Jean-Noël Jeanneney : On a éprouvé quelques surprises à voir le drapeau tricolore s’inviter dans la dernière campagne présidentielle. L’initiative en est venue de la gauche puisque c’est Ségolène Royal qui, le 23 mars, a déclaré, non sans étonner semble-t-il certains dirigeants et certains militants du parti socialistes : « Je pense que tous les Français doivent avoir chez eux le drapeau tricolore. » Aussitôt François Bayrou a réagit en affirmant : « Jamais aimer la France ne s’est résumé à des histoires de drapeau. L’excitation autour d’un drapeau ce n’est pas la société française, c’est la société américaine. Chez nous, on ne confond pas la France avec le drapeau. » Voilà bien qui appelait, qui exigeait de nous un retour en arrière jusqu’aux origines révolutionnaires du drapeau : bleu, blanc rouge, pour évoquer sa place depuis lors dans notre histoire nationale, dans les sensibilité, dans les communions collectives comme dans les affrontements partisans. Mon invité est Pascal Ory, bien connu à France Culture, professeur à la Sorbonne, qui, entre tant d’autres compétences, est un éminent vexillologue. Si vous ne connaissez pas le mot, nous allons l’apprendre. Nous allons l’apprendre ensemble. La vexillologie, c’est la science des drapeaux. Un mot qui vient de vexillum, étendard de la cavalerie dans les armées romaines. Avant Pascal Ory, Raoul Girardet avait consacré un chapitre passionnant, des Lieux de mémoire de Pierre Nora, aux trois couleurs nationales et sa contribution va nous être précieuse pour comprendre sans négliger le comparatisme avec d’autres pays comment s’est affirmé au cours des âges, entre heurts et malheurs, entre hasard et détermination l’investissement affectif et patriotique des Français dans le drapeau tricolore.
Loque, chiffon tricolore ou guenille,Symbole, image ardente du paysPour te chanter, tout mon être pétilleD’émotion, d’avance je pâlisToi dont l’effet produit tant de merveillesTu n’es pourtant parfois qu’un oripeauMais ton nom seul suffit à nos oreillesCar en français, on t’appelle drapeauFlotte, petit drapeauFlotte, flotte bien hautImage de la FranceSymbole d’espéranceTu réunis dans ta simplicitéLa famille et le solLa libertéMais si parfois, la destinée amèreVous appelait un jour pour guerroyerLoin du pays, sur la terre étrangèreC’est dans ses plis qu’on revoit le foyerBien qu’attristé, on se sent plus à l’aiseOn n’est pas seul en voyant ce lambeauEt si, dans l’air, passe la MarseillaiseAlors, on sent ce que c’est qu’un drapeauFlotte, petit drapeauFlotte, flotte bien hautImage de la FranceSymbole d’espéranceTu réunis dans ta simplicitéLa famille et le solLa liberté
Jean-Noël Jeanneney : Pascal Ory, mon cher vexillologue, bonjour !
Pascal Ory : Bonjour, Jean-Noël Jeanneney.
Jean-Noël Jeanneney : Nous venons d’entendre « Ce que c’est qu’un drapeau », c’est une chanson patriotique de 1909, interprétée, beaucoup plus récemment, par Armand Mestral. Il m’a semblé que les paroles de cette chanson nous introduisaient assez bien à ce qui va être le fond de notre conversation.
Pascal Ory : En effet, je me permettrais de ne pas être d’accord avec François Bayrou, qui a déclaré récemment, je vous cite : « Chez nous, on ne confond pas la France avec le drapeau. », une chanson comme ça montre bien qu’il y avait – faut-il dire confusion- identification, le chanson le dit, « image de la France ».
Jean-Noël Jeanneney : Symbole d’espérance, tu réunis dans ta simplicité : la famille et le sol, la liberté
Pascal Ory : Parce qu’on est à l’apogée d’abord d’une culture militaire, il faut y penser parce qu’une partie de ce que l’on va dire est liée au fait qu’il y avait une présence de l’instance militaire dans notre société, que l’on a fini par oublier, et l’emblème, l’enseigne, l’oriflamme cela ça teste entre autres dans les revues militaires et dans les champs de bataille.
Jean-Noël Jeanneney : Vous allez voir un peu plus tard dans notre conversation, une archive où l’on entendra le maréchal Pétain signifier ce que vous venez de dire avec beaucoup de force.
Pascal Ory : Par ailleurs, nous sommes à l’apogée, en 1909, de la nation et du culte de l’État-nation à travers toute l’Europe. Donc l’identification fonctionne parfaitement, et à mon avis fonctionne encore aujourd’hui. Et une partie des grands lieux de conflit aujourd’hui, prenez Israël et la Palestine, s’identifient à des drapeaux. Aux États-Unis, ou ailleurs, brûler le drapeau c’est quand même un des grands blasphèmes actuels, ou sacrilèges actuels.
Jean-Noël Jeanneney : The flag burning. D’ailleurs on voit dans beaucoup d’images de télévision, brûler le drapeau américain, chez beaucoup de protestataires, est un acte fort.
Pascal Ory : Là où je suis d’accord avec François Bayrou c’est qu’effectivement certains comme les États-Unis accordent plus d’importance que la France d’aujourd’hui à cet emblème, et il n’y a pas que les États-Unis. Prenons le cas du Danemark, un certain nombre de pays scandinaves visiblement, d’après les spécialistes, accordent encore aujourd’hui beaucoup d’importance à cet emblème. En effet, là on rejoint la position de Ségolène Royal, la possession de l’emblème nationale, dans certains pays, va de soi dans beaucoup de familles.
Jean-Noël Jeanneney : Naturellement c’est lié aussi à la conjoncture. Après la victoire de 1945, pendant plusieurs années, le 14 juillet, on a vu effectivement des drapeaux mis aux balcons alors que c’est moins le cas aujourd’hui.
Pascal Ory : Ça remonte sans doute pour la France, on aurait des chronologies parallèles pour les autres pays, même au début en particulier de la IIIème République, quand on pense aux fameux tableaux de certains peintres impressionnistes, le pavoisement, ça aussi d’une certaine façon on en connaît de vagues traces aujourd’hui mais pavoiser c’était quelque chose d’essentiel pour la fête national dans beaucoup de pays, en particulier pour le 14 juillet en France.
Jean-Noël Jeanneney : Vous pensez à Claude Monet.
Pascal Ory : Oui.
Jean-Noël Jeanneney : À partir du premier 14 juillet 1880.
Pascal Ory : La Rue Montorgueil à Paris, je crois.
Jean-Noël Jeanneney : Commençons par le commencement, je suis sûr que vous y consentirez, et voyons comment est apparu le drapeau tricolore en France. Curieusement nous allons constater que la vérité historique n’est pas tout à fait fixée.
Pascal Ory : Comme d’habitude la première vérité historique c’est la légende. « […] Il faut imprimer la légende » comme disait John Ford. La légende, c’est le 17 juillet 1789, le fait que le roi vienne en quelque sorte, je ne dis pas faire allégeance à la nation, reconnaître que désormais la nation est le moteur de l’histoire en se rendant à l’Hôtel de ville, en présence de Lafayette, on y reviendra parce que Lafayette c’est l’homme de la garde nationale, c’est l’homme du mouvement de liberté des patriotes ou des nationaux comme on les appelait en 1789, mais c’est aussi celui qui il y a quelques années était aux États-unis…
Jean-Noël Jeanneney : Un premier père putatif du drapeau tricolore.
Pascal Ory : Oui.
Jean-Noël Jeanneney : Putatif, je dis bien.
Pascal Ory : Voilà. Michel Pastoureau a avancé l’hypothèse - qui est discutée et d’ailleurs discutable mais qui mérite que l’on s’y attarde 30 secondes - qu’après que le tricolore avant cette fameuse journée de juillet 1789 flottait déjà dans les esprits, en particulier durant la campagne électorale, terme un peu moderne, pour les États généraux, on voit déjà le tricolore utilisé sous forme de cocarde par les partisans du mouvement. Et là, on peut se poser la question si cela ne remonte pas aux États-Unis. Les États-Unis eux-mêmes d’ailleurs se référant, ce que l’on oublie complètement, aux Provinces-Unies qui avaient déjà adoptées le tricolore. En tout les cas en juillet 89, le roi, d’après la légende, accepte d’arborer la cocarde qui associa le blanc qui n’était pas, alors ça il faut insister là-dessus, la couleur de la monarchie. Grosso modo, c’est la gauche, c’est la partie du mouvement qui imprime son ordre symbolique et le camp d’en face est obligé d’inventer ses propres symboles. Par exemple face à La Marseillaise, les monarchistes vont être très dépourvus, ils vont expérimenter « Ô Richard ! Ô mon roi », etc. C’est la même chose. Le drapeau blanc n’est pas en 89 le drapeau de la monarchie.
Jean-Noël Jeanneney : Il faut dire que le blanc existait naturellement comme symbole sous l’Ancien régime et que c’était le symbole du commandement.
Pascal Ory : Exactement, de l’autorité souvent d’ailleurs déléguée, non pas directement perceptible par sa présence physique, du roi. Les gardes françaises sont en blanc.
Jean-Noël Jeanneney : Quand Henri IV disait : « Ralliez-vous à mon panache blanc », c’était sur le champ de bataille.
Pascal Ory : Absolument ! D’une certaine façon c’est assez pratique, effectivement ce blanc se voit de loin. En effet, le système des couleurs emblématiques était assez simple quand on monte dans le temps, l’Empire romain fonctionnait essentiellement sur le tricolore du blanc, du rouge et du noir, qu’on retrouve dans les couleurs traditionnelles de l’Allemagne, ce n’est pas par hasard. Le bleu, confère là aussi Pastoureau, ne s’introduit que beaucoup plus tard ainsi que le vert.
Jean-Noël Jeanneney : D’ailleurs ce sont des étendards, ce ne sont pas des drapeaux.
Pascal Ory : Ce sont des étendards, ce sont des oriflammes, ce sont des cornettes, ce sont des enseignes. Toute société, depuis la nuit des temps, dès qu’elle maîtrise le textile par exemple, va avoir besoin de brandir, mais elle brandit aussi des armoiries. En fait une partie des drapeaux nationaux d’aujourd’hui, en particulier dans les États nations qui veulent se référer à une vieille antiquité presque sans interruption, je pense à la Pologne ou à l’Espagne, en réalité les couleurs nationales sont les couleurs des armoiries. Donc ce que vous avez dans le système symbolique ancien, d’anciens régimes, l’ancien régime symbolique, ce sont les armoiries, et le drapeau d’une certaine façon d’abord n’est pas central jusque la fin du XVIIIème siècle, ensuite il n’est pas simplifié, il n’y a pas effectivement un drapeau unique. Donc, il n’y a pas un drapeau blanc. Il y a des drapeaux fleur de lysé, il y a l’emblème de Saint Denis qui est rouge, l’oriflamme de Saint Denis est rouge. Paradoxalement brandir le drapeau rouge c’est brandir l’oriflamme des Capésiens par définition. La vraie couleur capésienne c’est le rouge de Saint Denis. Il n’y a pas d’unification, d’ailleurs…
Jean-Noël Jeanneney : Quel chemin accompli !
Pascal Ory : Il n’y a pas d’unification et d’ailleurs aujourd’hui vous avez encore dans certains pays un drapeau présidentiel ou le drapeau du monarque qui sera une variante du drapeau national. Mais ce qui est évident c’est qu’en 1789 se met en branle, le précédant c’est quand même les États-unis voire les Provinces-Unies, une logique qui est d’unification autour du drapeau de l’État-nation, et ça, c’est fondamentale. Mais c’est une simplification qui est d’ailleurs lié au fait que désormais il y a une nation identifiable. Avant, il y a un monarque, il y a des grands qui ont éventuellement chacun leur drapeau, il y a des régiments qui ont éventuellement chacun leur drapeau. On ne peut pas dire par exemple que le blanc soit la couleur de la monarchie. Il va devenir la couleur des monarchistes.
Jean-Noël Jeanneney : Nous en parlerons, nous en parlerons bien sûr ! Écoutez donc la chanson de la cocarde. Chanson de la cocarde 1915, extraite de l’opérette de « La cocarde de Mimi-Pinson », avec des paroles de Maurice Ordonneau et Francis Gally sur une musique d’Henri Goublier. Vous allez voir que dans l’atmosphère spécifique de la grande guerre cette chanson résume assez bien l’évolution que vous venez d’évoquez, Pascal Ory.
[Opérette, transcrite par Stéphane Descornes]
Refrain :Votre cocarde aux trois couleursC’est l’insigne de l’espérance ;Elle nous dit : soyez vainqueursEn redoublant notre vaillance.Votre cocarde aux trois couleursC’est l’insigne de l’espérance,Elle sera sur tous les cœursCar c’est l’emblème de la FranceDe Bouvines, de FontenoyLe blanc nous rappelle la gloire,Sa couleur, celle du grand Roy,Eut son heure dans notre histoire !Le rouge et bleu, la couleur de Paris,Aux Français ne fut pas moins chèreMais où tous les coeurs furent pris,Tous les coeurs de la France entière,C’est surtout quand on vit plus tardPlébéiens et gens de noblesseDéployer un seul étendardQui résumait chaque tendresseAujourd’hui notre cher drapeauN’a plus que des amants fidèlesC’est à qui portera plus hautSa gloire avec le plus de zèleTOUSVive la Cocarde de Mimi-Pinson !Cette cocarde aux trois couleursC’est l’insigne de l’espérance ;Elle nous dit : soyez vainqueursEn redoublant notre vaillance.Votre cocarde aux trois couleursC’est l’insigne de l’espérance,Elle sera sur tous les coeursCar c’est l’emblème de la France
Jean-Noël Jeanneney : Cette opérette, « La cocarde de Mimi-Pinson », avait un grand succès. Elle a été jouée pendant très longtemps le 14 juillet. Vous venez d’entendre un enregistrement qui remonte à 1963, avec des orchestres et des chœurs sous la direction de Robert Benedetti. « de Bouvine de Fontenoy, le blanc nous rappelle la gloire, sa couleur celle du grand roi, eut son heure dans notre histoire, le rouge et bleu la couleur de Paris, aux Français ne fut pas moins chers […] […] et puis « c’est surtout quand on vit plus tard plébéiens et gens de noblesse déployer un seul étendard qui résumait chaque tendresse, aujourd’hui notre cher drapeau… », etc. Unité sociale, unité temporelle ?
Pascal Ory : Oui, cette fameuse légende est maintenant enracinée, nous sommes en pleine Première Guerre mondiale et on développe un discours sur le tricolore comme réconciliation de toutes les familles, ça correspond tout à fait aux textes de Maurice Barrès à la même époque, c’est l’union sacrée, et d’ailleurs cette opérette d’un compositeur qui est quand même aujourd’hui assez oubliée a eu un grand succès et à l’entracte on distribuait ou on vendait des cocardes tricolores.
Jean-Noël Jeanneney : Ce qui peut surprendre après coup c’est que ce drapeau tricolore si intimement mêlé à l’histoire de la Révolution française, en particulier de la Convention, des soldats de l’An II, etc., ait survécu au tohu-bohu ultérieur, ait survécu au Directoire et surtout à l’Empire.
Pascal Ory : Je pense qu’il y a deux raisons : la moins importante, c’est sans doute qu’il s’est identifié à un mouvement populaire et à chaque fois que ce mouvement a été relancé, en particulier en 1830, le tricolore en était clairement l’emblème. Mais il y a une autre raison capitale, c’est Valmy, et plus généralement l’armée française. Ce drapeau tricolore avec cette nouvelle armée, refondue dans le creuset de 92, est allée de victoire en victoire, jusque dans les années 1810, et c’est ce qui explique principalement que la grande armée, je ne dis pas a fait pression sur Napoléon Bonaparte, mais en tous les cas est devenue en effet l’arche sainte qui préservait le drapeau tricolore contre toute dérive. Éventuellement on pouvait l’associer, on l’a associé, à l’aigle impérial, mais le vague rêve que Napoléon a quand même caressé, surtout quand il est devenu empereur, de changer l’emblème, y compris à un moment d’expérimenter un drapeau vert, tout ça a été très vite enterré parce qu’il y avait déjà ce mouvement d’identification. Et le fait que l’on ait exhibé, là pour le coup la cocarde blanche, parfois la cocarde verte, et le drapeau blanc en 1814 a été globalement assez mal perçu, y compris par des monarchistes modérés, dont on a le témoignage.
Jean-Noël Jeanneney : On voit dans Les mémoires de la comtesse de Boigne en particulier s’indigner de voir tous les jeunes gens, favorisés par la fortune, se presser sur les Champs-Élysées en arborant joyeusement les cocardes blanches alors que la France venait d’être dramatiquement défaite.
Pascal Ory : D’une certaine façon l’effacement en 1814-1815 du drapeau tricolore l’a préservé, parce qu’être devenu aussi le drapeau du tyran pouvait être vécu d’une façon ambiguë. Clairement c’est devenu le drapeau du patriotisme et à la première occasion venue, 15 ans plus tard, il s’est affirmé. Il faut quand même rappeler que c’est à une monarchie qu’on doit l’adoption définitive, en tous les cas jusqu’à présent en France, du drapeau tricolore puisque c’est à Louis Philippe en présence, j’allais dire sous le contrôle, de Lafayette, toujours là.
Jean-Noël Jeanneney : Il reste la question de savoir comment s’était affirmé le blanc alors que vous avez montré, Pascal Ory, que ce n’était pas du tout le drapeau de l’Ancien régime. Comment le blanc s’est affirmé, à partir de la guerre de Vendée, comme incarnant l’opposition monarchique à la fois à la Révolution et à l’Empire ?
Pascal Ory : Parce que désormais il faut que les camps s’identifient à des emblèmes simples, ça donnera aussi la nécessité de trouver un symétrique à La Marseillaise. C’est à peu près à cette époque-là que l’Empire d’Autriche commande à Haydn un hymne, on entre dans la logique des hymnes nationaux au même moment, c’est hymne contre hymne, et l’hymne c’est un emblème sonore, c’est de l’emblématique sonore, on l’oubli parfois, et drapeau contre drapeau. Le drapeau blanc plus ou moins fleur de lysé va jouer cette fonction mais il sera toujours en quelque sorte minoritaire nationale.
Jean-Noël Jeanneney : Lafayette ressurgit en 1830, une manière pour le roi des Français, Louis Philippe, d’affirmer qu’il s’agit d’une révolution nationale. D’ailleurs on voit Eugène Pottier, qui sera ensuite l’auteur fameux de l’Internationale qui chante la résurrection du drapeau de la liberté : « Je vous déjà le drapeau tricolore de mon pays, emblème protecteur, sur nos remparts, qu’avec gloire il décore, il est pour nous le signale du bonheur. »
Pascal Ory : Alors que quelques mois pratiquement plus tard, à partir de 1832, on voit émerger le drapeau rouge, qui existait jusque là comme drapeau d’alerte dans les communautés, en particulier les communautés villageoises, qui était un drapeau d’une signification très forte mais qui n’était pas idéologique, qui était un drapeau en quelque sorte technique lié à des circonstances de mobilisation extrême, qui devient, presque par surprise, le drapeau des insurgés, puisqu’ils ont en face d’eux le drapeau tricolore, on leur tire dessus avec le drapeau tricolore, d’une certaine façon. Ils vont chercher un autre emblème et cela sera le drapeau rouge. La France a joué un rôle important dans la généralisation du drapeau rouge aux mouvements révolutionnaires, jusqu’à l’apogée de ce drapeau dans l’entre deux guerres, avec l’Union soviétique et des partis communistes.
Jean-Noël Jeanneney : On arrive à 1848, moment essentiel, moment fameux, où Lamartine par son éloquence sauve le drapeau tricolore contre le drapeau rouge. Rappelez donc cette circonstance.
Pascal Ory : Nous sommes le 25 février 1848, si je me rappelle bien, la République est installée, le roi des Français est en fuite, mais quelle république ? Il y a comme d’habitude une option plus radicale qu’une autre. Le gouvernement a beau être ouvert à des radicaux, en particulier à des socialistes, le mot apparaît à cette époque-là, il a quand même une dominante républicaine modérée, que représente bien Lamartine, ministre des affaires étrangères et de fait chef de ce gouvernement. Et c’est lui qui, d’après là aussi une légende mais qui se fonde sur la réalité que ce drapeau rouge n’a pas été adopté, va s’opposer par un éloquent discours à cette option, puisque évidemment ceux qui font irruption à l’Hôtel de ville en particulier souhaitent adopter le drapeau de tous les combats insurrectionnels de la monarchie de juillet, qui était le drapeau rouge.
Jean-Noël Jeanneney : Le drapeau rouge qui flotte au-dessus de la grande porte de l’Hôtel de ville et sur tous les toits.
Pascal Ory : C’est à l’Hôtel de ville que cela va se jouer, comme en 89, comme en 1930, trois fois à l’Hôtel de ville de Paris.
Jean-Noël Jeanneney : Un insurgé prend la parole devant Lamartine en disant : « Nous ne voulons pas que la Révolution soit escamotée encore une fois, il nous faut la preuve que vous êtes avec nous. Cette preuve vous la donnerez en décrétant le drapeau rouge, symbole de nos misères et de la rupture avec le passé. »
Pascal Ory : C’est une sorte de drapeau de la souffrance, et c’est vrai que c’est un drapeau de la crise, presque de la guerre civile, et ça a été voulu comme ça par les insurgés, comme le sera d’ailleurs plus tard le drapeau noir, qui est quand même un emblème presque négatif retourné positivement par ses partisans.
Jean-Noël Jeanneney : Je vais vous faire entendre une partie du discours de Lamartine. À vrai dire, il semble bien qu’il l’ait réécrit après coup, c’est un usage fréquent.
Pascal Ory : Tout à fait !
Jean-Noël Jeanneney : Qui est lu par un sociétaire de la Comédie française, Roger Monteaux, en 1930.
« Citoyens, je vous ai parlé en citoyen tout à l’heure, eh bien ! maintenant écoutez en moi votre ministre des affaires étrangères. Si vous m’enlevez le drapeau tricolore, sachez-le bien, vous m’enlevez la moitié de la force extérieure de la France ! car l’Europe ne connaît que le drapeau de cette défaites et de nos victoires dans le drapeau de la République et de l’Empire. En voyant le drapeau rouge elle ne croira voir que le drapeau d’un parti ! C’est le drapeau de la France, c’est le drapeau de nos armées victorieuses, c’est le drapeau de nos triomphes qu’il faut relever devant l’Europe. La France et le drapeau tricolore c’est une même pensée, un même prestige, une même terreur, au besoin, pour nos ennemis ! »
Jean-Noël Jeanneney : Lamartine aurait dit aussi, ce passage n’est pas repris dans ce disque de 1930, il y aurait eu les formules suivantes qui sont restées célèbres : « Je repousserais jusqu’à la mort ce drapeau de sang, et vous devez le répudier plus que moi car le drapeau rouge que vous rapportez n’a jamais fait que le tour du Champ de Mars, traîné dans le sang du peuple en 91 et 93. Le drapeau tricolore a fait le tour du monde avec le nom, la gloire et la liberté de la patrie. » Je ne doute pas que Ségolène Royal en souhaitant que tous les Français aient chez eux un drapeau tricolore songeait à cette formule.
Pascal Ory : L’allusion à 91 et 93 est une allusion au fait qu’à cette époque-là le drapeau rouge était le drapeau de l’alerte, de la mobilisation, éventuellement de l’écrasement d’une insurrection, d’une certaine façon il mettait les insurrectionnels en face de leurs contradictions. Au reste, quelques semaines, quelques mois plus tard, la tendance générale aurait remis le drapeau tricolore en selle, s’il avait été éclipsé provisoirement.
Jean-Noël Jeanneney : Mais il aurait pris un caractère plus conservateur, plus réactionnaire.
Pascal Ory : Certainement. Il commence à le reprendre à partir de la Commune de Paris, puisque la Commune, en 1871, adopte le drapeau rouge. À ce moment-là on peut dire que la France connaît, entre 71 et 73, un moment extraordinaire, parce qu’effectivement les choix politiques, sur lesquels d’une certaine façon nous vivons aujourd’hui, se font autour de choix d’emblème. La Commune, c’est le drapeau rouge, elle est écrasée. Mais en 1873, c’est l’échec du prétendant, du comte de Chambord, qui dans une lettre publiée dans un journal, je crois à l’automne 1873, dit ce qu’il pense profondément, à savoir qu’il ne renoncera jamais au drapeau blanc, ce qui est une catastrophe pour les orléanistes, qui eux, logique de 1830, se sont ralliés au tricolore et qui pensaient avoir fait comprendre à celui qui pouvait être, quelques mois, quelques années plus tard, Henri V, qui allait peut-être placer sur le trône, que vraiment il n’a rien compris, rien appris, rien oublié…
Jean-Noël Jeanneney : C’est là que les orléanistes ont cette formule : « Puisque dieu ne lui a pas ouvert les yeux, nous n’avons plus qu’à attendre qu’il les lui ferme. »
Pascal Ory : Oui, parce qu’en 1873, on pouvait penser que désormais les deux branches, aînée et cadette, légitimistes et orléanistes, allaient se réconcilier autour de ce prétendant provisoire, qui n’avait pas d’héritier direct, ce qui fait qu’après sa mort on pourrait passer à la branche orléaniste. Il a campé sur ses positions, qui sont j’allais dire des positions qui sont très 1915 en effet, puisque le drapeau blanc, je rappelle, n’était pas le drapeau traditionnel…
Jean-Noël Jeanneney : Il faut dire que l’enfant miracle, c’était l’enfant posthume du fils de Charles X, qui avait été assassiné par Louvel en 1820, avait eu une enfance très marquée par un entourage de drapeau blanc.
Pascal Ory : Tout à fait, on comprend très bien les raisons je dirais psychanalytiques, c’était fort peu politique, voilà pourquoi nous sommes en République, si j’ose être aussi rapide.
Jean-Noël Jeanneney : Si on prend ces IIème et IIIème République, on voit un drapeau tricolore qui prend une considérable importance, ça renvoie à la fête de la Fédération, 1790, tous les tableaux du moment montrent que Lafayette est entouré de drapeaux tricolores.
Pascal Ory : Entouré de drapeaux tricolores qui d’ailleurs au début de la Révolution, à l’époque de la 1er République commençante, hésitent entre l’horizontale et la verticale. La verticalisation à mon avis, c’est une thèse que je défends, c’est le vrai acte révolutionnaire des républicains puisque jusque là les drapeaux de référence, à commencer par celui des Provinces-Unies, qui est déjà tricolore, sont horizontalisés, la verticalisation, à mon avis, c’est une affirmation de rupture.
Jean-Noël Jeanneney : La verticalisation est très à la mode dans les décorations au début de la Révolution française, bien avant Buren !
Pascal Ory : On peut avoir cette lecture aussi.
Jean-Noël Jeanneney : Bien avant Buren !
Pascal Ory : Bien sûr. Sous la IIème République le tricolore est très présent à l’occasion des pavoisements. Au même moment la République met en place tout le système symbolique sous lequel nous fonctionnons encore, adopte La Marseillaise, adopte le 14 juillet comme fête nationale, ça n’allait pas de soi, il n’y avait que le drapeau qui était déjà adopté, depuis 1830. Le jour de la fête nationale et La Marseillaise ce sont des décisions de la IIIème République. L’apothéose, c’est évidement 14-18, on l’a entendu tout à l’heure. Pendant l’entre deux-guerres, l’hypothèse du drapeau rouge reprend, si j’ose dire, des couleurs. Le mouvement syndical, le mouvement socialiste d’avant 14 avaient tendance à s’y rallier, le parti communiste le reprend. Et on arrive à cet épisode assez impressionnant du discours de Jacques Duclos, le 14 juillet 1935, à l’occasion du baptême, peut-on dire, du Front populaire, où à la surprise de beaucoup d’auditeurs, celui qui est le numéro deux du parti communiste, mais sur ordre, appelle à la réconciliation entre L’Infranationale et La Marseillaise et entre le drapeau tricolore et le drapeau rouge. C’est effectivement ça le Front populaire. C’est cette idée qu’il n’y a pas contradiction entre les deux, jusque là il y avait éventuellement contradiction, il fallait choisir son camp. Avec ce nouveau discours communiste, cette main tendue, eh bien on essaye de concilier les deux, en fait cela signifie un ralliement emblématique à tous points de vue. Le mot emblématique peut être, là, à double entente, du parti communiste à ce discours national.
Jean-Noël Jeanneney : Tradition nationale, au fond on tend la main au fond aux premières années de la IIIème République, c’est le moment où un poète aussi populaire que Déroulède chante le drapeau tricolore, à telle enseigne qu’il a même été caricaturé ensuite par…
Pascal Ory : Reboux et Muller.
Jean-Noël Jeanneney : Reboux et Muller, les auteurs de À la manière de…. Il y a un poème qui vous offre du faux Déroulède admirable, c’est l’histoire d’un soldat qui, entouré par des ennemis, ne veut pas que le drapeau tombe dans ces mains et qui du coup se résout tout simplement à l’avaler :
Il étend sa lèvre à moustache blondeComme pour baiser le noble étendard,Lorsque, tout à coup, un éclair l’inonde :« Si je le mangeais ?... Il n’est pas au mondeContre les uhlans de plus sûr rempart ! »[…]Il mangea le bleu, le blanc, puis le rouge ;Son cœur est trop haut pour un haut-le-cœur.Sur son front d’airain pas un pli ne bouge ;Masque qu’on dirait sculpté par la gouge,Du festin sublime il reste vainqueur.Il mangea le bleu, le blanc, puis le rouge ;Son cœur est trop haut pour un haut-le-cœur !
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Pascal Ory : Oui, effectivement cette mise en boîte avec la version en quelque sorte douce d’une critique fondamentale du culte, de la religion du drapeau, par toute une partie de la gauche extrême, qu’on va retrouver dans les années 30 chez ceux qu’on pourrait pratiquement rattacher à une famille anarchiste, libertaire, comme Jacques Prévert, puisqu’il y a des poèmes de l’époque du groupe Octobre qui dénoncent très violemment le drapeau tricolore.
Jean-Noël Jeanneney : Ce moment où le communisme porteur du drapeau rouge rejoint le drapeau tricolore st en effet fondamental, il prépare la Résistance communiste pendant la Seconde Guerre mondiale.
Pascal Ory : Une fois de plus, à travers le choix de l’emblématique visuelle, je rappelle qu’il y a aussi l’emblématique sonore, on peut faire converger toute l’interprétation de la situation politique du pays considéré. Le choix du Front populaire s’identifie tout à fait à ça. De manière très cohérente, le parti communiste au même moment réhabilite Jean d’Arc, la cathédrale de Chartres, abandonne son soutien au mouvement de libération nationale en Algérie, même abandonne son discours autonomiste en Alsace, tout ça est absolument cohérent, c’est l’unité nationale face à la vraie menace, qui maintenant est identifiée comme étant le IIIème Reich.
Jean-Noël Jeanneney : Comment liriez-vous le surgissement de la question du drapeau dans la dernière campagne présidentielle à partir de cette histoire ?
Pascal Ory : Certainement un témoignage parmi d’autres de la crise de l’identité collective, je ne dis pas seulement nationale, dans des pays comme la France mais sans doute faut-il généraliser à l’ensemble de l’Occident, face à la globalisation, face au surgissement ou resurgissement de revendications nationales ou ethniques ici ou là. Il peut y avoir des mouvements, certains diront de crispation, d’autres de retour aux fondamentaux, où l’emblématique joue un rôle capital parce qu’on a un peu trop considéré que tout cela était synonyme de chauvinisme mais l’identification collective, elle passe par l’État-nation très logiquement depuis les débuts des temps modernes, et à chaque période de crise cette idée de l’identification ressurgit.
Jean-Noël Jeanneney : Il y a naturellement un moment, Pascal Ory, où les trois couleurs il n’est pas question de ne pas s’y attacher passionnément, c’est l’Occupation, c’est le moment le moment du régime de Vichy, on retrouve des deux côtés, du côté de Londres comme du côté du régime du maréchal Pétain, la défense et l’illustration des trois couleurs, simplement il y a la Croix de Lorrain du côté de Londres. Écoutez cet extrait assez curieux, le maréchal Pétain remettant un drapeau à un régiment d’infanterie, nous sommes à Amberieu, le 12 septembre 1942.
« Maréchal Pétain : Je remets ce drapeau au colonel du 65ème régiment d’infanterie, c’est en remplacement d’un drapeau qui a été volé. / Colonel : Qui a été détruit, Monsieur le maréchal, le 23 mai, incinéré le 23 mai à Bègles près de Boulogne. Maréchal Pétain : Il a été détruit comment ? Colonel : Incinéré. Pas détruit, maréchal incinéré. Maréchal Pétain : Ah bon ! pourquoi il a été démoli ? Colonel : Eh bien, le 65ème s’était transporté de Belgique dans la région de Boulogne, et au moment de l’avance allemande, il a été complètement encerclé, complètement décimé dans cette région, si bien que les derniers hommes, les derniers officiers qui se trouvaient là ont du se rendre. Avant de se rendre, ils ont incinéré le drapeau. Nous avons un historique exact de cet événement. Maréchal Pétain : Ce nouveau drapeau remplace un drapeau qui a été détruit pendant la guerre afin d’éviter la remise aux Allemands. »
Jean-Noël Jeanneney : Intéressant document, Pascal Ory ! ?
Pascal Ory : Tout à fait ! comme quoi le The flag burning, le brûlement de drapeau n’est pas toujours négatif, là il s’agissait justement de ne pas laisser à l’ennemi le soin de mettre la main… parce que rapporter chez soi les dépouilles du vaincu, ça c’est une tradition qu’on retrouve aux Invalides, en France, donc ne pas laisser l’ennemi s’emparer de l’icône, c’est tout à fait intéressant, oui. Il faut préciser en effet que la Croix de Lorrain a été utilisée comme emblème par la France libre, ce n’est pas le général de Gaulle qui l’a proposée mais il l’a adoptée…
Jean-Noël Jeanneney : C’est l’Amiral Muselier.
Pascal Ory : Voilà, mais les deux camps, Vichy comme la France libre étaient d’accord sur le tricolore. Évidement dans le cas de Vichy on était beaucoup plus gêné devant La Marseillaise, sans avoir complètement réussi d’ailleurs à l’écarter, ce qui est d’ailleurs là aussi un aveu d’échec, c’est peu comme pour la Restauration avec le drapeau Blanc.
Jean-Noël Jeanneney : Au moment de la guerre de Syrie, qui a dramatiquement opposé des Français des deux côtés, il y avait un drapeau français des deux côtés.
Pascal Ory : Tout à fait. Ça dit également beaucoup de choses sur ce que signifie cette forme, disons-le, de guerre civile quand même, qu’a été également la Deuxième Guerre mondiale pour plusieurs pays dont la France.
Jean-Noël Jeanneney : Alors, on ne s’étonne pas que la Libération est une magnifique occasion de voir surgir partout les drapeaux tricolores et cela est rappelé par une chanson célèbre, qui s’appelle Fleur de Paris, qui a été interprétée de la sorte par Maurice Chevalier.
Mon épicier l’avait gardée dans son comptoirLe percepteur la conservait dans son tiroirLa fleur si belle de notre espoirLe pharmacien la dorlotait dans un bocalL’ex-caporal en parlait à l’ex-généralCar c’était elle, notre idéal.C’est une fleur de ParisDu vieux Paris qui souritCar c’est la fleur du retourDu retour des beaux joursPendant quatre ans dans nos cœursElle a gardé ses couleursBleu, blanc, rouge, avec l’espoir elle a fleuri,Fleur de ParisC’est une fleur de chez nousElle a fleuri de partoutCar c’est la fleur du retourDu retour des beaux joursPendant quatre ans dans nos cœursElle a gardé ses couleursBleu, blanc, rouge, elle était vraiment avant toutFleur de chez nous.
Jean-Noël Jeanneney : C’était Maurice Chevalier, fin 1944. Maurice Chevalier qui a un peu à se faire pardonner.
Pascal Ory : Oui, et qui en rajoute certainement une couche dans le patriotisme mais après tout le destin de Chevalier était assez proche de celui de beaucoup de Français pendant cette période compliquée. En réécoutant cette chanson je vois à quel point c’est le symétrique inverse de Et tout ça, ça fait d’excellent Français [2], qui datait, je crois, de 1939, parce qu’on voit bien dans cette chanson qu’on vient d’entendre les différentes classes sociales communier dans le culte du drapeau.
Jean-Noël Jeanneney : Le pharmacien des deux côtés…
Pascal Ory : Voilà.
Jean-Noël Jeanneney : et tout ça, ça fait l’excellent Français, c’était une évocation de la diversité effectivement de ceux qui composaient les régiments français.
Pascal Ory : Alors, au même moment, d’autres drapeaux commencent à être brandis, parce que 45, c’est Sétif et puis cette logique de la décolonisation, qui va faire surgir en face du drapeau français, pour prendre simplement le cas des colonies françaises mais ça vaut pour d’autres colonies, d’autres drapeaux alternatifs, qui d’ailleurs parfois reprennent l’emblématique française pour la retourner contre elle.
Jean-Noël Jeanneney : Mais restons d’abord au XIXème siècle, si vous voulez bien, pour élargir le regard et voir comment la vexillologie peut distinguer différentes familles de drapeaux.
Pascal Ory : Oui, c’est doute lier chez moi à cette tendance vexillologique, le mot est récent, un peu pompeux mais je crois qu’il convient…
Jean-Noël Jeanneney : J’ai observé qu’il n’était pas dans le Larousse des années 60 et qu’il est dans le Grand Robert plus récent.
Pascal Ory : Oui, je crois que une tactique de respectabilisation de l’objet, qui correspond aussi à une curiosité croissante, pas simplement de Pascal Ory et peut-être de Jean-Noël Jeanneney, de notre époque pour ce que j’appelle l’histoire des politiques symboliques, le fait que le symbolique ce n’est pas de l’anecdote, c’est fondamental, c’est en effet emblématique à tous points de vue. Et l’emblématique, le monumental ou le rituel c’est essentiel pour comprendre le fonctionnement de nos sociétés. Prenons le cas des drapeaux, - d’ailleurs c’est un terme, drapeau, qui renvoie à quelque chose d’assez populaire, c’est du drap, le drapeau au départ c’est du drap, à la fin du Moyen-âge dans la langue française – cet emblématique là on peut dire qu’à partir du XIXème siècle, elle devient porteuse de l’État-nation, et à travers –ça m’avait beaucoup frappé quand on regarde les pages des dictionnaires ou des encyclopédies…
Jean-Noël Jeanneney : Les enfants rêvent beaucoup sur les drapeaux.
Pascal Ory : Ce qui me frappe beaucoup c’est qu’on peut reconstituer des familles. Il y a un certain nombre de drapeaux qui sont relativement autonomes quand ils se réfèrent, comme je le disais au début de l’émission, plutôt à des armoiries, comme l’Espagne ou la Pologne, mais la plupart du temps il y a quand même des familles. Il y a une famille française, il y a un tricolore vertical, qu’on retrouve en Irlande, qu’on retrouve en Italie, l’adoption par les patriotes italiens, dès l’époque de la Révolution du tricolore que l’on connaît aujourd’hui est une référence à la France.
Jean-Noël Jeanneney : Nous sommes toujours au XIXème siècle.
Pascal Ory : Nous sommes toujours au XIXème siècle et au XXème siècle d’anciennes colonies, comme le Tchad, devenues États-nations à leur tour, essayant de devenir des États-nations, vont adopter le tricolore. Ça, c’est une chose. Vous avez une famille étasunienne quand on considère le drapeau de Cuba, un certain nombre d’autres pays, on voit bien qu’on adopte à ce moment-là ce principe qui consiste à reprendre un canton en haut à gauche et espace généralement horizontalisé, vous avez des tas de déclinaisons de tout ça, la référence aux États-Unis est présente. Elle se retrouve même en France, car je signale qu’aujourd’hui flotte sur les bâtiments publics de Bretagne, un drapeau, qui était un drapeau tout à fait oppositionnel et quasiment illégal, qui était le drapeau d’un parti, d’un groupuscule nationaliste bretons qui l’a dessiné sur le modèle américain et qui est le drapeau actuellement brandi en Bretagne. Le fait que cela soit un drapeau de la famille étasunienne c’est évidemment un coup de pied au tricolore français.
Jean-Noël Jeanneney : Qui a été assimilé, euphémisé, porté par les autorités…
Pascal Ory : Un postulat fédéral, avec les couleurs supposées traditionnelles, parce que là aussi c’est l’invention de la tradition bretonne, le noir et le blanc.
Jean-Noël Jeanneney : Il y a la croix qui est présente dans toute une famille de drapeaux dès le XIXème siècle…
Pascal Ory : Les Danois sont très fiers de dire qu’ils auraient le plus vieux drapeau du monde, ça ne veut surtout dire que l’emblématique danoise s’est stabilisée très tôt, vers le XIIème siècle autour de cette croix, qu’on retrouve dans tous les drapeaux scandinaves et quand au XXème siècle les îles Féroé, le Groenland vont adopter un drapeau c’est sur le modèle scandinave. Donc vous avez aujourd’hui une dizaine de drapeaux de la famille scandinave. On pourrait affiner d’ailleurs, voir en Amérique Latine une petite famille colombienne qui garde le souvenir du rêve bolivarien, et puis une petite famille argentine, c’est assez étrange…
Jean-Noël Jeanneney : C’est bleu et blanc, non, l’Argentine ?
Pascal Ory : Oui, le bleu et blanc, ce sont des patriotes argentins qui ont servi de modèle en Amérique Centrale, le Honduras, etc., ont adopté les couleurs argentines, tout cela n’est pas anecdotique.
Jean-Noël Jeanneney : C’est n’est pas la croix là ?
Pascal Ory : Non, c’est tout à fait autre chose. C’est une des petites familles liées aux mouvements d’émancipation du XIXème. Puis, évidemment il y a la famille slave. Famille slave qui remonte, un peu de façon mythique, à Pierre le Grand. Pierre le Grand adopte des couleurs qui sont vraiment les couleurs du mouvement national slave au XIXème siècle, tricolores aussi : blanc, bleu rouge, ou bleu rouge blanc suivant les cas, et ce sont des inversions des couleurs drapeaux des Provinces-Unies. Donc, on remonte toujours aux Provinces-Unies, aux Pays-Bas d’aujourd’hui, qui au départ étaient bleu blanc orange, et qui ont été bleu blanc rouge assez vite. On le retrouve paradoxalement dans le drapeau slave. Aujourd’hui, regardez, la Slovénie, la Slovaquie, la Croatie, bien sûr la Russie, après tout le drapeau Tchèque fait référence à ces trois couleurs, ce sont des déclinaisons du drapeau slave et ça a du sens que d’avoir remis en avant ces couleurs-là après la chute des régimes communistes. Tout ça n’est pas du tout anecdotique.
Jean-Noël Jeanneney : Si je reviens un instant sur la croix, vous savez que quand on a réfléchi à la création d’un emblème européen, d’un drapeau européen, certains ont voulu qu’on y inscrive la croix. On a même eu le sentiment à certains moments qu’ils allaient y parvenir, ce qui est évidemment aujourd’hui, au moment où nus débattons avec la Turquie de son entrée éventuelle dans l’Union, poserait beaucoup de problèmes. Sur cette naissance de l’étendard, du drapeau européen, je vous propose une archive qui remonte au 13 décembre 1955.
« Interprète : Jusqu’à présent le Conseil de l’Europe n’avait pas de drapeau et celui qui flottait sur la Maison de l’Europe à Strasbourg était tout simplement celui du mouvement européen, un grand E blanc sur un fond vert. / ? : Messieurs, j’ai le grand plaisir et l’honneur e vous présenter le drapeau qui est l’emblème du Conseil de l’Europe. Les délégués l’ont adopté en notre nom, le 8 décembre dernier. Il représente le résultat d’une longue série de discussions qui portaient sur ce qui pourrait le mieux symboliser notre institution. Le Conseil de l’Europe est symbolisé dans cet emblème par un cercle fermé d’étoiles. Ces étoiles ne représentent ni les pays, ni les états libéraux. Leur nombre demeurera invariable : douze étoiles, c’est le symbole de la perfection et de la plénitude telle que devrait être l’union de nos peuples. Ce matin, le même drapeau monte au mât qui se trouve à Strasbourg, devant la maison de l’Europe. Qu’il puisse battre longtemps et librement au vent et en paix avec les pays avec la bénédiction du seigneur. / Interprète : Actuellement le président en exercice du Comité des ministres se lève et montre à ses collègues cet emblème qui figure dans le fond de la salle du Comité. Il est azur avec douze étoiles or en cercle, étoiles à cinq branches dont les pointes ne se touchent pas. Les étoiles sont disposées comme les heures sur le cadran d’une montre… »
Jean-Noël Jeanneney : Vous avez entendu en fait la traduction du discours du ministre irlandais, qui présentait le choix de ce drapeau européen au Conseil de l’Europe.
Pascal Ory : D’où sans doute la présence de bénédiction du seigneur.
Jean-Noël Jeanneney : Oui surtout qu’il surgit tout à coup, il repose la question des origines chrétienne de l’Europe. Les drapeaux ont tellement à nous dire !
Pascal Ory : L’Europe démocrate chrétienne, certains disaient même noire, qui aurait prédominé dans les années 50…
Jean-Noël Jeanneney : De Gasperi, Schuman, Adenauer.
Pascal Ory : Y compris dans l’emblématique puisque certains peut-être malicieusement ont rapproché notre drapeau, de l’Union européenne, bleu avec ses étoiles d’or de l’emblématique marial. En tout les cas c’est le triomphe du bleu, qui plairait tellement à Michel Pastoureau, c’est le fait qu’on ait quand même récusé en effet la croix, on peut penser que la référence qui était complètement implicite, qui n’a jamais été explicite, à l’emblématique chrétienne a quand même assez largement disparue de nos esprits aujourd’hui. C’est un signe supplémentaire de ce que les organisations internationales ont besoin, elles aussi, de drapeau, désormais : l’ONU a son drapeau, l’OTAN avait son drapeau. Ce sont des drapeaux plus ou moins populaires mais cette mode du drapeau s’est généralisée. Je le signalais tout à l’heure, les régions françaises, peu à peu, adoptent des drapeaux, rien ne les y oblige ! Ces drapeaux n’ont aucun statut officiel et maintenant on les arbore dans plusieurs régions françaises. Certaines régions d’ailleurs visiblement n’ont pas de drapeaux parce qu’elles n’ont pas une identité très forte.
Jean-Noël Jeanneney : On peu faire confiance à Georges Frêche pour arborer le drapeau de ce qu’il appelle la Septimanie.
Pascal Ory : Exactement.
Jean-Noël Jeanneney : On croit quelquefois que les étoiles d’or du drapeau sur fond d’azur du drapeau européen représente les membres de la communauté européennes quand ils étaient douze, c’est faux ?
Pascal Ory : C’est faux. D’ailleurs c’est précisé dès les débuts, puisqu’on savait déjà que la logique de l’Union européenne s’était l’élargissement. Au même moment d’autres régions adoptent des drapeaux qui sont des déclinaisons de nouvelles familles qui apparaissent, il y a une famille à partir de l’Australie, qui est une famille océanienne, on retrouve à peu près une dizaine de drapeaux là aussi qui jouent sur l’étoile du sud, les constellations de l’hémisphère sud. Au XXème siècle se développe toute une famille rasta, qui est très présente dans les lieux publics…
Jean-Noël Jeanneney : C’est-à-dire ?
Pascal Ory : Les trois couleurs de l’Éthiopie : le rouge, le vert, le jaune dans un ordre variable, ce sont les couleurs qui apparemment ont été brondies, ça c’est important, par Ménélik dans sa lutte contre les Italiens. On sait que la défaite d’Adoua a quand même sonnée comme un avertissement, les « blancs », entre guillemets, n’ont pas très bien compris à l’époque, mais, entre guillemets toujours, les « noirs » ont très bien enregistré aussi.
Jean-Noël Jeanneney : Vous parlez de la première guerre d’Éthiopie, celle de la fin du XIXème siècle ?
Pascal Ory : Exactement, qui a signifiait que l’Éthiopie restait un moule de résistance de l’identité africaine face à la colonisation. Et assez logiquement, ce que l’on a appelé le mouvement rastafari, « rasta », qui se développait entre autres en Amérique, au-delà des mers et entre autres en Jamaïque, a adopté cette couleur, puis des gens comme Marcus Garvey, des partisans éventuellement d’un retour vers la mère patrie, en tous les cas d’une identification africaine, panafricaine ont brondis ces trois couleurs, que l’on retrouve dans plusieurs drapeaux africains aujourd’hui et que l’on retrouve dans toute l’idéologie « rasta ». À la même époque, vers 14-18, se constitue un mouvement panarabe, qui d’ailleurs hésite sur les couleurs mais regardez les déclinaisons dans le Moyen-Orient, vous avez à peu près le noir, le rouge et le blanc avec inclusion ou pas du vert.
Jean-Noël Jeanneney : Quid du vert islamique ?
Pascal Ory : Le vert, c’est le vert des Fatimides. C’est le vert que la grande dynastie des Fatimides a mis en avant ce qui fait qu’elle a fait une sorte d’OPA, dirait-on aujourd’hui, sur les couleurs, mais le vrai drapeau du prophète, - à supposer qu’il ait besoin d’en avoir un parce que je repère, dans l’ancien système ce n’est pas aussi simplifier que ça – c’était le blanc, ce qu’on très bien compris les talibans. Vous voyez, ce n’est pas du tout anecdotique. Il y a une étude qui a été publiée il y a quelques années, une plaquette tout à fait passionnante, qui reconstitue l’histoire de tous les drapeaux d’Afghanistan au XXème siècle. Ce pays a à peu près changé de drapeau tous les trois ans en moyenne. Ça dit beaucoup de chose, ne serait-ce que l’adoption du drapeau nationale par l’Afghanistan, c’est très lié à l’émergence du modèle d’Atatürk, donc du modèle de la nation moderne, avant il n’y a pas vraiment de drapeau afghan. Eh bien le drapeau des talibans, c’était le blanc parce que la vraie couleur ne c’était pas le vert, c’est le blanc. Même chose pour le croissant.
Jean-Noël Jeanneney : Ah, le croissant ?
Pascal Ory : Beaucoup de militants islamistes peuvent penser que le croissant c’est typiquement islamique, non le croissant c’est turc mais évidemment de même que les Fatimides à une certaines époques avaient absorbé à leur profit l’identification musulmane, eh bien évidemment l’Empire Ottoman pendant plusieurs siècles a été l’identification autour du calife-sultan et du sultan-calife de cette identité musulmane, mais le croissant c’est turc, ce n’est pas islamique. Etc., etc.
Jean-Noël Jeanneney : Ce que vous démontrez, Pascal Ory, pour avoir une formule pédante, c’est un intense investissement vexillologique des sociétés modernes autrement dit, une place croissante du drapeau non seulement dans la symbolique mais dans l’effort de rassemblement affectif et patriotique des sociétés.
Pascal Ory : Exactement. Un exemple presque caricatural mais o a frôlé la guerre, c’est la Macédoine.
Jean-Noël Jeanneney : Après le démantèlement de la Yougoslavie de Tito.
Pascal Ory : Là aussi, ça nous dit tout sur l’identification d’une collectivité. La Macédoine, c’est quand même une invention de Tito, il faut être très clair. Jusque là ce n’est pas très clair, la Macédoine c’est une revendication bulgare d’un côté, on dit souvent qu’en 1914 les attentats étaient macédoniens, c’étaient en fait des Bulgares qui réclamaient le rattachement de la Macédoine slave à la Bulgarie, qui était au centre de tout ça, la Serbie avait aussi ses ambitions, Tito d’une certaine façon arbitre en ne privilégiant ni l’hypothèse bulgare bien sûr ni non plus l’hypothèse serbe et il crée la Macédoine. Au moment où s’effondre la Yougoslavie, la macédoine prend son indépendance et elle joue, il faut le reconnaître, un double jeu, - je ne me prononce pas sur l’intelligence de ce double jeu - elle joue sur l’ambiguïté du mot macédoine qui concerne aussi le royaume de Philippe et donc d’Alexandre, donc le Nord de la Grèce, un royaume dont l’identification n’est pas slave, comme l’est la Macédoine actuelle mais grecque, hellénique. Du coup, la Constitution macédonienne de l’époque mais surtout le drapeau choisi indiquent bien qu’il y a jeu sur les deux tableaux puisque le drapeau macédonien dans sa première version reprend un symbole qui a surgit quelques années auparavant grâce à des fouilles archéologiques dans le tombeau qui a été identifié comme le tombeau de Philippe.
Jean-Noël Jeanneney : Philippe le père d’Alexandre.
Pascal Ory : Donc, prendre pour la Macédoine slave, je maintiens, d’aujourd’hui un symbole qui nous ramène vers le sud, ça a été tout à fait interprété par les nationalistes grecs, qui sont particulièrement sourcilleux et ont des relations compliqués avec la Turquie…
Jean-Noël Jeanneney : C’est fait pour les exaspérer.
Pascal Ory : Les exaspérer et Chypre aussi. Et d’autres part, il faut voir que le Nord de la Grèce et la Macédoine grecque actuelle est peuplée d’enfants ou de petits enfants d’immigrer de la catastrophe d’Ionie, donc des hyper patriotes comme cela arrive souvent. Eh bien le résultat c’est que la Grèce a opposé son veto non seulement à ce drapeau mais même à l’entrée de la Macédoine à l’ONU, ce qui fait que la Macédoine pendant plusieurs années n’avait pas de nom, elle était admise comme Former Yugoslav Republic of Macedonia, la FYROM, parce que le simple mot de Macédoine, j’allais dire justement un drapeau rouge qui était bondi sous les yeux des patriotes grecs.
Jean-Noël Jeanneney : La Macédoine a tout de même échappé à la guerre civile.
Pascal Ory : Elle a adopté un nouveau drapeau.
Jean-Noël Jeanneney : Comment est-ce que l’histoire s’est terminée justement ?
Pascal Ory : Par l’adoption d’un nouveau drapeau qui reprend le soleil, Vergina, mais qui n’est pas le soleil de Philippe de Macédoine, donc on est arrivé à une sorte de compromis mais ce n’est pas anecdotique, je le répète. Ça nous dit beaucoup de choses sur…
Jean-Noël Jeanneney : Rien n’est anecdotique dans cette histoire de drapeaux, ça vous nous l’avez vraiment démontré !
Pascal Ory : Ça nous dit beaucoup de choses sur ce qu’est une identité collective, en l’occurrence qu’est-ce que l’identité grecque ? Qu’est-ce que l’identité, j’allais dire slave en face de l’identité grecque ? C’est ça l’enjeu.
Jean-Noël Jeanneney : Dès lors qu’on a beaucoup parlé d’identité nationale au cours de la dernière campagne présidentielle, puisque c’était le point de départ de notre conversation, Pascal Ory, on doit finalement ne pas s’étonner que le drapeau ait eu sa place ?
Pascal Ory : Tout à fait, qu’il s’agisse des vieilles nations, des vieux États-nations ou des jeunes, aujourd’hui un jeune État-nation, qui essaye de se constituer sous nos yeux depuis quelques années, dans la souffrance mais avec finalement une certaine réussite, qu’est l’Afrique du Sud, nous explique tout. Renvoyez maintenant nos auditeurs à leur dictionnaire et encyclopédie, vous regardez le drapeau de l’actuelle Afrique du Sud, vous le comparez à l’ancien drapeau de l’époque de l’Apartheid et vous comprenez tout du destin de ce pays.
Jean-Noël Jeanneney : Quel est le nouveau drapeau pour ceux qui n’ont pas de dictionnaire à portée de main ?
Pascal Ory : C’est un drapeau très complexe, qui fait pénétrer la flèche des couleurs du parti du Congrès national africain, qui est au pouvoir, dans les anciennes couleurs où figurer l’orange bien sûr, l’orange des Pays-Bas de l’Afrique du Sud blanche.
Jean-Noël Jeanneney : De de Klerk à Mandela.
Pascal Ory : Voilà, vous avez la conciliation mais sous la forme d’une sorte de pénétration en force des couleurs de l’ANC entre deux morceaux de couleurs de l’ancienne Afrique du Sud. Ça dit tout de l’histoire de ce pays.
Jean-Noël Jeanneney : Merci Beaucoup, Pascal Ory. Vous avez publié deux études précieuses sur ces questions : l’entrée drapeau dans le dictionnaire, qu’a dirigé Laurent Gervereau, qui s’appelle Dictionnaire mondial des images, paru au Nouveau Monde, l’année dernière en 2006 ; et puis dansLa République en représentations, qui est volume d’hommages à l’œuvre Maurice Agulhon, - voilà vraiment un historien qui a été un des premiers à ouvrir ce champ passionnant des emblèmes, puisque c’est le grand spécialiste en particulier de Marianne - dans ces études réunies pour lui,publiées aux éditions de la Sorbonne en 2006, vous avez donné un article intitulé : « Y a t il des familles de drapeaux ? Introduction à la vexillologie comparée ». J’ai également fait référence à l’article que Raoul Girardet a donné à Pierre Nora dans Les lieux de mémoire, ça s’appelle Les trois couleurs, dans le volume La République, paru chez Gallimard, en 1984, et qui depuis a été repris en livre de Poche ou de demie Poche. Je revoie également aux travaux de Michel Pastoureau que vous avez plusieurs fois cité et qui est devenu un grand maître de l’histoire des couleurs en particulier, de l’emblématique en général.
Documents signalés sur le site de l’émission
– Dictionnaire mondial des images, Laurent Gervereau (sous la direction de), Ed. Nouveau Monde éditions.
– La République en représentations : autour de l’oeuvre de Maurice Agulhon, Maurice Agulhon ; Annette Becker ; Evelyne Cohen (Dir.), Ed. Presses de la Sorbonne, 2006
– Les lieux de mémoire, tome 1 : La République, Sous la direction de Pierre Nora, Ed. Gallimard, 1984