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Jean-François HÉBERT, le président de la Cité des sciences et de l’industrie, invité des Matins de France Culture, 19 octobre 2005
lundi 3 novembre 2025, par
Extrait de l’émission « Les Matins de France Culture », du 19 octobre 2005, avec Jean-François HÉBERT, président de la Cité des Sciences et de l’Industrie, transcrite par Taos AÏT SI SLIMANE.
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Nicolas DEMORAND : […] Puis, à 7 h 40, on poursuivra notre parcours dans les institutions culturelles françaises. Après les grands musées parisiens : le Louvre, Orsay, le Palais de Tokyo, l’Opéra de Paris, le Centre Pompidou, changement de registre aujourd’hui avec la Cité des sciences et de l’industrie. L’institution est plutôt récente, elle fêtera ses vingt-ans l’année prochaine. La Cité n’a pas vocation à accueillir de l’art, et des expositions strictement consacrées aux questions esthétiques, comme cela a été le cas jusqu’à présent dans ce petit parcours, mais plutôt une vocation à renouer le lien plutôt distendu entre le grand public et ce que l’on appelle l’on appelle la culture scientifique et technique. Il faut noter que certaines des expositions récentes de la Cité des sciences ont eu un très beau succès auprès des petits et des grands, comme on dit, et il y a fort à partir que l’exposition « Star Wars », qui a ouvert ses portes hier remportera aussi un vif succès. On va donc parler de cette institution qui fête ses 20 ans en 2006, tout à l’heure, avec son président Jean-François HÉBERT.
[…]
[20 : 00] Notre invité ce matin, Jean-François HÉBERT, le président de la Cité des sciences et de l’industrie. Avec lui, on va poursuivre notre cartographie des institutions culturelles françaises, qui nous a déjà conduit au Louvre, à Orsay, au Palais de Tokyo, au Centre Pompidou et à l’Opéra de Paris. On a pu prendre conscience, dans cette petite balade, des mutations profondes, qui traversaient ces lieux de culture devenus des établissements autonomes, responsables de leurs dépenses et de leurs recettes, on pourrait dire de grandes entreprises à vocation culturelle et à mission de service public. La Cité des sciences n’a pas vocation à exposer des œuvres d’art mais à mettre en scène le grand mouvement de la science, à retisser les liens distendus entre le public et ce qu’on appelle la Culture Scientifique et Technique, elle le fait avec un certain succès, puisque la Cité des sciences est le 4e musée de France. Hier, deux expositions ouvraient leurs portes : l’exposition « Star Wars » et l’exposition qui s’intitule « L’ombre à la portée des enfants » [1], sur la lumière, et donc sur l’ombre, on est là en pleine science-fiction dans un cas et pleine science dans l’autre. On parle de tout cela avec Jean-François HÉBERT, dans une petite vingtaine de minutes.
[…]
[41 : 50] Suite ce matin, de notre cartographie des institutions culturelles, c’est une série entamée dans « Les Matins » l’année dernière, qui nous a conduit jusqu’à présent au musée du Louvre, au musée d’Orsay, au Centre Pompidou, au Palais de Tokyo et à l’Opéra de Paris. Chacun de ces musées, chacune de ces institutions a ses spécificités, ses propres contraintes, mais des constantes se dégagent à mi-parcours du marathon, notamment quant au statut de ces superstructures culturelles, qui sont désormais des sortes d’entreprises à vocation culturelle, et à mission de service public. On va voir ce matin ce qu’il en est dans une nouvelle institution, la Cité des sciences et de l’industrie. Elle n’a pas vocation à exposer de l’art, contrairement à tous les lieux par lesquels on est passé jusqu’à présent, mais plutôt à renouer les fils d’une relation paradoxale, compliquée, entre le grand public d’une part et ce qu’on appelle la Culture Scientifique et Technique, d’autres part. On en parle ce matin avec le président de la Cité des sciences et de l’industrie, Jean-François HÉBERT.
Bonjour monsieur !
Jean-François HÉBERT : Bonjour.
Nicolas DEMORAND : Et bienvenue. Cité des Sciences, institution récente qui fêtera donc ses 20 ans l’année prochaine. Est-ce qu’une cité est un musée ? Comment on peut déjà caractériser ce lieu ?
Jean-François HÉBERT : Le paradoxe est dans les termes que vous évoquez. En fait, c’est un musée pas comme les autres. C’est à la fois un peu moins qu’un musée et beaucoup plus qu’un musée. C’est un peu moins qu’un musée parce qu’on n’a pas de collections, entre parenthèses, « ça impose » pour les équipes de la Cité des Sciences une capacité à savoir-faire en matière de médiation tout à fait exceptionnelle, parce qu’on ne peut pas se contenter de présenter des œuvres, si tenté qu’on puisse se contenter de les présenter. Donc, il faut inventer des formes nouvelles de médiation. Et puis, en même temps, c’est une cité, c’est beaucoup plus qu’un musée, c’est à la fois un musée - on va y revenir - mais c’est aussi une médiathèque, la plus grande, spécialisée en sciences et techniques en Europe, c’est un lieu où se passent quantités d’événements, et c’est aussi un centre de conférences. Donc, c’est à la fois tout ça, la Cité des Sciences et de l’Industrie.
Nicolas DEMORAND : Et puis c’est un lieu qui n’est pas dans les beaux quartiers, ou dans les quartiers historiques de la capitale. Il y a 20 ans, quand la Cité des Sciences a été inaugurée, c’était aussi un moyen de rééquilibrer la carte de Paris, en créant une gigantesque institution culturelle dans les quartiers dis défavorisés ?
Jean-François HÉBERT : Disons que ce n’est pas au centre de Paris, ça, c’est sûr, c’est dans un quartier qui est de plus en plus beau quand même…
Nicolas DEMORAND : Et bobo…
Jean-François HÉBERT : De plus en plus bobo aussi, on voit bien qu’il y a une amélioration du quartier, des sièges sociaux s’installent autour de la Cité des Sciences et de l’Industrie, donc c’est un quartier en pleine expansion. Je pense d’ailleurs que le Parc de la Villette, avec toutes les institutions qu’il supporte, joue un rôle absolument structurant dans cette affaire. Ce qui montre bien que la philosophie que vous rappeliez, il y a 20 ans, disons 30 ans, était juste, parce qu’en installant dans ces quartiers des institutions très novatrices, dans un parc qui fait 55 hectares et qui est très moderne, en même temps très ouvert sur le quartier mais qui fait venir des gens de tous les coins de Paris, c’était une très belle idée qui porte ses fruits aujourd’hui.
Nicolas DEMORAND : On va continuer la déambulation pour prendre un peu la mesure des lieux. La Cité des Sciences c’est un paquebot absolument gigantesque. Le bâtiment a été conçu par qui ? Et comment a-t-il vieilli là maintenant qu’il va fêter ses 20 ans ?
Jean-François HÉBERT : Alors au départ ce sont les anciens abattoirs. Beaucoup de gens disent : « Mais où est-ce qu’on trouve la trace des abattoirs ? », il faut quand même imaginer, c’est l’ancienne salle des ventes des abattoirs, le fameux scandale que tout le monde connaît bien. Et à partir de ces soubassements qui étaient réalisés, Adrien FAINSILBER a fabriqué la Cité des Sciences et de l’Industrie. Donc il a descendu le niveau, entouré le bâtiment d’eau, mis des grandes serres très, très high-tech… Un assez beau bâtiment d’ailleurs, qui a plutôt bien vieilli à la différence d’autres monuments que l’on connaît dans Paris, on a utilisé là des matériaux assez solides, finalement assez simples et qui résistent au temps. N’empêche, il y a eu 60 millions de visiteurs depuis l’ouverture, on fête nos 20 ans l’année prochaine, et comme toutes ces maisons il y a besoin d’une réhabilitation. On s’emploie à réhabiliter cette maison. Mais c’est une maison gigantesque. Pour vous donner une idée de la dimension, elle fait 100 000 mètres carrés, 100 000 mètres carrés, et c’est quatre fois le Centre Pompidou. Dans la largeur de la Cité des Sciences, vous mettez la longueur du Centre Pompidou ! Je ne sais pas comment vous l’imaginer, quand vous êtes sur la Piazza, l’impression que vous avez devant le Centre Pompidou. Eh bien c’est la largeur simplement de la Cité des Sciences et de l’Industrie.
Nicolas DEMORAND : Vous avez dit 60 millions de…
Jean-François HÉBERT : 100 000 mètres carrés et 60 millions de visiteurs depuis la création.
Nicolas DEMORAND : Les chiffres disent que la Cité des Sciences c’est le quatrième musée ou le quatrième lieu culturel le plus visité de France, Jean-François HÉBERT ?
Jean-François HÉBERT : Oui, tout à fait. Alors évidemment il faut s’entendre sur la qualification de musée, mais disons que dans l’acception la plus couramment répandue c’est de dire que la Cité vient en quatrième lieu, après le Louvre, évidemment, après Versailles, que l’on recense comme un musée, même si c’est aussi un très beau monument, et puis le Centre Pompidou. La Cité vient ensuite devant Picasso, Orsay, etc.
Nicolas DEMORAND : Alors on a vu dans notre déambulation dans les différents musées, dans les différentes institutions culturelles, qu’il y avait des services maintenant très spécialisés pour faire presque en direct la sociologie des publics. Qui compose le public de la Cité des Sciences ?
Jean-François HÉBERT : Oui, alors on a la chance nous aussi d’avoir eu un observatoire des publics depuis la création de la Cité, et ça c’est vrai que c’est très précieux, parce que quand on est patron d’une boutique culturelle comme ça, on a besoin de connaître son public, connaître ses attentes également, connaître ses frustrations, les déceptions. Donc, on se repose beaucoup sur ces études de public. Le public alors c’est un public de trois millions de visiteurs, arrondissons les choses, trois millions de visiteurs par an. Si on fait une typologie public payant - on y reviendra sûrement - on a deux tiers des visiteurs qui acquittent un droit d’entrée et un tiers, donc un million de visiteurs qui fréquentent des espaces gratuits. En termes de provenance géographique, ce qui est très intéressant, c’est que ça nous distingue de beaucoup de nos confrères. Notre public est essentiellement français, on a simplement 20% d’étrangers. On est très heureux de les avoir d’ailleurs, inutile de dire. Ils viennent surtout du sud de l’Europe. Pourquoi ? Parce qu’il y a très peu de centres de sciences en Italie ou en Espagne, un peu plus dans le nord de l’Europe, et donc nos amis italiens et espagnols sont assez nombreux à la Cité. Donc, 20% d’étrangers, 80% par définition de Français. Intéressant à savoir aussi, un tiers de provinciaux et ce sont des provinciaux qui viennent à l’occasion des vacances, ou avec des groupes scolaires. Donc un tiers de provinciaux, 20%, 30%, reste 50% pour la Région Île-de-France, et dedans 15% qui viennent de Paris intra-muros.
Nicolas DEMORAND : Alors les scolaires là-dedans c’est une population nombreuse, j’imagine, qui vient visiter la Cité des Sciences. C’est votre cible, si j’ose dire, dans l’absolu ?
Jean-François HÉBERT : Non, je ne dirais pas que c’est notre cible, notre cible c’est tous les publics. Et du reste, les scolaires ne représentent que, mais c’est très important, 30% de notre fréquentation. Évidemment, j’insiste sur ce point, ils sont très importants, parce qu’on a une vocation culturelle, pédagogique, et d’ailleurs on fait des efforts maintenant pour être plus lisible, pour donner plus de sens, plusieurs repères à nos visiteurs, on a eu la perception qu’ils étaient un peu perdus dans le champ scientifique, et à la Cité des Sciences en particulier. Donc les efforts des équipes aujourd’hui c’est de donner une direction, de prendre le visiteur non pas par la main pour l’accompagner complètement mais en tout cas l’aider dans sa visite. Donc les groupes scolaires pour nous sont très importants, on accueille 13 000 classes, on n’a pas toujours cette perception que finalement la Cité des Sciences est probablement la deuxième institution en France qui accueille des groupes scolaires. 13 000 classes ça fait 400 000 élèves chaque année, qui sont des élèves du primaire ou du secondaire. Donc on a une très forte effectivement implication en direction des groupes scolaires mais qui constituent d’ailleurs notre fréquentation habituelle je dirais dans la semaine mais on a beaucoup de familles évidemment le week-end.
Nicolas DEMORAND : Et que fait la Cité des Sciences de strictement pédagogique pour les publics scolaires ? Est-ce qu’il y a des formes de médiation particulières ? On sait, et on l’a vu aussi dans cette série que l’on consacre aux institutions culturelles, que les services pédagogiques aujourd’hui sont aussi des lieux en ébullition permanente dans les musées…
Jean-François HÉBERT : Oui, alors on a la chance de ce point de vue-là de disposer de professeurs, d’instituteurs qui sont mis à notre disposition - contre un remboursement, je le précise - pour justement accueillir ces groupes scolaires, préparer la visite des groupes scolaires, leur proposer des animations. Donc, en fait on a tout le temps un dispositif d’accueil de ces enseignants. Du reste, dans notre public, le public enseignant est très présent, c’est une maison qui est très marquée par l’enseignement. Donc les enseignants sont accueillis, préparent leur visite, sont en contact avec d’autres enseignants, et puis la visite se déroule, organisée, alors en fonction de ce que souhaite un instituteur ou ce que peut souhaiter un professeur de telle ou telle matière, mais il y a effectivement des parcours pédagogiques qui sont proposés avec ou pas des animations. Et puis il y a des travaux en groupes, il y a des travaux individuels. On essaye de plus en plus, ça c’est aussi une évolution, de se coller un peu plus que ce que l’on a fait jusqu’à présent aux programmes scolaires.
Nicolas DEMORAND : Jean-François HÉBERT, vous disiez tout à l’heure à quel point il y avait eu aussi chez les fondateurs de la Cité des Sciences, ceux qui ont imaginé ce projet, une volonté sociale au fond d’inscrire le bâtiment là où il est, c’est-à-dire dans les quartiers de l’est parisien qui certes aujourd’hui, vu ce qu’est en train de devenir la capitale, sont des quartiers dont les prix augmentent également, mais qui demeurent, malgré tout, des quartiers extrêmement populaires. Du point de vue de la sociologie, de la composition sociale des visiteurs de la Cité des Sciences, est-ce qu’on repère les mêmes coupures que dans les autres musées, à savoir que ce sont les gens qui viennent naturellement au musée qui y viennent le plus et ceux qui n’y vont pas n’y vont pas plus. J’ai l’impression de faire un truisme là mais c’est quand même assez caricaturale la sociologie des grandes institutions culturelles ?
Jean-François HÉBERT : Oui, je dirais que c’est moins perceptible à la Cité, parce qu’on est vraiment comme vous le disiez au cœur d’un quartier, il n’y a pas tellement d’équipements culturels dans ce quartier. La Cité est très ouverte, elle est très présente, très ouverte, elle offre, et ça c’est une de ses spécificités, beaucoup de services gratuits. Et je le disais tout à l’heure, dans les trois millions de visiteurs qui viennent chaque année dans notre maison, on a un million de visiteurs qui fréquentent les espaces gratuits. Qu’est-ce que c’est que ces espaces gratuits ? C’est notamment la Médiathèque qui accueille presque ce million de visiteurs. Et c’est un lieu où on peut travailler, c’est un lieu où on peut chercher, c’est un lieu où on rend des services. Il y a notamment dans cette médiathèque une Cité de la santé, il y a une Cité des métiers, une Cité des métiers qui accueille 200 000 personnes chaque année qui viennent se renseigner sur une formation, sur une filière. Et puis on a, depuis peu, un Carrefour numérique qui initie les gens aux nouvelles technologies. Eh bien, justement, on observe dans ces espaces une forte présence des gens du quartier : vous avez des mamans avec leurs enfants le week-end qui viennent pour l’enfance de la Médiathèque ou pour tout simplement jouer ou lire des livres, etc., et on voit tous les gamins du quartier réviser leurs examens, lorsque c’est le moment. Donc on a une très, très forte présence des gens du quartier 19e, pas seulement 19e - 18e, il y aussi, n’oublions pas, on est au bord du périphérique, Pantin, Aubervilliers.
Nicolas DEMORAND : Les villes qui sont derrière…
Jean-François HÉBERT : Voilà. L’au-delà du périphérique est très, très, très présent à la Cité des Sciences.
Nicolas DEMORAND : Dernière question avant de passer la parole à Alain-Gérard SLAMA, le statut administratif de la Cité des Sciences et de l’Industrie, c’est quoi ? C’est établissement public…
Jean-François HÉBERT : Établissement public industriel et commercial (ÉPIC).
Nicolas DEMORAND : Ah !…
Jean-François HÉBERT : Industriel et commercial, double tutelle culture et recherche. On est assez à l’aise dans cette double tutelle, on en reparlera peut-être tout à l’heure, moi je revendique le statut d’institution culturelle, pour cette Cité des Sciences mais en même temps, on a un lien fort avec la recherche parce qu’on se nourrit finalement de l’apport des organismes de recherche et de ce que disent les scientifiques, c’est notre métier.
Nicolas DEMORAND : Bon, on analysera aussi le terme « commercial », qui n’est pas inintéressant, et qui est même très important dans ce statut administratif.
Donc la parole à Alain-Gérard SLAMA. Il y a une exposition - ça il faut le dire – qui a démarré hier, qui s’appelle « Star Wars, l’expo », consacrée à la fameuse saga, une autre exposition sur « l’ombre à la portée des enfants », mais c’est « Star Wars », qui vous intéresse ce matin, Alain-Gérard SLAMA, « Star Wars », vu par TOCQUEVILLE…
Alain-Gérard SLAMA : Eh oui, vous poursuivez le panorama des institutions culturelles, moi je continue à poser la question de notre spécificité, de notre exception culturelle, qui est bien faible devant la force et la suprématie du cinéma américain. Alors je…
Nicolas DEMORAND : On en parlait hier, déjà…
Alain-Gérard SLAMA : Et on en parlait déjà hier, en disant fièrement que le cinéma français, c’est 41%, ça veut dire que le reste c’est américain pour l’essentiel, n’est-ce pas, 46% le chiffre exactement, ce n’est pas quand même la moitié. Mais d’où vient cette suprématie ? Eh bien j’ai trouvé la réponse, et j’ai trouvé la réponse de la suprématie du cinéma américain dans TOCQUEVILLE. Et vous allez voir que l’on trouve déjà dans TOCQUEVILLE l’idéologie de « Star Wars ». Car au chapitre II de la première partie de « De la démocratie en Amérique », TOCQUEVILLE observe que les fondateurs de la Nouvelle-Angleterre étaient à la fois d’ardents sectaires, dit-il, et des novateurs exaltés, à la fois bourrés de préjugés religieux et libres de tout préjugé politique. Il en résultait, selon Tocqueville, deux tendances contraires, plutôt diverses mais non contraires, dont on retrouve la trace dans les mœurs comme dans les lois. Alors, en quoi cela consiste-t-il ? Eh bien, d’un côté, les Américains recherchent, avec ardeur les richesses matérielles, et de l’autre, avec une ardeur égale, les jouissances morales : « Le ciel, dans l’autre monde, et le bien-être et la liberté, dans celui-ci ». Ainsi, s’abaissent devant eux les barrières qui emprisonnaient la société dans laquelle ils sont nés. « Une carrière - je le cite – presque sans borne, un champ sans horizon, c’est-à-dire sans limite, se découvre, l’esprit humain s’y précipite, il les parcourt en tous sens ». On a l’impression en lisant ces lignes que Tocqueville tient la caméra de George LUCAS. Mais en même temps, ajoute notre génial observateur, « une fois arrivé aux limites du monde politique, l’esprit américain s’arrête de lui-même : il abjure le doute, il renonce aux besoins d’innover, il s’incline avec respect devant des vérités qu’il admet sans les discuter. Ainsi dans le monde moral, tout est classé, coordonné, prévu, décidé à l’avance. Dans le monde politique, tout est agité, contesté, incertain. Dans l’un, obéissance passive bien que volontaire, dans l’autre, indépendance, mépris de l’expérience et jalousie de toute autorité. Enfin, loin de se nuire, ces deux tendances marchent ensemble et semblent se prêter à un mutuel appui. » Or, cette complémentarité du conformisme moral et de la passion de liberté est, me semble-t-il, ce qui rend le politiquement correct supportable aux États-Unis, et tellement contraignant chez nous. Et c’est ce qui nous enchante - FARRAKHAN est presque plus acceptable que DIEUDONNE –dans le cinéma américain : d’un côté, la simplicité, ou plutôt l’évidence des sentiments moraux, de l’autre, l’extrême liberté des caractères, même dans des scénarios les plus convenus, comme la série « Friends », « Star Wars » n’est pas à proprement parlé manichéen, puisque les personnages passent du bien au mal et réciproquement. Et l’espace vertigineux dans lequel il nous plonge, si on le compare au « 2001 » de KUBRICK, n’inspire pas l’angoisse mais sert au contraire d’appui à une leçon de respect d’autrui, voire – et pour moi c’est une rude leçon - une leçon de multiculturalismes, Nicolas, comme dans le « Caravansérail », où Harrison FORD va jeter un astronef. Un autre aspect de cette dualité observée par TOCQUEVILLE, tient au fait que les masses dans le cinéma américain sont également rarement angoissantes. La caméra cerne chaque second rôle, ou 25e rôle, comme un individu, un caractère singulier, et dans les films catastrophes, notez-le, chacun a sa personnalité, son destin, en général déterminé par sa condition morale, sans être jugé pour autant. Alors je pourrais poursuivre longtemps cette démonstration, je vous rassure, je m’arrête là, mais je la crois éclairante. « Star Wars » correspond aux paysages intérieurs des Américains tels que TOCQUEVILLE le décrivait. Au fond, il y a 170 ans, ce n’est pas si loin…
Nicolas DEMORAND : Merci Alain-Gérard SLAMA. Alain-Gérard SLAMA qui incarne le côté obscur de la force dans « Les matins de France Culture ». Notre invité aujourd’hui est Jean-François HEBERT, le président de la Cité des Sciences et de l’Industrie. Alors première question pratique, on peut la voir cette expo « Star Wars » ou pas, parce que LE PARISIEN ce matin dit que les Jedi de la sécurité sont en grève pour l’expo « Star Wars » et que donc hier il y avait un piquet à l’entrée de l’exposition, qui empêchait les visites. Alors oui ou non ?
Jean-François HÉBERT : Oui, oui, on peut la voir, ils font un peu de musique, mais ça devrait s’arrêter, je pense, le plus vite possible. On peut la voir, elle est ouverte depuis hier, elle sera inaugurée officiellement demain et je pense qu’elle est promise… elle est à l’affiche jusqu’au mois d’août prochain, donc…
Nicolas DEMORAND : 27 août 2006…
Jean-François HÉBERT : Voilà ! elle est promise à un bel avenir.
Nicolas DEMORAND : Ils parlent, les Jedi de la sécurité, des conditions sociales à l’intérieur de la Cité des Sciences, rémunérations, carrière, etc. Qu’est-ce que vous pouvez leur dire, j’imagine qu’ils vous écoutent ?
Jean-François HÉBERT : Je ne suis pas sûr qu’ils m’écoutent à cette heure-ci mais…
Nicolas DEMORAND : Peut-être…
Jean-François HÉBERT : Non, non, on ouvre un peu plus tard aussi, mais je les ai rencontrés hier et on est en discussions avec eux, voilà. Je pense que les choses vont se dénouer. Comme dans toute grosse maison culturelle, il y a des tensions à des moments ou à d’autres. La chance que nous avons à la Cité des Sciences et de l’Industrie c’est que jusqu’à présent en tout cas on n’a jamais refusé le public à cause d’un mouvement que connaissent d’autres institutions voisines. Il y a un très, très fort attachement à cette mission qu’est la nôtre et aux spécificités qui sont celles de la Cité.
Nicolas DEMORAND : On imagine qu’une exposition de ce genre aura du succès, « Star Wars l’exposition ». Est-ce qu’on n’est pas là aux frontières de vos missions, Jean-François HÉBERT ? Est-ce que ce n’est pas une exposition de science-fiction, même si on peut la lire avec les lunettes de TOCQUEVILLE ? Est-ce que ce n’est pas une exposition de science-fiction, qui vous place un petit peu ailleurs que les missions de service public telles que l’on peut les imaginer pour une institution de ce genre ?
Jean-François HÉBERT : Il y aurait énormément à dire là-dessus. On est, pour moi, évidemment en plein cœur du service public, parce que l’objectif d’une telle exposition c’est d’attirer le public à la Cité, d’attirer le public à la Cité pour qu’il bénéficie non seulement de « Star Wars » mais aussi de l’ensemble des offres. Justement, je parlais des études du public tout à l’heure, on a observé que 60% de nos visiteurs, je dis bien 60%, restent plus de quatre heures et demie. Il faut gagner son… quand on est arrivé à la Villette, on en profite. Donc, l’idée est de faire venir les gens - et c’est la politique que l’on conduit depuis quelque temps - les faire venir vers la science, les capter, les garder et puis ensuite leur offrir tout ce qu’offre la Cité. Ça, c’est le premier axe si vous voulez : attirer le public et c’est un élément très, très important aujourd’hui. Cela ne sert à rien d’avoir un musée vide, il faut que les gens soient là. On s’aperçoit ensuite qu’en allant voir « Star Wars », peut-être une heure, une heure et demie, ils vont ensuite aller voir « Einstein », « La population mondiale » ou une autre exposition sur la biométrie qu’on va ouvrir bientôt. L’autre point, c’est que dans « Star Wars » il y a énormément de sciences. Je voudrais insister sur ce point, on n’a pas du tout loué une exposition toute faite aux États-Unis, c’est une exposition faite à la maison, c’est une exposition faite avec les couleurs de la Cité. On a simplement loué 150 objets du culte ou cultes de « Star Wars », qui sont absolument somptueux, pour les fans. On se promène dans cette double trilogie mais on accède à 30 ans d’effets spéciaux et on accède à des questions de sciences.
Nicolas DEMORAND : Il y a un livre très intéressant de Roland LEHOUCQ, qui est publié aux éditions LE POMMIER, co-éditions LE POMMIER CITE DES SCIENCES, « Faire de la science avec Star Wars ». On va y revenir, que la force soit avec vous pour cette exposition, Jean-François HÉBERT, on vous retrouve dans quelques minutes juste après le Journal d’Hervé GARDETTE, qui a sorti son sabre laser. Il est huit heures sur France Culture.
[…]
Nicolas DEMORAND : [01 : 24] Suite maintenant de notre entretien, avec vous Jean-François HÉBERT. On parle aujourd’hui de la Cité des Sciences que vous présidez. Petit bilan d’étape juste avant le Journal d’Hervé GARDETTE, on était entré dans l’exposition « Star Wars » et dans toutes les questions qu’elle pose aussi du point de vue de la programmation d’une institution culturelle de service public. Je vous posais la question de savoir s’il n’y avait pas là tout de même une petite odeur de marketing, et vous me répondiez très franchement, pour le dire d’une formule, qu’on n’attire pas les mouches avec du vinaigre, et que si on peut faire rentrer les gens à la Cité des Sciences pour l’exposition « Star Wars » et qu’ensuite ils peuvent s’égayer dans l’ensemble du bâtiment et dans l’ensemble de ce que vous offrez également à voir, eh bien tant mieux, mission accomplie ! Vous nous disiez également que la Cité des Sciences était aujourd’hui un établissement, vous allez préciser les autres termes, mais j’ai retenu celui de « commercial », qu’on n’a pas encore exploré. Ça veut dire quoi, du point de vue des contraintes ? Vous êtes obligé de présenter des budgets clairs, propres et donc de recruter le maximum de gens possibles, c’est ça ?
Jean-François HÉBERT : Des budgets clairs et propres, j’espère bien, tout le monde est obligé de le faire, évidemment. Non, on est un établissement industriel et commercial… pfff, il ne faut pas exagérer la portée des statuts. En France, on se bloque beaucoup sur ce genre de chose. Moi j’ai l’impression qu’au fond quel que soit le statut on peut se débrouiller dès lors qu’on a une vision claire de sa mission et qu’on veut faire avancer les choses. On est un statut industriel et commercial, ça veut dire simplement qu’on a la gestion directe de nos personnels. Vous savez que dans d’autres établissements, comme le Louvre, ça a été une conquête finalement de pouvoir gérer directement le personnel, quand bien même ces établissements seraient d’un autre statut, qui est établissement public administratif. Nous, on peut gérer nos personnels, on est régi par le droit privé, on peut créer des filiales, mais ce n’est pas une très, très forte distinction par rapport aux autres types d’établissements.
Nicolas DEMORAND : Les conséquences sur la programmation, c’est ça ce qui nous…
Jean-François HÉBERT : Aucune…
Nicolas DEMORAND : Non, ne dites pas aucune, Jean-François HÉBERT …
Jean-François HÉBERT : Mais aucune, aucune, je vous assure. Aucune ! Entre le Louvre, qui est un Établissement public administratif (EPA), et la Cité des Sciences, qui est un Établissement public industriel et commercial (ÉPIC), il n’y a pas de différences en termes de programmations.
Nicolas DEMORAND : Même pour vous, pour faire venir du monde, vous n’êtes pas plus enclin à choisir des thèmes d’exposition, bon, qui, voilà, qui vont ratisser large ?
Jean-François HÉBERT : Cela serait absurde, ça n’a pas de sens. En revanche, je ne renie pas du tout le terme de marketing, que vous évoquiez tout à l’heure. Il me semble évident que les institutions culturelles aujourd’hui doivent se comporter avec un certain professionnalisme. Il faut connaître les attentes du public, il faut savoir ce que le public souhaite trouver à la Cité, ne pas non plus lui offrir que ce qu’il souhaite trouver, savoir aussi ce que la communauté scientifique elle-même sur ce quoi elle est en train de travailler. Il faut évidemment prendre en compte l’environnement, si vous voulez, mais ce n’est pas le statut qui donne ça. Je crois que n’importe quel établissement aujourd’hui, que ce soit Versailles, la Bibliothèque Nationale de France, le Centre Pompidou ou le musée des Beaux-Arts à Lille, doit avoir ce comportement professionnel. Quel public avons-nous ? Quel public voulons-nous conquérir ? Qu’est-ce que la notion de non-public ? Qui ne vient pas à la Cité ? Comment faire pour qu’il puisse venir ? Ce n’est pas une démarche qui est critiquable, c’est une démarche au contraire de service public, qui consiste à exercer la mission et à vouloir diffuser cette forme de culture particulière, qu’est la culture scientifique, à l’ensemble de la population, le terme est un peu grandiloquent.
Nicolas DEMORAND : J’employais de manière volontairement polémique, tout à l’heure, le terme de « vaste entreprise culturelle à mission de service public », pour décrire ce que sont aujourd’hui les musées et toutes ces institutions qu’on a rencontrés, parce que c’est un point commun entre elles toutes. Le point commun, c’est que l’État n’a plus autant d’argent que par le passé, ou en tout cas ne consacre pas autant d’argent que par le passé à ces institutions, qui doivent bien se débrouiller dans un marché qui est extrêmement concurrentiel à l’échelle de l’Europe, et qui doivent faire venir des gens, parce que c’est le nerf de la guerre. D’où la possibilité, le risque, la crainte de logique d’audimat dans les expositions. Tout cela est très finement analysé par des sociologues de la culture, il y a un très bon livre, chez ARMAND COLIN, qui vient de sortir sur le sujet, oui, il y a des logiques d’audimat dans les grands musées, on sait que les impressionnistes ça fait plus d’entrées que tel point mineur de la peinture du XIXe siècle. Comment vous vous débrouillez avec cette question-là ?
Jean-François HÉBERT : On a effectivement ce souci d’attirer le public, il faut qu’il soit là, on a le souci également de lui donner des produits de qualité, de lui offrir des produits de qualité. Donc finalement c’est un mix, il faut évidemment que les gens se mettent en mouvement, se mettent en mouvement vers la Villette, vous l’avez dit tout à l’heure, se mettent en mouvement vers la science, c’est quand même un sujet a priori plus abstrait, plus difficile à mettre en scène. Donc, il faut que ce public vienne. Il faut parler à ses préoccupations quotidiennes. Alors, là, c’est la saga « Star Wars », mais on sait aussi par exemple que les sujets qui tournent autour de la santé, de l’environnement, des nouvelles technologies, sont des sujets qui passionnent les hommes comme les femmes, les enfants comme les parents. Donc, on choisit des sujets, on essaye évidemment - et c’est pour ça qu’on est entourés de conseils scientifiques très nombreux - de capter un petit peu les sujets sur lesquels travaille la communauté scientifique. Aujourd’hui, on est en train de dérouler tout un programme autour du développement durable. On a fait une exposition sur le changement climatique, une sur le soleil, une sur le pétrole, une sur la captation du carbone dans la forêt amazonienne, et là on a une exposition sur la population mondiale, la dimension humaine de ce développement durable.
Nicolas DEMORAND : Ces expos-là marchent aussi bien que « Star Wars » ?
Jean-François HÉBERT : Mais bien sûr ! « Climax » a eu 800 000 visiteurs, 800 000 visiteurs ! « Population mondiale » est une exposition très, très attirante qui va d’ailleurs maintenant « itinérer », comme on dit dans notre jargon, en province et même à l’étranger. Les prochains programmes que nous allons développer de ce point de vue-là sont des programmes qui tournent autour des matières et matériaux, l’univers, parce que l’on sait que c’est là que les chercheurs font des progrès très importants aujourd’hui. Donc on va maintenant se situer sur ce terrain-là. Vous voyez bien, ce ne sont pas simplement des produits qui flattent le public, ce sont des thèmes d’exposition qui sont des thèmes porteurs et qui permettent au public d’accéder à un ensemble de services. J’ajoute un point…
Nicolas DEMORAND : Oui, allez-y…
Jean-François HÉBERT : On a créé un Collège, il y a très peu de temps, qui délivre des cours et qui donne la parole à 250 chercheurs chaque année. Donc, on peut rencontrer à la Cité des chercheurs qui font des cycles de conférences. Donc, on est aussi une tribune pour les organismes de recherche.
Nicolas DEMORAND : Comment est née l’idée de l’exposition « Star Wars » ? Vous avez vu que le coffret de la trilogie sortait en DVD, que donc qu’il y aurait énormément de battage, et vous vous êtes dit : « On va se mettre dans le sillage et on aura une exposition… », c’est comme ça que cela est venu, ou pas ?
Jean-François HÉBERT : C’est tant mieux, si ça a un effet, évidemment, non, ce n’est pas tout à fait…
Nicolas DEMORAND : Ou alors, c’est un hasard heureux ?
Jean-François HÉBERT : Ce n’est pas non plus complètement décalé de notre préoccupation. Non, en vérité, on a mesuré l’impact de cette trilogie, en fait on réfléchit un peu à ce qui intéresse le public et puis ensuite on croise. Et puis là on s’est dit : Voilà, un thème porteur, comment le rendre scientifique, comment faire qu’une grande exposition populaire conduise à la science ? Ça a été ça notre démarche. D’où le fait qu’on l’a fabriquée nous-mêmes et on n’a pas voulu prendre sur l’étagère, comme on dit, une expo toute faite.
Nicolas DEMORAND : À tout de suite, Jean-François HÉBERT. On vous retrouve donc dans quelques petites minutes pour la dernière partie de notre entretien. Marc KRAVETZ, Alain-Gérard SLAMA et Olivier DUHAMEL participeront au débat, Olivier DUHAMEL auquel je laisse la parole maintenant à huit heures et demie sur France Culture.
À 08 :33, on retrouve maintenant Jean-François HÉBERT, pour la dernière partie de notre entretien. Je rappelle que Marc KRAVETZ, Alain-Gérard SLAMA et Olivier DUHAMEL sont maintenant à mes côtés, tout le monde a de nombreuses questions à vous poser. Vous êtes président de la Cité des Sciences et de l’Industrie, on a parlé de l’exposition « Star Wars », qui est la plus visible des deux expositions qui ont ouvert hier, l’exposition sur « L’ombre à la portée des enfants » est un petit bijou dans un genre très, très différent, pour essayer de comprendre les mécanismes de l’ombre et de la lumière, L’ombre à la portée des enfants et des plus grands, j’ai trouvé ça extrêmement amusant en tout cas comme ballade, comme parcours dans une espèce de maison hantée où on est comme ça à la poursuite d’un certain nombre d’ombres, Jean-François HÉBERT. Alors, je n’ai pas la passion des statuts, ni des statuts administratifs ni des étiquettes, mais l’un des enjeux de cette série sur les institutions culturelles c’est d’essayer de voir justement comment dans un paysage, qui est tout même encombré, avec la télévision, le cinéma, Internet, avec un certain nombre d’autres loisirs, comment on peut encore se frayer un chemin vers le musée, avec quelles ressources ? Et la question des fonds qui permettent de financer ces institutions culturelles est une question très importante aujourd’hui. Et Jérôme SANS et Nicolas BOURRIAUD, qui passent la main là, qui étaient les deux directeurs du Palais de Tokyo, nous disaient ici même, quand ils étaient nos invités, que le budget de l’État leur permettait à peine de couvrir un tiers de leurs frais de fonctionnement, de fonctionnement, et qu’il y avait donc des ressources d’argent privé nécessairement qu’il fallait réunir pour que le Palais de Tokyo puisse fonctionner même dans ses missions de service public. Cette question de l’argent, des doubles financements, de plus en plus fréquents aujourd’hui dans les institutions culturelles, comment se pose-t-elle à la Cité des Sciences ?
Jean-François HÉBERT : Elle se pose à la Cité comme partout, mais, moi, j’ai tout de même le sentiment qu’il faut redire que dans le pays qui est le nôtre, on a quand même la chance d’avoir un État qui subventionne très, très fortement, qui soutient très fortement la culture et les institutions culturelles. C’est vrai de l’État et c’est vrai de l’ensemble des collectivités publiques. Moi j’ai l’occasion de me balader dans beaucoup de pays dans le monde et de voir d’autres centres de sciences, je peux vous dire que ce n’est pas tout à fait la même logique. Allez aux États-Unis, allez dans d’autres pays et vous verrez que la question de l’argent se pose très, très fortement, mais au sens où ce sont les institutions privées qui apportent l’argent et qui dictent la conduite de ces centres de sciences. Pour parler uniquement du champ qui est le mien, dans le domaine de la culture scientifique et technique, on a la chance de pouvoir développer des programmations, pas seulement d’expositions, mais de toutes sortes de productions pour le public, qui sont faites en toute indépendance. Et c’est très heureux, je veux dire, on a la chance d’être dans un pays qui a une vraie politique culturelle. Donc il faut déjà dire ça. Alors pour le reste, nous on est dans une situation, comme vous l’avez rappelé tout à l’heure, où on dépend du ministère de la Culture et de la Recherche. 70 à 80% de nos ressources proviennent de subventions de l’État, ça aussi c’est une chance, parce qu’on a un seul financeur et pas plusieurs, ce qui est une différence avec ce que l’on peut voir dans les régions. Donc on a l’État comme soutien principal. Pour le reste, mettons 30%, je vous donne des ressources propres, on a 10% de billetterie, on a 10% de location d’espaces et 10% de partenariat. Donc bien sûr qu’on est toujours à la recherche de sponsors, de mécènes, d’aides diverses et variées, mais on arrive avec tout ça à finalement non seulement conduire notre activité quotidienne et préparer l’avenir. Parce que par ailleurs, vous l’avez dit tout à l’heure, on l’a rappelé, on a 20 ans, il faut réhabiliter le bâtiment, préparer la suite, renouveler les expositions. On essaye de conduire ces mouvements en même temps.
Nicolas DEMORAND : Première question d’Olivier DUHAMEL…
Olivier DUHAMEL : Oui, juste dans la continuité. Sur 20 ans, le montant de l’aide publique pour la Cité des Sciences, il est resté stable, il s’est réduit, il vous a forcé à chercher ailleurs, il a augmenté, quelle est l’évolution sur 20 ans ?
Jean-François HÉBERT : Sur 20 ans, il est plutôt constant en fait, il est plutôt constant. De fait, dans la période très, très proche, ce que l’on observe c’est que l’État nous accompagne dans les besoins qu’on peut avoir pour, comme je le disais, réhabiliter le bâtiment mais parce qu’aussi on fait des efforts nous-mêmes. C’est-à-dire que, voilà, c’est une sorte de contrat qui n’est pas forcément écrit et qui consiste à dire : Vous faites des efforts, vous serez les coûts - là aussi on a des progrès à faire, tout le monde a des progrès à faire dans ce domaine - on serre les coûts, on cherche des financements ailleurs et l’État apporte le complément nécessaire pour avancer. En gros c’est ça. Mais c’est vrai que les sommes n’ont pas augmenté fortement, on a même diminué le nombre de personnel entre le début de l’ouverture de la Cité et aujourd’hui.
Nicolas DEMORAND : Si on regarde vers l’avenir, est-ce que vous croyez, Jean-François HÉBERT, que l’institution culturelle à la française est appelée à connaître des mutations extrêmement profondes ? C’est ce que nous disaient Jérôme SANS et Nicolas BOURRIAUD ici, même dans des contextes qui sont radicalement différents, mais le Palais de Tokyo est une institution culturelle très, très récente, et ils nous disaient qu’ils avaient eu l’impression aussi d’être dans un chantier conceptuel où il fallait qu’ils inventent eux-mêmes les outils de leur propre subsistance, de leurs propres programmations et aussi des nouveaux modes de management, comme on dit, de ces institutions. Vous pensez que le modèle est en train d’évoluer, radicalement ?
Jean-François HÉBERT : Ça évolue certainement pour le Palais de Tokyo que vous évoquez. Je pense qu’ils sont dans une situation très particulière de pionniers finalement, ils démarrent aujourd’hui. Ce n’est pas tout à fait vrai, me semble-t-il, pour les institutions plus anciennes et très anciennes. Nous on a 20 ans, bon, on a trouvé notre place dans le paysage culturel. Des évolutions on en connaît tous, on en a connues, sur le fond comme sur la forme. La Cité des Sciences quand elle a été créée il y a 20 ans, avec ses belles vitrines que je rappelais tout à l’heure de FAINSILBER, elle présentait la science triomphante. Aujourd’hui, la science est en question, c’est des questions, c’est des débats, on ne l’a pas dit assez tout à l’heure mais la Cité est une institution qui maintenant s’engage, elle fait des choses qu’elle n’aurait jamais faites il y a 20 ans. Il y a 20 ans, on aurait présenté des objets, des manips, je dirais un peu tranquillement sans débat, sans problématique. Aujourd’hui, on fait une exposition sur les déchets nucléaires, on a fait une exposition sur le cannabis dans un pays où ce n’est pas légal, on va faire une exposition sur la biométrie, la biométrie qui inquiète et qui en même temps attire. On est sur des sujets aujourd’hui qui sont radicalement différents de ceux qu’on aurait traités il y a 20 ans ou 10 ans ou 5 ans. Donc l’évolution pour moi elle est là, elle est dans le fait que les institutions culturelles maintenant s’engagent dans le débat public. On attire le public, comme on l’a dit tout à l’heure, par des sujets attractifs et on s’engage dans le débat public, parce qu’il faut que les gens aient des repères, des références pour être plus citoyens. Moi je trouve qu’il y a une dimension très forte à la Cité, et je pense que c’est quelque chose qu’on va voir se développer dans beaucoup d’autres institutions, c’est cette dimension citoyenne.
Nicolas DEMORAND : Important de le noter. Question, Alain-Gérard SLAMA…
Alain-Gérard SLAMA : Oui, je voudrais vous interroger sur le point de savoir quelle philosophie vous avez de la vulgarisation scientifique. Car bien souvent la vulgarisation scientifique, ça a été un certain nombre de gens qui sont des passeurs, des transmetteurs, le plus connu est Hubert REEVES, et vous avez eu naguère un président de la Villette, qui est également un formidable vulgarisateur, mais souvent on s’aperçoit que ce sont les grands savants, les plus pointus, qui sont les plus clairs, les plus profonds et qui passionnent le plus le public. Et, on se passe en général des commentaires sur l’article de EINSTEIN de 1905, il vaut mieux lire l’article, c’est plus accessible même à un littéraire comme moi. Donc je vous pose la question : avez-vous une philosophie très précise sur ce point et des liens avec par exemple le Collège de France ou des institutions de ce type ?
Jean-François HÉBERT : Oui, alors, c’est notre métier, la médiation scientifique, je ne renie pas du tout le terme de « vulgarisation » parce qu’on pourrait en discuter longtemps…
Nicolas DEMORAND : C’est un beau terme, c’est un beau terme…
Jean-François HÉBERT : Mais c’est un beau terme, exactement, pour moi, il n’est pas péjoratif. Chez nous, on parle plutôt de médiation scientifique. La Cité, c’est un formidable outil de médiation. C’est vrai que la science est très abstraite et il faut la rendre compréhensible, simple, et au milieu, entre ces connaissances abstraites, ces théorèmes ou ces grandes perceptions cosmiques, et puis la perception qu’en a l’individu que nous sommes chacun, il y a des manips extrêmement simples, qui font comprendre des choses, des choses qui sont très sensibles. Une des grandes forces de la Cité d’ailleurs, un de ces grands challenges ou défis, c’est qu’on touche à la Cité, on sent, on voit, on s’implique avec le corps, avec l’intelligence bien entendu, mais on doit impliquer toute la personnalité pour justement rendre sensibles, tangibles des phénomènes et des perceptions qui sont très abstraites. Donc, cette médiation scientifique, oui, elle est très importante, oui, elle se développe. Moi, je crois que c’est très important. Il n’y a pas que les très grands chercheurs qui sont capables de s’exprimer sur ces sujets, vous l’avez dit, on a de grandes figures, mais on voit se développer, et probablement le mouvement des chercheurs donnera naissance à d’autres personnalités, mais on voit se développer la prise de conscience que la recherche si elle veut obtenir les crédits publics dont elle a besoin doit s’exposer au public, doit aller à la rencontre du public. Donc on voit apparaître une génération de gens qui savent dire des choses simples et faire comprendre des questions compliquées.
Nicolas DEMORAND : On est dans une situation très paradoxale en France par rapport à la culture scientifique et technique puisque les chiffres notamment d’inscription à l’université dans les filières scientifiques démontrent une réelle désaffection, une désaffection même très inquiétante pour un certain nombre de filières, bien que tout ça bouge aussi presque en temps réel, et en même temps il y a un amour de la science, un désir de sciences - on citait tout à l’heure les chiffres de fréquentation de la Cité des Sciences - comment voyez-vous cette situation très paradoxale ? Il y a eu une mobilisation énorme, mobilisation sociale au moment des grèves de chercheurs, c’est très contrasté, comment vous le voyez ça ?
Jean-François HÉBERT : Moi, je crois qu’il faut d’abord nuancer un petit peu la désaffection à l’égard des sciences. Là vous avez très justement parlé des DEUG en fait, de la fac. Il faut quand même dire aussi qu’il y a un nombre de bacheliers scientifiques en proportion égale à ce que l’on connaissait dans le passé. Les gens maintenant continuent à aller vers la science, mais prennent des voies qui ne sont pas forcément celles de la fac, première, deuxième année. Le vrai problème, je dirais de ce point de vue-là, c’est le départ de générations très importantes de chercheurs, notamment dans le secteur public, qui vont partir à la retraite d’ici 2010. C’est là qu’il y aura un vrai problème. Il y a aussi un problème d’enseignants de sciences. Mais lorsque des postes sont proposés à des étudiants, il y a beaucoup de candidats pour ces postes. Donc cette désaffection même mérite d’être un petit peu nuancée, elle est compliquée. Et c’est vrai, vous l’avez dit, parallèlement on observe que nous, au moment où je parle, on est à 30% de fréquentations supplémentaires par rapport à l’année dernière, pas forcément, mais c’est vrai que c’est un peu paradoxal. En même temps c’est très encourageant, ça veut dire que si vous présentez des sujets attractifs, qui parlent aux gens, qui vous concernent directement, si justement on essaye de les rendre un peu plus citoyens, de leur donner des repères, les gens se mettent en mouvement et ont envie de sciences. On a d’ailleurs observé que quand les gens viennent à la Cité des Sciences, ils ont par ailleurs envie d’aller au Muséum d’histoire naturelle comme au Palais de la Découverte, etc., il y a un mouvement, ou d’écouter des émissions scientifiques. Donc il y a un vrai appétit de sciences, et c’est ça qui rend optimiste, je crois, aujourd’hui.
Nicolas DEMORAND : Question de Marc KRAVETZ, littéraire amoureux des sciences…
Marc KRAVETZ : Et de la Cité des Sciences en particulier…
Jean-François HÉBERT : Tant mieux !
Marc KRAVETZ : Je suis un inconditionnel de la Villette et je suis un grand fan de la Cité des Sciences. Je n’ai pas encore vu votre exposition « Star Wars », je n’en ai pas loupées beaucoup auparavant…
Jean-François HÉBERT : Elle a ouvert hier, donc…
Marc KRAVETZ : Non, non, mais je compte bien y aller. Je trouve que c’est une idée formidable, parce que, précisément pour aller dans le sens de la question que vous posait Nicolas DEMORAND à l’instant, il y a ce paradoxe français à l’égard de la science. Au fond, vous trouviez que « vulgarisation » est un beau mot, je crois qu’il n’est pas très en vogue. D’ailleurs, de part et d’autre, on n’aime pas beaucoup dans ce pays et on n’aime pas beaucoup la science-fiction non plus. Le meilleur exemple c’est évidemment que Jules VERNE n’a pu écrire que ce qu’il a écrit en la faisant passer pour de la littérature pour enfants. Quand on regarde ce qu’est la production de science-fiction, que ce soit aux États-Unis, en particulier ou ailleurs, on voit bien que c’est à cœur même à la fois de la littérature, de la philosophie, de la morale, de la politique. Ici, c’est les voitures volantes… voilà… On est dans un domaine de bande dessinée - je n’ai rien contre la bande dessinée, bien au contraire - mais on n’est pas dans cette conquête formidable du public. Et je trouve que c’est une idée extraordinaire de se servir de ce qui en effet fait peut-être le plus vibrer les cerveaux, donc la science-fiction, pour faire partager ce qui dans la science, et c’est ça que je trouve aussi formidable d’ailleurs dans la Cité des Sciences, est quand même très largement de la fiction. La physique quantique si ce n’est pas de la fiction, puisque l’on ne peut rien voir, on ne peut rien toucher, on ne peut rien mesurer…
Nicolas DEMORAND : Et on ne peut rien expliquer, en tout cas en termes simples !
Marc KRAVETZ : Si, mais si on croit comprendre c’est que…
Nicolas DEMORAND : C’est qu’on n’a pas compris !
Marc KRAVETZ : Donc, au-delà de ce compliment, j’ai du mal à cous poser une question mais j’aimerais tout de même… c’est vrai que c’est formidable que ça existe. Ensuite j’aurai une question plus pratique, mais je vous réserve ça pour la fin. Mais, quand même, en dehors de « Star Wars », vous avez d’autres idées de ce genre ? « La science et nous », quoi…
Jean-François HÉBERT : Oui, bien sûr, alors comme toute grosse maison de ce type on a une programmation pluriannuelle. Donc, on sait déjà un peu quels sont les sujets qui vont venir après. Par exemple, après « Star Wars », qui devrait effectivement rencontrer son public, on verra bien dans le temps, mais on imagine d’entraîner le public dans les mondes extra-terrestres finalement. Toute cette cosmologie, on s’aperçoit qu’elle séduit énormément les individus que nous sommes. D’ailleurs, la commémoration d’EINSTEIN a été très intéressante de ce point de vue-là, parce qu’on est tous repartis dans l’univers, vers l’infiniment grand et aussi l’infiniment petit. Je pense que pour les hommes et les femmes ce sont des questions permanentes. Donc, on pense qu’après « Star Wars » on traitera de ces mondes qui nous posent question à tous, est-ce qu’il y a d’autres formes de vie possibles, est-ce qu’on retrouve d’autres individus à travers le cosmos ? Donc, c’est une chose. Mais, on parlait tout à l’heure de « l’ombre à la portée des enfants », qui succède à « Crad’ Expo », qui a été, dans un autre registre tout à fait différent, un énorme succès…
Nicolas DEMORAND : C’était le registre des gaz, des vents, des renvois, enfin du corps dans toutes ses expressions…
Jean-François HÉBERT : Oui, c’était le fonctionnement intime du corps, et d’expliquer ça sous un mode scientifique, très ludique, finalement ça été un très, très gros succès, qui n’était pas forcément inscrit d’avance. On ne pouvait pas trop savoir si dans notre pays ça marcherait. Mais bon. Après ça, par exemple, on imagine travailler, des équipes sont déjà dessus, sur la sexualité. La sexualité, on aimerait traiter ce sujet à la manière Cité des Sciences, très ludique et très pédagogique, pour les préadolescents, peut-être faire une grande exposition sur les sexualités pour les adultes. Ce sont des thèmes sur lesquels nous travaillons aujourd’hui. Mais je reviens un tout petit peu sur ce que vous disiez sur « Star Wars ». C’est vraiment l’axe qui nous anime, c’est un univers extraordinaire, on n’aime ou on n’aime pas, mais c’est quand même un univers tout à fait particulier, que celui de « Star Wars », en même temps cela permet d’arriver à la science, de comprendre des phénomènes. Vous parliez de Roland LEHOUCQ, tout à l’heure, l’astrophysicien qui nous a accompagnés dans cette expo, il explique le phénomène du sabre laser : est-ce que c’est possible un sabre laser ? Pourquoi quand les rayons s’entrechoquent ils font du bruit ? bref. Il explique qu’est-ce que c’est la force, l’étoile de la mort, c’est quoi cette puissance, est-ce que c’est possible ? Est-ce qu’une planète peut être une planète océan ? Est-ce qu’une ceinture d’astéroïde ça existe, et pourquoi oui et pourquoi non ? Finalement, note pari c’est justement à partir d’univers comme ça qui sont culturels, très culturels finalement, mettre les gens en mouvement pour accéder à la science.
Nicolas DEMORAND : Question rapide, Marc, parce que j’ai quelques questions réactionnaires ensuite pour finir, pour Jean-François HÉBERT…
Marc KRAVETZ : Oui, j’ai une question très pratique, je voulais la reporter à la fin. Vous parliez tout à l’heure de la situation géographique de la Cité des Sciences à Paris, la Villette, les quartiers Est de la capitale, qui ne sont peut-être pas en effet les plus prospères en matière d’équipements culturels. Je voulais vous poser une question quasiment chauvine : vous êtes aussi les voisins d’un établissement, qui est à la fois muséographique, culturel et l’un des plus beaux au monde à part le musée Smithonian de Washington sur le même thème, qu’est le musée de l’Air et de l’Espace du Bourget, qui est un endroit extraordinaire, qui lui, en revanche, vos trois millions de visiteurs ils peuvent vous les envier, parce qu’on peut manger parterre tellement c’est propre, mais c’est vrai que le public y est assez peu… mais il est très bien accueilli au demeurant. Ma question elle est toute simple : à quand une navette, c’est à 20 minutes l’un de l’autre, qui permettrait de visiter la Cité des Sciences et d’aller au musée de l’Air et de l’Espace du Bourget ?
Jean-François HÉBERT : D’abord, je dirais que le musée de l’Air et de l’Espace décolle en ce moment. Il y a un vrai frémissement qu’on observe depuis…
Marc KRAVETZ : Oui, pour la première fois il y a un civil à sa tête !…
Jean-François HÉBERT : Oui, mais il décolle bien et en plus c’est très dynamique, donc il est beaucoup plus présent. Moi, j’ai eu l’occasion dans des vies antérieures de bien le connaître et c’est vrai qu’il y a des richesses formidables, qui méritent d’être mieux exploitées. Donc, on est en contact, justement avec le civil dont vous parlez pour voir un petit peu ce qu’on peut faire. La clé de tout ça…
Marc KRAVETZ : Gérard FELDZER, il s’appelle…
Jean-François HÉBERT : Exactement, avec Gérard… mais la clé de tout ça c’est finalement la ligne de métro, on sait bien, et on est sur la même ligne de métro, donc ce n’est pas forcément des bus, ça serait cette fameuse ligne qui verra peut-être le jour, qu’on aurait pu voir naître, avec tous les grands projets qui intéressaient le Nord de Paris, mais je pense qu’un jour ça se fera et que les gens pourront faire cette navette entre les deux maisons. Cela étant, il y a énormément de choses à voir au musée de l’Air et de l’Espace, il y a énormément de choses à voir à la Cité. Donc, ce n’est pas si évident qu’il faille dans une même journée aller dans les deux. Ce qui en revanche est très intéressant c’est d’inciter les gens à aller voir les deux.
Nicolas DEMORAND : On parlait tout à l’heure de la question de la désaffection relative, compliquée, complexe, paradoxale pour les sciences. Un certain nombre de scientifiques qui étaient les invités des « Matins de France Culture », qui disaient que dans les facteurs explicatifs il y avait peut-être cette idée que la science est un effort, c’est une discipline difficile, c’est une discipline avec laquelle on fait l’expérience à chaque fois de l’illimitation du savoir, donc on est très peu de chose, on est rien, une vie d’homme ne suffit pas à explorer ce qui reste à découvrir dans le savoir scientifique. Est-ce que la Cité des Sciences à travers ses expositions, je dois le dire, remarquablement faites, n’entretient pas le mal entendu ? Le ludo-éducatif, c’est marrant, on est là, on bidouille, on joue, on fait mumuse avec un certain nombre d’installations et l’idée c’est que la science finalement, c’est un grand jeu. Et quand on arrive, non pas au cœur du problème, mais même à ses marges, c’est-à-dire à faire un tout petit peu de science de manière sérieuse, on s’aperçoit que ça n’est pas du zapping, que c’est compliqué, que c’est difficile, que c’est un chemin ardu. Est-ce que le ludo-éducatif n’est pas une arme à double tranchant ?
Jean-François HÉBERT : Moi, je ne pense pas, je pense que le plaisir de comprendre est quelque chose de très important à quelque niveau qu’on se situe. Et nous on le perçoit quand on voit les visiteurs, ils s’amusent certes, vous dites qu’ils font mumuse, certains font mumuse mais d’autres…
Nicolas DEMORAND : Moi j’ai fait mumuse !…
Jean-François HÉBERT : Oui, oui, bien sûr, et heureusement d’ailleurs, certains font mumuse et on peut le faire à la Cité des enfants, mais en même temps on découvre des phénomènes, on découvre sur soi, on découvre sur le monde, c’est beaucoup plus sérieux que vous ne le laisser entendre, je crois. Cela me semble une démarche très importante. Après, s’il faut en faire son métier, c’est une autre affaire, je pense que c’est un cheminement. Nous, notre prétention elle est modeste, c’est…
Nicolas DEMORAND : Mais il y a des débats terribles à l’intérieur de l’école, Jean-François HÉBERT, sur ces sujets-là. Est-ce qu’il faut avoir un rapport savant au savoir ou multiplier toutes les activités annexes qui permettent d’attirer les gens, les élèves et de leur montrer que travailler c’est important, que la science c’est bien ? Est-ce qu’il faut amuser ou est-ce qu’il faut apprendre ? Est-ce qu’on peut faire les deux surtout ?
Jean-François HÉBERT : Mais bien sûr, d’abord on doit faire les deux me semble-t-il et la référence à l’école que vous faites me semble très intéressante. Ce que fait un musée de sciences, comme la Cité des Sciences, c’est apporter une petite contribution à ce goût des sciences. Mais ce goût des sciences en matière éducative, qui doit le donner ? La famille, l’école, les chercheurs, pourquoi pas, les industriels, les politiques, les médias que vous êtes, les associations, qui sont sur le terrain et les centres de sciences ? Chacun apporte sa contribution, il ne faut pas faire peser sur un type d’institution toutes les responsabilités bien entendu. C’est comparer…
Nicolas DEMORAND : La vôtre est visible, c’est pour ça que je vous pose la question et elle reçoit du monde !…
Jean-François HÉBERT : Elle reçoit du monde. Mais si vous voulez, c’est bien entendu un complément, on reçoit des groupes scolaires, je le disais tout à l’heure, 450 000 élèves et c’est un complément à ce qui est dispensé à l’école, il faut le voir comme ça, un prolongement de ce qui se fait à l’école. Jamais le musée du Louvre n’a prétendu faire l’éducation artistique de tous les Français. En revanche, en allant au musée du Louvre, vous progressez et vous trouverez le goût de l’art. Pareil pour Orsay ou pour le Centre Pompidou.
Nicolas DEMORAND : Mais ce n’est pas en allant à l’école qu’on a des cours sur ce sujet-là. On ne va pas ouvrir le dossier de l’éducation artistique à l’école. En tout cas, merci infiniment, Jean-François HÉBERT, d’avoir été notre invité aujourd’hui.
Jean-François HÉBERT : Merci !
Nicolas DEMORAND : Je rappelle que vous êtes président de la Cité des Sciences et de l’Industrie qui a ouvert, hier, 18 octobre l’exposition « Star Wars » et l’exposition « L’ombre à la portée des enfants »
Encore merci, il est 08h 55 maintenant sur « France Culture ».
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