ?
Patrice Duhamel : on a du cuir, les nerfs solides et on essaye d’avoir une vision de l’avenir. Non, je ne vais pas tout commenter, il y a beaucoup de choses vraies, juste 3 ou 4 mots.
Frédéric Martel : Il n’y a pas de choses fausses aussi ?
Patrice Duhamel : Non, non, juste 3 ou 4 mots. Il n’y a pas de choses fausses, il y a des analyses que l’on peut ne pas partager. Quelques mots qui me font réagir. Aristocrates, je peux vous dire que l’on ne se sent pas du tout comme des aristocrates, on se sent plutôt comme des artisans. Tutelle, on n’aime pas du tout ce mot-là.
Frédéric Martel : Pourtant en France on l’aime beaucoup.
Enguerand Renaud : Vous en avez.
Frédéric Martel : On parle de ministère de tutelle…
Patrice Duhamel : Là, on a un vrai problème. Nous, on considère, bien entendu, bien légitiment, qu’il y a un actionnaire, c’est le Parlement, qui vote la redevance, le président de France télévision tient sa légitimité du Conseil supérieur de l’audiovisuel qui le choisit démocratiquement, voilà.
Frédéric Martel : Démocratiquement, peut non, mais qui le choisit.
Patrice Duhamel : Oui, oui, qui le choisit. Il y a un vote. On considère que la tutelle ce n’est pas un mot bien moderne à quelques semaines de 2007.
Frédéric Martel : Vous qui étiez déjà à l’ORTF à l’époque la tutelle ça vous rappelle l’ORTF ?
Patrice Duhamel : Quand j’étais à l’ORTF je n’étais pas du tout dirigeant de l’ORTF. J’avais 27 ou 28 ans, j’étais un journaliste de terrain. Mais le mot tutelle, il nous gêne quelque part.
Enguerand Renaud : Avouez que c’est quand même compliqué d’avoir, alors tutelle, comme actionnaires le budget d’un côté et la culture d’un autre, comme tutelle le Parlement, quand vous dites qu’il vote la redevance c’est faire grand cas du Parlement puisque la redevance est fixée maintenant avec les impôts locaux et qu’il n’y aura pas d’augmentation sur les prochaines années. Donc c’est un vote réel mais fictif sur le fond.
Patrice Duhamel : Nous avons, je le dis avec beaucoup de sincérité, un dialogue extrêmement fructueux avec les deux assemblées, que ce soit les commissions finances et affaires culturelles du Sénat ou de l’Assemblée, nous considérons que là, il y a un vrai travail de dialogue constructif. Il a lieu actuellement sur le budget 2007, il a lieu sur le projet de loi de la télévision du futur…
Frédéric Martel : Et vous monteriez au créneau, par exemple, si un candidat, disons, je ne sais pas moi, Nicolas Sarkozy, proposait la suppression de la redevance ?
Patrice Duhamel : Je ne pense pas que l’on soit là. Je ne sais pas ce que tel ou tel candidat…
Frédéric Martel : Ça revient régulièrement. Qu’est-ce qui justifie la redevance, selon vous ?
Patrice Duhamel : Plus que ce que c’était au début, c’est-à-dire la possession d’un téléviseur, simplement le fait que les chaines du service public proposent des programmes différents. Moi, je vous dis les choses telles que je les pense, compte tenu de la stratégie que nous développons de priorité aux œuvres de création et d’efforts, sans précédents, aux programmes de nature culturelle, nous, nous considérons légitiment que la ressource publique devrait augmenter. Bon, après, le gouvernement propose, le parlement vote et puis voilà. Simplement, là où je reprends…
Frédéric Martel : Par rapport à la chronique d’Enguerand Renaud.
Patrice Duhamel : Petits arrangements avec la qualité, ça, je ne suis pas du tout d’accord.
Frédéric Martel : C’est une formule, vous le savez bien.
Patrice Duhamel : Il a tout à fait le droit de le dire. On est dans un débat libre. Mais quand on fait 70 000 de programmes par an, il y a forcément du très bon, du moins bon, du moyen et parfois du décevant. Mais de petits arrangements avec la qualité, ça a l’air de préjugé le fait que l’on accepte de temps en temps de mettre la qualité au second rang. Ça, je le récuse. On peut se tromper sur tel ou tel programme, ça arrive mais objectivement ce que nous souhaitons c’est le couple qualité-audience. Quand on a les deux on est très contents. Quand on a la qualité, moins l’audience, ce n’est pas très grave. Quand on a peu de qualité et de l’audience, on n’est pas forcément très contents.
Frédéric Martel : Ça, c’est parce que vous êtes à France culture que vous dites ça. Mais si vous étiez demain matin devant les résultats, à 9h 30.
Patrice Duhamel : Vous savez, les résultats on les a tous les matins. Il faut voir ça avec une certaine philosophie.
Frédéric Martel : L’innovation, la prise de risque, c’est le rôle de la télévision publique ? C’est sa mission
Patrice Duhamel : Non seulement c’est le rôle de la télévision publique mais je pense qu’une innovation sincère, la télévision publique est la seule à pouvoir la développer. La télévision privée a 100% de ses recettes de nature commerciale, donc elle cherche à faire de l’audience et en l’occurrence de l’audience en priorité sur ce qu’on appelle la cible des ménagères de moins de 50 ans. Nous, la télévision publique, on ne s’adresse pas en priorité à la ménagère de moins de 50 ans. On la respecte beaucoup mais on s’adresse à tous les publics. Et, on ne cherche pas non plus à faire du communautarisme à travers les programmes, ou de les cibler à outrance. Bien entendu, les programmes jeunesse sont plus pour les enfants. Ce que nous cherchons c’est élargir au maximum le public. Quand nous avons les plus anciens et les lus jeunes on est heureux.
Frédéric Martel : C’est la première fois que j’entends dire que la ménagère de moins de 50 ans c’est du communautarisme et c’est…
Patrice Duhamel : Je n’ai pas dis ça, non, non, non. Je n’ai pas dis ça.
Frédéric Martel : Parmi les nouveautés depuis cette grande nouvelle grille que vous avez lancé depuis septembre, comment ont évolué les chaines ? Ce que vous appelez l’effet de chaine.
Patrice Duhamel : Il se passe quelque chose de très important depuis la rentrée, ça fait à peu près 100 jours, et pour la première fois dans l’histoire de la télévision concurrentielle, l’effet de chaine est en train de disparaître en première partie de soirée. Jusque là il y avait une prime à TF1, une prime à France 2, une prime à France 3, parfois une prime à M6
, eh bien compte-tenu de l’évolution du paysage, l’explosion, en termes d’audiences, des autres chaines et notamment celle de la TNT, cet effet de chaine en première partie de soirée est en train de disparaître. Il y a une extraordinaire fluidité dans les audiences, et nous, on en tire trois leçons : la première est qu’en ce qui concerne nos programmes de prime time, ce qui fonctionne vraiment c’est ce qui donne du sens. En terme de fiction, par exemple, que ce soit sur France 2, ou sur France 3, les très bonnes surprises en matière de qualité et d’audience, depuis la rentrée, c’est sur des programmes qui donnaient du sens. Il y a eu une fiction sur France 3 qui s’appelait Les vauriens, une fiction sur France 2 qui s’appelait La volière aux oiseaux, sur l’histoire de la première institutrice…
Frédéric Martel : La surprise d’Alain Tasma, que vous allez faire bientôt, une fiction osée avec un couple lesbien en prime time, c’est assez original.
Patrice Duhamel : Absolument ! Donc, ça, c’est la première leçon que l’on tire. La deuxième c’est qu’il faut absolument donner une prime aux inédits, éviter les rediffusions, ce qui pose des problèmes budgétaires, Enguerand Renaud en parlait. Et la troisième chose, c’est qu’il faut être le plus événementiel possible, surprendre le téléspectateur, et c’est ce que nous essayons de faire dans tous les genres de la télévision. Juste un mot parce que c’est vraiment, je crois, le cœur du problème, ce qui nous préoccupe nous, à travers ce que disait Enguerand Renaud, c’est que depuis de nombreuses années, l’écart financier entre le service public et la télévision privée ne cesse de se creuser. Dès qu’il se passe quelque chose d’important sur le plan législatif, juridique, publicitaire -ça va être le cas dans quelques semaines avec l’ouverture de la publicité de la grande distribution à la télévision- l’écart se creuse, la télévision privée a de plus en plus de moyens et relativement la télévision publique en a de moins en moins, et ça c’est extrêmement préoccupant. Ce paysage-là, nous vivons, pour quelques années encore, dans un paysage de télévision analogique où nous avons 3 chaines sur 6 et on rentre dans un paysage où nous aurons 4 chaines sur 18. Il faut que les auditeurs le sachent, que tous les acteurs de l’audiovisuel le sachent parce que là on a un vrai problème pour dégager suffisamment de moyens pour assumer nos missions et pour développer les priorités éditoriales que nous voulons développer.
Frédéric Martel : [annonces diverses] Chronique de Françoise Benhamou. Bonjour Françoise.
Françoise Benhamou : Bonjour Frédéric, bonjour à tous.
Frédéric Martel : Hier, avait lieu, à Paris, un colloque organisé par la chaine Arte, qui ne fait pas partie de France télévision, et France culture, « La culture est-elle encore un enjeu politique ? ». Ce colloque est podcastable sur le site de France culture, à partir de lundi. Vous étiez, Françoise à ce colloque, et il m’a semblé intéressant de faire ici même, en direct, un compte rendu, et j’aurais envie de vous demander, la culture est-elle encore un enjeu politique ?
Françoise Benhamou : Toutes les interventions étaient évidemment centrées sur cette question essentielle, et comme d’ailleurs Jérôme Clément l’a dit tout à fait à la fin…
Frédéric Martel : Le président d’Arte.
Françoise Benhamou : Président d’Arte effectivement, il a aussi retourné la question : « La politique est-elle encore un enjeu pour la culture ? » Donc, les deux questions étaient posées et je commencerais par la fin, par la magnifique intervention de Daniel Barenboïm, sur l’engagement de l’artiste. C’était une magnifique leçon sur ce que doit-être l’engagement dans un moment où l’engagement tend à disparaître, et une leçon faite avec toute l’humilité du grand artiste.
Frédéric Martel : Du grand chef d’orchestre qui dirigeait le « Chicago Symphony Orchestra » jusqu’à récemment.
Françoise Benhamou : Barenboïm a insisté, en particulier, sur le caractère universel de l’œuvre et en même temps la variation des appropriations à laquelle elle pouvait donner lieu en rappelant les heures sombres du nazisme. Il a beaucoup insisté aussi sur un point, où je l’ai trouvé patronnant, sur la force de la musique qui réside dans l’alliance de l’exécution et de l’écoute, l’orchestre c’est la perfection de la coordination, la perfection de l’entente, le dialogue musical et il a présenté tout ce travail qu’il fait en Israël et en Palestine. Nous avons eu aussi, à la fin, une intervention remarquable de l’écrivain Antonio Tabucchi sur ce retournement effrayant qui se produit quand le politique s’empare de la culture pour dominer le discours, le sens et aussi pour l’argent, c’est le cas évidemment de la stratégie de Berlusconi, c’était vraiment le portrait du politique en prédateur, j’ai retenu en particulier une phrase : « la classe politique a avalé la culture, elle s’y est superposée, elle l’a remplacée ». Une phrase vraiment effrayante. Avaler la culture, drôle et terrible expression dont on pourrait craindre qu’elle puisse s’appliquer aussi à sa manière aux conflits de l’intermittence qui occupa les tous débuts du colloque.
Frédéric Martel : Avec une intervention, un peu… comment dire ? Sévère.
Françoise Benhamou : Bruyante, au moment même où Renaud Donnedieu de Vabres ouvrait nos travaux. Mais il y a eu aussi un point important, c’est tout le commentaire d’un long sondage qui avait été publié la veille dans le monde et dans lequel on posait un certain nombre de question sur les préoccupations culturelles des Français. Je voudrais en relever une, il y en avait beaucoup, à la question « Qu’est-ce qui menace la culture ? », nombre de personnes interviewées ont répondu, ont évoqué son coût élevé, le manque de moyens qui est donné par les pouvoirs publics, les enjeux financiers des activités culturelles, là je ne sais pas trop ce que l’on entendait par-là, le piratage, la mondialisation, mais aussi le rôle de la télévision. Parmi les éléments évoqués, le coût et le budget, deux préoccupations qui montrent l’imbrication croissante entre l’économique et le culturel, entre la préoccupation du financement et celle que peut constituer en nombre de cas la barrière du prix avec à l’opposé toute la question des pratiques de gratuité qui se développent pour le meilleurs et pour le pire et qui o nt été évoquées à plusieurs reprises. Je ne voudrais pas céder à ma spécialité, l’économie, et centrer ce compte rendu, désordonné j’en conviens, sur les questions d’argent.
Frédéric Martel : Ne cédez pas.
Françoise Benhamou : On avait beaucoup d’autres choses et on a rencontré, questions d’argent quand même, le récit tout à fait intéressant de l’investissement en faveur de la culture que mène le président de FIMALAC, Marc Ladreit de Lacharrière, et ça c’était un point qui montrait quand même que l’on fait cela aussi de ce côté de l’atlantique et pas simplement de l’autre côté. Parmi la variété des interventions j’ai été aussi frappé par celle de la conservatrice du musée MAC/VAL à Ivry, c’était un point tout à fait passionnant dans la mesure où c’est un musée qui a ouvert récemment, en banlieue, et qui réussit à susciter l’intérêt non seulement des parisiens, des bobos qui vont traverser le périphérique et aller jusque là, mais de bien d’autres gens et de la population locale. On a eu à l’opposé évidemment de cette intervention celle-là Gérard Mortier qui préside aux destinés de l’Opéra de Paris qui nous rappelait toute la variété du travail qui est faite par cette institution. Toute cette variété d’interventions se dissolvait d’une certaine manière dans une préoccupation commune de remettre la culture au cœur du débat. Tous ont souligné, chacun à sa manière, la crise du sens, que le recours à des concepts fédérateurs comme la diversité ne suffit pas à endiguer. Alors, je laisserais le mot de la fin à Catherine Clément. Elle nous a rappelé que les candidats sont devant la politique culturelle comme une poule devant un couteau.
Frédéric Martel : Merci, Françoise. Deux livres qui sortent actuellement, ou qui ont réédités, « La face visible de l’homme en noir », de Jean Birnbaum et Raphaël Chevènement, publié chez Stock, qui est un livre absolument terrible sur la télévision y compris publique, Patrice Duhamel, qui est un livre essentiellement sur les dérives de Thierry Ardisson, c’était avant votre retour à France télévision, mais c’était aussi une des émissions que vous avez créée à l’époque où vous dirigiez l’une de ces chaines France 2, France 3. Puis un livre de René Bonnell, « La 25ème image, une économie de l’audiovisuelle », qui est réédité, c’est la 4ème édition qui ressort cette semaine, les deux références de ces livres sont accessibles sur le site de l’émission, Masse critique, sur Franceculture.com. Patrice Duhamel, vous êtes notre invité jusqu’à 9h, vous êtes directeur général de France télévision, mais vous avez été aussi directeur général du groupe Le figaro, je peux donc vous poser une question un peu politique. Quel est votre sentiment sur ce dont vient de parler Françoise Benhamou, pensez-vous que la culture soit encore un enjeu politique ?
Patrice Duhamel : On peut parler 1 h ou 30 secondes.
Frédéric Martel : Alors, 30 secondes.
Patrice Duhamel : C’est évident que la culture est un enjeu politique.
Frédéric Martel : Eh bien, merci.
Patrice Duhamel : En ce qui nous concerne, nous, nous souhaitons, nous souhaiterions que l’audiovisuel, qui joue un rôle central dans la culture, soit également l’objet d’un débat, non pas polémique mais dans la campagne qui s’ouvre ce serait quand même intéressant que chacun des candidats puisse dire quelle est sa vision de l’audiovisuel et notamment de l’audiovisuel public dans les années à venir. Ce n’est pas du tout vulgaire, vous n’avez pas dis cela d’ailleurs, de parler d’argent, de moyens budgétaires sur la culture et l’audiovisuel. Juste deux choses parce que nous y insistons énormément. Le documentaire, c’est l’une des marques de fabrique, l’ADN de la télévision publique. Dites moi, sur TF1, M6, sur Canal un petit peu, mais sur TF1, M6 quand voyez-vous des documentaires en première ou deuxième partie de soirée ?
Françoise Benhamou : Même pas la nuit et l’été.
Patrice Duhamel : Si, si la nuit et l’été parce qu’il y a des obligations, donc vers 3 h du matin vous devez voir un certain nombre de choses. Nous, on en fait la promotion en première partie de soirée, en deuxième partie de soirée plusieurs fois par semaine, sur France 2 et France 3. On y consacre 80 millions d’euros par an. France télévision finance 60% du documentaire en France, de tout ce qui se fait en documentaire.
Frédéric Martel : France culture fait le reste.
Patrice Duhamel : Deuxième exemple, le cinéma. Vous parliez d’autres pays européens, une des raisons pour lesquelles le cinéma français tient sa place, ce n’est pas la seule bien entendu, c’est aussi l’organisation générale, mais l’une des raisons c’est le soutien que lui donne la télévision et en particulier France télévision. Nous coproduisons 50 films par an, on y consacre plus de 50 millions d’euros, et là, on considère qu’on a un rôle culturel absolument central qu’on va d’ailleurs renforcer et développer dans les mois qui viennent.
Françoise Benhamou : Moi, je vous rejoints tout à fait sur le sous financement, qui est chronique, de l’audiovisuel public en comparaison avec d’autres pays européens, d’ailleurs il faut le souligner. Mais j’aurais une question pour revenir sur la place de la culture, sur la chaine. Dès lors que vous avez des contraintes d’audimat qui sont celles tout à fait normales, est-ce que lorsque vous donnez une place à la culture est-ce que vous n’êtes pas amené finalement à parler de ce dont tout le monde parle ? En beaucoup de domaines parce qu’il est très, très difficile d’aller sur des territoires qui sont des territoires peu couverts par les médias et de réussir à avoir de l’audimat, comment faites vous pour essayer de dépasser cette contradiction ?
Patrice Duhamel : Je vais juste vous donnez un exemple. Tout à l’heure, dans le développement de l’offre culturelle, j’évoquais la nouvelle émission culturelle de France 3, tous les soirs vers 22 h 45. Il y a quelques jours, entre 22h 35, je l’ai vu, je ne vois pas tout sur nos chaines parce que je ne suis pas un surhomme, ce ne serait pas possible, entre 22h 35 et 23h, il y a eu un débat de 25 mn sur l’avenir de l’architecture entre Jean Nouvel et Daniel Buren. C’était formidable. C’était intelligeant, c’était brillant, c’était moderne, c’était passionnant, ça a rassemblé 1,5 million de personnes. Je ne pense pas qu’en faisant ça, on cède à la facilité. Par ailleurs, nous traitons aussi, pour répondre à votre question, d’événements culturels grand public. Mais clairement, et j’en termine parce qu’il est tard, on cherche clairement, avec ou sans succès, à tirer le téléspectateur vers le haut. C’est ce que nous cherchons à faire.
Frédéric Martel : Juste une ou deux questions très, très rapides, Patrice Duhamel. On parlait tout à l’heure de politique, pourquoi, par exemple, les débats aux primaires du PS n’ont pas été montrés sur une chaine de France télévision ?
Patrice Duhamel : On avait demandé, Arlette Chabot avait demandé aux candidates du Parti socialiste de faire un débat sur France 2, ce sont les socialistes qui ont préféré un autre système et un autre mode de diffusion. Vous savez qu’on est tenu par le CSA, ce qui est assez normal d’ailleurs, à toute une série d’équilibres etc. ce serait trop long de l’expliquer, c’est vraiment compliqué.
Frédéric Martel : On aurait pu avoir par la suite les primaires de l’UMP etc. Vous pensez quoi, on parlait tout à l’heure de diversité, d’Harry Roselmack.
Patrice Duhamel : Du bien.
Frédéric Martel : Et pourquoi est-ce que c’est TF1, une chaine privée, qui a mis Harry Roselmack au journal de TF1 de 20h ?
Patrice Duhamel : Il y a une chose que nous, nous n’aimons pas, c’est ce que Patrick de Carolis - c’était une belle expression - a appelé « la stratégie de nénuphar par rapport à celle du clairon ». Nous, on considère qu’il y a des sujets comme ça sur lesquels il ne faut pas mettre la priorité à la communication.
Frédéric Martel : Il ne faut pas claironner ?
Patrice Duhamel : On ne va commencer à citer au micro ou ailleurs les noms de tel ou tel homme, ou de femme, de personnalité à l’antenne, sur les antennes de France télévision qui symboliserait la diversité. Chacun en connaît, il y en a qui présentent de grands journaux à des heures de très grande écoute. On ne va dire cette journaliste, elle est formidable, ce qui est vraie, mais elle est là parce qu’elle représente la diversité. Ça, ce n’est pas dans notre stratégie.
Frédéric Martel : En un mot, parlez-moi, un tout petit peu de Jacques Chirac, patrice Duhamel.
Patrice Duhamel : Je ne vais pas, comme directeur général de France télévision, parler du président de la République.
Frédéric Martel : Je ne parle pas du président. Je parle du film que vous avez fait avec Patrick Rotman et diffusé par France 2, c’était aussi un pari osé, en prime time ? Ça quand même été un grand succès.
Patrice Duhamel : Oui, oui. Mais je crois qu’il y a des moments où il faut marquer des périodes, des étapes, en diffusant tel ou tel film documentaire ou autre. Je pense que ce n’était pas un acte d’héroïsme, d’indépendance exacerbée, etc. Nous, on a considéré ça comme un documentaire bien fait, une diffusion normale, à une heure de grande écoute, avec un très bon débat qui a suivi. Voilà, ça fait partie de la vie de la télévision publique telle que nous la souhaitons.