Introduction par Emmanuel Laurentin : Tandis qu’à l’aube, ce matin, s’installait à la place de la Concorde à Paris, face l’obélisque, un menhir supposé gaulois en hommage au cinquantième anniversaire de l’invention d’Astérix, tandis que le Canard Enchaîné ironise, en Une, sur l’identité nationale nouvel appât pour l’extrême droite en titrant « Pour la pêche aux voix, Sarko sort la Gaule », nous poursuivons notre semaine sur l’histoire des Gaulois. Après avoir fait le point, lundi, sur l’état de nos savoirs contemporains sur la Gaule avec Christian Goudineau, professeur au Collège de France, titulaire de la chaire d’Antiquités nationales au Collège de France, après, hier, avoir abordé, la réinvention des gaulois au XVIème siècle par des juristes historiens et humanistes, arrêtons-nous ce matin sur le XIXème siècle, qui redécouvre à la fois Gergovie, Alésia et Vercingétorix, un moment particulier de notre histoire nationale qui fait cohabiter trois grandes figures au moins, par exemple celle de Vercingétorix, de Charlemagne ou encore de Jeanne D’Arc. Pour en parler, en compagnie d’Anaïs Kien de « La Fabrique de l’Histoire », Colette Beaune, professeur émérite à Paris 10 et auteur d’un livre fondamental sur la naissance de la nation France à la fin du moyen âge, « Naissance de la nation France », qui vient d’être republié chez Gallimard, dans les bibliothèques des histoires, mais également auteur d’une grande biographie de Jeanne d’Arc et « Jeanne d’Arc, vérités et légendes », chez Perrin. Laurent Olivier, conservateur du département des âges du fer au musée d’Archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye et auteur, au Seuil, d’un livre très important sur l’histoire de l’archéologie et sa vision, « Le sombre abîme du temps », et Olivier Buchsenschutz, directeur de recherches au CNRS.
« Quelle reconnaissance pieuse ne devons nous pas à nos ancêtres ? C’est pour nous qu’aux temps préhistoriques d’obscurs bienfaiteurs ont trouvé l’usage du feu, asservi les animaux domestiques, découvert les métaux, cultivé le blé, etc. C’est pour nous, Français, que Vercingétorix s’est dévoué et qu’il mort, que Charlemagne a fixé les invasions, que les Chevaliers ont fait la croisade, que les Trouvères ont crée la langue française, que les Communes ont inauguré les libertés municipales, que Jeanne d’Arc, sur son bûcher, a incarné la patrie française, que de grands rois et de grands ministres l’ont accrue et fortifiée. Et sans la Révolution française, que serions-nous devenus ? »
Voici un extrait des « Textes et Récits d’Histoire de France », de Pierre Foncin, 1873 chez Armand Colin. Quand vous entendez ce texte, Colette Beaune, vous qui êtes spécialiste de l’histoire du Moyen-âge mais qui avez parcouru toute l’histoire de notre pays, vous vous dites que c’est un moment particulier que cette deuxième moitié du XIXème siècle qui tente de relier l’homme préhistorique, Vercingétorix, Charlemagne, Jeanne d’Arc et les Révolutionnaires français ?
Colette Beaune : Oui, c’est un moment où le roman national succède au roman monarchique, qui avait été mis en place jusqu’à la Révolution, qui était simplement une histoire des rois. Au contraire, à partir de 1850 et surtout du fait que désormais l’histoire devient une matière enseignée dans les collèges et enseignée ans les écoles primaires, ceci en 1867, il est nécessaire de proposer, aux écoliers, une vision globale de l’histoire. Cette vision globale de l’histoire fait que tous les événements de l’histoire antérieure sont réinterprétés en fonction de la période 1867, et doivent donc être présentés comme ayant tous une unité et allant vers un seul but, être la garantie de la France du Second Empire ou que la France de la IIIème République suivant l’époque où l’on est.
Emmanuel Laurentin : Souvent, on a tendance à citer Lavisse, et son « Petit Lavisse », mais on oublie Victor Duruy, ministre de l’instruction publique sous Napoléon III, qui est celui qui est à l’origine, pourrait-on dire, de ce début de mise en ligne de l’histoire nationale.
Colette Beaune : En fait, ce n’est pas du tout si évident parce qu’au début du XIXème, l’abbé Anquetil, qui écrit, en 15 volumes, une histoire - pas terrible, il faut le dire - de la France, qui a eue je ne sais combien d’éditions jusqu’en 1850, est le premier à commencer par un chapitre sur la Gaule. On n’est dans les années 1801-1805, par là. Et c’est une idée tout à fait révolutionnaire, parce que désormais…
Emmanuel Laurentin : Originale…
Colette Beaune : La Gaule s’enchaîne à Clovis, Vercingétorix et Clovis deviennent liés alors qu’à l’origine évidemment ils ne le sont pas du tout. Puis là-dessus vient Michelet, qui est vis-à-vis des Gaulois finalement plutôt un peu réticent parce qu’il pense, lui, qu’il y a des Celtes, des Ibères, des Grecs, des Romains et que la nation s’est formée par toute une série de mélanges ethniques au cours du temps et qu’elle n’existe pas dès l’origine. Donc, les Gaulois ne sont pas nous, pense-t-il, lui.
Emmanuel Laurentin : C’est en cela qu’il y aurait une vision plus moderne que certains…
Colette Beaune : Oui…
Emmanuel Laurentin : Que certains plus tard que lui…
Colette Beaune : Que Duruy, par exemple. Donc, pour lui les Gaulois ne sont pas une nation. Les Gaulois sont une étape comme une autre, avant il y en a eu d’autres, après il y a la conquête romaine, qui pour lui est tout aussi importante. La nation, pour lui, n’apparaît qu’avec Jeanne d’Arc parce que c’est à ce moment là que le peuple entre dans l’histoire, que le sentiment national apparaît en style et que la nation existe. La nation, pour lui, c’est le peuple. Avant, il y a des tas de choses mais qui ne sont pas la nation France, par exemple.
Emmanuel Laurentin : Laurent Olivier, Bonjour.
Laurent Olivier : Bonjour.
Emmanuel Laurentin : Vous êtes l’auteur, je l’ai dit, du Sombre abîme du temps, qui tente de réfléchir à la façon dont l’archéologie participe à la construction d’une identité, au XIXème siècle et jusqu’à aujourd’hui. Ce que vient de dire Colette Beaune, c’est intéressant parce qu’il y a aussi d’autres petits surgeons qui pourraient donner des bourgeons plus tard et qui ne le font pas. Par exemple Sieyès. Vous le citez, vous, dans « Qu’est-ce que le tiers États ? », une sorte de diatribe de Sieyès, qui dit qu’effectivement les Gaulois c’est important pour l’histoire de la nation française.
Laurent Olivier : Il y a une sorte de renversement de l’histoire qui se produit au moment des Lumières et de la Révolution française, qui est une rupture justement avec l’histoire dynastique et qui pose le problème de la légitimité des Francs. Certes ils dominent mais le véritable peuple, la véritable majorité c’est les gens qui sont nés ici, c’est les Gaulois.
Emmanuel Laurentin : Il faut dire, pour ceux qui n’auraient pas écouté l’émission d’hier, sur les Gaulois, qu’au XVIème siècle il y a une tentative de certains juristes, certains humanistes, autour du roi ou à côté du roi, de vouloir légitimer justement cette question de la Gaule et des Gaulois en opposition à une histoire liée à l’histoire romaine, de Troie etc., que cela a échoué au début du XVIIème siècle et qu’il faut donc attendre la fin du XVIIIème sicle, selon vous, Laurent Olivier pour que cela renaisse. C’est cela ?
Laurent Olivier : Puis, il y a une date très importante, vous avez parlé de 1867, c’est la date de la grande exposition universelle, c’est une période d’extrême modernité. C’est le triomphe de la révolution industrielle, et on se pose la question de savoir, après toute une série de découvertes bouleversantes des années 1850-60 : Neandertal, l’homme préhistorique, Troie, Chimane, toutes les grandes civilisations méditerranéennes etc., on se pose le problème de l’histoire de la civilisation. Comment cela se passe ? Comment cela évolue ? Quelles sont les origines véritablement de la civilisation ? Et puis quel rôle joue l’époque gauloise par rapport à cela, qui est la transition de l’état barbare, entre guillemets, vers l’état de civilisation ? Donc, c’est pourquoi il y a aussi cette révision de l’histoire nationale et de l’histoire culturelle à l’aune de la Révolution industrielle.
Emmanuel Laurentin : Olivier Buchsenschutz, vous êtes directeur de recherche au CNRS, archéologue, sur ces questions-là, il faut de suite citer le nom - on l’a cité à propos de Victor Duruy – de Napoléon III, tout de même. Il y a une très grande importance d’un souverain comme Napoléon III dans cette volonté affirmée de redire qu’il y a sources gauloises à notre histoire nationale, allons y voir, d’une certaine façon.
Olivier Buchsenschutz : Tout à fait. Le rôle de Napoléon III a de multiples facettes, moi, je ne les connais pas toutes, je connais surtout l’aspect archéologique.
Emmanuel Laurentin : C’est déjà important.
Olivier Buchsenschutz : Ce qui est assez extraordinaire c’est que Napoléon III a fait faire des fouilles, que l’on appelle dans notre jargon, stratigraphiques, très très modernes pour l’époque, et qu’il a prouvé ce qu’il cherchait, c’est-à-dire la présence d’un certain nombre de sites césariens, qui n’étaient connus que de façon très vague à ce moment-là. Et ce qui est assez étonnant, c’est que l’on n’a pas cru à ces fouilles et qu’il a fallu reprendre une série de campagnes dans les années 1950-2000 pour vérifier qu’il avait raison.
Emmanuel Laurentin : Pourquoi est-il si obsédé par cette volonté de se conforter à cette guerre des Gaules, au récit de César ?
Anaïs Kien : Il faut peut-être dire que d’ailleurs Napoléon III finance lui-même ces fouilles, sur sa cassette personnelle et ses biens personnels. Donc, il y a un engagement effectivement puissant dans ces premières fouilles des sites gaulois.
Colette Beaune : Je pense d’abord qu’il y a eu maintien de la mémoire – il s’agit de mémoire savante, je ne dis pas que tout le monde savait – des sites gaulois, en particulier à Sens où il y a, durant toute la période médiévale, des textes qui parlent de Brennus, il y a Heiric d’Auxerre au Xème, puis par la suite, on sait toujours en gros que Clermont, c’est Gergovie, pas très loin en tout cas, et au XVIIème…
Emmanuel Laurentin : Vous voulez dire une sorte de mémoire populaire ?
Colette Beaune : Populaire, non. De savants. Ils lisent toujours César, ils sont capables de se situer à peu près et on sait qu’un certain nombre de gens, au XVI-XVIIème, vont visiter Gergovie, Alésia. Qu’ont-ils visité exactement ? Je n’en sais rien. Mais il n’y a pas de disparition.
Emmanuel Laurentin : Ce n’est pas un moment où il y aurait une sorte d’affaissement complet de la mémoire et une renaissance ?
Colette Beaune : Il n’y a pas une disparition complète. Napoléon III va vérifier des hypothèses qui sont connues.
Laurent Olivier : Ce qui est intéressant c’est que le désir du souverain c’est bien mais ce n’est pas suffisant pour faire une archéologie.
Colette Beaune : Oui.
Laurent Olivier : Moi, je m’intéresse particulièrement aux pratiques des archéologues, quand les archéologues travaillent sur le terrain. Et ce qui est absolument fascinant, c’est que ces premiers archéologues des années 1860 ne trouvent rien. Ils sont incapables de reconnaître quoi que ce soit. Ils ne savent pas ce qu’ils doivent découvrir, on ne sait pas à quoi cela va ressembler, on travaille avec des ouvriers qui sont seulement des terrassiers, on organise tout cela sous la férule de militaires, qui font marcher ça à la baguette, mais cela ne fait pas de l’archéologie. Et là où c’est extrêmement intéressant, c’est qu’en fait il y a une génération, on pourrait les appeler des ouvriers-paysans-fouilleurs, qui vont être les contremaitres, qui vont organiser ces fouilles et Alésia, par exemple, c’est un personnage complètement inconnu aujourd’hui, qui s’appelle Victor Pernet on connaît Stoffel, Crosnier ( ?), etc. qui va mettre en place ces fouilles. C’est une connaissance intuitive du terrain, un savoir de prolétaire, de terrassier, qui ne peut pas se communiquer à cette génération de savants, qui sont pétris de culture gréco-romaine etc., et qui eux sont obsédés par le fait de donner à Napoléon III le plan des lignes romaines. Donc, c’est extrêmement intéressant parce qu’il y a toute une série de techniques qui en fait seront réinventées plus tard, au moment de l’archéologie aérienne, à la fin du XXème siècle.
Emmanuel Laurentin : Cela veut dire qu’il y a deux savoirs qui cheminent en parallèle et qui ne se rencontre pas ? Un savoir savant livresque, fondé sur les textes de César, et de l’autre côté, dites-vous, des gens qui par leurs pratiques apprennent quelque chose mais n’arrivent pas à communiquer avec ces intellectuels du XIXème siècle.
Laurent Olivier : Ils sont en train de constituer une connaissance archéologique, une connaissance du terrain qu’ils ne peuvent pas communiquer et qui est même dominée par le savoir historiciste des archéologues qui cherchent uniquement dans l’archéologie le témoignage des textes antiques. Et ça, c’est un problème qui continuera à empoisonner la protohistoire jusqu’à aujourd’hui, faire de l’archéologie simplement comme une auxiliaire de l’histoire, comme quelque chose qui illustre une réalité connue par les textes historiques.
Olivier Buchsenschutz : Il faut bien se rendre compte que les militaires de l’époque sont des gens qui connaissent le latin extrêmement bien, qui connaissent le texte par cœur, qui ont déjà repéré Alésia – que l’on connaît aujourd’hui- quand ils ont levé les cartes d’état-major, dans les années 1840. Certes, s’ils ne savent pas, comme le dit Laurent, ce qu’ils vont trouver, c’est des gens qui ont tout de même l’habitude, connaissent ce document. Il ne faut pas oublier que Napoléon Ier a fait une édition de Jules César, a commenté en tout cas Jules César. Et jusqu’à cette époque, et sans doute pas longtemps après, le texte de la Guerre des Gaules est aussi un traité militaire. C’est peut-être une des raisons pour lesquelles Napoléon III s’est intéressé à César et à cet aspect-là des choses. Mais l’aspect archéologique, proprement dit, Camille Julian quarante ans après va dire : cela ne m’intéresse pas. Je suis sur le site d’Alésia, ce qui m’intéresse c’est l’ambiance du site, c’est le texte de César, les données des archéologues, on les laisse de côté.
Emmanuel Laurentin : Ça, c’est assez intéressant parce qu’on voit bien que cette question des Gaulois c’est une sorte d’aller-retour entre données archéologiques d’un côté, données textuelles de l’autre, qui se succèdent, se superposent et qui quelquefois ne communiquent pas entre elles parce qu’effectivement le retour de Camille Julian, c’est le retour au travail sur le texte et non pas au travail sur le terrain.
Colette Beaune : C’est-à-dire que pendant très longtemps, les historiens ont été incapables, je vois bien les chroniqueurs médiévaux et ils ne sont pas les seuls, de savoir si un monument est romain ou s’il est gaulois. Et lorsqu’ils trouvent une tombe, ils disent : c’est une tombe, il était très grand, il avait des armes, des bijoux, c’est un Gaulois. Mais en fait, cela peut-être tout autre chose qu’un Gaulois, seulement ils n’ont pas les techniques nécessaires pour savoir s’il s’agit de quelqu’un de l’âge de fer, d’un Gaulois ou situer chronologiquement la personne. Mais déjà quand même ils s’y intéressent. Ils essayent de dire : on a trouvé ça.
Emmanuel Laurentin : Pourtant, on va finir par avoir besoin de les représenter, ces Gaulois. Un extrait des « Les lieux de mémoire », sur la Gaule et les Gaulois, par Geneviève Ladouès dans une réalisation d’Anne-Pascale Devignes, autour de la figure d’Alésia, « Les Gaulois dans la peinture de l’histoire vers 1840 », par Maud Charasson ( ?)
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« Le Gaulois, il faut savoir qu’au départ c’est un conquérant.
– Ah ! on le considère comme une conquérant.
– Il y a deux grands versants au niveau des Gaulois. Un premier versant : le conquérant. Donc, c’est lui qui quand même envahit. Et puis Rome, en 389 avant Jésus-Christ, c’est attesté dans les textes, les historiens grecs et romains le rapportent. Donc, il pille Rome et à partir de là vous avez toute une peinture qui développe ce Gaulois qui arrive à cheval. Je pense à un tableau en particulier d’Evariste Vital Luminais. On voit un groupe de cavaliers gaulois qui arrivent à cheval et on voit au loin la ville, Rome, la ville éternelle en quelque sorte, et qui se réjouissent de cette proie inespérée, qui vont piller allégrement. C’est là un groupe bigarré, avec leurs attributs, à savoir les tresses. Le Gaulois a toujours ses tresses, les cheveux longs, ça c’est rapporté aussi par des historiens grecs, par Strabon, entre autres, et Diodore de Sicile. Ils ont leurs casques à cornes et à ailes, toujours pareils, c’est Diodore de Sicile qui rapporte cette histoire de casque à corne et à ailes, c’est vraiment attesté dans les textes. Puis, ils sont torse nu. Ça aussi c’est un attribut du Gaulois. Ils portent le torque généralement. Le torque, c’est le collier.
– Le gros collier, qui fait généralement le tour du cou.
– Voilà. En or, autour du cou. Ils portent des boucliers et ils ont des épées. En plus, ils sont habillés généralement avec des braies, des tissus très, très colorés, très bigarrés. Donc, c’est vraiment le foisonnement, l’impétuosité. Le Gaulois est impétueux.
-Il est musculeux.
-Là, vous avez de très, très belles études au niveau…
-Anatomique.
-Anatomique. Ce sont des corps athlétiques en plus. Le Gaulois est jeune. Ça, c’est un terme que l’on retrouve. Michelet l’a beaucoup traité. Ils traitent les Gaulois comme des enfants. C’est un peuple jeune. C’est-à-dire que c’est un peuple qui n’a pas peur, qui est brave. Le Gaulois est brave. Il aime la guerre. Le gaulois est guerrier, toujours. Mais en même temps, il est jeune, c’est-à-dire qu’il ne va pas réfléchir à ses actes. »
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Emmanuel Laurentin : Mais alors, le Gaulois est impétueux, aime la guerre mais il est vaincu. C’est assez étrange de voir, Colette Beaune, comment s’impose dans cet imaginaire de la fin du XIXème siècle, la figure de Vercingétorix vaincu plutôt que celle de Brennus vainqueur, par exemple. On aurait pu imaginer d’autres figures de Gaulois pour pouvoir justement glorifier la nation France, or c’est celui des vaincus que l’on va chercher.
Colette Beaune : Oui, mais en fait pendant très longtemps, les chroniqueurs ont beaucoup hésité entre Vercingétorix et Brennus, parce que Brennus après tout était attesté par Tite-Live. Il y avait un appui réel sur une tradition historique à Sens où l’on ne manquait pas de poèmes et de chroniqueurs et puis c’était l’un des personnages de Geffroy de Monmouth et du roman d’Arthur. Donc, Brennus, son bouclier, ses armes magiques, qui allait conquérir Rome puis la Grèce, jouissait dans les romans en particulier d’une réelle importance, de plus il était vainqueur et il valait mieux être vainqueur que vaincu…
Emmanuel Laurentin : Oui, a priori.
Colette Beaune : Et il permettait durant toute l’époque où les guerres d’Italie étaient d’actualité de justifier l’existence d’un pays qui aurait été une France, une Franco-italia, puisque Brennus est allé fonder le Milanais, etc.
Emmanuel Laurentin : Il y avait toutes ces questions-là…
Colette Beaune : Donc, pendant très longtemps, Vercingétorix n’était pas du tout un héros important. Il attendre pratiquement le début du XIXème et surtout après 1870 pour que Vercingétorix passe au premier plan.
Emmanuel Laurentin : D’une France vaincue, un personnage vaincu.
Colette Beaune : Oui, il y avait ça. Puis Vercingétorix avait l’inconvénient - il reposait sur ses archétypes, ça c’est un avantage - il venait d’Auvergne et la France ne s’était pas construite autour de l’Auvergne mais de la région parisienne, il n’y avait eu personne, aucun prince sauf le cardinal de Bourbon, en 1485, pour commander les choses, et surtout il était vaincu. Donc, pendant très longtemps, on ne s’est pas intéressé à Vercingétorix et Michelet ne s’intéresse pas encore à Vercingétorix.
Emmanuel Laurentin : Laurent Olivier, ça, c’est un tour de passe-passe extraordinaire de la fin du XIXème siècle, saisir ce personnage-là, qui est, dirons nous, marginal aux yeux des historiens précédents pour le mettre sur le pavois alors qu’on va concomitamment mettre au placard la figure de Brennus.
Laurent Olivier : Ce qui est fascinant en fait c’est la plasticité du personnage, parce qu’on peut en faire absolument tout ce que l’on veut. On peut en faire aujourd’hui un héros de la lutte contre l’impérialisme, par exemple. On peut en faire quelqu’un qui accepte la défaite et qui admet de s’intégrer sagement dans un empire plus fort que lui.
Colette Beaune : Il en est mort !
Laurent Olivier : On peut en faire un héros national. On peut en faire absolument tout ce que l’on veut. Ce que je trouve intéressant, c’est la rencontre de ses potentialités avec l’histoire à un certain moment, ce branchement qui s’opère pour produire un message qui est en fait fondamentalement une interprétation orientée des données.
Emmanuel Laurentin : Oui, très orientées. Quand on parle des Gaulois, généralement les interprétations sont très orientées.
Anaïs Kien : D’ailleurs, c’est toute l’histoire des Gaulois qui est très plastique, très malléable sur toute l’évolution de l’histoire nationale. C’est ce que vous dites d’ailleurs, Laurent Olivier, dans certains de vos articles, finalement cette histoire, cette archéologie des Gaulois n’est pas faite.
Laurent Olivier : Ce qui est intéressant aussi, c’est quelque chose - pour prendre une image archéologique – qui est stratifiée, c’est fait de plusieurs couches d’interprétation. La première couche d’interprétation antique est fondamentalement raciste. La manière dont on présente les Gaulois dans la statuaire, on les présente comme des bêtes sauvages, nus, avec des crinières hérissées, de petits yeux rapprochés mais vaincus. Les témoignages de la barbarie des Gaulois, c’est très intéressant, il faut regarder quand est-ce qu’ils sont écrits. Ils ne sont pas écrits au moment de la grande confrontation avec les invasions d’Italie, ils sont écrits après. Ils sont écrits essentiellement quand on est en train de les pacifier ou quand ils sont déjà pacifiés ou dominés. Il y a un témoignage super dans un procès de Cicéron où l’on dit : rappelez-vous, les Gaulois pratiquent des sacrifices humains. Où ça ? Quand ? Là ? Maintenant ? À quel endroit ? On ne sait pas. C’est toujours une barbarie qui est renvoyée dans un passé indéfini, « ils sont comme ça, on ne peut rien en faire ».
Emmanuel Laurentin : C’est d’ailleurs un des grands problèmes, Olivier Buchsenschutz. Quand on travaille sur cette question-là en tant qu’archéologue, c’est qu’en fait on a une sorte de condensation, on le disait déjà lundi avec Christian Goudineau, de plusieurs siècles, voire d’un millénaire ou plus, en quelques années parce qu’on a le texte de César mais on a très peu de textes qui peuvent venir en appui de ce texte de César, et d’un seul coup on se dit que c’est toute une période que l’on va ramasser en un seul petit morceau de temps, juste avant la conquête romaine, et on va tenter de définir une grande évolution temporelle, sur un tout petit morceau de temps et de territoire, à savoir l’équivalent de ce que l’on appellera la France plus tard.
Olivier Buchsenschutz : Alors, là, je pense que l’on n’est plus du tout à une idée de l’archéologie des Gaulois du 1er siècle avant notre ère. On a maintenant une liaison avec tout ce qui s’est passé pendant le millénaire précédent, et là, cela donne un relief complètement différent. La première rupture importante, je crois que Christian Goudineau en a parlée lundi, c’est la fin dans la croyance dans le progrès. C’est-à-dire que l’on – bien que les théories modernes anglo-saxonnes notamment aient gardé cet axe-là – se rend compte qu’il y a des avancées et des reculs par rapport à notre propre culture et qu’il y a surtout des divergences totales, ces cultures-là évoluent dans des sens qui ne sont pas du tout les nôtres. Pendant des années, voire des siècles, on a mis les Gaulois dans l’ombre des Romains, dans la périphérie de la Méditerranée et l’on se rend compte qu’en fait ces cultures, comme beaucoup d’autres cultures, avaient leur propre évolution qui était tantôt urbaine, tantôt plutôt rurale, avec des religions plus ou moins marquées, plus ou moins naturistes ou plus ou moins construites et on est en train de reconstituer leur propre histoire. C’est pour ça, moi personnellement, que j’ai une certaine agressivité vis-à-vis de l’image des Gaulois, parce que cela m’est de plus en plus étranger.
Emmanuel Laurentin : C’est intéressant parce que cette image, c’est ce que l’on disait à la toute fin de notre entretien avec Christian Goudineau, s’est forgée dans ces quelques années, dont on parle depuis le début de cette émission, c’est-à-dire du milieu du XIXème siècle jusqu’à la fin du XIXème siècle, mais elle a été assez forte peut-être aussi par la vertu de l’éducation républicaine pour pouvoir résister au travail, de tout ceux qui sont autour de cette table, de déconstruction, etc. Au bout du compte, c’est quand même plus compliqué aujourd’hui de parler des Gaulois qu’en 1890 ou 1910 où les certitudes d’avoir un corpus commun était là pour une petite durée de temps. Aujourd’hui évidemment, les travaux archéologiques viennent contrebalancer tout cela.
Olivier Buchsenschutz : De toute façon, depuis le départ et jusqu’à une date très récente, on a eu toujours deux discours qui s’entremêlaient, deux types de recherches qui s’entremêlaient. On a cherché les sites césariens et en fait on a trouvé des villes. On était totalement surpris parce qu’on imaginait à l’époque que les gaulois vivaient dans le monde rural.
Emmanuel Laurentin : Ils vivaient dans des huttes et ils ne se réunissaient que lorsqu’il fallait se défendre. Donc, on avait l’idée que ces sites étaient des sites temporaires extrêmement temporaires, courts dans leur durée d’occupation, parce qu’il n’y avait pas de ville et que c’était une population essentiellement rurale. C’est cette idée qui était dans la tête de ceux qui ont lancé les fouilles d’autrefois.
Olivier Buchsenschutz : Même les archéologues du XIXème et du XXème, jusqu’à une date récente, tout en cherchant ces sites césariens ont trouvé une culture urbaine. Ils ont été extrêmement surpris, ils ont commencé à construire une archéologie qui divergeait complètement de l’histoire. On est à un stade où l’on a des villes au Vème siècle avant notre ère, en Europe du Nord. Donc, on est complètement aussi en dehors des discussions de l’article de Christian Goudineau dans « Histoire de la France urbaine », par exemple, qui à ce niveau-là est devenu complètement obsolète. On a découvert, tout en cherchant les traces de César et tout en cherchant des ancêtres, on a trouvé des gens qui n’avaient pas grand-chose à voir avec nous à la limite, et qui surtout avaient une culture complètement indépendante, influencée certes par la Méditerranée mais comme pouvaient l’être les Indiens en Amérique pour les Européens ou des choses comme ça.
Emmanuel Laurentin : Laurent Olivier, quand on s’intéresse à ceux qui dans cette deuxième moitié du XIXème siècle, outre ceux qui d’un côté cherchent dans les textes à comprendre ce qu’était cette civilisation gauloise, ceux qui se mettent les mains dans le cambouis et vont fouiller ces sites archéologiques, qui sont-ils, par exemple sur Alésia, sur Gergovie ? Qui sont ces chercheurs, ces premiers archéologues des années 1860-1880, qui se mettent à chercher les traces de cette Gaule qui n’existe plus que dans quelques textes ?
Laurent Olivier : Il y a un premier groupe de chercheurs qui se réunit sous l’égide de la Commission de topographie des Gaules. Une commission qui est créée, je crois, en 1858 et son objectif c’est justement de faire un point sur nos connaissances archéologiques sur la Gaule. Pour l’essentiel, ce sont des lettrés, des bourgeois, des aristocrates parisiens…
Emmanuel Laurentin : Membres de sociétés savantes.
Laurent Olivier : Oui, certains d’entre eux fréquentent la cour, comme Félix de Saulcy, par exemple, d’autres sont des militaires, le Général Creuly, lieutenant-colonel de Coynard, d’autres sont des élèves de l’école d’Athènes, comme Alexandre Bertrand qui sera conservateur du Musée des Antiquités nationales. Pour fouiller on fait appel à des terrassiers. On se rend compte qu’on a besoin d’organiser ce travail et l’on utilise ce que l’on appelle les…
Emmanuel Laurentin : On invente l’archéologie en même temps que l’on invente les sites d’une certaine façon parce qu’on n’a pas de techniques vraiment…
Laurent Olivier : On n’a pas de techniques archéologiques. Pendant longtemps, les archéologues sont des antiquaires, c’est-à-dire des collectionneurs. Ils éprouvent le besoin d’être sur le terrain pour extraire eux-mêmes les pièces qui les intéressent. Effectivement ce moment où l’on cherche la confrontation avec le lieu, on est obligé d’en passer par l’invention d’une technique archéologique. Et ça, c’est le fait d’une génération, généralement, d’ouvriers ou des paysans, des gens qui nesont pas forcément lettrés, donc qui n’ont pas laissé de mémoires, mais il y a toute une série de chercheurs : Victor Pernet à Alésia, Jean-Baptiste Couneil ( ?), pour les première tombes gauloises de la Marne, c’est un ouvrier de Salange ( ?) à la frontière belge, on a aussi Abel Maître, à Saint-Germain-en-Laye, c’est une élève de Bartholdi, c’est un sculpteur, un manuel, c’est lui qui organise les premières fouilles. Ce sont ces gens là qui inventent les techniques de terrain.
Emmanuel Laurentin : Et vous qui avez travaillé longtemps à Bibracte, en Beuvray, Olivier Buchsenschutz, il y avait qui sur le site de Bibracte à ce moment-là ?
Olivier Buchsenschutz : Cette époque-là, c’est l’époque de Jacques-Gabriel Bulliot, qui est un commerçant très cultivé de la ville d’Autun, qui va localiser le Bibracte de César à Bibracte, et non pas à Autun comme on croyait à cette époque. C’est quelqu’un qui va chercher au-delà des textes les preuves du terrain. Et ça, c’est tout à fait intéressant parce qu’il va effectivement se confronter aux données matérielles. En fait, il sera précédé d’un an par le fouilleur de Murecens, qui lui est un topographe, qui a déjà identifié le mur gaulois de Murcens comme le même mur que celui qui est décrit par César pour Avaricum et Bulliot va reprendre cette hypothèse. C’est vrai que, comme le disait Laurent, que l’interprétation archéologique part de la base, des gens qui sont sur le terrain, tantôt qui sont des ingénieurs ou des gens très simples, tantôt des gens comme Bulliot, un peu intermédiaires, qui ne sont pas des savants au sens parisien du terme.
Emmanuel Laurentin : Colette Beaune, les historiens qui établissent les manuels qui vont servir à l’édification républicaine de la France, ils ont connaissance de ces recherches ? Ou, ils utilisent simplement les textes, disons, traditionnels pour parler de la Gaule et des Gaulois ? Comment tissent-ils tout cela pour faire le petit catéchisme républicain du Petit Lavisse, ensuite du Malet-Isaac ?
Colette Beaune : En fait, les historiens sont presque tous redevables non pas à Michelet ou même à Lavisse, aux grands historiens. La Gaule a été redécouverte par Henri Martin.
Emmanuel Laurentin : Voilà, on n’a pas encore cité le nom d’Henri Martin.
Colette Beaune : C’est Henri Martin qui, en 100 pages, pour la première fois dans son « Histoire de France », alors que Michelet en avait une trentaine…
Emmanuel Laurentin : « Histoire De France Populaire », c’est ça ?
Colette Beaune : Oui, c’est cela. Il a développé franchement le thème gaulois, avec l’équivalence…
Emmanuel Laurentin : « Le caractère gaulois subsistait chez nous tous. Comme leur sang est passé de génération en génération dans nos veines, Jeanne d’Arc était une héroïne gauloise, qui était annoncée par les obscures prédictions attribuées au vieux prophète celtique, Merlin. »
Colette Beaune : C’est ça.
Emmanuel Laurentin : On a Merlin qui annonce Jeanne d’Arc, on peut ensuite dormir tranquille…
Colette Beaune : C’est lui qui pense que nous ressemblons toujours plus ou moins physiquement et moralement à nos ancêtres gaulois. Nous sommes grands, blonds, avec une propension à la division, un peu enfantin parfois, « gaulois » aussi, comme on dit, c’est-à-dire faisant des plaisanteries… C’est lui qui…
Emmanuel Laurentin : Synthétise…
Colette Beaune : Qui synthétise dans un ouvrage qui a le mérite d’être beaucoup plus accessible que Michelet ou Lavisse, qui a eu des dizaines d’éditions et plusieurs versions, dont des versions illustrées. Donc, ce pauvre Henri Martin, que j’avais oublié tout à l’heure, est un des responsables de la diffusion du fait gaulois…
Emmanuel Laurentin : Vous n’êtes pas la seule à l’avoir oublié, Colette Beaune, parce qu’il est un peu oublié quand on cite…
Colette Beaune : C’est quelqu’un qui a eu une grosse importance. Ce n’est pas de l’histoire très originale, je ne dis pas ça. Par exemple, il ne tient absolument pas compte des découvertes archéologiques.
Anaïs Kien : C’était justement ma question. À quel point justement les découvertes et les fouilles de la fin du XIXème siècle influent sur les historiens ?
Colette Beaune : Elles influent très, très peu. Il n’y a pratiquement rien chez Henri Martin et on peut chercher avec les images des Gaulois, à savoir quand le Gaulois recommence à ressembler au Gaulois archéologique ? Eh bien il faut attendre 1880, pratiquement.
Anaïs Kien : Parce qu’il y a un Gaulois archéologique et un Gaulois des textes ?
Colette Beaune : Le premier Gaulois que nous ayons, la première représentation de Vercingétorix, il a un couronne sur la tête, il est habillé exactement comme Clovis et franchement s’il n’y avait pas marqué Vercingétorix en bas, eh bien on ne le saurait pas.
Emmanuel Laurentin : Laurent Olivier, sur ce point.
Laurent Olivier : Ce que je trouve absolument fascinant, c’est que la Gaule et les Gaulois c’est une sorte d’outre à fantasmes. Gaulois, c’est le nom du plus ancien peuple qui soit connu avant les Romains. Donc, dès que l’on parle des Gaulois, dès que l’on évoque les Gaulois, on évoque nos origines. En fait, c’est cette vision-là qui transparaît. Si c’est aussi difficile de changer, comme l’évoquait Olivier Buchsenschutz, tout à l’heure, l’image des Gaulois, c’est parce que cette image a une fonction qui est de dire qu’est-ce que c’est l’origine de la civilisation ? Qu’est-ce que c’est le passage de la barbarie à l’état d’homme civilisé ? Les Gaulois remplissent cette idée-là. On pourra considérer et apprécier la civilisation des Gaulois - comme disait Mauss : il n’y a pas de civilisations inférieures, il y a des civilisations différentes - quand on sera capable de dire : oui, c’est une civilisation différente qui pratique des sacrifices humains, qui ne nous ressemble pas, qui a un art que l’on peut effectivement considérer comme grossier parce qu’il n’est pas réaliste comme l’art gréco-romain etc., etc. Ce n’est pas inférieur, c’est différent. Mais aujourd’hui, tout le monde, et beaucoup d’archéologues le pensent également de manière implicite, qu’effectivement il y a une infériorité de civilisation avec la culture gauloise par rapport aux grandes civilisations classiques méditerranéennes.
Emmanuel Laurentin : Alors, tendez tous et toutes l’oreille, une archive du 30 mars 1953, « La civilisation romaine, César à la conquête de la Gaule », par Jules Tantin ( ?). Jules Tantin qui était en lien quelque part avec l’histoire d’Alésia, d’après ce que je crois savoir, puisque c’était quelqu’un qui au début du XXème siècle, m’a dit Anaïs Kien, avait entamé ou ré-entamé de nouvelles fouilles sur ce terrain.
« Le nom d’Alésia évoque l’un des événements les plus importants de notre histoire. L’influence de cet événement a été des plus puissantes sur l’avenir de la Gaule, sur la destiné de César, sur le rayonnement de la grandeur romaine. Le problème posé est multiple et complexe. Une première question à laquelle il est nécessaire de répondre est celle de l’emplacement exact de la ville antique qui portait le nom d’Alésia. Jusque vers le milieu du XIXème siècle, on s’accordait à reconnaître que l’antique Alésia occupait le mont-Auxois, colline élevée qui ferme à l’est la plaine des Laumes, à près de 60 kilomètres, au nord-ouest de Dijon. Depuis un siècle, d’autres régions de la France ont revendiqué l’honneur de posséder sur leur territoire le site autour duquel s’est déroulée, entre César et Vercingétorix, la bataille décisive pour l’indépendance de la Gaule. »
Olivier Buchsenschutz, cette question existe en 1953, elle existe encore aujourd’hui puisqu’il y a des défenseurs des sites d’Alésia un peu partout sur le territoire et que le travail des archéologues a du mal à passer quelquefois justement au près de tous ces défenseurs là.
Olivier Buchsenschutz : Tout à fait. D’abord il faut rappeler que 1953, sauf erreur de ma part, c’est l’année de la découverte de la tombe de Vix, qui se produit en décembre de la même année et qui repousse le problème de l’urbanisation de la culture gauloise cinq siècles avant et qui montre que l’on est complètement en dehors des clous, comme on dit. Pour ce qui est de l’identification d’Alésia, ce qui assez est étonnant c’est qu’il y a eu déjà des articles, notamment ceux que l’on a faits avec Alain Schnapp, sur les preuves archéologiques, puis il y a eu les fouilles de Michel Reddé et de Siegmar von Schnurbein, ( ?) a montré que la géographie et la topographie, les traces en photographie aérienne, les traces des camps romains, les objets, les monnaies au nom de Vercingétorix prouvaient complètement que c’était là sinon il faudrait prouver ce que c’est que ce site extraordinaire qui correspond à l’époque mais qui n’est pas Alésia. Ce qui est assez incroyable, c’est qu’après la publication de la grosse synthèse de nos collègues des années 1990-2000, le journal Libération publiait quatre articles de deux pages sur de faux Alésia, ce qui est quand même impressionnant. Soit cela remet en question les sources des journalistes, soit cela montre que vraiment l’archéologie, pour les Français, cela n’a strictement aucun intérêt.
Emmanuel Laurentin : Soit que cela montre qu’effectivement les Gaulois et la Gaule c’est encore une outre à fantasme, comme le disait tout à l’heure Laurent Olivier. Colette Beaune, c’est une outre à fantasmes ?
Colette Beaune : Si je prends une période plus reculée, la localisation de l’ombilic des Gaules a été l’objet, c’est pareil, à l’époque médiévale, de fantasmes absolus. On l’a localisée évidemment à Chartes, pays des Carmélites, c’était logique. On a pensé que la cathédrale de Chartres succédait au sanctuaire des Druides, ce qui était un peu plus logique. Puis à partir du XIVème siècle, quand la France a été centrée sur Paris, il y a eu toutes sortes de travaux pour démontrer que l’ombilic des Gaules était à Paris et que le Parlement de Paris avait pour origine le Sénat des Druides, la réunion des Druides qui rendait la justice. Autrement dit, vous voyez que la localisation des phénomènes gaulois est susceptible de varier énormément en fonction de présupposés que l’on n’avoue jamais.
Emmanuel Laurentin : C’est difficile quand on a un musée, comme le musée ex des Antiquités nationales, devenu le musée d’archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye, cré’ justement dans cette grande époque de la deuxième moitié du XIXème siècle, Laurent Olivier, d’expliquer à un spectateur, à quelqu’un qui vient le visiter, que tout cela, ces constructions - reconstructions, que l’archéologie vient au contraire conforter certaines idées qui sont contrebattues par les médias ou par des groupes de pressions, cela doit être assez compliqué tout de même ?
Laurent Olivier : C’est tout l’enjeu de l’archéologie. Je pense qu’avec cette question de l’emplacement d’Alésia, je crois qu’au totale on doit en être à plus de soixante sites qui se partagent l’authenticité de la localisation d’Alésia.
Emmanuel Laurentin : Qu’est-ce qui prouve qu’il n’y a pas eu soixante Alésia ?
Laurent Olivier : Ce qui est intéressant, je trouve, c’est que c’est une survivance extrêmement archaïque de l’archéologie. On ne fait pas de l’archéologie avec le livre de César à la main pour essayer de localiser les sites. Ce n’est pas comme cela que l’on fouille aujourd’hui. Évidemment cela ouvre la voie à tous les malentendus. « Oui, César n’emploie pas exactement le terme qui semble coïncider avec ce que l’on observe sur le terrain… », « Oui, si l’on fait la technique du portrait-robot, on peut trouver plein d’autres sites, beaucoup mieux adapté au récit de César… », etc., etc. Ça, je dirais que ce n’est pas de l’archéologie, pour ce qui nous concerne. Ce n’est pas comme cela que l’on fait de l’archéologie. Ça, c’est des débats de philologie mais cela n’est pas de l’archéologie. L’archéologie part du terrain, de l’évidence du terrain et cherche à en faire quelque chose. C’est un débat qui ne nous concerne pas en réalité.
Emmanuel Laurentin : Un débat qui concerne les archéologues, c’est la renaissance, pourrait-on dire du travail archéologique sur la Gaule au XXème siècle, plutôt dans la deuxième moitié du XXème siècle, après un fort moment d’apaisement pourrait-on dire, et surtout à partir des années 1960, voire des années 80, sous l’égide en particulier de la présidence de François Mitterrand, Olivier Buchsenschutz, la redécouverte par exemple de Bibracte, enfin du Mont-Beuvray, la redécouverte d’autres sites, et un nouveau travail entrepris justement autour de cette histoire, tardivement, avec long moment de latence entre ces premières fouilles de la deuxième moitié du XIXème siècle et ces fouilles de la deuxième moitié du XXème siècle.
Olivier Buchsenschutz : Pour aller vite, le XIXème s’achève avec deux publications, au début du XXème, le « Manuel de l’archéologie » de Joseph Déchelette, qui va être utilisé par toute l’Europe jusque dans les années 1970 et les huit volumes de Camille Jullian sur l’« Histoire de la Gaule », qui, comme on l’a vu, ne s’intéresse pas à l’archéologie. Pour lui, l’archéologie c’est les inscriptions et les sculptures. Donc, on a cette dichotomie. Et entre les deux Guerres, en France, l’archéologie a une situation catastrophique, il y a très peu de fouilles. Il y a l’affaire de Glozel, qui est une catastrophe parce que c’est un faux et ça a rempli les bibliothèques…
Emmanuel Laurentin : Les fouilles archéologique en Auvergne justement, du côté de Vichy d’ailleurs.
Olivier Buchsenschutz : En plus… enfin, bref… N’ouvrons pas le dossier Glozel, ce n’est pas la peine, on a déjà…
Emmanuel Laurentin : Tous les auditeurs qui défendent le site de Glozel et d’autres sites pour Alésia vont nous écrire, donc vous pouvez continuer, allez-y.
Olivier Buchsenschutz : Je pense que ce qui a vraiment été développé après la guerre, c’est le fait que tout l’aspect justement urbain des oppida, de ces sites fortifiés attaqués par César, pour certains d’entre eux, a complètement noyé l’historiographie, le fait de savoir si César était passé là ou pas. Ensuite, comme la cerise sur le gâteau, on a fait quelques vérifications, qui ont montré que ces sites urbains et leurs voisins, il y en avait effectivement qui correspondaient aux textes de César, sans problème, et que ce qu’avaient fait les militaires de Napoléon III était correct. Mais si vous voulez, je dirais à la limite, on s’en fiche. Même le Colloque sur Teutoburg et Alésia, qui a réuni les collègues allemands et français, puisque l’on a retrouvé la bataille de Teutoburg, ce qui est beaucoup plus difficile, parce qu’il n’y a pas de site fortifié, c’était un petit peu un jeu. En réalité c’était pour liquider cette question-là. La localisation des sites est acquise, Uxellodunum, le site de 51 a été localisé également. Je dirais que pour nous, c’était presque un jeu. Les enjeux ne sont pas du tout là. Les enjeux, c’est la culture gauloise, c’est son originalité et c’est la déconnexion complète avec notre propre culture, parce que ce n’est pas nos ancêtres.
Emmanuel Laurentin : C’est ce que l’on peut dire quand on est un archéologue comme vous Olivier Buchsenschutz, mais on sait bien que l’histoire n’appartient ni aux archéologues, ni aux historiens, elle appartient à nous tous. Quand le grand rénovateur, après Napoléon III, du site de Bibracte, c’est-à-dire François Mitterrand, va en 1984 pour inaugurer ce centre, qui doit être un centre de recherche très avancé sur cette culture de cette époque-là, qu’est ce qu’il fait ? Il fait un discours sur l’unité nationale. Ce n’est pas exactement ce qu’attendaient les archéologues de votre génération, j’imagine.
Olivier Buchsenschutz : Nous on attendait un discours sur l’Europe. Ce n’est pas mieux. De toute façon, ce n’était pas un discours sur Bibracte, voilà.
Emmanuel Laurentin : C’est quand même très étrange, Laurent Olivier. Ce discours-là transpire ailleurs, va ailleurs. Quand on fait des recherches et que l’on travaille de façon sérieuse sur les textes on se dit pourquoi on n’arrive pas à imposer notre vision ? Mais parce qu’il y a assez de visions concurrentes qui sont peut-être plus satisfaisantes pour le grand public et ces visions qui viennent contrebalancer cela, les chercheurs ne rentrent pas dans cette norme-là.
Olivier Buchsenschutz : Je pense qu’effectivement, vous l’avez dit, la question des origines, ce n’est pas la propriété exclusive des chercheurs, des historiens, des archéologues, forte heureusement d’ailleurs, c’est un enjeu social aussi,…
Emmanuel Laurentin : On va le voir avec le débat sur l’identité nationale.
Olivier Buchsenschutz : C’est un enjeu social, politique, il faut dire aussi que les archéologues ne détiennent pas forcément la vérité sur ces périodes-là. On se rend compte quand on examine l’histoire de l’archéologie, on a une période où justement la question nationale bat de l’aile, mais on se rend compte avec d’autant plus d’acuité pour les périodes plus anciennes que ce sont des questions qui ont vraiment dominé la recherche au XIXème siècle et pendant la plus grande partie du XXème siècle. Ces questions qui sont : qu’est-ce que c’est que l’identité d’une ethnie ? Qu’est-ce que cela veut dire une culture véritablement autochtone ? Etc. Donc, dès que l’on manipule ou on évoque cette question des Gaulois, on est de fait dans ces questions-là. Je trouve que c’est extrêmement intéressant de voir justement que c’est un jeu complexe d’interprétation et de point de vue sur la question.
Emmanuel Laurentin : Ça, c’est compliqué, Colette Beaune, justement de s’intégrer dans cette histoire-là ? Une fois que tous les historiens de votre génération ont déconstruit, raconté comment le récit national ou le roman national s’était créé, comment il était conjoncturel, répondait au besoin d’un moment, comment ce moment étant passé, il fallait s’en débarrasser, malgré tout il y a toujours un reste de ce récit-là qui reste dans la tête de beaucoup de nos compatriotes et qui fait que c’est difficile de débattre dans ces conditions-là avec la plupart des Français qui n’ont pas l’occasion de lire vos livres, les travaux des archéologues sur certains sujets comme la Gaule, par exemple.
Colette Beaune : Je pense que le problème de la nation a quand même changé. Au XIXème siècle, on cherchait des origines réelles, des origines ethniques de gens dont on puisse descendre par le sang même s’il y avait, tout le monde était d’accord, des mélanges avec les romains, puisque les Gallo-Romains existaient, puis des invasions de Francs et toutes sortes de mélanges. Quand même, globalement, on pensait qu’ethniquement les Gaulois étaient nos ancêtres. À l’heure actuelle, personne ne pense à chercher si les Gaulois sont nos ancêtres ou pas, peut-être le grand public. C’est un faux problème. Par contre, on peut essayer de penser, peut-être a-t-on tort, qu’il y a une communauté de cultures qui est arrivé jusqu’à nous et chercher si dans cette communauté de cultures si les Gaulois ont eu un rôle ou n’ont pas eu un rôle. On peut arriver d’ailleurs à la négative, c’est une civilisation très différente, comme il en reste quand même quelque chose.
Laurent Olivier : Ce qui est intéressant, c’est aussi la manière dont on a cherché cela parce que pendant très longtemps, on a cherché finalement à plaquer notre propre vision d’une nation sur les Gaulois. Par exemple, les Gaulois, c’était évident que c’est des gens qui parlent la même langue, qui parlent le gaulois, encore que certains de mes collègues sont persuadés de cette idée, que les peuples celtiques parlent celtique,…
Anaïs Kien : Poseidonios pensait qu’ils parlaient le grec d’ailleurs.
Colette Beaune : Oui.
Laurent Olivier : Absolument… Ce sont des gens qui ont un territoire qui leur appartient et ce sont des gens qui ont une culture commune. Ça, c’est l’idée nationale traditionnelle.
Colette Beaune : C’est l’idée nationale du XIXème, ça.
Laurent Olivier : Que l’on a projeté sur la recherche de la civilisation gauloise pendant très, très longtemps. Mais aujourd’hui, je ne sais pas, on est en plein milieu de cela mais je trouve qu’il y a des choses extrêmement intéressantes dans la pensée, c’est Glissant qui évoque cela, la créolisation par exemple, que les cultures jouent par influence, par échange, qu’elles s’enrichissent dans l’échange au contraire elles n’y perdent pas, ça c’était la vision du XIXème siècle, la vision socinienne, les cultures se détruisent quand elles s’ouvrent à l’extérieur, c’est la vision de l’extrême droite, ça. Aujourd’hui, il y a une évidence, c’est qu’il y a une multitude culturaliste qui n’était pas aussi visible au XIXème siècle ou qui existait dans des contextes coloniaux. Donc, ça aussi c’est quelque chose qui interpelle notre façon de voir.
Emmanuel Laurentin : Mais est-ce qu’après avoir, au XIXème siècle, fait le parallèle entre Vercingétorix et Abd-el-Kader vaincu mais néanmoins acceptant la culture de celui qui les a vaincu, on ne ferait pas aujourd’hui la même chose en imaginant que cette Gaule était multiculturelle parce que l’on a envie, Laurent Olivier, qu’elle le soit ?
Laurent Olivier : Oui parce que l’on recherche toujours dans le passé la réponse à des questions, des préoccupations, qui sont celles d’aujourd’hui. Ce qui fait que l’étude du passé est absolument inépuisable.
Olivier Buchsenschutz : Je crois qu’en fait il faut complètement déconnecter l’étude de ces cultures de la nôtre. Dans vos deux interventions, vous avez bien souligné que par rapport nous qu’est-ce qu’ils sont. C’est vrai qu’aujourd’hui, comme on est multiculturels et métissés, on cherche cela, mais ce n’est pas forcément cela que l’on trouve.
Emmanuel Laurentin : Qu’est-ce que l’on trouve à l’encontre de cette thèse volontariste ?
Olivier Buchsenschutz : Ce que l’on trouve, c’est par exemple au niveau de phénomènes au VIème siècle avant notre ère, il y a une unité qui se trouve au centre de l’Europe, au II-Ième siècle avant notre ère, ces fameuses villes assiégées par César ont toutes, si vous voulez, les mêmes boutons de culottes d’un bout à l’autre de l’Europe. Donc là il y a une certaine unité. D’un autre côté, sur les textes effectivement, César lui-même dit que les gens de la Gaule ne parlent pas tous la même langue. Donc, il ne faut pas que l’on parte à l’autre extrême. Il y a aussi le problème des territoires. Effectivement, derrière Vidal de La Blache, on a construit des territoires gaulois qui correspondent quasiment à nos départements, sauf que quand on compare l’aire d’approvisionnement d’un supermarché actuellement avec celle d’un oppidum cela tombe pas mal, ça marche, il y a des trucs qui marchent. C’est vrai qu’il y a des territoires autour des oppida, que l’on peut démontrer par des méthodes d’analyse statistique ou autres. Les Gaulois sont tout cela. Ils sont tantôt unis, tantôt désunis, simplement il ne faut pas chercher à les rapprocher de nous. Il faut les étudier pour ce qu’ils sont.
Anaïs Kien : D’ailleurs tous les Gaulois ne participent pas à la bataille d’Alésia et ne répondent pas à l’appel de Vercingétorix.
Olivier Buchsenschutz : Bien sûr. Ça, c’est des problèmes vraiment d’historiographie, ce n’est plus de l’archéologie. Il n’y a pas d’unité chez les Gaulois mais dès que l’on dit cela, on retombe dans un cliché du XIXème.
Emmanuel Laurentin : À savoir qu’ils sont divisés…
Olivier Buchsenschutz : En Italie non plus, les Romains…
Colette Beaune : Indisciplinés.
Olivier Buchsenschutz : Ce sont des gens qui ont fait une unification très tardive. Une autre chose importante, en fait je crois que les Français ont l’idée qu’il y a l’Empire romain d’un côté et la Gaule de l’autre, ce n’est pas du tout cela, l’Empire romain n’existait pas à cette époque-là, et parmi les constructeurs de l’Empire romain, il y a les Gaulois qui adhèrent à l’Empire romain, j’allais dire très, très rapidement, comme on a adhéré à l’Europe en avançant et en reculant.
Emmanuel Laurentin : Ce qui fait qu’effectivement qu’ils se distinguent ou qu’on les distinguera plus tard des Germains, qui, eux, n’ont pas voulu adhéré justement à cette situation…
Colette Beaune : Puis, il y a des Romains en Gaule et des Gaulois en Italie.
Olivier Buchsenschutz : Tout à fait.
Colette Beaune : Des quantités.
Olivier Buchsenschutz : On oublie souvent qu’il y avait pas mal de Gaulois en Italie depuis le IVème siècle
Colette Beaune : Oui.
Emmanuel Laurentin : Colette Beaune, pour conclure cette émission consacrée aux Gaulois - en sachant que demain nous aurons un documentaire sur un fameux Gaulois, qui nous a donné l’idée de faire cette semaine, à savoir Astérix, il y a eu un Colloque qui s’est tenu à l’université de Paris 13 où se trouvait Anaïs Kien, nous avons donc ramené des entretiens, qui seront montés en documentaire, autour de cette figure d’Astérix et de cette rêverie autour de la Gaule, né de l’esprit de Goscinny et la plume de Uderzo – quand vous entendez la discussion sur l’identité nationale, - qui va monter, on va en parler pendant deux ou trois mois - est-ce que vous pensez justement qu’aujourd’hui, il est temps à nouveau de re-réfléchir à cette question-là ? Est-ce que les historiens ont quelque chose à dire sur cette question-là ? Ou, est-ce qu’au contraire il faut surtout ne pas entrer dans ce type de débat voulu par le politique ? Est-ce que l’instrumentalisation du XIXème siècle de l’histoire, par le politique du XIXème siècle, nous dit surtout n’allons pas là-dedans ?
Colette Beaune : Je pense que les historiens [manque deux mots] et beaucoup plus que les historiens ont de la peine à essayer de concevoir une histoire de France, à supposer que la notion même d’histoire de France ait un sens, comme dépourvue d’unité. Puis nous avons tendance, nous, à penser qu’il y a des origines et toutes sortes de périodes…
Emmanuel Laurentin : Des progrès…
Colette Beaune : Et nous allons vers le progrès. Eh bien, ce n’est pas vrai. Il n’y a pas à proprement parler d’origine. Il y a des allers et retours. Il y a des choses qui ne s’enchaînent pas du tout. Il y a des possibilités qui apparaissent mais qui ne sont jamais utilisées. L’histoire de France n’a pas le côté – aucune histoire d’ailleurs- rassurant, téléologique que les politiques voudraient bien qu’elles aient.
Emmanuel Laurentin : Cela veut dire que l’on peut le mettre en débat, simplement éviter…
Colette Beaune : Je ne suis pas contre que le politique s’intéresse à l’histoire ni qu’ils citent les historiens, qu’ils citent de personnages, il est normal de penser avec des références.
Emmanuel Laurentin : Mais il ne faut pas en revanche que cela conduise à un discours codifié…
Colette Beaune : Il ne faut pas que cela conduise à un discours unifié et obligatoire. Ça, non. Cela a été le cas sous la Troisième République, je ne pense pas que l’on puisse arriver à cela, moi.
Emmanuel Laurentin : Merci. Merci Laurent Olivier. Merci Olivier Buchsenschutz. Merci Colette Beaune. Je rappelle, Colette Beaune, que vous êtes auteur d’un fameux livre justement dans la collection de la bibliothèque des histoires, chez Gallimard, « Naissance de la nation France », qui vient d’être republié, au printemps dernier, d’un « Jeanne d’Arc », qui a beaucoup fait couler d’encre, « Jeanne d’Arc, vérités et légendes », chez Perrin. Pour votre livre, Laurent Olivier, il s’agit de « Le sombre abîme du temps ». Merci encore d’être venus pour essayer de démêler le vrai du faux, si c’est possible, mais je crois que sur certains points on l’a démêlé, le vrai du faux, en particulier la légende des Gaulois et des gauloiseries…
Extrait de la chanson de « Restons Français, Soyons Gaulois » de Jacques Dutronc.
Moi, je définis l’érotisme
Restons Français, soyons Gaulois
La gauloiserie, ça, c’est ma loi,
Moi je définis l’érotisme,
Restons Français, soyons Gaulois
Et je suis fier d’être grivois
Pour faire un livre ils se font passer pour le voisin
Mais moi c’est…
Emmanuel Laurentin : Les années 60, celles de Jacques Dutronc mais également d’Astérix, « Restons Français, soyons Gaulois ».
Un émission préparée par Maryvonne Abolivier et Aurélie Marsset, le site Internet est tenu par Antoine Lachand, vous pouvez écouter les émissions pendant un mois, les télécharger pendant une semaine, trouver des bibliographies. À la technique Jean Frédérix, à la réalisation Véronique Samouiloff.
Livres signalés sur le site de l’émission
– Colette Beaune, « Naissance de la nation France », Ed. Gallimard, 1985.
Présentation de l’éditeur : La naissance de la nation française est l’un de ces grands sujets qui, depuis plus d’un siècle, ont passionné des générations sensibilisées par trois guerres.
Colette Beaune le renouvelle de manière décisive par l’analyse de l’image de la France telle qu’on la voit, qu’on l’aime ou qu’on la rêve en cette fin du Moyen Âge. La France de l’imaginaire national et monarchique, c’est-à-dire de ce qui n’a d’existence que dans les esprits et les cœurs.
Trois volets : d’abord l’histoire comme forme de conscience de soi et justification du présent par le passé, la façon dont la matière de France, à partir du XIIe siècle, l’a progressivement emporté sur la matière biblique et la matière de Rome dans la fascination des savants et des clercs. Ensuite, le sacré, c’est-à-dire le lien d’élection qui a fait de la France le peuple de Dieu, par l’intercession de Saint Denis, Saint Louis et Saint Michel. Enfin, et pour la première fois ici analysés, les signes et symboles à une époque où les lys et la croix blanche nous tiennent lieu de Marianne et de bonnet phrygien, où les lettrés voient dans la loi salique et la « langue françoise » des traits spécifiques de la nation, où le peuple déchiffre dans l’arbre et le jardin du Paradis l’image du territoire, et dans la princesse idéale la collectivité des habitants.
– Laurent Olivier, « Le sombre abîme du temps : mémoire et archéologie », Ed. Seuil, 17 avril 2008.
4e de couverture : L’archéologie, pensons-nous spontanément, consiste à retrouver ce qui s’est effacé de l’histoire, à reconstituer les civilisations disparues, à dévoiler les trésors d’un passé enfoui. Mais ce n’est pas cela, l’archéologie. Elle met au jour des vestiges de ce qui a vécu. Le vestige est une archive, un document de mémoire bien plus que d’histoire.
Les objets que l’archéologie « remonte » à la surface ne découvrent pas un passé disparu, mais l’énigme de leur existence, car il nous faut reconstituer leur signification la plupart du temps perdue. Du reste, l’archéologie couvre désormais toutes les périodes de l’histoire, y compris de l’histoire contemporaine quand elle fouille les tranchées et les charniers pour exhumer les vestiges des guerres et des massacres du XXe siècle... Abordant le passé à partir des résidus ou des déchets de l’histoire, l’archéologue est un « chiffonnier du passé ». Il recueille le souvenir des temps anciens, que l’histoire a enfoui ou recouvert, mais qu’elle n’a pas effacé.
Dans cet essai, où Darwin, Freud, Foucault, Derrida, Michel de Certeau, Walter Benjamin fournissent les clefs de l’interprétation, l’archéologie est une science des mémoires sans cesse recomposées, une discipline de l’étude des filiations. Elle devient la science humaine qui explore le « sombre abîme du temps » (Buffon) dans lequel le passé est englouti.