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France-Algérie : une tragédie méditerranéenne (3)

Texte intégral de l’émission « La Fabrique de l’Histoire », par Emmanuel Laurentin, du mercredi 25 novembre 2009, consacrée au thème « France-Algérie : une tragédie méditerranéenne ». Voir également cet autre texte intégral de la série « Histoire des étrangers », de « La Fabrique de l’Histoire » diffusée le mercredi 9 janvier 2008.

L’oralité est volontairement respectée dans toutes les transcriptions disponibles sur ce site. Les points d’interrogation entre parenthèse ( ?) indiquent des incertitudes sur les mots. Un grand merci aux Internautes qui me signaleront les imperfections afin que ces transcriptions soient de meilleure qualité pour les lecteurs.

Édito sur le site de l’émission : Les cabarets orientaux à Paris, des années folles aux années raï, un documentaire de Catherine Guilyardi et Charlotte Roux.

Ils s’appelaient El Djazaïr ou le Tam-Tam. Ils étaient au cœur du Quartier Latin et le Tout-Paris s’y pressait. C’était les années des cabarets orientaux dans la capitale française. Des années 30 aux années 80, tous les grands artistes du Maghreb se sont produits dans ces salles de concerts où les touristes et les stars du show biz’ venaient goûter l’exotisme de l’Orient. Les immigrés aussi venaient admirer ceux dont ils achetaient les nombreux disques et regardaient les scopitones, tous produits à Paris, dans les cafés orientaux.

C’est dans l’exil que la musique populaire du Maghreb a explosé, en créativité et en popularité, se nourrissant de l’influence des grands maîtres égyptiens et de l’héritage andalou, perpétué par les musiciens juifs.

« La Fabrique de l’Histoire » rencontre aujourd’hui les derniers grands artistes de cette aventure culturelle, encore largement ignorée en France.

Avec des interviews exclusives, des archives et des chansons des chanteurs et musiciens dont le succès est né à Paris : la jeune Warda, Blond Blond, Line Monty, Kamel Hamadi, Noura, Akli Yahiaten, Joseph Hagège, Soraya Thouraya, etc.

 ce documentaire est réalisé avec l’aide scientifique de l’association Génériques dont l’exposition « Générations - Un siècle d’histoire culturelle des Maghrébins en France » a ouvert à la Cité nationale de l’histoire de l’immigration le 17 novembre –

Introduction par Emmanuel Laurentin : La semaine dernière s’est ouverte à Paris, à la Cité nationale d’histoire de l’immigration de la Porte Dorée, une exposition titrée : « Générations », et sous-titrée « Un siècle d’histoire culturelle des Maghrébins en France ». On y parle des croisements culturels entre Nord-Africains et Français, en particulier de cette musique orientale et des lieux de propagation qu’elle a eu en Métropole. Nous allons donc, en lien avec cette grande exposition et son très beau catalogue publié chez Gallimard, évoquer ce matin dans le documentaire, que nous diffusons d’habitude le mardi mais qu’exceptionnellement cette semaine est diffusé le mercredi, les cabarets orientaux à paris, depuis les années folles jusqu’aux années Raï. Un documentaire de Catherine Guilyardi et de Charlotte Roux. Ces cabarets s’appelaient le Tam Tam ou encore El Djazaïr, ils étaient installés en plein cœur de la capitale, et tous les grands artistes nés et grandis au Maghreb s’y sont produits depuis les années 30, parce que c’est dans l’exil que la musique populaire du Maghreb a explosé, avec la popularité qui l’accompagnait, se nourrissant en particulier des grands maîtres égyptiens mais également de l’héritage andalou perpétué par des musiciens juifs. C’est cette histoire que va raconter aujourd’hui le documentaire de « La Fabrique de l’Histoire », avec des interviews exclusives, des archives et des chansons des chanteurs et musiciens dont le succès est justement né à Paris, par exemple la jeune Warda, Blond Blond, Line Monty, Kamel Hamadi, Joseph Hagège ou encore Thouraya. C’est cette histoire que vous allez pouvoir écouter jusqu’à 10h dans « La Fabrique de l’Histoire », ce matin.

Kinchoufek kalbi yâmel tic tictac
N’habek nâchak fi zinek ya mahlek
Kinchoufek kalbi yâmel tic tictac
N’habek nâchak fi zinek ya mahlek
 
H’belt habeltini
Dokht douakhtini
Fi bhâr hâchek gharabtini
Tica tica tictic tictac
N’habek nâchak fi zinek ya mahlek

(Voix d’homme (1) ?) : Là, c’est Mohamed El Kamel, là il est avec l’orchestre Lamoureux ( ?). C’est le meilleur orchestre de l’époque, parce que c’était un vrai artiste Kamel. Il a fait du cinéma. Là, c’est Tictac, c’est-à-dire que mon cœur fait tictac quand je te vois mon cœur bat plus fort. Il a écrit sur tous les sujets. Quand on a inventé le téléphone, il a écrit sur le téléphone, que Cheihk Noureddine a repris après, « Allo tricité ». Il chantait des chansons de son temps. Il a fait beaucoup de très belles chansons d’époque.

N’habek nâzek kalbi lik châhi
Ya halouet kedek zinek el bahi
S’lebti âkli, rouhi, oufouadi
Khaliti el kalbi âlik inadi
Galbi yâmel
Tic-tac
Fik i amel ah !
Tic atic tic tric tic-tac

« Les cabarets orientaux à Paris des années folles aux années Raï ou les chants de l’exil sur les rives de la Seine »

(Voix d’homme (1) ?) : Si Mohammed Djamel est le premier qui a inventé les chanteurs algériens qui chantent dans les cafés, parce qu’ils étaient là et on leur donne pas de salles de spectacle. Par exemple, si un chanteur maghrébin qui voulait passer à l’Empire ou passer à l’Olympia à l’époque, il n’avait pas la salle. C’est pour ça que Kamel a commencé à faire des cafés-concerts. Les musiciens chantaient dans des cafés, c’est les seuls endroits où ils peuvent chanter. Alors, il a commencé à trouver des cafés et a dit : tiens, on va vous jouer une pièce de théâtre, on va emmener des chanteurs, et ça a marché. Comme ici, en France, il y avait beaucoup de Kabyles - lui n’est pas Kabyle, il est de Blida - il commençait à faire venir des chanteurs kabyles. Il a ramené Slimane Azam. Slimane a dit : non, moi je ne suis pas professionnel. Il lui a dit : C’est un combat, les immigrés s’ennuient, on fait du théâtre dans des cafés. Puis, il a fait venir Farid Ali et ainsi de suite.

N’habek nâchak fi zinek ya mahlek
Tica tica tictic tictac
N’habek nâchak fi zinek ya mahlek
Tica tica tictic tictac

Catherine Guilyardi ( ?) : On l’appelle le jazzman, Mohamed El Kamel. Il intègre tous les styles musicaux qui font vibrer le Paris de l’entre deux guerres, jazz, rumba, tango, bossa nova et les mêle aux mélodies arabo-andalouses et aux musiques des terroirs nord-africains. Les Maghrébins, Algériens en tête, commencent à s’installer en Métropole après le premier conflit mondial et malgré la grande crise de 29 et ce chômage chanté par le Bourvil algérien, Rachid Ksentini, en 1937.

C’est le chômage, c’est le chômage
C’est le chômage hadi hiya âcha, courage

Catherine Guilyardi ( ?) : Tirailleurs de la Première Guerre mondiale, travailleurs embauchés dans les usines ou les mines, les nouvelles élites des colonies : étudiants, commerçants, grands sportifs, les immigrés fréquentent les nouveaux cafés où l’on chante. Le Tout-Paris se rend bientôt dans les cabarets, un peu plus chics, qui ouvrent au cœur du Quartier Latin. Les artistes sont Juifs ou Musulmans, Berbères ou Arabes. À Paris ils trouvent un public ou des maisons de disque qui diffusent leurs chansons. Leur musique populaire, celle de la Casbah d’Alger, le chaabi, ou celle d’Oran, le raï, se modernisent dans l’exil. Les grands maîtres viennent dans la capitale de l’Empire, tel le violoniste Lili El Abassi, un des pères du chaabi, ou Ahmed Wahbi, considéré comme l’inventeur du raï moderne. Il y a aussi Slimane Azem, le fabuliste à la voix d’or, arrivé en 1937 à la demande de Mohamed El Kamel, qui recevra 40 ans plus tard le premier disque d’or arabe d’une maison de production française.

C’est le chômage, c’est le chômage
C’est le chômage hadi hiya âcha, courage

Catherine Guilyardi ( ?) : 1948, chaîne nationale, Pierre Ichac commande à Ahmed Hachlef, le chroniqueur des émissions en arabe, un reportage sur le cabaret El Djazaïr, ouvert pendant la guerre.

« Pierre Ichac : Ce Nord’Africains immigré, s’il partage souvent les conditions extérieures de vie de son voisin métropolitain, il a aussi ses distractions, disons ses distractions nationales que nous ignorons. La plus classique, c’est la longue station dans le café-maure. Hachlef Ahmed : Voulez-vous que je vous y amène ? Nous sommes actuellement dans un café oriental, sur la rive gauche, pas très loin de la place Saint Michel. Ce café, comme son nom l’indique, recrée très bien l’atmosphère de l’El Djazaïr, Alger. Outre les tableaux qu’il y a aux murs, nous avons même un petit jet d’eau qui recrée l’atmosphère des maisons mauresques. Mais je vais m’adresser tout de suite au patron pour lui demander… Patron, vous êtes là depuis longtemps, vous connaissez un petit peu votre milieu. Vous avez des clients de toutes sortes. Vous en avez des gens qui viennent de l’ONU, qui viennent des pays étrangers, même des Français d’une classe sociale assez élevée, de la Métropole. Je voudrais vous demandez si a part cela vous n’auriez pas d’autres clients, parmi les Nord-Africains, qui viennent se retremper un petit peu dans l’atmosphère de chez eux ? Le patron du café oriental : Effectivement, tous les soirs, beaucoup d’étudiants musulmans, de tous les pays du monde arabe, viennent, le soir, écouter un peu de musique et se retremper dans l’ambiance… Hachlef Ahmed : Je crois qu’il n’y a pas simplement des étudiants ? Le patron du café oriental : Si, il y a beaucoup de commerçants, de travailleurs… Hachlef Ahmed : Des industriels, de tout… Le patron du café oriental : Des industriels qui sont de passage à Paris, soit pour leurs affaires, soit pour passer leurs vacances et ils ne manquent pas de venir justement se retremper dans ce milieu nord africain et musulman dans l’ensemble. Hachlef Ahmed : Et je suis sûr qu’ils sont tous, actuellement, tout près de l’orchestre. Le patron du café oriental : Tout près de l’orchestre, tout près. Hachlef Ahmed : C’est surtout la musique qui les attire. Le patron du café oriental : C’est ça, surtout la musique. Hachlef Ahmed : Merci patron. Maintenant je vais m’adresser à un de ses clients, Monsieur Yahiaoui Kadour, qui est là depuis, je ne sais pas combien… Yahiaoui Kadour : 1933. Hachlef Ahmed : Depuis 1933. Yahiaoui Kadour : D’ailleurs, je me plais beaucoup dans la capitale. Hachlef Ahmed : Oui. Yahiaoui Kadour : Néanmoins j’éprouve du plaisir de me tremper dans l’ambiance du pays. C’est pour ça d’ailleurs que je me trouve ici pour écouter l’orchestre oriental en train de déguster le traditionnel thé à la menthe. Hachlef Ahmed : Mais, à part ces clients-là habituels, nous avons parmi nous, le grand boxeur Nord-Africain, Kouidri. Je vais demander à Kouidri de dire quelques mots au micro. Bonjour Kouidri. Kouidri : Bonjour, Monsieur. Hachlef Ahmed : Alors, vous aussi vous venez vous retremper dans l’atmosphère de chez vous ? Kouidri : Naturellement, oui. Hachlef Ahmed : Pourtant vous venez d’arriver, il y a à peine deux heures. Kouidri : Il y a deux heures que je suis arrivé, par avion, et je repars samedi prochain, pour Alger, pour boxer Ritter, le 11. Et je compte boxer le championnat de France avec Walczack, le mois de janvier. Hachlef Ahmed : Et bien tant mieux, j’espère que vous nous rapporterez la victoire. Kouidri : Je vous remercie. Hachlef Ahmed : Merci. »

« Joseph Hagège : Tout le Vème était plein de cabarets. Il y avait La Casbah, El Djazaïr,…

(Voix d’homme (1) ?) : Rue de la Huchette.

Joseph Hagège : Ensuite il y avait les parents de la chanteuse, la petite…

(Voix d’homme (1) ?) : Warda.

Joseph Hagège : Warda. Ses parents tenaient un bouiboui, dans la rue Saint-Séverin. D’abord c’était un bouiboui puis, avec Warda, c’est devenu un cabaret. »

Catherine Guilyardi ( ?) : Joseph Hagège est musicien et compositeur. Il arrive en France juste après la Guerre. À 17 ans, il est embauché par Louisa Tounsia, une célèbre chanteuse juive tunisienne, en tournée dans les cabarets du Quartier Latin. Quand vous arrivez en 1946 à Paris, vous allez directement travailler dans les cabarets. C’était quoi un cabaret oriental ?

Joseph Hagège : Un cabaret oriental, ça commençait le soir à partir de 8h30-9h. Les gens venaient, mangeaient le couscous en même temps ils regardaient le spectacle. C’est-à-dire qu’il y a une danseuse, deux danseuses. Quand elle dansait on lui mettait de l’argent sur le front ou dans la poitrine. C’était pour les musiciens aussi, la chanteuse et les musiciens. Moi, je faisais partie de l’orchestre. Toute la nuit ça n’arrête pas. Quand je rentre à la maison, il fait jour. On jouait pendant qu’ils mangeaient. On s’arrêtait un moment et on reprenait pour aller jusqu’au matin. Quand il y avait une vingtaine de personnes, c’est le maximum, 20-30 personnes. Il y a des Algériens, des Tunisiens, des Marocains, des Égyptiens, des fois, des Syriens, des Libanais. C’était plutôt des gens aisés qui venaient manger le couscous. C’est une spécialité spéciale ! Il venait des touristes, des Anglais, des Américains, des Suédois, des Norvégiens, je ne sais pas, toutes les races qui venaient à Paris venaient par curiosité voir ce que c’est le couscous et la musique qu’on entend. Ils venaient et passaient une soirée chez nous.

Catherine Guilyardi ( ?) : Donc, c’était une curiosité. Et vous cela vous faisait quoi d’être une curiosité ?

Joseph Hagège : Nous cela nous faisait travailler. On travaillait, nous. On gagnait bien notre vie. On a bien gagné.

Shéhérazade : Je vais vous montrer mon costume.

Catherine Guilyardi ( ?) : Oui.

Shéhérazade : Je vais vous montrer tout. Regardez les (manques un mot ?), c’est lourd.

Catherine Guilyardi ( ?) : Dites donc, c’est extrêmement lourd. Oh là-là !

Shéhérazade : Touchez.

Catherine Guilyardi ( ?) : Parce que c’est extrêmement chargé ! C’est effectivement beau.

Shéhérazade : Elles sont vertes, orangées, dorées. J’ai vendu beaucoup. Je n’ai gardé que ça.

Catherine Guilyardi ( ?) : Shéhérazade est embauchée comme danseuse orientale à la fin des années 50. Elle a quitté l’Algérie au bras d’un militaire français, elle n’a pas 20 ans.

Shéhérazade : Ça, c’est le cabaret El Djazaïr pendant la Guerre d’Algérie. J’avais 17 ans. J’étais la vedette. On était 25 danseuses.

Catherine Guilyardi ( ?) : En même temps ?

Shéhérazade : Oui, toutes les demi-heures, il y en a une. Chacune fait un numéro deux fois. J’allais répéter toutes les après-midi, toute seule, pour savoir danser. Comme j’aimais ça, j’apprenais vite parce que j’allais voir les films arabes et j’imitais la grande danseuse Samia Gamel, Égyptienne. Je dansais exactement comme elle. Eh, oui !

Catherine Guilyardi ( ?) : Et les musiciens, ils jouaient la musique qu’ils voulaient et vous vous dansez ce que vous voulez ?

Shéhérazade : Je choisis, moi, la musique. C’est moi qui choisis la musique, que j’arrive, que je peux danser dessus. Je fais répéter et eux ils la jouent. Il y a la derbouka, le petit tam-tam, el qanûn, la flûte, l’ud, le violon, deux ou trois violons, el qanûn 2, la derbouka 2, le petit tam-tam 2, c’était pas mal.

Catherine Guilyardi ( ?) : Est-ce que les gens venaient aussi parce que les filles leur plaisaient ? Est-ce qu’il y avait ça, les Européens qui venaient aussi pour draguer ?

Shéhérazade : Oui, les gens viennent pour les filles orientales. Je ne dis jamais oui. Je trouve toujours une excuse. D’abord, quand je vois que quelqu’un insiste vraiment, je sors par la porte de l’autre côté. Moi, quand j’ai commencé à danser, il me donnait 5 francs français.

Catherine Guilyardi ( ?) : Et petit à petit vous avez gagné plus ?

Shéhérazade : Moi, je devais danser, j’ai accepté.

Kamel Hamadi) : Quand j’ai vu Shéhérazade, c’était un rêve de voir un beau corps comme ça. Comme Farida, comme beaucoup d’autres. C’étaient de belles femmes. On n’acceptait pas n’importe qui dansait, ce n’était pas n’importe qui, c’était des mannequins !

Catherine Guilyardi ( ?) : Kamel Hamdi, chanteur, compositeur et dramaturge fait partie des jeunes artistes qui commencent à percer dans l’Algérie en guerre quand il s’installe à Paris avec sa femme, la chanteuse Noura. Tous les soirs, il se rend dans les cabarets. Dans un décor des milles et une nuits, ils sont nombreux à venir écouter ces grands artistes venus d’Afrique du nord, d’Égypte ou du Liban.

Kamel Hamadi) : Quand je suis venu en 1959, j’habitais rue Dauphine avec ma femme. Presque tous les soirs on allait au cabaret El Djazaïr, au Liban, - il y avait Les nuits du Liban, Le Bagdad à côté - et presque souvent des célébrités. J’ai vu là-bas Jean Marais, Brigitte Bardot, de grands écrivains, de grands auteurs. Ils venaient voir parce que c’était beau quand même à voir. D’abord, El Djazaïr ou le Bagdad, le décor qu’il a fait, un peu en pensant au pays, un peu en pensant aux milles et une nuits. Vous voyez, c’est beaucoup de décors qu’on fait chez nous, des gens aisés qui se permettaient de faire du luxe chez eux, c’était à peu près comme ça. La musique orientale pour les connaisseurs, c’est autre chose, d’autres couleurs. Il y a les quarts de temps, c’est entrecoupé, il y a une façon de jouer qu’on ne joue pas en occident. Quand ils vont là-bas, ils découvrent autre chose. En allant voir Warda chanter, c’est pas Edith Piaf, c’est autre chose. Par exemple, quand je rentre et trouve un artiste que je connaissais que de nom et je le trouve là-bas, comme Ahmed Zahar, Ahmed Wahbi, Mohamed Fouiteh, c’était terrible ! Oui, c’était des stars. C’est comme quand vous allez à l’Olympia et vous voyez Aznavour ou Bécaud, quelqu’un de grand, comme ça.

Catherine Guilyardi ( ?) : Comment cela se fait que vous les connaissiez ? En Algérie vous entendiez parler d’eux ?

Kamel Hamadi) : Oui. C’est de grands musiciens tels que Salah Charki, Mohamed Fouiteh, Ali Sriti, c’est de très grands musiciens qu’on entendait. Par exemple un grand chanteur qui enregistre accompagné par tel, Ali Sriti au luth par exemple - c’était un soliste, le meilleur - et je le vois jouer devant moi, je voudrais un jour jouer comme lui, et c’est ça…

Catherine Guilyardi ( ?) : Kamel Hamadi rencontre aussi dans les cabarets tous ceux qui vont encourager le développement de cette musique de l’exil. Il y a Mohamed Jamoussi, premier professeur de musique arabe au Conservatoire de Paris, qui forme nombre de musiciens tel : Cherif Kheddam, ouvrier le jour artiste la nuit, comme beaucoup d’immigrés de l’époque. Il y a aussi Ahmed Hachlef, le producteur de radio, qui crée le club du disque arabe, dès la fin des années 40. Il est le monsieur catalogue arabe chez Pathé Marconi pendant 30 ans, où il fait signer nombre d’artistes. Il y a aussi Mohamed Iguerbouchen, chef d’orchestre et compositeur de musique arabo-andalouse qui écrit notamment la bande originale de Pépé le Moko, un film tourné à Alger dans les années 30. Iguerbouchen ouvre le cabaret El Djazaïr pendant la Deuxième Guerre mondiale avant d’être écarté, accusé comme d’autres artistes français de collaboration. Les influences de ces artistes Maghrébins sont traditionnelles, comme la nouba arabo-andalouse. Elles sont aussi égyptiennes. Farid El Atrache ou la chanteuse Oum Keltoum influencent de nombreux musiciens. Elles sont américaines depuis que les Alliés ont débarqué en Afrique du Nord en 1942. Souvent autodidacte maîtrisant plusieurs instruments, les artistes nord-africains digèrent toutes ces influences pour en faire une musique originale dans les cabarets parisiens.

Kamel Hamadi) : Cha-cha-cha, le rythme cha-cha-cha, rumba, boléro, c’est la musique d’Abdel Ouaheb, jouée à leur manière de l’époque.

Catherine Guilyardi ( ?) : C’est à peu près quand ça ?

Kamel Hamadi) : C’est la musique de Mohamed Abdelwahab, un grand compositeur égyptien.

Catherine Guilyardi ( ?) : À la mode cha-cha-cha, ça se faisait beaucoup ?

Kamel Hamadi) : Oui, en 59, le cha-cha-cha était à la mode à l’époque. Tous les chateurs chantaient cha-cha-cha. Il a commencé par une introduction de Mohamed Abdelwahab et là, c’est une composition peut-être de Zaki Khrief ou Missoum ( ?).

Catherine Guilyardi ( ?) : C’était de l’oriental à la mode d’autres musiques ?

Kamel Hamadi) : C’est normal, c’est-à-dire que l’âme est orientale mais avec un rythme occidental.

Joseph Hagège : Les musiciens nord-africains s’intéressent à tout et apprennent en même temps et moi, j’étais parmi eux.

Catherine Guilyardi ( ?) : Ça, c’est dans les années 40 que vous jouez du cha-cha-cha, du jazz ?

Joseph Hagège : Comme tout le monde.

Catherine Guilyardi ( ?) : Joseph Hagège écrit aussi pour les artistes judéo-arabes en francarabe. Pour le public des cabarets, il mélange les deux langues. Il y a Maurice El Médioni, Blond Blond, Lili Boniche ou Line Monty. Ils sont très populaires aussi en Algérie où ils tournent jusqu’à l’indépendance en 1962.

« Présentateur ( ?) : Bonsoir Mesdames, bonsoir mesdemoiselles, bonsoir messieurs. Le commandant de bord et son équipage vous souhaitent la bienvenue à bord de cet appareil Le Nomade 606 44 49 en espérant que vous aurez une bonne traversée. Afin d’agrémenter votre traversée, voici venir devant notre micro l’ambassadeur de la chanson franco-orientale, j’ai nommé notre ami Blond Blond. Nous vous rappelons que nous volons à 2800 mètres d’altitude, la température est de 28°. Contrairement aux consignes des compagnies concurrentes, vous pouvez détacher vos cigarettes et allumer vos ceintures. Merci de votre attention. »

Ah les merguez, les merguez
Couscous et la tchakchouka,
Après ça un caoua en dansant la Bossa Nova

Joseph Hagège : Avec Blond Blond, on s’est rencontré à Paris. Lui chantait les ( ? Manque un mot) et moi j’écrivais les chansons, j’avais un stock. Il était content de trouver des chansons toutes prêtes. Quand il disait ça, c’était un vrai…

Hier je rencontre une belle fille
Je lui dis : bonsoir chérie
Elle me fait : pour qui me prenez-vous
Moi, je lui dis : pour un scoubidou
Elle me dit : alors ça change tout
Ah, je lui dis : viens on va boire un coup
Elle me dit : maintenant j’ai faim
Tu sais ce que je mangerais bien ?
Oh, dit, c’est pas du aâsban ça mon ami !

Catherine Guilyardi ( ?) : Dans les cabarets, on chantait aussi des chansons, comme vous dites, on appelle ça du francarabe ou le franco-arabe. Pour quel public on chantait ?

Joseph Hagège : Pour les Français qui viennent et ne comprennent pas l’arabe, ils comprennent quelques mots français.

Catherine Guilyardi ( ?) : Ça plaisait aux gens ?

Joseph Hagège : Oui, ça plaisait bien, c’était à la mode, la chanson franco-arabe.

On m’appelle l’Oriental
Ana ouahed sentimental

Joseph Hagège : « On m’appelle l’Oriental / Ana ouahed sentimental / (manque deux mots) li târfni qualbâ yachâl / Et pourtant je ne fais pas de mal / On m’a surnommé l’Oriental. » Moitié arabe, moitié français. Moi, je peux écrire une chanson et la donner à une chanteuse qui la chantera au cabaret.

Catherine Guilyardi ( ?) : Donc, il y a Line Monty. Vous avez rencontré Line Monty ?

Joseph Hagège : Ah, Line Monty ! Je lui ai donné une chanson qui l’a rendue immortelle. La chanson de maman, « Ya Oumi ». « Ya oumi, ya oumi / esmek daïmen fi foumi / ton nom est toujours dans ma bouche / depuis le jour où mes yeux ont vu la lumière / Ils t’ont vu toi, maman la plus chère / Avec le sourire tu passais des nuits blanches / Quand pour m’endormir / Sur mon front tu te penches / etc., etc. »

Ya oumi, ya oumi
Esmek daïmen fi foumi
Ya oumi, ya oumi
Esmek daïmen fi foumi

Joseph Hagège : Il y en a qui pleurent en douce, d’autres qui ne pleurent pas mais gardent une tristesse à l’intérieur. La vie est ainsi faite !

Mel youm li aniya chafou edounia
Chafouk ya oumi laziz aliya
Dahou maâk, douhou maâk

Catherine Guilyardi ( ?) : Des chanteuses de l’immigration deviennent célèbres en Métropole. Elles vendent leurs disques sur les deux rives de la Méditerranée. Noura devient disque d’or, en 1971. Elles s’appellent Thouraya, Naïma, Saloua et elles chantent l’absence de l’être aimé, l’exil et la nostalgie du pays. Il y a aussi la jeune Warda révélée en 1953, dans le cabaret de son père, le Tam Tam. Devenue Warda El Djazaïria, Warda l’Algérienne. Elle est interviewée, ici, en 1984 à l’occasion d’un grand concert à Paris.

« Warda : C’était à mon père. Cela s’appelait le Tam Tam. Je me rappelle qu’à ce moment-là on l’avait appelé Tam Tam parce que T, c’était Tunisie, Algérie et Maroc. On avait donc essayé de faire le Maghreb dans le nom de ce salon de thé oriental. Au début, nous ouvrions jusqu’à 8h, ensuite ça a eu tellement de succès que c’était 10h, puis ça a été la fermeture à minuit. Seulement, moi, je chantais de temps en temps, quand il y avait des gens qui écoutaient et non pas des touristes. Il fallait quand même que je chante avant 10h parce qu’il fallait que j’aille à l’école le lendemain. Vous vous rendez compte du rythme de vie que j’avais ? Ça m’a pris, vous comprenez ? C’est là-bas que j’ai grandi et c’est là-bas que j’ai appris à aimer le monde arabe, la musique arabe. C’est très drôle parce que c’est à Paris que j’ai appris à aimer mon pays qui est l’Algérie et l’Égypte, la musique et le monde arabe. »

Catherine Guilyardi ( ?) : Les cabarets du Quartier Latin offrent aux artistes maghrébins : vitalité artistique et liberté, surtout pour les femmes danseuses ou chanteuses. C’est pour vivre cette vie de la nuit que l’Algérienne Thouraya arrive en 1953 à Paris.

Thouraya : J’ai quitté l’Algérie pour être une chanteuse, une grande chanteuse. Moi, j’étais à Constantine, vous savez, les Constantinois, ils sont très, très difficiles, ils n’aiment pas que leurs filles chantent. Je chantais en cachette. Un jour mon père l’a su, oh là-là ! C’est la catastrophe et tout ça. À ce moment-là, j’avais une sœur à Tunis. Je suis partie chez ma sœur et après je suis partie à Paris. J’ai travaillé dans le cabaret El Djazaïr. Tous les chanteurs qui sont maintenant connus, des Algériens, des Marocains, des Tunisiens, etc., c’est grâce au cabaret qu’ils se sont fait un nom. Pour nous, c’est une école parce qu’on n’a pas d’école d’artistes. Nous, on est devenu des artistes grâce au cabaret.

Touboul toubal el farh aya n’ghanou
Touboul toubal el farh aya n’ghanou
 
Ala El Djazaïr N’barou oua n’hanou
Ala El Djazaïr N’barou oua n’hanou
 
Touboul toubal el farh

Catherine Guilyardi ( ?) : Qu’est-ce que vous aimiez dans ce monde de la nuit ?

Thouraya : On a pris l’habitude de vivre la nuit, de chanter, de danser, une vie que l’on n’a pas chez nous. C’est ça.

Catherine Guilyardi ( ?) : C’était la liberté ?

Thouraya : La liberté. Après on allait manger, tous les artistes. Quand on finit le travail, on se donnait rendez-vous quelque part. Il y a un resto rue des Écoles, qui s’appelle le Monte-Carlo, tout le monde va là-bas pour manger les spaghettis, etc. Alors, quand on finit le travail, on se voit là-bas pour manger, vers 5h du matin, 6h du matin. C’est un autre monde.

Kamel Hamadi : Même le soir quand vous allez à La Favorite, à Saint Michel, un café qui s’appelle La Favorite, ou au Lutèce en face, ou chez ami Saïd, rue de la Harpe, vous rencontrez tous les musiciens : des Juifs, des Arméniens, des Algériens, mais c’est tous des amis. Ça ne parle que de musique. Vous trouvez Shéhérazade, Thouraya, Leïla Djazaïria, Saloua, tous les amis sont là.

Catherine Guilyardi ( ?) : C’était quelques rues du Quartier Latin ?

Kamel Hamadi : Le même quartier. Moi j’habitais là-bas, j’habitais rue Dauphine. La vie, l’art, étaient là-bas. C’est Hollywood de l’époque. Par exemple, Kadour Cherchali qui était un virtuose du banjo, qui était très aimé en Algérie, qui accompagnait tous les grands, vient à Paris comme touriste et est resté toute sa vie. Il a trouvé ce qu’il cherchait. Il a trouvé des chanteurs qu’il connaissait à Alger avant, tels que : Cheikh El Hasnaoui, Slimane Azam, Ahmed Wahbi. Il s’est trouvé à l’aise. Il travaillait avec eux et est resté là. Il a fait des enfants et est resté là. Ils ont fait presque tous comme ça. Il y a d’autres qui sont repartis mais d’autres non.

Catherine Guilyardi ( ?) : Parce qu’il y avait aussi des producteurs ici, à Paris.

Kamel Hamadi : Oui, avant il n’y avait pas de producteurs de disque chez nous. Toutes les maisons de disque se trouvaient en France, en Europe. Une grande partie des chanteurs surtout viennent ici pour enregistrer. Mais il y a beaucoup de chanteurs qui sont sortis de l’immigration. C’est des gens qui travaillent à l’usine. C’est des gens qui étaient là et qui ont appris à chanter et à faire de la musique ici.

Catherine Guilyardi ( ?) : Parce qu’ils sont allés dans ces cabarets, dans ces cafés ?

Kamel Hamadi : C’est de là, en apprenant. On commence par le café et on finit par le cabaret. Le cabaret, c’est un niveau supérieur, c’est autre chose. Même avant la Guerre de 39-45, il y avait des maisons de disque. Les gens venaient enregistrer ici, de temps en temps les maisons de disque Pathé-Marconi, Philipps, Vogue, Odéon et tout ça, se déplaçaient en Algérie, au Maroc, en Tunisie pour enregistrer des artistes qui étaient là-bas mais leurs sièges se trouvaient à Paris. Moi et ma femme, Noura, on est venu en France, c’est la maison Teppaz qui nous a fait venir, pas tous seuls, il y avait tous les jeunes de l’époque. Comme en France il y avait beaucoup de gens de chez nous qui réclamaient des chansons, comment dire, orientales - on nous appelait les Orientaux, mais on l’était pas, ce n’était pas grave – alors ils nous ont fait appel, en Algérie. Ils ont ramassé tout ce qui était nouveau, tout ce qui n’était pas sous contrat et on est venu enregistrer ici à Paris. Après un extrait d’une musique de chanson, Kamel Hamadi reprend : la chanson, c’est « Rabi a di sahel », « Part, bon voyage ». On l’a faite même sur le scopitone, elle a eu beaucoup de succès, c’est l’histoire de la séparation de tout couple de l’époque. Moi, je suis montagnard, comme la montagne ne nourrit pas ses enfants, on est obligé d’aller chercher ailleurs. On laisse la femme chez les parents et nous on va ailleurs. C’est là que la chanson dit : « Rouh rebi a di sahel el firak yidem ysaâb » / « Bon voyage, la séparation est cruelle mais on ne peut pas faire autrement, je te promets d’être fidèle et de t’attendre. Et lui dit : je serais le travailleur qui apporterait beaucoup de choses à sa famille ». Le sujet de l’époque, c’était el ghorva, c’est comme une maladie, c’est l’exil, c’est la séparation.

Kamel : Avrid anvetou at walidh
Anafrek our dha yahoui
Nora : Anafrek our dha yahoui
 
Kamel : Agli lahough ouroukigh
saniguem oulech amdhadoui
Nora : Oulech, oulech amdhadoui
 
Kamel : Siwa kem iya siîgh
Felem laäkel yaroui (bis)
 
Nora : Rouh rebi a di sahel
Kamel : El firek yidem yasaâb
Nora : win si yanen vato yashel
Kamel : wina ouyazri our ijareb
 
Nora : Oulfek aouin azizen
Am tir ioulef thafsouth
Kamel : Am tir ioulef thafsouth
 
Nora : Ayi dejadh ouliou yahzen
El firak dagmass n’el moth
Kamel : Dagmas n’el moth
 
Nora : Dhel mahna igh dihouzen
Tarha lahna nagh ifouth (bis)
 
Nora : Rouh rebi a di sahel
Kamel : El firek yidem yasaâb
Nora : win si yanen vato yashel
Les deux : wina ouyazri our ijareb
 
Kamel : Selagh issouth di thawlaw
Asouthim bou lahnana
Noura : ah, ah, ah
Ghes ma thvaâdadh a felen
Lamhiba nagh thatarna
Nora : win si yanen vato yashel
 
Kamel : Oualwen miahmelen
Las mah lafrek voulmahna (bis)
 
Nora : Rouh rebi a di sahel
Kamel : El firek yidem yasaâb
Nora : win si yanen vato yashel
Kamel : wina ouyazri our ijareb
 
Nora : El rivhek thaghzem ouliw
Ekimaghd ouahdi oudhnaâ
Kamel : Ekimaghd ouahdi oudhnaâ
Nora : Rouh à thafeth oubalnioui
Yalha esmah gharanegh
Kamel : Yalha esmah gharanegh
Nora : El rivhek thaghzem ouliw
Ekimaghd ouahdi oudhnaâ
Kamel : Oula dhnek halkegh oudhnagh

Kamel Hamadi : À 90%, ils laissent leurs femmes et leurs enfants et ils sont là. Ils habitaient des foyers. Ils étaient 4-5 dans une chambre. Les gens que j’ai connus, que j’ai trouvés ici, ils travaillaient tous. Le matin à 6h il prend sa soupe et va chez Renault travailler. Le samedi et dimanche, il met son petit costume et il est à la recherche d’un petit loisir. Les seuls loisirs qu’il y avait c’étaient des chanteurs de temps en temps dans des cafés. Alors, quand il va là, le chanteur, à 80% les sujets des chansons qu’ils entendent c’est le retour au pays, c’est la beauté du pays, c’est la joie de revoir ses enfants un jour. C’est ça…

« Thagui tarouchth touchent a digh rebi thacha tagarouth nbavek… / had chna taâk ifakarni hadik li tindeb fi n’haâr eldjnaza / Aghi rebi agarouyik ancallah, anwa idyetserdren agadhmor, z’hor, tsour af lakvor/ [Là, désolée, trop de voix superposées sur fond de musique donc, je n’ai pas pu transcrire] »

Catherine Guilyardi ( ?) : C’est ça que je veux. Un sketch de Kamel Hamadi.

Kamel Hamadi : Moi, quand je suis arrivé en 59, j’allais rendre visite à des gens de mon village, de mon pays que je connaissais. Ils habitaient 3-4-5 dans une chambre. Eux, ils sont presque tous de la même région, ils écoutaient à peu près la même chose, ils s’entendaient. Mais des fois, dans des foyers, on vous met dans une pièce avec quelqu’un qui vient d’Oran, l’autre du sud et l’autre de la montagne, ils n’ont pas es mêmes goûts, les mêmes mœurs alors ils se chamaillent de temps en temps sur la langue, la musique, les couples mixtes.

« Tu me gènes, tu vas me gêner… Ala tshassissem la musique des paysans… »

Kamel Hamadi : Un mélange et un jeune qui écoute ce qu’il veut lui.

T’es ok
T’es bath
T’es in
 
T’es ok
T’es bath
T’es in
 
J’ai besoin de tendresse
J’ai tellement de problèmes
Donne-moi ton adresse
Je veux quelqu’un qui m’aime
 
T’as besoin de tendresse
T’as tellement de problèmes
Supporte ta jeunesse
Et viens boire un café crème
 
T’es ok
T’es bath
T’es in
 
T’es ok
T’es bath
T’es in

Catherine Guilyardi ( ?) : La musique est un échappatoire pour ces hommes souvent seuls. À Barbès, une disquaire, Madame Sauviat (orthographe pas sûr), leur vend ses disques. Dans les cafés ils peuvent aussi payer pour voir des scopitones, les ancêtres des clips. Les chansons leurs racontent leur vie et parfois tentent de les dissuader de céder à l’alcoolisme, comme dans cette introduction de Salah Saadoui, dans « El kahoua », le café.

« Khalasni. / Rani Khalstek / Makhalsnich ouala belek, hada chhal wanta takhdem fiya, walyoum aässitek ya ouahed el kadeb. Aämrek makhalest hata frac. Dayem tsamat âla n’as : yakhouya khalali kahoua… »

Catherine Guilyardi ( ?) : Pendant la Guerre d’Algérie, de 1954 à 1962, ces lieux de loisirs ou de débauches, selon les points de vue, restent ouverts mais ils vivent sous tension. Les musiciens, militants nationalistes ou non, sont souvent contrôlés et arrêtés par la police. Une des manifestations les plus durement réprimées par le préfet, Maurice Papon, se tiendra à deux pas des cabarets, sur le boulevard Saint Michel, le 17 octobre 1961. Les musiciens subissent aussi les pressions des groupes nationalistes ennemis, le MNA et e FLN.

« Journal radiophonique du 30 juin 1958, présentateur ( ?) : Eh bien vous savez, 120 000 Nord-Africains vivent à Paris et en banlieue. Cela ne va pas sans poser un certain nombre de problème sociaux qui se compliquent du fait des événements que connaît l’Algérie. L’ensemble de la situation des Nord-Africains à Paris a fait donc l’objet ce soir d’une conférence de presse du préfet de police, Monsieur Maurice Papon. Les conditions d’établissement des Musulmans dans la capitale, leur vie en groupe dans certains arrondissements, comme le 15ème, le racket organisée par les organisations nationalistes MNA et FLN, la peur que font régner ces dernières afin d’essayer de séparer le Musulman de l’administration, font que des mesures de sécurité particulières s’imposent à Paris. Ainsi, ces deux derniers mois, par exemple, ont été marqués par de violentes réactions des Messalistes. Mais l’action des forces de police qui s’oriente bien plus vers une formule qui consiste à prévenir plutôt qu’à guérir a permis dans les six premiers mois de cette année, l’arrestation de 1241 personnes dont 323 responsables de cellules, 182 collecteurs de fonds et 174 tueurs. En tout état de cause, l’action préventive ne peut trouver son efficacité que dans la mesure où elle revêt une forme sociale et humaine. C’est dans ce sens que Monsieur Pelletier, ministre de l’intérieur, a chargé Monsieur Maurice Papon, préfet de police, de lancer des opérations tests dans le quartier de Paris où l’implantation nord-africaine est la plus forte »

Catherine Guilyardi ( ?) : Est-ce que vous avez été témoin -vous dites que tous les soirées vous étiez dans les cabarets ou les cafés à écouter de la musique – de scènes où la police est arrivée, a arrêté des gens dans les cabarets, devant vous ?

Kamel Hamadi : Dans les cabarets, je n’ai pas assisté mais dans les cafés oui, parce que la police ne voulait pas de rassemblement, quand il y a beaucoup de monde, il peut y avoir des gens du FLN. Donc, dès qu’il y a beaucoup de monde, la police s’amène. Puis les chanteurs qui chantaient dans les cafés, ils chantaient des chansons révolutionnaires mais ils mettent toujours un guetteur. Des fois, on voit un facteur, on croit que c’est un policier, on change de chanson.

Catherine Guilyardi ( ?) : Les chanteurs utilisent des allégories pour évoquer la lutte pour l’indépendance. Akli Yahyaten chantait « El Menfi », le prisonnier, qui devient une sorte d’hymne révolutionnaire. Slimane Azem, lui, compare les colons à des sauterelles qui ravageraient un champ. Kamel Hamadi se souvient.

Kamel Hamadi : Slimane Azem avait un petit café et il chantait avec son banjo pour faire plaisir à sa clientèle. Il a été toujours été un chanteur fabuliste et les fables sont mal vues par le gouvernement. Quand il y avait la France, Slimane Azem était mal vue par le gouvernement français parce qu’il chantait des fables. À chaque fable, on lui disait : cela veut dire ça, ça veut dire de Gaulle, ça veut dire ça, etc. Il a eu des problèmes.

Catherine Guilyardi ( ?) : On lui demandait de traduire ses chansons ?

Kamel Hamadi : Oui. Quand il a fait « Efegh aya jrad di tamurt iw », « Sauterelle sort de mon champ », on lui disait c’est à la France que vous demandez de sortir de l’Algérie. C’est une fable mais il a eu des problèmes, on lui a interdit ses disques.

Shéhérazade : Il y a les rafles, tous les soirs presque, le contrôle. Au cabaret, ils demandent les papiers aux gens.

Catherine Guilyardi ( ?) : Dedans, pendant que vous dansiez ?

Shéhérazade : Oui. Oui, oui.

Catherine Guilyardi ( ?) : Donc, Shéhérazade, pendant que vous dansiez, vous voyiez la police se promener, demander les papiers ?

Shéhérazade : Oui. Oui, oui.

Catherine Guilyardi ( ?) : Et vous faisiez quoi, vous ?

Shéhérazade : Eh bien, on s’arrête. On s’arrête et on monte à la loge.

Catherine Guilyardi ( ?) : Vous, vous êtes arrivée pendant la Guerre d’Algérie ?

Shéhérazade : Pendant la Guerre d’Algérie. J’en ai souffert parce qu’ils nous demandaient de l’argent.

Catherine Guilyardi ( ?) : Qui est-ce qui vous demandait de l’argent ?

Shéhérazade : Le FLN. Il fallait donner. On était obligé. Moi, je payais plus que les autres. Après, ils m’ont obligé à aller ramasser de l’argent chez des gens, pour eux.

Catherine Guilyardi ( ?) : Ils étaient durs avec vous ou ils étaient durs avec tout le monde ?

Shéhérazade : Non, parce que moi, ils ont vu mon mari qui venait me chercher. Ils ont vu que mon mari, c’était Français.

Catherine Guilyardi ( ?) : C’était un officier français aussi, Shéhérazade ?

Shéhérazade : Un officier français qui était dans l’armement marine. Voilà, c’est ça.

Catherine Guilyardi ( ?) : Ça a été dur, pour vous, la Guerre d’Algérie dans les cabarets ?

Shéhérazade : Très dur !

Catherine Guilyardi ( ?) : Est-ce qu’ils étaient durs aussi parce que vous étiez une danseuse et qu’ils étaient contre ?

Shéhérazade : On était danseuse, on n’avait pas le droit de boire avec les Français. Si un Français m’invitait, le lendemain, je suis convoquée.

Catherine Guilyardi ( ?) : Donc, cela vous est arrivée d’être convoquée, plusieurs fois, Shéhérazade ?

Shéhérazade : Oui.

Catherine Guilyardi ( ?) : Qu’est-ce qui se passait pendant ces convocations ?

Shéhérazade : Ils me disent : tu as travaillé avec les Français. Il ne faut pas boire. Il ne faut pas sortir avec eux. J’en ai bavé…

Catherine Guilyardi ( ?) : Moi, j’ai entendu dire qu’il y a des gens du FLN d’ailleurs qui voulaient que les cabarets ferment. Ils n’étaient pas d’accord.

Shéhérazade : Ce n’est pas vrai. C’est faux. C’est faux, ce n’est pas vrai parce que le patron payait très cher. Il donnait sa part. Le pire, ils ont défilé, boulevard Saint Michel, et ils m’ont dit que je prends le drapeau, moi la première. Moi, je tremblais. Je tremblais. On nous a arrêté, heureusement qu’il y avait le policier qui me connait au cabaret El Djazaïr, ils m’ont relâchée tout de suite. Oui…

Catherine Guilyardi ( ?) : Parce qu’ils vous connaissaient les policiers ?

Shéhérazade : Oui.

Catherine Guilyardi ( ?) : Ils venaient vous voir ?

Shéhérazade : Oui, ils venaient au cabaret.

Catherine Guilyardi ( ?) : Ils venaient au cabaret en tant que client ou ils venaient surveiller ?

Shéhérazade : Ils venaient surveiller et ils venaient comme clients.

Nidam Abdi : Nous, enfants de…, - moi je suis né en 59 - on nous a toujours dit, au début on apprend l’histoire nous disant que le FLN avait interdit aux artistes de se produire, dans les cabarets et tout ça, pendant cette période. Tous les artistes, principalement algériens ont tous dit qu’ils n’avaient pas chanté pendant cette période, puis petit à petit, plus le temps passe plus on apprend que quand même les artistes se produisaient pendant cette période, entre 54 et 62, même à Paris, qu’il n’avait pas uniquement entre l’administration française et le FLN, mais entre le FLN et un autre mouvement nationaliste, le MNA, des problèmes, ce qui fait que les artistes se trouvaient pris entre les deux par rapport à la dime qu’il fallait donner pour aider… Voila, il y avait tous ces problèmes là.

Catherine Guilyardi ( ?) : Nidam Abdi est d’origine algérienne. Critique musical à Libération au début des années 80, il est témoin de la disparition des cabarets orientaux du Quartier latin.

Nidam Abdi : Ce qui s’est passé, c’est que pendant la Guerre, après les indépendances il y a une élite maghrébine qui vivait en France qui est rentrée notamment au Maroc, en Algérie, en Tunisie, ce qui fait que les cabarets ont perdu cette clientèle, qui a été remplacée par des commerçants, ou des commerçants vivants en France ou des commerçants des pays d’origine qui venaient. Ce qui fait qu’à un moment donné, on sentait que le cabaret devenait un lieu pas très fréquentable pour tout ce qui est la communauté maghrébine. L’immigration étant majoritairement, dans les années 70 encore début 80, d’origine populaire, ouvrière, à l’époque on parlait plus des cafés, notamment dans les quartiers autour de Barbès-Rochechouart jusqu’à Stalingrad, que des cabarets qui étaient dans le Vème arrondissement. C’est comme l’université de la Sorbonne, en mai 68 on a dit : on met en dehors de Paris les universités, c’est ce qui s’est passé. Eh bien le Quartier Latin a perdu petit à petit ses cabarets orientaux. El Djazaïr, c’était le seul lieu qui était resté jusqu’aux années fin 70, début 80 encore, moi j’ai été début 80, puis après il a fermé. Il y a d’autres lieux qui se sont ouverts. La pratique musicale est devenue, dans les cabarets, très orientale, beaucoup de gens du Golfe venaient, devenant une clientèle qui attiraient le commerçant qui voulait ouvrir un lieu, les cabarets se sont déplacés dans les quartiers entre le 8ème, les Champs-Élysées, etc., pour cette clientèle du Golfe ou d’origine moyen-orientale, libanaise, etc.

Catherine Guilyardi ( ?) : Les nouveaux cabarets orientaux de la région parisienne portent un deuxième mouvement de modernisation de la musique nord-africaine. Après le chaâbi, le rai. Né à Oran, le raï modernisé connaît un succès fulgurant à Paris, avec les concerts et puis l’exil définitif des jeunes chanteurs, comme Khaled ou Mami.

Nidam Abdi : Vers 82-83, il y a eu un mouvement de modernisation de la musique maghrébine, le raï, qui fait que ces lieux-là, ont capté…

Joseph Hagège : La clientèle.

Catherine Guilyardi ( ?) : Est-ce que, Joseph Hagège, il y avait du Raï déjà, quand vous étiez au Cabaret ? C’était un style musical qui commençait à émerger ?

Joseph Hagège : Il y avait du raï.

Nidam Abdi : Vous avez connu Ahmed Wahbi, qui est le père du chanteur mondialement connu, Khaled, au sens musical.

Joseph Hagège : Oui, on était copain.

Nidam Abdi : Ahmed Wahbi, c’est la première forme de modernisation de la musique oranaise.

Joseph Hagège : Oui.

Nidam Abdi : On disait à l’époque âsri, qui veut dire, en arabe, moderne. C’est une musique qui est influencée par la musique espagnole, un peu, mais surtout la musique égyptienne d’Oum Kalthoum, Farid El Atrache. Et surtout, pour Ahmed Wahbi, c’est ce qu’il m’a raconté, c’est qu’un jour il chantait la chanson égyptienne, toujours, même à Paris quand il vous fréquentait, il m’a dit : en 47, il était à Lille, tout seul dans une rue, il passe devant un café, il y avait un vieux chanteurs bédouin, raï traditionnel, il a entendu ça, et il m’a dit que c’est là qu’il a pensé qu’il pouvait lui, jeune, intégrer la modernité égyptienne avec le genre bédouin rural oranais, qui a donné le âsri, puis aujourd’hui le raï. Il faut rappeler que Mami, Khaled et tous les chanteurs de raï quand ils ont commencé à venir chanter en France, ils ne sont pas allés dans les cafés, certains mais très peu, dans le quartier de Barbès, Stalingrad où il y avait des ouvriers qui allaient écouter de la musique maghrébine, mais ils sont allés vers les cabarets orientaux parce que c’était une sorte de révolution pour consommer. Ce n’est pas politique le raï au départ. Son côté politique, c’est uniquement par rapport à un pays comme l’Algérie étouffant politiquement, il fallait demander plus de liberté. Les chanteurs comme Khaled, Mami, et tout ça, sont allés dans les cabarets orientaux. On voit à partir de là, ces cabarets orientaux commençaient à changer, un peu à devenir moins une sorte, comment dire, on peut dire le mot, je ne sais pas si à France Culture on peut le prononcer, ringards, c’est-à-dire le serveur avec le nœud papillon et tout ça. C’est devenu de moins en moins ça pour capter bien sûr les enfants de l’immigration qui ont commencé à être là dans la clientèle de ces cabarets-là et qui petit à petit se sont déplacés en banlieue.Et là, maintenant, cela dure encore, ce n’est plus des cabarets, c’est des discothèques où viennent chanter les chanteurs de raï, où l’on écoute la musique moderne libanaise et égyptienne, parce qu’il y a un mouvement comme le raï en Égypte et au Liban à partir des années 85, une sorte de pop-music, ce que l’on appelle la djin musique en Égypte, la musique moderne marocaine, une sorte de rock musical oriental, qui a pris la place de ces lieux. Aujourd’hui pour sortir, pour écouter la musique en cabaret on va plus en banlieue, entouré de jeunes Beurettes, de Beurs, ça a complètement changé de nature.

[Un extrait d’une chanson de Khaled]
Catherine Guilyardi ( ?) : « Les cabarets orientaux à Paris des années folles aux années Raï ou les chants de l’exil sur les rives de la Seine », avec Kamel Hamadi, Joseph Hagège, Thouraya, Shéhérazade et Nidam Abdi.Un grand merci à eux et à Naïma Yahi et l’Association Générique. À la sonothèque de RFI et à Mohamed Amiche ( ?) pour leur archives, à Toufik Ben Aïchouch et à Abdelhadi El Arbi, pour leur traduction et leurs conseils avisés. Archives Ina, Marie Jaros et Aurélie Marsset. Prise de son Frédéric Héroux et Raymond Albouy. Mixage, Philippe Thibaut. Un documentaire de Catherine Guilyardi et Charlotte Roux.

Catherine Guilyardi ( ?) : Si vous voulez réécouter ce très beau documentaire, il est disponible pendant un mois sur notre site. Vous pouvez le télécharger pendant une semaine, comme toutes les émissions de la « La Fabrique de l’Histoire », sur le site de franceculture.com. Vous y trouver d’ailleurs également, un dossier France-Algérie, préparé par Antoine Lachand, évoquant ces émissions mais également celle de Tewfik Hakem, cette-après-midi, autour de la personnalité de Camus. Puis, les émissions des « Pieds sur terre », qui traitent du retour en Algérie de Pieds-noirs.

Allez voir également l’exposition organisée par l’Association générique, à la Cité nationale de l’histoire de l’immigration. Et si vous ne pouvez pas le faire, procurez-vous dès demain, en librairie, le formidable catalogue, titré, « Génération, un siècle d’histoire culturelle des Maghrébins de France », publié chez Gallimard.

Allez également sur le site les amis de « La Fabrique de l’Histoire », Facebook, vous pourrez discuter avec nous.

Puis, vous pouvez également aller sur le site fabriquedesens.com qui transcrit, grâce au travail de Taos Aït Si Slimane, certaines de nos émissions, la dernière transcrite est celle sur l’histoire des Gaulois : Astérix / Histoire des Gaulois (4) / La Fabrique de l’Histoire ; Histoire des Gaulois (3) / La Fabrique de l’Histoire ; Histoire des Gaulois (2) / La Fabrique de l’Histoire ; Histoire des Gaulois (1) / La Fabrique de l’Histoire

Merci à Tous. Vous pouvez également nous écrire à : Fabrique@radiofrance.com.


Livres, sites et rendez-vous signalés sur le site de l’émission

 Mehenna Mahfoufi, « Chants kabyles de la guerre d’indépendance : Algérie, 1954-1962 », Ed. Séguier, 20 octobre 2002.

Présentation de l’éditeur : Ce livre met au jour les chants de résistance diffusés dans les milieux populaires pendant la guerre d’Algérie : chansons d’auteurs connus, chants anonymes de femmes des villages, chants de prisonniers et de moudjahidin (« combattants »).

Les chants, donnés avec paroles kabyles, traduction française et partitions, font partie d’une mémoire qui véhicule la justification des sacrifices consentis et rend compte des doutes et des espoirs vécus. Ce recueil de documents de tradition orale inédits s’adresse tout d’abord au grand public que ce passé révolu interpelle. Également les spécialistes de plusieurs domaines (musicologie, ethnologie, histoire, linguistique, littérature orale, anthropologie culturelle), pour le discours idéologique exprimé sur la guerre par les différents camps qui se combattent : militaires, harkis, MNA, FLN.

Chez les Kabyles, les chants de résistance sont utilisés face à toute oppression, qu’elle soit française pendant la colonisation ou algérienne relativement au déni identitaire berbère à partir des années 1970. Ils font le récit des souffrances et des malheurs de la guerre : combats, tortures, « corvées de bois », actions psychologiques de la SAS et du 5e bureau...

Dans les villes, les artistes composent des chansons de riposte à la propagande (Paix des braves). Ils se produisent à travers la France dans les cafés-hôtels des émigrés et les cabarets orientaux ouverts à Paris El-Djazaïr, Les nuits du Liban, Le Tam-Tam... Bien que la musique de réjouissance soit peu tolérée par le FLN, les musiciens d’Afrique du Nord (Musulmans et Juifs) installés en France investissent les studios de Radio-Paris et ceux de firmes commerciales - Decca, Pathé Marconi, Barclay, Philips, Teppaz, Vogue... Malgré la censure du Centre Kléber, tenu secret par les services (1958/1962) et qui diffuse des émissions de propagande sur Radio Paris, les musiciens nord-africains contribuent à la diffusion de la musique algérienne de veine patriotique.

Enfin ce livre apporte des éclairages nouveaux sur l’œuvre chantée de Slimane Azem, figure emblématique de la chanson engagée kabyle.

 Mehenna Mahfoufi, « Cheikh El-Hasnaoui : chanteur algérien moraliste et libertaire », Ed. Ibis press, 8 janvier 2009.

Présentation de l’éditeur : Dans les années 1930, Cheikh El-Hasnaoui débute une carrière de chanteur qui le conduira en France où il souhaitait enregistrer. En 1936, il quitte définitivement l’Algérie et s’installe à Paris où son premier disque paraît en 1949. Pendant la Guerre d’Algérie, par solidarité avec les combattants du FLN-ALN, il s’abstiendra de se produire en public.

En 1971, âgé de 61 ans, il arrêtera définitivement la chanson et s’installera à Nice, son catalogue comptant alors soixante-quatorze titres chantés en kabyle et en arabe algérien. En 1989, se coupant totalement des siens, il se retire à Saint Pierre de la Réunion où il mourra en juillet 2002.

En juillet 1999, Mehenna Mahfoufi, ethnomusicologue, apprend que le vieux maître habitait l’Ile de la Réunion. Quelques mois plus tard, faisant suite à une rumeur, une radio annonce sa mort. Le chercheur se rend à la Réunion, en ramène des images vidéo et dénonce, à la télévision algérienne, la rumeur infondée.

Mehenna Mahfoufi fera trois voyages pour rencontrer le chanteur, et un quatrième pour être présent à ses funérailles.

Ce livre est un témoignage écrit avec respect. Il raconte, de façon détaillée, la chronologie complète des retrouvailles. Au détour d’une discussion, Cheikh El-Hasnaoui dévoile un pan méconnu de sa vie, ignoré même de sa famille adoptive restée en Algérie. Des photos inédites, confiées par son épouse, et un CD musical contenant un enregistrement fait à l’occasion d’une soirée privée (1965), accompagnent ce récit émouvant.

CD à écouté : « Hna Lghorba, nous sommes l’exil - 1937-1970 : maîtres de la chanson maghrébine en France », Ed. EMI, novembre 2008.

De la jeune Warda, Blond Blond, Salim Halali, Line Monty jusqu’à Cheikh Zaïmi, Akli Yahiaten, Kamel Hamadi, en passant par Ahmed Jabrane et Slimane Azem, ce coffret retrace la formidable épopée des chanteurs maghrébins en France et se situe dans la dynamique des l’exposition de Génériques Un siècle d’Histoire culturelle des Maghrébins en France, présentée à la Cité nationale de l’histoire de l’immigration (CNHI) à partir de mai 2009 (pour en savoir plus).

Un livret de huit pages racontant l’histoire de ces artistes qui ont marqué la scène culturelle maghrébine et française accompagne également ce coffret collector. Vous y trouverez des images des pochettes d’album d’époque ainsi qu’un texte de Naïma Yahi, chargée de recherche à Génériques, et Driss El Yazami, délégué général de Génériques, présentant la formidable et riche discographie des musiques maghrébines en France. Y est également développé le thème d’El ghorba (l’exil), cher à ces artistes, ancrés dans les cultures des deux rives de la Méditerranée.

Liens à parcourir

 Association Génériques : Association et organisme de recherche et de création culturelle sur l’histoire et la mémoire de l’immigration en France, Génériques travaille à l’inventaire et à la valorisation des archives publiques et privées sur l’histoire des étrangers en France de 1800 à nos jours, organise des manifestations, participe à la production de documentaires et d’émissions et édite de nombreux ouvrages scientifiques ou à destination du grand public sur l’histoire de l’immigration.

Sur le site, actualité éditoriale et évènementielle liée à l’histoire de l’immigration, présentation et sommaires de la revue Migrance, interrogation de bases de données et inventaires en ligne, études et rapports sur l’immigration, liens.

France / Algérie, retours… sur franceculture.com : Livres, émissions... Mais surtout une série de diaporamas, pour compléter l’écoute, dans ce dossier de franceculture.com sur le passé commun France / Algérie.

 Rendez-vous : Ile de France / Expositions : « Générations, un siècle d’histoire culturelle des Maghrébins en France », du mardi 17 novembre 2009 au dimanche 18 avril 2010.

Extrait du dossier de presse : Mobilisant les avancées les plus récentes de la recherche et des dizaines de fonds d’archives inédites, cette exposition raconte une histoire méconnue : celle du long et complexe processus d’enracinement des Maghrébins en France. Utilisant notamment les partitions et textes des chanteurs de l’immigration, qui se comptent au final par centaines, mais aussi les matériaux qu’offre la littérature, le cinéma, les arts plastiques ou l’histoire sociale, l’exposition restitue au plus près la vie sociale, politique et culturelle de communautés de plus en plus dynamiques avec quatre partis pris :

 embrasser l’histoire sur le long cours, en partant des pionniers de la moitié du XIXe siècle aux mutations radicales de ces dernières décennies.

 raconter cette histoire du point de vue des populations dont on parle, sans négliger leur environnement, d’où le choix de privilégier dans la scénographie les supports culturels, témoins premiers du long processus d’enracinement et de ses épreuves – les deux conflits mondiaux, la colonisation puis les guerres d’indépendance, la sédentarisation inéluctable et toujours en question, etc.

 raconter ce siècle à partir des itinéraires de personnalités et de personnages, maghrébins ou français, qui en ont été les acteurs encore trop souvent méconnus : de l’Emir Abdelkader, fêté par Napoléon III et le Grand Orient, aux marcheurs de 1983, du Kabyle Ahmed Ben Amar El Gaïd, fondateur du Cirque Amar, aux vedettes d’aujourd’hui.

 passer enfin de la mémoire à l’histoire, sans négliger ni les conflits ni les rencontres et les métissages et en prenant en compte toutes les facettes, des orchestres judéo-musulmans, encore actifs au début des années 1970, aux dynamiques et interrogations d’aujourd’hui.



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