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Chemin de la connaissance/ De la Berbérie au Maghreb (1)

Transcription par Taos Aït Si Slimane de l’émission de France Culture, du lundi 6 novembre 1995, « Les Chemins de la connaissance », consacrée au thème « De la Berbérie au Maghreb" Invasions et colonisation en Algérie jusqu’à la fin du XIXè siècle », premier volet intitulé : « Carthage, Rome et après ».

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Édito de la série d’émissions : L’Afrique du Nord fut intégrée à l’Orient par sa conversion à l’islam après avoir fortement défendu son individualisme. L’islamisation, commencée dès la fin du VIIe siècle, ne devint définitive qu’au XIIe siècle après le triomphe des Almohades qui fondèrent l’un des grands empires berbères. Mais si la prise de Carthage en 698 rattachait la Berbérie à l’Orient, il fallut de longs siècles pour que l’héritage de Rome et la christianisation disparaissent. D’autre part, les résistances mêmes aux groupes arabes et bédouins, l’émergence d’empires berbères et l’épanouissement puis la disparition du monde andalou devaient donner à l’islam maghrébin des nuances particulières. Lorsqu’au XVe siècle, les chrétiens prennent pied en terre d’Afrique, si le Maroc, en réaction s’adonne à la ferveur religieuse populaire et se replie de plus en plus sur lui-même, sans plus de liaison avec l’Orient musulman qu’avec l’Occident chrétien, les autres régions du Maghreb s’allient avec les Turcs. Cette occupation turque elle-même n’aura pas de répercussions identiques en Tunisie et en Algérie. Ainsi, lorsque les Français débarquent à Alger en 1830, trois ensembles sont depuis longtemps différenciés, et la colonisation militaire s’exerçant en Algérie, n’aura pas des conséquences semblables. Si une histoire chronologique ne peut ignorer les décalages de l’Est à l’Ouest, et les influences diverses, elle ne doit pas non plus négliger l’étude des groupes humains eux-mêmes dans leur longue durée : que sont devenus au cours des siècles les groupes berbères et leurs modes anciens d’organisation ? Que sont devenus les juifs qui vivaient là depuis 2000 ans et quel a été l’apport des juifs chassés d’Espagne (de même que celui des musulmans qui ont subi le même sort) ? La chronologie doit donc s’accommoder de chemins transversaux, de regards au plus lointain, de gros plans.

Avec Marcel Benabou, Philippe Lebeau, Tassadit Yacine, Salem Chaker, Houari Touati, Lucette Valensi, Jean-Louis Mièbe, André Raymond, Nourredine Sracib, Benjamin Stora.

« De la Berbérie au Maghreb »

« Carthage, Rome et après »

Introduction par Emmanuel Hirsch : Geneviève Ladouès, bonjour.

Geneviève Ladouès : Bonjour.

Introduction par Emmanuel Hirsch : Cette semaine, « Les Chemins de la connaissance » sont consacrés à « De la Berbérie au Maghreb / Invasions et colonisation en Algérie jusqu’à la fin du XIXe siècle ». L’Afrique du Nord fut intégrée à l’Orient par sa conversion à l’islam après avoir fortement défendu son individualisme. L’islamisation, commencée dès la fin du VIIe siècle, ne devint définitive qu’au XIIe siècle après le triomphe des Almohades, qui fondèrent l’un des grands empires berbères. Comment peut-on raconter l’histoire d’un si vaste ensemble ? Comment l’histoire peut nous éclairer sur les identités actuelles des trois pays de l’Afrique du Nord ?

Geneviève Ladouès : Il faut avoir au point de départ un parti pris. Mon parti pris a été d’essayer de voir au cours des siècles comment se sont déposées ou retirées les strates de civilisations de langues différentes qui ont abordé cette Afrique du Nord. On pourrait dire des Phéniciens jusqu’à l’arrivée des Français parce que chaque étape est une étape importante même si elle n’a pas forcément laissé jusqu’à nos jours des traces. « De la Berbérie au Maghreb », j’ai essayé de voir aussi comment les trois pays que nous connaissons actuellement se sont différenciés au cours des siècles, comment ils ont émergé en tant que nations : la Tunisie, l’Algérie et le Maroc. Ils ont à la fois une histoire commune et des histoires différenciées. Nous allons essayer, bien entendu étape par étape, de reconstituer la chronologie des invasions, des colonisations, des installations des dynasties ou de création de villes, pour tenter de saisir la complexité de toute cette histoire humaine, mais il nous fallait aussi, c’était là le parti-pris, avoir des regards sur chaque groupe humain, considéré dans sa longue durée pour comprendre sa place actuelle, dans cet espace de l’Afrique du nord : les Berbères, les Juifs, les Berbères arabisés, ce qu’est l’islamisation, ce qu’est l’arabisation, les chocs et les contrecoups de l’arrivée des militaires français dès 1830 en Algérie. Voilà de quelle façon on peut essayer de voir les dates, les tournants, les strates, les comportements des groupes humains sur leur longue durée mais aussi face à l’événement.

Introduction par Emmanuel Hirsch : C’est donc une promenade ou investigation, un peu transversale, où la chronologie doit réhabiliter un certain nombre de regards, des points de vue, que vous nous conviez, Geneviève Ladouès dans « Les Chemins de la connaissance », émission, toute cette semaine de « De la Berbérie au Maghreb / Invasions et colonisation en Algérie jusqu’à la fin du XIXe siècle », une émission de Geneviève Ladouès, réalisée par Nathalie Triandafyllidès. Aujourd’hui : « Carthage, Rome et après », avec Marcel Benabou, historien, et Salem Chaker, professeur de linguistique.

Geneviève Ladouès : Commençons par le commencement, dans l’Antiquité, avec Marcel Benabou, et surtout avec ceux que les textes anciens appellent les Libyques puisqu’on peut difficilement ne pas partir des Berbères.

Marcel Benabou : Nous avions, dès le VIII-IXe siècle avant Jésus-Christ, une population qui y réside et à laquelle s’attaquent les premiers colonisateurs, qui ne sont pas du tout les Romains mais les Phéniciens. Quand je dis s’attaquer, c’est un bien grand mot. En réalité…

Geneviève Ladouès : Ils les égratignent.

Marcel Benabou : Ils les égratignent à peine, ils ne font que créer quelques comptoirs pour exercer leur commerce, tirer leurs bateaux le soir. Ils vont quand même créer un certain nombre de cités. Comme vous le savez, une de ces cités, appelée en punique Kart-Hadasht, la ville nouvelle, va devenir la grande cité de Carthage et prendre en quelque sorte le relai de cette première colonisation, et créer un grand nombre de colonies et de comptoirs. C’est là le premier contact de cette Afrique du Nord indigène avec le monde extérieur. Et par cette phéncisation au début et surtout punicisation, l’Afrique du Nord reçoit non seulement la civilisation carthaginoise et ce dont elle était déjà porteuse, c’est-à-dire des relents de la civilisation égyptienne et surtout une partie de la grande civilisation méditerranéenne grecque et un peut plus tard hellénistique. Il y a eu interpénétration sur les cités de la côté. Cette interpénétration a touché l’organisation politique, un certain nombre de cités numides ont des constitutions de type punique, et elle a surtout touché de façon profonde la religion. Cette pénétration des religions, croyances et divinités puniques dans l’arrière plan berbère a été probablement ce qu’il a eu de plus durable puisque ce sont les résultats de cette pénétration que nous continuons de trouver beaucoup plus tard, à l’époque romaine et même, d’une certaine façon pour certains cas, au-delà de l’époque romaine. Pour ce qui concerne la religion, l’exemple qui vient à l’esprit c’est évidemment celui de Ba’al Hammon, qui va devenir le Saturne africain de l’époque romaine, qui s’est lui-même, comme Leglay l’a démontré, se greffer sur Amon, dieu au bélier, maître de la pluie, etc., qui était lui d’origine proprement africaine.

Geneviève Ladouès : Et Carthage fût détruite, les Romains arrivent. César et Auguste, dans les années 30 et 40 avant le Christ, s’intéressent réellement à l’ancienne Carthage punique, l’africain. Il va falloir cependant un siècle, par envoi de soldats et distribution de terres, pour que l’ensemble soit romanisé. Une province sénatoriale, l’Africa, et deux provinces impériales : la Maurétanie césarienne et la Mauritanie Tingitane. L’Afrique du nord prend toute sa place dans l’Empire et donne même à Rome un Empereur, Septime Sévère.

Marcel Benabou : En réalité, ce pouvoir romain se heurte, s’est heurté pendant longtemps à une certaine résistance militaire. Il y a eu tout au long des règnes des différents empereurs, au cours des deux premiers siècles, toute une série de tentatives de guerres qui avaient chacune des raisons particulières, les plus importantes étant celles qui étaient menées par un certain nombre de tribus nomades ou semi-nomades, dont la présence et conquête romaine dérangeait les modes de vie, de grands mouvements comme celui dirigé par le grand chef Tacfarinas, sous Tibère, d’autres mouvements à l’époque des Antonins, mettant aussi au premier plan la résistance d’un certain nombre de tribus montagnardes ou de populations montagnardes. Donc, il y a eu cette résistance militaire, qui n’a pas du tout réussi à remettre sérieusement en question la mainmise romaine, je crois que ce n’était son objet. Je ne crois pas que l’on puisse considérer cela comme une espèce de résistance nationale, c’était quelque chose de beaucoup plus conjoncturel, de beaucoup plus liée à des problèmes économiques spécifiques. Il y a dans les rapports entre Africains et Romains une toute autre dimension, celle qui concerne ceux qui n’ont pas résisté au sens militaire du mot, qui ont accepté la conquête romaine parce que cette présence romaine était un moyen, pour eux, de s’intégrer dans ce monde méditerranéen, c’était en quelque sorte la modernité. La civilisation romaine et le pouvoir romain, dans la mesure où ils unifiaient une vaste zone méditerranéenne étaient en quelque sorte le passage obligé pour entrer dans ce qui était pour l’époque la modernité, donc la civilisation romaine elle-même porteuse de la civilisation hellénistique. Donc, tous ceux qui ont accepté d’entrer dans ce jeu-là, les élites de la population de l’Afrique du nord, élites qui déjà s’étaient mises sur ce chemin-là avec les puniques, vont évidemment trouver tout à fait leur compte et vont donc être de très bons Romains. Là où la résistance subsiste, c’est ce que j’ai appelé la résistance culturelle, c’est dans un certain nombre de domaines et d’abord le domaine religieux. Là, de façon tout à fait évidente, nous trouvons qu’il y a dans la religion de l’Afrique du Nord romaine des traces, beaucoup plus que des traces des persistances, tout à fait solides de ce que nous avions vu tout à l’heure de la religion de l’époque punique. L’exemple le plus fameux, celui que l’on cite toujours, c’est celui du dieu Saturne, celui qui en Afrique et le dieu par excellence, qui finit par capter les pouvoirs de tous les autres dieux, le dieu le plus respecté, celui pour lequel il y a le plus de temples et pour lequel il y a le plus d’inscriptions honorifiques, ce dieu n’est en quelque sorte que la continuation, la traduction, l’interprétation du Ba’al Hammon punique, lui-même s’étant greffé sur une divinité d’origine berbéro-africaine. Il y a toujours une double figure des divinités romaines en Afrique, leurs figures romaines et leurs figures africaines romanisées.

Deuxième mode de résistance, apparaît par exemple dans l’onomastique, dans la façon dont les gens se nomment. On s’est aperçu que l’onomastique romaine en Afrique avait un certain nombre de particularités qui lui venait du fait que les gens qui se donnaient des noms romains étaient en fait des Africains, des Africains romanisés, et qu’à travers leurs noms romains, sous leurs noms romains, ils essayaient de garder quelque chose de leur ancien système onomastique, d’où le nombre de gens qui s’appellent Saturninus, qui est beaucoup plus grand en Afrique qu’ailleurs, d’où surtout un certain nombre de surnoms, de cognomina, en liaisons avec des divinités, comme Donatus, Datus, qui sont en fait la traduction de noms courants dans le système onomastique punique.

Troisième type de résistance, c’est celle que l’on voit à travers la persistance d’un certain nombre d’institutions politiques. Là encore, le Suffèta, le fait qu’un certain nombre de cités ont à leur tête des magistrats, en pleine époque romaine, des cités romaines, que l’on appelle des Suffètes.

Il y a donc ces éléments qui sont à mes yeux les formes de résistance culturelle africaine à la romanisation, qui n’implique pas un refus de la romanité, loin de là, qui impliquent simplement que l’on accepte la romanité mais que l’on éprouve le besoin de maintenir quelque chose de ce qui était la tradition antérieure aux Romains.

Voilà pourquoi nous avons ce schéma à trois entrées, en Afrique : le libyque, le punique et le romain. Ce schéma se retrouve dans les langues. Un des points que je voulais évoquer pour finir, c’est évidemment celui des langues. En Afrique romaine, nous avons trois langues : le libyque qui est l’ancêtre du berbère actuel, le punique qui se maintient pendant très longtemps, jusqu’à la fin de l’Empire romain, et le latin.

Geneviève Ladouès : Avec Salem Chaker, reprenons l’évolution de ce vaste ensemble que la tradition française a pris l’habitude de considérer comme un vaste ensemble homogène, les Berbères, pourtant si différents les uns des autres Méditerranéens, Montagnards, Sahariens, Nomades. Ce vaste peuple non homogène n’est pas un isolat, il est soumis depuis le Néolithique à diverses influences : ibérique, italienne puis, nous l’avons vu, orientales à travers Carthage et Rome. C’est un ensemble qui va être en contact avec les Byzantins, dans les temps obscurs du très haut Moyen-âge, avec les Vandales qui occupent le Nord de la Tunisie et une partie de l’Algérie. Comment se monde berbère résiste-t-il aux remous de l’histoire, aux groupes divers qui le traversent ou en occupent les marges ?

Salem Chaker : Je crois que l’on oubli peut-être assez souvent qu’effectivement les Berbères ont participé, se sont intégrés activement à l’orbite culturelle et politique carthaginoise, à celle de Rome de façon évidente, y compris à sa version chrétienne, on citera toujours évidemment Saint Augustin. Il faut savoir que l’Afrique du Nord était pendant la période chrétienne romaine je dirais l’un des pôles des la christianité, y compris par le nombre des ( ? manque un mot) ce sont des données bien connues. Sur le plan linguistique, on sait très bien l’essentiel du monde urbain Maghrébin dans la période romaine était latinisé. On a un corpus d’inscriptions latines en Afrique du Nord qui est lus important que celui qui existe en Italie. On peut dire la même chose pour Carthage où l’on sait par exemple que la langue quasiment officielle, si ce terme a un sens, dans le cours des monarques berbères, numides ou maures étaient le punique. Ils ont tous frappés les monnaies en punique, à légende punique e pas en berbère par exemple. On peut bien sûr étendre ce constat à la présence arabe et islamique, puisque très vite des milieux berbères s’approprient l’Islam, ils vont fonder les fameux empires islamo-berbères du haut Moyen-âge, s’approprier la langue arabe, produire en arabe, et même dans certains cas essayer d’utiliser et d’adapter l’alphabet arabe pour écrire la langue berbère. Cela sera es expériences sans suite contrairement à ce qui s’est passé dans le monde turque ou dans le monde iranien. Au fond, ce que l’on constate, c’est cette double relation des phénomènes de résistance très, très forts sur la longue durée qui maintiennent une existence et une identité berbère spécifique, essentiellement à travers à travers la langue mais aussi d’organisation sociale…

Geneviève Ladouès : Par exemple ?

Salem Chaker : La résistance des tribalismes, par exemple, est très forte. On voit très bien ce qui peut expliquer la déromanisation, la délatinisation et la déchristianisation du Maghreb antique, c’est probablement qu’au fond cette romanisation, latinisation, christianisation a dû toucher de manière significative les milieux urbanisés mais épargné en grande partie les milieux tribaux, montagnards, nomades, semi-nomades, sahariens, qui, dès que le pouvoir central romain s’est affaibli, ont resubmergé en quelque sorte ces éléments de latinité qui étaient tout à fait réels.

Geneviève Ladouès : Et ont conservé leur organisation sociale ?

Salem Chaker : Tout à fait. Je ne suis pas anthropologue mais je crois quand même qu’il y a là un thème de réflexion pour l’anthropologie sociale, dans tout le bassin méditerranéen occidental si on y regarde bien, les Berbères sont le seul groupe méditerranéen à avoir gardé une organisation sociale jusqu’à l’époque subactuelle de type tribal. On peut se demander si ce n’est pas cela qui leur a permis aussi de résister. Évidemment, il y a une question qui se pose immédiatement, c’est : qui résiste ou s’assimile ou qui s’intègre ? Là, il n’y a pas de miracle, on connaît très bien les choses. Les acteurs de cette double dynamique on peut l’étendre jusqu’à la période contemporaine par rapport à la France, la culture française ou même aux État-nations indépendants actuels, c’est clair que fondamentalement là, il y a un distinguo à opérer entre les élites, les élites urbaines essentiellement, et le monde rural sous ses différentes formes quelles soient nomades ou paysannes. Je crois que l’une des caractéristiques, assez troublante, c’est cette propension des élites berbères à s’assimiler à la culture dominante du moment, ils ont été latinophones, chrétiens, etc. pendant toute l’histoire, - on est francophone si vous voulez aussi – alors que de l’autre côté du côté de la masse, des populations rurales, il y a une très forte… et je crois que c’est une continuité très forte, c’est au fond ce détachement que l’on constate, cette dissociation sur la très longue durée entre les élites et les masses parlantes berbérophones, si on les identifie par leur langue. Ça, on le trouve sous Rome, Carthage, dans la période arabo-islamique, la période contemporaine. Ces Berbères sont un monde dont une grande partie des élites a toujours été ailleurs.

Geneviève Ladouès : Revenons à l’Antiquité. Marcel Benabou soulignait que ceux des Berbères qui acceptaient la présence romaine, les élites, comme nous l’expliquait Salem Chaker, l’acceptaient parce qu’elle était la modernité. De même, ils acceptent le christianisme et l’Afrique du Nord va devenir un des bastions de la nouvelle religion pour plusieurs siècles. Ces Berbères eux-mêmes étaient-ils polythéistes ou judaïsés et depuis quand, puisqu’aussi bien Carthage était le siège d’une forte communauté juive et Volubilis avait gardé elle aussi les traces d’une communauté ?

Marcel Benabou : Je crois que le christianisme africain, qui s’est introduit assez tôt, dès le deuxième siècle nous avons des communautés chrétiennes en Afrique, est venu par des prédicateurs déjà chrétiens contrairement à ce qui s’est passé ailleurs. À Rome, par exemple, les tous premiers pas du christianisme en Italie, c’est d’abord dans les communautés juives. Ce christianisme a connu une très forte expansion en Afrique. Quand l’Empire s’est christianisé, l’Afrique romaine a été un des bastions du christianisme. Vous savez quand même que l’Afrique romaine a fourni au Christianisme quelqu’un comme Saint Augustin.

Geneviève Ladouès : Ce n’est pas rien !

Marcel Benabou : Qui est un Berbère romanisé. Il y a eu une très forte et très profonde romanisation, il y a même eu des schismes, comme vous le savez. Il y a eu le donatisme, contre lequel saint Augustin s’est beaucoup battu. Ce christianisme est à mes yeux un christianisme complètement romain, latin. Je crois que c’est Tertullien qui disait, parlant de Carthage, que la Synagogue [manque la phrase en latin], la synagogue c’est la fontaine, la source de nos persécutions. Donc, il y avait au contraire un hiatus…

Geneviève Ladouès : Donc, il y a eu là un antagonisme ?

Marcel Benabou : Il y a eu plus qu’un antagonisme. Il y a eu une vraie lutte contre le judaïsme de la part des Chrétiens.

Geneviève Ladouès : Si certains peuvent considérer que de l’Empire gréco-latin à la période arabe, sur plusieurs siècles, il y a une continuité indubitable, attestée, entre autres, par la très longue déchristianisation mais aussi par la permanence du tribalisme et du mode de vie nomade dans les montagnes et sur les hauts-plateaux, il n’en reste pas moins que les provinces africaines de l’Empire n’ont pas évolué comme les autres provinces de Rome.

Marcel Benabou : C’est vrai qu’il n’y a pas eu de civilisation romane, de langue romane en Afrique du Nord alors qu’il y a eu civilisation et langue romane dans les autres provinces de l’Occident romain. C’est un des grands mystères de l’histoire. Moi, j’ai essayé de l’expliquer par le caractère inégal de la romanisation. Il m’a semblé que s’il y avait eu une très profonde romanisation des élites, il y avait eu une romanisation beaucoup moins profonde d’une grande partie de la population des cités, ce que j’ai appelé les romanisés partiels ou les partiellement romanisés, il y avait eu pas de romanisation du tout de toute une partie de la population complètement exclue des structures romaines, qui sont des structures urbaines. Donc, il y a eu une espèce de reflux assez progressif, beaucoup plus progressif qu’on ne le croit, parce qu’on a retrouvé des inscriptions romaines en Tunisie jusqu’au XIe siècle, des inscriptions latines en Kûfique, qui ont l’air d’être du Kûfique.

Geneviève Ladouès : Et qui sont des inscriptions latines ?

Marcel Benabou : Absolument, chrétiennes !



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