Tu demandes que je t’écrive une dissertation, mais ce terme a des échos très scolaires pour moi, et si je veux y résumer mon « parcours », je serais guidée et dirigée par des règles qui ne me permettront, sûrement pas, de tout écrire.
Je suis un peu perdue, et je ne sais vraiment pas par où commencer !
Je me rappelle qu’avant d’entrer au lycée en première année, j’avais dit aux parents que je n’aurai pas d’amis, que je resterai seule quoiqu’il arrive, j’avais été traumatisé par l’expérience de ceux qui avaient été victimes de « faux cools », comme les appelle Shahrazade. Seulement je ne me doutais pas qu’avec les « amis » il y aurait aussi les professeurs, ceux qui travaillent dans la direction, les gens que tu rencontres sur le chemin du retour, que mon parcours serait en quelques sortes celui du combattant.
Cependant, en entrant au lycée, je me suis très vite intégrée, et je suis entrée dans un groupe de garçons, je m’étais sans doute dit que comme c’étaient des garçons, ça m’éloignerait des problèmes de filles, ce qui finit par se confirmer après. Concernant les filles, ça n’a pas raté, beaucoup ont essayé de m’atteindre, mais je m’étais tellement endurcie le cœur que je pouvais me fâcher avec l’une d’elles, ou avec n’importe qui d’ailleurs, sans que ça ne se répercute sur mon humeur ou mon moral, ça ne me faisait ni chaud ni froid.
Les professeurs, c’est une autre histoire. En première année, j’ai eu droit à un professeur de mathématiques, - elle avait été au lycée avec une de mes cousines et a vécu le règne de Tata X-, qui, lorsque je posais une question, m’ignorait totalement. Elle faisait comme si je n’existais pas en classe. Ça a été un coup dur. J’ai haï les mathématiques, alors que c’était une de mes matières préférées. Je me suis mise à penser que j’avais sûrement fait quelque chose, jusqu’à ce que je comprenne que l’enjeu était en quelques sortes « politique » avec la nouvelle directrice qui venait d’arriver, et ma tante qui venait de partir, et qu’on m’avait placée dans un camp précis sans me demander mon avis, je devais en payer les conséquences. Cette agressivité s’est manifestée lors de ce fameux changement et jamais avant. Ce jour là, j’avais compris que je devais me durcir le cœur contre les professeurs aussi.
Ma deuxième année fut pire encore, j’avais des sursis cependant : le sport et la musique. La musique fût une de mes plus grandes échappatoires. J’ai commencé à prendre des cours de violon avec mon professeur de musique du lycée et des élèves déjà « musicos » ou encore débutants comme je l’étais. Je pouvais enfin partager quelque chose de grandiose. Les bouquins aussi ont été salvateurs pour moi : que ce soit des romans de Zola, de Maupassant, ou des livres d’heroic fantasy comme Tolkien, de la poésie comme celle de Baudelaire, de Rimbaud.., ou enfin et surtout des livres philosophiques et plus spécialement Ainsi parlait Zarathoustra de Nietzsche. Dans les œuvres précédentes, je puisais le rêve, je m’échappais vers d’autres endroits, d’autres dimensions, d’autres époques, ça représentait des voyages oniriques pour moi. Mais dans Ainsi parlait Zarathoustra je puisais la force de faire face à toutes les péripéties qui embûchaient ma route vers, ce que je voulais être mon nouveau but, le surhomme.
Le harcèlement dehors dans la rue était assez rude aussi. On entend de tout ! Mais j’ai appris à être aveugle tout en regardant, à être sourde en entendant, et à être totalement muette. Dés que je me mettais en route pour revenir du lycée, mon visage se déformait, j’affichais une moue agacée pour qu’on me laisse tranquille. Ça ne suffisait pas toujours pourtant.
J’ai essayé de résumer mes deux premières années du lycée, car on ne peut comprendre ma terminale sans avoir un aperçu d’elles.

Le tour de ma dernière année est arrivé. En ce qui concerne le programme scolaire, il est surchargé, beaucoup de cours à faire en un court laps de temps. J’ai eu la chance d’avoir un excellent professeur de mathématiques en terminale, ça m’a redonnée de l’intérêt envers sa matière. J’en faisais au début jusqu’à une heure du matin et je délaissais les autres matières. Le programme de mathématiques est très intéressant à mon avis, il est varié mais en même temps tout est relié, dans un seul problème on peut trouver tous les chapitres de mathématiques.
En ce qui concerne la physique chimie, le programme est trop surchargé, on n’a d’ailleurs pas fini les deux derniers chapitres, c’est-à-dire qu’on en a fait 6 sur 8.
Pour les SVT le programme est très intéressant, mais encore une fois trop long. J’ai trouvé que la biologie était très intéressante. On étudie l’ADN, les protéines, la communication nerveuse. Pour ce qui concerne la géologie, chaque cours se répète, ce sont les mêmes choses leçon après leçon et la façon dont elles sont représentées lasse vite…
La philosophie n’était pas vraiment comme je l’attendais, certains cours comme : la différence entre le problème et la problématique, ne m’ont pas intéressée, par contre d’autres, comme la vérité ou les sciences humaines m’ont beaucoup plus attirée. Aussi intéressante soit elle, la philosophie a été bâclée en cours. On l’a tous ressenti, sans doute croyait-on que les élèves ne seraient pas à la hauteur, puisqu’on se moquait sans cesse de nos vaines tentatives de répondre à certaines questions, de façon très ironique afin que ça passe inaperçu.
En ce qui concerne le français et l’anglais, on fait ce que les élèves français font en 6ème, rajoutant à ça des professeurs qui nous disent en lisant un texte et en séparant « naturelle » en : « na » et « turelle », que « turelle » veut dire une autoroute, je passe les erreurs de conjugaison et d’orthographe au tableau…
En ce qui concerne l’arabe, en terminale, on nous disait sans cesse qu’on n’arriverait jamais à avoir une bonne note parce qu’on était mauvais. Sur les trois classes de scientifiques, notre professeur répétait sans cesse ces phrases : « personne n’a eu la moyenne, vous n’êtes pas bons »... On se disait qu’il y aurait bien un élève sur 90 qui serait bon, mais pas du tout, on était tous mauvais, sans exception. Il faut avouer que c’était « très encourageant » d’entendre ça après chaque devoir ou chaque composition. Cependant j’ai trouvé le programme assez intéressant, textes différents sans pourtant trop s’éloigner du contexte géographique, ce qui est dommage. On avait des poètes palestiniens, libanais, des auteurs algériens, des pièces de théâtres irakiennes.
Et bien sûr on avait l’éducation islamique. L’éducation islamique et en examen au bac, s’il vous plaît ! Des cours qui ne peuvent même pas nous servir dans notre vie de tous les jours en tant que lycéens, des cours comme l’héritage : combien peut hériter un oncle lointain si jamais le fils de la femme meurt mais qui en même temps n’est pas le fils du père…, je ne m’y attarde pas, car ça ne fait que m’exaspérer plus.
L’environnement dans lequel on étudie est très hostile, c’est chacun pour soi .Je n’avais pas compris les règles du jeu, mais j’ai très vite dû m’y faire et adopter certaines « stratégies ». Ce que j’ai vécu en première et deuxième année m’a aidé à vite déchiffrer les mensonges. Par exemple, quand un élève fait des cours supplémentaires, il te dira pas qu’il n’en fait pas, pour que tu ne lui demandes pas chez qui, mais il te pose la question à toi, pour savoir si tu en fais, où à quelle heure. Autre exemple, quand un professeur donne des fiches de révision à un élève dans la cour, ou en dehors de la classe, pour les distribuer aux autres, il ne le fera pas, il les gardera pour lui. C’est désolant. On a l’impression que c’est une guerre, il faut toujours être sur ses gardes.
Certains professeurs ou surveillants ne facilitent pas la tâche, ils découragent l’élève, le blessent, ils lui coupent les ailes.
Pour ce qui est de l’extérieur de lycée, maman a décidé de venir me chercher, donc je n’étais pas trop exposée aux problèmes que j’avais connus précédemment. Tout est fait de sorte que tu ne te considères plus comme un être vivant ni comme un futur citoyen. Non seulement on ne t’y prépare pas, mais en plus, on fait tout pour que tu perdes ta confiance en toi, on te rabaisse et on fait en sortes que ça soit en public pour ajouter encore plus d’intensité à leur quête vers la destruction de l’individu. Je dirais même que ce n’est pas seulement au niveau du lycée, mais aussi plus haut niveau. Un jour on décide d’enlever des cours du programme, l’autre d’en rajouter, alors que les enfants de ces « hauts placés » ne sont pas dans nos lycées publiques, bien sûr. Même les professeurs nous répétaient que l’enjeu était politique en parlant du bac.
Quand je dis les professeurs il peut y avoir une exception, je l’ai connue moi, en la personne de mon professeur de mathématiques. Ça m’a aidé à tenir parce que j’avais l’impression qu’en fait tout n’était peut être pas pourri et que pour m’en sortir je devais m’accrocher même à la plus petite lueur d’espoir.
La majorité des élèves ne se rendaient pas compte, au début, de tout ce que ces « politiques » faisaient et approuvaient même chaque mot putride qui sortait d’eux. On m’a souvent dit que je n’aimais pas mon pays, juste parce que je critiquais ce que notre cher ministre de l’éducation et ses acolytes débitaient dans les infos. Je ne pouvais donc pas parler à n’importe de qui de n’importe quoi non plus, puisqu’on suivait béatement ce qui se disait sans chercher à comprendre ou à exposer à la critique. Je ne pouvais parler politique et avoir un avis qu’à la maison. On ne cherche pas à former l’élève à être citoyen, au contraire on l’écrase et on fait en sorte de diriger la masse contre lui. J’étais totalement dégoûtée, et même quand je le leur disais, ils ne le comprenaient pas, à quoi ça servait alors de continuer à nourrir des débats en dehors de la maison, on avançait des choses sans en rien en savoir, comme ça. Le pire, c’est qu’ils se croyaient tout savoir. Quand je dis ils, je parle des élèves, de certains professeurs et même certains parents d’élèves.
Après le bac, j’ai l’impression que ce « déchirement », était une bénédiction. Je n’avais plus à livrer combat constamment ou du moins au niveau des deux cycles scolaires terminés. J’ai cependant un peu pleuré en ramassant mes affaires, par nostalgie de cette guerre sûrement. C’est à dire que j’en ai tellement remplie mes journées, déjouer des tours, développer ma stratégie, qu’après le bac, ça a laissé un immense vide, qui m’est retombé dessus d’un seul coup. Je n’ai pas l’impression que c’est une séparation du monde de l’enfance. J’ai dit à maman que je n’avais pas envie de grandir, le monde des adultes que j’ai vu ne m’a pas donné envie de m’y engager, car il est dénué de tout but, de toute idéologie, et de toute raison de vivre et combattre pour une idée. Mes parents sont des exemples pour moi, ils ont tenu tête à une société entière, à une décennie noire, et ils continuent malgré leur âge. Mais je ne les ai jamais mis dans le sac des adultes, parce que pour moi il n’a rien de « glorieux ».
Mes autres modèles sont Nietzsche et Che Guevara, mais il y a aussi des grands qui m’ont séduit par certaines facettes, comme Staline, pour sa rigueur, Voltaire, pour son combat contre la société anthropomorphique et son fameux Ecrelinf (écrasons l’infâme). Ils sont tellement nombreux et chacun m’a apporté quelque chose : Nietzsche m’a appris à prendre les décisions qu’il fallait dans des moments délicats devant la société, de me délaisser de la « vertu » dans le sens que lui donne la société, pour me diriger vers « ma vertu ». Che m’a appris que rien n’est impossible, qu’une idée peut traverser les âges et les frontières, quand on s’y accroche. Beaucoup de « grands » sont morts jeunes ou ont été considérés comme des fous, il n’empêche pas qu’on parle d’eux, pour certains, plusieurs siècles après, partout. Ils ont su soulevé les questions qui déplaisaient, leur défiance à la vie pour une idée, une idéologie, un écrit, combattre l’interdit, la censure, les traîtres, aller jusqu’au bout malgré leurs maladies, leurs handicaps, leurs emprisonnements, leur condamnation.
Pour après, je souhaiterais m’orienter vers la médecine, c’est un domaine que je prends à cœur, d’abord parce qu’il est vaste, changeant, la recherche ne s’arrête jamais, on est constamment après des projets. La médecine est universelle, elle ouvre des fenêtres sur le monde et sur l’humanité, ses recherches me séduisent, ses défis me séduisent, son vocabulaire me séduit, son but me séduit. Mais je n’ai pas envie de m’arrêter à la médecine seulement, m’orienter vers un domaine scientifique précis ne doit pas exclure le reste à mon avis. Je ferais d’autres choses, si je le peux, car l’archéologie m’intéresse, mais aussi la philosophie et la littérature. Il est clair que la médecine me prendra beaucoup de temps, mais je veux aussi me consacrer à d’autres domaines et je ne veux rien négliger. Je veux pouvoir faire tout, même si ça ne se réalisera sûrement pas, j’essaierais cependant.