Inauguration de l’exposition « les savants et la Révolution » à la Cité des sciences et de l’industrie, le 18 avril 1989
Mesdames et messieurs,
La Cité des sciences et de l’industrie a, vous le savez, pour ambition de permettre à un vaste et autant que possible jeune public d’aller à la rencontre de l’innovation scientifique et technologique. Mais pour comprendre la science d’aujourd’hui, il n’est pas inutile de comprendre l’histoire, comme nous le montre cette exposition, celle que nous venons de parcourir et que je suis heureux d’inaugurer. Cette exposition a utilisé, utilise et utilisera le talent des comédiens dont j’ai admiré le jeu et qui commémore l’un des aspects les plus importants de la révolution dont nous célébrons le bicentenaire, à savoir le rôle fondamental joué par les scientifiques pendant cette période de notre histoire. En effet, cela m’a été rapporté tout le long de cette visite mais vous n’avez pas tous entendu ; je n’en donnerai que quelques éléments très succincts.
En effet, dans notre pays, au cours des dix dernières années du 18ème siècle, mathématiciens, astronomes, physiciens, que sais-je, découvrent et inventent. Ils bâtissent des sciences nouvelles. Ils améliorent les conditions de vie de leurs concitoyens. Ils contribuent au changement de la société. Ils établissent en particulier le nouveau système des grandes écoles. Ils participent à l’effort de la défense nationale : le savant, poète et philosophe Lazare CARNOT se fait homme d’État et devient « l’organisateur de la victoire ».
Pendant la période révolutionnaire, c’est en France que plusieurs disciplines acquièrent un statut réellement scientifique. C’est la chimie qu’Antoine de LAVOISIER fait progresser de façon spectaculaire. C’est à lui que l’on doit la règle qui sert de fondement à la science expérimentale. Il découvre la composition de l’air et de l’eau. Il met en évidence l’oxygène et ce fameux gaz carbonique dont on se plaint aujourd’hui et responsable du réchauffement de l’atmosphère mais qui présente aussi sans doute quelques avantages. L’école française de chimie établit la nomenclature qui constitue la base de cette science. Je citerai LAVOISIER : « le mot doit faire naître l’idée, l’idée doit peindre le fait, ce sont trois empreintes d’un même cachet ». Je m’attarde un moment sur Lavoisier car au-delà de ses découvertes, l’un de ses grands mérites a été de créer de véritables équipes scientifiques pluridisciplinaires auxquelles ont participé des spécialistes aussi différents que le mathématicien Gaspard MONGE, qui fonde la géométrie descriptive, et les chimistes comme Antoine François de FOURCROY, Claude Louis BERTHOLET que nous avons aperçu tout à l’heure, l’inventeur de l’eau de javel, c’est bien lui et ce n’est pas mince. A cette époque fleurit un véritable esprit scientifique qui est fait de rigueur par définition dans la démarche théorique aussi bien que dans la démarche expérimentale. L’astronome Jean Sylvain BAILLY qui fut président de l’Assemblée nationale, maire de Paris, lui aussi, comme LAVOISIER, périt pendant la révolution. Ce fut à son propos que le mathématicien Joseph Louis LAGRANGE, l’un des pères de la mécanique et des mathématiques modernes a dit : « il ne leur a fallu qu’un moment pour faire tomber cette tête et cent années peut-être ne suffiront pas pour en produire une semblable ».
Assurément, ce n’est pas le seul aspect de la révolution sans quoi je ne la célébrerai pas de cette manière. Mais toute grande action historique comporte aussi ses scories.
Je ne peux évoquer toutes les grandes découvertes scientifiques de cette période féconde. Cela a été fait et sera fait par d’autres que moi et mieux que moi dans la mesure où leur science, leur connaissance nous permettent aujourd’hui d’assurer la lignée des savants qui n’a pas été interrompue et que je crois m’apercevoir en ce jour capable pour la fin de ce siècle-là de porter plus loin les découvertes de l’esprit humain. Enfin je rappellerai les travaux de Pierre Simon de Laplace qui proposa en 1796 la théorie moderne décrivant la formation du système solaire, la classification des espèces vivantes par JUSSIEU, Geoffroy SAINT-HILAIRE et Jean-Baptiste LAMARCK.
Cette exposition rappelle aussi l’un des apports essentiels des savants de la révolution : la définition du nouveau système des poids et mesures et particulièrement du système métrique qu’établit l’académie des sciences dans sa séance du 30 mars 1791 à partir des travaux de Jean-Charles BORDA et des astronomes DELAMBRE, MÉCHAIN, ceux-là même qui mesurèrent l’arc de méridien pour définir le mètre. Cet événement majeur a marqué notre civilisation et j’étais frappé de voir ou de revoir dans les différentes vitrines de cette exposition extrêmement bien agencée et fort bien présentée toute une série de ces instruments dont le résultat paraît si simple et qui commande aux formes de notre intelligence et de notre culture et qui représente des avancées considérables pour l’esprit humain en même temps qu’une simplification extrême du mode de connaissance. Je pense que - enfin, je m’interroge | - combien de temps faudra-t-il encore pour que nous convainquions les autres, enfin ce qui reste - à l’exception des scientifiques, ils le savent déjà - que l’on pourrait, le cas échéant, remplacer les pieds, les milles, les pouces, les gallons, les pintes, les livres ou onces, par des choses aussi simples que le mètre, le litre ou bien le kilogramme. Enfin, cela n’a pas du tout vertu de remontrance. Je pense que l’esprit des savants français à cette époque, avait précisément le mérite de simplifier, de rendre clair ce qui risquait d’être mal commode pour la pratique quotidienne.
Les scientifiques de cette époque ne se sont pas contentés de faire des mathématiques ou de la mécanique céleste pour ne choisir que ces deux disciplines. Beaucoup de leurs travaux ont amélioré directement, je l’ai dit, la vie de leurs concitoyens. J’ai cité l’eau de javel, après tout, elle permet de blanchir les tissus, les métiers à tisser "Jacquard", l’invention par CHAPTAL du procédé qui a renforcé et qui renforce la teneur en alcool du vin par l’adjonction de sucre, on en a connu aussi quelques méfaits. Avant d’aborder le fond des études de CHAPTAL, j’ai eu à me débattre avec les effets délétères de ce que l’on appelle la "chaptalisation", conversation très courante dans le midi de la France et ailleurs au demeurant. Enfin c’est une parenthèse qui n’était pas écrite sur ce texte. La découverte du gaz d’éclairage par Philippe LEBON, n’oublions pas non plus les progrès accomplis par les médecins en chirurgie comme en psychiatrie. Claude CHAPPE inventait le télégraphe, on l’a aperçu à peu près à tous les tournants, c’était bien mérité, puisqu’il permit dès le mois d’août 1794 de transmettre à la Convention en une dizaine de minutes les nouvelles victoires remportées par l’armée révolutionnaire, notamment à Condé. Cette invention, m’a-t-on dit, va donner lieu bientôt à la Géode, que l’on peut apercevoir à peu de distance, qui est devenue la salle de cinéma parisienne la plus fréquentée, un spectacle que je crois avoir l’occasion d’inaugurer en juillet prochain, ce qui quelquefois, me ramène un peu à ma condition d’aujourd’hui qui consiste à inaugurer beaucoup de choses. Enfin cette année on me verra beaucoup pour ces choses, le bicentenaire y est pour beaucoup. On me pardonnera si on me voit ici ou là revenir pour inaugurer, comme le disait Bonaparte, quelques détails.
Les scientifiques ont également participé à la défense nationale, dans le développement de la métallurgie et par l’utilisation des aérostats. Faut-il citer la bataille de Fleurus, la participation de Lazare CARNOT, de Guyton de Morveau, de Prieur de la Côte d’Or aux travaux du comité de salut public. Et on avait raison de rappeler le rôle de la Bourgogne. Je citais quelques-uns des initiateurs de cette belle exposition, la surprise que j’avais eu, visitant Montbard, de voir qu’en une si petite ville, se trouvaient au même moment des hommes de la taille de BUFFON, de DAUBENTON qui ont été capables de concevoir, de découvrir et d’illustrer les apports de la science moderne en matière de sciences naturelles, de village en village, pourrais-je dire, et de ville en ville, dans cette région et dans quelques autres, on trouve comme cela des noms illustres qui jalonnent l’itinéraire.
Enfin, dans cette période que nous célébrons, les hommes de sciences, en suivant la direction imprimée par Nicolas de CONDORCET, sont à l’origine de la création de la plupart de nos grandes écoles. Système éducatif qui fut unique au monde et pourrait le rester, et qui vient de l’action d’hommes comme FOURCROY, LAKANAL, FOURIER. Et 1794 est alors, pour nous tous, une année décisive. 28 septembre, création de l’Ecole centrale des travaux publics qui devint l’Ecole polytechnique que je visitais il y a peu. Le 10 octobre, la création du Conservatoire des arts et métiers, où l’on retrouve l’Abbé GREGOIRE. 31 octobre, la création de l’Ecole normale supérieure, le 4 décembre la création des Ecoles de santé. On pourrait citer le bureau des longitudes, le muséum d’histoire naturelle que nous sommes en train de réadapter à sa fonction que je veux voir grandir, l’Ecole du Louvre, l’Institut du Caire, l’Ecole nationale des langues orientales, j’en passe.
Ainsi la France ne se contente pas d’avoir une tradition littéraire affirmée. Elle n’est pas contestée. C’est aussi une grande nation scientifique, il faut le rappeler. Je pense, au demeurant, que nous aurons l’occasion de souligner de nouveau, car j’ai pris la décision - valeur symbolique - de transférer au Panthéon, les cendres de quelques-uns de ces savants, d’abord CONDORCET. Il ne s’agit pas d’un transfert de cendres, puisque, comme vous le savez, il a disparu dans des conditions qui ne l’ont pas permis, mais une plaque marquera le souvenir de cet homme parmi les plus éminents de notre histoire de France. Et, on ne comprendrait pas la Révolution française et sa signification sans passer par la connaissance de son message. CONDORCET, je citais l’Abbé GREGOIRE également dont on me rappelait à l’instant qu’il était le fondateur du Conservatoire des arts et métiers, mais qui s’est illustré dans beaucoup d’autres domaines sur lesquels je ne saurais pour l’instant insister. Les grands noms également de notre histoire et MONGE, fondateur de l’Ecole polytechnique, l’initiateur, et en même temps un homme qui a marqué son temps.
Il y a toujours une part d’injustice dans ces choix, mais on a voulu signifier l’apport de la science, de la philosophie et de leur projection dans la vie politique. Dans ce grand jeu des idées transformées en actes à compter de 1789.
Les chercheurs d’aujourd’hui je crois pouvoir dire qu’ils peuvent compter sur le gouvernement de la République. Nous l’avons déjà démontré. L’effort particulier, privilégié, préférentiel, donc prioritaire a été décidé, et il est accompli d’année en année au travers des lignes du budget sans lesquelles il ne serait pas possible d’aller plus loin. Et j’entends bien continuer, marquer comme je l’ai fait hier dans une autre occasion, il s’agissait d’un domaine tout à fait différent de celui-ci, biogénétique en particulier, moléculaire. Je voulais marquer à quel point j’attachais une importance capitale et déterminante au rôle de la recherche et donc de la découverte, par l’application de l’esprit humain à l’ensemble des disciplines scientifiques, à quel point j’en attendais, pour la fin de ce siècle et pour le début de l’autre un surgissement considérable permettant à la France d’occuper le rang qui doit être le sien.
Je sais que, cela a été dit, que l’on songe à orienter la Cité des sciences et de l’industrie vers des recherches liées à l’environnement. Je ne saurais trop vous y encourager. Par cette exposition qui fait honneur à la Cité, la France veut exprimer sa reconnaissance aux savants de la Révolution, car ceux-ci ont montré avec éclat que les chercheurs ne sont pas par destination enfermés dans la tour d’ivoire à laquelle ils sont dit-on destinés. Ils doivent communiquer, rester au cœur de la nation des inspirateurs et des initiateurs. Ils montrent le chemin par la qualité, les perceptions et l’acuité de leur esprit. Et, s’ils mettent comme ils le font le plus souvent à la disposition de leur patrie et de l’humanité les talents qu’ils possèdent et les découvertes qu’ils proposent, alors nous aurons parfaitement justifié ce qui s’accomplit ici chaque jour.