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D’autres regards sur l’actualité, avec Christophe Dejours.

Transcription, par Maryse Legrand psychologue clinicienne, d’un entretien, le vendredi 2 octobre 2009, d’Antoine Mercier avec Christophe Dejours.

Je m’en suis tenue à la forme orale des propos et au mot à mot. J’ai laissé des points d’interrogation entre parenthèses ( ?) lorsque je n’ai pas bien saisi un mot ou une expression. Pour toute remarque, commentaire, complément ou correction à apporter à cet écrit, merci de me contacter maryselegrand[ate]orange[point]fr Maryse Legrand

Voire aussi d’autres contributions, notamment des contres-rendus de lecture, de Maryse Legrand sur le site de l’Institut ESPERE® International

Page Forum / Dossiers / Invités d’Antoine Mercier : Dans le prolongement de notre série « D’autres regards sur la crise », nous continuons cette année à solliciter des intellectuels de tous horizons pour nous aider à cerner les dimensions de l’actualité.

Chaque vendredi, dans la seconde partie du journal de 12h30, Antoine Mercier reçoit une personnalité à qui il demande d’exposer sa perception des événements en cours.

Et comme lors de notre série première, « D’autres regards sur l’actualité » est prolongée par un entretien exclusif d’une vingtaine de minutes pour notre site et par ce forum. Vous êtes donc aussi invités à apporter vos contributions au débat et à échanger entre vous. Antoine Mercier en sera le modérateur.

Édito d’Antoine Mercier : « Les journalistes ont vocation à dire la réalité du monde présent. Ils s’efforcent de rapporter « les faits ». L’idée de cette rubrique est de considérer les points de vue comme des faits à part entière. Ne sont-ils pas aussi constitutifs d’une forme de réalité ?

Or, si l’on s’attache à la perception que l’on se fait du monde, le point de vue de chacun reste unique.

C’est au cœur de cette unicité que nous voulons enquêter en confrontant chaque semaine la subjectivité d’un invité à la supposée objectivité du monde.

Avec deux temps dans ce rendez-vous :

 d’abord dans le journal de 12h30 du vendredi

 puis, ici, en exclusivité, dans un entretien d’une vingtaine de minutes. »

Invité d’octobre 2009 : Professeur titulaire de la chaire de psychanalyse santé travail au CNAM, Christophe Dejours, coauteur de « Suicide et travail : Que faire ? », chez PUF (02/10).
Consultez aussi le récent Magazine de la rédaction intitulé « Mourir au travail, réalisé par Olivier Danrev

Antoine Mercier : 12 h 42, D’autres regards sur l’actualité, on est en compagnie de Christophe Dejours, psychiatre, psychanalyste, auteur, aux Presses Universitaires de France, d’un livre intitulé « Suicides et travail : que faire ? » On a déjà beaucoup parlé de cette question de la souffrance au travail à l’occasion de la vague de suicides à France Télécom, entendu des témoignages sur cette souffrance, on a aussi entendu des spécialistes, des psychologues, des sociologues, je voudrais qu’on revienne avec vous, si vous le voulez bien, aujourd’hui, sur ce qui est au principe de ces méthodes de management qui ont été mises en place et qui sont aujourd’hui mises en cause. Comment ont-elles été élaborées ? Et est-ce qu’elles ne présentent pas, au bout du compte, les caractéristiques d’une forme d’idéologie contemporaine ? Christophe Dejours, peut-être qu’on peut commencer par dire concrètement, et intellectuellement aussi, comment ces méthodes sont apparues disons dans les années 80 ?

Christophe Dejours : Oui, je pense qu’effectivement c’est à peu près à cette époque que s’est fait le revirement autour de ce qu’on pourrait appeler le tournant gestionnaire. C’est-à-dire qu’on a découvert qu’on pouvait faire des économies substantielles sur les stocks, par exemple, en gérant mieux les stocks ou en les diminuant, en rapprochant le client et la commande de l’effectuation du travail ou de la production. Et, peu à peu s’est imposée l’idée que c’était la gestion, la bonne gestion des choses et des hommes, qui rapportaient de l’argent et que c’était ça la source des richesses.

Antoine Mercier : Et les hommes sont devenus des choses alors, finalement ?

Christophe Dejours : Absolument, et on gère les hommes effectivement un peu comme des choses - c’est vrai tendanciellement - avec cet inconvénient que tout ça s’est joué au détriment quand même de l’analyse du travail, et de tout ce qui faisait référence à comment on fait pour atteindre les objectifs de travail. Donc, le tournant gestionnaire, c’est un déplacement quand même de la focalisation de ce sur quoi porte le travail à ce point qu’aujourd’hui beaucoup de gens croient encore que c’est la fin du travail qui se profile, ce qui est absolument impossible. Si on analyse le travail on se rend compte qu’on ne pourra jamais se passer du travail vivant c’est-à-dire voilà y a un certain nombre de conditions qui font que le travail ne se présente jamais comme il est prévu et que donc on ne peut pas s’en tirer uniquement avec la gestion. Le deuxième volet, c’est que cette gestion elle est conçue fondamentalement comme une gestion individualisée, et ça, ça a des inconvénients considérables…

Antoine Mercier : Entretiens individuels, objectifs personnels…

Christophe Dejours : Voilà, entretiens individuels, évaluation individualisée des performances… Et cette focalisation sur les individus, sur la base de la compétition, de la rivalité, de l’émulation ou de la saine émulation entre les êtres, se fait quand même beaucoup au détriment de la coopération et donc de la question du travail collectif. Résultat des courses, aujourd’hui le collectif et le travail se portent mal, la coopération s’est déstructurée et beaucoup d’autres choses qui vont avec…

Antoine Mercier : Alors…

Christophe Dejours : Et donc ce tournant gestionnaire a des incidences très importantes sur la santé des gens.

Antoine Mercier : Ma question maintenant, à partir de là, puisque les dirigeants qui mettent en place ces méthodes affirment ne s’intéresser qu’aux résultats or, il est bien évident et on le voit peut-être aujourd’hui qu’à partir d’un certain moment il y a des effets contreproductifs de ces méthodes mais ces effets ne semblent pas être pris en compte et on continue de défendre l’idée de ce management, enfin il n’est pas remis en cause essentiellement. Est-ce qu’il n’y a pas là quelque chose comme une idéologie qui est mise en place sous couvert d’une rationalité absolue ?

Christophe Dejours : Oui, je pense que je peux aller que dans votre sens. Voilà je pense…

Antoine Mercier : C’est une question bien évidemment un peu orientée, on l’a compris.

[ Rires ]

Christophe Dejours : Oui, très orientée, mais, si vous voulez, si j’essaie de la ramasser conceptuellement, ça risque d’être un peu abstrait, c’est : à chaque fois qu’on est dans la gestion et donc dans la mesure, ou le mesurage des résultats d’une production, on passe à côté du chemin qu’il faut parcourir pour atteindre cette production. Or, ce chemin est très important parce que c’est à travers la démarche elle-même que les gens peuvent rendre compte du réel, c’est-à-dire, le réel c’est ce qui se fait connaître à celui qui travaille par sa résistance à la maîtrise.

Antoine Mercier : Est-ce que vous pouvez donner un exemple de ce processus ?

Christophe Dejours : Oui ce qui se produit dans toute situation de travail, de travail ordinaire, c’est que on a prévu une certaine organisation, ce qu’on appelle la conception ou éventuellement l’organisation et les méthodes, on prévoit un chemin du travail, puis quand on est sur le terrain du travail et qu’on est en train de l’appliquer on se rend compte que ça ne se présente jamais exactement comme prévu, y a toujours des incidents, des pannes, y a des gens qui sont absents, le client qui répond pas comme on avait prévu qu’il répondrait, vous prenez une machine, même votre computer, eh ben il tombe en panne, y a des bugs et donc vous êtes en fait constamment obligés de réorganiser votre travail et souvent vous vous trouvez devant des pannes ou devant des incidents dont vous ne connaissez pas la solution. Mais c’est très important cette notion que c’est parce que précisément y a toujours des incidents, des anomalies, que en quelque sorte, même quand on possède un très bon savoir-faire, et qu’on est un bon technicien, quelque chose échappe, ce qui… le travail c’est fond…[ il ne termine pas ] alors ça c’est le réel, ce qu’on appelle le réel. Alors, l’idéologie c’est fondamentalement quelque chose qui est construit justement dans le déni du réel. Et c’est vrai que quand on fait de la gestion, on ne s’occupe que du résultat, on s’occupe pas du réel de la production en tant que tel et de ce qu’il faut mettre de soi-même - ce que les gens mettent individuellement mais aussi collectivement d’eux-mêmes - pour faire face à ces incidents, ces accidents, ce par quoi, sans quoi d’ailleurs aucune production ne marcherait. Si les gens exécutaient strictement les ordres, vous allez le comprendre, c’est une façon plus facile, à l’envers, de le prendre, quand les gens exécutent strictement les ordres, si les gens sont trop disciplinés, s’ils sont très obéissants, ben ça s’appelle la grève du zèle et donc tout tombe en panne.

Antoine Mercier : Pourquoi ? Pourquoi ?

Christophe Dejours : Les gens, à ce moment-là, font exactement ce qui est prescrit et comme…

Antoine Mercier : Ce qui est prescrit …

Christophe Dejours : Comme ce qui est prescrit n’a pas prévu les imprévus, eh bien voilà cela ne marche pas. Donc, il ne faut pas seulement exécuter les ordres, il faut les interpréter, (?) ça veut dire qu’on fait des excursus, qu’on fait… On sort des procédures et on triche mais pour bien faire. Et dans tous les métiers, je peux vous montrer que les gens trichent. Ceux qui sont habiles sont des gens qui trichent, mais il faut prendre le mot tricherie dans son acception un peu subtile c’est-à-dire celle du langage ouvrier comme on triche une cote ou on triche un ourlet, c’est une manière de rattraper les choses en sortant finalement de la prescription ou de la procédure mais justement pour atteindre le résultat.

Antoine Mercier : Pour globaliser, en quelques secondes qui nous restent, vous parlez de déni du réel, ça c’est peut-être un diagnostic qu’on peut porter plus généralement, au-delà du monde du travail, sur notre société qui en partie a partie liée avec cette fameuse crise dont on parle ?

Christophe Dejours : Oui, je crois que ce déni du réel se traduit, en tout cas, c’est le grand problème de ces nouvelles formes de gestion, c’est que dans la gestion individuelle et dans l’évaluation individuelle des performances on est en train de déstructurer le tissu humain, le vivre ensemble… Les gens, c’est chacun pour soi, et puis tout le monde est monté les uns contre les autres et à la fin la prévenance, la camaraderie, le fait d’être attentif à ce qui arrive à l’autre et de lui porter secours, les solidarités elles-mêmes fondent. Alors ce que l’on apprend là, dans le travail, qui est finalement le pire, c’est-à-dire à jouer chacun pour soi et éventuellement contre les autres, évidemment ça se transmet dans toute la société. Quand on apprend le chacun pour soi et à ne pas porter secours à celui qui s’enfonce, eh bien évidemment quand on sort dans la rue après, on recommence ce même comportement, c’est-à-dire que c’est chacun pour soi et les gens apprennent finalement dans le travail…(?) alors qu’on peut apprendre, on peut apprendre le pire, alors qu’on peut apprendre le meilleur, vous pouvez apprendre au contraire la solidarité et l’entraide, la prévenance etc.

Antoine Mercier : Merci beaucoup. Stress au travail, il faut respecter les horaires. Merci Christophe Dejours d’avoir accepté notre invitation.

Antoine Mercier : « D’autres regards sur l’actualité », on prolonge la conversation qu’on a eue tout à l’heure sur l’antenne dans le journal de midi et demie du vendredi 2 octobre. Conversation avec Christophe Dejours, psychanalyste, psychiatre, qui vient de publier un livre qui s’intitule « Suicide et travail : que faire ? » aux éditions PUF, évidemment un livre qui est en plein dans l’actualité. Vous n’imaginiez pas, Monsieur Dejours, que vous vous retrouveriez comme ça subitement cette année à devoir répondre à toutes les sollicitations, à toutes les interrogations. Vous êtes longtemps resté, un petit peu, j’allais dire, discret dans les médias et aujourd’hui vous intervenez très souvent, ça doit faire une drôle d’impression, pour commencer, cette question ?

Christophe Dejours : Oui c’est vrai que ce travail est commencé depuis pas mal d’années. Ce n’est pas tout à fait la première fois qu’on en parle dans la presse et…

Antoine Mercier : Y a eu Renault aussi ?

Christophe Dejours : Oui voilà, c’était en 2007 que les média ont véritablement pris au sérieux cette question des suicides au travail. Cela faisait déjà plusieurs années que de nombreux éditeurs voulaient qu’un livre soit écrit là-dessus, mais on manquait d’un matériel suffisamment probant pour pouvoir montrer, je dirais, aux lecteurs que c’est possible de faire quelque chose après un suicide, ou une série de suicides, sur les lieux de travail, qu’il y a pas de fatalité dans ces suicides. D’autre part, une fois qu’un suicide a eu lieu la situation ne reste pas en l’état, ça aggrave la situation des gens qui restent, parce que ce suicide plombe l’atmosphère, surtout si on ne fait rien. Les suites qui sont données à un suicide ont des incidences majeures sur, on pourrait dire, l’état psychique et l’état, - pour parler en termes plus généraux, plus du sens commun -, le moral des gens qui restent. Nous avons à nous occuper de cela parce que sinon il arrive ce qu’on voit maintenant assez fréquemment donc, France Télécom en étant sans doute un exemple : après un suicide, il y a un autre qui suit parce que l’état des autres se dégrade, il y a un effet cumulatif qui est désespérant, parce que c’est vrai qu’un suicide s’il n’est pas suivi d’effets, ça veut dire que le suicide fait partie du travail à partir de maintenant, en quelque sorte le suicide fait partie des risques du travail, comme un risque de maladie professionnelle, un risque d’accident du travail, comme tous les risques inhérents au travail.

Antoine Mercier : C’est un peu le discours de la direction de France Télécom, quand ils disent : « Ce sont des gens fragiles, bon ça arrive qu’on soit déprimé », en gros…

Christophe Dejours : Oui, oui, c’est certainement une…

Antoine Mercier : C’est ce déni qui est fait sur le caractère spécifique, or ce phénomène de suicide au travail, vous l’avez, vous, étudié depuis longtemps, vous le voyez apparaître quand d’une manière manifeste ?

Christophe Dejours : Douze ans.

Antoine Mercier : Depuis douze ans.

Christophe Dejours : Douze ans. Ça n’existait pas avant.

Antoine Mercier : C’est précis comme chiffre.

Christophe Dejours : Oui, c’est très précis puisque les premières fois où j’ai été alerté de l’apparition de suicides sur les lieux de travail, c’était en 97-98, 1997-1998, c’était vraiment quelque chose de tout à fait nouveau. Les premiers suicides je ne me suis pas rendu compte que c’était un phénomène aussi nouveau, puis quand il a commencé à y en avoir plus, je me suis rendu compte qu’en réalité il n’y avait pas de suicides sur les lieux de travail avant cette date.

Antoine Mercier : C’est ça qui est extraordinaire.

Christophe Dejours : C’est un saut qualitatif.

Antoine Mercier : Il faut quand même le dire parce que on dit « bon y a les suicides » mais par rapport à avant il n’y en a… vous, vous dites, il n’y avait pas de suicide sur les lieux de travail.

Christophe Dejours : Sur les lieux de travail. Il y avait des suicides et peut-être qu’il y avait, probablement, aussi des suicides dans lesquels le travail jouait probablement un rôle mais le fait est que les gens ne se suicidaient pas sur le lieu de travail. Quand les gens ont commencé à venir se suicider jusque sur les lieux de travail, se pendre sur les lieux de travail, ou sortir un fusil, comme l’ouvrier de Volkswagen, en Belgique, qui a sorti son fusil sur son lieu de travail devant ses collègues et qui se tue, ou une cadre infirmière, surveillante à l’Assistance publique, qui sort un pistolet et qui se tue devant son équipe, on voit qu’il y a quelque chose de nouveau et qu’en plus c’est adressé à l’entreprise, et éventuellement adressé aux collègues. Il y a quelque chose qui est de l’ordre du message dans le suicide, c’est en tout cas une nouvelle façon d’exprimer les choses, une nouvelle façon de tirer l’alarme. Et c’est vrai que là nous sommes maintenant, nous, très embarrassés avec ces messages qui n’arrêtent pas de se reproduire les uns derrière les autres et dont une part reste encore énigmatique, voilà. C’est certainement maintenant un saut qualitatif, oui.

Antoine Mercier : Phénomène nouveau et qui explose aujourd’hui, en tout cas qui est visible par toute la société et qui remet en cause beaucoup de choses. Vous parliez de 97, vous datez par ailleurs l’arrivée des nouvelles méthodes de management qui pourraient être à l’origine de ces suicides au travail, disons, du milieu des années 80, donc ça ferait une dizaine d’années avant que les symptômes se manifestent, donc si on veut bien suivre ce raisonnement et revenir à l’origine éventuelle, - encore une fois, c’est difficile de faire des jugements définitifs -, comment se met en place cette idéologie, ce que j’appelle, moi, une idéologie du management ? Quelles sont les grandes lignes, peut-être qu’on peut pour être concret prendre par exemple France Télécom puisque c’est ce qui nous a occupé ces derniers temps. Qu’est-ce qu’il y a dans ces principes de management à France Télécom ? L’essentiel ? Qu’est-ce qu’on dit ? Comment c’est fait ?

Christophe Dejours : L’essentiel, c’est évidemment que toute la focalisation de l’attention du management c’est le résultat de la production, c’est-à-dire la performance, le nombre de contrats qui sont passés, donc en nombre mais ça peut être également le chiffre d’affaires et vous avez donc ce qu’on appelle le contrat d’objectifs. Mais le contrat d’objectifs accroît effectivement la pression sur les employés, les salariés, en exigeant d’eux surtout.. on leur fait signer le contrat d’objectifs, on leur fait m… [ il ne termine pas ] on compare les objectifs avec d’autres qui sont encore meilleurs à côté et on leur dit : « Le coup d’après il va falloir monter vos objectifs pour vous aligner sur celui d’à côté ». Si vous voulez, l’opération, la transformation très importante, c’est que le rapport hiérarchique ne porte plus que sur le résultat alors que précédemment c‘était pas comme ça. Le supérieur hiérarchique avait une responsabilité aussi, il prenait une part sur le comment on fait pour obtenir le travail, c’est-à-dire qu’il y avait quand même une idée qu’un manager, c’était pas seulement quelqu’un qui donnait des ordres et qui faisait signer des objectifs, il se préoccupait du travail à proprement parler, il devait apporter son assistance à celui qui travaille, ses conseils mais pour donner des conseils judicieux à son subordonné il faut connaître le travail, donc il y avait un problème de compétences professionnelles du manager et en particulier donc une connaissance du métier qui était très importante et qui fondait l’autorité…

Antoine Mercier : Qui justifiait, justifiait effectivement…

Christophe Dejours : Qui fondait son autorité, ce n’est pas seulement une autorité liée au statut c’est une autorité qui était liée à sa compétence. Aujourd’hui on a fait exactement l’inverse…

Antoine Mercier : Les chefs sont incompétents c’est ça que vous dites ?

Christophe Dejours : Oui puisque on a même chassé volontairement - y compris à France Télécom, mais pas seulement à France Télécom, dans beaucoup d’entreprises, y compris dans des métiers très techniques -, on a chassé du management et des positions de responsabilité notamment en matière de gestion, les gens qui avaient la référence au métier parce que la référence au métier les obligeait, les amenaient à faire des objections justement aux objectifs qu’on leur proposait en disant : « Attendez, si vous m’obligez à tenir une quantité comme ça je vais être obligé de dégrader la qualité et moi je suis un homme de métier et une tâche de chaudronnerie par exemple dans une centrale nucléaire ça doit être fait de telle façon et si c’est pas fait vous engagez la sûreté des installations, la sécurité des personnes etc. » Alors on a décidé qu’on allait se débarrasser de ces gens qui opposent la culture de métier à la culture de gestion et on les a remplacés par des Bac + 2 c’est-à-dire des gens qui sortent des écoles de commerce ou qui sortent des BTS etc. qui ne connaissent pas les métiers mais qui connaissent la gestion et qui, du coup, sont des gens très obéissants vis-à-vis de la direction ou des orientations qui sont données par le management, disons par le comité de direction de l’entreprise et qui obéissent et qui… et qui ne se préoccupent donc que du résultat. Alors, évidemment les objections sur la qualité ont conduit les gestionnaires à des conflits assez durs, y a eu… ça, ce n’est pas fait du jour au lendemain, ce passage, ce tournant gestionnaire, des sciences du travail ou de la référence au travail vers les sciences de la gestion et la référence à la pure gestion. Il y a eu des batailles très dures, une des manières de lutter contre ça, menée par les gestionnaires, ça a été l’usage de la sous-traitance c’est-à-dire « puisque vous nous opposez au fond, à nos objectifs, des règles de métier eh bien on va passer sous la sous-traitance et nous l’entreprise-mère nous allons… »

Antoine Mercier : Externalisation

Christophe Dejours : Externalisation et sous-traitance. Cela c’est fait avec des conflits qui quelquefois ont été très difficiles et très durs. Alors, maintenant cette opp… [ il ne termine pas ] ce conflit, qui porte sur la qualité du travail, est très important. Si le travail a une telle importance devant le fonctionnement psychique de chacun d’entre nous dans notre santé mentale, c’est toujours associé à la question de la qualité. Ce qui fait qu’un travail peut être malgré la souffrance qu’il engendre, être l’occasion de transformer cette souffrance en plaisir et en accomplissement de soi, c’est précisément parce que nous sommes dans une situation favorable où on peut faire et produire un travail de qualité qui est conforme aux règles de l’art et qui respecte un certain nombre de principes qui réfèrent à l’éthique professionnelle, laquelle est aussi une éthique qui rapporte à des valeurs malgré tout. Alors…

Antoine Mercier : Et est-ce que c’est cela un bon travail et qui peut aussi, être finalement, productif, répondre à des critères de rentabilité ?

Christophe Dejours : Assurément. Assurément.

Antoine Mercier : C’est là où l’on s’interroge parce qu’on a l’impression qu’on a deux perspectives …

Christophe Dejours : Assurément.

Antoine Mercier : … dans ce que vous dites et on ne s’intéresse pas… si, on s’intéresse au résultat d’un côté, mais est-ce qu’on voit les résultats de ce travail bien fait ? Comment ça se passe quand les choses se passent normalement comme vous le dites avec des gens de métier qui… Est-ce qu’on n’a pas de meilleurs résultats, même relativement aux objectifs fixés par l’autre alternative, l’autre proposition ?

Christophe Dejours : Je crois que là il ne faut pas aller trop vite parce qu’il y a plusieurs étapes. La première étape c’est que quand on individualise, parce que donc on individualise le travail, on individualise les objectifs, dans un premier temps…

Antoine Mercier : Ça, c’est très important effectivement, il faut le souligner c’est le deuxième point : décrochement du travail et individualisation…

Christophe Dejours : Individualisation des objectifs et individualisation de l’évaluation elle-même, qui est en fait une mesure, on mesure le travail produit. Bien ! Alors, cette individualisation, dans un premier temps, elle met effectivement les gens en concurrence les uns avec les autres, c’est vrai que ça a des effets contraires, des effets désastreux sur le vivre ensemble dans le travail parce que finalement les gens se montent tous les uns contre les autres, surtout si vous associez à l’objectif et à l’évaluation un risque de sanction sur l’emploi ou sur la place dans l’entreprise ou sur la carrière etc. Bien ! Alors, cette individualisation du travail, dans un premier temps, apporte un surcroît de productivité et dans un premier temps c’est vrai qu’on a enregistré une augmentation de la productivité, une augmentation de la rentabilité considérable. Ce qui a été gagné d’un côté a permis de récupérer de l’autre en terme de dégraissage d’effectifs, vous connaissez cette expression atroce, dégraissage des effectifs, c’est-à-dire, on enlève ( ?) on fait des économies sur la main d’œuvre…

Antoine Mercier : Juste une parenthèse. On a dit, par exemple, à France Télécom que tout cela c’était aussi fait pour faire partir les gens.

Christophe Dejours : Absolument.

Antoine Mercier : Ça c’est vrai, vous confirmez.

Christophe Dejours : D’une part il y a un objectif de réduction du personnel – ils ont quand même réduit de beaucoup, de 20 à 22 000 emplois sur 120 000 en deux ans – ce n’est pas un détail. Cela veut dire que pour ceux qui restent, évidemment la charge de travail s’accroît considérablement. Et vous savez que quand on vous accroît votre charge de travail de 10%, cela ne veut pas dire que le travail sera simplement 10% plus difficile, si je vous mets quelquefois une chose de plus, vous rendez tout difficile. Par exemple, vous voyez cinq cinq malades mentaux dans l’après-midi, si je vous en rajoute un entre deux et que vous en avez un sixième, c’est tout votre travail qui est désorganisé parce que il faut réduire le temps avec chacun, du coup vous prenez plus de risques, vous n’avez pas le temps de les écouter jusqu’au bout, enfin, une goutte d’eau peut vraiment changer la nature du travail. C’est cela dont on ne se rend pas compte, c’est que ces histoires d’objectifs obligent les gens à des efforts personnels énormes. Et comme on ne fixe que l’objectif et qu’on s’occupe pas de la façon, c’est-à-dire des moyens alloués pour obtenir ces résultats, les gens doivent se débrouiller tout seuls et en réalité ils souffrent beaucoup, l’accroissement de la souffrance n’est pas du tout proportionnel à l’augmentation des objectifs.

Antoine Mercier : Et avec l’individualisation on déséthise - si je puis employer cette expression -, l’action du travail qui n’a plus aucun, aucun sens si ce n’est…

Christophe Dejours : Oui, c’est-à-dire que vous avez le risque effectivement que pour obtenir la quantité, pour obtenir l’objectif…

Antoine Mercier : on est prêt…

Christophe Dejours : Les gens font des sacrifices sur les règles, par exemple sur les contrats d’obj… [ il ne termine pas ]. Il faut obtenir des contrats, il faut… c’est-à-dire faire signer des contrats à des interlocuteurs en général par téléphone, par exemple pour les calls centers, chez France Télécom. Il faut arracher le contrat. Donc, il faut manipuler indiscutablement le client. Vous savez bien que le gars est surendetté, celui que vous avez en ligne, mais il faut faire du chiffre. Vous, du point de vue de la qualité de votre travail, vous qui venez du service public, vous savez très bien que ce n’est pas conforme aux règles que d’essayer de vendre quelque chose à quelqu’un dont on sait très bien qu’il va pas pouvoir le payer, on va le mettre dans une situation impossible et en plus, à terme, l’entreprise aussi, va avoir des problèmes, mais enfin comme il y a des assurances on passe par dessus et on prend quelqu’un de surendetté, on ment sur la qualité du contrat, c’est-à-dire qu’on lui annonce le prix du contrat sur les deux premiers mois sans lui indiquer que dans deux mois le machin va doubler, mais ça, du point de vue psychique, du point de vue moral pour celui qui fait ce boulot-là, cela détériore son rapport à soi-même quand même à la fin des fins. On se trahit soi-même en faisant exactement le contraire de ce qu’on pense être juste or, on n’est pas seulement là pour vendre, on est là pour vendre un service et quand même il y a des gens. On engage de fait, quand on est dans une relation de service, le devenir de l’autre, on est dans un registre qui n’est pas seulement le travail et la production, on est dans un registre qui relève de l’action au sens noble du terme, de la praxis au sens aristotélicien c’est-à-dire ce par quoi mon propre comportement engage le devenir de l’autre. Alors, les gens qui travaillent sont très sensibles à cela parce que c’est cela le sens du travail, c’est cela la dégradation du travail donc effectivement, les gens finalement, c’est pas seulement le travail qui se dégrade, c’est leur rapport à soi-même qui se dégrade.

Antoine Mercier : Et là on est peut-être au cœur du phénomène des suicides puisque ce rapport à l’autre, dégradé, disons amoralisé ou dé-moralisé se retrouve être dans un retour, dans une constitution du sujet de soi-même également dégradé, au point que on en arrive à disparaître, à vouloir disparaître.

Christophe Dejours : Je suis d’accord avec vous. Je pense qu’il faut maintenant essayer de rattraper. Une des questions que vous aviez soulevées avant, c’est que la sommation au niveau collectif pour une entreprise, c’est qu’on vise la quantité et on dégrade la qualité, ou on la laisse se dégrader, en tout cas il faut le cacher. Le bon opérateur ou le bon technicien, c’est celui qui arrive à cacher tout ce qu’il n’a pas fait correctement, il ne faut pas qu’il s’en plaigne non plus, il ne faut pas le montrer. Le résultat, c’est que depuis qu’on a introduit l’évaluation individualisée des performances - les hôpitaux, par exemple, ça marche moins bien qu’avant - dans de nombreux secteurs de l’activité, cela se dégrade en réalité.

Antoine Mercier : Ça se dégrade…

Christophe Dejours : Pourquoi ? Ça se dégrade parce que le travail collectif, le travail, ce n’est pas seulement un rapport individuel à une tâche, c’est aussi le fait qu’il faut travailler ensemble pour produire, il y a plein de tâches, d’ailleurs, à mon avis, c’est le fait de toute entreprise, c’est pas une somme de travaux ou de tâches individuelles, c’est fondamentalement le fait de travailler ensemble et c’est la force si vous voulez du collectif qui permet que les regards des uns et des autres se croisent, c’est comme ça qu’on obtient la qualité. Quand vous conduisez une centrale nucléaire, le fait d’être à plusieurs personnes c’est pas seulement une addition de tâches, le fait d’être à plusieurs fait qu’il y en a un comme ça, qui tout d’un coup voit quelque chose d’anormal et le signale à l’autre, et c’est évidemment pas prescrit mais c’est ça le génie de la coopération. Dans une équipe infirmière c’est pareil, si vous voulez, vous voyez que quelque chose ne va pas, vous prévenez l’autre, vous lui demain [ il ne termine pas ] vous l’alertez bon.. il y a tout ce travail de la coopération, il existe, il ne donne véritablement son efficacité que quand existe entre les gens en même temps que la coopération, un certain type de relation, ce sont des relations de convivialité, des relations dans lesquelles les gens se parlent, s’écoutent etc.

Antoine Mercier : Question politique. On est devant la crise de ce système dont on vient de parler, apparaissent ou réapparaissent la manière dont on pourrait faire pour que finalement, au bout du compte, et pour tout le monde, cela soit mieux. Est-ce que vous avez le sentiment que cette conscience, cette prise de conscience du problème et la possibilité qu’on a maintenant de l’analyser va permettre de changer et d’influer sur la situation, ou pas, parce que - c’est ça qui semble très grave - c’est qu’on a l’impression parfois on voit et ça continue ?

Christophe Dejours : Je vais vous étonner probablement, je pense qu’il n’y a pas de fatalité dans l’évolution telle qu’elle se présente aujourd’hui du monde du travail. Ce n’est pas le système uniquement, bien sûr, les gens s’abritent derrière la guerre économique et la mondialisation mais en fait je pense qu’on peut montrer, à partir de l’analyse directe, précise du travail, que ce n’est pas vrai. Le système marche pour un certain nombre de raisons et parce que les gens y apportent des contributions non négligeables, sinon il ne marcherait pas tout seul. Et donc c’est assez intéressant parce que on peut éventuellement faire autrement et moi je pense que dans la période actuelle, la phase dans laquelle nous sommes aujourd’hui et pour moi, pas pour vous mais pour moi, il y a un changement très important, c’est par exemple les journalistes, les gens de radio, les gens de télévision mais aussi les gens qui font de la presse écrite, c’est clair aujourd’hui qu’ils ont compris qu’il y a un vrai problème, donc le débat commence à pénétrer dans l’espace public. Pour vous c’est rien, pour moi c’est un changement qualitatif fondamental.

Antoine Mercier : J’imagine que…

Christophe Dejours : Moi, il y a douze ans, je parlais de ça. J’étais affolé. J’avais sorti un livre qui s’appelait  Souffrance en France ». Je disais quand même qu’il y a vraiment là des questions et qu’il y avait déjà une histoire de suicide qui était racontée dans ce livre et personne ne relayait cela, ça reste lettre morte. La phase actuelle c’est une phase de sensibilisation de l’espace public et je pense que là, les journalistes sont un secours considérable dans un moment où précisément la déstructuration des solidarités sous l’effet de l’évaluation individuelle des performances a même déstructuré aussi les syndicats. Donc dans un état de faiblesse syndicale très importante, c’est-à-dire de difficulté de contre-pouvoir à l’intérieur de l’entreprise, la place qui revient aux médias devient très importante et décisive, moi je pense qu’on est en train de passer là une étape. Honnêtement j’ai rencontré beaucoup de journalistes là, ces jours-ci et je vois qu’eux, ils ont compris quelque chose, y compris à partir de leur propre expérience, de la transformation du travail dans leur propre organisation, dans leur propre journal ou dans leur propre institution. C’est donc une étape. C’est une étape seulement, parce après il faut revenir maintenant à la question du travail et savoir comment on peut réorganiser le travail de façon à conjurer les risques de cette solitude puisque en gros, le grand problème c’est la solitude, la solitude qui est…

Antoine Mercier : Qui est née de l’individualisation

Christophe Dejours : Oui de l’individualisation, par ces nouvelles méthodes d’organisation du travail. Là, je crois qu’il se trouve que j’ai la possibilité, moi, de faire des sortes d’expérimentations à la demande de certaines entreprises qui ont quand même compris…

Antoine Mercier : Ah maintenant on va vous consulter pour… ?

Christophe Dejours : Oui, bien sûr, et ça commence. Je reconnais que ce sont des choses presque…

Antoine Mercier : Faites attention parce que vous allez être pris dans le système…

Christophe Dejours : Mais je ne demande que ça. Par contre, simplement il faut que la demande soit claire et elle l’est dans un certain nombre d’entreprises. Moi, j’ai été appelé beaucoup par les entreprises mais plutôt pour faire des choses que je ne veux pas faire, ou que je pense être irrationnelles par rapport au problème posé, c’est-à-dire de la gestion individuelle du stress : apprendre à respirer, prendre des médicaments, tous les traitements qui sont peut-être intéressants pour des gens malades mais qui ne sont pas de la prévention rationnelle dans la mesure où on ne touche pas l’organisation du travail, mais c’est possible de toucher l’organisation du travail. Quand vous avez une entreprise qui, elle-même, est arrivée au constat que l’évaluation individualisée ne marche pas bien et qu’elle a des effets redoutables, des effets contraires redoutables, en particulier sur la question du vivre ensemble, de la coopération et donc finalement de la compétitivité de l’entreprise, parce que dès que vous êtes dans une entreprise où l’on pense le travail non pas dans le court terme comme le pensent les actionnaires - évidemment on a un conseil d’administration qui se fiche éperdument de l’avenir - ce qu’il faut c’est spéculer le plus vite possible et ramasser l’argent. En revanche, quand vous avez pour préoccupation, notamment dans certaines entreprises engagées dans des travaux qui prennent du temps, où vous avez un chantier qui demande des années par exemple, ces entreprises-là sont très préoccupées de l’avenir à moyen terme, eh bien ces gens-là se rendent compte que le vivre ensemble, la coopération c’est la base même de la compétitivité de l’entreprise par rapport aux autres qui vont se casser parce que elles ne pourront pas s’appuyer sur ce patrimoine. Il faut bien comprendre que la coopération et les compétences collectives partagées, c’est un véritable patrimoine du point de vue de la qualité du travail et du point de vue de la rentabilité.

Antoine Mercier : Vous pensez que l’on va revenir à la raison, en tout cas à la réalité, et qu’on ne va pas continuer à s’enferrer dans cette croyance dans la performance ? Ça va se faire un peu spontanément ou il faudra un changement ?

Christophe Dejours : Non, non, non. Je crois qu’il y a effectivement quelque chose. Il y a comme un frémissement dans la période contemporaine, avec toute cette sensibilisation de l’espace public. C’est vrai que c’est une période qui, probablement, ouvre des possibilités qu’on n’avait pas jusqu’à présent. Une entreprise, deux entreprises c’est déjà quelque chose. Si on arrive à faire des innovations et des expérimentations sociales, ça ne suffira pas. Il faut qu’effectivement à un moment donné cela soit relayé par des politiques publiques. Le grand silence, abominable, des partis politiques, y compris les partis de gauche, sur la question des suicides au travail, sur la question du travail en tant que tel, est un frein terrible. Il faudra bien qu’à un moment donné cela soit relayé, parce que les politiques publiques sont très importantes pour nous. Il y a des incitations et éventuellement des politiques, aussi des lois de répression. Donc, c’est important aussi de mêler la justice à ça. Mais on a un pouvoir, alors cette fois-ci très grand, de multiplier les effets positifs du retour à la question du travail, de revenir sur l’analyse du travail en tant que tel. Si on ne le fait pas, de toute façon la dégradation de la qualité, elle, se voit dans beaucoup d’endroits. Je pourrais vous montrer, par exemple sur des choses très précises, comment la méconnaissance du travail, osons le dire c’est un déni du travail, aboutit au fait que par exemple les bilans d’entreprises sont faux, parce qu’ils sont fabriqués à partir de gens qui sont tous incités à mentir sur ce qui ne va pas puisque on ne doit pas parler pour avoir la qualité totale.

Antoine Mercier : C’est un peu l’Union Soviétique, on va dire. Finalement, ça ressemble.

Christophe Dejours : Oui, il n’y a une ressemblance. Je ne dirais pas que c’est l’Union Soviétique, vous me faites aller trop loin, mais enfin il y a des ressemblances, oui, sur le déni de réel, le déni du réel oui sûrement.

Antoine Mercier : On en reste là. Merci beaucoup, Christophe Dejours d’avoir accepté notre invitation.



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