LE MUSÉE DU CONSERVATOIRE NATIONAL DES ARTS ET MÉTIERS, PAR PIERRE PIGANIOL
SA RENAISSANCE
POURQUOI ?
COMMENT ?
Par Pierre PIGANIOL, Chargé de Mission auprès du Secrétaire d’État Chargé de l’Enseignement Technique, Décembre 1989
Lettre de mission de Robert CHAPUIS, Ministre de l’éducation nationale de la jeunesse et des sports, confiée à Monsieur Pierre PIGANIOL, en date 27 février 1989
Monsieur le Président,
Le Musée National des Techniques du Conservatoire National des Arts et Métiers possède un patrimoine d’une exceptionnelle richesse tant par la quantité que par la qualité des objets et documents qui le composent.
Mais ce Musée, directement issu du « dépôt des machines » à l’origine du Conservatoire, n’a pas connu la modernisation nécessaire à son adaptation aux exigences et aux objectifs d’aujourd’hui. Il a vu peu à peu sa fréquentation décroitre et son état se dégrader.
Il est indispensable de procéder à une rénovation d’ensemble de cet établissement de manière à mettre pleinement en valeur ses collections et à lui permettre de se situer au plus haut niveau de la comparaison internationale en ce domaine.
Pour atteindre cet objectif, le Musée doit être doté d’un projet scientifique précis. En tenant compte notamment,
– de l’importance des collections dont dispose l’établissement,
– de l’existence, sur tout le territoire, d’un réseau de musées techniques disposant également de collections plus ou moins riches et spécialisées,
– des travaux déjà menés dans le passé sur ce sujet,
– de la place du Musée au sein du Conservatoire National des Arts et Métiers.
Je vous demande de me présenter les propositions qui vous sembleront les plus appropriées pour arrêter le projet scientifique de cet établissement.
Comme nous en sommes convenus, je vous demande d’établir d’abord, en relation étroite avec le Directeur du CNAM et le Directeur du Musée, un pré-rapport d’orientation pour la fin du mois d’avril prochain.
Ce pré-rapport sera ensuite soumis à un groupe d’experts qui comprendra notamment, outre les représentants du CNAM :
– des représentants des principaux Ministères partenaires (Ministère de la Culture et Ministère de la Recherche et de la Technologie notamment) ;
– des scientifiques spécialistes de l’histoire des techniques ;
– des scientifiques spécialistes de la muséographie ;
– des représentants d’associations techniques.
En fonction de observations qui seront formulées par ce groupe et des consultations que vous serez amené à réaliser, vous établirez un rapport définitif me présentant vos propositions. Vos conclusions devront me permettre de fixer des objectifs précis à l’établissement et, par voie de conséquence, de définir le programme des travaux qu’il apparaîtra alors nécessaire de réaliser.
Je vous prie de bien vouloir agréer, Monsieur le Président, l’expression de mes sentiments les meilleurs.
INTRODUCTION
Les termes de référence de la mission qui m’a été confiée par Monsieur le Secrétaire d’État à l’Enseignement Technique sont reproduits en tête de ce document, qui constitue le rapport définitif demandé par cette lettre du 27 février 1989, rapport qui reprend une partie du pré-rapport remis en juin 1989 mais le complète et le modifie pour tenir compte des remarques du groupe d’experts réuni le 20 septembre.
Il comporte les chapitres suivants, dont les contenus sont ici brièvement résumés.
I. LE CONSTAT
Un patrimoine d’une valeur exceptionnelle est laissé en grande partie à l’abandon, malgré le dévouement d’une équipe trop réduite pour pouvoir l’entretenir et le mettre en valeur. Seule une part en est accessible aux regards mais dans une présentation qui n’est qu’exceptionnellement séduisante et compréhensible. Et surtout les finalités d’un tel Musée restent méconnues, alors même que le besoin s’en fait impérieusement sentir.
II. LES MISSIONS D’UN MUSÉE NATIONAL DES TECHNIQUES et non simplement d’un Musée d’Histoire des Techniques.
En trois parties ce chapitre montre ce qu’on doit attendre d’un tel Musée. La première traite de la Mission Culturelle qui ne peut se comprendre que par référence à une définition élargie d’une culture en harmonie avec notre temps.
La seconde traite de la Mission Pédagogique et montre les liens nécessaires entre l’enseignement du CNAM et le Musée et leur rôle bénéfique pour le développement et la qualité et de la créativité des ressources humaines de nos industries.
La troisième traite de la Mission Récréative associée à toute collection d’objets souvent très beaux et toujours chargés d’histoire.
Ce chapitre répond à la question : pourquoi faire renaître et développer le Musée du CNAM.
III. LE MUSÉE DU CNAM DANS SON ENVIRONNEMENT NATIONAL
La France ne peut se permettre de faire jouer la concurrence entre ses Muses Techniques. Elle se doit d’organiser des complémentarités et des synergies fructueuses. Ce chapitre dégage donc les principes d’un programme global national et définit dans celui-ci le rôle du Musée du CNAM. Il propose donc une philosophie de l’action coordonnée.
IV. LES STRATÉGIES DE LA RENAISSANCE
Des deux chapitres précédents se dégage l’image d’un Musée idéal, irréalisable Reprenant l’analyse de ses composantes et précisant les sacrifices tolérables ou inacceptables, ce chapitre dégage une solution de compromis qui permet au Musée de remplir ses missions, et ceci pour un investissement relativement modeste.
Elle consiste en la rénovation complète du Musée actuel maintenu dans ses locaux, ceux-ci étant agrandis de 25 à 50 %, rénovation qui ne sera possible que grâce à la création d’une Réserve, en un lieu à préciser de la Région parisienne, dont le rôle ne se limite pas à un simple stockage mais qui devient un véritable outil opérationnel, disposant de possibilités de réparation, de création, et d’expédition des pièces vers le Musée, ses « présentations complémentaires » et ses expositions temporaires, ainsi que vers d’autres organismes à vocation culturelle, scientifique et technique.
V et VI : Ces deux chapitres précisent sous forme synthétique (et avec quelques redites des chapitres précédents pour qu’ils constituent un ensemble presque autonome) les principes de la rénovation du Musée et des conceptions de ses réserves
VII. LES CONDITIONS MATÉRIELLES DU SUCCÈS
Quels sont les moyens humains, matériels - surfaces d’exposition, ateliers, opérations de rénovation et de création, ...- et financiers nécessaires à mettre en œuvre pour donner un contenu concret au chapitre précédent ? Plus précisément quelles sont les conditions à remplir pour que le projet de rénovation se matérialise rapidement sous une forme pertinente par rapport aux objectifs, et digne de la France de demain, au moment où le CNAM s’apprête à fêter son bicentenaire ? Ce chapitre constitue un calendrier de la réalisation.
VIII. CONCLUSIONS
Courte synthèse des motifs et des principes de la rénovation du Musée National des Techniques.
Annexe : Les thèmes du Musée
Revue rapide des principales sections du Musée avec indication de leur état et de leurs transformations souhaitables.
CHAPITRE I
LE CONSTAT
Tant de rapports ont été produits à propos du CNAM qu’il peut sembler inutile d’entreprendre une nouvelle analyse de la situation de son Musée, et ce d’autant plus que tous ces documents présentent des diagnostics quasi identiques, ce qui n’est pas toujours le cas des remèdes préconisés.
En fait cette identité de diagnostic n’est qu’apparente et cache des divergences qu’il me faut souligner ; de plus certains diagnostics sont incomplets, et ce sont précisément leurs lacunes qui expliquent des différences entre les traitements proposés.
L’accord est général sur la richesse des collections et le caractère prestigieux d’objets chargés d’histoire et de symboles. Mais, sans que ce soit toujours explicité, il apparaît aux yeux de certains que ces « beaux objets » sont noyés dans un océan de pièces secondaires et d’intérêt faible ou nul, les critères de cet intérêt étant passés sous silence. Nous montrerons que ces collections forment un ensemble indissociable, le nombre de pièces « sacrifiables » étant au total assez faible, une fois définis les critères de leur utilité.
L’accord est général sur les insuffisances de la présentation des objets dans le Musée : entassement des objets, manque d’ensembles explicatifs, absence de documents que le visiteur puisse acquérir, ... en bref une muséologie dépassée. Mais on oublie de souligner que les responsables du Musée savent ce qu’il faut faire et qu’ils le prouvent soit par la qualité de certaines présentations ponctuelles -l’absence de moyens ne permettant pas de faire plus -soit par le succès d’expositions temporaires bien réalisées à 1’aide de ressources extérieures.
L’accord est général sur l’inadéquation des surfaces disponibles à la richesse des collections dont seule une partie est accessible au public sur 6.000 m2 (le double serait nécessaire) tandis que 2.300 m2 sont fermés « provisoirement », que les réserves disposent de moins de 1.600 m2 dans des locaux vétustes impropres à toute « conservation » en bon état. Mais peu de rapports s’attachent à définir le rôle pourtant essentiel de ces réserves.
L’accord est général sur l’insuffisance des locaux consacrés à la gestion du Musée : moins de 300 m2 de bureaux, à peine plus de 100 m2 d’ateliers totalement anti-fonctionnels. Mais le rôle possible de ces ateliers à l’échelle nationale n’est que rarement évoqué.
L’accord est général sur la totale séparation - l’ignorance mutuelle entre l’enseignement et le Musée. Mais les divergences sont ici profondes entre ceux qui pensent que ce divorce est dans la nature des choses et que le Musée n’est plus qu’un Musée d’Histoire (voire de la préhistoire) des Techniques du passé et ceux qui rêvent d’en faire le Musée qui explique la genèse· au monde moderne et même les problèmes de son devenir.
L’accord est toujours général sur le rôle national des collections du CNAM mais il est rare que soient précisés les moyens de le remplir ; un seul rapport à ma connaissance signale le rôle de pivot que le CNAM aurait pu jouer au sein de l’AMCSTI, Association des Musées et Centres pour le développement de la Culture Scientifique, Technique et Industrielle. Les problèmes locaux du Musée occultent ceux que pose le développement national de cette culture scientifique, technique et industrielle pourtant indispensable.
Arrêtons là ce survol de documents dont la convergence peut faire illusion mais qui sont en fait très marqués par l’origine de l’auteur, selon qu’il est plus proche du Musée ou de l’enseignement.
Il appartient donc à quelqu’un d’extérieur au CNAM de faire des propositions pour remédier à une situation que tous s’accordent à considérer comme catastrophique et qui exige une intervention urgente.
Et, après m’être permis quelque malice à l’égard des analyses antérieures dont je dispose, il est juste que je leur rende l’hommage auquel elles ont droit : par la richesse de leur information, la clarté de leur exposé, le nombre des interrogations qu’elles posent explicitement ou non, elles ont fourni au présent rapport l’essentiel de sa substance. Le présent rapport vise une certaine globalité, ce qu’il eût été impossible de tenter sans disposer des solides bases dégagées antérieurement. Ma gratitude est sincère et totale vers ceux, parfois anonymes, qui, sans le savoir, m’ont puissamment aidé, et je souhaite que ceux qui discuteront mes conclusions puissent les confronter aux· leurs. Je pense en particulier aux rapports de Madame FERRIOT, de juin 88, et de Monsieur DESVALLEES, de septembre 86, nourris par une connaissance profonde du Musée, et à celui, très opposé, de Monsieur GIRI, de février 89, qui représente le point de vue d’un nombre limité d’enseignants.
Mais l’essentiel se trouve dans l’analyse des besoins, que j’ai tenté de compléter car elle n’a souvent été que fragmentaire dans le passé. Elle fait surgir une problématique beaucoup plus vaste, qui transforme une opération de sauvetage en un Projet que certains trouveront trop ambitieux et qui pourtant correspond au génie de la France et aux besoins de notre civilisation.
CHAPITRE II
LES MISSIONS D’UN MUSÉE NATIONAL DES TECHNIQUES
Une collection d’objets uniques, parfois remarquables du point de vue esthétique, chargés d’histoire - celle du développement de notre civilisation technique - mérite évidemment le respect. Mais dans notre époque trépidante où naissent chaque jour tant d’objets et de techniques, cet argument serait faible pour justifier la rénovation globale du Musée du CNAM. En l’absence d’autres motivations on serait tenté de ne garder qu’un petit nombre de pièces, les plus évocatives, et de disperser le reste dans des collections spécialisées après en avoir mis une partie en vente où à la casse.
Mais il se trouve que la collection du CNAM est de nature à répondre - moyennant quelques compléments indispensables - à trois besoins majeurs de notre temps, ce qui lui confère une importance exceptionnelle, et justifie une politique dynamique de rénovation et d’adaptation.
Partons donc des besoins et non plus du patrimoine et examinons les réponses que ce patrimoine peut leur apporter, réponses qui constitueront les missions essentielles du Musée.
II. 1) Besoins culturels
Donnons d’abord une définition de la culture. Ce mot est utilisé dans tant de sens différents qu’il a acquis un contenu intuitif et flou auquel on peut faire référence sans risque mais aussi sans efficacité. La définition la plus courante - un enrichissement de l’esprit - conduit à admettre des cultures spécialisées (littéraire, technique, ...) alors même que nous ressentons le caractère global de ce que nous pensons être la culture. La définition suivante englobe et complète la plupart de celles qui ont été proposées. Elle a en outre l’avantage de suggérer une « action culturelle » dynamique et moderne.
La culture est un système de représentation du monde - du monde physique, biologique, humain et spirituel - assorti d’un système de valeurs, qui ordonne nos pensées et guide nos actes.
Cette représentation du monde s’acquiert au contact des œuvres de nos contemporains et de leurs prédécesseurs. Ne retenir de celles-ci que les œuvres littéraires et artistiques serait une grave erreur. Quel philosophe pourrait parler aujourd’hui de la vie, de la mort, des passions, en ignorant la biologie moderne ? Quelle réflexion sur notre société peut ignorer l’impact de nos techniques sur ses progrès, ses malaises et ses erreurs ?
Ainsi un Musée des Techniques n’est pas destiné à la simple conservation d’objets-souvenirs. Il les situe dans le contexte économique et social de leur époque, explique leur naissance, explicite leur impact. Il montre aussi l’interdépendance des divers progrès techniques et révèle les structures du système technique associé à toute civilisation. Il fait ressortir ce qui relève d’un travail sérieux et acharné et ce que l’on doit au génie créatif et souligne ce qui est né du hasard, de la recherche curieuse et de l’impérieuse nécessité.
Bien entendu tout ceci ne prend son sens plein qu’à la condition d’être relié à l’état technique de notre civilisation d’aujourd’hui. Certes la rencontre avec le passé est toujours intéressante et enrichissante. Mais quand ce passé n’est pas simplement vu comme une préhistoire, quand on en suit l’histoire jusqu’à nos jours, il nous oblige à la relire avec nos préoccupations et nos interrogations d’aujourd’hui et de demain. Il cesse de n’être qu’un patrimoine vénérable, il est ce qui nous a formé et nous incite à aller plus loin.
Dans le domaine des Arts et notamment de la Peinture, l’École du Louvre contribue efficacement à former des spécialistes de haute compétence, mais en même temps elle dégage toute une philosophie de l’art dans ses liens avec le milieu social. Sa mission éducative se double d’une action culturelle de haut niveau.
Il doit en être de même dans le cas des Techniques. Nous traiterons plus loin de la mission éducative du Musée du CNAM. Sa mission culturelle doit être complètement revue et considérablement développée. Ceci implique une nouvelle vie du Musée, avec conférences guidées, cours spécialisés, séminaires, ateliers d’étude.
À ce besoin de culture de notre époque -de toute époque- ne peut seule répondre la simple présentation d’objets, même assortis de bons commentaires. La culture se vit intensément. C’est à cette vie culturelle du Musée qu’il faut donner les moyens de s’épanouir.
Est-ce un objectif irréalisable ? Pour se convaincre du contraire, il suffit de mesurer la qualité des expositions temporaires que le CNAM réussit à organiser et leur impact sur l’animation du Musée. Pourvu que les moyens en soient fournis le Musée sera capable de créer une animation efficace et captivante. Il sera le moyen privilégié d’introduire la « culture technique » dans la culture tout court qui par nature est globale.
Gardons-nous de croire que cette composante moderne de la culture générale qu’est la culture technique ne s’adresse qu’aux non techniciens. L’ingénieur est spécialisé par nécessité dans un ou éventuellement dans quelques domaines peu nombreux, dont il connaît tous les rouages et qu’il est apte à faire évoluer. Mais les grands projets actuels ne reposent jamais sur une seule discipline technique. Presque toujours ils mettent en œuvre une combinaison complexe de techniques très différentes. Plus le niveau de conception est élevé, plus l’ingénieur se doit de posséder ce qu’on appelle une culture générale technique qui lui permet de comprendre les autres spécialistes, de dialoguer avec eux, de s’intégrer dans la grande équipe chargée d’un projet dont seule une petite partie relève de son action propre.
Cette culture générale technique souhaitable a fait naître une série de revues de « vulgarisation » pour spécialistes On n’a pas assez mesuré l’ampleur de cette évolution et l’on englobe sous le terme de vulgarisation aussi bien ce qui vise le grand public curieux et cultivé que ce que doit savoir tout ingénieur de l’ensemble des techniques extérieures à sa spécialité.
Le Musée des Techniques est ici encore l’outil privilégié qui complète les ouvrages de vulgarisation et les fait vivre. Ceci suppose bien entendu que le Musée ne se désintéresse pas de l’état actuel des techniques.
Complément culturel de l’enseignement classique, le Musée des Techniques en est donc solidaire. Nous voici proches de la mission proprement pédagogique et éducative du Musée. Nous allons montrer que celle-ci est beaucoup plus diverse et complexe qu’on le pense généralement.
II .2) Mission éducative
La collection du CNAM était à l’origine essentiellement constituée d’instruments destinés à illustrer les cours, à en faciliter la compréhension, et à servir de supports à des travaux pratiques. En fait elle a même précédé l’organisation des enseignements proprement dits. Les liens entre le Musée de l’enseignement étaient donc très étroits. Cette symbiose dure tout au long du XIXe siècle, où le Musée est avant tout celui des techniques de l’actualité tout en consacrant une surface croissante aux techniques du passé qu’il se doit de « conserver ».
Cette situation change en gros à partir de 1920. Pourquoi ? Ne nous arrêtons pas à l’explication évidente, valable mais partielle, qui invoque le manque de place et de crédits. Les raisons plus profondes sont à rechercher dans les évolutions des techniques d’une part, de l’enseignement d’autre part.
Les outils industriels, de taille croissante, sont de plus en plus coûteux, consomment de plus en plus d’énergie, exigent un entretien de spécialiste. On compte plus sur les stages en usine que sur les travaux pratiques pour donner une intimité avec la réalité en vraie grandeur.
L’enseignement, à la recherche d’une efficacité accrue, s’attache de plus en plus aux bases théoriques qui transcendent les détails de mise en œuvre, et permettront de les comprendre et de les maîtriser quand on sera confronté à leur complexité. La complémentarité de l’enseignement se trouve naturellement au laboratoire de recherche plus que dans le maniement de l’outil industriel lui-même, remplacé par des modèles, des simulations efficaces.
Cette remarque n’implique nulle critique : il est dans la nature des choses que le modèle remplace dans l’enseignement le processus réel. On peut seulement regretter que l’enseignement n’ait pu bénéficier, dans le domaine technique, de modèles conçus pour lui.
Les remarques qui précèdent nous conduirons plus loin à proposer un nouveau rôle pour un Musée des Techniques auxiliaire de l’enseignement.
Mais au préalable nous devons nous interroger sur l’intérêt de présenter les techniques qui ne sont plus d’actualité. Nous retrouvons ici une tendance majeure de l’enseignement moderne qu’il faut encourager grâce au sou tien de moyens appropriés. Dans un monde technique en évolution rapide l’enseignement ne peut se limiter à la présentation de 1’édifice actuel de nos connaissances et de la somme des techniques qu’il nous faut, hic et nunc, maîtriser. Il est de plus en plus sensible à l’analyse critique de ce qui fait le progrès et au développement chez ses étudiants d’une judicieuse créativité. Or rien n’est plus formateur en cette matière que l’étude de l’évolution et de la filiation des techniques.
Cette remarque nous conduira plus loin à examiner le rôle du Musée du CNAM comme auxiliaire d’un enseignement tourné vers la créativité et diffus dans toutes les disciplines.
Enfin une autre tendance de l’enseignement des techniques consiste à les mettre en rapport avec le contexte économique et social, voire géopolitique Ici encore l’étude du passé constitue la base des réflexions qui permettent de mieux aborder les problèmes du présent et de l’avenir.
Ainsi apparaissent trois composantes essentielles de la Mission éducative moderne d’un Musée des Techniques.
a) L’auxiliaire de l’enseignement des techniques modernes
Ce rôle n’est plus rempli par le Musée des Techniques. D’ailleurs certains n’hésitent pas à affirmer qu’il est impossible à tenir et inutile. Montrons au contraire qu’il est imposé à la fois par la spécificité de l’enseignement du CNAM et par un souci d’efficacité maximale.
Nous avons noté la tendance de l’enseignement moderne à devenir de plus en plus théorique, par nécessité. Nous avons également noté que l’enseigne ment corrige et complète cette tendance par le développement des travaux pratiques, par une symbiose plus étroite avec le laboratoire de recherche, par un contact plus étroit avec les techniques du laboratoire national d’essais, par la création enfin d’outils très proches de la réalité industrielle en vraie grandeur.
C’est sur ce dernier point que la synergie entre l’enseignement et le Musée doit particulièrement se développer.
La clientèle étudiante du CNAM lui est spécifique proche de l’industrie · elle ne tolère pas de rupture entre la théorie et la pratique. L’outil des travaux pratiques est par nature une schématisation de la réalité dont il dissèque les mécanismes. Son rôle pédagogique suppose qu’il simplifie la complexité industrielle, qu’il en extrait les éléments clés. Mais il s’impose que l’ingénieur moderne soit confronté, au moins dans un certain nombre de cas exemplaires à cette complexité. Il faut créer les outils qui en rendent compte.
Ceux-ci sont coûteux. Leur prix ne sera bien amorti que s’ils servent non seulement à la formation des ingénieurs, mais aussi à 1’action éducative et culturelle sur un très vaste public. D’où la nécessaire conception d’outils utilisables à la fois par l’enseignement et le Musée, condition qui seule peut réunir sur un même objectif les moyens financiers de l’enseignement et du Musée - tous deux à accroître - et attirer un mécénat industriel auquel il faut faire comprendre que cet objectif vaut bien le soutien à une équipe de sport ou à un navigateur solitaire.
Donnons quelques exemples :
Imaginons d’abord ce qui aurait pu être réalisé au moment où il fallait créer un studio d’enregistrement pour le télé-enseignement, si Musée et enseignants ne s’étaient ignorés. Ce studio, visible à l’extérieur à travers de bons vitrages isolants, installé dans l’enceinte du Musée, aurait permis à un vaste public de comprendre les opérations de préparation, d’enregistrement, de montage, à un moment où peu de gens avaient accès à ce type d’activité. À la fois instrument de travail, de démonstration et de publicité, ce studio aurait pu et dû être conçu sur des bases confortables et ultra-modernes.
Prenons le cas du pont de Tancarville. L’enseignement ne peut à lui seul se payer une maquette conçue non seulement pour être regardée mais aussi pour faire comprendre les problèmes dus au vent et aux vibrations. Un dossier - réduit certes mais détaillé - serait disponible qui expliciterait les calculs et les phases de la réalisation. Une analyse de l’impact économique de l’ouvrage serait aisément visualisée.
Le cas de l’énergie atomique est exemplaire : la simulation du processus et l’apprentissage de son contrôle conduit à créer un modèle de salle de conduite des opérations à la fois spectaculaire et utilisable par les étudiants. De même une grande colonne pulsée d’extraction liquide-liquide pourrait à la fois servir aux étudiants dans leur laboratoire et dans le Musée comme outil de démonstration d’une technique dont le rôle est très important et a été considérable au CEA. Qu’on ne me dise pas que c’est impossible à réaliser : les établissements Robatel en ont fait fonctionner une pendant des jours au Salon Interchimie.
Des efforts de ce genre ne seront accomplis que dans un petit nombre de cas bien choisis, mais l’impact sur l’enseignement, le public, et l’image du CNAM sera considérable. Cela suppose que le Musée ait les moyens de réaliser de telles opérations, et soit capable de les présenter en marche réelle ou simulée, suppose aussi que les enseignants servent de conseil, grâce à des vacations spéciales auprès du Musée pour trouver les cas exemplaires et guider les réalisations.
En quelques années d’une telle coopération le Musée aura retrouvé son contact avec l’actualité et l’enseignement du CNAM accru son prestige. Il restera à recréer au Musée les étapes intermédiaires entre les techniques du passé qu’il possède et celles d’aujourd’hui. Cet effort sera progressif et sélectif. Un des premiers domaines où il devra s’exercer est celui des télécommunications.
Revenons à l’évocation du passé dans le Musée, mais non avec le simple souci du souvenir et de conservation du patrimoine : avec la volonté de faire vivre ce passé au service du présent.
b) Le passé au service de la créativité
L’histoire des techniques est celle des difficultés surmontées, et de la genèse des inventions La revivre non en spectateur dans son fauteuil, mais en s’identifiant aux acteurs est hautement éducatif : c’est un des stimulants essentiels à la créativité, à la condition que soient bien explicités les avantages et les inconvénients techniques de chaque innovation. Il ne nous suffit plus d’admirer les « belles pièces » du Musée. Il faut nous pencher sur tous les éléments qui jalonnent leur filiation. Et c’est ici que la collection du Conservatoire prend toute sa valeur. Des pièces en apparence peu significatives au moins pour le grand public constituent en fait des maillons sans lesquelles la chaîne perd son sens.
Comment le Musée peut-il en pratique jouer ce rôle d’éveilleur de créativité ? De deux manières : d’une part par la présentation des objets qui doit être la révélatrice de l’innovation. C’est certainement en ce domaine que le Musée est le moins convaincant : il suffit d’imaginer ce que l’on pourrait faire avec la collection de boîtes de vitesse pour en être persuadé. Un gros effort est à faire auquel doivent être étroitement associés les professeurs que leur compétence technique spécialisée met à même de comprendre les points clés de l’innovation et le Département d’histoire des techniques dont la compétence générale et la connaissance de la chronologie est indispensable à l’interprétation du progrès et de ses causes profondes.
Nous retrouvons ici la nécessité d’associer par des vacations convenables le corps enseignant aux conceptions du Musée. Mais nous ressentons aussi combien l’enseignement de 1’histoire des techniques peut accroître la qualité de la formation des ingénieurs.
À condition évidemment que cet enseignement soit complété. En effet peu d’étudiants pourront consacrer une part de leur temps à un enseignement complet d’histoire des techniques qui est destiné à former les futurs maîtres dans cette discipline -très sous développée en France hélas, mais dont l’essor est inéluctable- ainsi que ceux qui auront l’occasion d’en appliquer les connaissances par exemple à la direction d’un musée technique, ou comme responsables d’expositions, voire comme spécialistes de la sauvegarde et de la restauration des collections publiques ou privées. Il est destiné aussi à ceux qui ont le temps de se cultiver en ce domaine. C’est le côté « école du Louvre » de cet enseignement.
Mais que faire en faveur de l’ingénieur spécialisé qui ne peut consacrer 50 heures ou plus à cette formation, mais à qui 4 heures de réflexion guidée sur la créativité vécue par l’histoire apporteraient certainement un supplément d’imagination ? La solution est simple : il faut que le Département d’histoire des techniques dispose d’enseignants disponibles pour apporter en quelques heures de réflexion historique et de stimulation de la créativité aux enseignements des principales disciplines techniques dont les professeurs n’auraient ni le temps ni parfois la formation nécessaire pour préparer un cours qui relie l’histoire à travers les théories modernes de la créativité.
Le CNAM dispose ici d’un atout majeur et largement inexploité : sa multidisciplinarité d’ensemble histoire des techniques - musée - enseignement moderne offre à l’industrie française un cadre unique pour développer les ressources humaines de ses entreprises.
Ce qui précède nous conduit à considérer les "réserves" du musée non comme un magasin d’accessoires pour expositions occasionnelles, mais comme une matière d’étude accessible en permanence.
c) Le Musée au service de la formation humaine de l’ingénieur
Le CNAM a su développer à la fois un enseignement des techniques et une formation dans divers domaines-clés des sciences humaines tels que l’économie, la gestion, la politique scientifique, les relations entre le développement technique et la vie économique et sociale.
Ces sciences humaines sont enseignées en vue de leurs applications aujourd’hui et demain, mais il est peu de cas où l’analyse du passé ne soit nécessaire pour éclairer l’avenir Le Musée des Techniques offre une matière à réflexion prodigieusement riche. Sa présentation rénovée doit tenir compte de notre besoin culturel et éducatif de saisir les progrès techniques dans leur contexte économique et social.
Il est inutile de développer davantage cette rubrique : on transposera sans peine ici ce qui a été dit dans les pages précédentes et notamment le rôle du Musée vis à vis de l’Enseignement et celui des enseignants vis à vis du Musée. Cet esprit de synergie s’est perdu quand le Musée s’est décroché du présent et quand l’enseignement a cessé de ressentir son intérêt. Il est à recréer d’urgence.
d) L’avenir de l’enseignement du CNAM
Toute cette analyse qui occupe les paragraphes·II.2 plaide pour une forte interaction entre le Musée et l’Enseignement. Elle suppose donc une certaine conception de ce dernier, Bien qu’elle ne fasse pas partie de notre mission, une réflexion sur l’avenir de cet enseignement ne peut être éludée dans ce rapport.
Indiquons donc brièvement ce qui nous semble essentiel. Le CNAM est l’outil privilégié de valorisation des ressources humaines de l’entreprise. Cette expression que je reprends et souligne est lourde d’implications ; toutes les missions de l’enseignement du CNAM en découlent :
– mise à jour permanente des connaissances de chaque acteur, qui lui sont nécessaires à son niveau ; élargissement permanent de ces connaissances pour permettre à chaque acteur d’atteindre son plein développement ;
– lui donner les moyens d’intégrer son action dans un cadre plus vaste, dans laquelle prend tout son sens ;
– bref faire de lui un agent de progrès conscient et responsable.
On reconnaît là les missions définies comme formation permanente et promotion sociale mais on notera plus particulièrement l’accent mis sur la complémentarité nécessaire entre le perfectionnement de l’outil intellectuel proprement dit et la « culture » (la vision du monde) qui assure la pertinence de son utilisation.
Le rôle du CNAM répond à des besoins qui ne feront que croître du fait de l’évolution rapide de nos techniques et de nos sociétés, du fait aussi de l’évolution de notre civilisation vers une complexité croissante.
D’autres organismes, notamment les Universités, tendront à assumer au moins en partie cette mission. La spécificité du CNAM consiste à maîtriser à la fois la formation permanente et la promotion sociale en développant simultanément le savoir, le savoir-faire, et leur finalisation. Cette conjonction lui donne pour longtemps une place à part dans l’enseignement technique. Le Musée rénové, embrassant tout le passé jusqu’au présent en évolution est une pièce importante de l’enseignement, de sa crédibilité et de son rayonnement.
II.3) Mission d’éveil et de récréation
Se cultiver et apprendre suppose un effort et une patience. Cette discipline n’est consentie que si l’on en ressent le besoin. Une certaine initiation, un éveil, est souvent nécessaire. Et cet éveil doit être provoqué tout naturellement à l’occasion d’une visite distrayante à laquelle on consacre un moment de loisir en famille ou avec des amis.
Le Musée des Techniques possède tout ce qu’il faut pour attirer le public, lui donner l’envie de rester et de revenir. Mais ici une remarque s’impose la qualité de son contenu est absolument nécessaire mais non suffisante pour qu’un Musée soit attractif ; la présentation joue un rôle primordial ; un Musée, si sérieux soit-il, est aussi un spectacle.
Et ce spectacle exige une animation. Un personnel supplémentaire est nécessaire pour accueillir et guider, en fait pour· mener le jeu. On ne peut certes pas espérer montrer autant de techniques en fonctionnement que le Palais de la Découverte présente d’expériences scientifiques ; un minimum de "démonstrations" est cependant indispensable et le personnel d’animation doit comporter une bonne proportion de techniciens capables de faire marcher certains appareils (au moins à certaines heures), et cela évidemment sans aucun risque.
Cet objectif se traduira plus loin par des contraintes pour l’organisation des salles.
Une question est souvent posée : faut-il une animation spéciale pour les jeunes ? Notons d’abord que le Musée a vis à vis de cette clientèle un rôle particulier à jouer, celui d’éveilleur de vocations. Car le Musée ne présente pas que des techniques ; il retrace souvent la vie de ceux qui les ont créées ou modifiées ; il constitue une galerie de portraits d’autant plus attachants pour les jeunes qu’il s’agit d’« aventuriers ». Les découvertes, le progrès, sont des aventures auxquelles il est aisé d’intéresser la jeunesse.
Il ne paraît pas souhaitable de spécialiser des sections pour jeunes, car un des attraits du Musée est précisément cette entrée dans le monde des grands, celui des acteurs techniques de notre civilisation. On veillera simplement à ce que la présentation ne soit pas hermétique pour les jeunes, comme d’ailleurs pour tous les non-initiés, et l’on s’attachera à développer un accueil et un guidage adapté à ce public, dans le cadre normal d’un Musée pour adultes, conçu non seulement pour présenter les techniques mais aussi pour montrer le contenu des diverses carrières d’ingénieur, et leurs rôles dans la société. À travers cette information technique les jeunes peuvent s’orienter mieux dans un monde très complexe où le hasard remplace trop souvent le choix conscient.
CHAPITRE III
LE MUSÉE DU CNAM DANS SON ENVIRONNEMENT NATIONAL
Ce n’est pas sortir du cadre de la mission qui m’a été confiée que d’analyser les rôles d’organismes différents mais avec lesquels devraient se concrétiser des complémentarités et des synergies, sans qu’aucun perde son identité propre.
Ces organismes sont :
– le Palais de la Découverte,
– la Cité des Sciences et de l’Industrie, appelée plus simplement dans- la suite La Villette,
– les Musées techniques spécialisés,
– les Musées techniques généraux très divers épars dans beaucoup de régions de France.
a) Le Palais de la Découverte
Sa mission est claire et remarquablement bien remplie, compte tenu des moyens –insuffisants - dont il dispose : présenter la connaissance scientifique, sa genèse, sa dynamique. C’est en somme le Palais du Savoir.
Les techniques sont de plus en plus liées à ce savoir : leur contenu scientifique ne cesse de croître. Les liens doivent donc être très étroits entre le Palais et le Musée du CNAM, chacun ayant maintes occasions de renvoyer à l’autre, et tous deux étant appelés à collaborer sur des projets précis.
Il est évident qu’une question se pose : pourquoi ne pas réunir ces deux établissements en un seul ? La réponse, négative, résulte de considérations pratiques et conceptuelles.
Il s’agit de deux musées « sérieux » dont la visite demande un réel effort. Il importe que leur taille ne soit pas excessive, et que chacun des contenus présente une certaine homogénéité. La somme des deux organismes qui auraient chacun atteint leur taille optimale serait un monstre hétérogène dans lequel l’esprit et l’attention du visiteur risquerait de se perdre. Voilà pour l’aspect pratique.
Au plan conceptuel il faut noter que l’esprit dans lequel doivent être présentés les objets et les expériences est totalement différent dans les deux musées. Ce n’est pas la même équipe qui peut à la fois imaginer les dispositifs qui font vivre la genèse de la science et savoir présenter le tissu technologique dans ses rapports avec le contexte économique et social.
En schématisant on peut dire que le Palais de la Découverte présente la genèse et l’état du savoir, tandis que le Musée des Techniques s’intéresse à l’évolution et aux difficultés du savoir-faire. Certes le Palais n’est pas étranger au savoir-faire, mais il s’intéresse essentiellement à celui du chercheur tandis que le CNAM doit privilégier celui du producteur en séries de biens et de services. Au Palais donc l’accent est mis sur la Recherche Fondamentale, et son rôle dans la création des connaissances, tandis que le CNAM privilégie la Recherche Appliquée d’où découlent des techniques opérationnelles. Il est évident que cette distinction peut dans certains cas être quelque peu artificielle. Dans ces rares occasions une concertation entre les deux Musées s’imposera.
Donc maintenons ces deux organismes séparés tout en créant entre eux les synergies évidentes, chacun s’attachant à renvoyer le visiteur à l’autre en lui expliquant la nature de la complémentarité, en suscitant aussi des manifestations distinctes mais coordonnées ou parfois uniques et partagées.
b) La Cité des Sciences et de l’Industrie
L’ambition de la Villette fut dès l’origine de présenter les grandes aventures industrielles et leurs relations avec les sciences. Mais le champ à couvrir est immense et des choix s’imposent. En fait ils sont dictés par une nécessité : notre civilisation technique exige un lieu - autant que possible prestigieux, ce qui·est le cas de la Villette - où l’on expose et explique des grands projets techniques en cours d’étude ou de réalisation.
Il est inadmissible que le grand public ne puisse se faire la moindre idée de ce que représentent d’efforts et de conséquences par exemple :
– le tunnel sous la Manche,
– les TGV,
– le projet Hermès,
– la régularisation de la Loire,
– la Centrale Superphénix, ...
Présenter ces grands projets exige des volumes et des moyens incompatibles avec les tailles et budgets - même rééquilibrés - du CNAM et du Palais. Un organisme ad hoc est indispensable. Son rôle éducatif et culturel est évident. De plus s’il expose correctement les impacts des projets - ceux qui sont bénéfiques comme ceux qui peuvent gêner - il devient un lieu de discussions d’où peuvent résulter consensus ou améliorations. En outre ces grands projets ont besoin d’une « vitrine », car pour les « vendre » - même à l’étranger -, il ne suffit plus d’y intéresser les seuls spécialistes : des courants d’opinion sont nécessaires.
Supposons donc la Villette axée vers ce grand objectif, et dotée de moyens pour l’atteindre (taxes sur grands travaux par exemple). Le Palais et le CNAM seront naturellement appelés à apporter leur collaboration, l’un pour concevoir les expériences qui feront comprendre le contenu scientifique des grands projets, l’autre pour contribuer à les situer dans la continuité ou dans les mutations du progrès technique.
La présentation de ces grands projets est par nature limitée dans le temps, le plus souvent deux à trois ans. Avec 3 ou 4 projets majeurs en exposition, plus quelques projets de moindre ampleur la Villette assure un renouvellement annuel partiel qui en maintient un haut niveau de fréquentation.
Mais que deviennent ces expositions après leur fermeture ? Si elles ont été conçues à la taille nécessaire elles ne seraient ni déplaçables ni conservables et c’est dans la nature des choses. Mais certains de leurs éléments - à condition d’avoir été au départ conçus dans cette optique - devient trouver leur place définitive au Palais et au CNAM.
Un exemple : le problème des Trains à Grande Vitesse. Leurs problèmes sont passionnants ; les réponses techniques sont originales et assez facilement rendues compréhensibles. Quel enfant - auquel rien n’échappe - n’a pas demandé pourquoi les rails du TGV ne sont pas verticaux à un père incapable de donner une explication. Les présenter en vraie grandeur n’est pas très difficile mais exige du temps, de l’argent, et un certain talent. Autour de « l’écorché » du TGV ou au moins de certaines de ses parties doivent figurer les principes scientifiques et techniques sur lesquels reposent ses divers éléments.
Ce sont ces modèles réduits, ces maquettes, et quelques composants en vraie grandeur qui regagneront ultérieurement le Palais et le CNAM.
Quant à l’impact économique et social, visualisable par des panneaux animes figurant notamment divers flux de personnes et de marchandises, son ex-· posé doit nécessairement entrer dans un Musée des Techniques, dans lequel les transports occupent une place de choix.
Ainsi la France disposerait sous une forme unique au monde d’un ensemble complet présentant :
– le savoir, dans sa genèse, sa structure et ses interrogations,
– le savoir-faire technique, dans sa diversité actuelle, son évolution historique et ses rapports avec la vie économique et sociale en général,
– leur mise en œuvre dans les cas les plus spectaculaires des grands projets en cours de discussion ou de réalisation.
Mais cet ensemble exceptionnel et coûteux ne peut se contenter d’un impact - si fort soit-il - limité dans l’espace à la population d’une ville, Paris, ou d’une région, l’Ile-de-France. Son rôle est national, et si une politique de transports de groupes à prix réduits en provenance de toute la France et même de l’Europe s’impose, elle doit être complétée par des relais décentralisés et nombreux. Ces relais existent, même si certains sont encore à créer. Ils doivent bénéficier de l’appui, de la coopération, - bref d’une totale synergie - des composants de l’ensemble défini ci-dessus.
La nature de ces relais et les modalités de la synergie souhaitable forment le thème du paragraphe suivant.
c) Les autres Musées Techniques à vocation générale ou spécialisée
Ils sont nombreux, dispersés sur tout le territoire, et de natures diverses.
Les uns sont issus de collections particulières (l’automobile à Mulhouse par exemple), et ce sont en général des Musées spécialisés.
D’autres ont été suscités par des vocations régionales (la Chaussure à Romans par exemple, ou la Bonneterie à Troyes).
D’autres encore, plus ou moins généraux se sont créés à l’ombre des « Muséum d’Histoire Naturelle » qui se sont multipliés au XIX et ont suscité un intérêt pour les « leçons de choses » du début de notre Siècle.
D’autres enfin ont tenté de moderniser un Musée d’Artisanat local.
Cette précieuse diversité cache souvent des trésors ainsi qu’une extrême pauvreté.
Dans l’ensemble ce sont les Musées Techniques spécialisés qui sont le mieux structurés. Leur présentation pêche cependant souvent par la faiblesse des explications techniques.
Un peu partout on ressent le besoin d’un Musée « de proximité » qui suscite l’intérêt pour des « leçons de choses » adaptées à la civilisation moderne. Le développement des Musées régionaux est une nécessité.
Le rôle du Musée National des Techniques vis à vis de tous ces Musées peut être considérable et multiforme. Inversement, il peut tirer de nombreux enseignements et de fructueuses synergies d’une coopération permanente.
Les grandes lignes de cette coopération ont déjà été précisées. Rappelons simplement :
– les prêts d’objets pour des durées courtes ou longues,
– la réalisation de maquettes en série pour plusieurs musées,
– l’édition de documents communs,
– la réalisation d’expositions communes, ...
Ce qui est essentiel c’est que la visite d’un Musée donne envie de visiter tous les autres, qu’elle fasse sentir l’existence d’un vaste réseau national dont le but est d’intégrer dans notre culture générale cette culture technique sans laquelle le monde moderne nous est en partie étranger.
Rappelons enfin que les ateliers du Musée National des Techniques devront jouer un rôle national en constituant un véritable centre de réparation et d’entretien des objets techniques anciens. Ce rôle devrait d’ailleurs devenir européen
d) Ce qui précède décrit le rôle du Musée National des Techniques vis à vis de l’ensemble du « système » des Musées Scientifiques et Techniques, qui se développe sous la pression du besoin de culture technique des non techniciens.
Ce besoin est si fort que l’on voit se créer des organismes divers, souvent sous forme d’Associations, qui se donnent pour mission la diffusion de la culture scientifique et technique. Ils sont souvent conseillés, suscités, ou soutenus par le Ministère de la Recherche. Citons·par exemple la CCST de Grenoble, l’ALIAS de Lille, DEVENIR à Poitiers
De tels organismes vont se multiplier, et l’on trouvera bientôt dans chaque ville importante ou même moyenne. Il sera exceptionnel qu’ils puissent bénéficier de la présence d’un musée local, de ses collections et de sa documentation.
Il sera évidemment dans la vocation du Musée National des Techniques d’aider ces initiatives. On retrouve ici le rôle des expositions itinérantes, mais elles ne constituent qu’un aspect de la coopération souhaitable : mise à disposition de documents, de cassettes vidéos, de schémas d’expériences, de plans d’appareils à construire, ...
Tout laisse prévoir que la pression de cette demande exigera du Musée une très forte activité d’éditions de toute nature. Il doit être équipé pour le mener à bien.
CHAPITRE IV
LES STRATÉGIES DE LA RENAISSANCE
IV. 1) La solution idéale
Pourquoi décrire une solution irréalisable, une véritable utopie ? Parce que toutes les solutions envisageables en pratique seront le résultat de choix douloureux tels que l’abandon de certains domaines, le renoncement à l’exhaustivité pour d’autres, la délocalisation de certaines activités, etc. Ces choix ne peuvent être effectués que par référence à un état idéal, ce qui met en lumière la nature des divers sacrifices à consentir et leurs inconvénients et suggère les palliatifs nécessaires. Partir des contraintes des diverses solutions auxquelles ont peut penser sans disposer de la vue d’ensemble conduirait à des erreurs regrettables.
Présenter le Musée idéal, c’est faire apparaître en filigrane la problématique des choix à faire. Tel est le but de ce « rêve ».
Le Musée National des Techniques, situé dans les lieux mêmes qui ont vu sa naissance, présente l’ensemble des techniques, et le détail de leur évolution jusqu’à l’époque actuelle. Pour éviter de noyer le visiteur sous une masse d’objets divers, les présentations de chaque technique se font à deux niveaux bien distingués par la disposition des locaux ou·dans certains cas par une signalisation et un fléchage rigoureux.
Le premier niveau est essentiellement culturel. Toutes les étapes significatives de l’évolution de chaque technique sont illustrées dans le Musée, en insistant sur leurs liens avec le contexte général scientifique et technique - il s’agit d’expliquer le progrès de chaque technique par sa dynamique propre et par les bénéfices qu’elle tire des progrès de la connaissance scientifique et de ceux des autres techniques, montrant ainsi la genèse du « système technologique » moderne - ainsi qu’avec le contexte politique, économique et social - il s’agit ici de l’émergence du monde moderne dans toutes ses implications humaines : le blocus de l’époque napoléonienne, le rôle des techniques dans la seconde guerre mondiale, l’évolution du rôle de la main de l’ouvrier, la naissance de nouvelles « qualifications », etc.
Le second niveau est essentiellement didactique. Il s’adresse aux plus curieux du grand public - ils sont très nombreux - ainsi qu’aux étudiants et aux professionnels. L’observation des détails de l’évolution d’une technique donnée n’est pas seulement la source de l’histoire des techniques ; elle fait réfléchir sur la nature des succès et des échecs du progrès technique ; elle donne aux spécialistes une culture générale technique dans les domaines qui leur sont extérieurs et cependant utiles ; elle est le stimulant de la créativité.
Les objets qui font double emploi avec ceux présentés à ces deux niveaux sont en « réserve », que ce double emploi résulte de leur nature même ou de leur signification Ces réserves ne font pas l’objet d’une muséologie recherchée, mais elles sont bien classées et tous les objets sont aisément accessibles sur demande.
La présentation des salles permanentes se doit d’être exemplaire et aérée si la présence de machines en marche est pratiquement exclue dans ces salles, du moins une animation, notamment par l’éclairage et par des schémas en mouvement est réalisée toutes les fois que possible. En outre une galerie est spécialement aménagée (en plusieurs sections indépendantes) pour présenter des appareils ou des procédés en marche.
Le Musée ne se borne pas à montrer des appareils ou des objets. Il dispose d’une collection prestigieuse de documents, qu’un stockage moderne permet de consulter sur demande tandis qu’une sélection limitée en est présentée dans une salle spéciale accessible au grand public. Cette sélection est fréquemment renouvelée, pour ne pas exposer trop longuement ces archives exceptionnelles à la lumière.
Une grande salle est réservée à des expositions temporaires alimentées par les réserves et par d’autres musées français ou étrangers, sur des thèmes « polytechniques » ou liés à une actualité Beaucoup de ces expositions sont itinérantes et sont confiées par roulement aux divers musées régionaux publics ou privés qui doivent disposer de belles salles pour les accueillir.
Le Musée entretient des liens étroits avec les enseignements du CNAM : ses professeurs sont les conseillers du Musée ; les spécialistes du Musée complètent les enseignements par la référence historique et par leurs leçons de créativité. En outre le Centre de Documentation d’Histoire des Techniques, étroitement relié au Musée y dispose d’une antenne apte à répondre à toute question des visiteurs.
Le Musée dispose de nombreux services relations extérieures, muséologie, publications, réparations, entretien, construction de panneaux animés, modèle et maquettes, qui s’appuient sur des ateliers - du bois, du fer, de montage, ...- et des surfaces de dégagement. Ces services sont en accord avec la richesse et la diversité des collections, c’est à dire d’une qualité extrême. Comme tels ils jouent un rôle national et travaillent non seulement pour le CNAM, mais aussi pour l’ensemble des musées qui concourent au développement de la culture scientifique, technique et industrielle en les aidant dans les cas difficiles. Entre ces divers musées existe d’ailleurs une Association, l’AMCSTI, dont le siège est dans le Musée National.
D’ailleurs le Musée National des Techniques se doit de coopérer avec tous ces musées, par le prêt de matériels, la réalisation d’expositions communes, la complémentarité des fichiers, etc. et la compétence et l’infrastructure du Musée National est à la disposition de tous. L’AMCSTI est un élément essentiel de l’animation et de la gestion du réseau.
Ce schéma idéal se heurte à de dures réalités : la faiblesse des moyens actuels -mais une volonté politique peut y remédier- et l’exiguïté des locaux du Musée : environ 10.000 m2 actuellement ; le musée idéal en exige entre 25.000 et 30.000 !
IV.2) Les solutions envisagées dans le passé
Pratiquement tous les rapports analysant la situation du Musée National des Techniques ont proposé des solutions pour le sortir de sa léthargie. Mais l’évaluation de ces solutions y est en général trop sommaire ou trop globale car elles sont rarement confrontées à la problématique plus détaillée que révèle le schéma du Musée idéal.
Indiquons donc les diverses solutions proposées sans les commenter. Leurs avantages et inconvénients seront exposés dans les paragraphes suivants, qui reprendront les principaux objectifs du musée idéal.
- a) La première solution envisagée est radicale transfert de l’ensemble du Musée National des Techniques vers un site nouveau, à construire ou existant ; on a évoqué la quatrième travée de la Villette, l’ancienne usine Menier de Noisiel et même les anciens abattoirs de Lyon. C’est en somme le musée idéal, mais coupé de ses racines, et sans lien avec l’enseignement du CNAM.
- b) La seconde solution se situe à l’extrême opposé. Le Musée reste au CNAM, mais il est réduit à la présentation des seules belles pièces historiques. Le reste va dans des réserves, à l’extérieur du CNAM et en ressortent parfois à l’occasion d’expositions.
- c) Variante de la précédente la troisième solution envisage la création d’une réserve unique, et visitable pour l’essentiel, avec classement thématique. C’est en somme la séparation du niveau culturel et du niveau pédagogique, mais avec une frontière -si l’on peut employer ce mot alors qu’existe par nature une certaine continuité entre les deux- probablement mal placée.
- d) Variante de la précédente, la quatrième solution n’en diffère que par l’éclatement de la réserve accessible, en un certain nombre de sections thématiques localisées auprès d’un musée régional de même thème, ou situées dans des centres à créer auprès d’universités, ou de centres régionaux du CNAM.
Il faut noter que la plupart des rapports qui exposent ces solutions sont pratiquement muets sur deux points :
– les places relatives à faire dans le musée au présent et au passé l’impression qui domine est que l’on renonce à renouer les liens entre les techniques anciennes et celles d’aujourd’hui, comme si le vide à combler depuis les années 20 faisait peur ;
– les critères qu’il faut utiliser pour délocaliser à bon escient les réserves didactiques.
Il faut noter aussi que les solutions qui impliquent un transfert partiel ou total de la Villette sont muettes sur la vocation propre -mal définie - de la Cité des Sciences et de l’Industrie. Or cette définition est indispensable pour que s’instaure un partenariat efficace.
On a l’impression, à lire certains rapports, qu’on admet implicitement que la Villette est le Musée des Techniques d’aujourd’hui. Bien qu’elle soit démentie par le fait, je n’exclus pas cette hypothèse. Je lui préfère cependant et de loin celle, esquissée au chapitre III, d’une Cité consacrée aux grands projets nationaux et même mondiaux, vus dans tout leur environnement scientifique, politique, économique et social.
Il est clair qu’un partenariat à établir entre CNAM et CITE serait totalement différent dans les deux hypothèses.
La solution qui sera proposée plus loin doit tenir compte d’un en semble de contraintes qui excluent l’utopie du Musée idéal mais aussi suggèrent un compromis réaliste qui permet d’atteindre dans une large mesure ses principaux objectifs.
IV. 3) Les contraintes
Elles sont nombreuses. Deux d’entre elles sont immatérielles. La première est la nécessaire permanence du Musée du CNAM dans les locaux de la rue St-Martin, où il a été créé, il y a deux siècles, par un homme qui a su à la fois créer l’outil que réclamait son époque et en pressentir la portée future et universelle. L’implantation du Musée rue St-Martin a valeur de symbole. De plus la plupart des salles anciennes sont prestigieuses et incitent à aborder les aspects culturels de la technique avec un esprit plus réfléchi, pénétrant et même recueilli. Enfin on ne saurait trouver d’autre lieu situé en plein Paris offrant les mêmes avantages d’accessibilité pour tous et de proximité pour des enseignants, des étudiants et des chercheurs.
La seconde est temporelle. En 1994 on célèbrera le bicentenaire de l’ouverture du CNAM. Il est évident que la renaissance du Musée doit être affirmée au plus tard à cette date. Il faut donc trouver une solution réalisable en un délai relativement court.
Les autres contraintes sont matérielles.
La solution adoptée doit être prestigieuse, à la hauteur de l’intérêt culturel et éducatif du Musée, sans pour autant être ruineuse. En fait le souci d’économie apparaîtra compatible avec le désir légitime de développer un Musée digne de la France et même de l’Europe.
La principale contrainte est celle de l’espace. Quelle que soit la place récupérable au CNAM, il est évidemment exclu d’y présenter la totalité des collections, ce qui serait d’ailleurs une erreur du point de vue muséologie. Mais il est également exclu d’un conserver dans des conditions convenables les pièces non exposées, mises en réserve, qu’il s’agisse d’objets ou de documents. Il faut donc trouver ailleurs qu’au CNAM un espace convenable, d’autant plus important que ces pièces non exposées doivent être accessibles, observables, parfois mises en marche par les professeurs, les chercheurs, souvent les étudiants et parfois même accessibles à un public plus large.
Une autre contrainte est celle de la gestion. Elle est plus complexe qu’il paraît à première vue. D’une part les présentations du Musée ne doivent pas être figées si les événements essentiels doivent y être toujours présents, l’accent peut être mis successivement sur plusieurs de leurs aspects. D’autre part les objets non montrés à un moment donné ne sont pas faits pour rester dans des oubliettes. Objets d’étude en permanence, ils sont aussi appelés à sortir de leur réserve pour venir au grand Musée ou participer ailleurs à d’autres présentations. Ceci suppose une logistique opérationnelle très élaborée et les moyens matériels de la mettre en œuvre.
Dernière contrainte : l’état des collections ; la conservation de ce patrimoine exige un énorme travail de consolidation, de rénovation ou de réparation. Dans la situation actuelle on arrive à remettre en bon état sensiblement moins de 100 objets par an. Près de 40.000 réclament des soins !
Toutes ces contraintes expliquent la solution adoptée et les divers principes sur lesquels devra reposer son fonctionnement.
IV.4) La solution retenue
Elle accepte l’inévitable séparation des collections sur deux emplacements à vocations différentes. L’un, rue St-Martin, est consacré au grand Musée du CNAM, l’autre proche de la capitale destinée à abriter les « Réserves ».
Le grand Musée est limité en surface, encore qu’il doive être possible d’augmenter l’emprise actuelle d’au moins 30 si ce n’est 50 pour cent. Il ne présente que les pièces essentielles -dont certaines sont à acquérir- qui illustrent le développement des techniques dans leur contexte économique et social. Sa mission essentielle est d’introduire la culture technique dans la culture en général. S’il ne peut être exhaustif dans l’espace, il peut l’être dans le temps grâce au double mécanisme des expositions temporaires et des présentations complémentaires tournantes.
Les réserves ne sont pas le simple dépôt des pièces inutilisées. Elles sont le centre de leur gestion en vue de leur utilisation par les enseignants, chercheurs et étudiants, et de leur présentation plus ou moins temporaire dans le grand Musée et ailleurs. Outil logistique indispensable, les réserves constituent donc aussi un outil de travail et de recherche. Mais nous verrons qu’on doit en fait leur attribuer une mission plus complexe.
Ces deux unités doivent être soutenues par des services dont les uns sont étroitement liés au Musée - accueil, gardiennage, guidage, information, documentation, promotion, etc.- et les autres situés à proximité immédiate des réserves -entretien, réparation, duplication, tri, expédition, etc.
Tous ces points exigent des développements qui préciseront les modes de présentation dans le Musée, et de stockage et de conservation dans les ré serves ainsi que les mécanismes d’osmose entre les deux entités, de même qu’entre cet ensemble et les autres organismes qui contribuent à l’enrichisse ment de la culture moderne par une meilleure compréhension de la nature de la connaissance scientifique et de ses applications techniques à notre vie économique et sociale.
Tel est le but des deux chapitres qui suivent.
CHAPITRE V
LE GRAND MUSÉE DU CNAM
Tentons donc maintenant une synthèse de ce que doit devenir le Musée du CNAM proprement dit. Le chapitre suivant sera consacré à sa réserve opérationnelle ; nous nous limitons donc ici à ce qui doit rester et se développer rue St-Martin.
Pour que cette synthèse soit cohérente et regroupe tous les éléments utiles à ceux qui auront la charge de mener l’opération de rénovation, des redites seront inévitables. Elles seront aussi condensées que possible.
V.1) La mission du Musée du CNAM et ses voies d’accomplissements
Rappelons qu’elle est de présenter à tout public les grandes dates qui jalonnent le progrès technique en explicitant la nature de l’innovation, ses liens avec le contexte économique et social, et ses impacts de toute nature sur la société de l’époque.
Pour atteindre ce but, le Musée dispose de ses collections propres et parfois de prêts. En outre il réalise des schémas, des tableaux, un « décor » qui rend vivant les objets ou documents qu’il présente.
Cette présentation est réalisée par la conjonction de trois éléments :
– une exposition permanente
– des présentations temporaires, mais d’assez longue durée, de l’ordre de à 2 ans, qui dans le cadre de l’exposition permanente mettent l’accent avec plus de détails successivement sur les divers aspects d’un même thème. Nous les désignerons par la suite par le vocable : présentations complémentaires.
– des expositions temporaires sur un thème précis, si possible relié à un fait d’actualité. D’une durée limitée de 1 à 3 mois, elles sont présentées dans une salle spéciale. Elles seront souvent multidisciplinaires. Un droit d’entrée supplémentaire y donnera accès pour les visiteurs du Musée.
Reprenons ces trois points.
V.2) L’exposition permanente
De caractère essentiellement culturel, la partie fixe du Musée doit être dotée d’une présentation vivante et très élaborée. Mais, faute de place, des choix s’imposeront, et il faut répondre à deux questions essentielles :
– quel degré d’exhaustivité faut-il atteindre ?
– quelles impasses totales ou partielles sont admissibles, sur des époques ou des techniques ?
Si l’on veut éviter un sentiment de frustration chez les visiteurs et si l’on souhaite montrer la complexité du système technique et l’interaction de ses composantes, la réponse est simple : il faut exclure les impasses et la seule élasticité possible se trouve dans la plus ou moins grande exhaustivité de la présentation de chaque domaine technique. Mais la nécessaire sélectivité doit obéir au critère suivant : aucune mutation technique majeure ne doit être passée sous silence ; toutefois, quand il existe en France un musée spécialisé, la technique correspondante peut être représentée plus synthétiquement, avec panneaux séduisants de renvoi à ce musée.
Certains de ces musées spécialisés sont d’ailleurs à créer, de préférence au voisinage immédiat des centres régionaux du CNAM. Par exemple on peut penser à un musée de l’Électronique à Toulouse et du Bâtiment et Travaux Publics à Nantes.
Une importante question se pose à propos de l’exposition permanente « historique ». Doit-elle s’arrêter au passé tout proche ou englober le présent ? Ma réponse est nette - il faut englober le présent - mais elle demande à être justifiée, car on peut très bien concevoir un Musée d’Histoire des Techniques s’arrêtant à hier sans présenter l’actualité que nous sommes censés connaître puisque nous la vivons.
Notons d’abord qu’englober le présent est conforme à la vocation originelle du CNAM, conçu en 1794 comme le reflet de l’actualité. Notons aussi que le titre même du Muséum National des Techniques implique la présentation de toutes les techniques d’aujourd’hui comme d’hier, avec leurs filiations et leur interaction.
Mais il importe avant tout de nous mettre à la place du public, dont la « culture technique » est parfois inexistante. Sa sensibilisation passe par le contact direct avec les techniques qu’il côtoie sans les connaître et qui pour tant constituent son cadre de vie. Parler des techniques de l’impression sans dire un mot des « imprimantes » qu’il voit tous les jours est frustrant. Ou, pour prendre un exemple plus humoristique, présenter une lessiveuse (innovation très remarquable) perd son intérêt s’il n’y a pas à ses côtés une machine à laver le linge moderne dans laquelle interviennent l’électronique, la mécanique, l’électricité, les matériaux les plus modernes (plastiques et aciers spéciaux) et la chimie des détersifs.
Donc je suis résolument pour englober l’actualité, la prise en compte de la psychologie des visiteurs me paraissant essentielle. Je n’exclus pas cependant une forte sélectivité, et renonce volontiers à une exhaustivité inaccessible. Les critères du choix se dégageront de l’expérience. À titre d’exemple on s’attachera plus aux principes et aux composantes des techniques modernes qu’à leurs dimensions réelles et à leurs combinaisons.
Présenter la distillation et la cracking catalytique est indispensable, tandis que faire vivre l’ensemble d’une raffinerie est du ressort de la Villette. De même le béton et sa précontrainte a sa place au Musée, tandis que les gros outils de la précontrainte ne seront évoqués que par photographies, les outils eux-mêmes pouvant, ici encore trouver place à la Villette.
Mais ce qui est certain c’est que le Musée ne peut passer sous silence ni l’usage moderne du béton ni les techniques qui nous fournissent nos carburants.
Dérouler le fil de l’histoire jusqu’à nos jours et pour toutes les techniques entraîne un risque : une schématisation poussée à l’extrême qui se limite tellement à l’essentiel que toute vie disparaît. En fait ce risque est évitable grâce à une politique de présentation souple et réfléchie. Donnons-en quelques exemples.
Si pour une technique donnée la chronologie des évènements marquants doit être bien apparente, rien n’empêche de traiter ces évènements de manière différente, les uns en détail, les autres plus rapidement. Ceux qui auront ainsi été plus ou moins sacrifiés pourront faire l’objet, à tour de rôle, de présentations complémentaires dont on explicitera le principe plus loin.
Si le tableau complet de l’évolution des techniques doit apparaître dans le Musée, car les techniques se tiennent et forment un « système », rien n’empêche que certaines soient traitées plus sommairement que d’autres, notamment celles qui bénéficient ailleurs d’un Musée spécialisé. Celles qui seraient ainsi sacrifiées pourraient aussi faire l’objet de présentations tournantes.
Ainsi l’exposition permanente compenserait la rigueur de choix inévitables par des présentations complémentaires de durées limitées certes, mais beaucoup plus longues que celles des expositions temporaires. Le paragraphe suivant en explicite le principe.
V.3) Les présentations complémentaires
Leur but est de ne pas priver le public de l’accès à des pièces ou documents remarquables mais trop nombreux pour être tous simultanément exposés, ce qui exigerait trop de place et submergerait le visiteur. Dans la plupart des thèmes du Musée on est ainsi amené à distinguer une présentation fixe et une présentation « tournante », exposées en cohérence dans la même salle. Une toute petite mais admirable exposition temporaire du Musée du CNAM sur les débuts des projections animées rentrerait tout à fait dans ce schéma.
L’avantage évident de cette solution est de renouveler en permanence le Musée, sans casser sa continuité, donc de fidéliser le visiteur qui saura que revenir une fois tous les ans ou tous les deux ans réserve des surprises remarquables.
Cette politique suppose une organisation particulière des salles thématiques, et un mode de gestion adapté des pièces en réserve. Ainsi les salles thématiques pour lesquelles des choix rigoureux auraient été effectués seraient constituées d’une partie fixe et d’une partie changeante, bien articulées entre-elles.
De même on peut imaginer une salle polyvalente où se succèderaient les présentations complémentaires de techniques auxquelles le Musée ne ferait pas une place permanente.
Ces présentations de durée limitée - 1 à 2 ans - devraient pouvoir revenir périodiquement en salle (ou être montrées ailleurs), ce qui suppose un stockage bien accessible des pièces et de leur « décor » (voir chapitre suivant).
V.4) Les expositions temporaires
Incluses dans le Musée, elles en constituent une attraction qui par son caractère renouvelé incite à revenir. Elles constituent donc un élément d’animation, mais il faut se garder d’en faire une activité majeure : le musée doit être attractif par lui-même.
Certaines de ces expositions seront réalisées à partir des seuls objets de la collection, ce qui permettra d’intéresser le grand public aux éléments les plus suggestifs de la « réserve » à vocation plus pédagogique.
D’autres auront pour prétexte un fait d’actualité, un anniversaire, une grande réalisation (par exemple exposée à la Villette) dont on souhaite exposer es antécédents, une exposition artistique (sur le verre, la céramique,) à laquelle on puisse associer un contrepoint technique, etc.
On notera le cas particulier des documents et dessins. Il est nécessaire de les faire connaître, mais à tour de rôle pour éviter qu’ils se fanent : c’est une exposition temporaire à caractère permanent, si l’on permet cette expression.
Certaines expositions, les plus prestigieuses, n’hésiteront pas à faire appel à des prêts d’objets en provenance d’autres musées français ou étrangers, à charge de réciprocité.
Bien entendu ces expositions supposent des moyens, le financement ne constituant pas la difficulté majeure. Il faut disposer de services de conception, de moyens matériels de réalisation, et même de moyens de transport
Car ces expositions temporaires exigent un travail considérable, qui est justifié largement par deux objectifs. L’un est évident : la recherche du prestige, de la notoriété, par la création de l’évènement qui attire les media. L’autre est plus profond : un Musée adopte inévitablement un certain découpage de ses présentations ; par exemple, pour le CNAM, il est douteux qu’on puisse utiliser facilement un autre découpage que celui des divers domaines techniques. Or certaines idées ne peuvent être bien mises en lumière que par un autre découpage, qui, lui, ignorerait les frontières entre techniques. Les expositions temporaires sont donc, entre autres, l’occasion de superposer au plan de base du Musée une autre grille de lecture. Ce point est essentiel dans un Musée dont la vocation est de relier la vie des techniques à celle de la société.
V.5) Les services rendus aux visiteurs
Il manque au Musée actuel quelques éléments de confort indispensables aux visiteurs : ceux-ci doivent pouvoir se reposer dans des lieux agréables, à atmosphère conviviale, et se restaurer au moins sommairement mais de manière amusante. Il ne faudrait pas que le désir de séjourner plus longtemps dans un Musée fait pour exciter la curiosité soit contrecarré par des obstacles purement matériels.
Mais le public demande aussi des services plus intellectuels. Le rôle de l’Accueil est essentiel : il oriente le visiteur, lui fournit des topoguides et même des baladeurs à cassettes ; il fait en sorte que le Musée ne soit pas un dédale, mais un parcours bien éclairé. L’expérience prouve en effet que la signalisation des salles et les panneaux explicatifs ne suffisent pas pour que le visiteur se retrouve. Il a besoin d’un « mode d’emploi », ne serait-ce en particulier pour reconnaître la « hiérarchie » des textes très variés qu’on trouvera dans chaque salle.
N’insistons pas : les fonctions de l’accueil à l’entrée sont maintenant bien connues des responsables de Musées.
D’importance au moins égale est l’accueil à la sortie.
Le visiteur veut emporter des documents qui, plus qu’un simple sou venir, constitueront un prolongement de sa visite. Ce désir est facile à satis faire. Par contre il est moins aisé de satisfaire la curiosité d’un visiteur qui, stimulé par sa visite, a des quantités de questions à poser. La nature du Musée du CNAM, qui veut introduire les techniques dans la culture, lui impose de répondre autant que possible à ces questions. Un service d’information et de documentation est donc nécessaire, dans l’enceinte du Musée, relié au Centre d’étude d’histoire des techniques, qui doit être équipé pour fonctionner vis à vis du Musée comme un service SVP. Par la suite, quand se seront constituées des banques de données sur l’histoire des techniques faciles d’accès, on peut imaginer l’existence d’un terminal dans le Musée. Mais cela ne remplacera pas la présence de moniteurs compétents.
Enfin entre l’entrée et la sortie, au cours de sa visite le visiteur sera heureux de trouver des guides qui sauront répondre à une question thématique précise, ou attirer l’attention sur des points importants qui peuvent passer inaperçus. Ce besoin sera facile à satisfaire dans les salles où sont présents des démonstrateurs qui font marcher des appareils. Dans les autres salles, il faudra renforcer le rôle des gardiens, où prévoir des guides itinérants faciles à identifier.
Bien entendu tout ceci n’exclut pas l’organisation de visites guidées.
V.6) Les Services internes du Musée
Pour que le Musée vive, sa direction doit s’appuyer sur un ensemble de services qui ont été définis à propos du Musée idéal et dont aucun ne peut être négligé. La question est ici simplement de préciser ceux qui doivent rester à côté de la Direction et ceux qui peuvent physiquement en être séparés.
- a) Services situés à côté de la Direction
– le service administratif, avec une antenne à la Réserve,
– le service financier, gui peut être fondu avec le précédent,
– le service de muséologie, qui conduit toutes les études qui préparent les présentations permanentes et les font évoluer, les présentations complémentaires et les expositions temporaires. Il dispose d’un bureau de dessin rue St Martin et une antenne à la Réserve pour superviser l’exécution.
– le service de l’inventaire,
– le service de publicité et de relations extérieures,
– le service d’édition qui ne doit pas se limiter à la publication de documents, mais produire tout matériel (même des objets souvenirs) susceptibles de contribuer au prestige du Musée (et à son financement).
– le service de photographie, indispensable au précédent, dont le laboratoire sera localisé à la Réserve.
– le service des prêts (et du suivi des objets prêtés).
- b) Services situés à la Réserve
Ils seront analysés dans le chapitre suivant. Ce sont tous ceux qui concourent à l’entretien, la réparation et la duplication des pièces, ainsi qu’à la création de modèles ou de décors, sans oublier le service d’expéditions.
- c) Services situés dans le Musée lui-même
Ils ont déjà été recensés : accueil, information, gardiennage, guidage.
V.7) L’espace nécessaire
Nous avons vu que le Musée dispose d’environ 10.000 m2 de salles d’exposition potentielles en incluant les salles actuellement fermées au public pour des raisons de sécurité. L’idéal serait de disposer de 15.000 m2. Il faut donc que le CNAM fasse un effort pour trouver au moins une partie des 5000 m2 supplémentaires nécessaires.
Mais il faut aussi utiliser mieux les espaces actuellement disponibles ; il est cependant une facilité qu’il faut impérativement se refuser : beaucoup de belles salles sont très hautes et l’on pourrait être tenté d’installer un plancher à mi-hauteur. Cette solution est à prohiber absolument : le cadre du Musée doit garder la qualité qu’exige son contenu.
Ceci ne signifie pas que 1’on renonce à utiliser en partie ces grands volumes en hauteur. Il est parfaitement possible de concevoir certaines présentations à étages, à condition que la perspective du volume total soit conservée. Et l’on n’oubliera pas que de nombreux objets peuvent être suspendus.
V.8) La Muséologie
Ce paragraphe est mis ici pour mémoire, non parce que son thème est secondaire, mais au contraire parce qu’il est primordial et qu’il mériterait à lui seul une étude que je crois indispensable.
Non pas que le Musée ne soit pas compétent : sa direction a prouvé par la qualité et l’originalité de certaines présentations un grand talent muséologique et une· grande sensibilité aux problèmes d’animation. On peut être assuré que l’équipe actuelle sait parfaitement présenter tel ou tel thème particulier.
Le problème est de lui donner les moyens de concevoir les présentations du Musée dans leur ensemble, la normalisation des panneaux, le style des notices explicatives, les cas de recours à l’audiovisuel, etc.
Cette tâche de conception suppose du temps et une certaine dose d’expérimentation. Elle ne pourra être menée à bien que par un renforcement de l’équipe et par la mise en service rapide d’ateliers modernes. Ce n’est ni la compétence ni la créativité qui manquent ; ce sont les moyens matériels de recherche et d’exécution.
CHAPITRE VI
LA « RÉSERVE »
Ce chapitre, comme le précédent, est rédigé avec le souci qu’il contienne tous les éléments utiles à ceux qui réaliseront et gèreront cet outil culturel et éducatif.
Même en évitant tout retour sur les arguments qui les justifient, des redites se glisseront dans cette synthèse partielle. C’est la condition de sa cohérence.
VI.1) Les fonctions de la Réserve
La première, évidente, est la fonction de conservation des objets qui pour une durée plus ou moins longue ne sont utilisés ni par le Musée du CNAM, ni par ses expositions temporaires, ni par d’autres organismes (musées régionaux, expositions itinérantes, etc.). À cette fonction sont liées étroitement deux autres : l’entretien et la réparation, et même dans certains cas (fragilité extrême par exemple) une troisième : la réplication.
À ce premier groupe de fonctions il faut en adjoindre un second dont le but est de faciliter l’étude de ces objets et de leur fonctionnement par les enseignants, les chercheurs, et plus généralement par tous ceux intéressés par cette étude. D’où une fonction d’accessibilité, et une fonction de mise en marche éventuelle.
Ce qui précède se rapporte à des objets (réels, maquettes, etc.). Les mêmes fonctions s’appliquent aux documents, à classer dans une section spéciale d’archives, avec les mêmes préoccupations. Mais le mode de stockage n’est pas le même pour les objets et pour les documents dont certains craignent les expositions prolongées à la lumière.
À ces fonctions s’en ajoutera probablement une autre, celle d’abri pour des collections extérieures, qui pour des raisons diverses devraient rester propriétés d’autres organismes qui n’auraient pas les moyens de les entretenir, alors qu’elles présenteraient le même intérêt pour la culture, l’enseignement et la recherche que les collections propres du CNAM.
Ce serait probablement le cas de certaines archives de l’INPI et de diverses chambres de commerces (à Paris des collections de modèles d’impression sur tissus).
Une dernière fonction ne peut manquer de se développer dans l’avenir celle du tri des objets et appareils modernes.
Notre enquête a montré que nombre d’industries et de laboratoires sont prêts à donner les matériels dont ils ne se servent plus, et qui ont marqué une étape dans leurs techniques ou leurs travaux et qu’on envoie à la casse avec regret faute de destination appropriée (un exemple typique le premier spectrographe infrarouge au monde, créé par Lecomte du Nouy, disparu il y a environ 20 ans à Saint-Gobain). Tout laisse prévoir un afflux considérable de tels objets. Le choix de ceux qui seront à conserver définitivement supposera un certain recul, un effet de décantation. On m’a suggéré l’image d’un "Purgatoire" pour de tels objets ; pourquoi pas ? Certains de ces objets pourraient d’ail leurs faire l’objet de copies simplifiées, schématiques, souvent bien utiles.
Nous avons passé sous silence la fonction logistique, car elle fait partie de la gestion de la Réserve. Il n’est pas inutile cependant de souligner son importance. Beaucoup d’objets circuleront : il faudra les emballer, les acheminer, les suivre et les récupérer.
Tout ceci montre combien le titre de « Réserve » est insuffisant pour rendre compte de la dynamique de cet outil. Partie intégrante du Musée du CNAM, même si elle en est physiquement séparée, elle ne saurait être un simple livre de stockage. Le mot exact manque pour couvrir cet ensemble de fonctions, probablement parce que sa conception est encore novatrice. Il serait utile d’en créer un.
Examinons maintenant les conséquences de ces principes pour la localisation et la réalisation de cette « Réserve ».
VI.2) Première conséquence : Le besoin d’espace
La Réserve est appelée à accueillir un beaucoup plus grand nombre d’objets et d’archives que le Musée proprement dit (même si on tient compte des autres musées avec lesquels jouera un partenariat). L’image de l’iceberg est juste : la partie cachée contiendra dès aujourd’hui 10 fois plus d’objets que la partie visible, et bien plus encore dans l’avenir. Et ce facteur 10 n’est valable que pour les objets ; il sera très supérieur pour les archives.
Donc il s’impose de voir grand. Le terrain choisi devra pouvoir abriter des bâtiments de surface au moins double (personnellement je pense qu’il faut dire triple) de celle qui sera occupée dès aujourd’hui, et pour laquelle.1 5.000 M2 ne paraît pas excessive.
VI.3) Seconde conséquence : Le mode de stockage
Sa logique est imposée par le souci d’accessibilité.
Chaque objet doit avoir une place définie et être accompagné d’un document descriptif (avec historique et bibliographie) en double exemplaire, un qui reste à la place quoiqu’il arrive, l’autre qui suit l’objet dans ses pérégrinations.
Les objets relativement lourds et susceptibles de fréquents déplacements seront stockés sur palettes.
Les archives seront, comme les objets, regroupées par familles. Le catalogue descriptif de chaque famille y sera attaché à demeure.
La simplicité de manipulation sera la règle : tout entassement sera prohibé.
Il est évident qu’un classement logique par thème (ou famille) n’est pas toujours aise certains objets se tiennent d’une main, d’autres sont lourds, et/ou encombrants. Il faut un peu d’imagination pour résoudre ce problème. En fait il suffit d’un système de travées mixtes dont une partie est en rayonnages, l’autre stockant à même le sol, l’importance relative de ces deux parties dépendent du thème.
VI.4) Troisième conséquence : Le type du bâtiment
Aucune préoccupation muséographique dans la « Réserve ». On ne lui demande qu’ordre, accessibilité et lisibilité, même si en plus des visiteurs normaux (ou accrédités), enseignants et chercheurs, on peut imaginer de l’ouvrir parfois à des publics larges (opérations « portes ouvertes » par exemple). On devra donc sacrifier toute préoccupation de prestige ou de décor à l’augmentation de la surface, dont le mètre carré doit se situer le plus bas possible sur l’échelle des coûts. Il s’agit d’un bâtiment de travail le style industriel lui convient.
Ce souci d’économie nous paraît devoir écarter la solution qui consisterait à utiliser la partie vacante de la Villette pour abriter la Réserve. Les mètres carrés de la Villette sont prestigieux. Les utiliser pour des locaux de stockage et de travail serait déraisonnable. En outre ces locaux me paraissent indispensables à la grande mission de la Villette.
Donc recherchons un mode de construction économique, mais intéressant en lui-même du point de vue technique, sans oublier que son entretien doit être aisé.
Le mode choisi devra permettre une grande souplesse d’utilisation donc réduire au minimum, voire supprimer les cloisons ou poteaux porteurs.
Ceci conduit inéluctablement à une construction en rez-de-chaussée, sur sous-sol en partie pour les archives, avec toiture de grande portée. On pensera donc aux structures métalliques, ou mieux aux grandes portées en lamellé-collé, technique d’actualité extrême.
VI.5) Quatrième conséquence : La distribution des surfaces
La Réserve est tout autre chose qu’un simple entrepôt. Elle doit comporter :
– une surface de stockage des objets lourds les plus nombreux, ni trop lourds, ni trop encombrants, soit environ 5000 M2 si possible sans poteaux, d’environ 4 M de hauteur,
– attenante à une surface sous toiture plus élevée (6 à 8 M) pour les objets lourds et/ou encombrants.
– une zone de montage et d’expérimentation, également sous plafond élevé.
Ces deux dernières surfaces peuvent être groupées en une même halle d’environ 5000 M2.
– des ateliers d’entretien, de réparation et de réalisation d’objets ou de maquettes, et même de « décors » : soit environ 1000 M2 comprenant le travail du bois, la mécanique, l’atelier de montages électriques et électroniques, la cellule de peinture, etc., ainsi qu’une aire de montage des présentations pour le Musée, ses expositions, les expositions itinérantes, etc.
Cet ensemble débouche sur une surface d’emballage et d’expédition.
– et bien entendu une centrale de fourniture de fluides et d’énergie (air comprimé, divers types de courants électriques, chaleurs, ventilation, ...)
Le schéma joint ne prétend nullement constituer un plan de l’installation : c’est une simple synthèse visualisée de ce qui précède, pour faciliter le travail de ceux qui affineront la conception de l’ensemble.
VI.6) Cinquième conséquence : La gestion de· la Réserve
L’organe de décision, de gestion et de suivi est par nature la Direction du Musée du CNAM. À la Réserve on ne trouvera donc que le minimum nécessaire pour assumer la gestion locale, c’est-à-dire essentiellement la tenue à jour des registres et fiches d’opérations (réparations, ...) et de mouvements (réceptions et expéditions), ainsi que la gestion des ateliers.
Ce bureau qui exige un chef extrêmement sérieux et compétent, sera relié par Téléfax au Musée.
Chapitre VII
LES CONDITIONS DE SUCCÈS
Le projet décrit précédemment est ambitieux. Il peut paraître grandiose. Pourtant il est simplement à la taille des besoins culturels et pédagogiques de la France moderne. Il est digne du patrimoine de valeur universelle que nous avons la chance de posséder et le rayonnement du Musée National des Techniques dépassera largement nos frontières Enfin, il s’inscrit dans le droit fil des intentions de son fondateur, l’Abbé Grégoire. Il perpétuera pour longtemps le Siècle des Lumières. Il s’impose donc de réussir cette aventure, de réaliser ce grand projet.
Les conditions sont nombreuses. Il faut d’abord résoudre le problème des locaux. Or celui-ci interfère avec les besoins des enseignements du CNAM. Il nous faut donc les analyser à la lumière d’une prospective. C’est le premier point de ce chapitre.
VII. 1) L ’enseignement du CNAM
Il occupe une place originale dans le dispositif éducatif français. Instrument de formation permanente et de promotion sociale il répond à des besoins qui se multiplieront du fait de l’évolution rapide des techniques et de la nécessaire mobilité des personnels.
La croissance prévisible sera pour un temps exponentielle. Le propre des courbes exponentielles, pour parfaitement régulières qu’elles soient, est, comme l’a souligné un humoriste, de présenter des effets de seuil à partir desquels les solutions appliquées aux problèmes qu’elles caractérisent doivent changer la nature. L’enseignement du CNAM n’échappera pas à la règle et devra recourir largement aux supports informatiques.
Par ailleurs, ne serait-ce que par son auditoire et ses horaires, c’est par nature un enseignement « de proximité » qui devra être reproduit en des lieux différents. Cette décentralisation déjà amorcée n’en est qu’à ses débuts.
Ainsi se réalisera un réseau national innervé par télécommunications. Les cours formels ex cathedra ne devront pas être multipliés mais retransmis (pas seulement au départ de Paris !). On peut même imaginer une certaine interactivité mais celle-ci a ses limites et ne dispense pas de la présence d’un assistant sur les lieux de retransmission, qui répond aux questions et établit le lien avec ce qui ne peut être transmis : les travaux pratiques et les travaux dirigés par exemple, encore que certaines expériences puissent profiter de la télévidéo.
Ce réseau nécessitera une « Régie » centrale dont la place est rue St-Martin.
Cette nouvelle structure allègera-t-elle les besoins en locaux de l’enseignement et particulièrement du CNAM central ? La réponse est probablement négative. On voit mal comment on pourrait comprimer les enseignements actuels, ni même les déplacer car la rue St-Martin joue parfaitement son rôle d’enseigne ment de proximité pour Paris et une partie de sa banlieue.
D’ailleurs la croissance des besoins exigera la création du CNAM bis non seulement dans les régions, mais même en région parisienne. Certes certains locaux de la rue St-Martin et tous ceux de l’annexe Montgolfier pourraient être détruits et reconstruits fonctionnellement. On récupérerait une place énorme. Mais cette solution est à proscrire. Elle serait très coûteuse et amènerait une perturbation catastrophique dans les enseignements.
Retenons donc que la création de CNAM bis dont au moins un en région parisienne ne fera guère de place additionnelle pour le Musée. Sauf dans un cas, très important.
Les locaux actuels du CNAM sont totalement inadaptés aux fonctions de laboratoire, qu’il s’agisse des laboratoires de recherche des professeurs ou des salles de travaux pratiques. Il faut absolument construire ailleurs des locaux fonctionnels.
Ainsi prend corps la notion d’un CNAM bis, en région parisienne qui comporterait :
– Tous les labos du CNAM de la Région Ile-de-France. Notons que pour eux la notion de proximité est moins importante que pour les cours : on s’y rend pour des périodes plus longues et non pas pour de courtes séances de soirées. Les enseignements correspondants resteraient en totalité ou en partie à Paris.
– Les cours retransmis, ce qui constituerait un nouveau « pôle de proximité » en région parisienne.
– Des enseignements nouveaux à développer. Il en est dès maintenant de nombreux dont le besoin est ressenti.
Ce développement du CNAM est inéluctable et sera réalisé tôt ou tard. Le transfert des laboratoires dans des locaux modernes est par contre un impératif immédiat, pour des raisons d’efficacité et de sécurité.
Ainsi un début de réalisation (les laboratoires) d’un CNAM bis devrait être imminent. Il sera alors logique que les Réserves lui soient contigus.
Dès lors les conditions du succès de la rénovation du Musée National des Techniques dans un délai raisonnable (achèvement début 94) deviennent évidentes. Passons-les en revue, en tenant compte dans chaque cas des diverses hypothèses possibles.
VII.2) Condition n°1
Être fixé rapidement sur les surfaces complémentaires qui pourraient être affectées au Musée rue St-Martin.
Cette donnée est essentielle pour optimiser la répartition des collections entre le Musée et le Musée bis.
Il faut savoir avant fin novembre 1989 :
– s’il faut se contenter des surfaces actuelles de la rue St-martin, solution médiocre mais non inacceptable ;
– si l’on peut espérer une expansion, de combien, et dans quels délais.
Dans cette dernière hypothèse il ne suffira pas de connaître le nombre de m2 supplémentaires, mais leur situation dans le CNAM.
VII. 3) Condition n°2
Être fixé rapidement sur les terrains disponibles en région parisienne.
Trois hectares sont nécessaires pour que les abords boisés compensent l’austérité d’un bâtiment fonctionnel, relativement économique, et des ateliers, encore plus simples. Le luxe de ces bâtiments résidera dans leur éclairage, leur climatisation, la qualité des façades et la hardiesse technique de leur réalisation.
Rappelons que deux sites nous paraissent particulièrement convenables : Saint-Denis et Marne la Vallée, et que nous excluons la quatrième travée de la Villette à la fois parce qu’elle coûterait plus cher à équiper qu’une construction neuve, parce qu’elle serait peu fonctionnelle et enfin parce que la Cité des Sciences et de l’Industrie nous paraît avoir une vocation d’une telle importance qu’elle aura immanquablement besoin un jour de cette travée.
Enfin, il sera utile de savoir rapidement si les Réserves seront ou incidences techniques, par non associées à un CNAM bis, car ceci peut avoir des incidences techniques, exemple sur la conception de la chaufferie.
VII.4) Condition n°3
Établir rapidement le cahier des charges des constructions à réaliser sur l’emplacement choisi.
Celui-ci devrait être établi au plus tard fin décembre 1989. Un projet sommaire en figure à l’annexe II. Il devra être préparé par une personnalité mise à la disposition de la Direction du Musée et sous sa responsabilité en liaison étroite avec les services compétents du Ministère de tutelle. Plusieurs variantes seront envisagées. Le projet devra être à la fois précis dans ses objectifs et ouvert à des solutions originales.
Les architectes et entreprises qui seront consultés devront bénéficier d’une certaine latitude de proposition d’innovation.
Bien entendu ce cahier des charges résultera des choix dégagés dans les conditions précédentes.
VII.5) Condition n°4
Avoir en main les réponses aux appels d’offre fin avril 1990.
Les travaux doivent en effet être achevés au plus tard à l’été 1991, ce qui permet d’acheminer vers les Réserves les éléments épars dans les combles actuels et les éléments non retenus pour la présentation culturelle du Musée principal
Ainsi le Musée de la rue St-Martin serait dégagé de ce qui ne doit pas y figurer fin 1991, et sa rénovation pourra être entreprise.
Mais ce déménagement doit être préparé c’est l’objet de la condition suivante.
VII.6) Condition n°5
La conception des nouvelles présentations du Musée, qui apparaît comme le grand Musée de la Culture Générale Technique, et des présentations des réserves, particulièrement destiné à l’étude et à la recherche, exigera un énorme travail, déjà commencé, qui devra être achevé en juillet 1991.
La Direction du Musée ne dispose pas actuellement de personnel nécessaire pour mener à bien ce travail.
Il faut qu’elle dispose de quatre personnes à plein temps pendant 20 mois. Certaines pourront par la suite être rattachées au service permanent de Muséographie.
Elles sont conseillées par des professeurs du CNAM, des personnalités extérieures, et le directeur du Centre d’Étude d’Histoire des Techniques.
Cette équipe aura en outre la charge de préparer les listes d’objets à rénover, d’objets et documents à mettre dans la Section Archives, de déterminer ceux qui sont à abandonner, à prêter, à acquérir.
VII.7) Condition n°6
Au cours de l’été 1991 un bon technicien sera affecté à la traduction des résultats de l’étude précédente en terme de mètres linéaires (ou de nombre) de vitrines, de rayonnages, meubles à plan, etc.
Ces accessoires essentiels sont à mettre en place fin 1991.
VII.8) Condition n°7
Les ateliers, dont les locaux seront terminés à l’été 1991 devront être équipés de leur matériel fin 1991, et commencer immédiatement la remise en état des pièces cassées, abîmées, salies ou défraîchies
Les pièces ainsi rénovées et les autres trouveront leur place définitive dans les Réserves tout au long de l’année 1992.
La réalisation des étiquettes, panneaux, notices explicatives s’étalerait sur une bonne partie de 1993.
VII.9) Condition n°8
À partir de janvier 1992 et jusqu’en juillet 1993 toutes les salles du Musée de la rue St-Martin - les salles actuelles et les salles complémentaires éventuellement dégagées par le départ des laboratoires et la restructuration des locaux d’enseignement du CNAM seront successivement rénovées puis réinstallées sous leur forme définitive. Les panneaux, notices et étiquettes explicatifs seront mis en place au plus tard fin 1993.
VII.10) Condition n°9
Rien ne sera possible sans un renforcement des effectifs du Musée et sans le recours à des spécialistes extérieurs.
La nécessité de repenser la présentation de la plupart des sections exigera un petit groupe de travail pour chacune d’elles.
Dans chacun de ces groupes doit figurer :
– un spécialiste de la technique étudiée,
– un conseil en pédagogie,
– un conseil en muséographie,
– un historien spécialisé en histoire des techniques,
– un historien généraliste.
VII.11) Condition n° 10
L’ambitieuse mise en place coordonnée du Musée rénové et de ses Réserves suppose l’existence d’un « pilote » adjoint au Directeur. Il est essentiel qu’il reste en place pendant toute la durée de la rénovation, soit 4 années. La politique de rénovation est inséparable de la politique générale du Musée futur. Ce pilote doit donc être intégré à l’équipe de direction du Musée, celle-ci étant maître d’œuvre de la rénovation.
VII.12) Condition n°11
Le service de relations extérieures, à étoffer d’urgence, devra sans tarder entamer une campagne de sensibilisation à l’industrie, qui aura à cœur de fournir les éléments modernes manquants.
Bien d’autres conditions seront à remplir, mais il est inutile de les préciser ici, l’important étant que le Directeur ait les moyens de sa politique de renaissance des Musées, et en soit totalement responsable.
CHAPITRE VIII
CONCLUSION
Prodigieusement riches, mais avec de graves lacunes, les collections du CNAM ne sont que très partiellement accessibles, une grande partie s’entassant dans des réserves souvent délabrées.
Une analyse des besoins culturels, pédagogiques et récréatifs dans le domaine des techniques montre qu’il est urgent de compléter ces collections, et de les faire vivre.
Mais les locaux de la rue St Martin ne sont pas extensibles. Même en admettant que le Musée puisse y récupérer les surfaces dont il a bénéficié dans le passé - ce qui est hautement souhaitable - jamais il n’y pourra faire visiter l’ensemble de ses collections. Or, il est inadmissible qu’un patrimoine exceptionnel soit dissimulé aux regards et risque de se détériorer, voire de dis paraître corps et biens.
La solution proposée comporte un Musée de prestige rue St Martin, et une "Réserve" à vocation très particulière.
Le Musée, de présentation très élaborée et attrayante, dans des locaux rénovés, redistribués et agrandis, est le reflet de l’évolution de 1’ensemble des techniques importantes jusqu’à nos jours dont il montre la genèse, les transformations, les interactions et les impacts économiques et sociaux.
La Réserve n’est pas un simple magasinage : elle est un lieu d’étude et de recherche pour les professeurs et étudiants et peut être ouverte à toute personne intéressée. Elle est aussi le lieu où se réparent, s’entretiennent où se créent les pièces à conserver ou exposer. Les ateliers en constituent l’élément majeur.
Ce couple est indissociable, même si ces deux entités sont physiquement séparées : même direction, même services, les plus encombrants étant situés à la Réserve.
Une osmose constante est assurée entre Musée et Réserve grâce à l’importante notion de « présentations complémentaires tournantes » et grâce aux expositions temporaires.
De plus la gestion moderne de ces collections, qu’il sera facile d’enrichir sans frais, conduira à leur faire jouer un rôle essentiel vis à vis des divers autres musées à vocation culturelle scientifique et technique de France (et même d’Europe.)
Enfin, les ateliers du Musée sont appelés à jouer un rôle national. Ils sont un élément fédérateur, source de synergies.
Bien entendu il ne suffit pas d’exposer des principes.
Il faut expliciter le détail des actions à entreprendre.
L’annexe I esquisse le travail à. effectuer pour chaque section du Musée. L’annexe II donne une estimation du financement nécessaire.
Échelonnée sur 4 ans la dépense totale est inférieure au quart du budget annuel de la Villette, dont nous avons au passage redéfini la mission.
Ce projet est digne du passé de la France et répond aux lettres désolantes et désabusées des étrangers qui ont exprimé leurs regrets après la visite du CNAM.
Mais il prépare aussi l’avenir en contribuant à développer une nouvelle culture et une créativité indispensable à notre rayonnement.
Ces musées sont en fait l’illustration de la réalisation des rêves les plus fous de l’humanité.
ANNEXE I [1]
LES THÈMES DU MUSÉE NATIONAL DES TECHNIQUES
Tentons de donner un caractère plus concret au projet précédent en passant en revue toutes les techniques que doit exposer le Musée en résumant les situations de leurs présentations actuelles et souhaitables, bien entendu sous réserve d’étude plus complète.
– 1) Deux ensembles ont déjà et méritent une place à part les maquettes de Madame de Genlis et le laboratoire de Lavoisier. Il faut les laisser "hors sections". Leur présentation ne demande que des améliorations de détail.
– 2) La section du Machinisme Agricole mérite une attention particulière. La collection est très riche et démonstrative mais seulement partielle ment et mal présentée. Il faut faire vivre la révolution agricole -augmentation de la productivité de la main-d’œuvre remplacée de plus en plus par de l’investissement et de l’énergie - et montrer comment elle évolue au XXe siècle - amélioration des espèces animales et végétales, lutte contre les pathologies, rôle des engrais (d’où lien avec l’industrie). L’INRA contribuerait certainement à mettre en place la partie moderne.
L’expérience prouve que cette section n’est pas celle qui attire spécialement les visiteurs actuels, et ceci pas seulement en raison de la pauvreté de sa présentation. Il faut lui donner son identité propre pour y attirer le monde agricole. En fait, cette section doit être le germe d’un futur Musée de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire qui manque à la France. Sa présence au CNAM pourra alors être réduite à l’essentiel mécanisation, engrais, biotechnologie, etc. - et renvoyée à ce Musée. Pour le présent, je suis en faveur d’une présentation limitée, fortement modernisée, le reste étant en Réserve.
– 3) La Section Construction, Travaux Publics est pour l’instant intégralement en réserves non visibles. Pourtant la collection est très complète et intéressante pour les techniques du passé : maçonneries, charpentes en bois, constructions métalliques. Mais elle s’arrête au béton (exclus). Il faut donc la compléter - précontrainte, grands ouvrages, bâtiments de grande hauteur, travaux souterrains, etc., ce qui sera facile avec l’aide des industriels.
Toutes les grandes techniques doivent être présentées, par les exemples les plus caractéristiques, dans le Musée.
La Réserve doit accueillir les objets complémentaires, pour étude plus approfondie. Ceci est d’autant plus nécessaire qu’il existe un département « Techniques de Construction » dans l’enseignement du CNAM.
Ce n’est probablement pas suffisant. Le CNAM sera amené à créer un ou plusieurs enseignements analogues en régions. La région de Nantes tend à devenir un important pôle BTP (avec les puissantes installations du CSTB et du LCPC).
Le CNAM y a donc sa place. Il faut préparer dès maintenant cette seconde exposition approfondie. On se souviendra qu’il existe une énorme différence de coût pour deux maquettes suivant qu’elles sont construites simultanément à six mois d’intervalle !
En tous cas le Musée doit récupérer les bonnes collections du Centre de Recherche et de Documentation de l’Histoire Moderne de la Construction, qui va disparaître.
– 4) La Section des Machines-outils est bien complète pour le XIXe siècle et la fin du XVIIIe. Sa présentation est à restructurer complètement. Il faut faire apparaître leur filiation généalogique. C’est un exemple remarquable de diversification, rationalisation, ... qui apparente cette section à un Muséum d’organismes vivants.
Et il faut la compléter pour donner une idée des problèmes des ateliers modernes machines numériques, machine-transfert, robots, flexibilité, ...
L’essentiel de cette section est donc consacré au travail mécanique des métaux. Il faut y joindre le travail d’autres matériaux par les mêmes méthodes, notamment le travail du bois.
– 5) La Section Élaboration et Mise en Forme des Matériaux est à créer à partir de rien. Elle remplacera la Section Métallurgie, disparue.
Elle doit comporter les sous-sections
– métallurgie,
– plastiques,
– verres,
– céramiques.
La première doit se borner à l’essentiel en ce qui concerne 1’élaboration des métaux ou métallurgie proprement dite en renvoyant au Musée spécialisé pour plus de détail, et être plus complète pour le formage (coulée, moulage, emboutissage, extrusion).
La seconde doit reprendre l’historique de l’ère des plastiques depuis la bakélite et le celluloïd, et présenter les techniques modernes de moulage, extrusion, soufflage, calandrage, ... On trouvera facilement toutes les machines typiques, car elles sont vite amorties pour être remplacées par des machines à productivité plus élevée.
Les deux dernières - céramiques et verres - seront facilement illustrées par les nombreux objets disponibles en réserve. Mais il faudra mettre l’accent sur les techniques de production, incomplètes dans le cas du verre, absentes dans le cas des céramiques, et mettre en valeur les objets qui évoquent ces techniques.
Les collections d’objets seront don à compléter, pour les céramiques depuis 1900, pour le verre depuis donc à 1930, compléter, en insistant sur les réfractaires, le bombage et la trempe du verre, les verres spéciaux – vitro-cérames et verres poreux.
Les verres d’optique, la lunetterie, ... trouveront leur place dans la section Optique. Prévoir un renvoi.
Les objets d’art en verre sont nombreux, beaucoup exceptionnels et certains uniques. On devra garder toutes les pièces à connotations techniques, ainsi que les plus évocatrices des pièces à valeur uniquement artistique. Les autres seraient plus à leur place au Centre du Verre du Louvre et pourraient lui être prêtées. Les cacher dans un réduit serait inadmissible.
La complexité des techniques et la diversité des objets de cette section consacrée aux matériaux justifie une partition entre le niveau de culture générale du Musée et le caractère didactique des réserves. Une étude est à faire pour préciser cette répartition.
– 6) La Section Industries Textiles possède un ensemble considérable, remarquable, à l’abandon, auquel le public n’a pas accès. Il existe un projet de rénovation qui propose un léger élagage et des compléments indispensables pour le passé (machines anglaises notamment) autant que pour le présent (nouvelle mécanique des métiers, bonneterie, ...).
L’essentiel de cette Section sera au Musée, les pièces élaguées (qui devraient être plus nombreuses que dans le projet précité) trouvant leur place en réserves.
– 7) Les Industries Papetières (papiers et cartons)
Leur présence s’impose ; elles ne sont pas du tout représentées. Il faut au moins illustrer la fabrication artisanale du papier (à la forme), les principes de la fabrication de la pâte, une maquette de machine à papier et à carton ondulé modernes.
– 8) Les Industries alimentaires
À traiter dans l’ensemble Agriculture et Agroalimentaire (voir 2).
Les Sections précédentes, à l’exception de la première, illustrent les Industries de base. On note une énorme lacune - les Industries Chimiques -et une moins importante -le chauffage et la réfrigération-. La première mérite une analyse fine, faite au paragraphe suivant ; la seconde trouverait logiquement sa place comme sous-section de l’Énergie (cf. paragraphe 10).
– 9) Ne donnons pas de nom pour l’instant à cette Section. Partons du fait qu’il faut faire une place aux Industries Chimiques alors même que cela est tr s difficile du point de vue muséographique.
La collection comprend en réserve (et probablement abîmées) de nombreuses maquettes des industries chimiques du XIXe siècle.
Il faut en choisir (ou en créer) quelques-unes très typiques de ce qu’on a appelé les « opérations unitaires » au moment où le génie chimique a commencé à prendre forme.
On devra montrer dans le Musée principal :
– les procédés Le Blanc et Solvay, leur importance politique et leurs liens avec la verrerie,
– l’eau de Javel,
– la distillation de la houille et la cokerie,
– la synthèse de quelques colorants.
Puis on s’attachera à montrer la grande révolution du XXe siècle. La réaction chimique, objet d’une science de laboratoire, ne devient industrielle que si l’on en connaît les principes et notamment la cinétique, mais surtout que si l’on maîtrise les phénomènes de transfert de matière et d’énergie qui permettent seuls de la mettre en œuvre à grande échelle.
Il faut donc illustrer les principes des opérations de broyage, agglomération (pastillage), extraction, mélangeable, séparation, et autres. Il y a là de quoi fournir une importante section du Musée et une très forte section du Musée bis approfondi.
Le thème de ces sections est évident et plus large et leur intitulé pourrait être : Bases physicochimiques des procédés industriels. On y ferait comprendre non seulement les industries chimiques proprement dites, mais aussi des techniques aussi diverses que l’extraction de l’uranium, la distillation et le craquage du pétrole et le travail des élastomères, en montrant l’unité technologique sous-jacente.
Cette Section est essentielle dans un musée moderne. Elle n’est pratiquement pas traitée dans les musées étrangers. Le Musée du CNAM se singulariserait ainsi doublement, par la richesse de son évocation du passé et par une vision très moderne du développement industriel.
– 10) L’Énergie : Cette Section essentielle comprend 6 sous-sections.
– a) Les énergies classiques, muscle, vent, eau, vapeur, actuellement correctement présentées.
– b) Les moteurs à combustion interne pour lesquels on dispose de presque tous les éléments nécessaires. Mais toute la présentation est à revoir.
– c) Les moteurs électriques et la génération de l’électricité. Les éléments disponibles sont incompréhensibles pour le public. Il est nécessaire de les compléter pour que la filiation soit claire et de les expliquer par des maquettes animées simplifiées.
– d) L’énergie nucléaire ne peut rester aussi totalement absente qu’actuellement Le CEA pourrait fournir de quoi réaliser un ensemble compréhensible et impressionnant.
– e) Le chauffage et la réfrigération, déjà évoqués, trouvent ici leur place avec leurs applications domestiques et industrielles.
– f) Les énergies renouvelables doivent montrer les formes modernes des énergies modernes : solaire, géothermique, marémotrice, biogaz,
– 11) L’importante Section des Transports qui possède de grandes richesses doit être restructurée et complétée, car je défie un non spécialiste d’y retrouver les enjeux de l’évolution.
Elle comporte 4 sous-sections
– les transports par route,
– les transports ferroviaires,
– les transports aériens,
– les transports spacieux.
La première comporte beaucoup d’objets remarquables, mais il faut la clarifier et expliquer le rôle et l’évolution des boîtes de vitesse, des différentiels, des systèmes de freinage, des systèmes électriques et électro niques (ces deux derniers absents).
La seconde est également assez riche, sauf pour la période moderne. Les problèmes des TGV ne peuvent y être ignorés. Il existe quelque part dans cette section un réseau HO pour enfants en bas âge. Elle n’a de sens que si elle sert à expliquer la structure de réseaux (bloc-système, sécurité), ce qui n’est pas le cas.
La troisième est très intéressante malgré de graves lacunes La série des moteurs d’avions est assez complète mais manque des derniers développements. On aimerait en outre que les lois de l’aérodynamique des avions y soient expliquées ainsi que les problèmes de stabilité, de guidage ... – les transports spéciaux sont absents. La propulsion par fusée doit être présentée.
Cette section appelle deux remarques générales.
D’abord la nécessité de présenter au Musée du CNAM à la fois les aspects techniques et les impacts économiques et sociaux du développement des transports est évidente. On en profitera aussi pour montrer comment leurs progrès sont liés à ceux de quantité d’autres industries.
Ensuite c’est la section à laquelle correspondent le plus grand nombre de Musées spécialisés (du Bourget pour l’aviation, de St Maur pour les transports urbains, de Mulhouse pour les chemins de fer, de Rochetaillée pour l’automobile, ... Il serait absurde de leur faire concurrence. Le Musée du CNAM doit s’orienter plus vers l’explication des techniques sous-jacentes, et par sa présentation donner aussi envie d’aller visiter ces autres Musées.
Les sections suivantes pourraient être groupées, comme on l’a fait pour l’Énergie et les Transports, sous un titre générique : Techniques Physiques en excluant toutefois les techniques mécaniques de production, étudiées en 4). Cependant il apparaît que les sous-sections qu’engloberaient ces Techniques Physiques sont en fait assez différentes, avec des problématiques particulières. Elles n’ont guère besoin de cohabiter.
Ce domaine est proche parfois de celui du Palais de la Découverte. Il sera sage d’instaurer ici une véritable concertation. Il est évident par exemple que les Techniques Physiques du laboratoire relèvent du Palais, même si parfois il faut les évoquer au Musée National des Techniques.
– 12) Mesure des longueurs et des masses : Très complète pour le passé, cette section rendue attractive. En fait elle va bénéficier de l’Exposition sur le Système Métrique.
– 13) Mesure du temps : Le matériel disponible pour l’horlogerie mécanique est considérable, mais sa présentation manque de cohérence les lignes de l’évolution sont indiscernables au profane. La chronométrie moderne est presque inexistante alors que nous baignons dans un monde de montres à quartz dont le mécanisme est inconnu de la grande majorité de nos concitoyens.
– 14) Mesures électriques : Les éléments existants sont à regrouper et compléter. Cette section doit être d’ailleurs élargie à la télémesure et même à l’ensemble des « capteurs », et déboucher sur le traitement de données.
15) Les Sections Optique, Astronomie, Géodésie sont à repenser. Souvent plus proches de la science que des techniques, les objets présentés ne devront pas faire double emploi avec les réalisations du Palais de la Découverte. L’accent sera à mettre sur la thématique technologique qu’il faudra affiner.
– 16) La même remarque s’applique à la Section Acoustique. L’accent devra donc être mis sur les aspects techniques de l’analyse, de la génération, de l’enregistrement et de la reproduction des sons. Mais on devra aussi présenter l’acoustique des salles, les méthodes d’isolation acoustique et les procédés de lutte contre le bruit.