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Olivia Gesbert : Bonjour ou bonsoir ! Hervé sera de retour demain au micro du Grain, en attendant Gardette vous pouvez réécouter la très belle spéciale réalisée hier en direct de la frontière turco-syrienne sur franceculture.fr, à la page du Grain bien sûr. Dans moins d’une heure, le temps de la faire, vous pouvez également retrouver cette émission, vous avez mille nuits pour la réécouter et un an pour la télécharger.
Demain sortira en salles Tous Cobaye, le nouveau film du réalisateur Jean-Paul Jaud. Demain également sortira en librairie Tous Cobaye, le livre, signé Gilles-Eric Séralini. Le chercheur, par qui est née la polémique actuelle sur la toxicité des OGM, y explique les résultats de son expérience. « La première étude indépendance », nous dit-on, lire entre les lignes : les autres ne l’étaient pas, comprendre : on nous aurait menti. Publiée en grande pompe, assortie d’un savant tam-tam médiatique. Cette étude ne révèle pas seulement la dangerosité des OGM pour notre santé, elle dénonce par ailleurs le laxisme des pouvoirs publics, des industriels et des chercheurs dans leur évaluation et l’autorisation de commercialisation de ces produits. Voici aussi pourquoi cette étude fait beaucoup de bruit. Alors qui croire ? Peut-on encore compter en France sur une expertise indépendante ? L’opinion publique, les consommateurs, sont-ils condamnés à être les otages de ces batailles d’expert ?
On en débat avec mes invités jusqu’à 19h.
Invité(s) de ce Grain spécial OGM : Jacques Testart, Bonsoir !
Jacques Testart : Bonsoir.
Olivia Gesbert : Biologiste, directeur de Recherche honoraire à l’I.N.S.E.R.M. administrateur d’Inf’ogm et président de la Fondation Sciences citoyennes. Auteur en 2007 de OGM : quels risques, au pluriel bien sûr, et plus récemment de Labo-planète : comment 2030 se prépare sans les citoyens, c’est paru aux éditions Mille et une nuits. Ce dernier livre interroge les orientations scientifiques et techniques actuelles, il est donc dans le cœur, dans le vif de notre sujet. À vos côtés, Jean-Christophe Pagès, bonsoir !
Jean-Christophe Pagès : Bonsoir.
Olivia Gesbert : Vous êtes médecin et biochimiste, professeur à la faculté de médecine de Tours, président du comité scientifique du Haut Conseil des Biotechnologies dont la responsabilité est d’éclairer les responsables politiques en leur donnant toutes les billes nécessaires, on espère pour décider, le HCB qui doit rendre d’ailleurs prochainement un avis sur l’étude du professeur Séralini. Cela sera quand ? Au environ du 20 octobre, c’est ça ?
Jean-Christophe Pagès : Théoriquement. Au moment où je suis rentré dans le studio nos n’avions pas encore la saisine officielle, on avait eu un avant-goût, a priori, oui pour le 20 octobre une première analyse.
Olivia Gesbert : Vous voyez, moi j’avais déjà la réponse, je ne sais pas comment. Pour l’instant ce comité appelle plutôt à la prudence en attendant que votre avis soit rendu.
Jean-Christophe Pagès : Ne comptez pas sur moi pour donner ce soir une lecture particulière de cet article.
Olivia Gesbert : Peut-être pas au nom du HCB mais on espère connaître votre avis quand même !
Jean-Christophe Pagès : Sur l’article lui-même, non, je ne le donnerai pas.
Olivia Gesbert : On va voir. Vous savez le temps passe vite mais nous arriverons à vous extirper quelques éléments. Avec nous également, Daniel Boy, bonsoir !
Daniel Boy : Bonsoir.
Olivia Gesbert : Vous êtes directeur de recherche au CEVIPOF, membre du comité de pilotage de la conférence des citoyens qui s’était penchée, il y a près de quinze ans, sur la question des OGM, ça ne nous rajeunit pas, auteur de Pourquoi avons-nous peur de la technologie ?, ça c’est un livre paru en 2007 aux Presses de Sciences-Po. Vous avez beaucoup travaillé sur les notions de progrès, les notions de peur aussi qui peuvent y être liées, un de vos précédents ouvrages, Le procès du progrès, retraçait également notre perception des risques pour essayer de comprendre ce qui nous fait peur et quel est l’impact de tout cela.
Maintenant que les présentations sont faites, on va rentrer dans le vif du sujet. J’ai un paquet de chips sous la table. Attendez, je le sors. Il est beau ! il est certifié OGM, qui en veut un ? Jacques Testart ?
Jacques Testart : Je n’ai pas faim, merci.
Olivia Gesbert : C’est l’heure de l’apéro. Je mens un peu, je n’ai pas trouvé, en cherchant dans les rayons de supermarché, de chips ciblé OGM. Il n’y en a pas encore en France ?
Jean-Christophe Pagès : Pour les chips cela serait compliqué, parce que la seule pomme de terre qu’il y a eu en gestation, si je puis dire, c’était une pomme de terre qui n’avait pas vocation à être consommer puisque c’était une pomme de terre qui devait produire un amidon pour l’industrie. Il pourrait y avoir des huiles extraites des OGM…
Olivia Gesbert : Les huiles de soja.
Jean-Christophe Pagès : Des huiles de colza,…
Olivia Gesbert : De Corn-flakes, on a lu aussi.
Jean-Christophe Pagès : Éventuellement. Et ça, je pense qu’il y en a effectivement dans la consommation des Français puisqu’au Canada, aux États-Unis, il y a des colzas transgéniques dont on doit commercialiser les huiles.
Olivia Gesbert : Jean-Christophe Pagès, s’il était démontré qu’il y avait des OGM dans ce paquet de chips vous en mangeriez quand même un ou pas ?
Jean-Christophe Pagès : Oui.
Olivia Gesbert : Sans peur ?
Jean-Christophe Pagès : Non.
Olivia Gesbert : Et vous Daniel Boy ?
Daniel Boy : Non, je n’ai pas particulièrement peur.
Olivia Gesbert : Pas d’appétit pour l’instant et pas de peur non plus.
Jacques Testart : Non, il ne faut pas être ridicule.
Olivia Gesbert : Un pesticide et un maïs transgénique produit par Monsanto, testés sur deux cents rats pendant deux ans, menée à Caen et publié dans la revue Food and Chemical Toxicology, c’est un peu l’idée de cette étude menée par l’équipe du professer Séralini. Vous, Jacques Testart, dites nous un peu plus précisément ce qu’elle démontre cette étude.
Jacques Testart : C’est la première étude de longue durée, toute la durée de vie des rats, pendant toute leur durée de vie ils ont été alimentés avec un maïs transgénique de Monsanto, qui a été modifié génétiquement pour tolérer le Roundup. Donc on peut imaginer que ce maïs ramasse une dose d’herbicides puisqu’il n’en meure pas, d’ailleurs on en utilise de plus en plus grâce à ça, et que les graines seraient éventuellement toxiques. Les études qui ont été menées jusque là, y compris par Séralini, qui en avait déjà menées au moins trois il y a quelques années, Séralini montrait des problèmes dans le foie, dans les reins, mais il s’arrêtait à trois mois. D’autres ont fait des études où ils ne voyaient rien. Ils n’ont pas toujours regardé. Et là, cette étude dure deux ans et on voit une mortalité beaucoup plus importante chez les rats qui ont mangé ces OGM que chez les rats témoins, en plus, spectaculaires, il y a des tumeurs énormes que tout le monde a vues à la télévision et dans les journaux. Donc cette étude tire le signale d’alarme. Pourquoi est-ce qu’on ne fait pas des études de longue durée, comme on ferait pou un toxique ? Étant entendu que pour Séralini, et pas mal de monde, les OGM sont des toxiques potentiels puisqu’ils sont remplis de substances ou de leurs dérivés, dégradés, qui sont soit l’insecticide que produit la plante, si elle a été modifiée pour ça, soit l’herbicide qu’elle a reçu, puisqu’elle en reçoit en abondance, donc on pourrait la traiter comme un toxique et à ce moment-là rentrer dans un programme de toxicologie qui est beaucoup plus exigeant que ce qu’on fait pour autoriser les OGM, c’est-à-dire avoir une expérience de deux ans, sur plusieurs espèces différentes, et de faire ensuite différents examens de différents organes, un tas de chose sur les comportements, etc., que l’on fait pour les toxiques mais qu’on ne fait pas sur les OGM.
Olivia Gesbert : Jacques Testart, cette étude est largement appuyée, relayée par la Fondation sciences citoyennes, que vous présidez. Spectaculaire avez-vous dit, le tout effectivement a quand même été publié, diffusé à grand renfort de phrase chocs. Extrait du film, « Tous Cobaye », de Jean-Paul Jaud, qui sort demain au cinéma.
« Ce jour-là, l’équipe de tournage ignore que la porte du laboratoire les fera rentrer dans le secret d’une expérience fondamentale, aux conséquences insoupçonnables. / Si vous vous laissez envahir par ces graines-là, qu’on appelle OGM, qui sont fabriquées par les multinationales pour venir envahir les pays sous développés, c’est fini, vous avez la corde au cou pour de bon ! / Les enfants du monde entier consomment des OGM dans 80% des produits transformés, c’est énorme. Sous la forme de résidus de deux plantes OGM, Soja et maïs, ainsi ils les retrouvent dans les produits laitiers, les sodas, les biscuits, les plats préparés, dans les sauces, même dans la viande hachée. / En fin d’expérience, 80% des femelles traitées sont atteintes de tumeurs mammaires. / Voilà, elle a trois masses en fait / Oh, pauvre animal, c’est horrible ! / Moi, ce qui me fait le plus mal, c’est d’attendre. C’est-à-dire que… vous vous rendez- compte qu’on attend les cercueils et les gens qui peuvent mourir. »
Olivia Gesbert : « même dans la viande », extrait du film, « Tous Cobaye », de Jean-Paul Jaud, à paraître demain en salle. Daniel Boy, « le poids des mots, le choc des images » disait Paris-Match. Les mots, c’est les tumeurs mammaires, les perturbations rénales, et les images on les a vues partout s’étaler dans la presse, sur nos télés, celles de jolis rats blancs avec de grosses boules dans le cou. Est-ce qu’on peut d’ores et déjà mesurer l’impact de cette étude sur l’opinion ?
Daniel Boy : Ça serait intéressant à faire, on ne l’a pas fait. À mon avis, il est terrible l’impact, parce que l’image est extrêmement forte. Les images dans ce domaine-là elles sont toujours de très fortes conséquences. Cela commence à la fin des années soixante avec les images de l’oiseau englué dans le mazoute, puis on en a vu un autre, puis un autre. On voit un oiseau englué de mazout à peu près tous les dix ans, à chaque Erika. Donc c’est des images extrêmement fortes, cela vaut mille discours, ça vaut mille avocats, contre les OGM, le pétrole, etc.
Olivia Gesbert : Jacques Testart, c’est voulu cette stratégie de communication ?
Jacques Testart : Je ne suis pas du tout dans le secret de Séralini.
Olivia Gesbert : Mais comment vous le ressentez, on veut marquer les esprits ?
Jacques Testart : C’est effectivement un peu spectaculaire, cela aurait pu ne pas exister tout ce cinéma autour mais il faut bien comprendre que les gens qui se battent contre les OGM ont fort à faire ! Tout le reste de l’année et pendant très longtemps, et cela fait vingt ans que cela dure, le terrain est occupé essentiellement par les marchands d’OGM et ceux qui les défendent. Donc il y a un énervement, il y a une volonté de profiter pour faire un coup certainement. Si l’on juge ça en dehors de l’historique on peut dire : c’est ridicule. De même que le secret a été gardé sur la publication parce qu’il est arrivé à d’autres chercheurs, aux États-Unis en particulier, que leur article qui devait être publié la semaine prochaine ne soit pas publié parce qu’il y a eu des pressions très fortes sur le journal qui devait le publier. Donc Séralini, averti de tout ça, parce qu’il commence à avoir un peu gros sur la patate, a donc préféré garder le secret.
Olivia Gesbert : Pardon, je n’avais pas compris le gros sur la patate. À vous Jean-Christophe Pagès, je ne sais pas si vous êtes un marchand d’OGM ou pas ou si vous vous considérez comme tel, en tout cas vous n’avez visiblement pas l’air d’être totalement d’accord avec ce que dit Jacques Testart.
Jean-Christophe Pagès : Ce que je voudrais dire en préliminaire, c’est que je ne suis pas le défenseur des OGM. C’est justement la difficulté d’un expert, membre du Haut conseil des biotechnologies, c’est que nous ne sommes pas là pour les défendre mais pour les évaluer. Ce que j’aurais voulu dire à la suite de ce qu’a présenté Jacques Testart, c’est corriger quelques éléments. La première chose, c’est qu’effectivement dans le discours, dans la sémantique des personnes qui sont Gilles-Éric Séralini et d’autres chercheurs autour de lui, il y a une volonté d’utiliser les termes : plante-pesticide, plante-insecticide, pour se référer au référentiel de la chimie, et du coup faire que les gens pensent qu’effectivement il faut appliquer ce référentiel. C’est une chose qui n’est pas si évidente. Les personnes qui se sont penchées au début des années 90 puis au début des années 2000 sur l’évaluation des OGM ont beaucoup réfléchi à ces questions et si les modèles qui avaient été appliqués pour la chimie ne l’ont pas été pour les OGM c’est qu’il y avait des raisons, je ne pense pas qu’on puisse les développer ici mais il y avait de relativement bonnes raisons. L’utilisation des herbicides - parce que c’était une plante tolérante à un herbicide, le NK 603 – elle existe, il n’est pas question de la nier, il peut éventuellement dans le sol persister, cet herbicide, dans les graines de maïs il en persiste des quantités qui sont infinitésimale, d’ailleurs quand on regarde l’étude, ça je vais pouvoir le dire parce que ce n’est pas une analyse en tant que telle…
Olivia Gesbert : Vous voyez, vous y allez tout seul !
Jean-Christophe Pagès : Si vous regardez les résultats ils ne semblent pas différents dans les groupes d’animaux qui ont mangé le maïs OGM et ceux qui n’ont eu que l’herbicide. Donc, apparemment il n’y aurait pas de différences.
Olivia Gesbert : Jean-Christophe Pagès, pour vous, vous reprochez à cette étude, comme d’autres, j’emploie un terme qui a été employé, des « lacunes rédhibitoires » ? Elle ne vaut rien, pour vous, cette étude ?
Jean-Christophe Pagès : Ce n’est pas moi qui ai employé ce terme-là, le HCB est en train d’étudier l’article, je vous l’ai dit, je ne commenterai pas cet article. J’ai un seul commentaire à faire. Cet article semble indiquer qu’il y a un risque sanitaire majeur, je ne comprends pas comment les personnes qui ont détecté un risque sanitaire majeure attendent plusieurs mois, puisque l’article a été soumis à la revue en avril, pour alerter les pouvoirs publics sur cette question. C’est une interrogation que j’ai, si effectivement c’est ça. Pour le reste, le Haut conseil des biotechnologies est en train d’analyser l’article, les résultats seront rendus aux alentours du 20 octobre, et on pourra dire, je ne vais pas qualifier l’ensemble de la méthodologie ici.
Olivia Gesbert : « lacunes rédhibitoires », les mots était de Gérard Pascal, ancien toxicologue, aujourd’hui consultant pour les entreprises agroalimentaires. Vous ne pouvez pas vous prononcer directement sur cette étude, en tout cas vous ne souhaitez pas le faire pour l’instant, parce que vous seriez tout à fait en capacité de le faire, dites-nous par contre, ça cela nous intéresse, qu’est-ce que le HCB, que vous représentez, le Haut conseil des biotechnologies, a pour l’instant émis comme recommandations, comme avis, concernant la toxicité des OGM.
Jean-Christophe Pagès : Le Haut conseil des biotechnologies reçoit des saisines du gouvernement concernant les OGM qui sont susceptibles d’être importés ou cultivés en France, et nous recevons les dossiers tels qu’ils sont soumis à la Commission européenne, ce sont des dossiers des sociétés, Monsanto, Bayer, Syngenta, qui comprennent les études réglementaires. Une étude de toxicité aiguë où on a fait ingérer à l’animal des quantités extrêmement importantes pour essayer de détecter un effet, parfois justement les études sont arrêtées parce qu’on n’arrive pas à détecter d’effets et on ne voudrait pas les gaver de façon excessive. Ensuite, des études de toxicité subchronique, qui sont les fameuses études à trois mois, des études dans lesquelles des animaux sont nourris avec des OGM, traités ou non traités, pendant trois mois et sur lesquels on va observer différents organes.
Olivia Gesbert : Études jugées trop courtes par l’équipe du professeur Séralini, juste pour préciser pour les auditeurs.
Jean-Christophe Pagès : C’était un point que je voulais préciser à la suite de l’intervention de Monsieur Testart, qui disait que Gilles-Éric Séralini avait déjà noté des anomalies. Ces anomalies n’étaient pas reconnues comme étant statistiquement significatives, les études telles qu’elles étaient construites (celle qu’a publiée Monsieur Séralini, tout autant que certaines qui sont données dans les dossiers, et le HCB ne s’est pas gêné pour le dire) de telle façon qu’il n’est pas toujours possible de dire s’il y a ou non des différences entre les contrôles et les animaux tests.
Olivia Gesbert : Je n’arrive pas à comprendre, le HCB, le Haut conseil des biotechnologies a émis des mises en garde sur les OGM ?
Jean-Christophe Pagès : Non, nous n’avons pas émis de mise en garde sur les OGM, nous avons quelques faiblesses dans les analyses qui étaient proposées par les pétitionnaires, c’est contenu dans nos avis. Tous nos avis sont publiques, il y a un site, HCB - Haut Conseil des biotechnologies, vous pouvez les consulter et vous verrez, on fait une analyse…
Olivia Gesbert : Mais là on compte sur vous pour nous aider justement à vulgariser, avec beaucoup de pédagogie, et à être transparent aussi pour comprendre toutes ces questions-là.
Jean-Christophe Pagès : Oui, la transparence est essentielle.
Olivia Gesbert : Est-ce que vous voulez répondre, Jacques Testart ?
Jacques Testart : Oui, il y aurait beaucoup de choses.
Olivia Gesbert : Pour commencer, sur cette accusation.
Jacques Testart : Le HCB rend des avis, le grand manitou en Europe ce n’est pas le HCB, c’est l’Agence européenne de sécurité des aliments, qui a rendu déjà plusieurs dizaines d’avis, ils ont toujours été positifs, jamais ils n’ont vu de problèmes. Quand on reproche à l’étude de Séralini d’être faite sur des rats qui sont sensibles et qui font facilement des tumeurs, c’est une souche de rats connue, mais c’est les mêmes que ceux qu’utilise Monsanto pour donner ses dossiers au HCB ou ailleurs ! Quand on dit qu’il n’y a que dix animaux par groupe, dans les études qui sont faites par les industriels et qui permettent d’obtenir des autorisations, il y en a moins que ça. Ce qu’il faudrait quand même, que l’on refasse l’expérience de Séralini cela me paraît tout à fait légitime, c’est qu’il y ait une transparence sur les données dites scientifiques qui ont permis aux différentes agences d’autoriser ces produits, de permettre qu’ils soient consommés, qu’ils soient plantés. Là-dessus, on connaît l’avis final mais on ne connaît pas les éléments. C’est un procès d’intention que l’on fait à un chercheur parce qu’il dit l’inverse de ce qui intéresserait l’industrie des biotechnologies. Mais pourquoi l’industrie ne produirait pas ses résultats dans la transparence ? « Voilà, on avait quatre groupes de cinq rats, on a trouvé ça », à ce moment-là on s’apercevrait que c’est dérisoire. Évidemment l’industrie a pour but de montrer qu’il n’y a pas de danger, donc de ne pas trouver de différence, le fait qu’il n’y ait pas beaucoup d’animaux ça l’arrange plutôt. Au contraire, si veut arriver à trouver une différence, il faut avoir beaucoup d’animaux. Ce travail de Séralini a coûté plus de trois millions d’euros, trois millions d’euros en même temps c’est rien du tout. C’est quand même invraisemblable que l’INRA ou un autre organisme n’ait pas mis cinq, dix millions d’euros pour faire des lots plus importants et faire cette expérience il y a dix ans !
Olivia Gesbert : Alors, qui croire ? On en revient à cette question, Daniel Boy ?
Daniel Boy : C’est toujours le problème des experts qui sont confrontés les uns avec les autres sur une scène publique. La notion d’experts indépendants, cela fait quand même un moment que l’on entend parler des experts indépendants. En fait si je me souviens bien cela date de la CRIIRAD, cela date de Tchernobyl, tout à coup on vu des experts qui se sont dits indépendants, mais indépendants de quoi, de qui ? En général on soupçonne un expert de ne pas être indépendant quand il dépend financièrement, matériellement…
Olivia Gesbert : Indépendant des lobbies, indépendant des groupements d’intérêt économique, c’est ça ?
Daniel Boy : On est d’accord. Il n’y a pas que des intérêts économiques, il y a aussi des intérêts idéologiques. Un expert il peut être intéressé idéologiquement à défendre une cause. Les deux doivent être, à mon avis, symétriquement considérés. Un expert qui est fortement lié à une cause écologique, parfaitement défendable, parfaitement honorable, qui est la cause contre les OGM, etc., eh bien il a un intérêt, un intérêt idéologique à défendre cette cause. Je crois que c’est le cas de Séralini.
Jacques Testart : De même, un expert du HCB, qui a été nourri de biologie moléculaire, de génétique et de l’ADN qui est secret de la vie, il est forcément dans une idéologie.
Jean-Christophe Pagès : Jacques Testart en parle d’autant mieux qu’il a été mon enseignant.
Daniel Boy : Ce que cela nous dit sur l’expertise c’est qu’elle doit être plurielle, des experts de bords différents, qu’on doit connaître leurs intérêts, tous leurs intérêts y compris leurs intérêts idéologiques, et que c’est un collectif d’experts non pas indépendants chacun mais éventuellement ayant chacun une dépendance connue et transparente, qui doit collectivement donner un avis. C’est vers ça qu’on devrait se diriger.
Olivia Gesbert : Donc si je résume pour l’instant on a d’un côté des chercheurs dont les travaux sont orientés dans un esprit militant, on parle de Séralini comme d’un écologiste, anti-OGM, il avait signé toutes les pétitions contre, etc. « des choix idéologiques qui pèsent lourdement dans l’interprétation des résultats scientifiques », voilà ce que disait de lui le biologiste Marcel Kuntz, et de l’autre côté on aurait des scientifiques de mèche avec les industriels, puisqu’on dit aujourd’hui que toutes les autres études qui ont été demandées auparavant ont été commanditées par des industriels et financées par ces lobbies. Alors je reviens à ma question, qui croire ?
Jean-Christophe Pagès : Sur la question, c’est assez difficile. On reproche aux industriels de faire des études qui sont des études réglementaires. Les industriels, je pense que s’ils avaient le choix ils ne les auraient pas faites du tout. Elles sont réglementaires, ils font ce que la Commission européenne a demandé qu’ils fassent.
Olivia Gesbert : Cela veut dire quoi réglementaire ? Selon quels critères sont-elles réglementées ?
Jean-Christophe Pagès : C’est-à-dire que pour déposer un dossier d’importation, ils doivent…
Olivia Gesbert : Ils doivent les faire, ça j’ai compris.
Jean-Christophe Pagès : Ils doivent faire ces études, basées sur des protocoles de l’OCDE ou des protocoles construits par des toxicologues, des vétérinaires, qui ont été construits pour la plupart sur la connaissance qu’on avait des molécules chimiques, de synthèses chimiques et des effets que l’on pouvait attendre. Elles on été transposées pour certaines aux plantes génétiquement modifiées essentiellement, mais pas toutes, parce qu’il y avait eu une interrogation des biologistes qui avaient généré ces plantes génétiquement modifiées et qui avaient donné des limites aux études qu’il était nécessaire de faire.
Olivia Gesbert : Mais Jean-Christophe Pagès, par exemple Corinne Lepage, du CRIIGEN aussi, le Comité de recherche et d’information indépendante sur le génie génétique, qui a été fondé en 1999 par Séralini et Corinne Lepage, l’avocate avance que les producteurs ont organisé, je la cite, leur irresponsabilité, c’est-à-dire qu’ils refusent sciemment de réaliser des études d’impacts poussées car si elles révélaient des risques ils pourraient être tenus pour responsables d’avoir commercialisés des produits nocifs. Ce qu’elle dit, c’est qu’à partir de ces enquêtes redites, ces études dites réglementaires les industriels peuvent aussi en faire ce qu’ils veulent et commander des études peu poussées pour que cela n’arrive pas à des résultats qui les contrarient.
Jean-Christophe Pagès : Une étude réglementaire définit ce qui doit être fait, donc ils font ce qui doit être fait même si effectivement il y a matière à critiquer sur les méthodes statistiques. L’ANSES, avec des experts du HCB, avait produit une analyse de ces méthodes statistiques et du coup il y a eu une révision des exigences qui a été portée sur le plan européen et qui fait que toute étude à venir devra répondre à des critères particuliers, qui sont des critères d’exigence, pour pouvoir être interprétée correctement. L’absence de responsabilité d’une personne qui commercialiserait un produit toxique, j’ai du mal à imaginer qu’elle puisse se baser sur le simple fait d’avoir répondu à des exigences réglementaires et qu’il n’aurait rien été détecté à ce moment-là. Si d’aventure les épidémiologistes détectaient un effet d’un quelconque OGM sur la santé humaine ou animale, je ne crois pas qu’il y aurait de doute sur l’imputabilité et qu’on pourrait se soustraire aux conséquences.
Jacques Testart : Je crois qu’il faut dire quand même qu’au niveau de l’agence européenne, qui je le répète est le grand manitou quand même pour les autorisations en Europe, on va plutôt à l’envers de ce que l’on disait tout à l’heure, c’est-à-dire qu’au lieu d’aller vers des études longues, comme on le fait pour des toxiques, pour des pesticides, on va au contraire vers une nouvelle conception qui nous vient des États-Unis bien sûr, qui est celle de l’équivalence en substance. C’est-à-dire que l’on admet qu’une plante est équivalente quand elle est modifiée à celle d’origine sauf par le gène que l’on a introduit dedans dont on peut dire il ne sert qu’à ça, or ça cela ne pose pas de problème, ce qui est une absurdité, parce que quand on introduit un gène dans une plante on modifie d’autres choses, on modifie le génome et on modifie des équilibres et des rapports avec l’extérieur. Donc, on s’oriente vers une simplification, sous la pression encore des biotechnologies. Mais je crois qu’il faut quand même que dans cette émission qu’on parle un peu d’autre chose. Je ne crois pas que c’est la querelle d’experts qui va permettre de régler de façon juste ce débat qu’il y a : est-ce qu’on peut ou pas manger, cultiver des plantes transgéniques.
Olivia Gesbert : Quel est le vrai débat alors pour vous ? Les vrais termes ?
Jacques Testart : Le vrai débat c’est que les plantes transgéniques n’ont pas seulement comme effet éventuel la toxicité, il y a plein d’autres effets qui sont démontrés, par exemple les plantes transgéniques sont brevetées, il y a donc un effet économique, on peut le mesurer. Et ça, ce n’est pas les biologistes moléculaires, les généticiens qui devraient en juger. Il y a un effet sur l’économie rurale ; aujourd’hui on va vers une économie plutôt de terroir, ces plantes transgéniques sont faites pour être distribuées sur de grandes surfaces, pour être traitées en grande culture. Il y a un effet sur l’économie de main d’œuvre ; par exemple l’agriculture biologique ou simplement paysanne, qui consomme beaucoup de main d’œuvre, qui fait des produits de qualité, dont on dit qu’on doit la développer, c’est complètement à l’encontre des plantes transgéniques. En dehors des défauts qu’elles peuvent avoir, les plantes transgéniques ont cinquante ans de retard. On aurait pu en parler après la Deuxième guerre mondiale, au moment du grand essor, les trente glorieuses, comme on a fait avec les hybrides par exemple, à ce moment-là ils pouvaient faire croire qu’il y avait une place pour les plantes transgéniques, mais aujourd’hui c’est complètement dépassé ou alors on ne croit pas à ce qu’on dit. Tout le monde tient un discours disant il faut développer l’agriculture de proximité pour la main d’œuvre, la qualité des produits, etc., respecter et économiser l’eau, éviter les pesticides, or c’est tout le contraire que font les plantes transgéniques. Pourquoi s’entêter à développer ces plantes d’autant qu’elles n’apportent aucun avantage au consommateur, j’insiste là-dessus. Elles n’apportent aucun avantage au consommateur, pourquoi s’embêter ? On peut se battre contre le nucléaire, mais certains diront : oui, grâce au nucléaire on fait de l’électricité, ce n’est pas faux, avec les plantes transgéniques on ne fait rien.
Olivia Gesbert : C’est un autre débat, c’est aussi un vrai débat, mais je crois que celui de la recherche, la question de la recherche est-elle ou non aujourd’hui indépendante en France ? est aussi un débat qui mérite d’être mené aussi.
Jacques Testart : Oh, oui ! Je peux continuer là-dessus si vous voulez.
Olivia Gesbert : Je voudrais bien. Je vais juste demander à Daniel Boy qui n’est pas intervenu depuis un moment, qui est ici notre sociologue ici aujourd’hui, qui est directeur de recherche au CIVIPOF, qui aujourd’hui peut arbitrer ces débats ? Qui a la confiance de l’opinion ?
Daniel Boy : Oh, c’est difficile ça comme question. La confiance de l’opinion, elle est faible. Quand on regarde les enquêtes d’opinion qui sont faites, où on dit : s’il y a un problème de cancer autour des centrales nucléaires, etc., qui est-ce que vous allez croire ? À qui vous ferez confiance pour donner une expertise ? Moi, j’ai posé ce type de questions. Il est vrai, je comprends très bien les réactions vis-à-vis de ce qui se passe actuellement, que le personnage auquel les gens font le plus confiance, c’est le scientifique lié à une organisation d’environnement. Donc, c’est typiquement le cas de Séralini. C’est ça actuellement. Vient en second le scientifique d’un organisme public, il n’y a pas beaucoup de différences, c’est quelques point de différence mais les deux viennent en tête. Cela veut dire quoi ? C’est ce qu’on disait tout à l’heure, l’idée d’un scientifique indépendant, au fond les ONG qui seraient indépendantes et défendraient l’intérêt public, c’est une idée qui est très fortement ancrée dans l’opinion. Il reste que la science, la science publique, la science de l’État, la science du CNRS, la science des grands organismes, elle est effectivement considérée comme sérieuse et comme quelque chose qui donne des garanties en qui on peut avoir confiance. Mais un peu au-dessus, il y a le scientifique, supposé patenté, mais travaillant pour une organisation en environnement. C’est ça la situation actuelle.
Olivia Gesbert : Et les journalistes, les médias et la presse ? Quand on voit cette Une du Nouvel Observateur : « Oui, les OGM sont des poisons ! », quel impact !
Daniel Boy : Je me rappelle le titre de Libé, en 1996, « Le soja fou débarque ! », c’est fait ! Une fois qu’on a dit : « Le soja fou débarque », qu’est-ce qu’on a dit ? On est en pleine affaire de la vache folle…
Jean-Christophe Pagès : L’auteur avait beaucoup regretté d’avoir utilisé ce titre
Daniel Boy : Je sais, j’en ai discuté avec les journalistes de Libé. Mais c’est extraordinaire comme titre.
Olivia Gesbert : Ça a joué sur la vache folle.
Daniel Boy : À partir du moment où c’est le soja fou, cela veut dire que c’est lié à la vache folle. Quand ils arrivent les OGM en France personne en gros ne sait ce que c’est, il n’y a que dans les laboratoires que l’on sait ce que c’est, mais comme on l’indexe par rapport à une crise publique extrêmement dure, extrêmement violente, il y avait un risque supposé, on ne savait absolument pas si l’on risquait soixante morts ou soixante-milles morts à une certaine époque de l’affaire de la vache folle, et tout d’un coup on lie directement le soja, dit fou, à ça, c’est vite fait quand même.
Jacques Testart : C’est intéressant de parler de la vache folle parce qu’une vache folle est équivalente en substance à une vache pas folle, or on voit le résultat !
Jean-Christophe Pagès : Ce sont des raccourcis, je trouve extrêmement dangereux d’utiliser ce type de raccourcis. Effectivement dans le registre des publications de Monsieur Séralini qui régulièrement fait dans la même idée, il écrit - même dans les articles, les publications en anglais, je trouve ça assez sidérant que cela puisse passer dans des revues scientifiques : « les transgènes codent des protéines, parmi les protéines il y a le prion, donc les transgènes sont potentiellement aussi dangereux. » C’est beaucoup plus complexe que ça.
Olivia Gesbert : Bien sûr que tout le monde peut s’informer, Jean-Christophe Pagès, mais cette question de la fiabilité ou de la crédibilité de la recherche elle est quand même essentielle. Vous ne pouvez pas tout simplement dire aux gens : potassez toutes les études qui sont en ligne sur notre site, qui ont été réalisées en la matière, et pendant que vous y êtes achetez vos propres rats, menez vos propres expérimentations dans votre cave et faites-vous votre opinion sur le sujet.
Jean-Christophe Pagès : Ce n’est pas ce que je dis. Justement, le Haut conseil aux biotechnologies est une réponse à cette attente d’une expertise différente qui implique la société civile. Il a une forme aujourd’hui qui est…
Olivia Gesbert : Bicéphale.
Jean-Christophe Pagès : Voilà : deux comités, un comité scientifique et un comité économique, éthique et social. C’est une forme qui a été voulue par le législateur, il y avait eu d’autres systèmes qui avaient été proposés, avec des systèmes un peu plus intriqués ou un système dans lequel la société civile, sous la forme d’un comité économique, éthique et social, aurait contenu des scientifiques qui auraient été des vecteurs, des traducteurs des informations purement scientifiques. Là le HCB existe tel qu’il est, il y a des échanges qui sont extrêmement importants entre les deux comités et qui d’une certaine façon sont un des éléments de réponse à une espèce de sortie par le haut pour cette expertise. Je voudrais juste revenir sur ce que disais Monsieur Boy tout à l’heure concernant le fait qu’un chercheur appartenant à une organisation environnementale ait un impact ou un crédit supérieur…
Daniel Boy : Légèrement supérieur.
Jean-Christophe Pagès : Légèrement supérieur à celui des scientifiques, ça me trouble d’une certaine façon, en particulier quand le chercheur affiche son conflit d’intérêt. Sur le site du CRIIGEN, pour ne pas le citer, qui est théoriquement indépendant, il est marqué, le premier janvier, « Bonne année sans les OGM tous les ans », je suis quand même un peu troublé, ce sont des gens qui sont indépendants mais qui ont quand même un objectif, où est l’indépendance vis-à-vis de cet objectif ?
Jacques Testart : Je crois qu’il faut quand même aussi remarquer que l’Association française pour la défense des biotechnologies, dont vous êtes membre je pense…
Jean-Christophe Pagès : Ah, non ! Je ne suis absolument pas membre de cette organisation.
Jacques Testart : Tous les gens que l’on a cités tout à l’heure sont membres,
Olivia Gesbert : Qui sont des scientifiques plutôt favorables aux OGM.
Jacques Testart : Très favorables, c’est leur raison d’être même, faire du lobbying en faveur des biotechnologies végétales…
Jean-Christophe Pagès : Mais ça ils le font en tant que membres.
Jacques Testart : On a l’impression que quand c’est de ce côté du manche c’est normal et quand c’est de l’autre ce n’est pas normal.
Olivia Gesbert : Mais qui commettent aussi des expertises.
Jean-Christophe Pagès : Non, ils ne commentent aucune expertise, c’est une Association de lobbyistes.
Olivia Gesbert : Lobbyistes scientifiques.
Jean-Christophe Pagès : Ils sont scientifiques, oui. Là, en l’occurrence je n’ai pas à commenter l’AFBV (Association Française des Biotechnologies Végétales), ce sont des gens qui ne m’intéressent pas en tant que BV, j’en connais plusieurs qui sont de bons scientifiques par ailleurs, c’est autre chose.
Jacques Testart : L’évolution qu’il y a actuellement dans plusieurs structures en France, le HCB, l’ANSES, qui est l’agence d’évaluation française, témoigne qu’il y a un malaise dans l’expertise. Mais on n’est peut-être pas allé assez loin. Nous, à Sciences citoyennes, on a proposé, on a un projet de loi qui devrait être discuté au mois d’octobre à l’Assemblée, mais ce n’est pas très bien parti parce que ça a l’air de heurter certains, qui serait de créer d’abord une espèce de comité d’éthique de l’expertise, on a appelé cela Une Haute autorité de l’expertise de l’alerte, qui aurait pour fonction d’élaborer les règles de l’expertise qui pour le moment n’existent pas vraiment. Il y a des choses qui sont dites…
Jean-Christophe Pagès : Des normes.
Jacques Testart : Des normes…
Jean-Christophe Pagès : Elles existent, les normes.
Jacques Testart : Et de vérifier que ces normes sont respectées par toutes les instances d’expertise. Dans ces normes on trouverait évidemment le contradictoire systématique, on trouverait la plurifonctionnalité, on trouverait le fait, comme je le disais tout à l’heure, qu’un économiste, un psychanalyste, a à dire aussi sur les plantes transgéniques, et pas seulement un biologiste.
Olivia Gesbert : D’ailleurs vous n’avez pas vu d’un mauvais œil l’arrivée, avec le HCB, de cette institution bicéphale, notamment de ce comité éthique et pluridisciplinaire.
Jacques Testart : Bicéphale mais il ne faut pas que l’une domine l’autre. Il y a quand même la tête des sciences dures qui domine les autres, qui sont un peu là pour faire la garniture. Moi je pense qu’il n’y a pas à faire de hiérarchie, il y a plein de gens qui sont experts, il y en a dans les institutions, il y en a dans la société civile, tous ceux-là ont leur place. On ne va pas mettre cinquante millions de personnes dans un comité, il faut trouver des façons de faire, mais surtout il faut une instance qui régule. Une agence ne peut pas s’autoréguler, sinon cela va à la catastrophe. Une instance qui régule et qui défende aussi les lanceurs d’alerte, on n’a pas parlé de ça. Séralini et plein d’autres sont des lanceurs d’alerte.
Olivia Gesbert : André Cicolella…
Jacques Testart : C’est-à-dire qu’ils révèlent des choses qui étaient cachées, ignorées, et à ce moment-là ils ont les pires ennuis, et ça cela dure depuis l’amiante au début du vingtième siècle.
Olivia Gesbert : C’était un engagement du Grenelle de l’environnement, qui était de les protéger, qui pour l’instant n’a pas été tenu,…
Jacques Testart : Comme d’autres !
Olivia Gesbert : C’est le cas aux États-Unis et d’autres pays, où effectivement ils peuvent bénéficier de certaines protections.
Jacques Testart : Sur le papier.
Olivia Gesbert : Sur le papier, c’est déjà pas mal.
Jacques Testart : Donc, nous, on a un projet de loi, qui est prêt…
Olivia Gesbert : En tout cas cette institution que vous nous avez exposée, que vous rêvez, fantasmez peut-être, ça la suite nous le dira, c’est la condition pour vous pour qu’une expertise publique indépendante puisse s’exercer dans la transparence.
Jacques Testart : La transparence aussi. Quand je disais tout à l’heure qu’il faudrait que les agences qui ont donné des autorisations nous disent à partir de quelles expériences fournies par les industriels elles ont pu le faire, je ne vois pas pourquoi on ne nous le dirait pas : combien il y avait d’animaux ? Qu’est-ce qui s’est passé ? On ne le sait pas, ce n’est pas normal.
Olivia Gesbert : Jean-Christophe Pagès, en attendant, cela vaut pour les OGM mais aussi pour les pesticides, le bisphénol A, les phtalates, le sel, les ondes de téléphone portable, sur toutes ces questions de santé publique et d’environnement, en attendant que les experts se mettent d’accord, est-ce qu’il ne faudrait pas appliquer le principe de précaution ? Est-ce que ce n’est pas ça que le Haut conseil des biotechnologies, que vous représentez aujourd’hui, devrait peut-être recommander pour les OGM ?
Jean-Christophe Pagès : Le principe de précaution, c’est prendre des mesures proportionnées. Pour prendre des mesures proportionnées il faut évaluer, chose que fait le Haut conseil des biotechnologies. Ensuite nous donnons un avis, qui est la somme d’un avis et d’une recommandation, que je sache il n’y a pas de hiérarchie entre l’avis et la recommandation, et d’aucuns ont même dit que la recommandation prévalait sur l’avis…
Jacques Testart : D’aucuns.
Jean-Christophe Pagès : Oui, d’aucuns. Sincèrement, au sein du Haut conseil des biotechnologies, il n’y a pas d’ambigüités, il n’y a pas un qui prévaut sur l’autre. C’est ensuite au gouvernement d’appliquer ou non le principe de précaution. On lui donne des indications et lui voit les mesures proportionnées à prendre, et c’est me semble-t-il une application du principe de précaution. Dernière petite chose sur l’expertise, la pluralité de l’expertise, je peux vous dire que les discussions, même au sein du comité scientifique, ne sont pas des discussions plates, on n’est pas là pour prendre le thé, c’est parfois très animé. On s’est étonné qu’il n’y ait pas de position divergente au sein du comité scientifique, cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de discussions, c’est juste que la controverse est consubstantielle à la science, ce n’est pas parce qu’on dit blanc qu’il faut démontrer qu’il n’y a pas de noir et inversement.
Olivia Gesbert : Daniel Boy, il nous reste une minute, est-ce que le gouvernement, pour vous, a eu raison d’appeler à revoir les protocoles d’autorisation des OGM sans attendre les résultats de la contrexpertise annoncée ou est il a été vite en besogne.
Daniel Boy : Je trouve qu’il a été vite.
Olivia Gesbert : Créant une nouvelle peur, une nouvelle angoisse.
Daniel Boy : Ce n’est pas créant une nouvelle angoisse, c’est que les gouvernements depuis longtemps sont angoissés par ce que pense la société de la science et de la technique. Angoissés un peu à l’excès, à mon avis. Qu’il ait pu parler du principe de précaution, qu’il ait pu parler de faire des recherches, parce que le principe de précaution c’est surtout faire des recherches, s’il l’avait fait avec un plus de prudence lui-même j’aurais trouvé cela un peu mieux.
Olivia Gesbert : Pourquoi la société ignore-telle certains risques pourtant sérieux ? Pourquoi elle se méfie d’autres risques peu probables ?
Daniel Boy : Oh, c’est une vieille histoire !
Olivia Gesbert : C’est une question que vous vous posez, Daniel Boy, sur les OGM, alors où faut-il les classer ?
Daniel Boy : Là, je suis d’accord avec Jacques Testart, les gens font une espèce d’équation bénéfices-risques, et dans le cas des OGM, pour l’instant, dans l’immédiat, ils ne voient pas. Dans le cas du téléphone mobile, que chacun a dans sa poche et met à son oreille, où il y a peut-être un risque, tout le monde l’emploie et tout le monde paye des factures pharaoniques chaque mois, non ?
Olivia Gesbert : C’est la petite musique de fin, qui nous annonce que cette émission est déjà terminée.
Oui, Jacques Testart, il y avait encore plein d’autres sujets à aborder, mais revenez, revenez vite nous voir, je pense qu’on aura effectivement l’occasion d’en rediscuter. Merci beaucoup à tous les trois d’avoir répondu à cette invitation.
Merci à toute l’équipe du Grain : Fanny Richez, Céline Leclère et Julie Gacon, qui ont pensé, préparé cette émission. Jean-Christophe Francis qui l’a réalisée, avec à la technique ce soir : Bruno Gagnière Fontani (orthographe du nom incertaine).
Liens signalés sur le site de l’émission
– Étude de Gilles-Éric Séralini sur la toxicité de l’herbicide Round-Up Étude menée par Gilles-Éric Séralini publiée par la revue américaine « Food and Chemical Toxicology »
– CRIIGEN Groupe international d’experts ayant une approche transdisciplinaire sur les bénéfices et les risques du génie génétique, et sur les alternatives.
– Fondation Sciences Citoyennes Œuvre à une réappropriation citoyenne et démocratique de la science et de la technique afin de les mettre au service du bien commun.
– HCB - Haut Conseil des biotechnologies Instance indépendante chargée d’éclairer la décision publique sur toutes questions intéressant les biotechnologies.
– Page de l’Anses sur les OGM L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail assure des missions de veille, d’expertise, de recherche et de référence sur un large champ couvrant la santé humaine, la santé et le bien-être animal, et la santé végétale.
– AFBV - Association Française des Biotechnologies Végétales Association indépendante regroupant des personnes issues de divers horizons, convaincues de l’intérêt des biotechnologies végétales, en particulier pour développer une agriculture durable.
– Inf’ogm Veille citoyenne d’information, qui décrypte l’actualité mondiale sur les organismes génétiquement modifiés et les biotechnologies.
Livres signalés sur le site de l’émission
– Tous cobayes ! : OGM, pesticides, produits chimiques, Gilles-Eric Séralini, Ed. Flammarion, 2012
– La vérité sur les OGM, c’est notre affaire !, Corinne Lepage, C. L. Mayer, 2012
– Pourquoi avons-nous peur de la technologie ?, Daniel Boy, Ed. Presses de Sciences Po, 2007
– OGM : un choix de société, Christian Vélot, Ed. de l’Aube, 2011
– Alertes santé : experts et citoyens face aux intérêts privés, André Cicolella et Dorothée Benoit-Browaeys, Ed. Fayard, 2005