Antoine Mercier : « D’autres regards sur la crise », nous prolongeons l’entretien avec Maurizio Lazzarato pour parler de cette crise. Sociologue italien, il est l’auteur d’un livre qui s’intitule « Le gouvernement des inégalités : Critique de l’insécurité néolibérale », publié aux éditions Amsterdam. Monsieur Lazzarato, peut-être pouvons-nous commencer par poser un premier regard sur cette crise à travers ce qui en est dit par exemple par les politiques ou les économistes, notre principe est précisément d’essayer de sortir de la compétence économiste pour voir peut-être un peu plus loin ou un peu plus large le discours sur la crise, quel est votre jugement et en quoi vous semble-t-il insuffisant ?
Maurizio Lazzarato : Le discours général, que l’on entend partout, fait par les experts, les économistes, les consultants, c’est qu’effectivement il y aurait d’un côté l’origine de la crise à chercher dans la finance, qui est le côté pervers de l’économie, tandis que de l’autre côté, il y aurait la partie saine, l’entreprise…
Antoine Mercier : L’économie réelle.
Maurizio Lazzarato : La séparation de l’économie financière et l’économie réelle, on ne pas la tenir. En même temps il faut mettre au centre de cette problématique l’État. Il y a un autre discours que l’on entend tout le temps en ce moment, c’est le retour spectaculaire de l’État. En réalité, l’État est là depuis le début. Le capitalisme est une articulation entre finance, entreprise et l’État, on ne peut pas les séparer.
Antoine Mercier : Vous remettez en cause, pour que cela soit bien clair, l’idée, peut-être reçue, que précisément le libéralisme c’est le retrait de l’État pour laisser vivre quelque chose d’autonome qui serait le marché. Or, selon vous, cet État reste présent y compris dans ce marché e tant qu’organisateur de cette liberté du marché. C’est cela que vous dites ?
Maurizio Lazzarato : Absolument.
Antoine Mercier : Donc, on ne peut pas lire la crise indépendamment de ces trois facteurs : économie financière, économie réelle et État.
Maurizio Lazzarato : Oui.
Antoine Mercier : Alors, qu’est-ce que cela nous apporte, cela, comme vision ? Ce n’est pas ce que l’on entend très souvent, cela change quoi, ce que vous dites-là, par rapport à la compréhension que l’on peut se faire de la crise ?
Maurizio Lazzarato : Je peux l’expliquer très clairement parce que l’origine e la crise n’est pas justement dans cette séparation entre économie réelle, économie financière. Si vous pensez par exemple à ces dernières trente dernières années, qu’est-ce qu’a demandé l’économie réelle ? Elle a demandé de bloquer les salaires d’une certaine façon et de réduire les services sociaux. Donc, d’une certaine façon, elle est allée dans un sens d’appauvrissement des salariés et des usagers. D’un autre côté, surtout aux États-Unis, on a pensé à combler ce déficit en enrichissant les gens à travers la finance. L’économie financière est une grande machine pour transformer les droits sociaux en crédits ou en dettes.
Antoine Mercier : Répétez cela, parce que je crois que c’est important, c’est central.
Maurizio Lazzarato : C’est une machine pour transformer les droits sociaux en crédits ou en dettes, comme vous voulez. Je donne un exemple. Aux États-Unis, où tout le monde est endetté, le problème est que vous ne devez pas demander une augmentation salariale mais un crédit à la consommation. Vos n’avez pas le droit à la retraite mais une assurance individuelle pour garantir votre retraite. Vous n’avez pas le droit à l’assurance maladie mais vous avez une assurance individuelle. C’est cela la logique, la transformation d’un droit en un crédit et en un crédit individuel.
Antoine Mercier : On va prolonger cela, bien sûr, mais quelle différence ce la fait d’avoir un salaire ou un crédit ? Fondamentalement cela veut dire que l’on doit quelque chose mais concrètement, dans la vie de tous les jours, finalement c’est de l’argent qui est disponible, qu’est-ce que cela change ?
Maurizio Lazzarato : Ça a des implications très importantes parce que c’est la transformation - il y a un projet politique derrière, moi je pense, très cohérent – de salariés ou d’usagers en capital humain, ce qu’ils appellent le capital humain C’est-à-dire qu’un individu, c’est un fragment du capital qui doit investir lui-même dans sa formation, sa santé, sa retraite. Il y a une logique complètement différente. Tandis que les droits sociaux sont une conquête collective de la lutte des salariés et des usagers sociaux, c’est une logique complètement différente. Par exemple, aux États-Unis, les étudiants sont endettés avant de rentrer sur le marché du travail. Pour faire des études, vous êtes obligés de vous endetter. Cette logique a été généralisée aux États-Unis et c’est une forme nouvelle du contrôle social, je pense.
Antoine Mercier : D’accord, on va parler du contrôle social, mais ce passage à l’endettement, vous le faites démarrer quand ? Est-ce que c’est progressif ? Est-ce que c’est dans le système lui-même ? Est-ce que c’est une déviation du système ?
Maurizio Lazzarato : Non, c’est une logique. Le problème qu’on toujours eu les libéraux, ce qu’ils appellent la déprolétarisation, même les libéraux allemands de l’après-guerre, qui s’appellent les ordres libéraux, est qu’ils avaient peur d’une certaine de la grande concentration prolétaire, l’usine et tout cela. Donc, ils poussent à la déprolétarisation, c’est-à-dire à l’accès individuel à la propriété, les petites unités de production, etc. pour dépolitiser.
Antoine Mercier : Déprolétarisation, cela veut dire que l’on n’est plus prolétaire membre d’un groupe.
Maurizio Lazzarato : Voilà.
Antoine Mercier : On est individualisé.
Maurizio Lazzarato : On est individualisé, et c’est une forme de dépolitisation qui est poursuivie. C’est un phénomène très cohérent parce qu’effectivement, le programme de Georges Bush, et même de Sarkozy, c’était de transformer tout le monde en petits propriétaires. La logique de Sarkozy, prise directement du capitalisme américain, est de faire de tous les Français de petits propriétaires. Ce n’est pas par hasard que cette crise des « subprimes » émerge à partir des problèmes de ces maisons individuelles. La maison individuelle, c’est effectivement l’expression la plus aboutie de la propriété individuelle. Et c’est là que cela éclate. Donc, à mon avis c’est l’échec de cette transformation générale des rapports sociaux, ce n’est pas seulement des problèmes économiques.
Antoine Mercier : C’est-à-dire qu’à un moment donné, quand on a trop abandonné le collectif et trop transformé les gens en individu, il y a quelque chose qui craque dans le système lui-même, il ne peut même plus continuer, c’est comme une limite « naturelle » finalement, c’est cela que vous dites ?
Maurizio Lazzarato : C’est un problème économique. La volonté de transformer tout le monde en petits propriétaires sans toucher au rapport de propriété, parce que le problème de la ^propriété privée reste fondamental, se confronte à un obstacle majeur qui est à la fois politique et économique. Donc, je pense que ce n’est pas une crise de l’économie financière et une santé de l’économie réelle, mais c’est le projet général, transformation de nos sociétés et des rapports sociaux, qui est entré en crise. C’est une crise beaucoup plus profonde que ce que l’on dit.
Antoine Mercier : On revient à ce que vous appelez ce projet plus général. Quand on dit projet, on dit pensée, élaboration, pas forcément avec un chef d’orchestre mais malgré tout, on peut rechercher l’origine de ce projet, comment vous l’ancrez dans l’histoire de la pensée ?
Maurizio Lazzarato : L’origine est très ancienne. Cela commence déjà dans les années 30, les libéraux se sont reconstituer en école de pensée, il y a eu des écoles très importantes : l’école américaine et l’école allemande. Donc, d’un point de vue de la pensée, c’est une pensée qui traverse pratiquement tout le XXe siècle mais qui se met en place seulement à la fin des années 80, quand Reagan d’un côté et Thatcher de l’autre…
Antoine Mercier : Ça se devient un projet politique…
Maurizio Lazzarato : Un projet politique, oui…
Antoine Mercier : Et systématique…
Maurizio Lazzarato : D’ailleurs, ce sont les hommes politiques qui ont lancé ce projet, ce ne sont pas les entrepreneurs, donc, l’état est depuis le début dedans. Mais on peut interpréter cela de différentes façons. Moi, je l’interprète comme un passage d’une société du grand enfermement, dont parle Foucault, une société disciplinaires où les gens ont été enfermés ou bien à l’usine, dans les prisons ou à l’hôpital à, ce que j’appelle, le grand endettement. C’est la dette fondamentalement qui devient la forme de contrôle politique sur les individus.
Antoine Mercier : Alors, sans doute que le système de contrôle n’était pas suffisant ou il fallait encore l’élargir et avec la dette vous dites, vous, que l’on continue, on prolonge…
Maurizio Lazzarato : On prolonge, absolument…
Antoine Mercier : Qu’on aggrave encore ce système ?
Maurizio Lazzarato : Elle ne se substitue pas à d’autres systèmes de contrôle mais la dette devient un nouvel instrument de gestion de la population.
Antoine Mercier : Expliquez-nous quand même en quoi ce que vous dites là, on le sent bien que cela peut-être vrai, le fait que l’on soit dépendant du fait que l’on est endetté, mais précisez en quoi c’est un contrôle qui s’exerce sur les gens qui sont endettés.
Maurizio Lazzarato : Sur le plan de la subjectivité d’abord, par exemple Nietzsche, au début de « La Généalogie de la morale », explique justement que c’est à travers la dette que l’on fait sortir de la sauvagerie, de la société sauvage à la société civilisée, parce que la dette oblige l’homme à construire une mémoire, c’est-à-dire à construire une capacité de promettre. La dette, vous ouvrez aujourd’hui un crédit, vous êtes obligé de promettre que dans vingt ans ou dans un an vous allez rembourser, c’est une façon de construire une subjectivité autour de ces problèmes. Ce qu’il y a d’intéressant, c’est que Nietzsche dit dès le début de « La Généalogie de la morale », que dette et culpabilité, c’est la même chose. Un mot, en allemand en utilise la même chose…
Antoine Mercier : Pour ?
Maurizio Lazzarato : Pour dire dette et culpabilité.
Antoine Mercier : Ah ! Dette et culpabilité ?
Maurizio Lazzarato : Pour dette et culpabilité, on utilise le même mot en allemand.
Antoine Mercier : C’est-à-dire ?
Maurizio Lazzarato : Schuld, je pense, je ne me rappelle plus très bien.
Antoine Mercier : On vous croit.
Maurizio Lazzarato : Je ne suis pas sûr non plus. La chose intéressante, c’est ce qui s’est passé, c’est qu’on a dû déculpabiliser les gens. Par exemple aux États-Unis, où toute la consommation passe par le crédit, on doit les déculpabiliser au niveau individuel : « Vous n’êtes pas coupables parce que vous vous endettez, c’est même très bien ». Par contre, on les culpabilise au niveau collectif, ce qui se passe aussi ici. Par exemple, ce qui s’est passé avec les retraites, c’est typiquement un problème de dette. Il y a un problème au niveau de l’endettement, il faut absolument que vous travailliez un peu plus. Pour la sécurité sociale, c’est la même chose. Toutes les réformes, ce que l’on appelle les réformes, passent à travers cette justification de l’endettement. En réalité, ce que l’on a vu avec la crise, c’est que l’endettement c’est une question de politique et pas une question économique parce que maintenant on s’endette beaucoup plus, on a des dettes énormes, on est endetté pour les trois ou quatre prochaine générations mais cela ne pose aucun problème, on donne plein d’argent aux banques, aux entreprises, etc. Là, il n’y a plus le problème de contrôle de déficit, on y va. Donc, c’est une question politique. Là, je pense que cela va apaiser beaucoup, parce que les gens se sont rendu-compte que cette gestion, qui a été faite pendant trente ans, des crises et des réformes à travers la dette a démontré sa vraie nature.
Antoine Mercier : Revenons sur ce principe, parce que ce n’est pas évident quand même de comprendre en quoi le système a favorisé le développement de l’endettement dans un but de contrôle des populations. Est-ce qu’on peut dire que c’est le système qui nécessitait de l’endettement pour pouvoir survivre lui-même ? Ou, est-ce que c’est la volonté de contrôle qui est première et qui a entraîné que l’on ait amené les gens à s’endetter comme ils l’ont fait ?
Maurizio Lazzarato : Nietzsche a bien individué ces problèmes de la dette comme constitution de la subjectivité. La capacité à promettre atténue la promesse. Pour tenir une promesse…
Antoine Mercier : Vous êtes engagé.
Maurizio Lazzarato : D’être engagé. Vous, vous êtes engagé pour quelque chose, il faut tenir la promesse. Nietzsche dit que l’humanité s’est constituée comme ça, on est passé par des tortures, des supplices etc. pour inscrire dans le corps, la mémoire, la responsabilité de l’engagement. Mais cela, c’est un discours général. Là, ce qui est important, c’est par exemple une étudiante américaine qui explique, dans une interview, comment le fait qu’elle s’est endettée autour de cent mille dollars, cette dette va la poursuivre toute sa vie, elle est obligée d’adapter son budget économique, son temps, etc. à cette dette. Cette dette est une forme de contrôle qu’elle a tout le temps qui n’est pas une conception directe mais qui va jouer sur la façon de dépenser, de travailler, de s’amuser etc. c’est dans ce sens-là que c’est une forme de contrôle politique.
Antoine Mercier : C’est-à-dire que l’on est tenu finalement par cette dette.
Maurizio Lazzarato : Absolument.
Antoine Mercier : Et la liberté que l’on pourrait avoir est limitée par définition parce qu’il faut remplir cet engagement de remboursement.
Maurizio Lazzarato : Oui. La finance joue le rôle qu’avait l’État dans la gestion de la demande et dans la distribution de la richesse. La distribution de la richesse n’est plus faite par l’État, l’entreprise et la gestion e la demande effective n’est plus faite par l’État, elle passe par la finance. La finance, n’est pas une perversion de l’économie mais le cœur du comment gérer la demande, la distribution de la richesse. Je pense que le problème réel, en dernière instance, est un problème de propriété, c’est le problème de la distribution de la richesse. C’est cela qui est au cœur de cette crise, je pense.
Antoine Mercier : Vous pouvez préciser cette idée ? La propriété n’est pas répartie comme il on voudrait qu’elle le soit, ou ?
Maurizio Lazzarato : Cette idée, je le répète, de vouloir transformer tout le monde en petits propriétaires, sans changer le rapport de la propriété privée, sur la base de la propriété privée, cette diffusion, généralisation de la propriété privée, cette illusion de transformer tout le monde en petits propriétaires, c’est là qu’à mon avis ça coince. Parce qu’il faudrait peut-être inventer d’autres formes de propriété. Qu’est-ce que c’était par exemple les dépenses de l’État providence ? C’était des formes, comme disait Castel, de richesses sociales, de propriétés sociales…
Antoine Mercier : Propriétés collectives ?
Maurizio Lazzarato : Propriétés collectives, propriétés sociales. Je ne dis pas collectives parce que cela renvois à l’expérience communiste. Les salariés n’ont pas accès directement à la propriété privé mais ils ont à travers les droits sociaux cette possibilité. Uns des choses fondamentalement du libéralisme c’est d’effectivement pas seulement de réduire les salaires mais de réduire cette forme de propriété sociale. Et là, on est confronté effectivement au problème de réinventer cette forme de redistribution de la richesse.
Antoine Mercier : Ça, c’est le programme pour la suite, mais encore un petit mot, parce que l’on ne peut pas ne pas se poser la question de savoir si ce que vous dites là sur ce qui est en train de se passe, est quelque chose qui est pensée, voulue par le système, par des personnes, un courant de pensée, est-ce que c’est un mouvement qui se fait finalement indépendamment parce que l’on a lâché prise ailleurs, comment vous expliquez que l’on soit arrivé-là ? Est-ce que c’est voulu ? Est-ce que c’est simplement un abandon de quelque chose ? Une responsabilité collective ? Comment vous voyez cette question-là ?
Maurizio Lazzarato : C’est un processus un peu complexe. Le tournant s’est fait à la fin des années 70 avec la montée de Thatcher et Reagan. Il y a effectivement des courants de pensée qui sont allés dans ce sens. Il y a un système qui s’est redéfini. Donc, ce n’est pas seulement un projet de quelqu’un. C’est un système qui a évolué dans ce sens.
Antoine Mercier : Il y a une servitude volontaire aussi des gens à accepter cet endettement comme une perspective joyeuse pour eux-mêmes. Est-ce qu’on ne peut pas dire cela aussi ? On s’endette, on achète, on a le bénéfice de pouvoir profiter de quelque chose que l’on achète par crédit.
Maurizio Lazzarato : Aux États-Unis, c’était un peu comme ça. Cela fait dix ans qu’ils vivent pratiquement à travers la dette, les gens consomment seulement à travers la dette. Il y a une épargne négative aux États-Unis de la part des familles mais les entreprise aussi sont endettés, l’État aussi est endetté. C’est un endettement général. D’ailleurs, États-Unis vivent avec le financement de la Chine et du Japon qui achètent leurs bons du trésor. Donc, cette vie à crédit, si vous voulez, est financée par la Chine surtout. Il y avait une division internationale du travail, là, maintenant c’est la division internationale de la dette qui se fait en ce moment.
Antoine Mercier : Je repose ma question autrement. Qui est responsable du point où nous en sommes selon vous ? Est-ce que c’est collectif, la responsabilité ? Ou est-ce qu’elle est...
Maurizio Lazzarato : Ce n’est pas une responsabilité individuelle, la classe économique, la classe politique se retrouve dans ce sens. Ce processus-là a été ouvert par exemple en France par les socialistes. C’est Mitterrand qui a déréglé en premier le marché financier, c’est les socialistes qui ont crée la précarisation du marché du travail, qui ont inventé tous les nouveaux types de statuts précaires… C’est un processus général qui s’est ouvert. On ne peut pas parler d’une spécificité. Le problème est qu’on sortait d’une société dans les années 70 où il y avait, disant comme ça, un refus des conditions de travail de l’usine, la forme d’organisation de l’usine, et un refus ou critique, produit par le mouvement de 68, de l’État providence. L’état providence était vécu pas seulement comme quelque chose de positif mais aussi comme une forme de soustraction de l’autonomie. Donc, il y a une critique de la part des mouvements politiques et des mouvements sociaux qui concernait aussi bien l’entreprise que l’État providence et c’était une demande de liberté et d’autonomie sur laquelle s’est greffé le libéralisme.
Antoine Mercier : On termine, il nous reste une minute, une piste pour en sortir. Si je vous comprends bien, d’après ce que vous avez dit sur la question de la propriété et la nécessité de retrouver cette notion de propriété collective, à un certain niveau, qu’est-ce que vous voyez comme piste, comme possibilité pour essayer de faire avancer ce projet de reconquête de la propriété collective, de ce qui pourrait nous faire sortir de cette crise ?
Maurizio Lazzarato : Il faut suivre cette radicalisation, repolitisation des mouvements politiques. C’est très important. Je pense que c’est de là que va sortir, peut-être, on ne peut pas anticiper, c’est une expérimentation qui se fait sur le terrain en direct. Quand on est sorti de la crise précédente, celle de 1929, ce n’était pas seulement une sortie économique, c’était aussi une sortie institutionnelle. Il y a eu un compromis et des formes d’institutions qui c’étaient constituées autour de l’entreprise, du patronat, de l’État et des syndicats. C’était cela. C’était une reconnaissance politique du new-deal. Ce que l’on appelle le new-deal c’est une reconnaissance des syndicats comme acteurs politiques. Là, je pense que cette forme institutionnelle est aussi en crise, ce n’est pas seulement une crise économique, on voit d’ailleurs la difficulté qu’ont les syndicats à suive, à contenir les mouvements sociaux, à les représenter. Là, il faut effectivement se pencher sur une autre forme institutionnelle. Toutes le structures de la sécurité sociales en France sont gelées par le paritarisme, il y a syndicats et patrons, mais ce paritarisme ne couvre qu’une partie de salariés et pas toute la société. Il faudra penser cela aussi. Donc, je pense que c’est une crise générale pas seulement économique.
Antoine Mercier : Merci beaucoup Maurizio Lazzarato d’avoir accepté notre invitation. On peut se référer à votre dernier livre qui s’appelle « Le gouvernement des inégalités : Critique de l’insécurité néolibérale », publié aux éditions Amsterdam.