Témoignages sur André Breton… A écouter sur le site ARCANE 17
Aimé Césaire : J’ai rencontré Breton à La Martinique, en 1941. Breton avait eu des ennuis avec le régime de Vichy. Il avait dû quitter la France et il était de passage à La Martinique, sur la route des Etats-Unis. Bien entendu la police de Vichy a très vite su qu’il y avait, sur ce bateau, André Breton, hautement suspect. Breton n’a pas été arrêté mais Breton a été interné, en tout cas pendant quelques jours dans une sorte de camp qui s’appelle le Lazaret. Breton avait la permission de venir en ville, en traversant la baie sur une vedette, et c’est en venant en ville qu’il a aperçu, à la vitrine d’une petite librairie, une brochure très modeste qui s’appelait « Tropiques ». Il a ouvert « Tropiques ». Il a feuilleté « Tropiques » et il a eu, m’a-t-il dit, le saisissement de trouver des idées qui lui étaient chères et des textes qui lui paraissaient valables poétiquement. Du texte il est remonté à l’auteur et aux auteurs et c’est ainsi que j’ai été amené à le rencontrer. Il a passé à peu près un mois à La Martinique. Je l’ai vu tous les jours. Je me suis promené avec lui. On a redécouvert ensemble l’île, si vous voulez. Et je dois dire que ça a été pour moi une époque tout à fait cruciale, déterminante. Je crois que si je suis ce que je suis c’est en grande partie à cause de cette rencontre avec André Breton. Non pas que j’ai épousé toute les idées d’André Breton mais enfin, je dois dire, que j’ai toujours gardé, pour lui, un immense respect et une très grande affection. Je ne peux pas dire que ma manière de voir les choses dérive de l’influence de Breton mais en tout cas Breton m’a apporté la confirmation, si vous voulez, d’un très grand nombre de choses que je sentais plus ou moins obscurément, que je devinais, sur lesquelles j’hésitais et brusquement j’ai eu une confirmation. J’ai eu le feu vert qui m’était donné, un immense raccourci, si vous voulez, pour me trouver moi-même. Je me souviens de l’éblouissement de Breton devant la nature tropicale et ses saisissements devant les balisiers, par exemple, qu’il appelait « cette fleure rouge au bout d’une lance, le cœur pantelant et saignant au bout d’une lance ». Son éblouissement devant les palmiers, devant l’exubérance devant la nature tropicale. On avait l’impression qu’il était accordé de toute éternité avec ces paysages prodigieux. Son éblouissement également devant tout le merveilleux, devant le folklore antillais qu’en très peu de temps il avait su saisir l’essence, son émerveillement devant les types humains. Et puis enfin je dois dire du point de vue esthétique j’étais absolument étonné par la sûreté de son jugement. C’est un prodigieux détecteur de poésie, si vous voulez, aussi bien dans les livres que dans la vie, que dans les choses. Et bien tout ça, pour moi, est extrêmement important. Et puis enfin je dois dire que je découvrais l’éthique de Breton.
Charles Estienne : J’ai fait la connaissance d’André Breton, en 1947, à l’exposition du surréalisme qui avait lieu à la galerie Maeght. Jusque-là on n’avait que des relations, si j’ose dire, abstraites puisque j’avais vu ce qu’il avait écrit et, lui, il lisait mes articles. Puis brusquement, à cette occasion, on est devenu progressivement assez ami. En principe, à Paris, je suis un critique d’art. Mais en réalité je me suis aperçu rapidement, en particulier grâce à lui, que la critique d’art, Dieu merci, débordait largement, contenait ma poésie. Et je me rappelle, ce qui m’avait le plus frappé, quand j’ai lu, ou relu, « Le surréalisme et la peinture », c’est la première phrase : « L’œil existe à l’état sauvage ». Et quand je pense à qui est devenu, pour moi, non pas André Breton mais André, je pense également à d’autres phrases, en particulier au début du premier manifeste, je parle des phrases qui me restent dans la tête, celle-ci ne particulier : « L’homme, ce rêveur définitif, de plus en plus mécontent de son sort. » Ça, c’est une phrase que j’aurais pu signer. Et je pense surtout à la fin inoubliable de ce premier manifeste qui a un côté à la fois tellement plastique et moderne dans le refus de l’identité des choses elles-mêmes, par exemple. Et je pense à cette fin d’été où il est mort : « Cet été les roses sont bleues ; le bois, c’est du verre. La terre drapée dans sa verdure me fait aussi peu d’effet qu’un revenant. C’est vivre et cesser de vivre qui sont des solutions imagés, l’existence est ailleurs » Bien sûr ailleurs, c’est-à-dire ici et maintenant. Maintenant qui n’est plus que dans la pensée de ses amis, de ses si nombreux amis. Il va commencer, si j’ose dire, une sorte d’existence presque légendaire. Je crois que le mot ne lui aurait pas déplu, lui, qui aimait tellement les mythes primitifs mais pris à leurs sources mêmes comme son ami Benjamin Perret. Pour moi, si un jour je pense à lui, comme je pensais, rencontrer dans un bois noir, une forêt au printemps, ou Merlin l’enchanteur, ou un Parsifal toujours en quête d’un Graal qui, bien entendu, est toujours caché derrière l’horizon.
Dyonis Mascolo : En novembre 1955, lorsqu’il devint évident que le gouvernement de la France allait s’engager en Algérie dans une autre des ces guerres de reconquête coloniale dont l’enchaînement ne s’était pas interrompu un seul jour depuis le dernier jour de la Guerre Mondiale, nous fûmes quelques amis à décider d’aller voir si vraiment nous étions condamner à rester spectateurs de tant de malfaisance déchaînée. Nous étions seuls et misérables. A peine notre appel parvint-il à Breton, de qui nous étions inconnus, qu’il fut à nos côtés avec une promptitude, une générosité, je dirais une imprudence qui nous parue sur le champ admirable, habitués que nous étions à ne trouver l’accord des hommes de pensée dans de telles circonstances qu’à travers d’exténuantes épaisseurs de soupçons, de méfiance, d’avarice. Tant de jeunesse intacte chez un homme que 30 ans de tentatives semblables pour s’opposer au cours dégradant des choses auraient pu justement blazer, une telle faculté de faire confiance, arracher l’amitié en retour et une confiance égale. Cette confiance ne s’est depuis jamais démentie. De là est né le « Comité d’action des intellectuels français contre la poursuite de la Guerre en Algérie » qui joua un rôle actif dans une œuvre très nécessaire que le pouvoir d’alors, à tort ou à raison, nommait « démoralisation de l’armée ». Le Comité ne pu malheureusement survivre au déchirement qui suivi, un an plus tard, la révolution hongroise. De nouveau nous nous sommes trouvés en plein accord avec Breton et ses amis pour estimer que, toute considération tactique à part, un tel Comité, voué à la défense d’une insurrection populaire, ne pouvait passer sous silence l’écrasement d’une autre insurrection populaire, sauf à demander à chacun de faire de sa conscience deux parts, hémiplégie fréquente en politique. Malgré ceux qui se croyaient plus réalistes que nous mais qui, par là, négligeait le fait que les principes sont aussi choses réelles, le Comité perdit en effet très vite toute autorité et d’ailleurs toute conviction. Le coup de force du 13 mai 58 et notre opposition au nouveau régime resserra encore notre entente. Les temps du Comité relativement heureux étaient loin. Des élections apportaient bientôt une légitimité jusqu’alors incertaine au nouveau pouvoir. La classe intellectuelle disparaissait de la scène en même temps que le peuple. Nous étions ensemble mais dans le grand vide qui s’était fait nos efforts ne trouvèrent guère d’échos. Il fallait attendre l’automne de 1960, la Guerre d’Algérie, après plus de 2 ans de pouvoir gaulliste, ne faisant qu’empirer, pour que la Déclaration sur le droit à l’insoumission dans la Guerre d’Algérie, dite « Déclaration des 121 », vint à nouveau manifester que des exigences de l’esprit se faisant jour en dépit des lois, des polices et de tous les corps de l’État pouvaient aussi agir comme une force matérielle parmi les forces matérielles. Parmi ces signatures, celle de Breton et de tous ses amis. Il n’est pas nécessaire de nous attendre au pire pour prévoir que bientôt nous sentirons le soutien de Breton nous manquer. Ce sera pour la première fois.
Gérard Legrand : Sa vie Durant, André a tenu et nous a appris à tenir la poésie pour autre chose qu’une branche de la littérature, disons pour la racine et le couronnement de toute pensée. Cette idée familière aux romantiques allemands restait chez eux un vœu, une atteinte exceptionnelle. Il a entrepris d’en donner la vérification expérimentale, l’automatisme et l’exaltation de l’image s’inscrivent ainsi dans un dessein qui dépasse de loin la simple expression lyrique. L’exceptionnelle modestie dont nous l’aurons vu faire preuve à cet égard ne doit pas leurrer. L’activité poétique de Breton est égale à son activité théorique. Son importance croitra et je ne parle point de la poésie diffuse dans des ensembles célèbres, comme « Nadja » ou « Arcane17 ». Je songe à ses poèmes et d’abord à ce rôle de l’image dont il a mis en lumière la vraie nature. Il protestait par exemple contre la traduction en termes quotidiens des superbes métaphores de Saint-Paul Roux. Non, une chenille en robe de bal n’est pas réductible au papillon qu’elle désigne, elle lui ajoute le mouvement même de l’éclosion. De Breton, lui-même, telles merveilleuses images hallucinatoires, « la rosée à tête de chatte », s’insèrent dans un poème au timbre annonciateur d’énigmes et d’alarmes intentionnellement coulées dans l’esquisse d’un drame sans dénouement qui récupère au profit de la poésie une forme d’aventure mentale délaissée. C’est là que m’apparaît la leçon la moins comprise de Breton. Dans cette résurgence de cette poésie éloquente, et pourquoi pas ?, qui ne se refuse rien pas même les faits divers ou les notations scientifiques transfigurées en solennités au-delà les jours. Cette poésie qui se déploie dans les grandes draperies de pleine marge, que vous entendrez tout à l’heure, ou des états généraux, n’a qu’un sens sans repentir possible. La réalité transmutée se réconcilie à l’esprit. Ce en quoi sa luxuriance, son tranché ont aussi une portée morale. N’en déplaise à ce côté de l’histoire où le dessèchement est la règle, non par ascèse mais par impuissance, et où l’abstraction ne tolère pas qu’en échappe à ces médiocres moyens critiques, il y a là une métamorphose totale du langage donc de la pensée. La linguistique moderne semble commencer à s’en apercevoir. Libérer par l’exercice automatique et soutenue par les harmoniques de sa propre résonance, l’image s’évanouit, le poème inépuisable se distribue. Tel est le levier passionnel qui en fin de compte s’éclaire lui-même en éclairant ce qu’il soulève, le poids d’un monde arraché à sa valeur misérable d’échanges ( ?) restitué à sa valeur d’usage, à sa transparence. La mange du temps hume la muscade et fait saillir la manchette aveuglante de la vie.
Vincent Bounoure : Dialectique, belle enfant raisonneuse. En pleine crise romantique, elle affirmait que tout ce qui est rationnel est réel et tout ce qui est réel, rationnel. Elle faisait état des insuffisances de la logique de Port Royal. De même, Breton devait juger trop limitée la formule hégélienne et procéder à son extension. Car la raison n’est pas le tout de l’esprit humain. « L’homme de désir », selon le titre de Claude de Saint-Martin, passe condamnation sur le statut du monde. Le surréalisme est mouvement parce que loin de se borner à l’interprétation d’un monde révoltant, il tend à mettre fin à un scandale intellectuel et moral. Breton, dès 1916, tient pour caduque une conception de l’esprit qui en ferrait le pur reflet d’un monde changeant. Il le soupçonne de pouvoir plus qu’il ne lui est communément demandé et même de s’être complu dans les faire. Vous qui avez du plomb dans la tête, dit un papillon de 1924, fondez-le pour en faire de l’or surréaliste. Mais dès lors que l’écriture automatique permet la transcription directe de la pensée toute réflexion sur le langage devient médiation sur les rapports du monde et de l’esprit. L’ambition poétique, formatrice de cités nouvelles, reprend à son compte la volonté révolutionnaire, formulation d’une morale des relations humaines. Entre la nécessité objective qui a trait à l’histoire, ou au macrocosme et l’aventure intérieure la vie du poète établie la seule adéquation possible jusqu’aux convergences fulgurantes du hasard objectif. C’est de manière analogue que l’alchimiste suscite et constate les faits des influences universelles sur les matières qu’il entend transformer. Le langage, qui libère de tout contrôle les puissances du microcosme humain, devient alors aux yeux de Breton une matière première justiciable des opérations de sublimations par lesquelles les alchimistes comptaient transformer leur vie en même temps que les matières du grand œuvre. De la notion toute intuitive d’alchimie du verbe, de la séduction extrême qu’il ressentait à la lecture de Nicolas Flamel, Breton passe à une tentative concertée de transmutation de la parole poétique, laquelle ne saurait passer pour la pierre des alchimistes sans une radicale transformation de l’esprit. Ce voyage initiatique, jamais aussi justifié en raison que lorsque Breton se saisit de la férule des grands hérésiarques et des voleurs de feu, dispose pour l’avenir de toutes les chances que réserve encore la parole à ceux qui en ont fini avec la littérature.
Pierre Naville : Alors, vous parler de bureau, de façon de vivre. Qu’est-ce que ça veut dire ? Il n’y avait pas le moindre bureau. Il y avait un endroit, comme à la promenade de Vénus où j’ai vu Breton il y a quelques mois, n’est-ce pas. C’est un endroit où les gens se réunissaient comme au café Certa, comme dans la rue, comme n’importe où. Il se trouve que c’était logé quelque part dans la rue de Grenelle, ce fut entendu, on a fait des photos, vous les connaissez. Et qui venez là ? Qui voulait. C’est-à-dire pas grand monde, croyez-moi. Ce n’est pas comme aujourd’hui, à la foire, ça se vend très bien, et sur le marché, tout ça. Ce n’est pas du tout, pas du tout. On voyait l’un, on voyait l’autre, ou plutôt on ne les voyait pas. [question : Il venait des inconnus aussi ?] Oui, pas beaucoup. E me rappelle de ce garçon qui vend maintenant du vin à Genève, qui a dessiné l’œil de Marcel Proust. Il est venu un jour, il nous amène un dessin. C’est l’œil de Marcel Proust. Ben, je l’ai rencontré l’autre jour à Genève. Ce n’est pas l’œil de Marcel Proust, c’est l’œil d’Annette Nouille ( ?) il m’a dit. Vous vous êtes trompé pendant 30ans. C’est marrant. Voilà ce que c’était la centrale surréaliste, vous comprenez. Alors, il venait bien des gens qui voulaient s’initier, des mondains, des gens qui se demandaient qu’est-ce que c’est histoire-là, n’est-ce pas. [question : Mais vous teniez un registre de permanence ?] Oui, il y a un registre. Où est-ce qu’il est passé ? On l’a volé. On l’a volé chez moi. Il doit y avoir un amateur aujourd’hui qui possède, j’ai vu ça un jour dans un catalogue en vente quelque part. Très curieux ce qu’on lit dessus. Il y a même des pages arrachées, que Breton a arrachées de fureur, je me rappelle parce que j’avais écrit dessus : que décidément, ce n’est pas sérieux, vous voyez déjà à ce moment-là. Alors, c’est ça ce qu’on appelle la centrale surréaliste. Pas de décor, oui il y a une photo avec une femme en plâtre pendu que j’ai été acheté rue du dragon, vous savez, chez le marchand d’objet de peinture là-bas, n’est-ce pas. Alors, c’est le lieu de rencontre, je vous le répète, de gens qui trouvaient plutôt drôle, à ce moment-là, d’avoir une officine presque officielle. [question : Et quel genre de vie menaient les surréalistes ? Ils ne travaillaient pas en principe ? Ils disaient qu’ils étaient contre le travail.] Non, moi le premier, croyez-le bien. Tout ce qu’on cherchait c’était des rencontres. Qu’est-ce qui se passe au jour d’une journée ordinaire ? On suit es circuits prédéterminés. On sait qui on v avoir, on sait pourquoi. On sait ce que ça rapporte. Alors, on cherchait plutôt la rencontre imprévue, et il s’est avéré que le système d’un lieu fixe, une espèce de domicile du surréalisme à ce moment-là, ce n’est pas la bonne formule. Les gens ne venaient pas finalement. Ça nous servait de lieu de rendez-vous mais après tout Cyrano, place Blanche, c’était beaucoup mieux.
Robert Lebel : Un des souvenirs les plus intenses que j’ai conservés d’André Breton, date de ce jour d’octobre 1943, à New-York. Lorsqu’il me téléphona pour me lire son poème, « Les états généraux », qu’il venait à l’instant de terminer. Avec l’humilité grandiose dont il était coutumier en pareil cas, il commença par s’excuser de me faire subir, ce fut son mot, l’audition intégral d’un aussi long texte mais il lui était indispensable, m’expliqua-t-il de connaître sans tarder mon opinion qu’il m’abjura, comme s’il me demandait un service, de lui exprimer sans le moindre ménagement. Il lut ensuite et j’entends encore sa voix, sa scansion, qui imprégnait d’une soudaine noblesse un instrument voué au bavardage quotidien. Fasciné, je retenais mon souffle de crainte d’interrompre le rythme de son extraordinaire diction et tout en vaillant à ne perdre aucune nuance, je ne pus faire taire en moi l’idée que je vivais un moment unique et que de ce banal récepteur appuyé à mon oreille me parvenait non seulement un poème immense mais également un oracle semblable par le ton à ceux que prononçaient autrefois les augures et les chresmologues. On sait que prophétique à beaucoup d’égard, « Les états généraux », contenaient de véritables prédictions qui m’ont immédiatement frappées surtout par l’alternance de l’espoir fou et du pessimisme irrémédiable qu’elles révélaient chez André Breton. A peine avait-il dit, mêlant le passé à l’avenir : « Une bouffé de menthe, c’est quand j’allais avoir vingt-ans. Devant moi, la route hypnotique avec une femme sombrement heureuse, d’ailleurs les mœurs ont beaucoup changés, le grand interdit sera lever, une libellule, on courra pour me voir 1950. Qu’il rectifiait : ah ! voilà le retomber d’ailes inclus déjà dans le lâche, d’emblée la voûte dans toute son horreur. » Et que sa propre mort était évoquée plus loin. « Je ne suis pas comme tant de vivants qui prennent les devants pour revenir. Je suis celui qui va. On m’épargnera la croix sur ma tombe et l’on me tournera vers l’étoile polaire. » Ainsi m’apparaitra toujours André Breton illuminant brusquement notre exil du don inouï de sa communication bouleversante.
Marcel Duchamp : J’ai connu Breton bien avant la période surréaliste. Enfin, bien avant, j’entends tout la période Dada. A ce moment-là, je travaillais beaucoup dans un certain sens qui était un petit peu dégagé des « ismes » précédents. Et au fond, je n’étais pas sûr de moi. Et, lui, au contraire, m’a immédiatement révélé à moi-même. Ça a été une chose assez extraordinaire pour moi parce que j’avais des amis comme Picabia aussi qui plus ou moins acceptait, comprenait ce que nous faisions ensemble. D’ailleurs Picabia et moi nous formions plutôt une équipe. Mais Breton qui arrivait tout frais, tout jeune, a immédiatement compris, au sens réel du mot, même beaucoup plus loin que nous, nous le comprenions. Il m’a révélé en somme beaucoup de choses que je ne voyais même pas. Ça a été une expérience remarquable pour moi. C’est une chose qui est peut-être assez rare dans la vie d’un artiste d’être, pour ainsi dire, non seulement ce n’est pas une question même d’encouragement parce que j’avais déjà quand même un petit passé de cubiste, ou de fauve, j’avais même des tendances Dada, à ce moment-là. Et je le remercie vraiment d’avoir été mon découvreur, pour ainsi dire. Et d’ailleurs à cet époque-là, c’était un jeune, il aimait les jeunes, la question de la jeunesse était très importante dans sa vie et il détestait les vieillards. Il avait fait des gestes anti vieillards assez extraordinaires. Ce qui était presque choquant mais pas du tout, Breton, lui il a fait, il a su mourir sans vieillir.
Joyce Mansour : André Breton changea la vie et la vision de tous ceux qui l’ont connu. C’était le grand oiseau cramoisi des vrais beaux jours. Tous ceux qui l’approchèrent savent aujourd’hui que jamais hors de sa présence ils retrouveront une certaine qualité de l’air. Il ne perdit jamais son amour du merveilleux ni ne douta un seul de la certitude de ses rencontres au hasard d’une rue, d’un poème, ou d’un objet extraordinaire. Alors le regard intérieur, le seul qui comptait vraiment à ses yeux, s’y glisse et s’y enlise. Duchamp, dit, en parlant d’André : « Il aimait comme un cœur bat ». Et c’est vrai. André aimait la liberté par-dessus tout. Il aimait le signe ascendant, tout ce qui exalte, se cache et poétise. Il aimait rire. Il aimait ses promenades de rêveur éveillé qui mène chez Drouot ou les brocanteurs ou le long de certaine rues qu’il absorbait à petite dose comme un lecteur attentionné. Par sa seule présence il repoussait la médiocrité, la laideur et la sottise. Pour lui le beau et le révolutionnaire sortaient de la grisaille. Il s’enthousiasmait et sa joie était contagieuse. Il montrait, racontait, décrivait et tous pouvaient apprécier et faire leur cette nouvelle évidence qui sans son œil lucide serait restée dans l’informe. Et pourtant il était tout le contraire de ces hommes qui vous assourdissent de leur moi sur-gonflé. Il parlait rarement de lui-même. Il écoutait. Il savait écouter. Il fut aussi l’homme le plus courtois. Je me souviens de sa réponse quand une après midi pluvieuse j’ai suggéré qu’il mit son chapeau sur sa tête au lieu de le porter à la main, comment me dit-il, scandaliser ? Comment me protégerai-je quand vous aller tête nue ? André Breton fut l’homme le plus généreux, le plus fascinant, le plus libre et tus ceux qui l’ont connu, lu et compris, Breton brillent encore un peu de son immense éclat.
------------------------------
Commentaire (sans les données personnelles de l’auteur du message) et réponse laissés sur le blog :
(1) Jean-Paul, le jeudi 19 avril 2007 à 20 h 11 :
J’espère que vous nous donnerez des renseignements biographiques et bibliographies de tous les signataires du Manifeste des 121 puisque visiblement c’est ce que vous avez commencé à faire.
Mon ignorance étant grande, je ne dois pas être le seul, les pages que j’ai pu lire jusqu’à présent me donnent envie de rentrer dans l’oeuvre de chacun de ceux dont vous avez parlé. Tout cela me frustre bien évidemment car je n’ai pas l’éternité devant moi.
Amitiés intellectuelles donc, bien joli nom pour une rubrique.
------------------------
Rép. de Tinhinane
Samedi 29/04/07 22 : 08
N’étant moi aussi pas éternelle, j’espère avoir le temps de venir à bout de mon petit projet, faire connaître les signataires du "Manifeste des 121" ainsi que leur œuvre.
Amitiés intellectuelles et merci pour votre message.