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Du jour au lendemain avec Caroline Hoctan

Émission, du jeudi 04 janvier 2007, Du jour au lendemain sur France Culture : avec Caroline Hoctan. Comme toutes les transcriptions, faites par Taos Aït Si Slimane, disponibles sur ce blog, l’oralité est respectée au maximum. Il n’y a pas de réécriture afin d’éviter tout risque d’interprétation.

Merci à tous ceux qui me signaleront les imperfections de ce travail artisanal, initialement publié sur mon blog "Tinhinane", le dimanche 14 janvier 2007 à 13 h 27 Taos Aït Si Slimane.

Entre l’Occupation et la IVe République, la Libération représente une parenthèse inédite dans l’histoire des institutions politiques du XXe siècle. L’ouvrage de Caroline Hoctan - Docteur en Littérature et Civilisation françaises et romancière - est un inventaire bibliographique analytique qui propose 150 fiches signalétiques détaillant la déclaration d’intention, les caractéristiques emblématiques et les sommaires de chaque revue : rédacteurs, collaborateurs, sommaires, dates de création, nombre de livraisons, titres des articles, etc. Un tableau synoptique permet de situer l’histoire des revues dans l’histoire de l’édition et de la société.

Caroline Hoctan, « Panorama des revues culturelles en France à la libération, août 1944-octobre 1946 », octobre 2006, Ed. IMEC, Coll. « Inventaires », 703 pages, ISBN : 2908295814, EAN13 : 9782908295818.

Alain Veinstein : Bonsoir. « Du jour au lendemain » avec Caroline Hoctan qui publie, « Panorama des revues à la libération, août 1944-octobre 1946 » à l’IMEC (l’Institut mémoire de l’édition contemporaine), dans la collection « Inventaires ».

Or, que se passe-t-il, aujourd’hui ?

Je crois bien, Caroline Hoctan, que vous aimez beaucoup les livres ?

Caroline Hoctan : C’est vrai.

A. V. : Vous êtes un peu papivore ? Tout ce qui est imprimé ?

Caroline Hoctan : Oui, je ne peux pas m’en passer, c’est certain. Il y a en a qui aiment l’alcool, moi j’aime les livres à peu près au même niveau, et les revues.

A. V. : N’importe quel livre ?

Caroline Hoctan : J’aurais tendance à dire, oui. Après je fais le tri mais c’est une pratique, finalement, personnelle, intime.

A. V. : Certains, c’est vous qui les avez publiés. Donc, vous êtes responsable et coupable, par exemple, la « Correspondance Chardonne - Paulhan » qui a été publiée chez Stock, en 1999, et puis, surtout, un roman. Un premier roman dont vous êtes venue parler dans « Du jour au lendemain », « Le dernier degré de l’attachement ». Roman qui a été publié chez Denoël et qui raconte l’histoire de père.

Caroline Hoctan : C’est un mauvais départ, sans doute. Je ne sais pas.

A. V. : Une sombre histoire. J’ai ça dans le souvenir.

Caroline Hoctan : Ah ! bon ? Sombre ?

A. V. : Une sombre histoire de père.

Caroline Hoctan : C’est peut-être toujours sombre quand il s’agit des pères mais ce n’est peut-être pas si sombre que cela, non ? Non, c’est plutôt une quête vers l’écriture qui passe à travers le père.

A. V. : Par l’attachement.

Caroline Hoctan : L’attachement, oui.

A. V. : C’est-à-dire, la découverte du fil.

Caroline Hoctan : Voilà. Ce qui ramène quelqu’un à son existence pour en trouver le sens. Sinon c’est une existence un peu vague ou pareille aux autres. Donc, le fil du père est peut-être ce qui distingue les existences les unes par rapport aux autres.

A. V. : Je me souviens que vous jouiez sur une certaine ambigüité en ne donnant pas votre prénom mais juste l’initiale, C, pour que le narrateur puisse être aussi bien une narratrice.

Caroline Hoctan : Oui. Qu’un narrateur, en fait. J’avais conçu ce roman de manière à ce qu’on ne puisse pas savoir qui parle. Ça me semblait important, parce qu’un homme ? Une femme ? Bon, et alors ? Je ne voulais pas que cela soit ramené à de l’autofiction, à une expérience vécue. Je voulais vraiment m’inscrire dans la fiction et faire parler une voix qui serait une voix de tout un chacun qui aurait senti les mêmes choses qu’il soit un homme ou une femme, dans les circonstances que je décris dans ce livre.

A. V. : Une voix qui raconte une sombre histoire d’écriture ?

Caroline Hoctan : Vous avez l’air de souligner que c’est sombre, vous en avez le souvenir, je ne voudrais pas que les auditeurs pensent cela. Sombre, à bien des égards elle peut être perçue comme ça, et à bien d’autres égards, non. C’est une quête avec les aspects positifs et négatifs dans une quête. Dans l’écriture, ça peut être douloureux et vers le père, à travers l’histoire du père, la retrouvaille avec le père, évidemment ça se passe parfois dans la douleur. Comme l’écriture, il y a un lien, là aussi.

A. V. : Qu’est-ce qu’on peu dire à son père sinon qu’on arrêtera jamais d’écrire ?

Caroline Hoctan : Rien d’autre. Souvent, ce n’est pas entendu.

A. V. : C’est difficile à entendre ?

Caroline Hoctan : C’est très difficile parait-il, oui.

A. V. : Car, on veut savoir aussitôt où ça mène ?

Caroline Hoctan : Nulle part, c’est le problème, sinon à l’écriture, à la lecture et surtout à ne pas participer aux activités de ce monde. Donc, évidemment, c’est difficile de se positionner comme, finalement, un être que je ne voudrais pas dire mort mais, Blanchot disait de l’écrivain : « il mourut, il vécu, il mourut », donc, évidemment ça donne un peu la dimension de cette vocation. Vouloir lire et écrire c’est peut-être être hors de la vie. En tout cas, à mes yeux, c’est la nouvelle vie ou la vraie vie et c’est vrai que pour ceux qui sont nos parents ou les autres, qui ne participent pas à cela, ça représente quelque chose d’un peu mortifère ou de poussiéreux. Mais comme les autres activités de cette société ne m’intéressent pas je préfère être dans la poussière.

A. V. : Nulle part, c’est un paradis pour vous ?

Caroline Hoctan : Oui, oui. Ça pourrait être une sorte de paradis à partir du moment où, je vous le dis, je ne suis pas poussée à participer à ce qui nous entoure. On peut croire, à ce moment-là, que le paradis, c’est ça. Du moins, une antichambre, avant d’y accéder.

A. V. : Donc, vous êtes retiré, un peu ? C’est pour ça que je parlais d’un univers sombre. C’est la face non éclairée, de notre vie à nous tous qui vivons ensemble en société ?

Caroline Hoctan : Oui. Oui mais retiré, on ne peut pas être retiré à moins de vivre seul sur une île déserte. Socialement, vous êtes inséré dans un monde, dans cette société.

A. V. : Vous, vous pourriez vivre, seule, dans une île déserte avec une radio ?

Caroline Hoctan : Tout à fait. Tout dépend, après des émissions qu’on écoute. Si j’avais la possibilité de partir avec ma bibliothèque et un poste de radio, j’accepterais, oui. Si on m’en donnait la possibilité, j’accepterais.

A. V. : Et, là, vous continueriez d’écrire ?

Caroline Hoctan : Oui. De l’écrire, d’écrire, de rêver, d’écouter les voix que j’aime écouter à la radio, tard le soir. Mais, en fait, rien de plus, je n’ai pas envie de grand-chose, à part cela. Ça paraît très réduit, ou je ne sais pas négatif, aux yeux de certains, peut-être aux vôtres, je ne sais pas. Pour moi, ça me suffit. Voilà.

A. V. : Une voix, ce n’est pas grand-chose ?

Caroline Hoctan : Ce n’est pas grand-chose ? Ça je ne peux pas aller dans votre sens. Je suis arrivée aux livres grâce à une voix. Quand j’étais très jeune, je vivais au fin fond d’une banlieue, un peu triste et morne, et décevante et ennuyeuse et vulgaire etc. Là, un jour, j’ai allumé la radio et j’ai écouté quelqu’un parler, ça a changé, certainement, ma vie, oui. Comme un jour je suis rentrée dans une librairie, ça a changé ma vie. Je n’étais pas du tout prédisposée à écrire. Je venais d’un milieu où on ne lit pas. Je n’ai pas parlé du passée qui était le mien, mais cette adolescence où on est en échec scolaire, on sort du milieu de la scolarité, où on ne fait pas grand-chose, en fait ce qui sauve la vie, ce sont les livres et certaines voix humaines, oui.

A. V. : Il est très sérieux, le livre, que vous publiez à l’IMEC, Caroline Hoctan, dans la collection « Inventaires », « Panorama des revues à la libération août 1944-octobre 1946 ». C’est vrai que les revues ça vous intéresse beaucoup. Je me souviens d’un documentaire que vous aviez fait pour « Surpris par la nuit » sur la vie des revues, c’était en février dernier, dans une réalisation d’Anna Szmuc, et là, vous aviez convié les auditeurs à une promenade parmi quelques revues contemporaines. Des revues essentiellement de littérature et de sciences humaines. Ça vous arrive d’ailleurs de collaborer, aussi, à des revues ?

Caroline Hoctan : J’ai pu collaborer à des revues, oui, rarement en fait, par manque de temps, tout simplement. Mais j’aime beaucoup écrire pour des revues, oui.

A. V. : Et là, c’est à la Libération que vous remontez, avec ce livre. Une tout autre époque, pour les revus.

Caroline Hoctan : Oui. Une tout autre époque parce qu’elles participaient activement de la vie de la société, de la redéfinition de cette société au sortir de la guerre. Elles étaient lues et écoutées, ou écoutées et lues. En tout cas leur voix, à travers l’écriture, portaient loin des messages entendus par une partie de la population, évidemment, une minorité. Les revues n’ont jamais tiré à grande échelle et distribué des milliers d’exemplaires mais c’était des revues quand même assez médiatiquement reconnues, si je puis employer ce terme de médiatique. Mais elles avaient une véritable place, ce qui n’est plus le cas, aujourd’hui, je crois.

A. V. : Alors, dans le livre, une dédicace, tout de même. Elle ne passe pas inaperçue, surtout quand on a lu votre premier roman. C’est à votre père que le livre est dédié.

Caroline Hoctan : Ce qui ne marche peut-être pas avec un roman, on se dit que ça peut peut-être fonctionner avec un essai. Je ne sais quoi dire. C’est vrai que je lui ai dédié cet ouvrage parce qu’en fait la période de la Libération il l’a bien connue, il y a participée. Il m’a beaucoup parlé de cette période, c’est sans doute des événements qu’il a été amené à vivre, durant l’Occupation, la Libération, qui ont déterminé son existence et un peu la mienne.

A. V. : Vous en faites presque un personnage de roman, l’officier des forces britanniques.

Caroline Hoctan : Il se trouvait que c’était son statut. Il a été envoyé en France, dans la Zone Nord de la France, pour faire remonter l’information aux services secrets britanniques. Donc il a travaillé avec les différents réseaux de résistance. Et il a vécu, ces 4 années, caché dans des conditions extrêmement difficiles, devant agir dans des conditions difficiles, aussi, être amener à faire des choses encore plus difficiles, ce qui marque une vie et qui finalement, peut-être, arrête une vie, ne permet pas une continuité des désirs de famille, d’amour, de réussite sociale,…

A. V. : C’était un espion ?

Caroline Hoctan : Oui. Voilà, on dit ça comme ça. Oui. Oui, les services secrets britanniques quand on travaille pour eux, apparemment ce sont des espions, oui. Surtout dans les films, dans la réalité ce sont des agents secrets qui font partie en fait des effectifs de l’armée, qui travaillent et qui ont un travail qui n’est pas aussi passionnant qu’on l’air de le montrer les films, où que le montre les romans d’espionnage.

A. V. : Vous, ce sont les revues que vous avez préférées espionner comme des objets sociologiques.

Caroline Hoctan : Oui. Je crois que les revues en disent plus ce que nous vivons ou ce que nous avons vécu que les journaux, ou la télévision, je ne dirais pas la radio.

A. V. : Les revues ont souvent la vie difficile. Quand on parle des revues, c’est des grandes dont on parle, le plus souvent. Les petites, elles sont passées sous silence.

Caroline Hoctan : Oui. Toutes les recherches actuelles parlent en fait des grandes revues mythiques, par exemple, « Les temps Modernes », ou « La Revue des Deux Mondes », pour citer, comme ça, deux titres. Mais il est difficile de se procurer, de lire les textes qu’ont publiés et diffusés des titres moins connus, voire totalement inconnus parce qu’ils ont tirés à quelques centaines d’exemplaires et ont été, en fait, réalisés et publiés par de jeunes gens qui avaient des velléités d’action réflexive et de participation intellectuelle.

A. V. : Et, à l’IMEC, on se propose d’inventorier tout ça, de faire une sorte de panorama des revues. Donc, il y a votre livre, il y aura un autre livre qui est annoncé pour les revues sous l’Occupation. Donc, la Libération précède l’Occupation.

Caroline Hoctan : Oui. Ça aurait du être l’inverse mais mon ami Olivier Cariguel qui s’occupe de l’Occupation a pris du retard, moi, j’avais fini, les choses ce sont passées comme ça. En tout cas c’est une collection, qui est la première du genre, à vouloir inventorier, dans le bon sens du terme, ce n’est pas pour aligner juste des titres. C’est pour montrer quelle était la vie culturelle, intellectuelle de l’époque, enfin, d’une époque donnée.

A. V. : Une époque difficile, celle que vous avez choisie, parce que c’est une période de grande mutation.

Caroline Hoctan : Oui. C’est une poque très particulière parce qu’elle est à la sortie, finalement, de l’Occupation et du gouvernement de Vichy et elle précède la IVème République, donc, en fait, la Libération n’appartient ni à l’une, ni à l’autre de ces deux périodes et elle prend quand même un peu des deux. Il y a une redéfinition de la société qui s’opère au sortir de la guerre…

A. V. : Pas seulement de la société, de l’écrivain, de l’engagement

Caroline Hoctan : Oui. Su statut de l’écrivain, de l’engagement,… et, en effet, tout le monde veut essayer de participer à cette redéfinition en essayant de donner des objectifs, ou des programmes qui permettraient de ne pas revenir à ce que le pays a vécu, et à l’histoire, qui est celle que l’on connait.

A. V. : Vous, avez recensé plus de 150 revues, que vous étudiez. Il s’agit d’une partie minime des revues. Ce sont celles qu’on peut dire littéraires ? Mais il y en avait quelques autres ?

Caroline Hoctan : Oui et non. C’est-à-dire que c’est inventaire qui se veut exhaustif. En effet, j’ai conservé, principalement, les revues littéraires mais que j’appelle culturelles. C’est-à-dire qui couvrent, finalement, les champs de ce qu’on appelait avant les « belles lettres ». Alors, on peut trouver le cinéma, le théâtre, la poésie, la musique et la littérature mais il n’y a pas tant de revues que ça dans ce qu’on pourrait définir comme revues techniques, politiques, ou spécifiquement produites par des instituions qui s’en servent d’une vitrine.

A. V. : Oui, mais il faut dire qu’en août 1944, il n’y a pas beaucoup de revues parce qu’il y en a un certain nombre qui sont plutôt compromises, même interdites.

Caroline Hoctan : Oui. Tout à fait. Il ya 4, 5 ou 6 revues qui paraissent, qui sont déjà établies au moment de la Libération et qui vont continuer à paraître. Et, toutes celles qui ont été compromises, à savoir « La Nouvelle Revue Française », « la Revue Des Deux Mondes », vont en effet être suspendue de publication, c’est ce qu’on appelle durement l’épuration. Les revues qui ont œuvré pour la résistance et qui ont le droit de continuer à paraître vont occuper vraiment le champ de revues pour établir, finalement, leur autorité et elles vont faire des émules. C’est à partir de là qu’il va y avoir beaucoup qui vont apparaître.

A. V. : Mais, d’abord, c’est une poignée de revues, « Confluence », « Poésie IV », « L’arbalète », « Message », et puis on peut ajouter, « Résurrection » et « L’éternelle revue ».

Caroline Hoctan : Oui. Tout à fait. Des revues qui ont été, pour certaines, autorisées quand même, sous Vichy, parce qu’il faillait quand même avoir des autorisations et publier mais qui ont, avec cette autorisation, essayé de servir la résistance en publiant des textes qui faisaient passer des messages subliminaux, on va dire, et qui ont permis à tous les réseaux de résistance intellectuelle de communiquer de passer des textes et de continuer un travail qui était impossible dans les revues légales mais qui œuvraient du côté du gouvernement de Vichy et de l’occupant.

A. V. : N’oubliant pas rappeler les revues qui ont été fondées à Alger.

Caroline Hoctan : Oui. Tout à fait.

A. V. : Et qui ont fait date, aussi, comme « La Fontaine », « L’arche », et « La Nef ».

Caroline Hoctan : Ces 3 revues sont un peu part parce que finalement elles étaient à Alger donc les choses étaient un peu moins difficiles pour elles que sur la Métropole. Maintenant, au moment de la Libération quand elles vont revenir en France métropolitaine, elles ne vont pas avoir autant de succès que « Poésie IV », par exemple, ou « Confluence », parce qu’en fait elles ont servi, là-bas, surtout à regrouper les résistants qui s’étaient réfugiés à Alger et qui essayaient de passer des messages au monde entier, qui avaient finalement une activité très prolixe sous l’Occupation mais elles vont un peu la perdre au moment de la Libération parce que déjà il n’y aura plus de combat à mener de manière frontale et puis ces revues qui étaient là pour œuvrer ensemble vont commencer à se disputer et à reprendre leur posture politique d’autan et essayer de se concurrencer de manière un peu dure, les unes, les autres. Ça ne sera plus un noyau d’entente comme ça pouvait l’être sous l’Occupation.

A. V. : Alors, dans ce livre, Caroline Hoctan, « Panorama des revues à la libération », publié par l’IMEC, vous passez en revue les revues de la résistance intellectuelle à cette époque-là, « Confluence », par exemple, qui se présente comme une tribune privilégiée de cette résistance.

Caroline Hoctan : Oui. Oui, tout à fait, René Tavernier qui l’a reprise au moment de l’Occupation, essaye de fédérer un ensemble d’intellectuels et d’écrivains pour, justement, faire passer des textes qui ne pouvaient pas être approuvés en Zone Occupée dans des revues comme « La Nouvelle Revue Française » que dirigeait alors Drieu-la-Rochelle et se sert de sa position légale en Zone Sud que lui autorise le gouvernement de Vichy pour essayer de tromper la censure, de publier des textes à double langage, et, justement, faire passer un message à l’étranger, comme quoi il y a une revue – c’est-à-dire « Confluence » mais d’autres revues, aussi – qui œuvre à une résistance de la pensée, du moins.

A. V. : Une fois, « Confluence » a la mauvaise idée de publier un poème d’Aragon, résultat, suspension pendant deux mois.

Caroline Hoctan : Tout à fait. Parce que la censure, en fait, le laisse passer mais le responsable de l’information s’en rend compte et, on va dire, qu’il se met en colère, un petit peu et ne l’autorise plus de publier. « Confluence » reparaîtra, en effet, au bout de 2 mois.

A. V. : Une autre revue avait bien choisi son titre, « L’éternelle Revue », c’est Paul Eluard qui l’a fondée, en pensant que même les temps difficiles, hostiles n’empêcheraient pas les poètes de continuer d’écrire et de publier.

Caroline Hoctan : Cette revue est un peu particulière parce qu’elle était totalement clandestine. Elle n’avait pas d’autorisation légale du gouvernement de Vichy. Elle paraissait de manière totalement illégale et en plus elle était distribuée à Paris. Elle passait de la Zone Sud à la Zone Nord, avait une dimension d’un mouchoir de poche et était distribuer de manière tout à fait clandestine. Ce qui est intéressant c’est qu’elle republiait des textes déjà publiés dans d’autres revues, surtout de la poésie, qui a ses yeux devaient reparaître jusqu’à temps que le message passe.

A. V. : Vous avez feuilleté des sommaires des numéros de cette revue ?

Caroline Hoctan : Oui.

A. V. : Alors, on y trouve quelques petites raretés ?

Caroline Hoctan : Oui, tout à fait. Je n’ai plus en tête tous. La plupart des textes et des poésies publiés l’étaient sous pseudonyme. En effet, il y a pas mal de rareté, je n’ai plus exactement les titres et les noms des auteurs mais vous trouvez déjà des textes de Jean Paulhan, d’Aragon, des Paul Eluard,…

A. V. : La poésie est en première ligne dans ces revues ; hein ?

Caroline Hoctan : Oui.

A. V. : Vous rappelez « Poésie » de Pierre Seghers.

Caroline Hoctan : Tout à fait. Parce que ça permettait dans la publication de texte de faire passer des messages que j’appelle subliminaux dans le sens où, en effet, la poésie permet de mettre certaines formes et certaines images qui permettent de tromper la censure mais que le lecteur comprend très bien. Il y a le célèbre poème de Paul Eluard qui s’appelle « Liberté » qui a été publié de la sorte et en fait le censure qui lisait cette poésie pensait que c’était un poème d’amour et il n’a pas été jusqu’au bout. Et en fait l’amour a été déclaré mais à la liberté.

A. V. : Alors, la revue de Seghers est un haut foyer de la résistance.

Caroline Hoctan : Oui. Tout à fait, oui.

A. V. : Il s’est replié à Villeneuve-Lès-Avignon. Et dans sa revue, avec la collaboration d’Aragon, de Paulhan, aussi, il n’hésite pas à publier des textes qui ont été refusés par Drieu-La-Rochelle pour la « NRF ».

Caroline Hoctan : Tout à fait. Il y avait, je ne vais pas dire une entente, Drieu-la-Rochelle qui avait une certaine ligne éditoriale à tenir, à Paris avec l’occupant, c’était d’ailleurs en plus ses propres idées, mais tous les textes des écrivains qui ne voulaient plus paraître à la « NRF » ou qui voulaient paraître mais pas dans ces conditions, en fait été repris par l’ancien directeur de la « NRF », Jean Paulhan et rediffusés à des revues qui étaient amis de Paulhan et avec Paulhan travaillait. Grâce finalement à Jean Paulhan des textes qui auraient du paraître dans la « NRF » sont parus dans « Poésie », dans « Confluence », dans « Fontaine ».

A. V. : Qui deviennent relai de la littérature du refus.

Caroline Hoctan : Tout à fait, voilà, c’était les revues de la littérature du refus.

A. V. : Eux, savent dire, non.

Caroline Hoctan : Ils savaient dire non.

A. V. : Et en même temps ça permettait aussi de faire un contrepoids à une autre revue qui était extrêmement importante qui était, elle à Marseille, « Les cahiers du sud ».

Caroline Hoctan : « Les cahiers du sud » est une ancienne revue qui été à l’instar de la « NRF » était parue pendant l’entre deux guerres, je crois en 1923 ou 25, je n’ai plus les dates, c’était une revue qui était déjà bien établie. En fait c’était une revue légale, qui obtenait du papier, qui était publiée et qui en même temps voulait servir la résistance sans faire de provocation et on ne se mettant pas la censure à dos. Elle a publié des gens tout à fait honorables et qui ne pouvaient plus publier dans la « NRF » mais elle n’a jamais œuvré de manière très frontale pour la résistance et contre l’occupant et la situation. Elle a même refusé des textes, Saint-Jean Perse, par exemple, parce qu’elle pensait que ça pouvait fâcher la censure. Elle était pour la résistance sans un engagement très, très ouvert.

A. V. : Dans la Zone Sud, encore, la revue que crée Jean Lescure, un autre poète, en 42, « Message ». Une revue qui, très vite, va apparaître comme un agent de recrutement idéal pour la clandestinité et les revues de la Zone Sud.

Caroline Hoctan : C’est une revue qui, en fait, se trouve à Paris et qui antidate ses cahiers pour contourner la censure et qui permet de faire passer des textes de la Zone Sud à la Zone Nord. Ces cahiers étant anti datés ne correspondant donc pas à la réglementation des autorités et de l’occupant. Elle passe la censure et se retrouve finalement au grand jour. Alors, évidemment, c’est un stratagème qui a été découvert, là-aussi, par la censure qui s’est mise un peu en colère.

A. V. : Sous couvert de la littérature pure, on parle d’autre chose.

Caroline Hoctan : Voilà. La censure a laissé passée comme ça quelque cahier mais il y a eu un moment où elle s’est fâchée et où il a fallu changer de stratagème. Tout ça était très bien pensé en effet. Même si ça ne représente pas grand-chose en termes d’actes c’était déjà énorme pour les gens qui pouvaient lire ces revues, se les procurer et montrer qu’il y avait vraiment un esprit de résistance.

A. V. : Une autre revue, c’est « Résurrection », au titre encourageant, appelée « résu » et qui est une revue chrétienne dont les collaborateurs provenaient, tous, de la résistance intellectuelle.

Caroline Hoctan : Oui, enfin, ils n’en proviennent pas. C’est-à-dire qu’ils étaient issus de milieux religieux, prêtres et ils se sont engagés, au fur et à mesure du temps, dans la résistance. Ils ont été accueilli par un éditeur qui s’appelle « Le Méridien » qui a permis à « Résurrection » qui n’avait pas eu les autorisations légales de paraître pendant l’occupation, de passer non pas pour une revue mais pour des suppléments et des cahiers de collections que « Le Méridien » diffusait à travers sa propre revue. Et, là, aussi, il y avait une bande de jeunes gens qui voulait œuvrer pour la résistance mais avec un message assez spirituel, qui mettait quand même au centre de ses préoccupations les valeurs religieuse, chrétiennes.

A. V. : Au total, toutes ces revues bénéficient d’un prestige incomparable aux yeux des intellectuels et du commun des lecteurs.

Caroline Hoctan : Oui. Il est certain qu’au moment de la Libération, lorsque ces revues continuent de paraître et s’approprient, finalement, la place laissée par les titres supprimés, censurées, elles sont les grandes revues victorieuses, qui ne se sont pas trompées, qui donnent, finalement, un chemin à suivre et une certaine idée de la littérature, de l’éthique de l’intellectuel, et de l’écrivain.

A. V. : Et qui maintiennent un esprit d’opposition.

Caroline Hoctan : Au moment de la Libération, l’esprit d’opposition n’est plus le même, comme je vous le disais tout à l’heure. Elles ne combattent plus le même ennemi. Elles ne sont plus ensemble pour combattre ce même ennemi. Elles se retrouvent en concurrence et elles reprennent chacune respectivement leur place politique à travers leurs directeurs qui ont des sensibilités différentes. A la Libération c’est beaucoup plus difficile pour elles, même si elles ont un certain succès, de garder le cap. Parce que les lecteurs ne veulent plus lire que de la poésie, parce que les résistants qui demandent une épuration pure et dure des gens qui ont collaboré, finalement c’est assez mal reçu par l’ensemble de la société et elles ont un message, finalement, trop engagé. Donc, peu à peu, les lecteurs s’en détournent pour préférer des revues qui apparaissent et qui donnent d’autres perspectives intellectuelles comme, par exemple, « Critique » de Georges Bataille, ou « Les cahiers de la Pléiade », de Jean Paulhan.

A. V. : Donc, les problèmes ce ne sont pas des problèmes idéologiques, ce ne sont pas des problèmes de textes ou d’auteurs, ce sont des problèmes matériels liés, par exemple, à la pénurie du papier.

Caroline Hoctan : Oui, alors de toute façon le grand problème pour les revues au moment de la Libération quand elles veulent continuer à paraître et avec les autorisations puisqu’elles incarnent, finalement, la nouvelle autorité intellectuelle de la littérature, c’est d’obtenir du papier. Et elles ont beau représenter les titres de la résistance, il y a un vrai problème matériel pour elles. Pendant des mois, « Les temps modernes » est un bon exemple. Jean-Paul Sartre a demandé, un an avant de pouvoir paraître, du papier qu’il n’a pas eu ça a retardé la publication d’une année complète. Donc, le vrai problème ce n’est plus trop de défendre des postures intellectuelles, des engagements éthiques dans le champ littéraire, c’est d’occuper la place et de paraître. Comme elles ne sont plus unies et se concurrencent évidemment les choses deviennent difficiles pour elles et finalement il y a un déclin de leur aura.

A. V. : Est-ce que le concept éditorial de la revue culturelle va bouger ? Par exemple, avec l’apparition des « Temps modernes », en 45.

Caroline Hoctan : Ça, c’est la grande discussion qu’il y a parmi les historiens dans les lettres comme en histoire, de savoir si l’apparition des « Temps Modernes » change le concept éditorial de la revue et explique un peu la désaffection des lecteurs pour les revues qu’ils leur préféreraient les hebdomadaires et les journaux qui paraissent à nouveau librement après la Libération. Pour ma part, je pense que l’apparition des « Temps Modernes » n’a rien changé au concept éditorial de la revue. Pour preuve, nous avons la reparution, quelques années plus tard, des revues qui ont été épurées, type, la revue « Des Deux Mondes », « La Nouvelle Revue Française » qui va s’appeler « La Nouvelle, Nouvelle Revue Française », en 53. Donc, le concept éditorial des « Temps Modernes », finalement, ne change pas rien au concept éditorial de toutes les revues. Il propose autant de textes de la littérature que de la critique. Ce qui change un peu, même beaucoup, c’est la posture de Jean-Paul Sartre.

A. V. : Qui est hyper médiatisé.

Caroline Hoctan : Oui. Si on utilise encore un peu ce mot. Il a une posture extrêmement médiatique parce qu’il parvient à faire ce que d’autres revues très engagées avant les « Temps Modernes », comme « Esprit » ou d’autres revues de sciences humaines n’avaient pas réussit à faire à savoir relier la politique à la littérature, essayer de montrer que les sciences humaines étaient aussi de la littérature et qu’elles apportaient une part de création. Jean-Paul Sartre étant écrivain, que philosophe, qu’homme politique, entre guillemets, du moins citoyen engagé, avec en effet l’autorité médiatique qu’il a, permet aux « Temps Modernes » d’apparaître une revue autrement que purement littéraire. Bien qu’elle le soit. Quand on la prend il n’y a rien de neuf dans les « Temps Modernes » comparés aux « Cahiers de la Pléiades », à « Critiques ».

A. V. : Donc, c’est le modèle ancien qui se perpétue à la Libération. Il faudra attendre les années 50 pour que les choses bougent.

Caroline Hoctan : Oui. Les années 50 parce qu’en effet les positions à gauche se durcissent, notamment les positions communistes, il y a l’arrivée du nouveau roman et peut être au niveau des acteurs de ces revues-là de la résistance, d’autres préoccupations sociales, intellectuelles, qui font qu’elles délaissent le modèle purement littéraire pour passer à autre chose, le modèle des sciences sociales, pur e dur.

A. V. : Vous savez ce qu’on lit dans les livres dans ces cas-là ? On lit : Mais ceci est une autre histoire.

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Commentaires (sans les données personnelles de l’auteur du message) et réponses laissés sur le blog :

(1) Pierre, le mardi 16 janvier 2007 à 20 h 45 :

Quand on n’a pas les moyens d’écouter en direct ou en diféré France cuture, votre travail est précieux.

Merci



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