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Colloque, La culture est-elle encore un enjeu politique ? La culture n’est plus un enjeu politique ?

Transcription, par Taos Aït Si Slimane, de la troisième table ronde, « La culture n’est plus un enjeu politique ? », initié par France Culture et Arte, qui s’est tenu, le vendredi 01 décembre 2006, à la Cinémathèque Française, quelques mois avant les élections présidentielles (cf. l’éditorial du colloque signé par Jérôme Clément, président d’Arte et David Kessler, directeur de France Culture [1] ). Colloque introduit par, le ministre, Renaud Donnedieu de Vabres, enregistré en public, et interrompu par des intermittents du spectacle.

Table ronde, modérée par Annie-Claude Elkaim, avec : Françoise Benhamou, économiste, spécialiste de l’économie de la culture, professeur à l’université de Rouen et à Sciences Po Paris ; Marc Fumaroli, spécialiste de littérature du XVIe et XVIIe siècle, académicien, professeur d’université ; Paul Holdengraber, directeur des Programmes publics de la New York Public Library ; Marc Ladreit de Lacharrière, PDG de FIMALAC, mécène, fondateur de la fondation culture et diversité ; Frédéric Martel, écrivain, journaliste, professeur à Science Politique.

L’objet de la table ronde tel que présenté sur le site de France culture : S’interrogeant sur la crise réelle ou supposée de la politique culturelle, cette troisième table ronde revient sur la notion de « politique culturelle ». Quelle en est sa fonction ? Peut-on réellement parler de crise de la politique culturelle ? Politique et culture ont-elles finalement des choses à faire ensemble ?

Les textes des autres tables rondes du colloque :

 La culture est-elle encore un enjeu politique ? / Le modèle culturel en crise ?

 La culture est-elle encore un enjeu politique ? Révolution culturelle ?

 La culture est-elle encore un enjeu politique ? / Pourquoi le politique déserte-t-il la culture ?

L’oralité est volontairement respectée dans les transcriptions disponibles sur ce site. Soyez vigilants, les textes sont mis en ligne sans relecture, un point d’interrogation entre parenthèses indique un doute sur l’orthographe d’un nom, d’un mot ou un groupe de mots… Je remercie, par avance, tout lecteur qui contribuera par ses remarques, corrections,… à l’amélioration de la forme de ce matériau offert à tous.

Transcription publiée initialement sur mon blog Tinhinane, le lundi 20 août 2007 à 03 h 45.

Annie-Claude Elkaim : Bonjour, merci à tous d’être ici. Nous allons commencer ce débat de l’après-midi. « La culture est-elle encore un enjeu politique ? », c’est la thématique de ce colloque. Une thématique que l’on va tenter d’explorer en s’interrogeant sur la crise réelle, ou supposée de la politique culturelle, ou des politiques culturelles, et les raisons pour lesquelles le politique déserte, ou non, ce terrain de la culture. Qu’est-ce qu’une politique culturelle ? À quoi ça sert ? Y-a-t-il, ou non crise en la matière ? Politique et culture ont-ils encore quelque chose à faire ? On se posera toutes ces questions et d’autres, au cours de ce débat. Et, à deux reprises vous pourriez intervenir en posant des questions à nos invités. Invités que je vous présente tout de suite. Il y a une seule dame, je commence par elle. Françoise Benhamou, économiste, spécialiste de l’économie de la culture, professeur entre autre à l’université de Rouen et à Sciences Po Paris. Votre dernier ouvrage vient de paraître au Seuil, il est intitulé, « Les dérèglements de l’exception culturelle ». Il est au cœur de la question qui nous réunit aujourd’hui. À côté de moi, Marc Ladreit de Lacharrière, PDG de FIMALAC, un groupe de notation financière, mais surtout, et pour aller vite, mécène, très engagé socialement via notamment votre fondation, Culture et diversité, qui a le double objectif de promouvoir les arts et la culture et de lutter contre les inégalités sociales, vous nous en parlerez. À l’autre bout, là-bas, Frédéric Martel, écrivain, journaliste, - qui boit un peu d’eau -, professeur à Sciences-Po, vous animez et produisez, le samedi matin, sur France Culture, le magazine « Masse critique », le magazine des industries culturelles. Votre dernier ouvrage intitulé, « De la culture en Amérique », l’ouvrage dont le titre rappelle quelque chose, est une grande enquête sur le financement de la culture aux États-Unis. Ce livre vient de sortir chez Gallimard. Au milieu, Marc Fumaroli, éminent spécialiste de littérature du XVIe et XVIIe siècle, académicien, professeur d’université, pourfendeur de l’État providence, à travers de nombreux articles et de nombreux ouvrages. Pourfendeur de l’État providence en matière culturelle, vous aviez, entres-autres, publié, dans les années 90, un ouvrage en forme de pamphlet politique, un peu au vitriol, qui avait fait grand bruit, où vous remettiez en cause même l’existence du ministère de la culture. Vous nous direz si, quelques années après, votre point de vue a changé. Enfin, Paul Holdengraber, merci d’être venu des États-Unis, pour participer à ce colloque. Vous êtes directeur de la programmation au sein de l’illustre New York Public Library, et vous organisez de nombreux - j’allais dire colloques, non pas colloques parce que colloques ça n’existe pas aux États-Unis - événements, et surtout, comme vous vous définissez vous-même, agent provocateur, agitateur d’idées, ce qui en la matière paraît un minimum requis. Vous nous direz si ce minimum est toujours au rendez-vous. Avant de commencer ce débat, je vous propose d’écouter les interventions de chacun de nos participants, avec des interventions, qui je vous le rappelle, après âpres discussions, ne doivent pas dépasser 10 mn. Il n’y a en revanche pas de temps minimum. Je disais, honneur aux dames, tout à l’heure, Françoise, c’est à vous.

Françoise Benhamou : Merci. Je crois que si les questions de politique culturelle sont assez absentes du débat politique, en tout cas pour l’instant, alors que d’autres questions sociétales sont beaucoup plus présentes, cela tient au fait, sans doute, que les clivages ne sont pas très clairs du point de vue politique. On n’a pas un clivage gauche/droite, visible en matière culturelle. Peut-être est-ce heureux. Mais je crois aussi que cela tient à un déficit non pas de programme mais sans doute de perspective. Si on regarde ce qui se passe du côté de l’environnement, par exemple, réduire les émissions de gaz à effet de serre, tout le monde voit ce que c’est. C’est un objectif sur lequel on s’accorde. Alors, après, on peut discuter des moyens, de qui va payer mais le terme est identifié. Tandis qu’avec la culture, je crois qu’aujourd’hui les enjeux sont brouillés. Je voudrais en donner deux illustrations assez brèves. La première a trait au terme d’exception culturelle. Qui a constitué longtemps le terreau véritablement de la politique culturelle dans son acception de distance vis-à-vis du marché. C’est-à-dire qu’on entendait mettre ce qu’on appelle les biens culturels à l’abri des lois du marché. Alors qu’on a pu adopter, dans une très belle unanimité, la loi Lang, sur le prix unique du livre, au nom du caractère singulier des biens culturels et de cette exception, c’est vrai qu’aujourd’hui on observe que l’emprise du marché sur l’audiovisuel, la difficulté à identifier les devoirs et les dettes des fournisseurs d’accès, la faiblesse de l’État devant le rythme de la concentration, que ce soit dans la presse, dans l’édition, dans le secteur de la musique, sont les signes de l’affaiblissement de la référence à l’exception. Alors, loin de moi, de compter jeter l’eau du bain avec tous les bébés qu’a enfanté la politique culturelle, et Dieu sait qu’il y en a, mais l’argumentaire qui préside à cette politique a manifestement besoin d’être repenser. Quant à la diversité, ce concept un peu rassembleur, et rassurant, de la nouvelle politique culturelle, elle oscille entre tant d’acceptions qu’on y perd un peu son latin. Après tout la diversité bien sûr mais laquelle ? Et surtout pourquoi faire ? Rhabiller de neuf notre protectionnisme audiovisuel et celui qu’on a mis en place dans les radios ? Contribuer à l’inondation de biens dont la qualité n’aurait pas à être hiérarchiser ? Ou, plutôt, de manière bien plus positive, participer à la circulation des hommes, à la circulation œuvres en ouvrant le jeu des échanges bilatéraux, il faudrait dire mono latéraux d’ailleurs, entre la France et les États-Unis, vers d’autres pays ? Sait-on assez que le cinéma américain, « bon an, mal an », mettons 40% à peu près de parts de marché, chez nous. Le cinéma français, à peu près la même chose, quelquefois un petit peu plus, l’Europe 15%, et le reste du monde, entre guillemets, y compris la Chine et l’Inde, un petit 2% Dans le domaine de la littérature, sans doute, étant le plus ouverts, on remarquera que c’est dans le domaine de l’édition, justement un domaine qui n’est pas administré et qui est très peu soutenu par les pouvoirs publics. Il me semble que si la situation en est là, c’est aussi parce que les données ont changé. C’est Popper qui disait : qu’il fallait attendre d’être devant le pont pour se décider à le traverser. Je crois qu’on a, pardon pour l’anachronisme, véritablement aujourd’hui un devoir d’inventaire, un droit de regard. Le ministère de la culture est comme entravé dans son action, par cette espèce de capture de débat de politique culturelle, capture des attentions collectives aussi qu’a produit l’interminable conflit de l’intermittence. Deuxième point, l’accroissement du budget du ministère et surtout celui des collectivités territoriales, qui en fait financent massivement la culture et bien plus que ne le fait le ministère de la culture, cette accroissement n’a pas produit d’élargissement du public et sur ce terrain, le savoir-faire des hypermarchés qui ouvrent des centres culturels etc. aura montré une certaine forme d’efficacité redoutable. Se produit en particulier, ce qu’on appelle des effets cliqués, c’est-à-dire le fait que par sédimentation successives on a ajouté des décisions, des clientélismes, des règlementations etc. quel est le résultat ? A la faible lisibilité il faut ajouter les déceptions, les rancœurs de tous ceux qui ont pensé que l’élargissement de la culture leur conférait un droit de tirage et qui se sont aperçus qu’il n’en était pas, ou en tout cas qu’il n’en était pas pour toujours. En nombre de champs enfin, on questionne la création, on le voit de manière récurrente, et un des symptômes de cette crise est sans doute l’accroissement de l’écart entre production et diffusion, ce qu’on a appelé la surabondance de l’offre et qui fait que son évincés du marché, ou du secteur non marchand, souvent d’ailleurs, les produits les plus intéressants mais qui n’ont pas le temps d’exister. C’est dans ce contexte que les nouvelles technologies de l’information bouleversent la donne. Un des signaux d’un changement extrêmement profond, d’abord la gratuité a changé de camp. On voit bien que pendant que le ministère de la culture réfléchit à, est-ce qu’il faut 1, 2, 3 ou 4 dimanches gratuits, par an, dans les musées, on a, de l’autre côté, les nouvelles technologies nous apporter, sur le plateau, la gratuité pour le meilleur et aussi pour le pire. Pour aller plus loin, les nouvelles technologies, ça veut dire aussi de nouveaux entrants, comme nous le disons, nous économistes, dans le champ de la culture, ce sont les Microsoft, les acteurs des télécommunications, etc. avec évidemment d’autres logiques que les logiques culturelles. Et cela conduit à de nouveaux rapports, État-marché, qu’on a encore beaucoup de mal aujourd’hui à définir. Enfin, j’ajouterais que les nouvelles technologies imposent de repenser la politique culturelle qui a été complètement définie par supports. Il y a une politique du livre, du cinéma, de la télévision, etc. alors que justement les nouvelles technologies font éclater les frontières. Juste quelques mots et j’en aurais fini, pour évoquer peut-être quelques pistes, car je n’aime pas beaucoup le déclinisme et je pense qu’il faut toujours sortir de ce genre de diagnostic, quelques propositions : Revaloriser sans doute l’idée de service public, je ne parle pas du fait que la culture doive être produite par des organismes publics, mais en revanche que la mission, elle, elle demeure, en particulier dans l’audiovisuel mais peut-être aussi dans les théâtres, les musées. Éviter aussi les effets d’aubaine, c’est-à-dire le soutien public à des propositions, à des projets qui n’en avaient pas besoin. Cesser en fait un soutien qui souvent est aveugle quand il n’est pas totalement clientéliste. On est un peu polarisé entre ces deux situations. Inventer une politique, bien sûr, plus centrée sur la formation, sur l’éducation, ça, c’est l’urgence. Alors, on me dira, ça, c’est un serpent de mer. Il y a des serpents qui méritent d’être rediscuter car c’est quelque chose absolument essentiel. J’ajouterais que les nouvelles technologies ne signifient pas la fin des régulations, mais c’est vrai qu’elles font pencher la balance de l’intervention publique vers le ministère des finances plutôt que vers celui de la culture. Et sans doute y-a-il beaucoup de choses à repenser de ce point de vue-là dans l’articulation et régulation, comme on dit, compte tenu de ce changement essentiel. Je voudrais juste ajouter un dernier point qui me semble vraiment très, très important et qu’on discutera peut-être. Les nouvelles technologies apportent quelque chose de fantastique, c’est peut-être la possibilité de la résurgence de texte, d’œuvres etc. qui avaient disparus et qu’on va retrouver grâce à ce système d’Internet assez complexe. Il y a eu beaucoup d’études là-dessus. Mais, je crois que du coup il y a un enjeu qui absolument essentiel, c’est l’enjeu des moteurs de recherche. Au-delà de la question de la bibliothèque numérique, qui est une question peut-être un peu plus lourde, celui des moteurs de recherche, c’est-à-dire des cheminements dont on ne sait rien, mais qui nous conduisent là où l’on ne sait pas trop, et qui du coup font ressurgir certaines œuvres et pas d’autres. Là, je crois qu’il y a des enjeux très, très importants pour la pensée, pour la créativité, pour la diversité culturelle. Merci.

Annie-Claude Elkaim : Merci, on reviendra, bien sûr en détail sur les différents points des interventions, des uns et des autres, au cours de ce débat. Je passe tout de suite la parole à Marc Ladreit de Lacharrière. Marc, Ladreit de Lacharrière, je vais vous présenter comme un PDG-mécène, c’est une appellation qui vous va ? C’est une définition qui vous va ?

Marc Ladreit de Lacharrière : Eh bien, écoutez, d’abord, je suis extrêmement fier qu’un PDG-mécène participe à ce débat culturel sur le rôle de l’État, ou pas de l’État. Oui, effectivement, je suis d’abord un PDG, comme vous dîtes. Mais je suis un PGD anormal puisque je suis créateur de ma propre entreprise que j’ai fondée il y a une quinzaine d’années qui s’appelle FIMALAC et qui est spécialisée dans le rating. Le rating est un mot anglais naturellement, c’est une activité qui donne la solvabilité financière des États, des collectivités locales, et des entreprises. Elle s’appelle FITCH et naturellement elle est de caractéristiques anglo-saxonnes. Par ce biais-là, je suis totalement intégré à, ce que nous appelons, la mondialisation financière et les entreprises que je dirige ce sont des emblèmes de la mondialisation financière. C’est-à-dire, a priori, extrêmement éloignées des débats qui vous animent aujourd’hui. Cela dit, je crois qu’un entrepreneur qui réussit, un créateur d’entreprise, a des responsabilités économiques fortes, puisqu’il doit développer son entreprise, a des responsabilités sociales très importantes vis-à-vis de ses salariés mais aussi, et c’est mon point de vue, des responsabilités vis-à-vis de la cité. Car, là, je rejoints mes amis Américains. Un entrepreneur qui réussit, il le doit en grande partie à son pays, il le doit aussi, dans un pays comme le nôtre à la méritocratie républicaine qui a fait qu’on a eu la chance de réussir. À partir du moment où on a eu cette chance faut-il remercier l’État qui vous a donné les possibilités en essayant d’être au service de la cité ? C’est un point de vue assez personnel qui ne se répand pas encore énormément par rapport aux entrepreneurs Français mais qui rejoint le mécénat américain, auquel je rends particulièrement un hommage. En quoi avons-nous essayé de nous mettre à la responsabilité de la cité, et au service de la cité ? Dans deux domaines. Le premier qui est le domaine culturel. Notre pays fait partie des grandes destinations touristiques mondiales, et notre pays a un énorme patrimoine culturel. Donc, nous avons considéré, dans ma société, qu’il était naturel que nous participions au rayonnement culturel du pays. Et nous l’avons fait de plusieurs sortes. Je vais énumérer quelques exemples. En aidant la création de la fondation du patrimoine qui permet la restauration de tous les petits univers culturels répartis dans les provinces. Nous avons aussi passé un partenariat avec le Louvre. Un partenariat, naturellement de longue durée, en l’assistant dans un département qui est le berceau de notre pays, à savoir le département grec, romain et étrusque. Et nous ne faisons pas des références qu’au passé puisque nous sommes très heureux d’aider la création contemporaine dans le domaine du théâtre en accompagnant Jean-Michel Ribes, au sein du théâtre du Rond-point. Je pourrais en rajouter d’autres mais c’est les activités principales dans le domaine culturel. La deuxième responsabilité qui est la nôtre est une responsabilité sociale, de faire du mécénat social. Et dès 1993, c’est-à-dire deux ans après la création du groupe, et à partir du moment où nous commencions à avoir une activité qui se développait, nous avons décidé de lutter contre toute tentative d’exclusion qui se développent malheureusement trop vite en France. Et notamment, nous avons participé à la création d’une fondation contre l’exclusion pour toutes les personnes issues du monde de l’immigration qui en raison de leur nom, ou de leur couleur ne pouvaient pas obtenir des emplois. Nous sommes très focalisés sur tout ce qu’on appelle les Quartiers-nord de Marseille. Nous avons décidé, il y a quelques semaines de faire en sorte que nos deux cercles, la culture et le mécénat social de l’autre se rejoignent en créant une fondation dont le nom est « Culture et diversité » pour la raison essentielle que nous considérons que sur le plan global le monde qui nous attend est un monde où la mondialisation économique va être de plus en plus forte et va aller dans un sens de l’internationalisation financière de l’économie, et que cette uniformisation du monde qui vous attend, qui nous attend, et qui attend nos enfants doit avoir des contrepoids. Et nous considérons, nous, que le contrepoids le plus important pour l’uniformisation du monde, sur le plan économique et financier, est la culture. Et donc, nous devons agir dans ce sens, pour lutter contre l’uniformisation du monde. À partir de cette idée globale, si nous revenons en France, ici, nous avons constaté que la politique culturelle, en France, a comme objectif de donner accès à la culture au plus grand nombre. Or, nous constatons qu’en réalité il y a toute une couche d’enfants qui sont exclus, pour l’instant, de la culture, et vous revoyez là, le thème de l’exclusion dont je parlais considérant le travail, qui consiste à faire en sorte que les enfants issus de l’immigration soient encore, pour l’instant, exclus de la culture. Et nous considérons que de même que dans les années 30, l’action culturelle devenait une branche de l’action politique, nous, nous considérons chez FIMALAC, que l’action culturelle devient une des branches de l’action sociale. Et c’est la raison pour laquelle nous avons fait une fondation, fondation qui est tournée, dans un premier temps, exclusivement vers les enfants issus des quartiers défavorisés, des lycées de la région parisienne et qui leur permette, avec nos trois partenaires, de s’intégrer ou d’essayer de s’intégrer dans un monde et un univers qui leur est inconnu. Le premier partenaire est le Louvre avec lequel nous allons préparer ces enfants issus de ces lycées au concours d’entrée à l’école du Louvre, le second est le théâtre du Rond-point, avec Jean-Michel Ribes, où nous allons leur apprendre le théâtre vivant, et le troisième je vous la fait simple naturellement, est une association qui s’appelle La source, dirigée par un peintre qui est inconnu qui s’appelle Garouste, et qui intègre aussi les enfants défavorisés dans l’univers théâtral, artistique et autres. Merci beaucoup.

Annie-Claude Elkaim : Merci à vous, Merci à vous Marc Ladreit de Lacharrière. Je vais passer la parole à Marc Fumaroli, qui acquiesçait de nombreuses fois pendant votre discours liminaire.

Marc Fumaroli : Naturellement, j’ai approuvé beaucoup de choses. On ne peut pas ne pas approuver la générosité d’où qu’elle vienne, et il me semble que la réussite d’une affaire n’est pas un crime. C’est au contraire une grande vertu. Et si par-dessus le marché à cette vertu d’énergie, d’initiatives, d’intelligence s’ajoute celle de générosité, je crois qu’il n’y a rien à objecter. Maintenant, dans le discours que vous avez tenu, mon cher ami, est revenu sans cesse le mot culture. On l’entend jour et nuit. On est là pour en parler. L’ennui, si vous voulez, c’est qu’à force de répéter, comme un montra, ce mot, il finit par perdre un peu de son sens, et surtout des nuances de sens qui devraient en quelque sorte être constamment présentes pour qui conque ose prononcer ce mot, usé à force d’être répété. Il me semble que pendant les années qui ont suivies la création du ministère de la culture, création à laquelle je suis toujours opposée, et contre laquelle je m’élève, et je vous expliquerais en deux mots pourquoi, il me semble que pendant cette période, de 1959, disons, à 1989, pour rester dans une trentaine d’années, ce n’était pas trop grave cette confusion. On parlait de culture, c’était à la fois la lecture, l’écoute de beaux textes à Avignon, l’écoute de magnifiques symphonies, ou de magnifiques opéras, dans des théâtres subventionnés, dont l’entrée était facilitée parce que l’État a financé une partie des frais et permettait des prix plus ou moins abordables. Tout cela évidemment c’était très bien. On allait même, au fond, jusqu’à ne pas souffrir trop du fait que cette culture distribuée par ce ministère, encouragée par ce ministère, était découplée déjà de l’éducation. C’est-à-dire que les deux ministères avaient été coupé et que d’autre part on oubliait un peu que des gens qui avaient envie d’aller écouter Vilar jouer Cinna de Corneille en Avignon, ou qui avaient envie d’aller écouter Les Noces de Figaro, mise-en-scène par Strehler à l’Opéra, tous ces gens avaient reçu une bonne éducation secondaire et avaient en quelque sorte une certaine connaissance des classiques dans divers ordres, aussi bien en peinture, qu’en musique et qu’en littérature. Mais ce qui s’est passé depuis 1789, depuis 1989, pardon, un second 1789 s’est passé, il y a non seulement eu la chute de Berlin, et un paysage à la fois européen et mondiale qui s’est tout à coup développé devant nous sans que nous osions véritablement le comprendre et l’explorer. Mais il y a aussi l’explosion, peut-être encore plus importante, de ces moyens de communication ultramodernes, si j’ose dire, dont on a fait tout à l’heure, un peu l’énumération, lesquels moyens de communications créent un milieu, disons, sociologique, un milieu quantitatif d’un tout autre ordre que celui que pouvait espérer représenter la démocratisation culturelle avec les moyens du ministère des années 1959-1989. Et il me semble, je fais une incise, si les politiques aujourd’hui n’éprouvent plus le besoin d’énoncer un programme culturel, c’est que la schizophrénie entre deux cultures, la culture, je dirais de la démocratie communicationnelle, de la démocratie qui relève des sondages, de la démocratie qui relève des grandes émotions collectives, qui parcoure le monde entier, ou qui parcoure une nation entière, et puis la culture au sens classique du terme, celle que je vais peut-être en deux mots résumer, n’oubliez pas qu’en 1959, on en avait encore conscience, des caractères de cette culture et on était, à juste titre, très attaché, et je crois qu’on peut y rester très attaché parce que cela ne bougera jamais. Pour apprendre à concentrer son attention, il faut apprendre à lire, et il faut apprendre à très bien lire. Pour apprendre à regarder une image, il faut d’abord avoir vu des tableaux. Des tableaux, je ne dis pas des photos. Pour apprendre à écouter de la musique, même si on va avoir du goût pour une musique audacieuse, une musique néo dodécaphonique, il faut quand même avoir quelques notions de ce que peut donner la musique, disons, classique, celle qui se fait selon les principes du solfège et de l’harmonie. Et, là, on travaille, si vous voulez sur l’éducation des sens, l’éducation élémentaire des sens. Et, à mon avis, c’est à partir de là, que l’on peut parler de culture au sens classique du terme. C’est-à-dire former des individus dont les sens sont multipliés et dont la conscience intérieure, si j’ose dire, est prête à s’épanouir au fur et à mesure des expériences qui interviendront dans la vie. Alors que ce monde de démocratie communicationnelle, avec ses iPod, ses Internet, avec tout ce que vous voudrez, avec toutes ces merveilles qui peuvent effectivement servir des savants, encore faut-il qu’ils soient savants pour que ça leur servent, eh bien tout cet univers a quelque chose qui va à contre-courant à bien des égards de ce que j’ai décrit tout à l’heure comme la culture. Et c’est là que nous sommes devant un monde inconnu. Comment réconcilier ? Comment faire que l’ancien système qui a fonctionné plus ou moins bien, puisque maintenant nous découvrons qu’il n’a pas très bien fonctionné et qu’il y a eu des dommages collatéraux assez nombreux, mais tout de même il a eu le mérite de multiplier les opéras et les théâtres en France, il a eu le mérite de maintenir ou d’augmenter le nombre d’école où l’on apprend la danse, on apprend la musique, tout cela ce sont des résultats incontestables. Je crois qu’il ne faut pas y renoncer mais il me semble que cette fois au ministère de la culture comme au ministère de l’éducation, le défi de cette démocratie communicationnelle et des effets désastreux qu’elle peut avoir sur l’individu, puisqu’on nous parle maintenant de l’individualisme que donne l’Internet etc., permettez-moi de douter de cette espèce de déterminisme qui va d’une technique à des résultats moraux, éblouissants qu’on nous promet. Moi, je ne vois aucun déterminisme de ce genre. Si les gens ne sont pas préparés à se servir de l’Internet intelligemment et d’en faire effectivement un moyen de développement intérieur, moyen de communication avec le reste du monde, eh bien ce sont des gens qui tomberont dans les pièges que l’Internet leur tend, et Dieu sait s’il y en a.

Annie-Claude Elkaim : Marc Fumaroli, merci. Nous reviendrons, évidemment, ces distinctions au cours de ce débat, et nous reviendrons, bien sûr sur le rôle de l’éducation, et sur quelle éducation, puisque visiblement tout le monde ne sera pas d’accord. Je vais donner la parole à Frédéric Martel, pour un premier exposé, aussi.

Frédéric Martel : Oui, je serais moins optimiste sur le mécénat américain, que Marc Ladreit de Lacharrière, et peut-être plus contemporain que Marc Fumaroli, dans sa défense de la politique culturelle d’avant 1789. Un exemple et une question faute de temps. Le premier, c’est un exemple. Pour comprendre une partie du dérèglement de la politique culturelle française, il faut aller dans beaucoup d’endroits en France. En s’en rend compte assez facilement dans des banlieues, dans des quartiers, dans les villages, dans les campagnes mais on peut aller aussi tout simplement au centre de Paris, c’est plus facile. Au Centre Georges Pompidou, à Paris, vous avez 3 portes pour rentrer dans le Centre Pompidou. La première porte, pas la grande porte, en bas, vous payez 10 euros et vous allez au musée d’art et vous visitez le centre Georges Pompidou, si vous êtes en général amateur d’art contemporain, ou touriste. Il y a une autre manière de rentrer dans Georges Pompidou, c’est par la petite porte de derrière. Vous savez, entre les tentes des SDF, vous faites 2h de queue, sous la pluie, souvent, dans le froid, pour aller à la bibliothèque publique d’information. Et là, sous la pluie donc, puisque c’est ce que j’ai vu encore récemment, en ligne, 4 par 4, ils sont là, tous les jours, sauf les mardis, nos étudiants, nos jeunes, nos français issus des classes populaires, nos français issus de l’immigration qui essayent de rentrer dans le centre Pompidou. Ils attendent 2 h pour rentrer. Puis, il y a une 3ème porte pour rentrer au centre Georges Pompidou, vous savez, par la gauche, l’escalator, là vous pouvez aller manger chez Georges, le restaurant très luxueux, vous pouvez aussi aller aux soirées, il y en a désormais très souvent, même le mardi, pour le coup, le centre s’ouvre le mardi, la soirée Benetton, la soirée LVMH, etc. voilà Mesdames et Messieurs, Madame la ministre, mes chers collègues, le système culturel français, aussi. Il y a disait André Malraux des pays qui sont grands dans l’histoire quand ils se replient sur eux-mêmes. J’aimerais, moi, parler d’une question maintenant. Il me semble que la France se replie aujourd’hui sur sa culture, mais elle n’en sort pas forcément grandie. J’aimerais parler de cette question, qu’à juste titre, et avec beaucoup de courage et de volonté, nous défendons à l’OMC, à l’UNESCO, même s’il me semble qu’au fond la France se soucie assez peu de diversité culturelle sur son territoire. L’inverse en somme des États-Unis. Vous ne savez peut-être pas mais la diversité culturelle est une expression qui a été élaborée aux États-Unis, dans les années 70, qui a été théorisée par la Cour suprême en 1978, dans la décision Bakke, décision très importante, qui change et bouleverse complètement toute la respective américaine qui termine les quotas mécaniques, qui défend la diversité culturelle aux États-Unis, comme objectif de la société américaine et devient le nouveau crédo de l’Amérique. Le Congrès américain, en 1980, défini la diversité culturelle comme étant la priorité des agences culturelles. Il y en a 4000 dans la plupart des grandes villes américaines, il y en a 50 dans chaque État, donc une dans chaque État, et il y en a aussi au niveau fédéral. La Congrès a défini cette expression, j’y reviendrai tout à l’heure, mais globalement, tout le pays, les musées, les orchestres, les universités, peu à peu, ont fait de la diversité culturelle, chose que l’on sait peu en France, leur priorité à partir des tous débuts des années 81. Alors, ces politiques d’action culturelle, pour les détailler ce serait trop long, de grande ampleur ont été conduites sur deux fronts. Dans un premier temps, une politique, disons de démocratisation culturelle, à travers le concept dit de « outreach », tendre la main en allant chercher le public, ça veut dire aussi « mettre dehors les riches », peut-être, « out rich ». Les institutions culturelles indépendantes, les musées, les orchestres ont tenté, ont fait des politiques très agressives, de grandes ampleurs pour défendre les communautés, les quartiers, les populations « under ( ?) », comme on dit en anglais, en évitant de limiter l’art à une élite. C’est l’époque des tournées rurales, des concerts classiques dans les ghettos, on a Daniel Barenbaum qui est là, il sait ce que signifie de diriger un orchestre, il faut aller dans les communautés etc., c’est une des raisons d’ailleurs qui vous a ne pas avoir peut-être assez de temps, d’être chef d’orchestre à Chicago. Aux États-Unis, les jurys, les commissions, etc. deviennent de plus en plus diverses, à la fois géographiquement et ethniquement au point où l’on ne peut pas imaginer aujourd’hui au États-Unis, un jury quelconque qui n’aurait pas une proportion de 10% de Noirs, quand il est peu probable d’imaginer en France un seul jury où il y aurait 1% de Français issus de l’immigration. Dans un deuxième temps, ce projet s’est aussi accompagné, là je rejoints pour le coup Marc Fumaroli, d’une valorisation de différente conceptions artistiques, une volonté d’abroger un peu la barrière entre la « high culture », la culture élitiste, et la « law culture », la culture populaire. On a survalorisé, à juste titre, les Noirs sur les scènes, sur les écrans, on a ouvert les musées aux artistes de couleurs, on a défendu le théâtre hispanique et asiatiques. En cela, la diversité culturelle, dans l’acception américaine est une continuation de la démocratisation culturelle, par d’autres moyens, et au prix d’une nouvelle définition de l’art. Je passe sur les effets mitigés, d’ailleurs, de ces politiques. La diffusion des grands hommes dans les communautés notamment en ce qui concerne la musique classique a globalement assez largement échouée. La reconnaissance des différentes formes de cultures a plutôt réussi, par exemple, avec les musées, qui ont fait des expositions des Noirs, des Hispaniques, qui ont aussi accueillis des artistes plus divers. En fait on voit que dans la version américaine, la diversité culturelle est un concept qui se fonde essentiellement sur un critère ethno racial et les diversités esthétiques sont moins privilégiées comme d’ailleurs les diversités de nations. On comprend donc pourquoi les États-Unis peuvent à la fois survaloriser la diversité culturelle à l’intérieur de leurs frontières et la combattre violemment à l’extérieur. À la diversité des nations, ils privilégient la diversité des races et donc des minorités. On a par exemple un faible nombre de traductions, 1500 titres par an, sur 150 000 livres publiés, ça doit être moins de 1% De même les industries culturelles américaines s’évertuent à l’étranger de mettre à mort les cultures nationales, multiplient les techniques de monopoles agressives et déloyales pour imposer leurs produits, par exemple en Amérique latine. On comprend aussi pourquoi les Américains ont vivement combattu l’exception culturelle à l’OMC, et sont hostiles à la diversité culturelle à l’UNESCO, d’autant plus que ça rejoint leur détestable unilatéralisme dans les relations internationales et qu’aussi parce que ça freinerait tout simplement la diffusion commerciale de leurs produits culturels. Il faut donc dans ce registre, c’est un point de détails, mais qui me parait important, leur opposer dans nos négociations à l’OMC, par exemple, ou à l’UNESCO, leurs propres contradictions. Avec 2 millions d’artistes, proportionnellement, et à définition égale, à peu près le même nombre qu’en France, de très large subventions publiques, d’exonérations fiscales, et de dons privés, supérieurs finalement, si on les cumule, à l’argent publique pour la culture en France par habitant, ce soutien est décisif et si on ajoute à ça les monopoles syndicaux,les recrutements dans le cinéma, le théâtre, il existe donc, bel et bien, une exception culturelle aux États-Unis. Et il faudrait le leur opposer à l’OMC, ou ailleurs pour leur faire remarquer que dans un souci de libéralisation des marchés, de la mondialisation, je n’en parle pas, Et il faudrait le leur opposer à l’OMC, ou ailleurs pour leur faire remarquer que dans un souci de libéralisation des marchés, j’en parle pas de mondialisation, il faudrait qu’ils se souviennent eux-mêmes de ce qu’ils font pour leur culture et qu’il nous laisse subventionner la nôtre.

Annie-Claude Elkaim : Frédéric Martel, si on était aux États-Unis, il y aurait un grand Black, qui vous dirait, vous avez passé vos 10 mn.

Frédéric Martel : Je peux continuer quand même ? Marc Fumaroli a fait 17 mn.

Annie-Claude Elkaim : rapidement, alors.

Frédéric Martel : Reste qu’aujourd’hui, avec 40 millions de Latinos, 35 millions de Noirs, 12 millions d’Asiatiques, 2,1 millions d’Indiens, je pourrais continuer, et puis entre 10 et 15 millions d’immigrés illégaux, l’Amérique est également très diverse. D’ailleurs, de ce fait, si nous établissions des indices de la diversité culturelle, selon les indices que nous essayons de faire appliquer à l’Unesco, il est à craindre qu’on puisse être un tout petit peu déçu. On pourrait même, sur un certain d’entre eux, même sur beaucoup d’entre eux, se retrouver loin derrière les États-Unis. Les comparaisons statistiques sont très peu fiables et on ne dispose d’ailleurs pas d’outils sérieux pour faire la comparaison, comparer l’incomparable, mais en matière de pourcentage d’étudiants étrangers, de nombre d’artistes étrangers, de nombre d’œuvres produites par les minorités, même de festivals filmiques, probablement même malheureusement de pourcentage de festivals de films asiatiques et hispaniques, contrairement à ce qu’on croit souvent, on pourrait avoir des surprises. Cela étant, si aucun pays n’a une telle diversité, on peut malgré tout faire l’hypothèse qu’à l’heure de la mondialisation et des nouvelles technologies, c’est aussi grâce çà cette diversité interne que les Américains ont une grande influence dans le monde, ce qu’on sous-estime souvent et qu’autant sur le secteur marchant ou sur la diversité c’est aussi les industries culturelles qui expliquent la puissance de l’Amérique. Le développement de la diversité culturelle au États-Unis ne s’appuie donc pas seulement sur une idéologie, elle s’appuie d’abord sur faits. En France, et je termine, puisque c’est ma conclusion, c’est surtout une idéologie. Certes, nous valorisons fortement la diversité culturelle sur le plan international, j’ai été attaché culturel, j’ai vu nos ambassadeurs, nos attachés culturels, faire des dîner mondains, d’ailleurs honnêtement, vous savez très bien, qu’on ne fait pratiquement plus que cela dans les ambassades, n’en déplaise à Catherine Clément, où on parle avec emphase, etc. position d’ailleurs intéressante parce qu’elle est d’une certaine manière inversement symétrique à celle des Américains. Nous valorisons, à l’étranger la diversité qu’en réalité nous nions très souvent en interne. Pire, nous contraignons les Français issus de l’immigration, non pas seulement à s’intégrer mais bel et bien à s’assimiler. L’inverse en somme du modèle culturel américain. Renaud Donnedieu de Vabres a certes eu raison, tout récemment, d’organiser « La rue », un week-end dédié aux cultures urbaines au Grand Palais, d’ailleurs bien encadrés par des bataillons de CRS et d’attachés de presse, mais ce ne fut justement qu’une politique d’un week-end. Dans le même temps, la direction qui s’occupait de ces questions dans son ministère, et qui avait survécu depuis longtemps, et qui avait été même dopée sous Catherine Tasca, a été dissoute et les budgets de la république des classes populaires et des banlieues ont été anéantis. Ni une idéologie, ni une opération d’un week-end même au complet ne constitue une politique sur la durée. Mais ce n’est pas seulement faute de moyen ou de volonté, il s’agit, me semble-t-il, d’un choix cohérent qui s’explique par ce qu’est devenu le ministère de la culture, administration d’Énarques à la fois arrogants et pusillanimes et de bureaucrates souvent malheureusement malgré leur énergie démobilisés, ils obtempèrent devant de lobbies, ont tendance à protéger une culture et leur statut social, sous le prétexte de la défense d’une exception culturelle. Voilà comment le ministère peut à la fois continuer à défendre une espèce de nationalisme culturel, ignorer les français issus de l’immigration, et bien sûr pour espérer protéger les masses, cette culture de l’élite, et légitimer le modèle culturel français, continuer à dénoncer l’Amérique, d’où un antiaméricanisme déconnecté des faits qui s’est concentré ces dernières années dans le domaine culturel.

Annie-Claude Elkaim : Merci, Frédéric Martel. Vous avez assez largement explosé le temps imparti.

Frédéric Martel : Je n’ai pas eu la chute.

Annie-Claude Elkaim : Mais la chute aura le temps de venir tout au long de ce débat. On reviendra bien sûr sur cette notion de diversité culturelle qui me semble un mot complexe, derrière lequel j’ai l’impression que les uns et les autres ne mettent pas la même chose. On y reviendra avec vous François. Après ce long exposé, somme toute très « frenchi », je passe la parole à Paul Holdengraber.

Paul Holdengraber : Frenchi… Je vous laisserai la chute tout à l’heure. Moi, j’aimerais d’abord remercier d’Arte de m’inviter, Jérôme Clément, en particulier. Je suis un peu, pour employer un mot français, « jet-lag », donc vous allez un peu m’excuser si j’ai un décalage horaire et si je dis des bêtises, mais je suis ici, aujourd’hui, d’abord qui suis-je ? Je suis le directeur de la programmation publique de la New-York Public Library, la 3ème plus grande bibliothèque des États-Unis, je crois la 7ème au monde. Nous avons plus ou moins 18 millions de gens qui viennent la visiter chaque année. C’est une bibliothèque gratuite, je ne sais pas combien de portes nous avons. Mais beaucoup de portes et je ne pense pas qu’en attende très longtemps pour y rentrer, et tout le monde peut y rentrer, donc vous êtes les bienvenus quand vous êtes à New-York, appelez-moi, je vous ferai une visite guidée New-York Public Library. C’est une bibliothèque absolument merveilleuse. Elle s’appelle New-York Public Library, c’est normal, c’est un nom qu’il faut changer en New-York Private Library for the Public. En fait seulement 28% de l’argent que nous recevons est de l’argent de l’État de New-York et fédéral. Donc c’est une bibliothèque plus privée que publique, mais tout à fait avec un apport public. Ce qui m’étonne dans tout ceci, on fait je n’arrive pas à faire le joint entre toutes les personnalités ici, c’est qu’il y a à la fois un américanisme assez prononcé, puis un antiaméricanisme qui existe, latent. Je pense qu’en France, l’antiaméricanisme c’est une chose qu’on ne pourra jamais éradiquer complètement, que je comprends d’ailleurs, et en partie je partage certains de vos soucis. Je comprends qu’il y ait dans la culture qui est exportée en France, qui est une culture très américaine, il y a des choses qui ne sont pas là pour vous plaire. Moi, je suis de formation académique, j’ai fait une partie de ma scolarité ici à paris VI. J’ai fait des études de philo, puis par la suite j’ai été aux États-Unis, j’ai fait un doctorat de littérature comparée. Puis, je me suis lancé dans une profession que j’ai inventée, un petit peu, d’agitateur d’idée. On m’a embauché à la New-York Public Library, il y a plus ou moins 500 jours de cela pour faire quoi ? Pour oxygéner, c’était le mot du président de la bibliothèque, pour oxygéner la bibliothèque. Qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que la bibliothèque est un lieu, quand vous entendez le mot bibliothèque, je ne pense pas que ça inspire une énergie vitale nécessairement, ça inspire beaucoup d’études, des gens qui réfléchissent, des érudits. Mais comment faire que la bibliothèque, un lieu où l’on a 54 millions de livres, puisse vivre autrement ? Puis comment peut-on ouvrir la porte de la bibliothèque à une autre culture, à d’autres cultures, et même à des gens qui ne sont pas particulièrement cultivés, pour leur donner, c’était en fait ça ma chute, mais je dis ma chute au début, je n’aurais peut-être pas le temps de le dire à afin, c’est en fait de donner goût. Dans le discours de Marc Fumaroli que j’admire beaucoup, j’ai un peu peur, non pas pour l’élitisme qui je crois est fondamentalement, fondamental à la culture, une culture est toujours d’une certaine façon élitiste parce qu’elle aspire au plus haut dénominateur pas au plus bas dénominateur, mais disons c’est l’accès à la culture qui me semble extrêmement important. Comment donner goût aux jeunes, surtout, à la nouvelle génération de lire, de découvrir. Qu’est-ce que je fais à la bibliothèque ? J’invite des gens de tous bords, des artistes, des écrivains, des peintres, des musiciens, parfois des musiciens avec des écrivains, à parler, à débattre de la littérature, un petit peu comme ceci mais un peu différemment aussi, ce qui est intéressant aussi, il y a une diversité culturelle, là aussi, à débattre des idées, à ne pas s’entendre, un peu comme ici, pour faire en sorte que les gens voient que la parole vive, que discuter, parler, comme on fait à table, dans la cuisine où on a grandi est quelque chose d’excitant, quelque chose qui vraiment régénère et excite les esprits. Mon but à la bibliothèque, c’est une institution, je ne sais pas si vous la connaissez, il y a deux lions à l’entrée principale, « Patience » and « Fortitude ». Le but que je me suis fait, c’est de faire rugir en quelque sorte ces lions, pour qu’il y ait une vie. De faire en sorte que cette bibliothèque, qui est très lourde, danse. Comment on la fait danser ? On la fait danser par plusieurs biais. Et un des biais qui est le mien, c’est de faire que la parole vient, que des écrivains, principalement mais pas seulement, soient au milieu de la bibliothèque. Alors, politique culturelle ? Vous ne m’avez pas posé la question tout à fait, m’intéresse un petit moins quant à moi que l’idée de pratiques culturelles.

Annie-Claude Elkaim : Politique culturel, c’est un mot qui vous paraît totalement désuet ?

Paul Holdengraber : Pas tellement désuet, mais il ne m’excite pas outre mesure. Je préfère, plutôt que de parler de politique culturelle, de parler de ce qu’on fait. Moi, je travaille dans une institution où mon mot d’ordre, que je me suis un peu donné, c’est que je ne demande jamais la permission mais j’ai perfectionné l’art de pardonner. De dire quand j’ai fait une gaffe, je dis, excusez-moi, je prends l’initiative, j’invite des gens parfois de gens, si je demande à la permission au directeur, ou à d’autres gens, il me dirait peut-être qu’il ne faut pas les inviter parce qu’ils ont des opinions qui sont peut-être pas les nôtres. Donc, un de mes buts les plus importants à la bibliothèque c’est de conquérir un nouveau public. Pour moi, ça, c’est fondamental. Je pense que souvent on fait des manifestations comme celle-ci et on oubli en fait le public. Je dis toujours que la moitié du talent se trouve dans le public. Et qu’il faut faire très attention, quand on invite un grand public, qu’il y ait un grand public, et avoir un grand public, ça ne veut pas dire qu’on banalise du tout. On fait on essaye de faire des choses où la complexité est inhérente au propos. Alors « outreach », Martel, m’a demandé de parler, « outreach », il a fait un jeu de mot. « outreach »/ « out rich », ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu’on se soucie beaucoup des publics divers. Et comment on se soucie des publics divers ? Pas du tout en essayant de faire des choses pour eux mais en mélangeant un peu les gens qu’on invite. En invitant des gens de différents milieux pour que parfois il y ait un écrivain très célèbre avec un jeune artiste tout à fait inconnu, des gens plus âge. Donc, avoir à la fois des gens vieux et jeunes sur scène, ça me semble aussi très important. Le livre de Martel que je n’ai pas encore lu, mais qui me semble déjà de prime abord, à lire la critique, très intéressante, de la culture en Amérique. Peut-être que je suis un peu l’illustration appliquée de ce qu’il a écrit. Je suis la mise en musique, en quelque sorte, de ce qu’il dit. Il dit dans une des se phrase, « si en Amérique le ministère de la culture n’est nulle part, la vie culturelle est partout ». Je pense que c’est pratiquement au début de votre livre. Moi, je vous dis, ce qui est intéressant dans mon boulot, c’est que moi, je travaille sans ministère et sans ministre...

Annie-Claude Elkaim : Mais pas sans fonds publics, d’ailleurs Martel le dit à plusieurs reprises dans son ouvrage.

Paul Holdengraber : Pas sans fonds publics, c’est vrai. Mais je n’irai pas aussi loin que Bruce Chatwin qui a dit : « que l’idée même d’un ministre de la culture a quelque chose de totalitaire », c’était dans une conversation qu’il a eue avec André Malraux en 1972, ou Michel Schneider, qui en fait devrait être sur scène maintenant, qui a écrit un livre, « La comédie de la culture », il dit que l’État est un mauvais mécène. Je ne suis pas sûr que l’État soit un mauvais mécène, mais ce que je sais c’est que les mécènes qui donnent de l’argent à la New-York Public Library, par exemple, et au programme que je fais, se soucient énormément de ce que je fais et de ce que nous faisons. Ils prennent fort part, ils sont présents et parfois, bien sûr, on m’en a fait la réflexion, hier soir au dîner, parfois ils changent le cours de ce qu’on fait mais je dirais que c’est moins de 1% des mécènes qui nous donnent de l’argent ont un contrôle sur ce que nous faisons. Ils nous donnent l’opportunité de nous exprimer et de faire quelque chose avec cet argent qui est très important. Alors, je terminer en parlant de mon amour de la France, qui est un amour très mitigé. La France, votre beau pays, que j’aime à la folie, m’attriste un petit peu. Et je pense que le propos même aujourd’hui de la culture et de la politique est comment dirais-je, il y a un diagnostic à faire, ici. J’ai beaucoup de sympathie pour les Français et je le dis sans hostilité mais ils sont prisonniers d’un univers dont ils redoutent l’évolution. Ce qui me semble toujours un peu compliqué, ici, en France, c’est que vous avez une structure tellement lourde pour changer le monde, pour changer la culture, vous avez besoin tellement de légitimation, tellement d’échanges avant de faire quelque chose que souvent l’opportunité de faire quelque chose rapidement, sur le moment passe sans que vous ayez l’opportunité de travailler sur la culture ambiante qui existe maintenant.

Annie-Claude Elkaim : Merci Paul Holdengraber, là aussi nous reviendrons sur différents points que vous avez évoqués, notamment sur les bibliothèques poussiéreuses qui n’ont peut-être pas toujours été poussiéreuses en France parce qu’il y avait toute une époque où il y avait des militants de la culture via les syndicats, via quelques partis politiques qui amenaient à la lecture et à la culture des publiques qui n’étaient pas nécessairement formés et qu’ils les formaient. Bien sûr, ça c’était peut-être une autre époque. Marc Fumaroli ?

Marc Fumaroli : Je suis étonné, malgré tout, parce que les bibliothèques, je suis désolé de vous le dire, c’était une des grandes découvertes de la renaissance, de créer des bibliothèques et de les ouvrir à tous ceux qui voulaient consulter.

Frédéric Martel : Ce n’était snob ( ?) c’est ce que vous voulez dire ?

Marc Fumaroli : Oui, parce qu’au départ, c’étaient des bibliothèques privées, ou c’étaient des bibliothèques de couvent qui étaient réservées aux membres d’une communauté étroite. Puis, on a commencé à ouvrir des bibliothèques au public. Mais une bibliothèque, c’est quand même un endroit, où on réclame du silence, de la concentration, et où l’on passe un temps considérable à réfléchir ; où à recopier même quelquefois, mais maintenant on copie avec des ordinateurs, ça va beaucoup plus vite des textes. Il y a presque, j’aimerais que vous m’expliqueriez ça, peut-être en privé, comme une contradiction entre l’essence de la bibliothèque, sa vocation profonde, et cette espèce d’agitation que vous voulez.

Paul Holdengraber : Je ne suis pas d’accord avec vous.

Marc Fumaroli : Les gens que vous citez, que vous avez cités comme étant intéressés par votre activité, ce sont des mécènes qui en fin de compte s’intéressent à cela pour des raisons qui leur sont propres mais qui ne sont pas des réseaux ni de savoir ni de véritable lecture et puis des gens qui viennent de temps en temps assister à un spectacle intelligent. Mais est-ce que vous les amenez à rester des heures dans votre bibliothèque pour lire des livres ?

Paul Holdengraber : Je pense que vous avez tort parce que justement sur ce point bien précis, le but des institutions comme les bibliothèques c’est de donner goût. Et il y a diverses manières de donner goût. Et il y a une manière de donner goût qui me semble de faire, comme vous et moi, on a lu un livre, qu’est-ce qui nous plait dans cette lecture, c’est aussi de pouvoir parler du livre. Avoir des conversations vives c’est une autre façon de continuer le débat.

Françoise Benhamou : Je voudrais juste dire quelque chose à propos des bibliothèques. Effectivement, c’est la même question que celle que vous avez posée sur la culture puis le reste. Je crois qu’on a un continuum et pas une opposition terme à terme. Et ça, je crois que c’est une chose très importante. J’ai rencontré récemment le directeur des nouvelles bibliothèques – médiathèques puisqu’on appelle ça comme ça - de Marseille qui me disait : on a à peu près 30% de jeunes qui viennent, ils ne viennent pas du tout pour lire, absolument pas, ni pour écouter de la musique, ils viennent pour rencontrer des copains. Effectivement on a créé des bibliothèques qui sont cela mais cela n’exclue pas du champ, du moins je l’espère, les bibliothèques au sens le plus nobles du terme qui sont celles où on travaille, on recherche etc. mais, je crois que ce continuum d’institutions existe aujourd’hui et c’est peut-être cela le produit de la politique culturelle.

Marc Fumaroli : À condition que l’on garde toujours présent à l’esprit les étages.

Annie-Claude Elkaim : Les hiérarchise.

Marc Fumaroli : Je n’ose pas dire les hiérarchies.

Annie-Claude Elkaim : Je l’ai dit.

Marc Fumaroli : Sous peine de me faire déchiqueter en mille morceaux.

Annie-Claude Elkaim : Je voudrais qu’on revienne un petit peu au débat qui est le nôtre cette après-midi, « La culture est-elle encore un enjeu politique ? » Vous avez évoqué, à plusieurs reprises, les uns et les autres, la diversité culturelle. C’est un mot très à la mode qui a remplacé le terme d’exception culturelle. Françoise Benhamou, dites-nous si seulement c’est venu en remplacement, justement, et à quoi sert ce mot ? J’ai l’impression que c’est un mot valise qui peut dire des tonnes de choses.

Françoise Benhamou : Oui. C’est un mot totalement polysémique. Je crois qu’il y déjà une déférence très nette d’acception entre les États-Unis et puis le combat franco-canadien parce que c’était ça au départ, à l’UNESCO, même si ensuite la convention a été signée à la quasi-unanimité. Du coté des États-Unis, c’est la diversité telle que Frédéric l’a décrite. C’est-à-dire la diversité des hommes et des femmes. Du côté français quand on évoque la diversité culturelle on évoque tout autre chose. On évoque plutôt la diversité des biens. Ensuite, comment on comprend ? Comment on traduit cette diversité ? Je crois qu’il y a deux manières de la comprendre, qui sont complémentaires, et qui font toutes les deux questions d’ailleurs. La première est de se dire, comme c’est très difficile de mesurer ce qu’on entend par diversité, ce serait des livres profondément différents, ou je ne sais trop quoi, et bien c’est le nombre. Et donc, on est rentré et depuis longues dates, bien avant qu’on ne parle de diversité, mais je crois c’est vraiment là aujourd’hui dans la rhétorique publique à propos de la politique culturelle, on est rentré dans une logique du nombre et de la surabondance. Et ça, je crois que c’est terrible parce que la surabondance est une illusion. On pourrait se dire, c’est très bien, il y a beaucoup de choses, beaucoup de diversités, très, mais derrière cette surabondance, on se prive d’une certaine manière d’un tri ou d’une hiérarchie, et d’une certaine manière on évince tout ce qui est difficile, comme biens culturels. Je crois que s’il y a une tragédie culturelle que nous vivons aujourd’hui, c’est celle de cette surabondance désordonnée qui produit tant d’erreurs. Et c’est très paradoxal d’ailleurs parce que quand l’État soutient des projets, souvent il soutient tout azimut, beaucoup de projets. On le voit bien dans le théâtre, cette espèce d’explosion de l’offre, pourquoi ? On crée l’erreur et en même temps cette politique de la surabondance crée des erreurs et on ne laisse pas le temps et c’est le temps qui est essentiel en matière culturelle. Donc, je crois qu’il y a deux éléments dans la diversité, il y a la diversité au sens des hommes, de la pluralité des publics ou des artistes, de leurs origines etc. sur lesquels on sait d’ailleurs très peu de choses en France dans la mesure où l’on n’a jamais cherché à mesurer cela, faut-il le faire ? C’est un débat. Puis d’autres part, la diversité des biens, des productions, des créations.

Frédéric Martel : Je pense que les Français ne comprennent pas fondamentalement ce qu’on a voulu leur dire par la diversité culturelle parce que nous-mêmes on ne le sait pas. Nous-mêmes on n’a pas compris. Et parce que nous-mêmes on s’est menti pour une part. Je me souviens très bien, j’étais au ministère de la culture, à cette époque. On disait, bon, exception on ne peut plus le dire parce que ce n’est pas beau dans le paysage européen, on va dire diversité. Mais on a juste changé le mot, on n’a pas changé tout ce qui était autour. Donc, notre propre discours, et là j’ai une petite divergence avec Françoise, même avec les canadiens, nous ne parlons pas de la même chose. Parce que les canadiens sont plus dans un moule nord-américain, même s’ils l’utilisent, à juste titre, contre les États-Unis.

Annie-Claude Elkaim : Est-ce qu’il ne faut pas changer de mot, trouver un autre mot ?

Frédéric Martel : Écoutez, vu le destin de l’expression, ça va être difficile. On va peut-être y travailler avec ( ?) et d’autres, mais bon courage !

notes bas page

[1Le projet d’organiser ce colloque est né d’un constat étonné : l’absence quasi-complète des questions culturelles au sein du débat politique. On ne se « dispute » plus sur la culture, car elle est perçue au mieux comme un objet de loisirs et un passe-temps utile pour divertir le plus grand nombre, au pire comme une lubie d’intellectuels portés sur les arts. A l’approche des élections présidentielles, notre rôle de « diffuseurs de culture » est de réagir, de pointer du doigt cet état de fait, de tenter d’en comprendre les tenants et les aboutissants et surtout, d’interpeller les futurs responsables de notre pays sur le rôle crucial que joue la culture dans nos sociétés.

On peut émettre l’hypothèse que si la culture s’absente des débats, c’est qu’elle se trouve à un tournant de son histoire, entourée d’un certain flou par les grands bouleversements de notre époque, tiraillée par des paradoxes apparemment inconciliables peut-être parfois trop fermée sur elle-même. Comment la culture se définit-elle aujourd’hui ? Comment la culture patrimoniale classique et les beaux-arts s’adaptent-ils aux formes d’expression de l’ère numérique et peuvent-ils se compléter ? Comment les nouvelles technologies vont-elles modifier le rapport de l’individu à la Culture ? Dans un contexte de grandes migrations, la Culture est-elle le passeport pour l’intégration des différentes cultures ? Y-a-t-il désengagement de l’État comme on l’entend souvent ? Si oui, au profit de quels acteurs ? Et enfin, éternel problème : où est le point de jonction entre l’individu qui s’élève et la culture qui s’abaisse, le juste milieu entre l’exigence et l’accessibilité ?

Dirigeants de média culturels, nous n’avons pas de réponses définitives à ces nombreuses interrogations, nous y réfléchissons chaque jour et la quête est passionnante. Mais au-delà de toutes les évolutions, nous restons convaincus d’une chose : la culture est indispensable et il faut lui redonner toute sa place et tout son sens. Elle répond en effet aux grands défis qui se posent aujourd’hui à nous : la coexistence de groupes multiculturels, la recherche de lien social, la laïcité. Nous avons voulu, hors de nos médias et de leurs contraintes, prendre le temps de réfléchir aux enjeux de la culture dans sa dimension politique.

C’est pour toutes ces raisons que nous avons trouvé utile de rappeler aux politiques cette conviction et de réunir des responsables culturels, des artistes et des intellectuels, de France, d’Europe et d’ailleurs, pour débattre du rôle de la culture comme enjeu politique. Nous avons volontairement choisi de ne pas intégrer de personnalités politiques aux discussions. Il est en effet délicat de choisir en ce moment entre candidats, candidats potentiels, responsables divers… et surtout, il nous semblait plus intéressant de porter les questions culturelles sur la place publique avant que ne commence le débat présidentiel de 2007. L’enjeu de ce colloque est donc clair : que la culture retrouve sa juste place dans le débat public.

Jérôme Clément, président d’Arte et David Kessler, directeur de France culture.



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