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A la télé, hier soir...

Par Gérard Dupont

Six heures du matin, une petite ville de province, une place, un café déjà ouvert.

Au comptoir du Café de l’Industrie, Jean-Claude devant son express, une glacière à ses pieds, derrière Patrick, le patron.

Depuis 20 ans c’est devenu un rituel. C’est là qu’ils se retrouvent Daniel et lui. Avaler un café et en route vers les chantiers, chacun sa semaine de voiture. Ils n’ont pas attendu les discours sur le covoiturage. En fait d’écologie, c’est plutôt une question d’économies. Les feuilles de paie dans la construction métallique…

Et voilà Daniel qui se gare…

« Ben dis donc Daniel, t’es à la bourre ce matin.

- Salut Patrick, salut Jean-Claude. Je me suis couché tard…

- Si tu te mets à faire la foire en semaine…

- T’as tout faux. Non, je voulais regarder la télé mais rien de rien. J’me comprends Les gendarmes de St-Tropez et autres conneries. Les bobines ne sont donc jamais usées. Bon. Et puis en zappant je suis tombé sur un film drôlement intéressant « Audin, la disparition ». On voit qu’on est en plein mois d’août, parce que la Chaine Parlementaire passer un film comme çà, je suis épaté. J’ai cru que c’était un polar, mais non c’est une histoire tout ce qu’il y a de plus vraie. Une enquête sur la disparition en 57, pendant la Guerre d’Algérie, d’un jeune gars de 25 ans. Un prof’ qui militait à fond au Parti Communiste contre la Guerre. Arrêté chez lui, torturé, et bizarrement disparu. Sa veuve témoigne et ça prend aux tripes, je t’assure.

- Ouais. En même temps le gars qui s’engage, il sait qu’il prend des risques. Regarde Bernard, c’est un cador dans le boulot, mais en devenant délégué il savait qu’il pouvait faire une croix sur la rallonge et les promotions. Il dit qu’il le savait, que c’est la règle du jeu et qu’il ne le regrette pas. Alors tu penses, en Algérie…

Ton Audin, c’est sûr que c’est regrettable qu’il soit mort à 25 ans, mais il était quand même dans la catégorie des gens qui savaient qu’ils prenaient des risques en s’engageant. Sa famille ne devrait pas tellement être étonnée qu’il y soit resté.

- Putain ! On croirait entendre Massu.

- Mmm

- Si je te suis bien, par exemple quand un gars choisit d’être policier ou militaire, il sait qu’il prend des risques…

- Évidemment.

- Alors pourquoi tout ce pataquès quand il y en a un qui se fait descendre ? Et les grands discours présidentiels par-ci, et les ministres par-là.

- Ça c’est sûr. Surtout que des ministres on n’en a jamais vu se déplacer quand des copains sont tombés des échafaudages.

- Ah, tu vois ! Ces galonnés et leurs amis, ils voudraient nous faire croire que la torture c’était inévitable et pas si terrible que çà même. Et ce sont les mêmes qui hurlent dès qu’il y a une séquestration de patron. Bizarre, non ?

Patrick, derrière le comptoir, écoute. Un drôle de voile devant les yeux.

- Dis donc Patrick, tu l’as fait toi, l’Algérie.

- Ouais.

- Qu’est-ce que t’en pense d’une histoire comme çà ?

- Oh si c’était à refaire, je crois que je déserterais.

- …

- Oh Jean-Claude, t’as vu l’heure ? S’agit pas qu’on déserte le chantier…

Patrick soupire. Il revoit ce qu’il croyait enfoui à jamais.

- …

Et les tueurs d’élite décorés pour ce qu’ils ont fait.

Il rêve d’une rue, d’une place ou d’une école Maurice Audin dans chaque commune.

Messages

  • 1 7 novembre 2010, 17:39, par Philippe G.

    Entre l’illustration et le texte, je serais vous, je me mettrai au roman :-)

    ça prend du temps mais cela vaut le coup...



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