Fabrique de sens
 
Accueil > Oreille attentive > Transcriptions d’émissions de France Culture > Histoire de l’édition (2) / La Fabrique de l’Histoire

Histoire de l’édition (2) / La Fabrique de l’Histoire

Transcription par Taos Aït Si Slimane, de l’émission de France Culture, La Fabrique de l’Histoire, par Emmanuel Laurentin, du mardi 2 janvier 2007, « Histoire de l’édition », une émission de Séverine Liatard, réalisée par Nathalie Triandafyllides.

Résumé de l’émission sur le site de France Culture : Juillet 1981, Jack Lang présente le projet de loi en faveur du prix unique du livre.

L’Etat socialiste impose par la voix de son ministre de la Culture, Jack Lang, le système du prix unique du livre par une loi votée durant l’été 1981. Elle entre en application en janvier 1982. A l’origine du projet, c’est l’éditeur Jérôme Lindon, qui alerte ses collègues éditeurs ou libraires puis les politiques et plus particulièrement le parti socialiste. En février 1979, l’arrêté Monory établit la liberté du prix du livre dans un contexte qui voit l’émergence des grandes surfaces et l’arrivée des Fnac dans les grandes villes de France. En 1977, Jérôme Lindon fonde une association avec certains libraires, l’Association du prix unique (APU), et tente de convaincre le syndicat des libraires ainsi que le syndicat des éditeurs du bien fondé de cette mesure qui au premier abord peut paraître impopulaire puisque les grandes surfaces proposent des livres à des prix défiant toute concurrence et que la Fnac se déclare en faveur du « livre pour tous » en pratiquant des rabais de 20 à 30% sur tous les livres et pas seulement les bestsellers ou les livres pratiques. Le parti socialiste et son secrétariat à l’action culturelle dirigé par Dominique Taddéï et Bernard Pingaud en viennent à soutenir l’option de Jérôme Lindon et à convaincre François Mitterrand d’inscrire une loi dans ces 110 propositions. Le livre n’est pas un produit comme les autres et tout un chacun, sur tout le territoire doit pouvoir accéder au livre au même prix. La survie des libraires en dépend et cette loi doit constituer une étape dans une politique du livre plus ambitieuse.

Le discours de Jack Lang prononcé à l’Assemblée nationale le 30 juillet 1981 est ici diffusé, étayé par les témoignages de Simone Mussard, responsable des librairies Fnac ; Christian Bourgois, éditeur ; Bernard Pingaud, écrivain et membre du SNAC au PS ; et Raymond Peju libraire à Lyon.

Texte initialement publié sur le blog Tinhinane, le lundi 6 août 2007 à 22 h 32.

Il est bien probable que les transcriptions mises à votre disposition dans la rubrique « Oreille attentive » soient imparfaites, je fais de mon mieux, compte sur vous pour les améliorer dans l’intérêt de tous les lecteurs et vous remercie par avances pour toutes vos remarques et/ou suggestions : tinhinane[@]gmail.com

Un grand merci à Gérard L. qui me fait part des diverses lacunes qu’il repère.

Introduction par Emmanuel Laurentin : Toute la semaine, dans La Fabrique de l’Histoire, nous évoquons l’histoire de l’édition, à l’occasion de la seconde rentrée littéraire, celle du mois de janvier, qui voit arriver sur les tables des libraires quasiment autant de livres que lors de la rentrée de septembre et d’octobre au moment des Prix. Et nous traitons également de l’histoire de l’édition à l’occasion du 25ème anniversaire, un peu plus, de la loi sur le prix unique du livre. Demain, nous évoquerons Lyon, comme capitale de l’imprimerie, avec une promenade dans le Lyon du XVIe, XVIIe et XVIIIe siècle, avec l’évocation de l’importance de cette plaque tournante pour le milieu de l’imprimerie et pour le milieu de l’édition humaniste, en particulier. Jeudi, un débat historiographique verra se retrouver, autour de ce thème, Jean-Yves Mollier, Élisabeth Parinet, Gisèle Sapiro et Jean-Dominique Mellot. Hier, l’éditrice, Joëlle Losfeld, évoquait ses souvenirs personnels mais également les souvenirs de son père, éditeur au Terrain Vague, éditeur à grandes périodes, des années 50, 60 et 70. Aujourd’hui, nous allons évoquer le discours de Jack Lang, qui présentait son projet de loi à l’Assemblée nationale, le 30 juillet 1981. Un projet de loi en faveur du prix unique du livre. Nous allons revenir à ce discours avec les témoignages de Simone Mussard, Christian Bourgois, Bernard Pingaud et de Raymond Péju. Une émission présentée par Séverine Liatard et réalisée par Nathalie Triandafyllidès.

Extrait d’archive : La loi Lang, un prix unique pour le livre. « Eh bien, je vais donner la parole à Monsieur le ministre de la culture, qui l’a demandée. Jack Lang : Madame le président, Mesdames et Messieurs les députés, permettez-moi d’abord, avant d’aborder la question pour laquelle je viens cette après-midi devant vous, de vous dire toute l’émotion que je ressens à venir, pour la première fois de ma vie, prendre la parole devant votre assemblée, l’Assemblée élue au suffrage universel direct. Hier, l’autre assemblée, le Sénat, a bien voulu m’entendre et participer avec le gouvernement, à l’élaboration solide, attentive et sérieuse de la loi. Mais aujourd’hui, le baptême du feu, c’est devant vous, devant vous élus directement par les électeurs, que le gouvernement présente, que je présente au nom du gouvernement, ce projet de loi.

Christian Bourgois, éditeur : J’ai assisté à la plupart des séances, à l’Assemblée nationale, dans cette deuxième quinzaine de juillet 81. Et ce discours c’était l’aboutissement de discussions, conversations, négociations, quand même aussi, qu’un certain nombre d’éditeurs, - j’étais un des représentants du syndicat national de l’édition - nous avions mené, avec Jack Lang, la direction du livre et d’autres ministres qui étaient concernés – entre nous plutôt réticents. Donc, on a eu ces conversations, dans le courant du mois de juin, avec Jack Lang, et je garde le souvenir heureux qu’une étape extrêmement importante était franchie, par Lang, ce jour-là.

Emmanuel Laurentin : Le 30 juillet 1981, le nouveau ministre de la culture, Jack Lang, présente devant l’Assemblée nationale, un projet de loi établissant pour la vente des livres, le principe d’un prix unique fixé par l’éditeur. L’acteur qui se saisit du problème et mobilise à la fois les politiques et les professionnels du livre, depuis les années 1970, est sans conteste, l’éditeur, Jérôme Lindon. Alors que la venue des grandes surfaces et du discount bouleversent le secteur du livre, il croit en la nécessité d’une intervention de l’État sur la régulation des prix, en soutenant l’idée que le livre n’est pas un produit comme les autres. Le parti socialiste soutient le projet. Et, aux termes de plusieurs années de combat, qui divise notamment libraires et éditeurs, la loi rentre en vigueur, le 1er janvier 1982. Cette loi, malgré la résolution de certains opposants au prix unique, ne sera jamais remise en question, voire demeure un modèle à suivre.

Jack Lang : Un mot encore, pour dire que, je comprends l’irritation, de beaucoup d’entre vous, face à la précipitation, à la hâte avec lesquelles parfois le gouvernement vous soumet des projets, au demeurant sérieusement étudiés et solidement étayés, mais vous le savez, une volonté populaire s’est exprimée, et s’est exprimée par deux fois au moins, la volonté d’un profond changement a été manifestée, l’opinion publique ne comprendrait pas que les premiers actes du nouveau président de la république, du nouveau gouvernement et de la nouvelle Assemblée ne soient pas marqués par des initiatives et des réalisations qui témoignent dès maintenant de cette volonté de changement et de transformation. Précipitation ne veut pas dire improvisation et bricolage.

Christian Bourgois : Moi, à l’époque, à la fin de l’été, j’ai parlé avec Pierre Joxe, un ami personnel, qui était, comme vous le savez, président du groupe socialiste, majoritaire à l’Assemblée nationale. Il était contre le prix unique du livre, réunissait des députés socialistes qui étaient contre le prix unique du livre, qui étaient en grande partie des professeurs qui avaient au moins 10% de remise comme professeur, ce qu’on leur avait supprimé, et dont la plupart étaient des clients des Fnac de l’époque, moins nombreuses que maintenant, où il avait 20%, comme tout le monde. Et je me souviens bien, en me disant c’est complètement surréaliste parce que tous ces députés arrivent pour changer la France, pour révolutionner la France sur le système économique et on leur fait discuter du prix unique du livre pendant tout le mois de juillet. Le mois de juillet a été entièrement consacré à la discussion, au vote du prix unique du livre, qui, il faut le rappeler, c’est Lang, c’est sa loi, d’ailleurs on l’appelle la loi Lang, mais en réalité la loi sur le prix unique du livre, il n’y a eu aucun opposant. Les chiraquiens ont voté pour, car il y a un homme qui a joué un rôle très important auprès de Jacques Chirac qui était Pierre Emmanuel et l’UDF, ils ne pouvaient quand même pas voter le prix unique du livre étant donné les positions qu’avait prises au préalable le ministre des finances, Monsieur Monory et le premier ministre, mais ils se sont abstenus. Donc, il y a eu là, on ne s’est peut-être pas rendu compte de l’importance symbolique et politique qu’avait quand même ce grand vote culturel, à ce moment-là.

Jack Lang : J’entends, à l’instant, que beaucoup d’entre vous viennent de suggérer que l’Assemblée poursuive ses travaux, au-delà du 1er août, c’est un acte, lui aussi, sans précédent. Je n’ai pas, comme vous, la connaissance de l’histoire parlementaire, mais si ma mémoire est bonne, et l’un d’entre vous, tout à l’heure, me le rappelait, ce fut seulement en 1936 que l’Assemblée, la chambre des députés de l’époque, avait travaillé tout au long de l’été. Je crois que ce raccourci de l’histoire n’est pas sans symboles. De même que la présentation, devant vous, d’un projet de loi portant sur le prix du livre n’est pas sans symboles. La volonté du gouvernement, est de vous proposer, aujourd’hui, et très bientôt à travers la loi de finances, et à travers d’autres textes, une nouvelle politique culturelle pour le pays.

Christian Bourgois, éditeur : Paisse ( ?)¸ était le député-maire de Valence. En février 1981, il avait organisé une rencontre à Valence des responsables culturels des municipalités socialistes de France. Il y avait beaucoup de monde, j’y suis allé par curiosité. J’ai retrouvé, à Valence, Bernard Pingaud, Jérôme Lindon, et c’est à ce moment-là que ça s’est noué parce qu’il y avait une majorité des éditeurs qui étaient contre le prix unique du livre. Il ne faut pas l’oublier. On a trop tendance maintenant à décrire une période idyllique où tout le monde aurait été d’accord. Ce n’était pas vrai du tout. Le monde des lettres était extrêmement divisé et il y avait un héros, dans tous les sens du mot, non pas isolé mais quand même assez solitaire qui était Jérôme Lindon. Moi, comme Bernard Pingaud, on écoutait un peu les différentes parties. J’étais pour le prix unique du livre, mais je l’étais d’une manière moins affirmée que Jérôme Lindon.

Emmanuel Laurentin : Là, on est dans la fin des années 70, la gauche n’est pas encore au pouvoir mais cette idée du prix unique du livre, cette idée de Jérôme Lindon, intéresse évidemment le parti socialiste qui reprend l’idée à son compte. Est-ce que vous avez des contacts, vous, la Fnac, et notamment André Essel, peut-être vous aussi, Madame Mussard, avec le parti socialiste ? Je pense notamment à Bernard Pingaud et à la commission du Parti socialiste.

Simone Mussard : Nous n’avons pas été beaucoup consultés sur cette histoire du prix du livre. On nous a laissés assez soigneusement de côté. Mais c’est évident que la Fnac était plus près du Parti socialiste que du Parti qui s’en allait. Jérôme Lindon a très, très bien mené sa bataille. Il a tiré d’un discours de François Mitterrand la phrase qui convenait et il l’a sortie du contexte. Jack Lang ensuite s’en est emparé en tant que ministre de la culture et tout ça a abouti à la loi sur le prix imposé qui a été faite, disons, un peu rapidement pendant l’état de grâce, on n’avait pas beaucoup de discussions sur les désirs du président et le nouveau gouvernement. Ça a été voté au mois de juillet alors que tous les députés, c’est les députés qui votent, étaient déjà là avec leur valise sous leur siège, prêts à partir en vacances, ils n’allaient pas se bagarrer ferme pour une chose qui leur paraissait tout à fait secondaire.

Bernard Pingaud, écrivain : Écoutez, j’avais quand même quelques vagues notions acquises au sein de l’Union des écrivains où ils étaient un petit peu occupé par ces problèmes, parce que les écrivains s’intéressent, bien sûr, à la diffusion de leur livre. Les écrivains étaient, eux, assez favorables au prix unique du livre, dès le départ. J’ai consulté. Je suis allé à la Fnac, j’ai rencontré Monsieur Essel et surtout Madame Mussard, qui s’occupait, je ne veux pas dire de bêtises, je crois dirigeait les ventes du secteur livres, parce qu’il n’y a pas que les livres à la Fnac. J’ai rencontré évidemment Jérôme, j’ai rencontré des libraires, notamment quelqu’un qui aux éditions de Minuit était particulièrement actif qui s’appelait Henri Koos ( ?), qui connaissait admirablement le réseau des libraires sur lequel s’appuyait beaucoup Lindon. Il m’a beaucoup aidé sur ces questions. Puis j’ai tâtonné. Au début, je me souviens avoir écrit un article sur le prix du livre, dans un hebdomadaire socialiste, dans lequel j’avais un peu tendance à renvoyer un peu tout le monde, dos-à-dos, puis les premières fois quand on nous demandait notre avis on était un peu dilatoires, en disant : nous, ce n’est pas le problème capital, pour nous c’est la création, c’est les bibliothèques, etc. On verra ça, après. On ne voulait pas trop s’engager, mais finalement il a bien fallu prendre position. Puis, après avoir bien, bien réfléchi, je me suis dis, connaissez le mot de Churchill : « La démocratie est le moins mauvais régime, après tout les autres », le prix unique, c’est le moins mauvais système possible pour arriver à sauver notamment les librairies et assurer une égalité, parce que le mot démocratie est bien joli mais l’égalité entre tous les acheteurs de livres sur le territoire de la France entière dans quelques types de magasins où ils s’adressent, et ça c’était quand même un argument assez important. Alors, j’ai fait une note là-dessus que Dominique Taddéï a regardée, un peu corrigée, envoyée à Mitterrand. Et Mitterrand, 3 jours plus tard, l’a rendue publique sans y toucher un mot.

Jack Lang : Je vais, très brièvement, pour économiser votre temps, puisqu’il y a beaucoup à faire et que la tâche à accomplir est grande, et j’espère que nous améliorerons le texte proposé avec vous, résumer l’esprit général de ce texte. Le projet de loi relatif au prix du livre qui vous est soumis aujourd’hui présente un caractère tout à fait exceptionnel. C’est la première fois en effet qu’il est demandé aux parlementaires de se prononcer de cette manière en matière de prix, mais l’objet de débat dépasse, et de loin, l’ordre de la seule économie. Refuser d’abandonner les prix des biens culturels aux lois destructrices du marché, tel est le souci du gouvernement pour le livre, comme pour d’autres activités culturelles. On l’a souvent dit, sans malheureusement en tirer les conséquences, dans le passé, le livre n’est pas un produit comme les autres. C’est une création de l’esprit, qui ne saurait-être soumise sans une protection, en tout cas une régulation particulière à l’unique loi du marché. Et la question posée devant vous, à travers cette loi, est de savoir si notre pays entend maintenir vivante et forte une grande tradition artistique de création, ou si au contraire, notre pays choisira la voie de la facilité et de la routine. L’enjeu du débat d’aujourd’hui, ne réside pas seulement dans la discussion, l’amendement ou l’adoption d’un projet de loi, qui n’est qu’un projet de loi, parmi d’autres à proposer, la question au centre de notre débat, c’est l’avenir de la création littéraire en France. Un bref rappel du contexte économique dans lequel cette loi, ou ce projet, vous est proposé. Après avoir vécu depuis le début du siècle dans un climat de calme et de paix économique, la diffusion du livre connaît, vous le savez, depuis quelque années, une mutation commerciale dont les conséquences sont loin d’être neutres sur le plan culturel. En effet, longtemps assurée par un réseau de commerçante spécialisés, ceux qu’on appelle les libraires, la vente du livre a vu apparaître et se développer peu à peu de nouvelles formes de distribution, que vous connaissez, qui ont engendré une concurrence très vive, concurrence qui parfois a porté atteinte aux nouveautés littéraires, aux livres pour enfants, et à l’ensemble d’ouvrages de grande valeur.

Emmanuel Laurentin : Raymond Péju, vous êtes libraire de profession. Vous avez tenu notamment la libraire La proue à Lyon, une librairie que vous avez ouverte en 1947, et vous avez œuvré pour le prix unique du livre. Vous avez rencontré, j’imagine, Jérôme Lindon, des Éditions de Minuit. Comment s’est passée cette rencontre avec Jérôme Lindon ?

Raymond Peju : Oh ! Très bien. Il faut restituer le problème dans son contexte. C’est-à-dire jusqu’aux années 40, et déjà avant, le livre se vendait à un prix fixe que tout le monde respectait. C’était un prix qui était fixé par l’éditeur et qui était même imprimé sur les livres, et ça ne posait aucun problème, ça permettait à tout le monde de vendre des livres à un prix équivalent partout. Puis, il y a commencé à y avoir de grandes surfaces qui se sont dit, après tout le livre c’est un produit intéressant, ce qui les intéressait c’était de vendre du produit, donc vendre des livres faciles, et pour attirer la clientèle, on casse les prix. Ça, c’est dans le système de la grande distribution. C’était gênant pour les libraires parce ça leur enlevait une partie de leur chiffre d’affaire, une des parties les plus faciles, donc les plus rentables, mais le libraire continuait à avoir sa clientèle parce qu’il avait une compétence, un service, etc. Puis, là-dessus, est arrivée la Fnac qui a compliqué tous les problèmes parce qu’ils ont voulu ne pas se contenter des bestsellers, mais vendre tous les livres avec bien entendu, comme les grandes surfaces, un cassage des prix que lui permettait sa dimension financière. Ils savaient pertinemment que pas un libraire indépendant n’était capable de les suivre sur ce terrain.

Simone Mussard, ancienne responsable des librairies Fnac : Les magasins Fnac, c’est évidement très connu, très célèbre, leur politique était tout à fait originale puisqu’il s’agissait non plus d’être soumis aux producteurs mais de créer en quelque sorte une alliance entre le consommateur et le distributeur. C’est ce qui a fait leur succès, c’était une réalisation d’économie sociale de faire participer le client, enfin le consommateur, à ce qui lui était proposé. Proposer ce qui lui convenait le mieux avec les prix les plus bas possible, donc la librairie devait suivre cette politique, ce qui explique la révolution que la Fnac a causée quand elle a ouvert cette librairie avec une remise de 20%. On a supposé au début que nous allions faire ça. Bon, la Fnac va vendre des bestsellers, des livres à rotation rapide, avec une remise de 20%, ça sera un supermarché. Or, ce n’était pas du tout ce qui était dans l’esprit d’André Essel, dans le mien non plus, et dans l’esprit de certains éditeurs qui nous soutenaient, qui n’étaient pas à couteaux tirés contre nous, je pense en particulier à Christian Bourgois, qui nous disait : faites une bonne librairie mais une vraie librairie, on vous soutiendra. Nous avons voulu faire une bonne librairie, c’est-à-dire une librairie qui offrait le plus grand choix possible, avec des vendeurs compétents, une remise considérable. 20% c’était beaucoup, c’était la moitié, à peu près de la remise consentie par les éditeurs, que la Fnac prenait entièrement à sa charge.

Bernard Pingaud : Il y avait un système de prix, qu’on appelle le prix conseillé, qui était fixé par les éditeurs et que les libraires appliquaient de manière très générale en se permettant quelques réductions pour des clients… Puis, à un certain moment, ce sont créées les premières Fnac, qui étaient des magasins où il y avait un stock de livres d’ailleurs considérable, et qui ont commencé à faire du discount, c’est-à-dire baisser les prix de l’ordre de 20%, après quoi ils ont été imités par des supermarchés etc. on est arrivé à une situation où les libraires ne pouvaient plus suivre, surtout les petits libraires. Les gros libraires suivaient bien. Les livres, les plus vendus, les bestsellers, les livres de pratiques, les dictionnaires etc. étaient quelquefois 30-40% moins chers, dans ces grands magasins. Donc, ils ne pouvaient pas se rattraper sur ce livre là, des livres de bonnes ventes, pour poursuivre la vente de livres plus difficiles. C’est à ce moment-là que Jérôme Lindon a lancé un cri d’alarme et que le problème s’est posé.

Emmanuel Laurentin : Ce qu’il faut dire, Bernard Pingaud, la Fnac, quand elle s’ouvre est plutôt dirigée par une équipe de gauche, et leur idée…

Bernard Pingaud : Des Trotskites, même.

Emmanuel Laurentin : Des Trotskystes, voilà, et leur idée c’est de démocratiser le livre.

Bernard Pingaud : Le problème c’est que cette démocratisation ne s’appliquait que dans les Fnac. A l’époque, il n’y avait même pas encore 2 Fnac à Paris, il n’y avait que celle de Montparnasse, et il y avait quelques villes universitaires où ils avaient implanté une Fnac. Et ces lieux étaient fréquentés par qui ? Par des gens qui lisaient déjà, qui achetaient déjà des livres et on leur donnait la possibilité d’acheter d’avantage de livres en les payant moins chers. Donc, l’argument démocratique qui m’avait frappé d’ailleurs au début, je suis allé pas mal au début dans les Fnac, des magasins formidablement bien organisés, avec un stock de livres qui était de l’ordre de 100 000 titres qu’aucun libraire, sauf quelques très grands, ne pouvaient rivaliser, donc, c’était très séduisant comme opération. Mais l’élément démocratique était quand même un alibi, et surtout ça conduisait inéluctablement de tout un réseau de petites et moyennes librairies qui est unique en France et en Europe et qu’il fallait sauver à tout prix parce que beaucoup de ces libraires d’excellente qualité étaient particulièrement actifs en faveur de livres, disons littéraires entre guillemets qui a priori n’étaient pas assurés d’une vente très large.

Jack Lang : Mais venons en à l’actualité. Vous savez que cette situation, par la décision prise par le gouvernement, en 1979, sous la forme d’un arrêté, portant le nom du ministre de l’économie de l’époque, Monsieur Monory, et cet arrêté en date du 23 février 1979, a prétendu établir la liberté du prix du livre. Son objectif était séduisant, liberté, liberté, qui ne vibre en entendant ce mot ? Mais s’agissait-il en vérité d’établir une vraie concurrence ? Les faits ont montré que le système imaginé par Monsieur Monory et par le gouvernement a en réalité introduit dans le marché une fausse concurrence. Concurrence d’une part entre groupes puissants de diffuseurs, parfaitement localisés dans quelques grands centres urbains et d’autre part, le vaste réseau de libraires dispersé sur l’ensemble du territoire qui constitue l’une des chances de l’aménagement culturel du pays, l’une des chances de la création littéraire en France. Les conséquences de l’arrêt Monory, sont connues de vous : Aggravation de la crise du livre, et surtout renchérissement du prix du livre. Voilà une réforme dont on disait qu’elle aurait pour conséquence l’abaissement des prix, or en pleine application, en 1980, la réforme Monory a abouti à ce résultat tout à fait extraordinaire que le prix des livres a augmenté de 16% alors même que le prix de la vie augmentait, non pas seulement, mais déjà de 13,2 ou 13,3%

Raymond Péju : Il y a eu quantité de discussions au sein des organismes de librairies. A ce moment-là, il est apparu deux façons de voir les choses. Il y a eu d’une part le prix libre, que certains ont prôné et d’autre part, le prix fixe, imposé, si vous voulez. Le prix libre consistait à dire, il n’y a plus de prix de référence, donc chacun vend le prix qu’il veut. Il y a le prix d’achat et chacun vend au prix qu’il veut mais ne pourra pas faire état d’une remise ou d’un cassage de prix parce qu’il n’y pas de prix de base. C’était complètement absurde, je regrette de le dire, c’est passé grâce à un certain Monory qui n’y connaissait rien, et ça fait, très rapidement, la preuve de son incapacité à sauver la librairie parce qu’effectivement le livre se vendait n’importe où, n’importe comment mais la Fnac continuait à prétendre dans ses publicités que c’est eux qui vendaient le moins cher et bien entendu, le résultat était un fiasco total.

Emmanuel Laurentin : Et pourtant, Raymond Péju, certains libraires étaient favorables à ce décret Monory.

Raymond Péju : Si ce décret est passé, c’est bien qu’effectivement une partie des dirigeants des syndicats de libraires ont bataillé, ont fait intervenir Monory, pour passer ce décret. Nous avons, nous, combattu cette politique, c’est à ce moment-là qu’il y a eu des scissions dans les syndicats de libraires. Et, nous avons créé un syndicat dissident qui prônait, lui, le prix imposé, et qui allait bien entendu, comme vous vous en doutez, à contre-courant de toutes les règles de l’époque. On a été traité de retardataires, bref de tout ce que vous pouvez imaginer. On a continué à se battre dans cette direction et on a rencontré les dirigeants du Parti socialiste qui ont été les premiers et les seuls à nous écouter d’une oreille favorable. Au début, ils nous ont dit, vous allez complètement à contre-courant, ça va être difficile mais on va étudier le problème.

Christian Bourgois : Le problème du prix du livre s’est posé, dès les milieux des années 70, Monsieur Monory était ministre des finances. La profession, les éditeurs, lors des réunions des groupes de littérature, des réunions des instances du syndicat, dont je ne faisais pas partie à l’époque, en 75, ont été assez divisées, partagées. A l’époque, le président du SNE, qui était un homme qui s’appelait Chotard, qui était en même temps vice-président du CNPF, et qui était aussi un patron catholique traditionnel, qui avait les éditions France-Empire mais qui avait des relations politiques très fortes. Il appartenait à une droite convenable, il avait beaucoup d’amis qui avaient beaucoup d’influence. Il y a eu le fameux arrêté Monory qui a donc supprimé ce qu’on appelait le prix conseillé, qui était le prix à partir duquel d’abord nous, éditeurs, nous calculions les droits d’auteur et qui était le prix qu’on proposait aux libraires et qui était un prix à l’époque à peu près accepté par tout le monde, les problèmes posés par la Fnac et la grande distribution commençant à ce moment-là. Quand l’arrêté Monory est passé, ça a été la bombe atomique au SNE. A ce moment-là, une sorte de cabinet de guerre, de direction a été créé. Chotard a donné sa démission, les membres du bureau ont démissionné et à ce moment-là c’est Jean-Luc Pidoux-Payot qui a pris la présidence du SNE, je suis rentré au bureau avec Charles-Henri Flammarion, Francis Esménard, à l’époque Gallimard n’était pas au SNE, -Claude Gallimard avait quitté le SNE-, et donc on a vraiment constitué, je dirais, un cabinet de combat contre l’arrêté Monory, contre le prix Monory.

Simone Mussard : Ça, je dois dire que l’arrêté Monory, alors là, c’était vraiment la mort de la librairie. C’était vraiment tellement aberrant, tellement imbécile de voter une loi comme ça… Les éditeurs vendaient à un prix net, chaque éditeur observait une décote différente. Par exemple, il y avait un livre qui était vendu au prix public, 100 fr. la remise habituelle d’un libraire c’est entre 35 et 40%, quand c’est une grosse librairie importante, ou une des librairies qui font bien leur travail, donc certains éditeurs décotaient à 25%. 25%, donc le libraire achetait son livre à 75 fr. il fallait qu’il retrouve 100 fr. au résultat il ne retrouvait pas 100 fr. mais il mettait à 130 ou 140 fr. parce qu’il fallait qu’il retrouve sa remise habituelle, enfin c’était insensé.

Christian Bourgois : Donc, l’argumentation de Lindon, la force de son argumentation est une argumentation économique. En disant que l’application, la poursuite, le maintien de l’arrêté Monory entrainait la disparition de tout ce réseau de libraires qui existe encore et qui a pu se développer maintenant et qui était concurrencé d’une manière imparable par la Fnac et par la grande distribution. Par conséquent c’était un argument économique qu’il avançait en disant qu’à partir du moment où ces libraires n’existeraient plus, les éditeurs de son genre ou du mien, ou un certain type de collections dans des grandes maisons Gallimard, Seuil et autres étaient condamnés à disparaître. Et par conséquent, l’offre de livres, de titres qui serait faite par les éditeurs aux lecteurs, aux consommateurs serait de plus en plus restreinte. Quand nous combattions Monory, nous disions, le rêve de Monsieur Monory et ses garagistes c’est 20 livres à 30% de moins, liste de bestsellers de l’Express ou de France soir. Et savoir comment vendre les livres de fonds des éditions de Minuit, Gallimard, Bourgois, -Paul Otchakovsky n’existait pas encore à ce moment-là-, ce n’était pas leurs préoccupations.

Jack Lang : La loi dont je vous propose l’adoption a pour finalité, les objectifs suivants : Premièrement, l’égalité des citoyens devant le livre qui sera vendu au même prix sur l’ensemble du territoire national. Deuxièmement, le maintien d’un réseau décentralisé, très dense, aussi dense que possible, à densifier encore, de distribution notamment dans les zones les plus éloignées des centres urbains. Troisièmement, le soutien au pluralisme de la création littéraire et de l’édition. Je voudrais, pour élever un peu le débat, qui pour le moment n’est pas resté bas, faire quelques déclarations plus générales. Au moment où le législateur, s’il veut bien nous suivre s’apprête à accomplir un acte important, un acte important sur le plan économique, sur le plan législatif, mais un acte important sur le plan politique et culturel, je dirais un acte sans précédent, nul n’aurait compris que les professionnels eux-mêmes n’accomplissent pas parallèlement un effort. C’est pourquoi, le gouvernement, en particulier Monsieur Jacques Delors, ministre de l’économie et des finances, Madame Catherine Lalumière, ministre de la consommation et moi-même avons tenu avant même de venir devant vous à engager une négociation avec les professionnels, en particulier avec les éditeurs. La négociation a été solide, je le crois, sérieuse, précise, et les éditeurs ont pris à l’égard du gouvernement un engagement, dont tout à l’heure je fournirai le détail, de modération de prix, de remise et en particulier de remise quantitative, engagement, comme je l’ai dit hier, qui engage l’honneur d’une profession et engagement au respect duquel le gouvernement sera attentif mois après mois.

Raymond Péju : C’est à ce moment ou quelque temps avant, je ne me rappelle plus exactement, dans la mouvance des discussions qu’on a rencontré Jérôme Lindon…

Emmanuel Laurentin : Vous avez fondé avec lui, même une association, La puce ( ?)

Raymond Péju : Voilà. C’est même lui qui -nous on parlait de prix imposé- nous a dit on va complètement à contre courant, effectivement l’histoire ne va pas dans ce sens, c’est une nécessité mais le prix imposé ça va heurter partout, on va appeler ça le prix unique, qui sera le prix unique dans toutes les librairies qu’elle soit à Brenda, à Pétaouchnock, ou à Paris, ça sera le prix général, obligatoire mais le prix unique du livre qui permettra à tout le réseau de libraires de continuer à fonctionner sans être court-circuité par les méthodes du discount.

Bernard Pingaud : Dans la première partie de la bataille, effectivement les éditeurs étaient eux-mêmes divisés parce que beaucoup faisaient des bestsellers, des dictionnaires, des livres pratiques,… ils étaient partie prenante pour une large diffusion, prêts à faire des remises considérables parce que c’est ça qui joue aussi, la remise c’est la vente aux libraires, la marge qu’on accorde aux libraires, comme ça portait sur des stocks considérables, la remise était plus forte, bien entendu. Donc, il y avait des éditeurs qui étaient plutôt favorables à une libération des prix et puis il y avait de gros libraires, il y avait à l’époque la fédération des libraires qui était menée d’une main de fer par un sympathique monsieur qui s’appelait Jean-Baptiste Dallemagne ( ?), que j’ai rencontré souvent, et qui, lui, était très opposé au prix unique. Parce qu’eux, avaient les moyens, quelques gros libraires. C’était une façon, de la part des gros libraires, d’écraser les petits. Et la révolte s’est produite chez les libraires d’abord où il s’est créée une nouvelle association dont l’un des animateurs était Raymond Péju à Lyon, qui, eux, ont pris parti carrément pour le prix unique. Le syndicat national de l’édition (le SNE) a évolué et est arrivé petit à petit aussi à la position prix unique.

Jack Lang : Si on prend les deux bouts de la chaîne. Le lecteur, l’auteur. Pour l’auteur, je crois que personne n’en doute, et ceci vaut pour la lecture, comme pour le cinéma, comme pour d’autres formes de création intellectuelle. L’intérêt du créateur, et c’est notre intérêt à tous, c’est d’être en présence d’un réseau de diffusion aussi diversifié que possible. A l’autre bout de la chaine, le lecteur, et bien je voudrais vous dire pourquoi je crois, pourquoi le gouvernement croit que pour le lecteur cette loi est une bonne affaire. Que recherche en effet le lecteur, dont on parle tant ? Le lecteur cherche, premièrement, un prix uniforme. Deuxièmement, le lecteur cherche un prix modéré, aussi modéré que possible. Troisièmement, le lecteur cherche à avoir un prix connu. Et enfin le lecteur cherche à trouver des livres, partout, selon un échantillonnage aussi varié que possible. Un prix unique, c’est l’objet de la loi, un prix modéré, c’est là où les débats sont les plus vifs, je crois pouvoir dire que la loi, l’engagement pris par les éditeurs, donne l’assurance de prix dans le sens d’une modération. Il y a un seuil au-delà duquel l’éditeur ne peut pas fixer un prix trop élevé sous peine de ne pas vendre du tout, sous peine de couper la branche sur laquelle ils sont installés. Les éditeurs n’ont pas intérêt à augmenter exagérément les prix. En tout cas, je le répète, le gouvernement prend l’engagement de veiller attentivement à l’application du respect de l’esprit de la loi, et à l’application de l’engagement qui a été contracté avec la profession éditoriale.

Raymond Péju : Les éditeurs sont venus. Ils ont un peu trainé les pieds, ils n’ont ensuite pas toujours joué le jeu qu’il aurait fallu.

Emmanuel Laurentin : Alors, pourquoi, ils n’ont pas joué le jeu ?

Raymond Péju : Vous connaissez le texte de la loi Lang qui prévoyait d’une part que le prix du livre soit unique et le même partout, dans n’importe quel point de vente, mais qu’en plus de ça, il doit y avoir une rémunération adaptée, qui justifiait le prix unique, c’est-à-dire une rémunération à la compétence. Une compétence, c’est-à-dire le stock, le conseil, le contact avec le public, les manifestations etc., etc. Donc, les éditeurs devaient avoir deux grilles de prix, un sur la quantité vendue, un autre sur la compétence et les moyens. Sur la quantité vendue il n’y a pas de problème, ils ont toujours été à cheval sur ça quand même, sur la compétence des libraires, ça a tiraillé, ça n’a pas été appliqué. C’est en fait ce qui a un peu gâché le développement. Les promesses du prix unique, ça n’a pas été vraiment respecté par l’édition, dans sa majorité tout au moins.

Christian Bourgois, éditeur : Les grands distributeurs étaient contre. Les grands distributeurs voyaient avec beaucoup d’intérêt se développer de nouveaux circuits de distribution, de vente du livre dans les grandes surfaces, dans les grands magasins,… Il est certain que le point de vue, que je comprends, d’un directeur commercial qui a des objectifs à atteindre, qui est sous la pression des contrôleurs de gestion de ses actionnaires, il a intérêt à ce que son chiffre d’affaire se développe en ayant la rentabilité la plus grande. Et nous, nous plaidions, moi dans mon cas, au sein du groupe de la Cité, je plaidais pour des activités économiques marginales, vous savez le chiffre d’affaires de 10-18 de Christian Bourgois par rapport à celui des Presses de la Cité, ou celui du Fleuve Noir, était symbolique. Mais en même temps on a réussi à faire admettre le raisonnement Lindon, pas immédiatement, mais sur un certain temps à ces distributeurs. Je me souviens quand j’appelais le responsable de Rennes qui faisait 60% de son chiffre d’affaire, déjà à ce moment-là, avec les centres Leclerc, à qui je disais il faut appliquer la loi, et qui me disait : Mon cher Christian, tu es bien gentil mais si j’applique la loi, je mets 40 personnes à la porte, parce que je perds 60% de mon chiffre d’affaires. Je lui dis, tu ne perdras pas 60% de ton chiffre d’affaires, mais ça a été très, très dur. L’argumentation de ces gens très proches du terrain, et très proches de cette nouvelle distribution, est une argumentation économique, l’économie finit toujours pas être de l’idéologie, mais disons que ce n’était pas des prises de positions idéologiques comme certains éditeurs à Paris, « pour » ou « contre », c’était des gens de terrain qui disaient : Ta loi est inapplicable.

Emmanuel Laurentin : Mais finalement, Bernard Pingaud, la Fnac conteste cette loi mais choisit plutôt la légalité. Ça sera plus difficile, par exemple, avec des grands magasins, en l’occurrence Leclerc qui va mener la bataille contre le prix unique du livre.

Bernard Pingaud : Oui, là, Lang appuyé par Catneaut ( ?) ont eu une année de bataille, faire constater par l’huissier les prix,…

Emmanuel Laurentin : Je crois que Jacques Catneaut ( ?) voulait monter une police, carrément, de vérification des prix.

Bernard Pingaud : Je ne sais pas si c’était une police mais énergique et pratique comme je l’ai connu, l’idée d’avoir des bonhommes qui aillent inspecter les prix dans les magasins, ça ne m’étonne pas. C’était ce qu’il fallait faire. Ça a duré, les polémiques et les litiges. Je crois même qu’il y a eu des condamnations. Ça a duré un an à peu près.

Simone Mussard, ancienne responsable des librairies Fnac : La Fnac a observé le prix du livre d’abord parce que nous étions très surveillés. Au moindre manquement les amendes nous tombaient sur la tête. Les amendes étaient très lourdes puisque c’est l’ensemble de la Fnac qui était concerné, c’était toutes les librairies et non pas un seul magasin dans lequel on avait pu constater une infraction. Enfin, nous avons quand même mené un combat d’arrière garde, il faut bien le dire. Nous avons envisagé plusieurs solutions. Cette loi était pleine de trous. Les livres qui étaient publiés à l’étranger pouvaient être achetés à l’étranger,… c’était quand même une loi. Cette loi unique n’était pas si unique que ça. Parce que finalement vous avez plein de gens qui continuent à acheter des livres avec des prix diminués. Oui, bien sûr on a essayé de s’engouffrer dans les trous mais ce qui nous a paru plus intéressant c’était de fonder une coopérative. Mais là, ça a été très dur.

Emmanuel Laurentin : Ça, c’est même avant l’application, avant 82, pendant l’automne 81.

Simone Mussard : C’est ça, à partir de septembre. A partir du moment où la loi a été votée, son application était prévue pour le premier janvier. Donc, transformer la Fnac en coopérative suivant les formules en règles pour les coopératives. Là, nous avons eu une fin de non recevoir parce que notre actionnaire principal, qui était les COOP, et qui avait grand besoin du soutien du gouvernement pour ses ouvertures des grandes surfaces ne pouvait pas se mettre ainsi en contravention avec la loi. Une coopérative refusée par un gouvernement socialiste c’était quand même un peu bizarre.

Jack Lang : Si nous n’apportions pas un remède, ce n’est qu’un remède parmi d’autres à apporter, à la situation actuelle, le marché serait brutalement transformé. Et dans quelques années, après la faillite de nombreux libraires, nous aurions eu une concentration encore plus forte au bénéfice des grands centres urbains. Le droit à la culture, le droit du lecteur et du citoyen c’est de pouvoirs là où il habite, en tout cas là où il vit, trouver un échantillonnage aussi divers que possible de livres. Je crois que ce système contribuera à faciliter l’aménagement culturel du territoire. Je conclus, en disant que ce texte, que nous allons ensemble essayer de perfectionner, d’améliorer, ce texte n’est qu’un texte. C’est un texte qui sera appliqué, je voulais dire par là que ce n’est qu’un moment, ce n’est qu’une étape, une première pierre que le gouvernement et le législateur apporteront à une nouvelle politique du livre. Depuis trop longtemps, le livre a été sacrifié par les gouvernements successifs. Il faut aujourd’hui concevoir, pour notre pays, une grande politique pour le livre, une politique ambitieuse pour le livre. Cela veut dire la création littéraire, la situation économique de l’imprimerie française, en grande difficulté, ça veut dire la présence des livres français à l’extérieur, ça veut dire la création d’un réseau de bibliothèques publiques, ça veut dire beaucoup de choses encore. Notre pays a là, une grande chance et à l’automne prochain, lors de la loi de finances, le gouvernement vous proposera une série de réformes très importantes qu’une commission, présidée par l’écrivain Bernard Pingaud et dont le rapporteur est l’écrivain Jean-Claude Barreau, prépare actuellement une série de propositions pour le gouvernement et le législateur. Voilà, Madame le président, Mesdames et Messieurs les députés, l’esprit général de ce texte. Je vous remercie de m’avoir entendu, j’espère, qu’ensemble, nous allons apporter à ce texte les améliorations qu’il mérite.

Bernard Pingaud : Lang m’a demandé d’intervenir à nouveau en 82, un an après l’adoption de la loi pour faire un rapport, – ça, c’était un rapport que je faisais à titre individuel - sur l’application, les avantages et les inconvénients du prix unique. Il l’avait d’ailleurs, je crois, annoncé à l’Assemblée, pour faciliter la tâche il avait dit : de toute manière nous prenons cette décision mais nous allons voir comment ça fonctionne, et si ça a des inconvénients que nous n’aurions pas prévus, nous pourrions revenir dessus. Donc, un an après, on a fait cet examen. Je suis allé voir un grand nombre de libraires, j’ai consulté des éditeurs, des écrivains, pour voir si ça avait, oui ou non, entraîné une augmentation des prix. Enfin, j’ai essayé de faire un tour d’horizon général et je me souviens que dans mes conclusions, j’avais mis en garde le ministère contre toute modification. Certaines modifications étaient peut-être très défendables mais si on remettait la loi sur le tapis, on aurait eu, à l’Assemblée, plus d’un an après, pas mal d’amendements inspirés par différents lobbies, et la loi aurait risqué d’être tout à fait déchiquetée. Puis il y avait aussi le problème à l’Europe. A l’époque, les autorités européennes n’étaient pas très chaudes pour le système. Il y avait des pays européens où il n’y avait pas ce système. Là, aussi, les adversaires ont essayé d’utiliser le biais européen pour mettre en cause cette loi. Puis, finalement, tout s’est apaisé.