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D’autres regards sur la crise, avec Serge Portelli

Entretien, vendredi 27 février 2009, d’Antoine Mercier avec Serge Portelli, magistrat et vice-président du tribunal de grande instance de Paris .Transcription faite par Taos Aït Si Slimane.

« D’autres regards sur la crise », entretiens, depuis fin décembre 2008, d’Antoine Mercier, journal de 12h 30 sur France Culture, avec des intellectuels pour une autre manière de parler de la crise. Les brèves séquences du journal sont complétées par des bonus hors antenne, mis en ligne sur le site de France Culture.

L’oralité est volontairement conservée, vos remarques, corrections et observations sont les bienvenues. Il vous suffit d’écrire à tinhinane[at]gmail[point]com

Antoine Mercier : « D’autres regards sur la crise » avec aujourd’hui le regard d’un magistrat, Serge Portelli. Bonjour.

Serge Portelli : Bonjour.

Antoine Mercier : Serge Portelli, vice-président du tribunal de Paris. Ça peut paraître un peu curieux d’inviter un magistrat pour nous parler de la crise, mais c’est le principe de cette série est de demander à des personnalités venues de tous les horizons, pas spécialiste d’économie, de donner leur perception de la crise. Je vous propose peut-être directement la première question : comment vous, vous voyez cette crise ? A quoi a-t-on affaire selon vous ?

Serge Portelli : Moi, je ne vous répondrai pas exactement, je vous dirais « arrêtez d’inviter des économistes »…

Antoine Mercier : Oui, c’est ce qu’on fait…

Serge Portelli : Ce sont vraiment les dernières personnes à inviter pour parler de l’économie, et en conséquence de la crise, parce que s’il y a une chose que vraiment tout le monde a compris, c’est que les économistes se sont trompés, je ne vais pas dire « nous ont trompé », mais depuis des années et des années, je voudrais presque dire des dizaines d’années. Donc effectivement, les politiques à mon avis seraient assez intéressants à faire venir aussi. Pourquoi pas un magistrat ? Vous savez effectivement j’ai entendu les nouvelles que vous annonciez tout à l’heure, moi je vous donne rendez-vous dans deux mois, dans deux mois vous aurez égrainé chaque jour une série de catastrophes, c’est évident, tout le monde le sait mais depuis très longtemps, personne n’ose le dire, donc des faillites on va en avoir. Et là, vous parliez des banques et vous disiez effectivement aujourd’hui, les États songent à nationaliser. Mais ce qui est beaucoup plus évident c’est que ce ne sont pas des faillites de banques qui sont à venir aujourd’hui, c’est des faillites d’État, voire de groupes d’État. Donc ce qui est devant nous est bien pire que ce qu’on n’a jamais imaginé et franchement je suis choqué qu’aucun des communistes n’aient le courage de dire ce que certains hommes politiques disent, effectivement, vous parliez de Poutine tout à l’heure, mais la vérité, elle est là : c’est qu’on va à une catastrophe mondiale, et qui ne concerne évidemment pas que les banques, ça concerne l’ensemble des secteurs économiques. Donc, que vous fassiez de tout ça le quatrième titre de votre émission, je trouve cela fantastique.

Antoine Mercier : On en parle beaucoup, dans ce journal, de la crise, tous les jours.

Serge Portelli : Je sais bien, mais c’est énorme, ça concerne tout le monde.

Antoine Mercier : Je comprends. Maintenant expliquez-nous, peut-être plus précisément, on comprend bien votre sentiment, on peut le partager ou pas, qu’est-ce que c’est que cette catastrophe-là ? D’abord quelle forme peut-elle prendre et qu’est-ce qui peut se passer à partir de là ? Est-ce que vous pouvez préciser ce pronostic ?

Serge Portelli : Vous parliez tout à l’heure d’un philosophe qui parlait d’une crise globale, je pense que c’est effectivement…

Antoine Mercier : Je citais, tout à l’heure, quand on parlait, Annie Le Brun, qui disait à ce micro « tout est lié ». Si ça se passe dans l’économie, ça a des résonnances partout…

Serge Portelli : Tout est lié, mais la difficulté c’est qu’aujourd’hui, les gouvernements, que ce soit au niveau de chaque état ou au niveau de chaque groupe d’états, proposent des solutions qui sont d’abord des solutions financières ou des solutions économiques. On est très loin, très loin de tout ça. Et ce qui est extraordinaire c’est que ces solutions sont en totale contradiction avec tout ce qui a été mis en œuvre depuis maintenant des dizaines d’années. Pour parler très concret, arrêter un peu les généralités : en France, pendant des années et encore jusqu’à l’année dernière, la politique du gouvernement était de dire « il faut éviter de pénaliser les entreprises, il faut »… C’est une politique de néo-conservatisme farouche, d’ultra libéralisme comme on en n’a rarement vu. Dans nos secteurs, puisque je suis magistrat, on a été confronté, par exemple, à une politique de dépénalisation du monde des affaires en disant « mais arrêtez : ces chefs d’entreprises, ces finances, ces banques, elles ont besoin de liberté ». Je n’entendais rien moi sur les paradis fiscaux, je n’entendais rien sur les immenses escroqueries qui s’annonçaient, rien du tout. Et aujourd’hui, ces mêmes personnes osent nous dire « il faut trouver les coupables, il faut chercher à supprimer ces paradis fiscaux ». Le cœur de la crise, pour moi, est là, c’est-à-dire qu’il faut nécessairement des lois. Alors on appelle ça d’un terme économique en parlant de « régulation ». Il faut une régulation pas simplement régionale mais mondiale, pas simplement financière mais économique. Mais oui, c’est la seule solution possible. Aujourd’hui, votre journal était la démonstration exemplaire que nous allons très exactement en sens inverse, c’est-à-dire que chaque État est en train d’adopter des solutions pour essayer de sauver ses richesses, enfin ce qu’il en reste… et parmi ces richesses encore, je dirais les plus riches, et personne n’envisage sérieusement une réforme globale. Donc, que va-t-il se passer ? Moi je suis assez pessimiste…

Antoine Mercier : Il y a tout de même des réunions internationales qui vont avoir lieu, qui ont lieu, les 20…

Serge Portelli : Écoutez, on a rarement vu des chefs d’État bouger autant et on a rarement vu aussi peu d’actions concrètes, on a rarement vu autant de faillites qui s’accumulent. Donc tout cela ne sert absolument à rien, on le sait bien. Ce n’est pas de cet ordre-là, les solutions ne sont pas de cet ordre-là…

Antoine Mercier : Alors de quel ordre, dans la minute 30 qui nous reste ? Quelles solutions ?

Serge Portelli : C’est assez simple. Aujourd’hui, je pense qu’on va vers une exacerbation des conflits, vers une pauvreté qui ira de plus en plus vers une exaspération, vers une révolte, vers des conflits de plus en plus forts. Il y a une seule solution, ce n’est pas simplement une gouvernance mondiale, ce n’est pas simplement une réunion toutes les deux semaines ou toutes les trois semaines des chefs d’État, mais c’est la définition d’un certain nombre de lois qui s’appliquent à tous. Il ne s’agit pas de créer de nouvelles structures, de créer une ONU bis économique ou financière, il s’agit vraiment de définir des lois…

Antoine Mercier : Exemple ?

Serge Portelli : Eh bien des lois qui prennent en compte l’inégalité terrible qui existe entre les nations et le nouvel équilibre des richesses qui existe dans le monde, c’est cela à mon avis qui est à la base d’une vraie réforme de l’ensemble du système.

Antoine Mercier : Cela veut dire le retour de la fraternité, est-ce que ce n’est pas un peu utopiste ?

Serge Portelli : Non, je vais vous dire que sans utopie on n’arrivera à rien. Et moi la plus belle devise que je connaisse c’est, on pourrait être fier d’être Français en disant : « la liberté, l’égalité, la fraternité », si on arrivait à bâtir des lois mondiales là-dessus, c’est ce qui nous sauvera.

[Suite]

Antoine Mercier : Serge Portelli, on se retrouve pour ce bonus sur le site de France culture. Vous avez donné un sacré coup de trompe tout à l’heure à l’antenne.

Serge Portelli : Je n’ai pas eu l’impression.

Antoine Mercier : C’est comme ça que l’on a pu le ressentir. On va y revenir bien sûr, mais je voudrais quand même, puisque l’on a un peu plus de temps dans cette séquence, que l’on s’arrête sur votre domaine, vos compétences au sens propre du terme, c’est-à-dire le droit, la justice, le diagnostic, on l’a dit tout à l’heure, c’est une crise globale qui doit toucher tous les secteurs et dont les manifestations, les symptômes doivent se manifester partout. Dans votre domaine, quels sont ces symptômes de crise que vous percevez ?

Serge Portelli : Les symptômes de crise dans nos différentes justice parce qu’en fait on parle d’une justice mais il y en a plusieurs. Moi, je parlerai de la justice pénale, par exemple, qui devient, pour faire court, une justice qui s’attaque aux plus pauvres, et qui sont de plus en plus pauvres. Le résultat de la crise aujourd’hui, vous visitez une prison, il y a à peu près 65 000 personnes qui sont actuellement en prison, et vous apercevez que dans ces quatre murs, vous avez des gens qui sont de plus en plus désocialisés. Vous avez des gens qui vivent dans la rue infiniment plus qu’avant, des malades mentaux qui ne savent plus où aller qui passent de l’hôpital psychiatrique à la rue puis qui finissent en prison. Vous avez des gens pauvres. Quand je demande, systématiquement à chaque personne que je juge, quelles sont ses revenus, une immense majorité de gens que je vois sont des gens qui touchent moins de mille euros, largement moins de mille euros, ou le RMI évidemment. Énormément. Ce sont ces gens-là, et cette masse de gens pauvres s’accroît et nous, magistrats, on applique des lois. Je vais vous prendre un exemple tout bête, on met quelqu’un en prison ou pas. Pour éviter la prison, un des critères de la loi, si vous regardez la loi sur la peine plancher, tout le monde sait à peu près ce que c’est, pour éviter une peine plancher très lourde, d’un an, deux ans, trois ans, quatre ans, la nouvelle loi nous dit : pour éviter que quelqu’un aille en prison, avec ces peines très lourdes, il faut qu’il ait des garanties de représentation exceptionnelles. Je vous dis les termes mêmes de la loi.

Antoine Mercier : Cela veut dire quoi ?

Serge Portelli : Eh bien, voilà, cela veut dire quoi traduit en bon français. Cela veut dire que cet individu doit avoir plus que n’importe qui, un domicile, un travail, une famille, un contexte social…

Antoine Mercier : Sinon, c’est la prison.

Serge Portelli : Sinon, c’est la prison. Ces gens, je parle des récidivistes à qui s’applique cette loi, c’est déjà par hypothèse les catégories sociales les plus exclues de la nation, des étrangers, des pauvres, des toxicomanes, des gens atteints de maladies fantastiques, des gens qui ne savent souvent pas où vivre et on nous dit, précisément pour ces gens-là demandez-leur où ils habitent, où ils travaillent et s’ils répondent bien, vous pourrez leur éviter la prison. C’est tout cela qui se met en œuvre.

Antoine Mercier : Il y a deux choses dans ce que vous dites à mon avis. D’une part le constat des manifestations de cette situation d’aggravation de l’état de pauvreté général du pays, des gens, mais il y a aussi, et c’est là aussi que l’on peut voir de manière plus abstraite, les symptômes de cette crise, la manière dont on y répond, la manière dont un système se met en place pour y répondre qui est aussi porteur de symptômes de crise.

Serge Portelli : Vous savez, la façon dont on y répond aujourd’hui, en France, c’est une réponse cynique, terriblement cynique. J’allais presque dire que cela serait presque bien si le pouvoir aujourd’hui ignorait la pauvreté, se contentent tout simplement, entre guillemets, de faire le nettoyage. Mais c’est pire que ça, c’est un mépris extraordinaire. Quand j’entends ce brave Ségala, cet ami de tant de gens qui nous dit que « quand on n’a pas une Rolex à cinquante ans on a raté sa vie », il a dit la chose la plus extraordinaire de sa vie parce qu’on disant ça, il représente totalement les gens, la classe, assez étroite, qui est aujourd’hui au pouvoir. C’est à la fois un cynisme extraordinaire, cette phrase-là on s’en souviendra longtemps, mais c’est beaucoup plus que cela, c’est la preuve qu’il y a aujourd’hui au pouvoir des gens qui vivent ailleurs, sur une autre planète, qui n’est pas la nôtre, qui n’est pas celle des Français, qui n’est pas celle des citoyens ordinaires, au point de ne même pas pouvoir comprendre ce que c’est que la pauvreté par exemple. Et c’est cette réponse, d’un immense cynisme, qui nous est délivrée tous les jours. La conséquence est qu’effectivement, quand vous avez des syndicats, des mouvements qui vous disent, mais nous on veut tout simplement avoir plus de paye, plus d’argent pour simplement pouvoir vivre, pouvoir acheter de quoi se nourrir tous les jours, on vous répond, mais non, non c’est un luxe d’investissement. Mais ça, ce n’est pas simplement économique, ça a des répercussions partout, ça a des répercussions dans la chambre où je préside, où je rends des jugements, où passent des centaines et des centaines de victimes de ça.

Antoine Mercier : Cela nous permet peut-être de passer à un autre aspect, cette classe dirigeante, pour aller vite sans désigner personne forcement et puis ça concerne aussi toutes sortes d’élites…

Serge Portelli : Complètement.

Antoine Mercier : On ne va pas désigner des noms, mais ce pouvoir a aussi son idéologie, on pourra en reparler, mais ce que l’on peut constater aujourd’hui, c’est que par rapport à cette crise, pour revenir au sujet, ce pouvoir n’a pas l’impression - certes il dit que c’est très grave, qu’il faut faire quelque chose – qu’il puisse faire face à cette crise, la confiance en les dirigeants à faire face ne semble pas très forte. Comment vous, vous voyez la situation ?

Serge Portelli : J’ai l’impression, ce n’est pas seulement une impression, c’est une certitude absolue, que l’on colle rustine après rustine. On colle même une rustine sur une autre. Ce qui m’a terrifié, c’est la politique d’aide aux banques. Tout le monde a trouvé ça assez fantastique, en disant, eh bien oui, on n’est peut-être pas d’accord avec le président de la République mais là, on ne peut pas faire autrement. Et le président de la République, il n’y a pas que lui d’ailleurs, la ministre des finances etc., « écoutez, cela ne vous coûtera rien »…

Antoine Mercier : On prête.

Serge Portelli : « On prête, ça va nous rapporter des intérêts fantastiques et de toute façon, nous ne sommes que garants. On est juste caution. On est caution du système bancaire. On leur donne des sommes colossales mais ce n’est pas grave on n’aura jamais à les payer. » Mais, moi, je suis magistrat, je suis juge, des discours comme ça, j’en entends souvent. J’en entends tous les jours.

Antoine Mercier : De la part de ?

Serge Portelli : De la part des gens qui sont caution, qui ont un ami, un parent, qui ont signé en bas à droite dans une case en disant, « je me porte caution d’un tel ou un tel », et quand ils ont signé, ils disaient exactement la même chose que Nicolas Sarkozy. Ils se disaient, c’est juste pour rendre service, cela n’arrivera jamais. Et un jour, je retrouve devant moi, ces gens-là. Je leur dis, écoutez monsieur, une signature, c’est fait pour être honorée. Un engagement, une promesse, c’est fait pour être honoré aussi, donc, je vous condamne. Le système de caution est terrible, c’est quelque chose de très (manque un mot), tous les Français peuvent comprendre cela. Tout le monde a servi de caution et donc tout le monde peut comprendre que ce discours-là qui a été tenu est un discours profondément mensonger et terriblement dangereux parce qu’un jour les banques s’effondreront peut-être. Et quand je dis peut-être, ce à quoi on assiste aujourd’hui en est la preuve absolue. Quand on voit la panique dans laquelle on fusionne la Banque populaire et la Caisse d’épargne, la panique, l’urgence terrible, l’illégalité même dans laquelle on est obligé de rentrer pour pouvoir nommer un proche du pouvoir à la tête de ça, cela veut dire quoi ? Cela veut dire qu’il fallait faire croire à la population, en urgence, que les pertes colossales de NATIXIS et d’autres qui sont annoncées, « mais oui, on a une solution, n’ayez pas peur »…

Antoine Mercier : Ça fait croire que l’on fait quelque chose.

Serge Portelli : Ça fait croire que l’on fait quelque chose.

Antoine Mercier : Mais, ça ne le fait pas, pour vous, ou un petit feu ?

Serge Portelli : Ça ne fait pas et ça ne le fera pas. Les nouvelles que vous avez annoncée, tout à l’heure, au journal, il y en aura d’autres demain encore, le système bancaire est en train de s’effondrer. Quand vous regardez les plus grandes banques du monde, Citigroup, l’État qui essaye de rentrer dans le capital, de nationaliser, tout le système bancaire s’écroule comme un château de cartes. Alors, on va peut-être essayer de sauver quelques cartes, on va peut-être essayer de conserver quelques îlots, mais tout le reste, comment est-ce que l’on va arriver à le gérer ? Nationaliser les banques aujourd’hui, cela veut dire que les États se retrouvent en premières lignes. Et depuis quelques mois, ce à quoi on assiste, c’est très clair, c’est une perte de crédibilité des États. Il n’y a pas que les banques, que les sociétés qui sont cotées, les États aussi sont cotés, je pense que tout le monde le sait. Or, cette cote-là, est en train, chaque jour, de baisser États après États…

Antoine Mercier : Et qu’est-ce qui se passe ?

Serge Portelli : L’Irlande, l’Espagne, l’Autriche etc. etc. Un de ces quatre matins, cela sera la France et peut-être même les États-Unis.

Antoine Mercier : Alors, qu’est-ce qui se passe au moment où les États n’inspirent plus confiance, que cela s’effondre aussi ?

Serge Portelli : Quand l’État fait faillite ?

Antoine Mercier : Alors, qu’est-ce qui se passe ?

Serge Portelli : Eh bien, je ne le sais pas plus que vous. Moi, je croyais que dans le monde de la science, dans le monde de la pensée, il y avait des gens qui étaient, je ne vais pas dire payés pour ça, payés pour réfléchir, pour se dire un jour est-ce qu’un État peut faire faillite. Je lis tous les articles des économistes patentés, qui jour après jour nous font encore des pronostics sur l’avenir…

Antoine Mercier : Qu’on va en sortir dans un an,…

Serge Portelli : Chaque jour, l’année de sortie recule. J’attends que l’on me dise ce qui se passera le jour où l’Islande va faire faillite, le jour où l’Autriche va faire faillite. Qu’est-ce que cela veut dire un État qui ne peut plus payer ? Un État qui ne peut plus payer non seulement ses engagements internationaux mais aussi tous ses fonctionnaires, les aides qu’il donne à tous. Ça veut dire quoi ? Que cela s’arrête ? Cela veut dire qu’en fait…

Antoine Mercier : On a l’impression que cela va être un effondrement absolu…

Serge Portelli : Vous savez, l’effondrement, je ne sais pas par quel bout le prendre…

Antoine Mercier : C’est l’anarchie, je veux dire…

Serge Portelli : Alors, vous, vous appelez cela l’anarchie, on peut appeler ça la révolution…

Antoine Mercier : Ce n’est pas au sens péjoratif…

Serge Portelli : Oui, oui, c’est quelque chose d’explosif. Et moi, ce dont je suis absolument certain, c’est que devant l’égoïsme foncier de toutes les nations, en tout cas de tous les gouvernements, on va vers une aggravation extraordinaire des conflits. Parce que s’il y a une chose que l’histoire nous apprend, même si elle ne nous apprend pas tout malheureusement, c’est que ces périodes-là de crises énormes que l’on ne veut pas voir, pour lesquelles il y a un aveuglement hors du commun,…

Antoine Mercier : Pourquoi ?

Serge Portelli : Je finis juste ma phrase.

Antoine Mercier : Allez-y.

Serge Portelli : Elles se traduisent, je vais prendre un mot un peu bizarre, par des guerres, pas de conflits, moi je préfère appeler ça guerre que conflit parce que c’est évident que tous ces gens qui souffrent, qui n’auront pas de quoi manger, ils vont se révolter, que cela soit en France, en Guadeloupe, en Haïti, ailleurs, en Grèce ou d’autres pays. Et là, oui, effectivement, la situation de misère, de marasme, de crise, cela conduit rarement à un esprit de tolérance. Ça conduit rarement à un esprit de dialogue. Ça conduit toujours nécessairement à des situations de conflits terribles ou de guerres. C’est cela qui se profile à l’horizon, c’est évident. Alors face à ça, vous me parliez tout à l’heure d’utopie, mais oui, c’est les utopies qui ont fait avancer l’humanité et qui nous ont sauvés de beaucoup de choses. Je pense qu’il faut que déjà dans les instances internationales qui existent, mais même ailleurs, les gouvernements eux-mêmes, aient l’intelligence de comprendre qu’il n’y a aucune autre solution, non pas de se réunir toutes les trois semaines dans des G3, G7, G30… mais tout le monde et pas simplement les plus riches…

Antoine Mercier : Pour décider quoi ?

Serge Portelli : Pour décider pas simplement d’une gouvernance, de créer une nouvelle banque internationale, un nouveau FMI mais de discuter de véritables lois qui régissent pas simplement les flux financiers, les prêts entre banques, mais qui régissent par exemple le droit du travail, les salaires, on ne peut pas vivre, c’est une évidence, avec des salaires qui sont 10, 20 fois moindre dans des pays en voie de développement que dans des pays soi-disant riches, ça ne peut pas exister…

Antoine Mercier : C’est la révolution de l’égalité que vous…

Serge Portelli : Je pense que le maître mot de l’avenir, c’est effectivement l’égalité. Mais je pense que l’un des autres mots, c’est la liberté, parce que si aujourd’hui il y a une menace terrible, c’est tout autant en matière d’économie qu’en matière de liberté et la France en est un exemple frappant, nos libertés se restreignent et au plan mondial également. Sous prétexte de lutte contre le terrorisme, la délinquance, la récidive, la folie, etc., vous avez en France de plus en plus de lois de contrôle, de répression, la politique aujourd’hui vis-à-vis des étrangers en est l’exemple frappant. Et ça, ces vagues d’immigration qui arrivent et qui arriveront de plus en plus…

Antoine Mercier : Est-ce que cela ne va pas s’aggraver dans la situation que vous décriviez tout à l’heure ?

Serge Portelli : Évidemment que cela va s’aggraver…

Antoine Mercier : Que le résultat de cette révolution dont on parle, cela sera peut-être un État encore plus autoritaire, un État vraiment autoritaire on va dire.

Serge Portelli : C’est évident, ce vers quoi nous fonçons à toute allure, c’est effectivement un État de plus en plus totalitaire avec des relents, j’allais dire, de totalitarisme. Je ne vous parle même pas de la France, en Italie, vous avez actuellement un gouvernement qui vient de faire voter une loi pour que des milices de citoyens puissent circuler dans les villes pour assurer la sécurité. Ça me rappelle des choses terribles. On Italie encore, on vient de faire voter des lois pour que des médecins puissent dénoncer aux autorités des « Sans-papiers ». On est à deux doigts de ça en France. Je pourrais vous citer d’autres exemples de ce type-là. Ces lois qui viennent d’être votées en Italie, évidemment qu’elles ont un rapport avec la crise parce que l’Italie est un des pays les plus exposés de l’Europe à l’afflux de l’immigration, Lampedusa et autres, tout le monde le sait. Donc, la réponse à cette crise économique et à cet afflux massif de gens qui viennent d’Afrique ou d’ailleurs, est actuellement une réponse européenne, des centres de rétention qui vont fleurir partout en Europe où l’on va enfermer des gens qui vont rester jusqu’à 18 mois. Vous voyez bien que la réponse à la crise aujourd’hui, est essentiellement une politique répressive. En France, la réponse à tout ça, c’est que l’on va mettre 26 000 étrangers dehors, des reconduites à la frontière, une politique du chiffre. Je pense que dans la population, il y a face à ça une vraie réaction une prise de conscience parce que face à cette crise, aux atteintes aux libertés, beaucoup de métiers, de professions ou de simples citoyens prennent conscience que c’est le cœur de leur métier, de leur engagement de citoyen, de professionnel qui est atteint. Et aujourd’hui en France et ailleurs en Europe, se créent de multiples mouvements, qui ne sont pas des mouvements politiques, qui sont des mouvements de la société civile qui portent largement au-delà, très largement au-delà des revendications qui sont simplement professionnelles, ce sont des gens qui essayent de retrouver leur valeurs…

Antoine Mercier : C’est l’« Appel des appels » dont vous parlez ?

Serge Portelli : Oui, je parle de l’« Appel des appels » qui effectivement regroupe un certain nombre de mouvements de ce type-là mais c’est largement au-delà et c’est quelque chose qui se produit un peu partout dans le monde, en tout cas en Europe. S’il y a une raison d’espérer quand même, celle-là est une des plus fortes qui soit.

Antoine Mercier : Vous croyez que la cristallisation des préoccupations de chaque individu pour les autres, pour le collectif permettra peut-être d’apporter une réponse avant qu’il ne soit trop tard, que ne se déclenche ce que vous avez dit tout à l’heure ?

Serge Portelli : En tout cas, il faut aller très, très vite parce que la stratégie des gouvernements aujourd’hui est de diviser l’ensemble des ses citoyens, de les renvoyer à des problématiques sectorielles. Les magistrats, les psychiatres, les enseignants, les chercheurs, les gens de l’information etc., sont confrontés à des réformes…

Antoine Mercier : Ce n’est pas idiot comme réplique parce que finalement cela permet d’éviter cette cristallisation dont apparemment le pouvoir a peur.

Serge Portelli : Évidemment qu’il en a peur. Le pouvoir n’a jamais eu autant peur et c’est une chance extraordinaire pour les citoyens que de pouvoir faire passer des messages et aussi de retrouver les vraies valeurs que les politiques ont complètement abandonnées en vivant dans la bulle où on le voit s’agiter en ce moment.

Antoine Mercier : Merci beaucoup, Il faut en rester là, Serge Portelli. Merci pour ces paroles très fortes, évidemment on aura peut-être l’occasion de vous réinviter pour voir la suite des événements qui j’espère tourneront de façon plus favorable que vous n’avez l’air de le... [coupure de la fin]



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