L’enfer du sexe est un petit roman pornographique écrit très vite, pour gagner de l’argent, par un auteur débutant qui ne prétend pas au génie, ni même à une grande maîtrise de sa langue. Si je le mets tel quel en circulation, sous mon nom, c’est pour protester à ma manière, c’est pour attirer l’attention. Sur quoi, contre quoi ?
Au début de 1970, les éditions du Seuil mirent en vente la traduction du livre d’un Brésilien nommé Marighela, Pour la libération du Brésil. Le livre fut immédiatement saisi et interdit par M. Marcellin, puis quelqu’un eut l’idée de le faire rééditer non plus par un seul éditeur, mais par vingt-quatre, conjoints et solidaires, que M. Marcellin devrait alors poursuivre tous, ou aucun, laissant dans cette dernière hypothèse l’ouvrage en libre circulation. Cette astuce, qui n’aurait eu aucune chance en Chine, en Russie ou en Espagne, réussit parfaitement. On peut, depuis l’été 1970, se procurer le livre de Carlos Marighela dans toutes les bonnes librairies.
Ce succès m’avait vivement frappé, car il avait été obtenu au nom de la liberté d’expression. Voici en effet le texte imprimé sur la couverture du livre :
« Si le livre de Carlos Marighela Pour la libération du Brésil, est aujourd’hui réédité à firme commune par les éditeurs dont le nom figure sur la couverture, cela ne signifie pas que tous ces éditeurs approuvent solidairement les positions défendues par ce livre et les formes de combat préconisés.
Cela signifie qu’ils ne peuvent admettre que, dans un pays démocratique, l’administration puisse interdire, en utilisant un décret du 6 mai 1939 pris pour la nécessité de la défense nationale, la diffusion de n’importe quel livre étranger sans donner de motifs à l’auteur ou à l’éditeur, et sans en demander au préalable l’autorisation à un tribunal. Tel a été le cas de ce livre.
Devant un acte aussi arbitraire, qui porte atteinte tant au libre exercice de leur métier qu’aux droits de tous les citoyens, ces éditeurs rappellent qu’aux termes de l’article 11 de la déclaration des Droits de l’homme et du citoyen, qui fait partie de notre constitution, « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »
C’est pour affirmer la valeur fondamentale de ce droit que ces éditeurs se sont associés pour publier le présent ouvrage et se déclarent solidairement responsables de cet acte. »
Séduit comme moi par l’efficacité de la manœuvre, Roland Laudeubach (Éditions de la Table Ronde), qui ne cache pas des idées plutôt de droite, avait demandé à quelques-uns de ses confrères s’ils seraient également conjoints et solidaires pour défendre de la même manière un de ses livres, en cas de poursuite. Les réponses furent assez vagues. À mon tour, j’envoyai le 30 octobre 1970, à tous les coéditeurs de Marighela, la circulaire suivante :
« Mon cher confrère,
À l’occasion de la réimpression du livre de Carlos Marighela, Pour la libération du Brésil, j’eus le plaisir de lire votre nom à côté du mien parmi ceux des éditeurs qui défendaient « la libre communication des pensées et des opinions ». Le livre n’a pas été poursuivi de nouveau, et il semble bien qu’en nous groupant pour sa défense, nous ayons obtenu un premier succès.
Nous sommes quelques-uns à penser qu’il conviendrait de profiter de l’avantage acquis pour liquider le problème de la censure dans son ensemble. Il vient d’être approuvé qu’en nous unissant, nous pouvions permettre la libre circulation d’un livre « de gauche ». Il nous reste à prouver la même chose pour un livre « de droite » et pour un livre « contraire aux bonnes mœurs ». Nous aurions ainsi éliminé les trois principaux prétextes de la censure. Éventuellement nous pourrons continuer par des ouvrages ayant encouru des poursuites pour d’autres motifs.
En ce qui concerne les livres de droite, je crois que notre confrère Laudenbach, des Éditions de la Table Ronde, aura bientôt des suggestions à nous faire. Pour moi, je m’engage à signer avec lui tout livre qu’il proposera, quel qu’en soit le texte, que d’ailleurs, je ne lirai pas, comme je l’ai fait en ce qui concerne Pour la libération du Brésil.
Pour l’outrage aux bonnes mœurs, je tiens à votre disposition les épreuves d’un petit roman pornographique sans mérites littéraires, écrit par un inconnu pour gagner un peu d’argent. Il n’y a donc aucune confusion possible : c’est le seul problème de liberté d’expression qui, là aussi, est posé dans toute sa pureté. Titre du livre : L’Enfer du sexe.
J’ai donc l’honneur de vous demander si, dans les mêmes conditions que pour Marighela, vous acceptez que le nom de votre maison figure avec le mien sur la couverture.
Cordialement vôtre.
PS : Bien entendu, une courte préface dont le texte vous serait soumis, expliquerait le sens de notre action. »
Première surprise : treize réponses. Deuxième surprise : quatre oui, plus ou moins nuancés. Les neufs autres s’expliquaient poliment, avec à peu de chose près les mêmes raisons ; on ne pouvait pas défendre n’importe quoi. D’ailleurs, me fit-on savoir, mon initiative tombait particulièrement mal. Le monde de l’édition littéraire était en train de se grouper pour une offensive anti-censure beaucoup plus sérieuse, et j’allais voir ce que j’allais voir.
Je vis en effet paraître, le 8 novembre 1970 dans Le Monde, une « tribune libre » de Jérôme Lindon (Les Éditions de Minuit). Analysant avec beaucoup de pertinence les absurdités de la loi du 16 juillet 1949, modifiée en 1958 et en 1967, Jérôme Lindon prenait vigoureusement la défense d’un livre qui venait d’être frappé des trois interdictions (affichage, publicité, vente aux mineurs) : Éden, Éden, Éden, de Pierre Guyotat, édité par Gallimard et préfacé par Michel Leiris, Roland Barthes et Philippe Sollers (pas moins).
Au passage, J. Lindon écrivait des choses curieuses, par exemple :
C’est un livre d’une approche difficile, même pour un adulte averti. Si l’on songe qu’un ouvrage comme Les Onze mille Verges (Éditions l’Or du temps) attribué à Apollinaire, qui est assurément, selon les termes de la commission consultative, « une accumulation de vices les plus variés, l’érotisme, la pornographie et les perversions de tous genres y voisinant avec la scatologie et le sadisme », et de surcroît rédigé dans un style clair et alerte, quand on songe qu’un tel ouvrage, paru en 1968, n’a pas fait l’objet de la moindre interdiction aux mineurs, on peut se demander qui, au ministère de l’Intérieur, a bien pu lire Pierre Guyotat. »
On me proposa ensuite, sous la forme d’une belle circulaire sur papier couché reproduisant l’article de Lindon, de signer une pétition de protestation. Les soussignés s’élevaient « contre l’usage arbitraire qui est fait d’une loi destinée à l’origine à la protection de la jeunesse et qui est manifestement détournée de son sens » (c’est vrai). Ils protestaient aussi « contre l’interdiction qui frappe le roman de Pierre Guyotat, Éden, Éden, Éden, dont la presse dans son ensemble a souligné l’importance littéraire. »
Et de fait, la presse soulignait : une page dans l’Express, deux dans l’Observateur ; les autres suivaient. Vingt et ans après, la loi de 1949 mobilisait les journaux. On reparlait de liberté d’expression. Un grand vent de fronde soulevait les salons parisiens.
Ce que je voudrais faire remarquer d’abord, c’est que ni la censure ni la liberté d’expression ne sont en cause dans ce genre d’affaires, et que l’une n’y est pas plus attaquée que l’autre n’y est défendue. Il s’agit toujours d’une censure (contre tel ou tel livre) d’une liberté d’expression (pour certaines idées). Mais la liberté d’expression, est-ce que ce n’est pas pour tout le monde, ou pour personne ? La censure, est-ce que ce n’est pas une menace pour tout le monde, pas pour un intérêt particulier, ou l’autre ? C’est au moins la grosse idée toute bête qu’on peut avoir de la chose.
Que ce ne soit pas une idée répandue, on peut s’en douter. Qui donc, dans le fond de son cœur, souhaite pour les autres la liberté qu’il réclame pour lui-même ? Peu de gens. Il ne faudrait pas pousser beaucoup certains éditeurs poursuivis pour leur faire avouer que « s’ils étaient le gouvernement », ils interdiraient aussi des livres. On est presque toujours censeur de quelqu’un, et sous d’excellents prétextes dont le catalogue pittoresque, un peu long, n’a pas sa place ici. En publiant L’Enfer du sexe, je m’en prends seulement aujourd’hui au pire de tous, au plus hypocrite, à mon avis, au plus utilisé de nos jours, comme on l’a vu : le « mérite littéraire ».
Cette affaire Guyotat me dérange. Il me dérange aussi d’entendre un éditeur bafouiller devant le tribunal en essayant de trouver du « lyrisme », à un petit bouquin porno qu’il avait bien d’autres raisons de publier. Je n’aime pas plus entendre le substitut, au même procès, faire l’éloge de Georges Bataille « qui lui, au moins, faisait honneur à la langue française », pour mieux écraser son médiocre accusé. Il me semble encore que l’excellence page consacrée par Le Monde, pour une fois, le 17 janvier 1971, à la censure, est gâchée par cette allusion, tout d’un coup, à des auteurs et à des éditeurs « dignes de ce nom ». C’est d’abord que pendant vingt ans j’ai été, moi aussi, un éditeur « indigne de ce nom ». Vingt ou trente condamnation, je ne sais plus. Privé de mes droits civiques, naturellement. Mes auteurs interdits s’appelaient Sade, Pauline Réage, Georges Bataille, justement. La première édition du Dictionnaire de sexologie a été interdite en son temps avec Les larmes d’Eros, comme Éden, Éden, Éden, il n’y a pas si longtemps. Et puis vers 1965, tout a changé. Sade fait partie de notre histoire littéraire. Bataille « honore la langue française ». Le Dictionnaire de sexologie, traduit dans tous les pays, est en vente libre en France. On me cite en exemple à la commission de protection de l’enfance pour mieux persécuter Losfeld, Régine Deforges ou Martineau. Je suis sorti en peu de temps de l’indignité. Pour entrer dans quoi ?
Il y aurait donc un mérite littéraire, comme il y a un mérite agricole, et qui devrait protéger de toute poursuite les ouvrages qui en sont décorés ? M. Guyotat, ses trois préfaciers et son illustre éditeur, tout comme moi, en auraient le grand cordon, et c’est par une bien regrettable méprise qu’ils seraient interdits, oh ! honte, à l’affichage ?
Je comprends mieux ma naïveté, et tout ce que je pouvais déranger en prétendant que vingt-quatre éditeurs essaient, une fois pour toutes, d’avoir la peau de la censure, alors qu’il ne s’agissait que de solidarité professionnelle envers un cher confrère, un peu gêné et digne de ce nom.
Ne nous égarons pas. Bien sûr que c’est de la provocation, si je demande au directeur d’Esprit de signer avec moi L’enfer du sexe. Mais il faut bien voir que tout le problème est là, du moins dans son aspect judiciaire, donc social. Quoiqu’en disent les avocats, le procès de La Polka des Braguettes n’est pas celui Madame Bovary, mais juridiquement, il ne peut être différent. C’est toujours le même malentendu, bizarrement entretenu des deux côtés de la barre. « En condamnant Cerise, vous condamnez Les Fleurs du mal, dit l’accusé. » Et le tribunal démontre aisément le contraire. Qui a gagné ? Ce n’est pas très sérieux. L’obscénité est l’obscénité. Si l’outrage aux bonnes mœurs existe, il ne peut pas être plus fort qu’avec Sade ou Bataille, qu’on ne poursuit plus. J’aimerais lire quelques pages de L’histoire de l’Œil devant les juges de L’enfer du sexe, pour l’édification de mon substitut amateur de belles-lettres. En retombant chaque fois dans l’ornière de la valeur littéraire, défenseurs et procureurs renvoient indéfiniment le vrai procès, celui qu’il faudra bien plaider un jour, et dont le thème est très simple : y a-t-il, oui ou non, une justification quelconque à la liberté d’expression ?
Il me semble que c’est une question importante, et qu’elle nous concerne tous plus ou moins. Il me semble, allons plus loin, qu’il n’y en a pas beaucoup de plus importantes, et que la vie des générations qui viennent peut en être changée. Or je n’ai pas du tout l’impression qu’on la pose bien, ou que les réponses que l’on y donne soient les bonnes, dans un parti ni dans l’autre. Même, tout se passe comme si ces réponses que l’on fait, et auxquelles, au fond de soi-même, on ne croit pas, n’étaient ici ou en face, que des lignes de défense provisoires, faites pour être abandonnées après avoir retardé le plus possible un engagement, qui de fait ne vient pas vite.
Par exemple, on a longtemps parlé de la protection de la jeunesse. On en parle encore un peu, mais c’est déjà dépassé. Tout le monde sait que la pornographie n’est dangereuse pour personne. Jean Cau, Michel Cournot et Marcellin sont les derniers à faire semblant de croire que la pornographie mène à Auschwitz, et que les officiers grecs ne tortureraient pas s’ils n’avaient pas lu Histoire d’O. On connaît, en 1971, la différence qu’il y a entre les actes et leur description littéraire. Tous les gens de bonne foi, et c’est le plus grand nombre, quoiqu’on en pense, refusent désormais de croire au croquemitaine d’une sexualité dévoreuse de petits enfants et de société sans défense.
Plus intéressantes, peut-être, sont les justifications politiques de la censure. En gros, ce sont les mêmes à gauche qu’à droite, à une nuance près. Pour la droite, il y a d’un côté une élite éclairée, adulte, mâle, de race blanche, qui a le droit de tout lire, protégée qu’elle est des perversions morales et politiques par une éducation et une puissance intellectuelle héréditaires. De l’autre, il y a les prolétaires (avant 1789 les paysans), les femmes, les nègres, les sous-développés, qui ne peuvent accéder à l’élite qu’un par un, dans des cas exceptionnels. Leur apprendre à lire est déjà dangereux. La liberté d’expression les tuerait, pour les avoir roulés trop brutalement dans le stupre et le marxisme. Dans l’intérêt de tout le monde, il faut maintenir l’ordre. La censure va de soi.
Pour la gauche la situation de base est la même : privilégiés (élite), masse. Le but, évidemment, change. La masse, longtemps opprimée, doit prendre le pouvoir. Demain les prolétaires, les femmes, les sous-développés, les nègres, règneront sur l’univers. Demain. C’est le sens de l’histoire ; à tout prix, il faut éviter de la perturber en faisant réfléchir dès aujourd’hui cette grande armée en marche à trop de choses à la fois. La liberté d’expression est donc l’ennemie de la liberté tout court, et la censure révolutionnaire, très différente de la censure de classe, est nécessaire.
Nous sommes en train, à ce qu’il paraît, d’assister à l’agonie de toutes ces idées généreuses, d’origines si différentes. On trouvera de moins en moins de monde pour remettre son bonheur personnel entre les mains d’un chef, d’un dieu, d’un père plus ou moins spirituel, qui agisse « pour le bien » de sa charge d’âmes bien aimées. Et en passant je voudrais donner raison, en tout cas sur un point, à la fois à Staline, Pie IX, Joseph de Maistre, Marcellin, la comtesse de Ségur et François Maspéro : Gutenberg a tout gâché. C’est vrai que les romans rendent les femmes rêveuses, que Jean-Jacques Rousseau a préparé la prise de la Bastille, et que les livres et les journaux peuvent donner aux ouvriers des idées qui ne sont bonnes ni pour les patrons ni pour les syndicats. C’est vrai que le temps passé à lire des frivolités est perdu pour la révolution autant que pour les cadences. Il y a, c’est certain, un grand danger pour beaucoup de systèmes et d’institutions à ce que chacun s’informe et se distraie sans directives. Oui, la lecture donne des idées, les idées peuvent mener à l’idée de liberté et l’idée de liberté à l’utopie du bonheur. Ce n’est pas raisonnable.
Mais quoi ! c’est trop tard. L’imprimé s’est multiplié. Le son et l’image, s’en sont mêlés ensuite, et dans l’univers entier, même dans les pays les mieux gardés, n’importe qui peut tomber un matin sur l’information, le texte, le poème, qui risque de changer sa vie. Un jour ou l’autre, même les Albanais liront des livres interdits.
Alors on nous parle d’ennui ; c’est le dernier épouvantail. Il y a eu l’histoire de ce qu’on appelle, improprement, « le rapport Nixon » : la pornographie ne conduit ni à la violence, ni même à la sexualité, elle conduirait à l’ennui. Jean Dutourd a dit là-dessus, comme à son habitude, des choses intéressantes, un peu courtes, et bien tournées. Il parle « de ce qui fait les charmes de la vie : le péché ». Il évoque un monde où il n’y aurait « plus de passions, plus de jalousie, plus de vice, plus de crimes. Seigneur ! ce sera à se jeter par la fenêtre ». Bataille, toujours lui, disait un peu la même chose, plus gravement, et il évoquait le sens du sacré. Tout cela est peut-être un peu plus sérieux que le reste et vaut en tous cas qu’on s’y arrête.
Au vrai, je n’ai pas encore là-dessus de réponse circonstanciée. Et puis nous voilà loin du mérite littéraire. Pourtant il y aurait à dire. Entre autres, est-ce qu’on ne revient pas là justement, à une réflexion toute personnelle ? En ce qui me concerne, par exemple, une éducation fort libre et une existence assez aventureuse n’ont jamais permis au sens du péché de prendre la moindre part à mes plaisirs , qui ne m’en ont pas paru négligeables pour autant. Le spleen ne me ronge guère. Quand au crime, qui s’ennuierait si l’on arrivait à s’en passer ? Donatien de Sade et Jean Dutourd, semble-t-il, pas moi. Mais c’est l’affaire de chacun. La dernière fois que j’ai parlé en public contre la censure, il y avait à mes côtés un jésuite qui réclamait gaiement le droit à la pornographie. Comment il s’en arrangeait, demandez-le lui ; il me semble que cela se passait le mieux du monde. En fait, je crois qu’on retrouve là le débat sans fin entre ceux qui craignent à la fois l’avenir et leur prochain, et les autres. L’instruction obligatoire, le gaz de ville et le vote des femmes ont soulevé, et soulevèrent encore, exactement les mêmes objections.
Demain, c’est un fait, à moins que les petits Chinois et les Marcellin ne nous mangent, toute censure aura disparu. Et alors que se passe-t-il ? D’un côté, celui de l’ordre publie, certainement rien : les Français, en tous cas, n’achèteront pas plus de revues danoises, et pas moins de cannes à pêche. Les formidables motivations créées par la censure et la religion, de toute manière, auront disparu. Le commerce de la sexualité en sera donc réduit aux lois de l’offre et d’une demande authentique. Voilà pour les affaires. Mais la société ? Toutes les idées politiques circulent librement, il y aura, encore plus qu’aujourd’hui, de curieux mélanges politiques dans certaines têtes. Dans la pratique, les gens de bon sens seront de plus en plus nombreux à savoir que la bonne politique ne se fait pas avec des idées, étant surtout l’art de vivre ensemble. Et aussi, s’il y a vraiment moins de crimes, ils feront comme moi, ils se feront une raison. Les journaux changeront alors beaucoup. La police aussi. Dans les deux cas, qui s’en plaindrait ? Et les individus ? Leurs passions auront-elles vraiment disparu avec les interdits légaux ? Ce serait dommage, mais je n’en crois rien. Tout au plus, à leur tour, prendront-elles un nouveau visage. Des passions nouvelles, quelles merveilles !
Là, nous quittons Fourrier pour passer chez Madame Soleil. Il ne s’agit pas de l’avenir. Aujourd’hui, en ce début de 1971, en France, la censure règne. Par le jeu de différentes lois, le gouvernement (peu importe lequel), peut à tout moment interdire ce qu’il veut. Résumons. Je dis simplement que tous les moyens d’expression doivent êtres libres, et qu’il faut modifier les lois actuelles en conséquence. Je soutiens que tous ceux qui veulent nous faire signer des pétitions pour défendre UN livre, sous prétexte de mérite littéraire ou de bon esprit politique, justifient, volontairement ou non, toutes les poursuites contre d’autres livres, tout autant que les éditeurs qui refusent de reconnaître qu’ils font de la pornographie, comme d’autres de la bonne presse, pour gagner leur vie. Je prétends que nous en sommes au moment où le vrai débat doit s’ouvrir, où toute digression fait le jeu de l’ordre moral, et où tout le monde doit prendre position nettement sur le fond du problème. C’est ce que je crois faire, pour ma part, en publiant un livre pornographique qui me paraît sans intérêt littéraire. Voilà tout.
Maintenant vous pouvez lire, ou ne pas lire, L’enfer du sexe, qui n’est là que pour la démonstration. Dans les vingt-quatre francs que vous avez payés, il est par-dessus le marché.
Éclaircissements, notes et commentaires
a) Les vingt-quatre coéditeurs de Marighela : Aubier-Montaigne, Christian Bourgois, Buchet-Chastel, Le Centurion, Le Cerf, Armand Colin, Denoël, Esprit, Flammarion, Gallimard, Grasset, Fasquelle, Pierre Horay, Robert Laffont, Magnard, Maspero, Mercure de France, Minuit, Robert Morel, J.J. Pauvert, Seghers, Le Seuil, La Table Ronde, Claude Tchou.
Les treize réponses, échelonnées du 4 novembre au 12 janvier : Minuit, La Table Ronde, Aubier, R. Morel, Gallimard, Esprit, Le Seuil, le Centurion, C. Bourgois, F. Maspero, P. Horay, Magnard, R. Laffont. J’en attendais deux ou trois.
Quatre oui. Un sans réserves ni conditions • R Laudenbach, par téléphone. Un, « sous réserve d’avoir lu la préface » : R. Morel, par lettre. Un, « sous réserve de la qualité du texte » : C. Bourgois, verbalement. Un, « à condition que les co-signataires soient aussi nombreux et d’importance égale à ceux qui ont signé le livre des éditions du Seuil » : P. Horay.
Ceux qui refusèrent faisaient aussi des réserves sur l’efficacité de ce genre d’action, un peu provocatrice mais se disaient d’accord sur le principe. Un seul, François Maspero, éditeur d’extrême-gauche, exprima une opinion différente et catégorique : « Pour moi, le problème de la liberté d’expression ne se pose pas du tout au simple niveau, après tout assez dérisoire, de la parution d’un livre. Le soutien matériel le plus radical possible de la grève des P.U.F. a été pour nous, par exemple, un moyen de défense de la liberté d’expression à son niveau réel, autrement important que toutes les ventes de Cause du Peuple possibles »...
« En ce qui concerne ma collaboration à la publication du livre de Marighela, je crois qu’il y a un malentendu. Je n’ai absolument pas cherché là à défendre la liberté d’expression, mais à trouver un moyen pratique de diffuser des textes qui me semblaient importants :
1. Parce qu’ils expliquent bien ce qu’est la lutte du peuple brésilien, lutte dont le résultat entrera certainement pour une grande part dans la formation du monde de demain ;
2. Parce qu’ils sont pleins d’enseignements théoriques et pratiques sur l’organisation d’un parti révolutionnaire - même si ces enseignements ne peuvent, évidemment, pas être transposés mécaniquement.
Et c’est la formation de ce parti révolutionnaire qui est, pour moi, le problème numéro un en France aujourd’hui... »
Dans le Magazine Littéraire de mars 1970, F. Maspero avait déjà exprimé l’opinion que la censure, c’était surtout le fait que les travailleurs portugais ne puissent pas acheter Histoire d’O. Revenant là-dessus dans le Tricontinental du 25.11.1970, il écrit :
« La « liberté d’expression » [est un] pur concept idéal qui ne recouvre rien d’autre qu’un flagrant mensonge et qui permet de limiter le combat à des phénomènes finalement secondaires. » J’ai entendu aussi développer cette théorie dans des réunions du « Secours Rouge ». Mais les pétitions qu’il faut signer tous les quinze jours pour F. Maspero ou pour le « Secours Rouge » se réfèrent toutes à la liberté d’expression.
b) Ce qui est curieux, ce n’est pas que le directeur des Éditions de Minuit reproche à Guillaume Apollinaire son style « clair et alerte ». C’est l’appel aux poursuites que représente le passage cité de son article. Or Jérôme Lindon n’a pas l’habitude de la délation. Propriétaire des Éditions de Minuit depuis 1947, plastiqué par l’O.A.S., pendant la guerre d’Algérie, saisi plusieurs fois par le gouvernement Mollet, son gaullisme ne l’a jamais empêché de protester publiquement contre la censure depuis 1958, ni de soutenir efficacement F. Maspero. Appelé ers 1967 à représenter les éditeurs à la Commission de Protection de l’Enfance et de la Jeunesse, il y mène un laborieux combat pour l’éducation des autres membres, qui a quelquefois porté ses fruits. Ajoutons qu’il n’a pas dédaigné de se faire pornographe lui-même, avec de petits textes comme L’image. Il s’agit donc en l’occurrence d’une simple gaffe.
Il n’en reste pas moins qu’il était fâcheux, pour défendre les Éditions Gallimard, d’attirer l’attention publiquement sur le livre d’un petit éditeur sans surface. D’autant plus que le cas des Onze mille Verges est la meilleure illustration qui soit de l’autocensure rigoureuse qui sévit dans la grande presse.
Publié pour la première fois sous son nom et sous un nom d’éditeur durant une année de commémoration où l’on put voir une grande exposition à la Bibliothèque Nationale, ce livre, un des meilleurs d’Apollinaire, ne bénéficia d’aucun compte rendu « digne de ce nom » dans la grande presse.
c) J’ai reçu, et je ne suis pas le seul, la circulaire Guyotat trois fois en dix jours. Au prix du papier couché, de l’imprimerie et du timbre, ce n’est évidemment pas J. Martineau qui aurait pu se payer ce genre d’appel au public quand on a saisi son Château de Cène, il y a quelques mois.
d) On ne répètera jamais assez que la loi de 1949, « manifestement détournée de son sens », a commencé à frapper des éditeurs pour adultes dès l’année suivante. C’est seulement vers 1965, lorsque la brigade mondaine s’en prit à des journaux puissants, comme L’Express, que la presse commença à protester de temps à autre. Le silence de cette même presse sur des mesures graves et récentes, comme la censure postale établie par circulaire administrative (8 juillet 1970), ou la T.V.A. portée à 33% sur les livres interdits, peut donner à penser que la censure n’est en général qu’un sujet de campagne facile qui n’engage à rien. Si tous les journaux qui font semblant de protester contre la censure en général, étaient obligés d’accepter de la publicité pour tout livre poursuivi, on peut penser qu’il n’y aurait pas beaucoup d’articles en faveur de la liberté d’expression. De même que si toute pétition était obligatoirement suivie de la mention suivante :
« J’ai signé cette pétition pour défendre la libre communication des pensées et des opinions, et je m’engage à défendre de la même manière n’importe quel livre poursuivi, quels que soient son auteur, son caractère et ses tendances. »
Je conçois très bien qu’on n’aie pas envie de défendre n’importe quoi. Mais alors il faut modifier un peu le texte des pétitions. Par exemple :
« Je n’ai pas lu le livre de Guyotat, qui est d’ailleurs illisible parait-il, mais dont j’ai beaucoup entendu parler dans mes dîners parisiens par des gens qui ne l’avaient pas lu non plus. Je signe cette pétition parce qu’elle ne m’engage à rien, et que c’est excellent pour ma réputation d’homme de gauche et de fin lettré, allez donc savoir pourquoi ! »
e) Les grosses idées toutes bêtes, un peu encombrantes, sont en voie de disparition. Nous n’en avons plus que d’une inimaginable finesse, d’une structure merveilleusement feuilletée, permettant au cours des conversations, d’éviter tout engagement téméraire. Par exemple, si vous ne tenez pas à condamner expressément la loi de 1949, vous pouvez prononcer les phrases suivantes, avec juste ce qu’il faut d’angoisse existentielle : « La censure, au fond, n’est-elle pas inhérente à la structure biologique de l’humain ? On sait, depuis les travaux du professeur Wolinski, que personne ne pourrait marcher, si le système nerveux ne censurait pas le pied gauche pendant que le pied droit avance. » Je jure que j’ai entendu cette phrase plusieurs fois, à Paris, en 1970.
Losfeld interdirait volontiers Céline, par exemple, tout comme Maspero. Tchou a déclaré plusieurs fois publiquement qu’il était pour « une certaine censure », c’est-à-dire pour la censure. D’une manière générale, quand des éditeurs défendent un livre au nom de la liberté d’expression, et qu’ils refusent d’en défendre d’autres, ce que je veux leur faire dire, c’est évidemment qu’ils ne sont pas du tout, au fond d’eux-mêmes, pour la liberté d’expression. Mais je voudrais aussi leur faire dire pourquoi. Si l’on est sincèrement partisan de la censure, ce qui peut se comprendre, quelle honte y a-t-il à donner ses vraies raisons ?
g) À la 17e chambre correctionnelle, le 11 décembre 1970, où l’on jugeait des éditeurs (Losfeld, Régine Deforges) pour refus de dépôt préalable, j’ai eu le plaisir d’entendre un éditeur (Régine Deforges), défendre la pornographie pour ce qu’elle était, et son avocat (Me Matarasso) refuser avec vigueur d’entrer dans un débat littéraire. Le substitut, la présidente et l’autre accusé s’en tenaient, eux, à la littérature comparée.
Le débat littéraire en correctionnelle est d’autant plus absurde, que les livres, depuis longtemps, ne sont plus jugés. Comme l’a bien montré maître Maurice Garçon [1], les commissions installées par la loi de 1949, ou les articles 283 et suivants du Code, établissent le délit préalablement à l’audience. Les juges ne sont là que pour apprécier les sanctions.
h) Le cas de Georges Bataille est tout à fait caractéristique de l’incohérence de la censure. Publiée pour la première fois officiellement, par mes soins, et sous le nom de son auteur, en 1967 Histoire de l’Œil est un des livres les plus obscènes que l’on puisse lire. De surcroît, sacrilège, blasphématoire, nécrophile et scatologique. Distribué dans les bonnes librairies par la Maison Hachette, il n’a été interdit dans mon édition qu’à la vente aux mineurs. On peut donc en faire des piles dans les drug-stores. Pour mémoire, l’Anthologie de la poésie érotique, de Georges Pillement (L’Or du Temps) est interdit à la vente aux mineurs, à l’affichage et à la publicité. Mais cela n’est rien. Dans l’édition Gallimard, Histoire de l’Œil n’est interdit à rien du tout.
i) Une seule question suffit à liquider le prétexte du mérite littéraire. C’est : qui en jugerait ? L’Académie Française ? La société des Gens de Lettres (qui a favorisé les poursuites, par son silence, quand elle ne les demandait pas elle-même) ? M. Marcellin ? Jean Cau ?
Avec un prétexte aussi fuyant, pouvant à tout moment provoquer des sanctions imprévisibles, avec cette subtile distinction entre l’érotisme distingué, bien de chez nous, et la pornographie aux lèvres baveuses, il faut bien voir ce que l’on couvre, il faut bien voir ce qui est en jeu. C’est une histoire de gros sous. C’est la possibilité pour les trusts d’exploiter un filon interdit aux petites maisons, pour les grands journaux féminins de vendre des enquêtes sur les partouzes pendant qu’on interdit Hara-Kiri Hebdo. On ne s’en sortira pas sans proclamer : « nous sommes tous des pornographes. » C’est ce que je fais, pour mon compte, avec L’Enfer du Sexe.
j) Il est facile de ridiculiser un accusé, comme je l’ai vu faire pour Losfeld, en lui faisant lire les textes qu’il publie. Il est encore plus facile de ridiculiser des juges, comme je le faisais il y a quatorze ans, en faisant intervenir des témoins prestigieux (Breton, Paulhan, Cocteau, Bataille). Est-ce que le temps de s’amuser à ces petits jeux n’est pas passé ?
k) Si vraiment il y a un danger quelconque dans « les mauvais livres », il est beaucoup plus grand lorsque ces livres sont « bien écrits », justement, et moins violents. À mon procès Sade, Jean Paulhan l’avait démontré au cours d’une déposition qui est restée célèbre : « Sade est dangereux. J’ai connu une jeune fille qui est entrée au couvent après avoir lu les œuvres de Sade, et parce qu’elle les avait lues... Je relisais avant-hier la Bible. C’est un livre effrayant... Baudelaire me parait beaucoup plus insinuant, beaucoup plus habile. » Je cite toujours, à ce sujet, un orfèvre, François Mauriac : « Histoire d’O est atroce, certes, et d’une lecture pour moi intolérable ; mais cette horreur même nous garde peut-être de céder au trouble qu’éveillaient en moi, en revanche, quand j’avais seize ans, des douceurs et des suavités, comme ce passage de Cruelle Énigme, de Paul Bourget : « Ah ! dit-elle, en appuyant sa main parfumée sur les paupières d’Hubert, que je voudrais dormir sur ton cœur ». Qui sait si ce n’est pas pire que l’Histoire d’O. »
Et puis c’est assommant, ces qualités littéraires que l’on exige de l’érotisme, alors qu’on ne les réclame pour rien d’autre. Est-ce que c’est bien écrit, Daniel-Rops, Gilbert Cesbron, Michel Droit, Jean Cau ? Est-ce que c’est pour défendre le talent, ou la liberté de la presse, qu’il faut se déclarer co-rédacteur de La Cause du Peuple (comme je l’ai fait). Tricontinental, Marighela, c’est illisible. Alors ?
l) La protection de la jeunesse ? Je connais une collection policière qui parait depuis des années. Très alléchante pour les adolescents : couverture illustrée, prix très bas. On y apprend à toutes les pages comment couper les femmes en morceaux, et les faire parler en leur enfonçant toutes sortes de choses aux bons endroits. En vente partout. Et les photos de France-Soir ? Et les actualités télévisées ?
m) Aux grands applaudissements d’une partie de « la gauche », Michel Cournot a publié le 1er juin 1970 dans L’Observateur un article d’une page intitulé « Vive la Torture », dans lequel on pouvait lire notamment : « Au nom de la liberté, on condamne les bourreaux d’Athènes, on encourage ceux de Paris » … « Les sex-shops, où l’on trouve mie, pour ainsi dire dans le même sac, des films cochons seize millimètres, le livre d’Henri Alleg, La Question, des vibromasseurs » … « Madame d’O qui était en Algérie, avec La Guerre de Clausewitz, le livre de chevet des manipulateurs de fouets et de dynamos. » Au passage, Cournot justifiait discrètement la Commission de surveillance du Ministère de la Justice.
C’est évident, et P.-L. Courier l’avait déjà dit : « C’est l’imprimerie qui met le monde à mal ; c’est la lettre moulée qui fait qu’on assassine depuis la création ; et Caïn lisait les journaux dans le paradis terrestre. »
Mais les vraies raisons, c’est cela qui est intéressant. Je ne crois pas du tout que Michel Cournot, que j’ai un peu fréquenté, dans le temps, donne ici ses vraies raisons pour justifier la censure. C’est plus profond. De même Jean Cau, que j’ai connu secrétaire de Genet, puis à L’Express de la guerre d’Algérie. Il n’était pas difficile de voir qu’il deviendrait ce Clément Vautel maigre qui trône à Paris-Match. Est-ce vraiment pour défendre la pureté de l’enfance ou une touchante image de la femme, connue il le dit, qu’il voudrait brûler des livres ? Je n’en suis pas sûr.
n) Les justifications politiques de la censure se ramènent toutes à une seule formule : « Moi qui suis une âme forte, je sais mieux qu’elles ce qui est bon pour les âmes faibles. » On en trouvera les justifications les plus convaincantes chez tous les bons auteurs : Pie IX, Trotski, Goering, Les Black Muslims, etc. En face, je me contenterais de citer la conclusion d’un article de Le Hénaff dans Le Combat Syndicaliste : « La liberté et la justice que nous voulons ne se détaillent pas. La censure n’est que l’expression hypocrite d’un despotisme qui se veut total, c’est pourquoi nous la combattons » (3 décembre 1970).
o) On aura remarqué que je ne fais jamais de distinction entre censure morale et censure politique. C’est qu’il n’y a absolument aucune différence.
p) Merveilleuse histoire que celle du « rapport Nixon ». Le président Johnson avait nommé une commission pour enquêter sur les dangers que faisait courir la pornographie au peuple américain. Il n’était plus président lorsque les enquêteurs, qui étaient des médecins et des psychiatres, rendirent leurs conclusions. En gros, la pornographie, rendue obligatoire et administrée à haute dose, « plus qu’à une propension à la violence ou à la sexualité... conduirait à l’ennui ». (Le Monde, 4 septembre 1970.) Les experts conseillaient donc une libération des lois à ce sujet.
Furieux, le président Nixon, quelques jours plus tard, prononçait un discours d’une grande violence, disant, entre autres : « Il n’y aura pas de relâchement de notre effort national pour contrôler et éliminer ces saletés de notre vie nationale », et « je continuerai à lutter par tous les moyens contre la pollution de la culture et de la civilisation américaine » (Le Monde, 25 octobre 1970).
Là aussi, les motifs profonds de M. Nixon, étant démontré que le salut du peuple américain n’est plus en cause, seraient bien intéressants à examiner au grand jour.
q) Alain Robbe-Grillet avait trouvé une très jolie formule, qui lui a souvent été volée par des journalistes, et même par des éditeurs : « La pornographie, c’est l’érotisme des autres. »
r) En somme, une des grandes menaces que l’on nous agite, c’est que la liberté totale d’expression, cela risque de changer beaucoup de choses. Eh ! bien, chiche ! Tel qu’il est, le monde que nous avons fait ne me paraît pas un tel chef-d’œuvre qu’on ne doive pas le mettre un peu en péril. Mais je ne crois pas que la pornographie mène au chaos. La liberté amènerait des changements profonds, mais surtout dans le cœur de l’homme, et sûrement assez lentement. L’amour changerait-il ? ce n’est pas évident. L expérience montre que les milieux qui croient pratiquer la liberté sexuelle, par exemple, connaissent des former de jalousie différentes, mais non moins féroces que celles des couples conventionnels. Sans parler des principes, qui ne sont pas les mêmes, mais sont là plus rigides qu’ailleurs.
s) Il faut répéter sans se fatiguer que le problème de la censure n’est pas un problème politique. Du moins de politique de parti. Il n’y a pas de méchants fascistes qui sont pour la censure, et de gentils partis de gauche qui sont contre. C’est le M.R.P. et le parti communiste qui ont fait voter la loi de 1949, le gouvernement de Gaulle qui a fait aggraver la loi de 1958, et c’est M. Georges Pompidou qui l’a fait atténuer très sensiblement en 1967, malgré l’opposition de tous les partis. Dans aucune des discussions à la Chambre depuis 1945 à propos des différentes lois de censure, il ne s’est élevé de voix en faveur de la liberté. Personne. Pas une seule fois.