MINISTÈRE DE L’AGRICULTURE
ET DU DÉVELOPPEMENT RURAL
Le Ministre
78 rue de Varenne
Monsieur le Président,
La décision de fermeture de l’abattoir et du marché aux bestiaux de La Villette a été annoncée par le Gouvernement en Octobre 1973. Cette décision avait été rendue inéluctable par l’importance des déficits d’exploitation qui dépassaient 45 millions par an.
À la suite de l’annonce de cette décision, vous m’avez fait part, au nom de l’Interprofession de la Viande par votre lettre du 18 février 1974, de votre souhait d’édifier à RUNGIS un marché aux bestiaux et un abattoir d’une capacité de départ de 20 à 60 000 tonnes et vous souhaitiez que la décision de fermeture de La Villette soit reportée jusqu’à la fin des travaux de l’abattoir, c’est-à-dire pour une période que vous estimez être de l’ordre de dix-huit mois.
La solution que vous proposez ne me paraît malheureusement pas réaliste, notamment en ce qui concerne la construction d’un nouvel abattoir. En effet, on constate depuis plusieurs année une évolution très nette des abattages qui se font de plus en plus sur les lieux de productions : c’est ainsi que le tonnage abattu dans la Région Parisienne est passé de 235 000 T. en 19750 80 000 T. en 1973. Quant au tonnage abattu à La Villette, il est passé de 94 000 T. en 1968 à quelques 36 000 T. en 1973. Cette évolution, qui se constate d’ailleurs de la même façon à l’étranger, s’explique notamment par le fait que le transport des viandes est beaucoup plus facile et moins onéreux que le transport des animaux. En France, elle peut en outre se justifier par la nécessité de favoriser le développement des régions, du double plan de l’emploi et de la valeur ajoutée. Enfin, la naissance et le développement des groupements de producteurs, souhaités conjointement par la profession agricole et par le Gouvernement, favorisent sans aucun doute la commercialisation, l’abattage et même la transformation des animaux sous la responsabilité des producteurs et donc le plus possible des lieux de production. Cette évolution vers l’abattage sur les lieux de production semble donc devoir se poursuivre et rendre particulièrement risquée la construction en région parisienne d’un abattoir dont la capacité de départ dépasserait le tonnage abattu actuellement à La Villette.
Je note d’ailleurs que la disparition de l’abattoir de La Villette, sur un strict plan économique, correspond à un certain raccourcissement des circuits commerciaux si l’on tient compte du fait qu’à l’heure actuelle, les animaux commercialisés à La Villette proviennent essentiellement de lieux de production éloignés (Nord, Normandie, Pays de Loire, Champagne et Bourgogne), puisque 4% seulement des animaux présents à La Villette viennent de la Région Parisienne elle-même et 10% de la Picardie. L’abattage des animaux dans les abattoirs des régions de production peut sembler d’autant plus souhaitable que ces derniers sont justement sous-employés : c’est ainsi par l’exemple que l’abattoir de DIJON est employé à 25% de sa capacité, celui de TOURS à 75% et celui d’ANGERS à 60%. En toute hypothèse, les capacités d’abattage existant actuellement pour recueillir les tonnages habituellement abattu à La Villette. Vous savez d’ailleurs que déjà, près des deux tiers des animaux commercialisés au marché aux bestiaux de La Villette sont abattus ailleurs qu’à La Villette.
Enfin, l’installation d’un nouvel abattoir à RUNGIS se heurte aux impératifs et aux contraintes de l’aménagement du territoire, qu’il s’agisse de l’urbanisme, de l’environnement ou des transports et cette raison suffit à écarter la possibilité.
Sans doute, le problème du marché aux bestiaux se pose-t-il de façon différente. À ce sujet, il est probable que les animaux commercialisés jusqu’à présent sur le marché de La Villette (286 000 animaux en 1973 dont 127 000 gros bovins et 157 000 ovins et caprins), trouveront leur place sur les gros marchés des lieux de production, qu’il s’agisse de VALENCIENNES, de ROUEN, de FOUGERES ou de PARTHERY. Néanmoins, si l’ensemble des professionnels intéressés le veulent, le Gouvernement serait prêt à favoriser et à accompagner le démarrage d’un nouveau marché aux bestiaux autour de Paris, notamment pour accueillir les animaux de la Région Parisienne et des régions proches de Paris.
Cependant, il est clair que l’implantation d’un nouveau marché aux bestiaux ne se décrète pas. Elle dépend de facteurs très nombreux qui échappent pour la plupart aux Pouvoirs Publics et tout particulièrement des flux commerciaux qui s’établissent après le 15 mars. Les Pouvoirs Publics n’ont donc absolument pas la possibilité de décider que pour remplacer le marché aux bestiaux de La Villette, il faut construire un autre ici ou là. C’est la raison pour laquelle une décision sur cet emplacement ne pourra être prise que si plusieurs conditions de succès sont réunies. Il faut d’abord que le projet recueille au départ l’accord de tous les professionnels intéressés et que ces derniers prennent l’engagement à faire en sorte qu’il y ait des apports suffisants d’animaux sur ce marché et une demande correspondante. Il faut que la situation choisie et la disposition de terrain soient telles qu’elles n’imposent pas d’investissements importants. En particulier, il est souhaitable que le nouveau marché soit situé à proximité d’un abattoir existant. Il faut t enfin que l’emplacement choisi ne pose aucun problème du point de vue de l’Aménagement du Territoire.
Le Gouvernement reste ouvert à toute proposition relative à la création d’un nouveau marché aux bestiaux qui réponde aux conditions que je viens de rappeler. Mais il ne peut donner son à une solution RUNGIS proposée dans la mesure où il estime avant tout nécessaire d’éviter d’engager les professionnels intéressés et indirectement l’Administration dans une aventure dont les chances de succès seraient trop limitées.
Je vous prie de bien vouloir accepter, Monsieur le Président, l’assurance de mes sentiments les meilleurs.
Monsieur LEMAIRE-AUDOIRE
31, rue du Limousin
CEDEX V 108
94 535 RUNGIS