Fabrique de sens
 
Accueil > Oreille attentive > Transcriptions d’émissions de France Culture > Élection présidentielle, "Quelle politique pour la recherche ?"

Élection présidentielle, "Quelle politique pour la recherche ?"

Transcription, par Taos Aït Si Slimane, de l’émission Science publique présentée par Michel Alberganti : Élection présidentielle, Quelle politique pour la recherche ? du vendredi 6 avril 2007, émission proposée par France culture en association avec la Cité des sciences et de l’industrie de la Villette à Paris.

Première table-ronde, « Quel programme politique pour la recherche », animée par Michel Alberganti, avec la participation de : François d’Aubert, représentant de Nicolas Sarkozy (UMP), Jean-Pierre Chevènement, représentant de Ségolène Royal (PS), Jean Dionis du Séjour, représentant de François Bayrou.

Deuxième table-ronde, « Comment rénover la recherche française ? », animée par Michel Alberganti avec : Henri-Edouard Audier, membre du bureau national du Syndicat national des chercheurs scientifiques (SNCS), Thierry Coulhon, deuxième vice-président de la Conférence des présidents d’universités (CPU), Jacqueline Lecourtier, directrice de l’Agence Nationale de la Recherche (ANR), François Lucas, membre de la direction nationale du SNESUP, Arnold Migus, directeur général du CNRS, Bertrand Monthubert, président de l’association Sauvons la recherche (SLR).

Troisième table-ronde, « Quelle place pour la France ? », animée par Michel Alberganti avec : Edouard Brézin, ancien président de l’Académie des sciences, Alain Trautmann, ancien porte-parole de « Sauvons la recherche » (SLR), Pierre Papon, ancien directeur général du CNRS et PDG de l’Ifremer, Pierre Le Hir, journaliste au Monde en charge de la recherche, Mathias Fink, physicien, professeur à l’Ecole physique-chimie de Paris.

Synthèse avec les trois représentants des candidats : l’UMP, le PS et l’UDF.

L’oralité, du direct, est respectée dans toutes les transcriptions disponibles sur ce site. Je remercie par avance tout lecteur qui me signalera les probables imperfections, Taos Aït Si Slimane.

Texte initialement publié sur "Tinhinane", le lundi 9 avril 2007 à 18 h 36.

Première table-ronde, « Quel programme politique pour la recherche ? »

Animée par Michel Alberganti, avec la participation de : François d’Aubert, représentant de Nicolas Sarkozy (UMP), Jean-Pierre Chevènement, représentant de Ségolène Royal (PS) et Jean Dionis du Séjour, représentant de François Bayrou.

Michel Alberganti : Bonjour et bienvenus à tous dans cette émission spéciale de « Science publique » proposée par France culture associée à la Cité des sciences et de l’industrie de la Villette, à Paris, où nous nous trouvons en direct, cette après-midi, et en public.

En cliquant simplement sur le bouton « envoyer un commentaire » sur le site de « Science publique » sur le site de franceculture.com vous pouvez réagir tout au long de notre débat.

Élection présidentielle, « Quelle politique pour la recherche ? »

Tous les partis politiques sont d’accords pour considérer que l’avenir de la France dépend pour une part importante de la qualité de sa recherche scientifique. Nombreux sont ceux, parmi les candidats à l’élection présidentielle, qui estiment que des problèmes importants restent à résoudre dans ce domaine afin qu’on soit en mesure de rivaliser avec les pays phares comme les États-Unis ou le Japon en attendant la déferlante chinoise. En revanche rares, très rares sont les solutions qui rassemblent un large consensus même le diagnostic divise d’où l’intérêt de connaître les différentes positions des candidats à l’élection présidentielle sur ce sujet. Il s’agit pour eux de définir les grands axes de la politique de la recherche que mènera le prochain président de la république entre 2007 et 2012, une période très probablement marquée par la poursuite et même l’accélération de la mondialisation.

Comme il existe un système social français, qui fait par ailleurs débat entre les candidats, il existe bien un système français de la recherche scientifique. La France fait même figure, dans ce domaine, d’exception tant notre organisation est tout à fait originale. Ce particularisme est au cœur des débats qui opposent ceux qui veulent préserver le système français et ceux qui prônent une réforme en profondeur inspirée par le modèle anglo-saxon. Sur le plan politique, la volonté de réforme est plus forte à droite qu’à gauche. Bien entendu la situation est complexe, il est difficile de la présenter simplement sans la caricaturer. Nous allons pourtant essayer de comprendre, cette après-midi, grâce à nos invités, quels sont les enjeux majeurs en matière de recherche ? Quels sont les projets politiques en présence ? Quelles sont les priorités pour les prochaines années ?

Aujourd’hui, un clivage relativement clair sépare les positions de la droite et de la gauche. La gauche, syndicats et organisations de chercheurs défendent une recherche publique fortement tournée vers le fondamental. Ils s’attachent à la conception du chercheur qui fait progresser la connaissance dans sa quête d’une meilleure compréhension de notre univers. Il s’agit donc de préserver l’indépendance du chercheur français et de lui donner les moyens de se mesurer à ses collègues étrangers dans un contexte de concurrence mondiale de plus en plus exacerbée. Ces défenseurs d’une science largement dégagée des contraintes économiques mettent en avant des exemples fameux comme ceux d’Albert Einstein dont les travaux fondamentaux à l’origine ont changé la face du monde. A droite, l’attention se porte plutôt sur les retombées économiques de la recherche à plus ou moins courts termes. Les tenants d’une réforme en profondeur veulent en somme que la société en ait pour son argent. Certes ils reconnaissent la nécessité d’une part d’une recherche fondamentale dévolue aux organismes publics mais ils estiment que les liens entre les laboratoires et les entreprises doivent être renforcés, que l’industrie nationale doit mieux profiter des découvertes des chercheurs. Ils mettent ainsi en avant les exemples américains et japonais qui affichent une meilleure capacité à valoriser la recherche.

Deux écoles s’opposent ainsi. Leurs divergences ont engendré près de 3 années d’affrontements violents. Entre la fin de 2003 et le début de 2006 deux gouvernements du premier ministre Jean-Pierre Raffarin se sont trouvés au prise avec les chercheurs en colère, très mobilisés et largement soutenus par l’opinion publique. L’un de ces gouvernements a mis le feu aux poudres tandis que l’autre a éteint l’incendie. La situation actuelle de la recherche française découle directement de ce conflit avec quelques années de recul il apparaît que la victoire des chercheurs qui ont obtenu les crédits et les postes qu’ils demandaient s’est pour une bonne part retournée contre eux. En effet, Jean-Pierre Raffarin a réussi, avec une habilité dont il n’a pas toujours fait preuve, à amorcer un véritable virage en matière de politique de la recherche sans toucher aux symboles sacrés tel que le CNRS. Il a créé un ensemble de structures nouvelles et parallèles qui peu à peu donne au gouvernement les moyens d’orienter la recherche publique, ceci bien entendu au détriment des organismes tel que le CNRS. Pour les chercheurs il s’agit là d’une remise en cause de leur indépendance. La recherche française est en train de changer de pilote mais pour aller où ? C’est toute la question.

La France a-t-elle les moyens de tout faire ? C’est-à-dire de continuer à se battre sur tous les fronts scientifiques malgré des moyens limités. Faut-il laisser les chercheurs eux-mêmes décider des domaines qui soient explorés ? Ou bien faut-il définir des axes prioritaires méritant une concentration des forces et peut-être associer le grand public aux choix stratégiques et au choix des domaines sur lesquels mettre l’accent ? Quel rôle doit jouer l’université dans la recherche française ? La France peut-elle trouver seule son salut dans ce domaine ? Ou bien est-ce à l’échelle européenne que doivent s’organiser les laboratoires afin d’atteindre cette masse critique que l’on dit parfois indispensable pour obtenir des résultats ? Paradoxalement, alors que ce sont les chercheurs des organismes publics qui se battent pour obtenir plus de crédits il apparaît que c’est la recherche réalisée dans l’industrie qui est la principale responsable de la part trop faible du produit intérieur brut que la France consacre à la recherche et développement. Alors comment convaincre les entreprises d’investir dans l’avenir au lieu de distribuer l’essentiel de leur bénéfice à leurs actionnaires ?

Ce sont quelques-unes des questions que nous allons aborder avec nos invités au cours de trois tables-rondes que nous vous proposons cette après-midi. Le premier débat nous permettra de connaître les propositions des trois des candidats à la présidence de la république. La seconde table-ronde rassemblera la plupart des représentants des grandes structures de la recherche française, tandis que la troisième abordera la place de la France dans le contexte d’une recherche de plus en plus mondialisée. Enfin, les représentants des trois candidats concluront, brièvement, ces débats.

J’ai tout d’abord le plaisir d’accueillir les représentants de François Bayrou, Ségolène Royale et Nicolas Sarkozy. C’est François d’Aubert, ministre délégué à la recherche entre mai 2004 et juin 2005, qui représente, ici, Nicolas Sarkozy. Jean-Pierre Chevènement, ministre de la recherche et de la technologie entre 1980 et 1983, représente Ségolène Royale. Jean-Dionis du Séjour, député UDF du Lot-et-Garonne, représente François Bayrou.

François d’Aubert, vous avez, avec François Fillon, mis un terme à la révolte des chercheurs ce qui n’est pas rien. Pour ça, vous avez augmenté sensiblement le budget de la recherche française, vous avez créé des postes de chercheurs, pour autant vous avez, aussi, créé des nouvelles structures, comme l’agence nationale de la recherche (ANR), qui sont loin d’être approuvées par ces mêmes chercheurs. Alors, si Nicolas Sarkozy est élu quelles mesures prendrait-il dans la suite de ce que vous avez pu impulser vous-même ?

François d’Aubert : D’abord, la recherche, pourquoi dans la mondialisation ? C’est pour gagner tout simplement, pour la France et pour l’Europe, la bataille de la connaissance. Moi, je ne crois pas qu’il y ait d’antinomie quant aux buts de la recherche entre des buts économiques et le véritable objectif, l’ambition de toute politique de recherche qui est de faire progresser la connaissance dans tous les domaines. De gagner la bataille de l’intelligence et de gagner la bataille de l’innovation cela suppose des moyens. Et je ne crois pas que là non plus il y ait d’opposition de doctrines. La recherche, pour se développer, pour gagner a besoin de moyens financiers et en particulier de moyens donnés par l’État, de financements publics parce qu’il faut financer la recherche fondamentale qui est indispensable, qu’il faut avoir des systèmes incitatifs à la recherche dans les entreprises et qu’il y a des chercheurs à rémunérer. Et la question de la rémunération des chercheurs, les salaires est aujourd’hui sans doute une des plus préoccupantes. Si l’on n’augmente pas les salaires, en particulier des jeunes chercheurs et les débuts de carrière, ça va continuer, malheureusement comme ça s’est poursuivi, bien que ça se soit un peu ralenti, les départs à l’étranger sans retour. Ce n’est pas anormal que des jeunes chercheurs aillent dans les laboratoires étrangers pour y faire une thèse, ou y travailler, mais ce qu’il faut c’est qu’ils reviennent en France. Les questions de salaires sont très importantes et les revalorisations des allocations de recherche et des salaires dans les grands organismes, des salaires dans les universités. Donc, la question des moyens, je crois, est essentielle. Nicolas Sarkozy, dans son programme, propose d’ici 2012 une amplification de 4 milliards. Alors, il faut le préciser parce que c’est toujours assez compliqué à calculer, les crédits de la recherche. Ce sont 4 milliards additionnels quand on sera en 2012 par rapport à aujourd’hui. Parce que Bercy a quelquefois des méthodes assez illogiques et pas très honnêtes pour essayer de montrer que le budget de la recherche augmente tout en réalité en limitant les crédits.

Michel Alberganti : C’est quand même une réduction de l’augmentation que vous aviez apportée puisque vous étiez à 6 milliards en 3 ans ?

François d’Aubert : Nous, on avait dit un milliard mais il n’était pas calculé de la même façon, c’est-à-dire un milliard qui s’ajoutait et qui restait tous les ans. Ces 4 milliards vont être de l’additionnel sans compter les crédits récurrents qui eux-mêmes vont être en augmentation. Donc, c’est du 4 milliards net, net en 2012 par rapport à 2007. Ça, c’est une première mesure. Deuxièmement, en ce qui concerne l’université, parce que c’est une question essentielle, pour l’organisation de la recherche française c’est qu’elle soit d’avantage faite à l’université. A l’université dans sa dimension recherche, à l’université dans sa dimension enseignante. Donc, sont proposées également 5 milliards de plus de crédits pour l’université. Quand on voit quel est le coût d’un étudiant en France on est atterré, on est atterré. 8500 euros/an c’est beaucoup moins, très peu, 8000 euros/an, 8500 euros à peu près le coût, c’est beaucoup trop peu. Donc, il faut effectivement l’augmenter et faire un effort décisif sur l’université. C’est grâce à cela notamment que ce développera la recherche. Enfin, puisqu’on est dans les éléments financiers, il est important que l’effort global de la nation augmente. Ce qui est vrai c’est que cet effort est partagé aujourd’hui. Il est partagé entre l’effort public et l’effort privé. Les entreprises françaises n’investissent pas assez dans la recherche, ont en plus tendance à délocaliser leur recherche en particulier les grands groupes, et d’autres part il y a de grands groupes qui ont purement et simplement non pas disparu du paysage de la recherche mais qui en font beaucoup moins. Comme Alcatel, par exemple, qui fait aujourd’hui moins de recherche en volume par rapport à leur chiffre d’affaire. Ils disent qu’ils font la même chose mais simplement le chiffre d’affaire a diminué de moitié depuis quelques années. Donc, il faut aussi que les grandes entreprises refassent un effort de recherche et le fassent en France. Et surtout, si l’on veut aussi être compétitif dans l’innovation par rapport à un pays, à nos voisins, allemands par exemple, il faut que la recherche puisse bénéficier aussi aux PMI. C’est une manière de les faire grandir, de les faire aller plus vers l’innovation et là on en vient aux systèmes qui ont été mis en place, moi, j’en retiens trois : l’ANR, l’agence nationale de la recherche, ce n’est pas si novateur que ça. En réalité, la France en créant une agence comme l’ANR s’est mis au diapason des meilleurs systèmes de recherche qui ont des agences –qui sont des agences à la fois d’objectifs et de moyens- qui permettent surtout les financements par projet. Et c’est cette logique du financement par projet, alors elle est peut-être un peu contestée, c’est vrai, …

Michel Alberganti : On va y revenir.

François d’Aubert : L’ANR et puis les réseaux de recherche sur le modèle des Fraunhofer ( ?) allemands qui un bon système pour irriguer l’ensemble économique avec des dépenses économiques.

Michel Alberganti : On va y revenir de toute façon. Jean-Pierre Chevènement, justement la transition est toute faite avec ce problème de l’industrie puisque vous avez été un des pionniers de cette orientation de la recherche publique, de ce rapprochement un petit avec l’industrie dès 1982. Comment vous jugez la situation actuelle ? Et puis surtout quelles sont les propositions de Ségolène Royale par rapport à celles que François d’Aubert vient d’exposer, pour Nicolas Sarkozy ?

Jean-Pierre Chevènement : Le fait que la valorisation de la recherche ait été un des objectifs de la loi d’orientation et de programmation de 1982 montre que les choses ne sont pas aussi simples que vous les avez décrites. Il faut, je crois, dans une matière aussi complexe se garder des oppositions caricaturales et toutes faites. Ce qui a caractérisé le gouvernement de la gauche, auquel j’ai participé, c’est l’effort massif qui a été consenti pour le rattrapage de la dépense de recherche qui est passé de 1,8 à 2,4% du PIB. Ça, c’est la bonne mesure. Plutôt que de se battre sur les milliards je crois qu’il faut regarder ce qu’est l’effort de recherche qui en France, on le sait, stagne depuis une quinzaine d’années. Quand je dis stagne, je suis trop bon. Il recul. Et il a reculé en particulier dans les premières années des gouvernements de la droite. Disons qu’il y a eu un redressement à la suite du mouvement « Sauvons la recherche » et des réactions que cela a suscitées.

Michel Alberganti : Mais on reste inférieur au 2,4 dont vous parliez ?

Jean-Pierre Chevènement : Nous sommes actuellement à 2,13%, 2,14%, je dirais que la précision n’est pas significative. Essayons d’aller à l’essentiel. Notre système global se caractérise par le retard global qu’il a pris depuis 15 ans par rapport aux États-Unis, au Japon, aux pays émergents, à l’Allemagne même ou à la Suède, que cela soit en matière de brevets, de publications, de citations, on voit que nous perdons régulièrement du terrain et le redressement est tout à fait nécessaire. Il passe bien sûr par les moyens, Ségolène Royale a énoncé un objectif très ambitieux, une croissance de 10% du budget accordé à la recherche et à l’université. 10%/an.

Michel Alberganti : Pendant 5 ans ?

Jean-Pierre Chevènement : Pendant 5 ans. Disons que c’est un objectif. Je sais par expérience que la réalité n’est pas tout à fait à la hauteur des objectifs mais on peut se donner des objectifs très mobilisateurs.

Michel Alberganti : Ça fait sourire monsieur d’Aubert déjà.

Jean-Pierre Chevènement : Ça me fait sourire moi-même parce que j’avais inscrit un objectif de 17,8%/an et encore en volume. Je savais très bien que ça ne serait pas l’objectif atteint compte-tenu des régulations budgétaires auxquelles procédait à l’époque monsieur Delors mais enfin ça a fait une augmentation très substantielle dans les premières années. Je voie, ici, l’ancien directeur du CNRS qui sait qu’effectivement que ses dotations ont beaucoup augmentées. Donc, il y a un effort à faire mais je crois que le point faible dans notre système quand même la place périphérique, relativement périphérique des universités. Je pense qu’il faut donner la priorité aux universités sans négliger bien entendu la recherche publique qui doit bénéficier d’un effort considérable non pas seulement du point de vue des dotations d’équipement ou de fonctionnement mais surtout de recrutement, avec un plan pluriannuel de recrutement qu’a proposé Ségolène Royale. Il faut également que nos universités soient, je dirais, redynamisées. Leur taille est sous critique, on les a coupées en morceaux en 1968 pour des raisons très politique d’ailleurs, il s’agissait d’éteindre la contestation, ce qui fait que nous occupons un rang très modeste dans les classements internationaux mais non significatifs. Il serait bon que d’une manière progressive, négociée, en tout cas volontaire qu’il y ait des regroupements, qu’on améliore la gouvernance de ces universités, qu’elles soient plus autonomes. C’est un point souligné par Ségolène Royale parce que l’excessive centralisation ralentit les décisions, nuit à la réactivité. Enfin, s’agissant du financement, les régions seraient appelées à jouer un rôle très important dans le financement des bâtiments universitaires. Mais je vais aller peut-être aller plus au point qui semble faire débat. La valorisation, la grande faiblesse de notre système c’est l’insuffisance de la recherche privée, il faut le dire. C’est le fait que nos entreprises ne consacrent pas à la recherche autant de moyens que les entreprises allemandes, américaines, japonaises, suédoises.

Michel Alberganti : C’est un constat qui a été fait depuis 15 ou 20 ans.

Jean-Pierre Chevènement : D’ailleurs monsieur d’Aubert l’a reconnu lui-même. Alors pourquoi cela ?

François d’Aubert : Je ne suis pas candidat du CAC 40.

Jean-Pierre Chevènement : Vous, vous n’êtes pas candidat donc je ne vous colle pas cette étiquette mais le candidat que vous soutenez la mériterait certainement d’avantage.

François d’Aubert : Pas forcément.

Jean-Pierre Chevènement : Disons que, soyons clairs, il y a certainement l’effet d’une mauvaise spécialisation de la France dans, je dirais, les industries de haute technologie en dehors de l’aéronautique, la défense, qui sont faiblement représentées en France. On constante que l’Allemagne, par exemple, qui a aussi mis le paquet sur les biens d’équipement a pris une avance considérable dans ce domaine depuis très longtemps. Puis, il y a la dictature de l’actionnariat. On revient au CAC40. C’est vrai que la théorie de l’acquisition de la valeur pour l’actionnaire fait qu’on néglige les considérations à longs termes, donc la recherche. Et ça, ça pèse. Et ça pèse peut-être plus en France que dans des pays où de grandes sociétés soit irrigués par l’argent public, comme aux États-Unis, soit ayant des vues industrielles longues, comme en Allemagne, mettent de l’argent dans la recherche industrielle. Alors, il faut surmonter ce handicap. Comment le faire ? Je pense que ça passe par certaines obligations de financement, par des négociations, par des exonérations fiscales qui peuvent être en effet orientées davantage vers les petites et moyennes entreprises, c’est une orientation qui a été affirmée clairement par Ségolène Royale. Nous donnons peut-être beaucoup trop d’argent en tout cas l’essentiel de l’aide qui va vers le financement de la recherche industrielle va aux grands groupes et pas assez aux petites et moyennes entreprises. J’avais créé le crédit d’impôt de recherche en 83. Nous sommes passé de 1000 à 3000 entreprises bénéficiaires mais l’objectif devrait être de 6000 et on devrait cibler d’avantage ces aides pour qu’effectivement ça contribue, dans le cadre d’une politique industrielle, au développement de secteurs, je dirais, porteurs. Alors, je vais peut-être conclure en disant qu’il y a un effort important à faire pour le statut des doctorants, des postes-doctorants, des débuts de carrière de chercheurs. Je pense qu’une grande partie de la colère qui s’est exprimée vient de ces difficultés. Nous avons des docteurs en nombre qui devrait d’ailleurs croître mais contrairement à ce qu’on a dit, le chiffre que j’ai pu consulter le montre, le brains brain ne touche pas autant la France que les pays comme l’Allemagne ou la Grande-Bretagne.

Michel Alberganti : Vous voulez parler de la fuite des cerveaux, en français.

Jean-Pierre Chevènement : La fuite de cerveaux. Aux États-Unis vous avez 7 ou 8% de Britanniques, 4% d’Allemands, 0,6% de Français dans les effectifs de chercheurs aux États-Unis. La moitié des doctorants ou post-doctorants étant d’origine étrangère, c’est donc considérable. Mais en France nous sommes marginalement touchés par ce phénomène. Si nous voulons lutter efficacement contre cette tendance qui serait évidemment ruineuse il faut restaurer l’esprit de service public mais il faut aussi que la recherche soit d’avantage valorisée.

Michel Alberganti : Oui, je ne voudrais pas que l’on n’ait pas le temps de revenir sur ces questions ne serait-ce que pour mieux distinguer qu’elle est la différence entre les deux candidats que vous représentez parce que je ne pense pas qu’elle saute aux oreilles. Nous allons quand même avant cela avoir la position de Jean-Dionis du Séjour qui représente François Bayrou qui prône peut-être une alliance. Je ne sais pas si ça va clarifier le débat mais il faudrait qu’il nous donne les propositions du candidat en matière de politique de la recherche s’il était élu.

Jean-Pierre Chevènement : Vous me permettez un mot.

Michel Alberganti Juste un mot.

Jean-Pierre Chevènement : Il est quand même difficile pour rendre clair le débat de le caricaturer. Donc je réagis contre la caricature. Il y a quand même des différences qui sont très sensibles ne serait-ce qu’entre les moyens octroyés entre la gauche et la droite.

Michel Alberganti : Certes. C’est peut-être sur la philosophie générale qu’on a du mal à distinguer la différence.

Jean-Dionis du Séjour : Nous, si vous nous faites venir c’est pour qu’on vous donne un cadrage politique. Moi, je ne suis pas directeur général du CNRS, je suis loin d’en avoir les compétences. Ce qui est intéressant c’est qu’on vous dise, en tant qu’équipe politique, qu’elle est la tonalité de nos propositions. Alors, il faut les rattacher à des axes forts politiques du projet de François Bayrou. Premier axe fort du projet de François Bayrou c’est remettre les finances publiques de la France sur les pieds. Et ça c’est important. C’est central. Nous avons au niveau des finances de l’État, qui sont dégradées, la dette -1200 milliards d’euros- et nous avons un déficit de 40 milliards d’euros.

François d’Aubert : C’est incroyable, c’est quoi ça ?

Michel Alberganti : Les dépenses en recherche ne vont pas arranger les choses. En général ça ne vient pas diminuer les crédits.

Jean-Dionis du Séjour : Ça veut dire que nous avons mis sur la table 22 milliards en 5 ans là où nos concurrents en mettent à peu près 60. C’est plus difficile de faire des arbitrages avec 22 milliards sur la table que le faire à 60. Et avec tout le respect, je suis très sincère en disant ça, que j’ai pour Jean-Pierre Chevènement honnêtement on ne peut pas dire on va faire 10% d’ailleurs lui-même a pris une certaine réserve par rapport à ce 10% en 5 ans. Nous on dit : on met 22 milliards de dépenses nouvelles en 5 ans et on les finance parce qu’on a un objectif central qui est de ne pas détériorer la dette et à partir de là on a deux orientations. Une première, c’est vrai, c’est l’augmentation du budget de la recherche. Ça coûte, pour nous, 3,4 milliards d’euros et c’est 5%/an. Et, à notre avis, déjà 5% c’est beaucoup de faire bouger un budget de 5%/an. Donc ça c’est la première chose. Deuxième chose, un effort au niveau des universités parce qu’en France les grandes écoles sont bien financées, les filières courtes sont bien financées, ceux qui sont mal pourvus au point de vue financement ce sont les gens qui sont en faculté. Donc, là on est largement en-dessous de la moyenne de l’OCDE qui est à 8000 euros de dépenses par étudiants et par an et nous sommes à 6800. Donc, nous proposons de revenir à 8000 euros de dépenses par étudiants. Là-dessus bien sûr il y a des financements notamment un effort au niveau du personnel. Et la troisième orientation politique dont je veux parler c’est une orientation PME. Notre programme politique, mis à part que c’est un programme de restauration des finances publiques et de ses équilibres, c’est vraiment très clairement un programme PME. Pour la recherche c’est important. Vous vous étonnez en disant la recherche privée en France est très décrochée par rapport à la recherche privée en Allemagne il faut aller à la racine de l’explication. La racine, elle est quelque part dans la densité du réseau de PME. Et donc, nous aujourd’hui, nous avons deux mesures qui sont fléchées PME. La première c’est effectivement deux emplois francs par PME avec uniquement 10% de cotisation de retraite comme charges sociales. Ça, ça veut dire que c’est directement utilisable par les PME recherche, par les startups. Ensuite on a une mesure qui est l’exonération des recettes pour brevets de l’impôt sur le revenu. Voilà en termes de cadrage politique ce qu’on peut dire du programme de l’UDF. Et encore une fois on a fait des arbitrages extrêmement durs puisqu’on est très sobre au niveau des dépenses supplémentaires qu’on a mises sur la table pour la période.

Michel Alberganti : Mais qu’est-ce qui vous distingue finalement des deux autres candidats en dehors de ce différentiel financier ?

Jean-Dionis du Séjour : Alors, je vais essayer de rentrer dans votre question et de vous aider un peu si je peux me permettre, mais c’est vous le rédacteur en chef.

Michel Alberganti : Merci, j’en ai vraiment besoin.

Jean-Dionis du Séjour : Il y a un débat qui est clairement, il y a un modèle français. Ce modèle français on va en parler. Il est fait avec une partie forte d’organismes publics et est complété par les universités. Mais le modèle français il est que nous avons des organismes publics qui ont une part prépondérante dans la recherche publique française. Et très clairement dans les propositions de l’UMP il y a la volonté de bouger de manière un peu radical le curseur. Nous, nous disons qu’il faut faire attention à ça. Nous disons, les organismes publics français, au moins les plus grands, ont fait preuve ces dernières années d’une capacité d’adaptation qui est très intéressante. Prenez le CNRS, le fait que le CNRS ait fait digérer la nouvelle culture de financement par projet ça c’est intéressant pour nous. Donc, on dit il y a déjà une adaptation qui est faite. Lorsqu’on va à l’étranger la recherche française a une bien meilleure image de crédibilité qu’on veut bien le dire. Donc, il faut faire bouger les lignes mais il ne faut pas casser ce modèle français qui est intéressant.

Michel Alberganti : Concrètement, si on prend, par exemple, l’exemple de l’ANR qui a focalisé par mal de critiques de la part des chercheurs, qu’est-ce que vous faites avec l’ANR ?

Jean-Dionis du Séjour : C’est intéressant effectivement. Sur l’ANR on dit que c’est intéressant. La monter nous intéresse, la structure nous intéresse et on rajoute deux choses. D’abord il faut permettre que lorsqu’une équipe gagne un appel d’offre une partie de l’argent qu’elle gagne puisse aller au financement de la structure. C’est ce qu’on appelle l’over aide parce que ça fait partie aussi des choses qui doivent pouvoir revenir à la structure. Une équipe projet n’est pas suspendue en l’air. Il faut que l’organisme qui la nourrit puisse s’en financer. Ça, c’est une première idée. La deuxième idée c’est effectivement l’ANR, qui est moins contestée que ça d’ailleurs, qui est une idée qui a été inspirée par le mouvement des chercheurs. Elle est contestée sur un point c’est la désignation des gens qui siègent à l’ANR, donc dans la représentativité. Donc, je crois qu’il faut travailler la manière dont on sélectionne les gens qui vont siéger à l’ANR et peut-être faire une place plus importante à la communauté des chercheurs dans la désignation de leurs représentants. Voilà les pistes que l’on pourrait donner sur l’ANR.

Michel Alberganti : Sur cette ANR, je peux préciser peut-être, ou François d’Aubert peut très bien le faire mieux que moi sur ce qu’est l’ANR ? Ce qu’est son objectif ? Pourquoi vous l’avez créée ? En deux mots avant d’avoir le sentiment de Jean-Pierre Chevènement sur cette structure nouvelle.

François d’Aubert : On l’a créée premièrement pour se mettre dans les standards internationaux de la meilleure recherche. Quand on regarde aux États-Unis, par exemple, pourquoi le système de recherche marche aussi bien ? Je pense que c’est très lié à ses agences qui sont des agences de moyens, qui sont en même temps des agences de projets et qui privilégient le financement par projet. Alors nous n’avons pas voulu aller beaucoup plus loin …

Michel Alberganti : Qu’est-ce que ça signifie finalement par projet ? Par projet ça veut dire qu’on définit des objectifs ?

François d’Aubert : Voilà. On définit des objectifs, on donne des moyens qui sont larges, qui sont moins fragmentés que peuvent l’être les moyens d’un laboratoire du CNRS ou de l’INSERM et au bout de 3 ou 4 ans il y a une évaluation. Alors, c’est vrai que le financement par projet est lié à l’idée qu’il y a une évaluation très forte. C’est ce pourquoi a été créée d’ailleurs une agence de l’évaluation qui est une manière modérée de mettre en place une culture plus forte de l’évaluation, parce que c’est probablement ça aussi qui manque un petit peu à la recherche française par rapport aux recherches anglo-saxonnes qui sont des modèles en l’occurrence. Je ne suis pas fanatique des modèles anglo-saxons dans tous les domaines mais sur la recherche ce sont plutôt des systèmes qui font leurs preuves. Quand vous voyez sur les sciences du vivant comment ça fonctionne aux États-Unis, avec quels résultats, y compris en recherche fondamentale, et aussi en application y compris sur les biotechnologies, on se dit quand même que leur système, au moins dans ce domaine-là, a du bon. Donc, l’ANR, financement par projet, je crois qu’il y a une sorte de consensus autour de l’ANR. Alors il y a des choses qui peuvent être modifiées tout dépend du dosage, des moyens qui vont être donnés à l’ANR par les budgets de l’État par rapport aux moyens donnés aux grandes institutions de recherche. C’est pourquoi il faut s’interroger sur la structure même aussi de ces grandes institutions de recherches (CNRS, INSERM), il y a quelques logiques qui aujourd’hui ne sont pas complètes. L’exemple des sciences du vivant et quand même très importants. Les sciences du vivant c’est ce qui est le plus demandé aujourd’hui par la société, c’est la santé, c’est les nouveaux médicaments etc. Sur les sciences du vivant, on ne met pas assez d’argent d’abord, …

Michel Alberganti : Le gouvernement actuel a plutôt tendance à ne pas aller dans cette direction là …

François d’Aubert : et les résultats y compris en recherche fondamentale en publications, citations ne sont pas extraordinaires, je le dis avec nuances. Donc, il y a sans doute besoin d’une structuration et d’une concentration de moyens, d’un pilotage peut-être plus fort au profit d’un organisme et une des propositions c’est d’abord d’ajouter 50% de moyens supplémentaires sur la recherche dans le vivant et d’avoir autour de l’INSERM, dans l’INSEM la totalité des moyens qui sont consacrés aujourd’hui aux sciences du vivant, financés par l’ANR ou financés par les moyens récurrents.

Michel Alberganti : Vous voulez dire rapatrier à l’INSERM …

François d’Aubert : Peut-être pas l’INRA mais au moins le département sciences du vivant du CNRS qui à ce moment-là passerait à l’INSERM.

Michel Alberganti : Le CEA aussi travail dans ce domaine, par exemple.

François d’Aubert : Tout ça doit se faire dans la concertation mais il faut bien avoir quelques idées de manœuvres sur la structuration de notre système de recherche.

Michel Alberganti : Jean-Pierre Chevènement, sur cette structure, l’ANR, qui quand même marque une reprise en main d’une certaine façon du politique sur les orientations de la recherche qui un temps étaient plutôt décidées au sein des organismes. Quelle est la position, la vôtre et celle de Ségolène Royale ?

Jean-Pierre Chevènement : Je voudrais d’abord défendre le modèle français. Je pense que les grands organismes de recherche font une recherche de très grande qualité, une recherche sérieuse et vouloir les démanteler comme cela était la tentation à certains moments sous la droite et quelquefois même sous la gauche serait une erreur.

Michel Alberganti : Vous pensez que ça le reste aujourd’hui ?

Jean-Pierre Chevènement : Je pense qu’il faut bien comprendre que la recherche fondamentale a besoin de financements publics assurés. Et plus on est dans le fondamental plus on doit fonctionner avec des dotations de base. Par contre quand on va vers l’application il est tout à fait normal qu’il y ait une part variable et qui puisse être déterminée en fonction de l’intérêt des projets par rapports à un certain nombre de grands défis que nous considérons comme prioritaires : l’environnement, le climat, l’énergie, les énergies renouvelables, le nucléaire du futur, le problème des grandes villes des concentrations urbaines avec tout ce que cela implique, les biotechnologies, la santé, le biomédicale. Et pour prendre ce seul exemple, je me rappelle que j’ai multiplié par 6 les crédits affectés aux biotechnologies en 1982, mais ce qui n’a pas permis le décollage des biotechnologies en France, c’est l’insuffisance du tissu industriel. Nous avions quelques entreprises, quelques startups, je me souviens de « Transgène », mais nous avons manqué de relais au niveau industriel et il faut reconnaître que les dispositions de la loi d’orientation et de programmation que j’avais faites votées qui étaient des dispositions incitatives pour que les chercheurs aillent vers la recherche industrielle ou eux-mêmes créent des entreprises, ces dispositions incitatives n’ont pas suffi. Pas davantage d’ailleurs qu’elles n’ont suffi pour favoriser une plus grande mobilité entre les organismes de recherches publique dont je faisais l’éloge il y a un instant et les universités. Donc, je serais partisan d’un statut des enseignants, non pas des enseignants chercheurs mais des chercheurs enseignants. C’est-à-dire favoriser le fait que certains chercheurs puissent consacrer davantage de temps à l’enseignement.

Michel Alberganti : C’est l’homogénéisation du statut des enseignants et des chercheurs ?

Jean-Pierre Chevènement : A terme ça serait raisonnable. Ça correspondrait aux choix qui ont été faits en 1982. J’ai oublié de dire une des dispositions essentielles de Ségolène Royale. Elle est très importante. Il s’agit de faire sortir du pacte de stabilité budgétaire, au niveau européen, les dépenses de recherche de façon à ce qu’on se donne vraiment les moyens d’atteindre ce fameux objectif de Lisbonne, La société de la connaissance, avec 3% du PIB allant à la recherche. Nous en sommes très loin et le fait que le sommet de Lisbonne ait laissé finalement à chaque gouvernement le soin de choisir les moyens a abouti à une totale impuissance. Donc il faudrait prendre une mesure très courageuse au niveau du pacte de stabilité : dire que tout ce qui concerne la recherche, la préparation de notre avenir est soustrait au déficit qui rentre en compte.

Michel Alberganti : Excusez-moi monsieur Chevènement, je vais passer la parole à Jean-Dionis du Séjour, c’est un sujet qui concerne directement la candidature de François Bayrou puisqu’elle est liée au déficit que vous voulez interdire, le déficit budgétaire.

Jean-Dionis du Séjour : Oui, moi, dans ce que viens de dire monsieur Chevènement je retiens quelque chose. Il faut qu’on sépare ce qui est aujourd’hui le déficit de fonctionnement. On part d’un État qui fait 40 milliards, entre 40 et 50 milliards de déficit par an. Il faut qu’on regarde cette vérité en face. Là-dessus il y a 27 milliards de déficit de fonctionnement. Nous proposons, à l’UDF, d’interdire constitutionnellement le déficit de fonctionnement.

Michel Alberganti : Donc, ça exclu la recherche ?

Jean-Dionis du Séjour : Non, attendez, ça sépare ce qui est crédit de fonctionnement de ce qui est crédit d’investissement et c’est, pour nous, très important. Dans les crédits de recherche il y a des crédits qui sont à la fois de fonctionnement et d’investissement. Nous on dit aujourd’hui il faut absolument réduire et le plus vite possible, et on veut y mettre une marque constitutionnelle, ce déficit de 27 milliards, …

Michel Alberganti : On a bien compris, quel impact ça a sur la recherche ?

Jean-Dionis du Séjour : Ça pose une contrainte de plus et ça valorise les choix qu’on a faits, les arbitrages qu’on a faits sur la recherche. Je voudrais maintenant parler de deux choses. C’est clair qu’une partie de la sortie est européenne. Et elle est européenne parce qu’on y laisse quand même 17 milliards d’euros par an, en dotation de la France à l’Union-européenne, et il va falloir qu’on dise ce que nous, France, on souhaite en termes de retours sur les grands projets de recherche. Je parle du haut-débit, je parle des nanotechnologies, je parle des biocarburants et là il y a un enjeu très important. D’abord parce qu’on est dans une période où il faut que l’on incarne la stratégie de Lisbonne. Ensuite parce qu’on est dans une période extrêmement sensible où on va remettre sur la table le budget européen. N’oubliez pas que 2007-2013 c’est la sortie de l’APAC, que le budget européen est structuré autour de l’APAC, donc il va falloir se poser des questions de fond. Et puis nous, à l’UDF, on est favorables à un certain nombre de propositions fortes pour élargir ce budget européen, notamment en lui confiant un impôt qui serait, par exemple, l’impôt sur les sociétés. Donc la dimension européenne pour la recherche elle est absolument fondamentale.

Michel Alberganti : Très bien. Je crois que François d’Aubert voulait réagir et aussi Jean-Pierre Chevènement d’ailleurs.

François d’Aubert : La question budgétaire est simple pour la recherche, elle est quasi éternelle. Il faut essayer de desserrer la contrainte budgétaire au profit de la recherche. Parce que quand on voit tous les programmes et qu’on explique qu’il faut réduire la dette, qu’il faut serrer les boulons… Bon il est évident que dans les arbitrages s’il n’y pas un élément très fort au sommet qui dit non sur la recherche c’est une priorité même si Bercy veut faire des économies dans tous les sens et en même temps il faut qu’il y ait une sorte de légitimité à dire ça sur le plan européen, par rapport aux contraintes européennes. Et effectivement le bon moyen, c’est une négociation qui est déjà engagée à Bruxelles et qui a un peu de mal à émerger, c’est de comptabiliser les dépenses de recherche qui ne sont pas au sens juridique du terme des dépenses d’investissement mais qui sont de l’investissement pour l’avenir, c’est évident, de les sortir du pacte de stabilité c’est ce que dit aussi Nicolas Sarkozy parce que c’est un moyen de concrétiser cette priorité que l’on souhaite pour la recherche.

Michel Alberganti : Concrètement ce n’est pas une décision française. C’est une décision qui va se prendre au niveau de l’Europe.

François d’Aubert : C’est une décision où ce qui va jouer c’est la puissance de conviction, la puissance de la France, et c’est une question politique. Ça renvoi à la personnalité du président de la république par rapport à Bruxelles et à notre capacité de négociation d’amener nos partenaires sur nos positions.

Michel Alberganti : Jean-Dionis du Séjour, en fait je reviens vers vous parce que vous avez un petit déficit de parole, donc je voudrais vous la redonner pour que vous puissiez compenser en nous donnant peut être justement la méthode pour y arriver à cette défiscalisation, ou sortie du pacte de la recherche. Comment y parvenir ? C’est peut-être aussi là quelque chose qui va être utilisée par les adversaires de l’Europe. Parce que là la décision ne nous appartient pas ?

Jean-Dionis du Séjour : Aujourd’hui, vous êtes dans un système de décision, moi je l’aurais souhaité meilleur mais c’est un débat qu’on a eu et qui nous a opposé autour de la table mais ce n’est pas pour ça qu’on ne peut pas prendre de décision. Vous avez aujourd’hui une règle qui fonctionne à l’unanimité. Si vous avez le conseil des chefs d’États et le parlement qui sont d’accords vous êtes dans un système de codécision. Est-ce qu’on peut aujourd’hui avoir un consensus pour que la recherche soit prioritaire au niveau européen ? Je le pense. On a passé plusieurs directives, les directives biocarburants notamment, des directives énergies nouvelles qui montrent qu’une unanimité à 27 sur ce sujet-là y compris d’ailleurs sur la proposition qui est mise sur la table de sortir du pacte de stabilité les investissements, sur quelques axes fondamentaux de recherche, moi, je crois que l’unanimité européenne n’est pas hors de portée. Ou alors ça veut dire qu’on ne met pas en pratique la stratégie de Lisbonne. Donc, là je rejoins ce qu’a dit mon collègue d’Aubert et dire qu’il va falloir maintenant parler vrai. Parce qu’on est à une époque clef où il va falloir remodeler le budget européen et où il va falloir dire : et ben voilà ce qu’on fait du budget européen alors que la stratégie annoncée est la stratégie de Lisbonne.

Michel Alberganti : La première mesure que prendrait François Bayrou en terme de recherche s’il arrivait à être élu, laquelle serait-elle, à votre avis ?

Jean-Dionis du Séjour : D’abord, je vous l’ai dit : dans un discours qui est de remettre sur pied les finances de la France, on a mis une priorité à la recherche. Pour nous c’est énorme. Ça veut dire qu’on met 2x3 milliards sur 5%/an pour la recherche et puis la remise à niveau des dépenses universitaires c’est plus facile à dire lorsqu’on met 60 milliards sur la table de dépenses nouvelles que lorsqu’on met 22. Donc, pour nous dans un contexte extrêmement serré on fait un très, très gros effort sur la recherche.

Michel Alberganti : Très bien. Pour terminer je voudrais que justement nos deux autres représentants de candidats, Jean-Pierre Chevènement et François d’Aubert de séjour nous donne quand même la mesure phare que leur candidat prendrait s’il arrivait au pouvoir. Jean-Pierre Chevènement mais peut-être en quelque mots parce que vous avez pris plus de temps jusqu’à présent pour parler, donc il faudrait être très bref.

Jean-Pierre Chevènement : Écoutez, c’est une loi d’orientation et de programmation pour la recherche et pour l’université avec une forte croissance de 10%/ an. Les mesures que j’ai déjà détaillées et une aspiration nouvelle. Je vous rappelle que c’est quand même avec la gauche que la recherche c’est sentie bien. Je ne veux pas remonter à Léon Blum ou à Mendès France, moi-même avec François Mitterrand dans les années 80, même Allègre avec la loi sur l’innovation, je dirais qu’il y a eu une impulsion. Au contraire on a vu depuis 2002, un serrage de frein qui a donné lieu à un sursaut et qui débouche sur le débat actuel. Mais cette prise de conscience est récente. On peut faire confiance à Ségolène Royale pour donner à la recherche, à l’université, à l’innovation l’élan qu’ils méritent. Maintenant un mot pour répondre à Monsieur Jean-Dionis de Séjour, les frais de fonctionnement ce sont les frais de personnels. C’est 85% du budget de la recherche. Donc la recherche souffrirait beaucoup dans le schéma de monsieur Bayrou. D’autre part le désendettement est lié à la croissance, très largement, ne nous racontons pas d’histoire et la croissance elle-même, à terme, est liée à la recherche, au développement et à l’innovation technologique. C’est pourquoi le choix de Ségolène Royale de faire sortir du calcul des déficits est un choix très porteur. Et enfin je voudrais dire que les programmes européens sont souvent très bureaucratiques dans les calculs des choses et obéissent à des critères très politiques. Il faudrait pour tout ce qui est de la recherche fondamentale ça soit des scientifiques eux-mêmes, sélectionnés en fonction de critères scientifiques qui attribuent les crédits de recherche au niveau européens et que ça ne se passe pas au niveau d’une bureaucratie qui est véritablement très fracassante.

François d’Aubert : Merci Jean-Pierre Chevènement. François d’Aubert, pour conclure parce que malheureusement notre première table-ronde est en train de déborder du temps qu’on lui avait affectée. François d’Aubert, la mesure que Nicolas Sarkozy prendrait s’il était élu ?

François d’Aubert : La mesure importante c’est la réforme de l’université. Donc ça passe par une nouvelle loi d’organisation de l’université. L’université avec une gouvernance différente pour qu’on puisse prendre des décisions, des universités plus autonomes et des universités mieux fiancées en particulier en faveur de la recherche. C’est vraiment le cœur de notre débat aujourd’hui.

Michel Alberganti : Merci à François d’Aubert, Jean-Pierre Chevènement et Jean-Dionis de Séjour pour ce premier débat qui va alimenter à ne pas douter nos deux tables-rondes. Ils reviendront pour un mot de conclusion en toute fin démission après ces deux débats que nous allons maintenant organiser. Il suffira que nos deux intervenants maintenant prennent place.

« Comment rénover la recherche française ? »

Table-ronde animée par Michel Alberganti avec : Henri-Edouard Audier, membre du bureau national du Syndicat national des chercheurs scientifiques (SNCS), Thierry Coulhon, deuxième vice-président de la Conférence des présidents d’universités (CPU), Jacqueline Lecourtier, directrice de l’Agence Nationale de la Recherche (ANR), François Lucas, membre de la direction nationale du SNESUP, Arnold Migus, directeur général du CNRS, Bertrand Monthubert, président de l’association Sauvons la recherche (SLR).

Michel Alberganti : Nous accueillons maintenant, toujours en direct et en public depuis l’auditorium de la Cité des sciences et de l’industrie à la Villette à Paris, nos invités pour la table-ronde que nous allons consacrer à la question : « Comment rénover la recherche française ? »

Pendant qu’ils achèvent de prendre place, je présente nos invités qui sont : Henri-Edouard Audier, membre du bureau national du Syndicat national des chercheurs scientifiques, le SNCS, Jacqueline Lecourtier, directrice de l’Agence Nationale de la Recherche, François Lucas, membre de la direction nationale du syndicat national de l’enseignement supérieur, le SNESUP, Arnold Migus, directeur général du CNRS et Bertrand Monthubert, président de l’association « Sauvons la recherche ».

Alors, peut-être, Henri-Edouard Audier, une première réaction à ce que nous ont confié les trois représentants des candidats à la présidence de la république ? Une réaction à chaud.

Henri-Edouard Audier : A chaud, je crois que j’ai beaucoup apprécié l’autocritique de monsieur d’Aubert.

Michel Alberganti : Vous nous l’expliquerez quand même en deux mots ?

Henri-Edouard Audier : C’est-à-dire que monsieur d’Aubert a soutenu une majorité, tout comme monsieur Sarkozy, qui a plongée complètement la recherche française dans la crise et aggravée la crise de l’université, c’est relativement simple. La deuxième chose c’est que j’en ai assez d’entendre l’exception française. Il y a un personnage d’Ionesco qui dit : « Je suis Français, se dit en allemand, je suis Allemand. » Je suis désolé, quand vous vous placez à Berlin, le système allemand est complètement différent. Et si vous vous placez à Londres, c’est encore pareil. Tous les systèmes sont différents. L’exception française c’est que c’est le seul pays qui va chercher un modèle étranger pour réformer le sien. Alors, partons donc de notre situation. Ça, si vous voulez je le développerai après. Mais il me semble qu’il y a du point de vue de monsieur d’Aubert, c’est lui qui a commencé ce processus de l’ANR qui est un processus destructif du système français. Je souscris, je crois au schéma qu’à dit Chevènement, c’est-à-dire que plus on va vers l’appliqué, plus la notion de projet est importante, mais sur le fondamental, sur ce que j’appellerais même le développement des connaissances nous avons besoin de temps, d’organismes de recherche et le vrai problème en France c’est de savoir, à partir des établissements, comment établir de meilleures relations entre les organismes de recherche, les universités et les organismes de recherche entre eux ? Ça, c’est un vrai débat. Ensuite, qu’il y ait, par ailleurs, une agence pour favoriser la coopération avec le privé pourquoi pas. Qu’il y ait par ailleurs une agence permettant de faire mieux coopérer des établissements pourquoi pas. Mais il faut que les gens aient la certitude de pouvoir engager une recherche à terme. Condition bien évidemment, et c’est ce qui est le cas, qu’elle soit évaluée tous les 4 ans. Que tous les 4 ans les laboratoires présentent leurs programmes, les projets des équipes et que si c’est bien évaluer qu’il y ait un engagement de financement à hauteur nécessaire, pendant ces 4 ans. A partir de là, on peut discuter. Sur l’ANR, encore un mot ? L’ANR, un des graves problèmes que l’on a ce sont les jeunes. Et pour les jeunes la chose la plus grave ce n’est pas seulement le salaire de départ. C’est la précarité de nos jeunes scientifiques pendant deux ans, pendant 4 ans, pendant 6 ans, pendant 8 ans. Et si l’on veut ne plus avoir de scientifiques il faut continuer comme ça. Et précisément, quand on développe la recherche française sur l’ANR, ce qu’on fait aujourd’hui, on ne développe pas ces personnels, on embauche des post-doctorants et ces post-doctorants après on va les jeter dans la nature sans avoir aucune idée de ce qu’ils vont devenir. Ce qui n’est pas les cas des États-Unis. Comme vous l’avez dit, les États-Unis manquent de cadres, importent des cadres. Et copier le modèle américain c’est complètement crétin parce qu’eux ont des débouchés pour leurs post-doctorants, nous on en a aucun. Et plus on envoi des post-doctorants au chômage moins d’étudiants s’orientent vers les thèses et les carrières de recherche.

Michel Alberganti : Jacqueline Lecourtier, peut-être que vous pourriez réagir, on le voit à la réaction du public déjà, mais par rapport à l’ANR, que vous dirigez, qui cristallise un petit peu, souvent les critiques qui sont adressées au gouvernement en matière d’orientation de la politique de la recherche, comment, vous, vous concevez votre rôle ? Comment vous réagissez, sachant que par ailleurs, je remarque qu’aucun des représentants des candidats n’a émis le projet de supprimer l’ANR ?

Jacqueline Lecourtier : Je crois que l’ANR, aujourd’hui, c’est une équipe. D’abord je voudrais rappeler que c’est quand même une équipe de chercheurs qui essaye, dans les objectifs qui ont été fixés dans la Loi d’orientation et de programmation de la recherche, face aux demandes, de ce qu’a été le débat sur la recherche, de proposer des actions constructives. Je ne crois pas que l’on soit destructeur. Nous avons un programme blanc dont l’objectif est de développer la recherche fondamentale pour l’acquisition des connaissances sans autres critères que la qualité scientifique, que l’innovation, que la pertinence. Ça …

Michel Alberganti : Ça, c’est la définition du programme, que vous qualifiez de blanc ?

Jacqueline Lecourtier : Ce programme blanc qui vise purement à l’évolution de…

Michel Alberganti : Il représente combien ?

Jacqueline Lecourtier : Il représente 30% du programme de l’ANR. Nous essayons de le mener pour qu’il ait un plus, disons, par rapport à la recherche qui est menée dans les organismes. Et pour nous, l’ANR ne peut être qu’un moyen de donner un certain nombre de coups d’accélérateur sur un certain nombre de projets. Donc, nous essayons de le mener en complémentarité avec ce qui est fait dans les organismes et notamment en développant une approche pluridisciplinaire et en faisant travailler à l’intérieur d’un même projet souvent des chercheurs issus d’autres équipes. Je pense en plus que le programme jeune chercheur qui se place dans ce contexte est quelque chose de très positif. Il permet à un jeune chercheur qui a une idée, qui veut promouvoir quelque chose qui est bien à lui sur laquelle il a bien réfléchie, sur laquelle il veut se développer et bien on lui propose des moyens pour le faire. Donc, je pense que ce programme blanc c’est vraiment quelque chose de très important qu’il faut continuer à défendre. Et je crois que nous essayons en tout cas de faire en sorte qu’aussi bien le CNRS, que l’université, que les instituts plus appliqués qui ont besoin de ce type de recherche fondamentale puissent en profiter. Alors, la démarche projet, je pense qu’elle est importante aussi pour ce programme blanc parce que pour moi la démarche projet ce n’est pas forcément être les yeux rivés sur un tableau en disant je dois faire ça mais c’est situer son action par rapport à ce qui se fait à l’international, ça c’est très important. Quand un jeune chercheur vient vous voir et vous dit : voilà, je voudrais faire ça, vous lui dite : d’accord vous voulez faire ça mais qu’est-ce qui se passe en Chine sur le sujet ? Qu’est-ce qui se passe en Allemagne sur le sujet ? Donc, il est important dans la démarche projet de se poser un certain nombre de questions. Bien sûr quand on est dans cette recherche qui est plus en amont, qui est plus à risques, il ne faut absolument pas être vraiment les yeux rivés sur son tableau, il faut être capable de s’adapter en temps réel. On sait bien qu’un programme blanc n’est pas un projet. Un projet mené dans un programme blanc n’est pas aussi figé que les programmes thématiques.

Michel Alberganti : Les critiques ne portent pas tellement sur les programmes blancs, j’imagine ?

Jacqueline Lecourtier : Non, mais je tiens à rappeler que pour nous, l’ANR, c’est quelque chose de très important. Parce que c’est ça qui ensemencera la suite. C’est ça qui prépare notre avenir. Ensuite, nous avons des programmes thématiques. Moi, quand j’entends dire que le programme de l’ANR est préparé par les politiques ça me fait sourire. La seule contrainte que nous avons eue quand l’ANR a été créée ça a été de dire : il faut travailler sur trois secteurs : l’énergie, la santé, les STIC, les sciences et techniques de l’information et de la communication. Expliquez-moi quel grand pays de recherche ne travaille pas sur ces domaines ? Qui, en France, pourrait dire que ces sujets-là ne sont pas des sujets vraiment préoccupants et sur lesquels il faut préparer l’avenir ? Au-delà de ça, par secteur, nous avons ce qu’on appelle un comité sectoriel qui est composé, en accord avec les différents organismes, avec la CPU. Nous demandons aux gens : voilà, nous voulons monter un comité sectoriel énergie, qui nous proposez-vous ? Il y a en moyenne 25 personnalités éminentes. Je dirais que le seul critère, c’est plutôt des cheveux blancs. C’est-à-dire des gens qui ont quand même une vision assez large. C’est peut-être ça la critique qu’on pourrait nous faire. Dans nos comités sectoriels, si je regarde comment ils sont composés, on prend des gens qui ont un certain recul, une certaine expérience. Des chercheurs qui peuvent venir du monde industriel, parce qu’il y a des chercheurs tout à fait pertinents dans le monde industriel, il y a une recherche industrielle qui existe. Ces gens-là réfléchissent où on en est, regardent ce qui est fait dans les organismes, ou regardent ce qui est fait à l’international et disent : et ben voilà, nous on pense qu’il faudrait lancer un programme là-dessus, lancer un programme là-dessus… Ensuite on concerte, évidemment, on discute avec les différents organismes susceptibles de nous envoyer des projets parce que nous, on peut toujours lancer un appel à projet, décider par notre comité sectoriel, mais il faut qu’il y ait des chercheurs qui nous envoient des projets. On regarde, on s’aperçoit qu’effectivement ça répond à une demande socioéconomique, scientifique, qu’il y a des gens près à démarrer et on lance notre programme. Moi, je n’ai pas l’impression que notre programme soit piloté par autre chose que des communautés scientifiques, qui sont peut-être critiquables parce que la stratégie est toujours difficile à définir. Je crois que quand vous dites il faut rénover notre recherche, il faut rénover notre façon de faire de la stratégie. Nous, nous avons nos comités sectoriels. Le CNRS, monsieur Migus on a aussi. Nous essayons de travailler ensemble. Nous essayons de travailler avec la CPU. Je crois que là, on a un effort à faire. Moi, je viens d’un EPIC, établissement public à caractère industriel et commercial qui était l’Institut français du pétrole et dont lequel j’ai fait de la recherche appliquée. J’ai été avant au CNRS. Je pense que dans la réforme de la recherche nous avons absolument besoin de travailler sur notre méthode de définition de la stratégie parce que c’est notre positionnement à l’international qui est en cause. Là, je crois qu’il faut vraiment qu’on soit le plus efficace possible. Voilà, la programmation de l’ANR.

Michel Alberganti : Très bien. Bertrand Monthubert, vous êtes président de l’association « Sauvons la recherche » qui a joué un rôle essentiel dans les événements 2003-2006, comment vous réagissez à la fois à ce que vient de dire Jacqueline Lecourtier mais aussi aux propositions des trois représentants des candidats à la présidence de la république ?

Bertrand Monthubert : Je reçois ça avec un petit peu de consternation. D’abord je crois qu’on a une présentation de l’Agence nationale de la recherche par son premier auteur François d’Aubert et peut-être aussi par madame Lecourtier qui semble, c’était tout à fait spécifique dans les propos de François d’Aubert, comparer l’ANR aux agences de moyens américaines. On n’est dans un système qui est complètement différent. Les agences de moyens américaines ont une histoire qui s’intègre dans un pays qui est un pays fédéral, avec un nombre d’établissements universitaires où l’on peut faire de la recherche qui est considérable, beaucoup plus éclaté, qui n’a pas la même histoire de centralisme que nous avons en France. Donc, la NSF, National Science Foundation,…

Michel Alberganti : L’équivalent d’une grosse ANR ou c’est plutôt l’inverse.

Bertrand Monthubert : Justement non, ce n’est pas l’équivalent. La NSF a été créée à un moment donné parce qu’elle était dans un paysage où il n’y avait pas d’harmonisation notamment des systèmes d’évaluation. Quand j’entends François d’Aubert semblait dire que grâce à l’ANR on peut avoir de l’évaluation sur les projets, là je ne comprends plus.

Michel Alberganti : Je crois qu’il parlait de l’autre agence, l’AERES, qui est chargée de l’évaluation scientifique.

Bertrand Monthubert : Si on veut mais ce qu’il a expliqué c’est que la création de l’ANR permettait qu’il y ait des projets et l’évaluation sur les projets. J’appartiens et beaucoup de gens ici appartiennent des laboratoires qui sont évalués tous les 4 ans par le biais d’un comité de visite et c’est sur la base de cette évaluation, que l’on peut améliorer naturellement mais qui existe quand même, qu’on va déterminer quels sont les crédits qui vont être donnés. On ne donne pas de l’argent comme ça en faisant un coup de roulette-russe ou en tirant au Loto. Ça n’est pas ça le fonctionnement.

Michel Alberganti : Concrètement, vous, vous pensez que l’ANR ne sert à rien ou qu’elle est néfaste ?

Bertrand Monthubert : Je ne dis pas qu’elle ne sert à rien. Je dis qu’aujourd’hui, ça a déjà été dit auparavant, elle pose un certain nombre de problèmes. Premier problème, elle focalise sur une vision de courts termes. Les projets ANR sont des projets de 3 ans. Ce n’est pas quelque chose qui corresponde à la durée naturelle de la recherche qui est sur des projets réels d’un minimum de 7 ou 8 ans, éventuellement beaucoup plus. Est-ce que vous croyez qu’Andrew Wiles, qui a démontré le théorème de Fermat, il y a une dizaine d’années, c’était sur la base d’un projet de 3 ans ? Absolument pas. Est-ce qu’Albert Einstein aurait pu déposer un projet et qui aurait été financé ? Je ne crois pas. Or, aujourd’hui, nous sommes dans une situation où en réalité en va remplacer l’initiative qui peut être prise au niveau local par les chercheurs et dans le cadre des laboratoires sur la base de l’évaluation par quelque chose de complètement centralisée. Il va falloir aujourd’hui, pour vous donner un exemple concret, déposer un projet ANR pour que trois chercheurs dans trois établissements différents puissent disposer d’un petit d’argent pour aller se rencontrer et travailler ensemble. Honnêtement est-ce que c’est la façon la plus simple d’affecter les ressources ? Les programmes ANR c’est une fois par an, il faut faire le projet, ensuite il faut qu’il y ait une expertise puis on a l’argent. Au total ça peut prendre deux ans entre le moment où on a l’idée et le moment où on a l’argent. Tout ça pour aller travailler avec deux autres collègues ? Je crois que ce n’est tout simplement pas efficace. Or, les budgets des laboratoires pendant ce temps-là sont en baisse. Nous avons envoyé un questionnaire aux directeurs de laboratoires en début d’année pour savoir quelle était l’évolution de leur dotation budgétaire entre 2006 et 2007. Nous avons reçu environ 150 réponses, je n’en tirerais pas des conclusions statistiques, je pense que monsieur Migus est très vigilant sur ce que je vais dire, donc je vais prendre beaucoup de précaution, cela dit je peux vous donner des chiffres extrêmement concrets. En sciences de la vie, j’ai sous les yeux le tableau avec des baisses qui peuvent être de -23,07% pour le laboratoire d’interactions moléculaires et cancer. -27,69 pour l’unité de biotechnologie, biocatalyse et bio régulation.

Michel Alberganti : Ça, vous l’interprétez comme l’effet de l’existence de l’ANR qui récupère en fait les critiques qui étaient auparavant attribuées directement aux laboratoires ?

Bertrand Monthubert : Si vous voulez. On a eu…

Michel Alberganti : Pour simplifier, c’est ça ?

Bertrand Monthubert : On peut, pour simplifier, une Loi sur la recherche qui a très précisément organisée la stagnation de l’effort de recherche pour les laboratoires dépendants des organismes et les universités dans ce qu’on appelle la mission ministérielle de la recherche et de l’enseignement supérieur, n’importe qui pourra le vérifier, et qui a décidé d’affecter des moyens supplémentaires à l’ANR. Ça signifie qu’au niveau des laboratoires on se retrouve dans une situation, pour beaucoup, avec des baisses extrêmement conséquentes et notamment une perte d’autonomie scientifique. Le problème c’est que si au niveau d’un laboratoire on veut lancer un nouveau projet directement la seule solution qu’on a aujourd’hui c’est de passer par ce filtre de l’ANR, de tomber si l’on de la chance dans un programme qui pourrait fonctionner mais très souvent évidemment ça ne fonctionne pas. Il va falloir avoir les bons mots clefs pour que ça passe. On se retrouve en plus avec une paperasserie qui a énormément augmentée avec des gens qui passe énormément plus de temps à déposer des demandes d’argents et d’autres à évaluer les demandes d’argents de leurs copains. A un moment donné je ne crois pas que ça soit la meilleure façon d’affecter des moyens, redonnons la possibilité aux chercheurs dans le cadre des laboratoires d’avoir plus d’autonomie ça sera plus efficace.

Michel Alberganti : Alors, Arnold Migus, vous êtes directeur général du CNRS, vous êtes quand même toujours au centre du dispositif français de la recherche, une position très importante et souvent on oppose d’ailleurs la création de cette nouvelle agence, l’ANR dont on parle beaucoup, avec le pouvoir dont dispose le CNRS, qu’elle est votre analyse ?

Arnold Migus : Bien, merci. Vous m’avez positionné au centre, tout à l’heure j’ai été appelé symbole sacré, à défaut de mettre une vache sacrée. Donc, premièrement je reviens sur ce que disais mon ami Audier. Très clairement il n’y a pas d’exception française comme vous l’avez dit au début, il y a un système international, je vous rappellerai que la France a à peu près 1% de la population mondiale, à peu près 5% -j’arrondi- de la production scientifique mondiale, ce qui veut dire que 95% de la production mondiale est faite ailleurs. Donc, par définition, nous devons nous incorporer dans le système international. Ça…

Michel Alberganti : Ça veut dire qu’il y a d’autres CNRS dans d’autres pays ? Vous avez des exemples ?

Arnold Migus : Ce n’est pas qu’il y ait des CNRS dans d’autres pays, il y a beaucoup d’étranger qui sont recrutés au CNRS, c’est complètement mixé. Ce que je voulais dire c’est que les systèmes doivent s’intercaler. Il faut qu’en travaille ensemble. Donc, par définition, je dirais que l’on fonctionne de la même façon. Tous nos chercheurs font un jour un séjour à l’étranger. Je dirais qu’il n’y a pas plus international que la recherche, bien avant les industriels et bien avant les politiques qui s’aperçoivent de la mondialisation. Nous, nous nous sommes aperçus de la mondialisation il y a bien longtemps. Nous vivons à l’international, il n’y a rien de spécifique au système français avec, je dirais, ses différences composantes sinon des curseurs un peu différents ce dont on a déjà parlé tout à l’heure. Dans le système international, je ne rejoins pas tout à fait ce qui a été dit précédemment, vous avez, je dirais, trois grands types opérateurs. Vous avez les agences de financement sur projet. C’est vrai partout, c’est surtout, je dirais, sur le moyen terme. C’est pour faire des projets sur 3 ou 4 ans comme il a été dit précédemment. C’est la norme internationale. Vous avez ensuite des opérateurs de terrain. Les opérateurs de terrain c’est principalement, dans le monde, les universités, les laboratoires dans les universités. Puis vous avez les organismes. Les organismes il y en a dans tous les pays, avec des curseurs plus ou moins importants. Ils ont trois types de missions en gros. C’est à a fois une agence d’objectifs et de moyens et c’est un opérateur lui-même, il a des laboratoires. Votre débat est sur l’évolution, moi, c’est un débat que je suis depuis longtemps et quand on regarde l’histoire du CNRS on s’aperçoit que le débat dans lequel on est aujourd’hui n’a pas beaucoup évolué mais la recherche à beaucoup évoluée. Le CNRS, en 20 ans, a transformé 90% de ses laboratoires en unités mixtes. Donc, quand on parle de laboratoire de recherche dans les universités, le CNRS y est complètement plongé. On ne peut pas différencier la recherche universitaire et ce que met le CNRS dans la recherche universitaire.

Michel Alberganti : Ce n’est pas du tout ma question. Ma question portait sur l’ANR.

Arnold Migus : Je l’ai mentionnée puisque c’est un des trois piliers de la recherche internationale. Je crois qu’il est justifié qu’il y ait une ANR, pourquoi ? Parce que vous avez différents temps dans la recherche. Ça a été mentionné mais les trois se valent, ils sont aussi importants. Vous avez, ici, après, un débat sur les applications, quand vous êtes plus proches des applications, quand vous êtes dans ce qui est la nouvelle économie, les STIC, quand vous êtes dans les biotechnologies vous devez réagir plus vite parce que l’économie l’exige. Vous avez les usages qui poussent. Ce n’est pas de la technologie qui poussent ce sont les usages. Ça pousse en contrepartie la science et la technologie.

Michel Alberganti : C’est-à-dire que le CNRS n’est pas assez réactif sur ces terrains-là et qu’il fallait un aiguillon extérieur ?

Arnold Migus : C’est là, je dirais, que nous avons un changement de mentalité et c’est là que l’ANR apporte quelque chose. Mais quand même nous sommes excellents. Il faut regarder les domaines d’excellence. En France nous sommes excellents sur tout ce qui est longs termes, sur tout ce qui est étatique, on est structurant. Regardez les transports, regardez le spécial, regardez l’énergie nucléaire. Il ne faut pas se dénigrer quand même à ce point-là. Donc, tout ce qui est long terme et très collaboratif nous sommes excellents. Là où c’est un petit plus dure et que le système ait plus de fluidité c’est là où l’on exige de la compétition et du court terme.

Michel Alberganti : Très bien. Thierry Coulhon, vous êtes vice-président de la Conférence des présidents d’universités. On a vu à quel point les universités sont au centre des discours des hommes politiques car finalement tout le monde se retrouve finalement assez d’accord sur le constat qu’il y a un vrai problème avec les universités, un manque de moyens certainement, peut-être un manque de restructuration aussi, pour revenir à des entités plus fortes, comment vous analysez vous la situation et les discours des hommes politiques que nous avons entendus tout à l’heure ?

Thierry Coulhon : Mes collègues et amis sont rentrés très vite et très fort dans le débat sur les institutions et sur les outils. Moi, je voudrais d’abord que l’on goûte un peu notre bonheur parce que je n’ai pas participé, comme citoyen, à un nombre infini de campagnes présidentielles. Il me semble, de mémoire, quand même qu’on parle beaucoup de la recherche dans celle-ci, qu’on parle beaucoup d’université dans celle-ci et qu’on en parle en même temps c’est encore mieux. Alors, il y a des éléments de consensus qui apparaissent, il me semble, dans ce qu’on entend. Il y a un certain nombre d’inflexions et de questions qui retentent ouvertes, on le voit aussi. Parce que je crois qu’il faut rentrer dans le débat en ayant d’une part la perception d’un moment historique et d’un boulevard qui est ouvert à nos institutions mais d’un boulevard pourquoi ? Pour notre mission commune. Donc, je pense qu’il faut rappeler la responsabilité qu’on a collectivement comme chercheurs, comme universitaires et comme institutions. Les responsabilités qui sont celles des universités, vous les connaissez, en matière de formation supérieure, aujourd’hui on parle de la recherche. Donc, à la fois une situation extrêmement intéressante et une responsabilité très grande qui pèse sur nous d’autant plus que les politiques nous semblent ouverts. Dans ce cadre-là, les universités à la fois sont persuadées du rôle éminent qu’elles jouent dans le système. Elles, …

Michel Alberganti : Peut-être que pour nos auditeurs il faudrait préciser la situation actuelle et quel est le problème qui est à résoudre et des solutions évidemment.

Thierry Coulhon : La situation universitaire dans le système de recherché c’est qu’en gros 80% de chercheurs chez nous sont des enseignants-chercheurs mais peu importe ce n’est pas la question. Ce qu’il faut d’abord comprendre c’est que nous sommes tous les mêmes fondamentalement. C’est-à-dire, qui chez nous n’a pas été soit au CNU, soit au comité d’évaluation du CNRS ? Qui n’a pas été, s’il est universitaire, délégué, chargé de recherche ou directeur de recherche pendant quelques temps au CNRS ? Quel chercheur n’a jamais enseigné ? Donc, c’est une communauté qui est fondamentalement relativement homogène. Dans cette communauté les universités jouent u rôle éminent, pourquoi ? Parce qu’elles abritent la plupart des équipes de recherche. Quand on est un petit peu énervé on rappelle qu’on les chauffe et qu’on les éclaire, plus ou moins bien d’ailleurs, quand on un peu plus de recul on rappelle qu’avec les organismes on est capable de faire un petit peu de stratégie, et même pas mal. Les universités ont conscience qu’elles doivent progresser. Elles ont progressé, je pense que c’est un des éléments du débat mais la question d’évaluer correctement le système, de ne pas l’évaluer de manière trop négative. Je pourrai vous faire, tout à l’heure, à l’occasion, le sketch sur le classement de Shanghai en rappelant que la problématique du classement est nettement moins intéressante que la problématique du pilotage. Il me semble qu’une fois qu’on a classé ces institutions on est bien avancé, surtout si on a oublié de se souvenir du budget dont elles disposent. En revanche si on les pilote c’est plus intéressant.

Michel Alberganti : Ce classement a eu beaucoup de répercussion tout de même ?

Thierry Coulhon : Il a des répercussions psychologiques et institutionnelles intéressantes, en même temps la naïveté avec lequel il est reçu est quand même intéressante. Ceci dit, comme tout objet, il a créé sa propre critique, et créé d’ailleurs une pluralité de classement. Mais au fond si on sortait une bonne fois pour toute de la problématique du classement et qu’on rentrait dans la problématique de l’évaluation, c’est-à-dire que la société nous donne à tous un certain nombre de moyens qu’on faisant nous ? Pourquoi faire ? Avec quelle efficience ? Quelle efficacité ? Et bien ça serait déjà nettement beaucoup plus intéressant.

Michel Alberganti : Concrètement, on voit que les politiques ont l’air assez proches sur la question de la restructuration et d’une solution à cet éparpillement qu’on pourrait observer des universités françaises, de leur nombre etc. Comment vous vous situez par rapport à ça ?

Thierry Coulhon : Je voudrais d’abord vous dire qu’une fois qu’on avait dit que les universités avaient un rôle important dans le système, nous, présidents d’universités, nous pensons que nous avons une certaine légitimité à nous exprimer. Nous avons bien compris que nous nous ne sommes pas les seuls dans le débat. Nous avons fait un certain nombre de propositions dans notre colloque annuel de Metz, qui sont des propositions fermes et j’espère claires de la CPU. Mais elles ne portent pas sur la recherche particulièrement parce que nous avions eu un colloque à Bordeaux en 2004 qui a eu, je crois, un certain nombre de conséquences, qu’on peut analyser mais un certain nombre de nos propositions ont eu un effet sur le paysage, de même que l’attitude de SLR a eu un effet, de même que la création de l’ANR etc. Nous avons donc fait des propositions à Metz et les propositions de Bordeaux sur la recherche restent valides. Ce que je voudrais dire maintenant, c’est que dans notre esprit il fallait faire ces propositions avant l’élection, qu’après l’élection pour un certain nombre de questions qui restent il faudra que les uns et les autres nous pesions, nous proposions un certain nombre…

Michel Alberganti : Ce qui serait intéressant c’est de connaître certaines de ces propositions, tout le monde ne les connaît peut-être pas par cœur.

Thierry Coulhon : Mais aussi d’en faire un certain nombre et de les discuter ensemble dans les États-Généraux que nous aurons à l’automne.

Michel Alberganti : Certes.

Thierry Coulhon : C’est-à-dire que nous sommes dans une phase où nous, nous avons fait des propositions et d’autres en ont fait et nous souhaitons les discuter.

Michel Alberganti : Est-ce que vous pouvez, rapidement, nous donner deux ou trois angles importants de ces propositions ?

Thierry Coulhon : Il ne s’agissait pas, encore une fois, essentiellement de la recherche puisque nous avions traités cette question récemment. Les articulations des propositions que nous avions faites à Metz sont simples. 1) Faire réussir le plus grand nombre, ça veut dire faire un grand premier cycle. Un premier cycle qui ait les moyens d’assurer le rôle de formation de cadres scientifiques et intellectuels dont la nation a besoin. On ne doit pas être dans malthusianisme. Tout le monde convient du fait que la question n’est pas de sélectionner plus d’étudiants, elle est dans former plus. 2) Recomposer le paysage universitaire et c’est là que je peux commencer à répondre sur la question de la taille, de l’éparpillement. Ce qu’on pense nous, c’est d’une part qu’il faut comprendre et assumer la diversité du système français. Deuxièmement qu’il faut rappeler l’impératif d’excellence. Troisièmement que l’excellence peut être atteinte à diverses échelles et sur diverses stratégies, encore faut-il les expliciter clairement.

Michel Alberganti : Ça veut dire qu’il ne faut rien changer, en résumé ?

Thierry Coulhon : C’est ce que vous avez compris.

Michel Alberganti : Je ne sais pas, je vous pose la question. J’aimerais bien comprendre ce que vous voulez changer, j’ai du mal en fait.

Thierry Coulhon : C’est quand même curieux. Il y a d’abord ce qu’on a changé déjà. Il y a en France un certain nombre de projets de pôles de recherche et d’enseignement supérieur c’est-à-dire de regroupements effectivement d’institutions sur de grandes métropoles qui avaient choisi des chemins divers pour des raisons historiques et qui sont en train de travailler ensemble. Sur Strasbourgs, Grenoble, Toulouse, Lyon on assiste à des convergences fortes y compris avec de grandes Écoles. Donc si non ne voulait rien changer on aurait dû commencer par ne pas travailler à tout ça or on y travaille. Oui, il y a des regroupements, oui ça n’est que le début d’un processus, ça prend des formes diverses. Ce que je voulais dire, en disant excellence à diverses échelles, c’est qu’on est vent debout contre l’idée qu’il doit avoir deux classes d’université. Qu’en revanche que l’université de Paris VI et l’université de Brest aient des échelles différentes, des modes d’excellence différents, vous savez l’océanographie sera sans doute longtemps meilleure à Brest, et bien c’est ce qu’il faut comprendre, il faut redynamiser le système effectivement pour lui donner un certain nombre de moyens d’autonomie et lui permettre de se remettre en marche. Et ça c’est une affaire de modalité.

Michel Alberganti : Merci. Je voudrais juste que l’on écoute la réaction de François Lucas qui membre de la direction nationale du syndicat national de l’enseignement supérieur, le SNESSUP.

François Lucas : Dans ma réaction, je voudrais à la fois partir de la vie concrète des collègues, en particulier des précaires et d’autres part bien entendu du fait que la recherche a besoin d’un souffle et donc d’une organisation, d’une structuration. Au niveau des précaires, moi, ce que je vois c’est qu’avec l’ANR, on en remet une couche. Cette année encore il s’est créé 1500 postes de CDD. Henri Audier a très bien dit tout à l’heure, qu’est-ce qui va advenir d’eux à la fin de leur contrat ? Est-ce qu’on va remettre un nouveau contrat et ça va durer indéfiniment ? Je crois que c’est absolument essentiel de changer ça si on veut redonner espoir à tous les étudiants-chercheurs qui hésitent au seuil de l’engagement important. Donc, voilà une première chose, et c’est une des raisons pour laquelle nous sommes pour le retrait du pacte pour la recherche, c’est un de ces points essentiels. Juste un mot à ce sujet-là. Beaucoup de gens quand on leur dit ça disent : oui mais c’est bien de pouvoir avoir des post-docs qui vont à l’étranger etc. Mais être titulaire d’un poste ça n’empêche pas d’aller à l’étranger. Les jeunes peuvent très bien avoir leur poste et puis aller faire un stage à l’étranger. On peut même leur mettre ça comme condition. Ça ne me choquerait pas par contre ce qui me choque c’est de leur donner des CDD. Deuxième point qui fait qu’on est contre le pacte actuel et qu’on dise qu’on veut le changer. C’est le problème de l’évaluation. Je pense que tous les enseignants-chercheurs sont convaincus qu’une bonne évaluation ne peut que faire du bien à notre profession parce qu’une bonne évaluation montrerait la qualité du travail qui est fait. Je pense que la science qui est développée en France est d’excellente qualité. Chaque fois qu’on fait un déplacement international pour le boulot on en est encore plus convaincu. Je pense que l’opinion française n’est pas tout à fait au courant et que peut-être une bonne évaluation pourrait le faire. Malheureusement qu’est-ce qu’on nous propose ? L’AERES…

Michel Alberganti : Qui est une nouvelle agence.

François Lucas : Voilà. Donc essentiellement les reproches qu’on peut faire, c’est que peut-être que c’est les scientifiques qui y participent mais c’est des scientifiques qui n’ont pas toutes les caractéristiques qui pourraient assurer la confiance des collègues. Autrement dit, nous enseignants-chercheurs avons l’habitude d’être évaluer par nos pairs et c’est la même chose au CNRS, à l’INSERM etc. L’évaluation par les pairs c’est être sûrs que les gens qui vont nous évaluer connaissent le boulot, les conditions dans lesquelles on travaille, savent ce qu’on peut demander. Ensuite ce sont des élus. Certains vont être choisis pour leur excellence scientifique d’autres parce qu’il est connu qu’ils réfléchissent au travail et à ce qu’on peut espérer. Donc, l’AERES, deuxième raison pour laquelle on veut le retrait du pacte. Mais on même temps on dit ce qu’on veut. On veut une évaluation de qualité.

Michel Alberganti : Telle que celle qui existe aujourd’hui, qui existait au sein du CNRS, par exemple ?

François Lucas : Une évaluation par les pairs. Durant le mouvement des chercheurs, à divers niveaux, on a beaucoup discuté de cette question. C’est clair, par exemple, qu’une articulation meilleure entre l’évaluation des chercheurs et l’évaluation des enseignants-chercheurs peut très bien être trouvée au travers d’organismes pas si proches de ceux qui existent actuellement. On n’est pas du tout contre des changements, en particulier pour avoir une bonne évaluation du travail des enseignants-chercheurs il faudrait un effort national très important ne serait-ce qu’au niveau financier, quand on sait le nombre d’enseignants-chercheurs qu’il y a. On n’est pas contre mais on ne veut pas d’une évaluation couperet faite à la va vite et sans moyens.

Michel Alberganti : Je voudrais que peut-être que Jacqueline Lecourtier réagisse. Malheureusement nous n’avons pas pu avoir le représentant de l’AERES, qui est toute récente et qui n’a pas pu déléguer quelqu’un pour parler en son nom. D’ailleurs nous n’avons pas non plus de représentant de l’AII, l’Agence de l’innovation industrielle, qui, elle, a été créée depuis plus longtemps mas qui semble-t-il connaît quelque problème. Donc, finalement, Jacqueline Lecourtier, vous êtes la représentante de ces agences du pacte pour la recherche. Malheureusement ça tombe sur vous, comment vous réagissez à ces critiques, de la part des syndicats ?

Jacqueline Lecourtier : Je voudrais déjà dire que l’ANR n’a aucun objectif d’évaluation. C’est-à-dire que nous avons décidé en fin d’appel à projets, nous sommes en train de mettre en place ces mécanismes, de faire des colloques bilans où nous ferons parler la communauté, qui seront plus des colloques d’échanges où les gens présenteront leurs résultats et discuteront. Nous n’avons pas en charge l’évaluation. Ce sont les organismes qui l’ont en charge ou l’AERES.

Michel Alberganti : En même temps il y aurait des cas où vous prolongerez certains projets et une évaluation de quelque chose qui pourrait être une première étape devra être faite ?

Jacqueline Lecourtier : Alors, ce qu’on ferra, ça c’est pour répondre à la deuxième critique de monsieur Monthubert, un projet qui dure 12 et 20 suivants, moi j’ai vu travailler de près un prix Nobel qui s’appelait Yves Chauvin je puis vous assurer que sur son prix Nobel il a travaillé plus de 3 ans. Je suis convaincue de ça, moi aussi. Mais il est important d’avoir des pauses. Vous dites, je veux me mettre dans cette perspective, je propose un projet à trois ans, je regarde ce que ça donne et je continue après. Nous on n’a…

Michel Alberganti : Donc vous évaluez le projet ?

Jacqueline Lecourtier : A la fin d’un projet vous regardez si ça marche ou si ça ne marche pas. De toute façon si le chercheur re propose un projet dans la suite, la première étape de sa demande va être : voilà les résultats que j’ai obtenus et voilà pourquoi je veux continuer. Mais pour moi l’évaluation telle qu’elle doit être faite par l’AERES ou qu’elle est faite par les organismes ce n’est absolument pas la même chose. Nous, nous ferons un bilan scientifique pour voir si réellement le coup d’accélérateur que nous avons essayé de donner dans tel ou tel secteur a produit quelque chose, s’il se passe quelque chose, si on a des choses qui se mettent en place. Ensuite, je voudrais souligner une deuxième chose, c’est que quand je parlais d’une pluridisciplinarité à l’intérieur d’un projet, il ne s’agit pas de trois copains qui se connaissent et qui présentent un projet ensemble. Il s’agit d’enjeux très importants. Par exemple, la participation des sciences humaines et sociales à des projets des sciences dures. Aujourd’hui c’est quelque chose qu’on a beaucoup de mal à faire. La structure projet le favorise. Alors, bien sûr il n’y a pas que l’ANR qui peut proposer des projets mais nous c’est quelque chose qui nous tient à cœur. On ne peut pas travailler sur, je prends un exemple que vous connaissez tous, la capture et le stockage du CO2, c’est un problème de société, on nous dit qu’on va mettre le CO2 dans le sous-sol, très bien. Mais il nous paraît important d’avoir une approche sciences sociales, sciences humaines sur l’acceptation de ces technologies. C’est pareil sur les nanotechnologies. J’étais ici il y a 15 jours, je pense que la pluridisciplinarité ça va bien au-delà que de mettre 3 personnes qui présentent un projet. Ce n’est pas ça qu’on veut faire. Pareil, je prends physique-chimie du vivant. On a toujours dit qu’il fallait faire travailler ensemble les sciences dures et les spécialistes de la santé, les biologistes. Eh bien, c’est difficile. La structure projet le permet. Moi, je crois que l’ANR ne résoudra pas tous les problèmes du système. Elle représente d’ailleurs 8 à10% du budget global. Ce n’est pas une lame de fond.

Michel Alberganti : Ça évolue rapidement.

Jacqueline Lecourtier : Aujourd’hui, elle en est là. Mais ce que je pense c’est qu’elle a des outils qui permettent d’avancer. C’est pareil sur l’international. Aujourd’hui on est contacté par toutes les agences, petites sœurs à l’international, qui nous demande de lancer des appels à projets communs. C’est un très bon outil pour faire ça. Voilà. Après, elle ne résout pas tout, ça je suis d’accord. Je pense qu’un bon équilibre entre financements récurrents et financements par projets pour développer notre système et le rendre performant.

Michel Alberganti : Avant Bertrand Monthubert, Henri-Edouard Audier voulait intervenir. Il est resté très sage jusque-là.

Henri-Edouard Audier : La science et un laboratoire c’est un fantastique aventure humaine. Nous coopérons de manière désintéressée pour atteindre l’objectif. Nous allons voir des copains si l’on est bloqué sur un système. Nous coopérerons parce que nous avons quelque chose ensemble, la science, et vous nous instaurez un système où les gens vont se bouffer le nez, ou dans un même laboratoire ils vont essayer surtout de se planquer les résultats pour aller demander, pour gagner au Loto etc. Madame, vous nous changez totalement la mentalité qu’il y a. Et alors si déjà, moi je vous dis une chose, avec les salaires qu’il y a, vous nous imposez d’en faire du point de vue de la vice-scientifique, croyez-moi, des scientifiques vous en aurez moins. Deuxièmement, Madame, vous ne pouvez pas prévoir l’avenir. Vous déterminez un certain nombre d’axes. Vous savez comme moi qu’il y a toute une série de discipline qui ont été sacrifiées et que 10 après on s’est rendu compte que c’était des goulots d’étranglement dans le développement scientifique. Et je vous mets au défi de me prévoir actuellement les disciplines dont nous aurons besoin dans 10 ans. C’est-à-dire qu’il y a effectivement besoin d’avoir un background bien évalué où on a une certaine liberté. Et je dis si on ne peut pas tout faire en France, nous devons pouvoir tout faire en Europe dès lors qu’une recherche est bien évaluée. Je crois que c’est cette communauté scientifique qui sait coopérer qui sait faire progresser les choses au service de l’humanité que nous voulons et nous ne voulons pas d’un système où tout le problème c’est d’aller planter un couteau dans le dos du copain.

Michel Alberganti : Jacqueline Lecourtier malheureusement, heureusement doit réagir. Bertrand Monthubert, rapidement alors.

Bertrand Monthubert : Très rapidement parce qu’il y a des choses qu’on ne peut pas laisser dire. Quand on dit que l’ANR c’est 8 à 10% du budget, le budget de l’ANR cette année, sauf erreur, 800 millions, le budget hors salaire du CNRS c’est 550 millions. Donc, le budget de l’ANR est supérieur au budget hors salaire du CNRS. Qu’on ne dise pas n’importe quoi sur ces choses-là. Deuxièmement, il y a quand même une chose qui est très préoccupante, c’est qu’aujourd’hui nous sommes dans une situation de crise qui peut se voir par un simple phénomène. C’est la désaffection des jeunes chercheurs ou plus exactement des étudiants vis-à-vis des carrières de la recherche. Je ne crois que c’est en instaurant un système qui va être complètement basé sur le fait de donner des contrats de 3 ans à des gens qui sont diplômés à bac +8ans, mais enfin, oserait-on à un polytechnicien qu’on va lui donner un contrat de 3 ans le temps qu’il fasse ses preuves ? Honnêtement je ne crois pas. Et pourtant c’est ce que Sarkozy nous propose dans son projet avec une sorte de CPE jeune-chercheur qu’il est en train de mettre en place, je ne crois pas que c’est comme ça qu’on attirera ceux qui feront la recherche de demain et pourtant c’est l’enjeu du débat d’aujourd’hui.

Michel Alberganti : Jacqueline Lecourtier pour répondre à ces attaques. Le budget, effectivement vous financez également des salaires ?

Jacqueline Lecourtier : On finance des thésards, on fiance des post-docs. Donc, notre budget est global. C’est ce qu’on vous a dit. On a 1500 projets par an. On a un manpower sur ces 1500 projets qui est partie des thésards et en partie des post-docs et les post-docs il y a une bonne partie qui viennent de l’international il n’y a pas que les post-docs français. Ceci-dit l’ANR, ne peut pas résoudre le problème de la carrière scientifique. C’est un deuxième problème. L’ANR, c’est un outil dans le système. Donc, le budget de l’ANR, il faut le comparer au budget global de la recherche.

Bertrand Monthubert : C’est fait par des chercheurs et des enseignants chercheurs qui sont payés par les organismes et les universités et vous ne les comptabilisez pas dans votre budget.

Jacqueline Lecourtier : Il y a aussi les thésards et les post-docs qui comptent pour largement moitié dans notre budget.

Arnold Migus : Les chiffres de monsieur Monthubert sont tout à fait exacts. En ce qui concerne le CNRS, 550 millions d’euros, la subvention d’État. Il y a à peu près 500 millions d’euros de ressources propres c’est-à-dire de contrat divers dont, je dirais, un tiers venant de l’ANR pour donner à peu près les proportions.

Michel Alberganti : C’est le budget hors salaires dont vous parlez.

Arnold Migus : Le budget hors salaries. Le budget avec salaries c’est 1.8 milliard ? Ça veut dire, chez nous, c’est à peu près si je compte 60% pour les salaires, 20% pour la subvention d’Etat hors salaires et 20% pour les contrats dont 1/3 de ces 20% venant de l’ANR. Je reviendrai sur l’attractivité, je crois que j’ai entendu les représentants des candidats parler des salaires des chercheurs. Je crois que ça c’est le point vital. On a des problèmes d’attractivité, de compétition internationale,…

Michel Alberganti : Combien gagne un chercheur aujourd’hui au CNRS ?

Arnold Migus : En début de carrière, moins de 2000 euros.

Michel Alberganti : Moins de 1700 euros, dans la salle.

Arnold Migus : En début de carrière, moins de 2000 euros brut.

Michel Alberganti : Moins de 2000 euros, après bac + 8 parfois, c’est ça ?

François Lucas : Oui, voire plusieurs années de post-docs après.

Arnold Migus : Je voudrais revenir sur juste deux, trois points. On a parlé tout à l’heure de l’industrie. Le fait que la part de l’industrie dans la recherche est faible. Je crois que là il y a un rôle important pour mon voisin, l’université. Pourquoi ? C’est l’injection des docteurs dans les entreprises. Pourquoi il n’y pas plus de mentalité de recherche c’est parce qu’l y a beaucoup plus d’ingénieurs que de chercheurs qui ont fait au moins un doctorat dans les industriels. C’est ce manque de culture qui fait qu’ils s’investissent moins. Ensuite, je tiens à répondre à monsieur d’Aubert, en tout cas pour ne pas trop simplifier le paysage. A chaque fois que l’on fait un rapport sur un domaine, bien entendu, on trouve que ce n’est pas fédéré, il faut fédérer etc. On connaît les résultats. Il faut créer quelque chose. C’est beaucoup plus compliqué la science. On a mentionné tout à l’heure les sciences du vivant. Qu’est-ce que c’est les sciences de la vie ? La vie ça part, ce n’est pas simplement la santé, des origines de la vie, des plantes, de l’ensemble des animaux. Donc, mettre tout ça dans un seul bloc, c’est difficile. Quand on parle santé, on parle médicaments. Médicaments c’est une science tout à fait différente, c’est de la chimie. Donc, va-t-on mettre les chimistes aussi dans un autre organisme ? Quand on parle santé, on parle imagerie. Est-ce qu’on va mettre tous les physiciens qui font du magnétiques et de l’optique dans un nouvel organisme ? Je crois qu’il faut être très prudent et regarder globalement et discuter avec les scientifiques parce qu’on fait c’est très interdisciplinaire et les structures ne résolvent pas les problèmes.

Michel Alberganti : On sait qu’aujourd’hui que certaines disciplines sont réparties sur un grand nombre d’organismes différents.

Arnold Migus : Tout à fait.

Michel Alberganti : Que ce soit le CNRS, le CEA et l’INSRM, par exemple.

Arnold Migus : Exact. Prenons les Anglais, très forts dans le domaine des sciences de la vie. Est-ce que vous croyez qu’ils ont un organisme ? Non, Trois. Ils ont le MRC, ils ont le biology FRC ( ?) qui fait de la biologie, le premier fait du médical et en plus il y a la welcome trust. Donc, trois organismes, il n’y a rien d’extraordinaire parce que chacun voit dans son domaine. Les sciences de la vie ce n’est pas que de la santé. Donc [problème technique 4 minutes 45 secondes]

La place de la France dans la recherche scientifique mondiale

Michel Alberganti : Nous voici de retour après ce petit incident technique qui nous a privé de liaison entre l’auditorium de la Cité des sciences et de l’industrie de la Villette, où nous sommes en direct et en public, et les studios de Paris. Nous sommes de nouveau en direct et nous recevons nos invités de la dernière table-rond qui est consacrée à la place de la France dans la recherche scientifique mondiale. Ça nous permettra de nous interroger sur le rôle que doit jouer l’Europe qui a été citée au cours de ce début d’émission mais peut-être pas d’une façon très, très approfondie. La France a-t-elle raisonnablement une chance de rester au meilleur niveau mondial à l’aide de ses seules forces ? Les programmes européens de recherches qui ont été également abordés sont-ils à la hauteur de l’enjeu ? Ou bien faut-il unir les forces des laboratoires afin de construire des lieux capables de concurrencer certaines fameuses universités, par exemple, américaines comme Harvard ou bien le MIT de Boston et les centres de recherches japonais bientôt d’ailleurs chinois également ? Enfin, une restructuration européenne de la recherche est-elle inévitable dans ce contexte ? Et si c’est oui, sous quelle forme pourrait-elle se traduire ?

Pour ce débat nous accueillons Edouard Brézin qui est ancien président de l’Académie des sciences, Mathias Fink qui est physicien, professeur à l’Ecole physique-chimie de Paris, Pierre Le Hir qui est journaliste au Monde où il est en charge des problèmes de la recherche, Pierre Papon, ancien directeur général du CNRS et PDG de l’Ifremer et enfin Alain Trautmann, ancien porte-parole de « Sauvons la recherche » en particulier au moment où les débats ont été très vifs entre le gouvernement et les chercheurs.

Alors, je vais peut-être commencer par Edouard Brézin. Comment vous voyez cette question de la place de la France par rapport à l’étranger ? Est-ce qu’on peut continuer à tout faire ?

Edouard Brézin : La place de la France dans un certain nombre de disciplines de la science est bonne. Les mathématiques étant l’exemple le plus favorable, le plus singulier. Nous avons une très bonne école mathématique française. Il y a d’autres domaines dans lesquels la place de la France est bonne. L’Europe y a joué un rôle incontestable. Il faut faire attention, l’Europe ce n’est pas toujours Bruxelles. Bien souvent les européens ce sont organisés pour conduire de la recherche en commun du fait de pays, souvent la France et l’Allemagne plus quelques autres partenaires, qui décidaient de grandes actions en commun. Donc, la place de l’Europe est tout à fait centrale. Les programmes cadres que nous avons jusqu’à présent à Bruxelles étaient très souvent des programmes à finalité très technologiques, les chercheurs européens demandaient depuis très longtemps un conseil européen de la recherche qui permet de financer de la recherche sur projets à l’échelle européenne, ceci vient d’être créé, c’est encore modeste mais enfin nous attendons quelques mécanismes européens qui vont améliorer le fonctionnement des programmes cadres. Maintenant, la question que vous posez et celle de l’avenir, réellement. Or, si la recherche française, aujourd’hui, dans un certain nombre de disciplines est bonne si vous me demandez si dans 15 ans, 20 ans, ça sera pareil je serais obligé de vous avouer mon inquiétude. Il y a une inquiétude considérable. Alors, bien sûr comme le disait tout à l’heure Jean-Pierre Chevènement la fuite de cerveaux est peut-être quantitativement faible, elle est qualitativement considérable. Et je la situerais à deux niveaux. La première est celle de chercheurs déjà formés, internationalement reconnus qui ont 35 ans en moyenne qui d’un coup en quittant les frontières de la France multiplient leur salaire par 2, 3, 4 et leurs capacités de recherche d’un facteur important. Et puis il y a une fuite encore plus importante des jeunes gens et jeunes filles doués pour la recherche, doués pour les sciences, que la science intéresse et qui lorsqu’ils s’aperçoivent des carrières qui leur sont proposées décident qu’ou bien ils vont à l’étranger, ou bien ils changent de profession. Donc, nous avons un déficit absolument considérable. Si nous n’y remédions pas d’une façon ou d’une autre je suis pessimiste pour l’avenir. Voilà, ça me paraît être une question tout à fait centrale. Je voudrais quand même dire qu’il y a eu beaucoup de débats sur les moyens que la France consacre à la recherche etc. Au niveau de l’Europe nous sommes le 6ème pays en pourcentage de produit intérieur brut, bien inférieur à l’Europe du Nord. Mais ce rang 6 cache des choses qui en réalité sont très préoccupantes en ce sens que d’une part l’investissement public a diminué en pourcentage du PIB, comme l’avait dit Jean-Pierre Chevènement tout à l’heure, culminant en 1990. Nous sommes maintenant à un niveau inférieur à 1985. J’ai apporté ici les derniers chiffres officiels. Donc, ça c’est une première préoccupation. La deuxième c’est qu’on nous dit souvent que l’investissement public est particulièrement élevé en France. Il est peut-être plus élevé mais il faut regarder ce qu’il contient. Il contient un effort de recherche pour la défense, je ne critique pas que l’on fasse de la recherche pour la défense mais c’est une singularité française qui fait qu’en définitive…

Michel Alberganti : D’autres pays aussi dépensent de l’argent pour la défense, j’imagine ?

Edouard Brézin : Regardez l’Allemagne et comparez l’Allemagne et la France.

Michel Alberganti : Il me semble que l’Angleterre et les États-Unis, …

Edouard Brézin : L’Angleterre c’est probablement comparable, l’Europe du Nord c’est quasiment nul. Donc, quand on fait des comparaisons il faut tenir compte du fait que la recherche pour la défense tient entre 20 à 25% de ce que nous faisons et il y a de plus des singularités françaises, que je ne peux pas passer sous silence, qui est qu’un certain nombre de grands programmes qui n’étaient pas demandé par la communauté scientifique, je vais prendre pour citer comme Académie des sciences ici, je suis physicien mais.., l’Académie des sciences avait explicitement signifié que les vols spatiaux habités n’avaient pas d’intérêt du point de vue scientifique la France a décidé pour des raisons politiques de participer à la station spatiale internationale qui coûte des fortunes. Voilà un exemple, je pourrais en citer d’autres mais je ne veux pas monopoliser la parole, dans lequel finalement il s’explique qu’au niveau des laboratoires et des universités, monsieur d’Aubert a cité fort justement le chiffre consacré à notre enseignement supérieur, nous sommes dans un état qui est tout à fait intolérable et qui ne prépare pas l’avenir. Et si vous redonner la parole je parlerai de notre singularité qui consiste à former de manière différente les ingénieurs et les universitaires qui établit de facto une sorte de hiérarchie qui n’existe pas ailleurs, ils sont formés dans les mêmes établissements, les uns ne regardent pas les autres de haut, et dans ces conditions l’emploi industriel et complètement différent en France la place de la recherche, je crois, Arnold Migus en parlait in fini, que c’est un problème central. Il n’y a pas de cadre issu de la recherche, ou très peu, en France et je crois que ça va peser très lourdement sur notre futur.

Michel Alberganti : On voit réapparaître une forme de particularisme français, dans vos propos. Pierre Papon, comment vous analyser cette situation ? Les perspectives d’avenir pour la France, en matière de recherche ?

Pierre Papon : Moi, je dirais que le rôle international de la France, en matière de recherche, son sort réellement international, il doit dépendre, je dirais, de deux données. D’abord ce que nous faisons, nous pouvons faire à une échelle locale. L’échelle locale c’est une ville, une grande agglomération, une partie de Paris, Grenoble, Strasbourg, Toulouse. Je pense qu’il faudrait et ce n’est pas toujours le cas que ces territoires, appelons les territoires, aient une force d’attraction, d’attractivité internationale. Ce n’est pas toujours le cas même s’il y a d’excellents laboratoires dans les instituts, du CNRS, des universités, d’Écoles d’ingénieurs. Je dirais que la visibilité de notre système est quelquefois très brumeuse, si je puis dire. Je crois que ça a été abordé dans la première table-ronde, la dispersion des institutions en particulier universitaires. Donc, il faut qu’on ait une capacité locale et une force d’attractivité. D’attractivité pourquoi ? Mais non seulement pour qu’en puisse avoir des chercheurs français mais aussi des chercheurs étrangers, des jeunes, des européens, des africains, des américains du Nord c’est probablement difficile et là on ne s’en donne pas les moyens. On ne s’en donne pas les moyens, par exemple, le niveau des bouses que nous donnons à des étudiants, étrangers, pour faire des thèses est quand même très ridicule. Je dirais que là, c’est une faiblesse du système français et je suis d’ailleurs étonné que ceci n’ait pas été abordé lors de la première table-ronde. L’invention, si je puis dire, des pôles de compétitivité vise à pallier cette carence dans une certaine mesure. Et je crois que ça c’est un point important, que localement, régionalement on ait une attractivité des laboratoires de recherche et cette attractivité joue aussi pour les investissements de recherche des entreprises, faire venir des laboratoires étrangers. Par exemple, à Toulouse les scientifiques, les politiques locaux ont réussi récemment à faire venir Essilor qui va créer un laboratoire de recherche. Là, c’est un facteur positif.

Michel Alberganti : Je précise qu’il y a 66 pôles de compétitivité.

Pierre Papon : C’est probablement de trop mais c’est un autre débat puisqu’on parle ici de la place de la France. Deuxième point, je reviens aussi sur les propos de la table-ronde et ceux d’Edouard Brézin, moi je regrette beaucoup que depuis quelques années la France n’ait pas véritablement de stratégie européenne très clairement affichée. S’agissant de l’évolution du programme cadre, Jean-Pierre Chevènement faisait part de la lourdeur, ce qui est vrai, des programmes cadres, néanmoins ils existent. Le point positif c’est la création du conseil européen de la recherche, à Berlin, officiellement il y a quelques semaines. Ça, je pense, ça va changer la donne. Et puis, je dirais et j’arrêterais là, qu’aussi la France n’essaye pas de jouer suffisamment pour donner une dimension recherche européenne à une industrie européenne. Il y a un certain nombre de bons exemples. EADS, malgré ses difficultés actuelles, est en train de créer plusieurs laboratoires de recherche en Europe : Un à Nantes sur les matériaux composites en liaison avec l’université et le CNRS, d’autres projets à Brehm et aux Royaume-Unis. Donc, nous nous ne sommes pas donner les moyens pour une politique de recherche industrielle. Après tout on a créé, personne n’en a parlé, l’Agence industrielle de l’innovation, elle pourrait avoir une dimension européenne, par exemple par des projets franco-allemande ou franco-italien, je pense que là on n’a pas eu de stratégie.

Michel Alberganti : Donc, effectivement le problème de la dimension européenne. À vos côtés, Mathias Fink, physicien, professeur à l’école physique-chimie de Paris et qui, lui, est un peu atypique. Lui, a travaillé dans un domaine qui a donné lieu à la création d’une entreprise, ce qui est souvent considéré comme trop rare en France. Vous avez aussi voyagé pas mal à l’étranger. Vous revenez des États-Unis, qu’elle est votre analyse de tous ces propos, que nous avons tenus jusque-là ?

Mathias Fink : D’abord, je voudrais revenir sur l’exception française. La table–ronde avant a dit qu’il n’y a pas d’exception française, Je vais dire si, il y a une exception française et Edouard Brézin en a parlé. On est le seul pays au monde à avoir à côté d’un système universitaire paupérisé les grandes écoles qui elles sélectionnent les meilleurs. On confie à l’université la recherche alors que dans les grandes écoles, l’état d’esprit des grandes écoles est de faire peu de recherche sauf quelques grandes écoles dont l’une dont je fais partie à l’heure actuelle. Et ça c’est une exception qui est une épine ans les pieds de la France parce qu’on n’est pas capable de recréer des universités de très hautes volées dans la mesure où la sélection est d’abord faite vers les grandes écoles. Ça, c’est une première chose. Heureusement qu’on a le CNRS et l’INSERM qui sont des organismes atypiques par rapport au reste du monde qui nous permettent d’aider l’université à pouvoir développer mieux sa recherche. L’ensemble du système est quand même un peu exceptionnel. On a une deuxième exception c’est que nos grands industriels sur lesquels on compte beaucoup au niveau des hommes politiques, ils pensent plus à la grande industrie qu’à la petite industrie et aux petites PMI, ne sont pas intéressés par l’embauche de thésards. Quand on écoute le directeur de Thalès dire, quand les étudiants ingénieurs lui demandent est-ce que c’est une plus-value de faire une thèse ?, non, si vous êtes ingénieurs, si vous faites une thèse c’est une moins-value pour rentrer chez nous. Ça aussi c’est inquiétant. Et troisième chose qui est exceptionnel dans le système français c’est qu’on n’a pas le « Wellcome Trust », on n’a pas tous les mécènes qui aux États-Unis et en Asie financent énormément la création de nouvelles universités et de nouvelles instituts.

Michel Alberganti : Les fondations privées.

Mathias Fink : Ça n’existe pas. Ce sont des fondations privées. On reste public. Alors, qu’est-ce que ça entraîne ça ? Ça entraîne le fait que bien que, monsieur Chevènement disait qu’on avait que 0,6% de nos jeunes qui partent aux États-Unis, en fait si on regarde ceux qui partent, ce sont parmi les meilleurs et en particulier les jeunes qui sont formés par les grandes écoles et qui sont intéressés par la recherche. Ils ont très rarement envie de faire une carrière en France vu les salaires, je dirais, indécents, par rapport à la concurrence internationale. Donc, qu’est-ce qui se passe ? Ils vont aux États-Unis. Je vais vous raconter juste, parce que je n’ai pas créé une entreprise mais en fait on en a créé trois à partir de notre labo, quelque chose d’intéressant à ce niveau-là..

Michel Alberganti : Très rapidement parce que le temps passe.

Mathias Fink : Oui, rapidement. Par exemple, les chercheurs que j’ai formés il y a une quinzaine qui sont actuellement aux États-Unis. Très peu de chance de les ramener. La seule possibilité que j’ai eu d’en ramener, en fait il y avait 25 au départ, des États-Unis vers la France c’est qu’on a créé une entreprise et cette entreprise en imagerie médicale a ramené 10 chercheurs français qui étaient installés aux États-Unis depuis une dizaine d’années. Donc, c’est possible de ramener ces gens qui sont extrêmement dynamiques mais c’est possible si on paye le prix. Et cette entreprise pouvait payer le prix mais avec le système standard français on ne peut pas le faire. Voilà, je m’arrêterais là.

Michel Alberganti : Merci. Alain Trautmann, malheureusement le temps a filé plus vite que prévu, ce qui arrive souvent dans pareilles circonstances. Comment vous, vous réagissez à ce problème, de la place de la France, de la perspective de la recherche française de se pérenniser, d’exister, de se développer ?

Alain Trautmann : J’aimerais rebondir ce que viens de dire Mathias Fink sur le problème posé par la dualité grandes écoles – universités en l’inscrivant dans la campagne présidentielle parce que ça peut avoir des conséquences très précises. Il y a un problème lié à cette dualité qui est que les doctorants trouvent très difficilement de l’embauche actuellement en France ce qui n’est pas le cas quand on est docteur en Allemagne ou en Angleterre. Et…

Michel Alberganti : Parce qu’on ne trouve pas de débouché dans l’industrie ?

Alain Trautmann : Ils ne trouvent pas de débouché dans l’industrie d’une part et il y a un autre problème qui va avec qui est que, comme la fait remarqué Edouard Brézin tout à l’heure, les cadres issus de la recherche sont beaucoup trop rares en France. Ces deux problèmes n peut agir dessus, on pourrait agir dessus et une des mesures qui d’ailleurs a fait l’objet d’amendement lors de la dernière Loi sur la recherche, cette mesure consiste à dire, le crédit impôt –recherche qui correspond à d’énormes sommes d’argent, des centaines de millions d’euros, pourrait être conditionné, on ne le verserait aux entreprise que dans la mesure où elles embauchent des docteurs ce qui assureraient qu’elles font réellement de la recherche et qu’elles font appel à ce vivier-là. Je rappelle que cet amendement-là a été proposé par quelqu’un de l’UDF, tout le monde était d’accord et c’est l’UMP de monsieur Sarkozy qui l’a refusé. J’aimerais bien entendre cette proposition reprise de façon très explicite par les différents candidats et je serais curieux d’entendre la position de monsieur Sarkozy et la raison pour laquelle ça a été refusé.

Michel Alberganti : Très bien. Pierre le Hir, vous, vous êtes journaliste au Monde où vous suivez la recherche. Comment vous voyez cette situation de la France dont on débat en matière de place à l’international et d’avenir ?

Pierre Le Hir : deux observations, puisque moi mon statut c’est d’être journaliste donc observateur. La première observation c’est que c’est enthousiasmant de voir que sans doute pour la première fois dans une campagne électorale des candidats mettent la recherche en tête de leurs propositions. Ségolène Royale en fait la première de ses 100 propositions pour le pacte présidentiel. Nicolas Sarkozy aussi en parle de façon centrale. Mais quand on regarde un petit peu plus en détail il y a quand même un souci qui est celui de la conception qui est, dans l’un comme dans l’autre d’ailleurs, très utilitariste. Quand Nicolas Sarkozy parle de financer exclusivement des projets faisant la preuve de leur excellence scientifique ce sont nécessairement des projets à court terme. Ségolène Royale développe une vision plus équilibrée mais si on lit ses propositions ce qu’elle met en tête c’est un plan pour l’innovation et la recherche, le mot innovation est central. Effectivement la recherche est créatrice de recherche mais quand on découvre une exo planète c’est 0 brevet, 0 création de recherche. Quand on découvre le squelette d’un ancêtre des Hominidés, ou des Australopithèques, Toumai, c’est 0 brevet, 0 richesse. Quand on crée une nouvelle théorie d’univers multi-dimensions c’est 0 brevet, 0 richesse et pourtant c’est ça qui est le plus exaltant. Donc, côté très positif de la place accordée à la recherche, par les candidats mais interrogation sur la conception. Et j’en profite pour amener un deuxième point. La place de la France, la logique avec laquelle on parle en termes de compétition, de bataille est un peu étrange en termes scientifiques. On pourrait parler de coopération, de partage. Toutefois, la France a certainement des responsabilités particulières vis-à-vis de la recherche dans les pays du Sud qui a été complètement démantelée et la France, les chercheurs français peuvent aussi s’interroger sur ce que signifie la création de connaissance en termes d’inégalités nécessairement crée aussi avec des pays du tiers-monde.

Michel Alberganti : Merci. On est malheureusement obligé de mettre un terme à cette dernière table-ronde. Merci à tous d’y avoir participé et excusez-nous pour la frustration. Nous allons donner juste la parole, très rapidement à nos trois représentants des candidats à l’élection présidentielle, qui sont dans la salle et qui doivent avoir un micro. Est-ce que François d’Aubert commence ? Est-ce qu’il peut avoir une réaction à ces débats auxquels il a assisté ?

Synthèse avec les trois représentants des candidats UMP, PS et UDF

François d’Aubert : C’est très clair. La recherche et l’innovation, priorités des priorités peut-être pour tous les programmes présidentiels mais je pense que celui de Nicolas Sarkozy a plus de crédibilité parce qu’il y a une volonté politique extrêmement forte derrière.

Michel Alberganti : Réactions dans la salle qui n’est pas totalement convaincue.

François d’Aubert : On sera jugé sur quoi ? Sur la faculté, sur le plan politique, d’avoir des crédits supplémentaires pour la recherche et de respecter ce qui a été proposé en matière de crédits. Deuxièmement, de pouvoir faire passer nos idées, les convictions de la France, à Bruxelles, pour avoir un système de recherche qui soit plus soutenu par l’Europe en particulier dans le domaine de la recherche industrielle. Troisièmement, c’est aussi une question politique, celle d’être bien conscients que la recherche c’est d’abord une question d’hommes et de femmes, que la carrière des chercheurs est quelque chose d’essentiel, à replacer dans le cadre de l’attractivité de la France. Si on veut que d’abord les jeunes fassent de la recherche, il faut d’abord que l’on voit aussi sur le plan de l’enseignement supérieur…

Michel Alberganti : On ne va pas reprendre tous les points.

François d’Aubert : ...et l’enseignement secondaire. L’intérêt des études scientifiques qu’il y ait effectivement une revalorisation. Les deux derniers points c’est les liens qu’il y a entre l’industrie et la recherche, entre les entreprises et la recherche doivent être renforcés si l’on veut que la recherche en plus du progrès et de la connaissance soient également utiles pour accélérer l croissance de la France. Le dernier point c’est la réforme de l’université, c’est un point fondamental pour que la recherche en France soit meilleure, plus efficace et aille plus loin.

François d’Aubert : Jean-Pierre Chevènement, même exercice, très, très vite. Même exercice, votre réaction à ces débats ?

Jean-Pierre Chevènement : La priorité à la recherche a été clairement marquée, comme l’a dit monsieur Le Hir, par Ségolène Royale. Je ne crois pas qu’elle ait donnée la priorité à l’innovation aussi clairement que vous l’avez dit, au contraire elle a beaucoup parlé de la recherche publique, de la réforme de l’université, qui est tout à fait centrale. Et il me semble qu’en la matière si on veut comparer les discours des différents candidats valent à partir des actes. Je voudrais dire qu’historiquement la gauche a toujours privilégié la recherche à de rares périodes près tandis que la droite jamais à l’exception de la période 1958-1968, par le général De Gaulle. Deuxième observation, naturellement on peut s’interroger sur le fait de savoir s’il y a un modèle français ou non. C’est clair que les grandes écoles sont une caractéristique du modèle français. Je proposerai que l’on porte leur effectif à 2000 pour en faire de véritables universités de technologie, ça changerait et qu’elles soient d’avantage irriguées par la recherche ce qui n’est le cas.

Michel Alberganti : C’est vous qui proposez ça ou c’est Ségolène Royale ?

Jean-Pierre Chevènement : J’en ai parlé avec elle mais disons que je relaierai à nouveau cette proposition. Laissez-moi vous dire que nous étions quand même pas mal d’étrangers, comme l’avait remarqué monsieur Migus, au CNRS nous avons 15 à 20% de chercheurs étrangers il faudrait comme l’a dit monsieur Papon développer les bourses pour les thésards c’est tout à fait souhaitable. Je vais mettre pour finir l’accent sur l’attractivité. L’attractivité, qui a été soulignée, des métiers de la recherche est insuffisante au niveau des salaires, des carrières des doctorants, post-doctorants et des chercheurs en début de carrière en particulier. 1700 euros par mois, rappelait monsieur Trautmann, je crois, c’est tout à fait insuffisant, c’est clair. Et puis un mot sur l’attractivité des régions françaises. Il faut que nous arrivions à constituer des pôles d’excellence au niveau mondial. Il y a la région Ile-de-France, on n’a pas suffisamment fait pour cela, mais Paris est une ville monde puis d’autres, et d’autres…

Michel Alberganti : Je vais être obligé de vous couper. Je voudrais quand même avoir l’avis de Jean-Dionis du Séjour, pour François Bayrou.

Jean-Dionis du Séjour : Effectivement une priorité pour la recherche. On l’a dit, sociale, budgétaire, fiscale. Mais si on devait avoir un mot de conclusion, c’est un mot que François Bayrou envoi aussi aux chercheurs. Il leur dit en tant que citoyens intéressez-vous au débat sur les finances publiques. On n’est pas en 1982, j’ai envie de dire à monsieur Chevènement. La dette de la France était de 300 milliards d’euros. Aujourd’hui la dette de la France est de 1200 milliards d’euros. Donc, ça ne bougera, et c’est ce que l’on veut, qu’à condition qu’il y ait une double volonté : une volonté pour la politique mais aussi une volonté politique de remettre les finances publiques de la France sur le pied.

Michel Alberganti : Très bien. Merci beaucoup à nos trois représentants des candidats à la présidence de la république d’aujourd’hui, François d’Aubert, Jean-Pierre Chevènement et Jean-Dionis du Séjour pour cette conclusion de l’émission que France culture et la Cité des sciences ont organisée à la Villette, ici, qui nous accueille aujourd’hui. Merci à Henri-Edouard Audier, Edouard Brézin, Thierry Coulhon, Jacqueline Lecourtier, Pierre Le Hir, François Lucas, Arnold Migus, Bertrand Monthubert, Pierre Papon, Alain Trautmann d’avoir participé à ces débats qui j’espère auront permis de faire un tour d’horizon des défis auxquels sera confronté la recherche scientifique française après les élections.

Sur le site de « Sciences publique », sur Franceculture.com, vous pouvez réécouter cette émission pendant un mois et la podcaster pendant une semaine. « Sciences publique », une émission de Michel Alberganti, préparée et mise en ligne par Catherine Donné, a été réalisée par Gilles Davidas avec Patrick Cloun ( ?), Hervé Dubreuil ( ?), Gilles Galinéra ( ?) et Pascale Besse ( ?) à la technique, en direct de la Cité des sciences et de l’industrie de la Villette.



Haut de pageMentions légalesContactRédactionSPIP