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Appel de Genève, par 7 magistrats européens anticorruption

L’Appel de Genève, du 1eroctobre 1996, lancé par : Bernard Bertossa, Edmondo Bruti Liberati, Gherardo Colombo, Benoit Dejemeppe, Baltasar Garzon Real, Carlos Jimenez Villarejo, Renaud Van Ruymbeke. Par cet appel, nous désirons contribuer à construire, dans l’intérêt même de notre communauté, une Europe plus juste et plus sûre, où la fraude et le crime ne bénéficient plus d’une large impunité et d’où la corruption sera réellement éradiquée.

Appel de Genève

Conseil de I’Europe, traité de Rome, accords de Schengen, traité de Maastricht : à l’ombre de cette Europe en construction visible, officielle et respectable, se cache une autre Europe, plus discrète, moins avouable. C’est l’Europe des paradis fiscaux qui prospère sans vergogne grâce aux capitaux auxquels elle prête un refuge complaisant. C’est aussi I’Europe des places financières et des établissements bancaires, où le secret est trop souvent un alibi et un paravent. Cette Europe des comptes à numéro et des lessiveuses à billets est utilisée pour recycler l’argent de la drogue, du terrorisme, des sectes, de la corruption et des activités mafieuses.

Les circuits occultes empruntés par les organisations délinquantes, voire dans de nombreux cas criminelles, se développent en même temps qu’explosent les échanges financiers internationaux et que les entreprises multiplient leurs activités, ou transfèrent leurs sièges au-delà des frontières nationales. Certaines personnalités et certains partis politiques ont eux-mêmes, à diverses occasions, profité de ces circuits. Par ailleurs, les autorités politiques, tous pays confondus, se révèlent aujourd’hui incapables de s’attaquer, clairement et efficacement, à cette Europe de l’ombre.

À l’heure des réseaux informatiques d’Internet, du modem et du fax, l’argent d’origine frauduleuse peut circuler à grande vitesse d’un compte à l’autre, d’un paradis fiscal à l’autre, sous couvert de sociétés off shore, anonymes, contrôlées par de respectables fiduciaires généreusement appointées. Cet argent est ensuite placé ou investi hors de tout contrôle. L’impunité est aujourd’hui quasi assurée aux fraudeurs. Des années seront en effet nécessaires à la justice de chacun des pays européens pour retrouver la trace de cet argent, quand cela ne s’avérera pas impossible dans le cadre légal actuel hérité d’une époque où les frontières avaient encore un sens pour les personnes, les biens et les capitaux.

Pour avoir une chance de lutter contre une criminalité qui profite largement des réglementations en vigueur dans les différents pays européens, il est urgent d’abolir les protectionnismes dépassés en matière policière et judiciaire. Il devient nécessaire d’instaurer un véritable espace judiciaire européen au sein duquel les magistrats pourront, sans entraves autres que celles de l’État de droit, rechercher et échanger les informations utiles aux enquêtes en cours.

Nous demandons la mise en application effective des accords de Schengen prévoyant la transmission directe de commissions rogatoires internationales et du résultat des investigations entre juges, sans interférences du pouvoir exécutif et sans recours à la voie diplomatique.

Nous souhaitons, au nom de l’égalité de tous les citoyens devant la loi, la signature de conventions internationales entre pays européens :

 garantissant la levée du secret bancaire lors de demandes d’entraide internationale en matière pénale émanant des autorités judiciaires des différents pays signataires, là où ce secret pourrait encore être invoqué ;

 permettant à tout juge européen de s’adresser directement à tout autre juge européen ;

 prévoyant la transmission immédiate et directe du résultat des investigations demandées par commissions rogatoires internationales, nonobstant tout recours interne au sein de l’État requis ;

 incluant le renforcement de l’assistance mutuelle administrative en matière fiscale. À ce propos, dans les pays qui ne le connaissent pas, nous proposons La création d’une nouvelle incrimination d’« escroquerie fiscale » pour les cas où la fraude porte sur un montant significatif et a été commise par l’emploi de manœuvres frauduleuses tendant à dissimuler la réalité.

À cette fin, nous appelons les parlements et gouvernements nationaux concernés :

 à ratifier la Convention de Strasbourg du 8 novembre 1990 [1] relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime ;

 à réviser la Convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale, signée à Strasbourg le 20 avril 1959 ;

 à prendre les mesures utiles à la mise en œuvre effective des dispositions du titre VI du traité de l’Union européenne du 7 février 1992 et de l’article 209 A du même traité ;

 à conclure une convention prévoyant la possibilité de poursuivre pénalement les nationaux coupables d’actes de corruption à l’égard d’autorités étrangères.

Par cet appel, nous désirons contribuer à construire, dans l’intérêt même de notre communauté, une Europe plus juste et plus sûre, où la fraude et le crime ne bénéficient plus d’une large impunité et d’où la corruption sera réellement éradiquée.

Il en va de l’avenir de la démocratie en Europe et la véritable garantie des droits du citoyen est à ce prix.


Lire également :

 Appel de Genève, sur Wikiédia

 Paradis fiscaux : quel bilan dix ans après l’appel de Genève ?, sur Agoravox

notes bas page

[1Convention signée par les États membres du Conseil de l’Europe mais non contresignée par les parlements des pays concernés, elle n’est donc pas appliquée.



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