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Histoire de l’édition avec Joëlle Losfeld / La Fabrique de l’Histoire

Transcription par Taos Aït Si Slimane du 1er volet de l’« Histoire de l’édition » dans La Fabrique de l’Histoire, par Emmanuel Laurentin, émission du lundi 1er janvier 2007.

Présentation de l’émission sur le site France Culture : « Pour bien commencer cette année, La Fabrique de l’Histoire se met au diapason de la « petite » rentrée littéraire des mois de janvier, et vous invite en quatre temps à revenir sur l’édition en France. Premier jour donc, et premier entretien en compagnie de l’éditrice Joëlle Losfeld, fille du célèbre éditeur d’Arcanes Eric Losfeld, et elle-même fondatrice de sa propre maison d’édition en 1985, récemment intégrée au groupe Gallimard (depuis 2003). Avec elle, on passe en revue l’histoire de l’édition en France depuis les années 1950 : heurs et malheurs, figures marquantes, recompositions, succès... »

L’oralité est volontairement respectée dans toutes les transcriptions disponibles (initialement sur un blog) dans ce site. Je remercie par avance tout lecteur qui attirera mon attention sur la moindre imperfection constatée. Les ( ?) indiquent des incertitudes sur les mots.

Introduction par Emmanuel Laurentin : Tout d’abord, bonne année à tous. Une année qui commence, pour nous, sous le signe de l’édition puisque nous avons choisi, à l’occasion de ce qu’on appelle désormais, la seconde rentrée littéraire de janvier, de traiter de l’histoire de l’édition. Demain, nous reviendrons sur le 25ème anniversaire, un peu passé désormais de la loi Lang, sur le prix unique du livre, c’était en juillet 1981, avec le discours de Jack Lang, prononcé à l’Assemblée nationale, le 30 juillet, et les témoignages de Simone Mussard, Christian Bourgois, Bernard Pingaud et de Raymond Péju. Mercredi, nous nous rendrons à Lyon. Lyon capitale de l’imprimerie au XVIe, XVIIe et XIIIe siècle. Et jeudi un débat historiographique verra débattre ensemble, Jean-Yves Mollier, Élisabeth Parinet, Gisèle Sapiro et Jean-Dominique Mellot. Aujourd’hui, notre invitée évoquera ses propres souvenirs mais également le souvenir de son père. Elle s’appelle Joëlle Losfeld et elle évoquera la façon dont elle a monté, elle-même, après avoir fait des études de cinéma, été monteuse au cinéma, une maison d’édition, les éditions Joëlle Losfeld. Mais elle évoquera également les souvenirs de son père, Eric Losfeld, qui a pourfendu la censure dans les années 60 en particulier et qui était un grand défenseur du surréalisme. Il tenait une librairie qui s’appelait le Terrain vague, qui était également une maison d’édition. Eric Losfeld et les souvenirs de Joëlle Losfeld, c’est le thème de « Histoire de l’édition », aujourd’hui.

Bonjour, Joëlle Losfeld.

Joëlle Losfeld : Bonjour Emmanuel Laurentin.

Emmanuel Laurentin : Et bonne année 2007.

Joëlle Losfeld : Bonne année à vous.

Emmanuel Laurentin : Ainsi qu’à tous nos auditeurs. Vous inaugurez cette année 2007. Un 1er janvier, - c’est rare qu’un lundi, de début d’année tombe un 1er janvier - avec une semaine consacrée à l’histoire de l’édition, parce qu’il y a, et c’est une relative nouveauté, dans l’histoire de l’édition française, désormais au moins deux rentrées littéraires, celle de septembre et celle de janvier qui compte presque autant que celle de septembre en nombre d’ouvrages, mais aussi en possibilité de vie de ces livres dans les librairies. Joëlle Losfeld, c’est tout nouveau ça. Vous l’avez vu poindre à quel moment, cette seconde rentrée littéraire ? Progressivement ? Ça a été petit à petit ? De plus en plus de livres ?

Joëlle Losfeld : Oui, ça a été assez progressif. Parce qu’il y avait de plus en plus de livres, parce que la nécessité de faire 2 rentrées, voire même on pourra concevoir 3 rentrées d’ailleurs.

Emmanuel Laurentin : Du côté de Pâques, la 3ème ?

Joëlle Losfeld : Oui, voilà, du côté de Pâques, ça serait bien. Mais la rentrée de janvier est intéressante dans la mesure où elle permet de ne pas avoir l’enjeu des Prix, justement, de sortir des lieux…

Emmanuel Laurentin : Elle vient après les Prix.

Joëlle Losfeld : Elle vient après les prix, il n’y a donc pas cette course endiablée qui pervertit un peu le jeu littéraire. Je dis bien le jeu littéraire. On s’aperçoit d’ailleurs que de plus en plus de maisons d’édition ne font plus sortir ce qu’on appelle des auteurs importants, ou de grosses pointures etc. en septembre mais en en janvier, comme étant une rentrée tout à fait importante sur le plan à la fois commercial et littéraire.

Emmanuel Laurentin : Alors, ça tient au fait que d’une certaine façon, on peut dire que les Prix étouffent un certain type de littérature ? C’est-à-dire qu’à cause des Prix certains auteurs majeurs qui ne peuvent pas concourir pour telle ou telle raison, n’auraient pas leur chance au mois de septembre ?

Joëlle Losfeld : Il y a deux choses. Il y a d’une part les Prix. Les Prix, ce n’est pas toujours négatif. En avoir un, c’est penser que l’on va vendre suffisamment de livres et puis tenir une année.

Emmanuel Laurentin : Je crois que chez Gallimard, vous dépendez de la maison Gallimard désormais, ils ne doivent pas être très mécontents de ce qui s’est passé pour Jonathan Littell, par exemple ?

Joëlle Losfeld : Par exemple, oui, même avant le Prix ça dépotait déjà pas mal. Le Prix ne vient qu’ajouter à tout cela. Mais c’est vrai qu’à partir d’un certain temps on s’aperçoit que la presse, par exemple, ou les libraires sont mobilisés dans l’attente des Prix. Parce qu’on sait aussi que c’est sur ces titres-là que vont marcher le plus, commercialement en tout cas, les livres. Mais, je ne suis pas sûre que les Prix étouffent les autres livres. Moi, j’ai toujours sorti des livres au mois de septembre sans penser d’ailleurs pendant très longtemps, concourir à des Prix littéraires. Et selon ce qu’on est et la notoriété qu’on a, ou la confiance que nous accordent un certain nombre de partenaires, on arrive souvent à tirer son épingle du jeu. Parce qu’il faut bien dire que c’est à ce moment-là aussi qu’on parle le plus des livres. Le livre devient un acteur principal alors que souvent il est remisé au rôle d’acteur secondaire, mais là il devient un acteur principal de cette rentrée de septembre.

Emmanuel Laurentin : De la discussion publique, pourrait-on dire aussi.

Joëlle Losfeld : De la discussion publique aussi parce qu’il y a plein de sujets qui arrivent indépendamment des livres. On ne parle pas tellement de littérature à vrai dire. On en parle de moins en moins, mais on parle surtout de la périphérie des choses. Comment on fait ? Comment on promeut un livre ? Comment il est arrivé, par la poste à l’éditeur ? Le marketing, pourquoi les gens achètent ceci ? Achètent cela ? Enfin, on fait de la sociologie, de l’histoire et un peu de rumeur…

Emmanuel Laurentin : Et assez peu de littérature, vous voulez dire ?

Joëlle Losfeld : Oui. Moi, je pense que la critique littéraire, et là, je ne mets pas tout le monde, est souvent à la périphérie de l’œuvre littéraire et plus sur la littérature conçue comme un phénomène de société. Et je dis, pas tout le monde, bien évidemment. Mais, on assiste à ça.

Emmanuel Laurentin : Vous voulez dire, on va faire un peu de paléontologie éditoriale, comme disait votre père, Éric Losfeld, dans ses mémoires. Vous voulez dire que l’on est un peu, quelquefois, du côté de ce qu’avait connu votre père, et de ce qu’il critiquait beaucoup, du côté Minou Drouet de la littérature. Cette petite jeune fille qui était devenue une véritable star, par ses poèmes, dans les années 50, et qu’on serait un peu toujours dans cette permanence, du phénomène ? C’est-à-dire qu’on va chercher un phénomène qui est sensé représenter la société, représenter le moment, représenter l’air du temps et pas beaucoup plus ?

Joëlle Losfeld : Oui, mais à la différence, et bien heureusement pour la période qu’à vécu mon père, Minou Drouet, il n’y en avait qu’une. Maintenant, il y en a plusieurs, des Minou Drouet. Moi, je n’ai rien contre les jeunes personnes, qu’elles soient féminin ou masculin, qui s’expriment, au contraire je trouve que c’est extraordinaire, mais c’est vrai que quand on voit des listings de ventes, par exemple, on s’aperçoit que finalement ça n’a rien à voir avec la littérature. Souvent ce sont des peoples qui écrivent, on ne sait pas très bien comment ils écrivent d’ailleurs. Je ne voudrais pas faire un tableau très noir, mais c’est vrai que c’est plus des problèmes sociologiques qu’ils racontent au travers de leur mémoire, ou des instants fugitifs qui ont traversé leur vie et pas de la composition littéraire. Mais, il n’y a pas que ça, heureusement, sinon…

Emmanuel Laurentin : Sinon, on ne comprendrait pas le nombre de livres publiés et l’accroissement phénoménal - pour reprendre ce terme de phénomène - du nombre de livres en librairie. Aujourd’hui effectivement, c’est cela qui marque. C’est le nombre de livres qu’il peut y avoir en librairie.

Joëlle Losfeld : Oui, c’est vrai que c’est une sorte de marronnier à la rentrée littéraire de septembre, tous les journaux y vont de : Il y a 10% de plus, 688, etc., etc., de romans, il y a une croissance de 10%... Moi, je considère encore, malgré tous les problèmes que ça pose, qu’il vaut mieux vivre dans une société qui produit plus de livres que dans une société qui n’en produit pas. Car, si on a la curiosité littéraire, parmi ces je ne sais combien de livres à chaque rentrée, il y a toujours de quoi aller dans les librairies, regarder les livres et être tenté par quelque chose dont on ne parle pas, mais qui viendra s’ajouter à notre propre Panthéon littéraire. Moi, je trouve que c’est plutôt pas mal. Ça pose des problèmes. Les librairies n’ont pas des murs extensibles, ils sont obligés de faire des choix drastiques, de temps en temps, pour éviter certains livres et en choisir d’autres, c’est un vrai problème. Oui, c’est vrai.

Emmanuel Laurentin : Je disais tout à l’heure que nous allions faire un peu de paléontologie éditoriale ? Même si c’est un exercice qui vous énerve quelquefois un peu, de rappeler effectivement vos parents, votre père, Eric Losfeld, vous faire remonter comme cela un peu plus loin dans le temps, mais d’une certaine façon, vous dites vous-même, Joëlle Losfeld, que vous êtes le produit d’une histoire et le produit de cette histoire de l’édition des années 50, de votre père qui commence petit, petit, pourrait-on dire. Issu d’une famille très pauvre, qui monte à Paris, qui vient de ses Flandres natales, arrive à Paris et s’installe d’abord comme courtier, comme écrivain de romans un peu lestes, un peu légers, et puis qui petit à petit monte Arcanes, puis ensuite le Terrain vague. Une histoire que vous avez vécue intimement, vous avez dû, comme beaucoup d’enfants de cette génération-là, croiser dans la librairie de votre père des écrivains qui lui étaient proches, en particulier des surréalistes. Et c’est important, de la formation que vous vous êtes faite vous-même, dans votre travail d’éditeur ?

Joëlle Losfeld : Oui, c’est vrai que je me réclame de cette histoire totalement et ça ne m’ennuie pas qu’on me rappelle mon père. Simplement, j’ai l’impression de bégayer souvent. Mais, ce n’est qu’une impression. Au départ, je dois dire que je n’avais pas envie de reprendre la maison d’édition de mon père.

Emmanuel Laurentin : Vous aviez une formation de monteuse en cinéma.

Joëlle Losfeld : Voilà. J’adore le cinéma, et j’ai toujours adoré le cinéma et c’est vrai que j’avais envie d’être à l’intérieur de ce métier du cinéma, pour mieux le comprendre. Puis, c’est vrai que parallèlement, quand je faisais mes études, je travaillais chez mon père, j’avais de petits boulots comme ça, et ma vie a été marquée par l’apparition effectivement de ces écrivains que vous venez de citer, parmi les surréalistes surtout, mais aussi parmi des critiques de cinéma parce que mon père dirigeait Positif et Midi-Minuit Fantastique, mais aussi d’autres écrivains. C’est vrai que cette période-là, est une période qui représente, pour moi, l’âge d’or. Les gens venaient dans la librairie et c’était une espèce de forum qui s’installait parce que mon père travaillait de 6 h du matin à 9 h, après il était tout prêt à recevoir tous les écrivains et dialoguait avec eux de façon continue. Ça a été vraiment un apprentissage extraordinaire. Le surréalisme pour moi, je le revendique comme étant une formation extraordinaire. J’ai lu, très jeunes, les surréalistes. Ce n’est pas parce que je les ai côtoyés, parce que comme vous le savez, les surréalistes avaient un rapport plus qu’étrange avec les enfants. Ils ne les aimaient pas trop.

Emmanuel Laurentin : Vous avez côtoyé Benjamin Perret, qui, avec votre sœur, vous ramenait de l’école, de temps en temps, du boulevard Raspail.

Joëlle Losfeld : Oui. Je dois dire qu’il le faisait pour dépanner mon père et parce qu’il avait envie de retrouver le fauteuil qui était chez mon père pour faire la sieste. Mais ce n’est pas une partie de plaisir que d’aller avec Benjamin Perret à l’école, ou d’en revenir, parce qu’il s’enfichait complètement, je dois dire. C’était son pensum et nous, le nôtre. On ne parlait pas de littérature avec Benjamin Perret, d’abord il ne parlait pas, il pensait à sa sieste, puis ensuite, encore une fois, les enfants ne l’intéressaient pas. Mais, moi, j’avais lu, pas à cette époque où il me ramenait de l’école, mais mes premières lectures ont été des livres à la fois fantastiques, comme Alice au pays des merveilles, ou Stevenson puis les textes surréalistes. Nadja, je l’ai lu très jeune, ça a été un éblouissement absolument total. Ça m’est resté. Michel Leiris, est quelqu’un qui compte beaucoup dans ma formation, peut-être plus qu’André Breton et Benjamin Perret.

Emmanuel Laurentin : Parce qu’aussi grandir au milieu des livres, concoctés avec amour par vos parents, c’était important. Il y avait aussi ce cocon du livre que l’on pouvait tirer à n’importe quel moment de la bibliothèque, on prenait ce qu’on voulait d’une certaine façon. Cette liberté immense, qui vous était laissée, de choisir en fonction de vos goûts du moment, même des livres qui a priori ne tombaient pas dans les mains d’une jeune fille comme vous, normalement dans l’éducation des années 50, ou 60.

Joëlle Losfeld : Ça, c’est tout à fait vrai. C’est vrai qu’il n’y avait pas de clefs aux bibliothèques personnelles de mon père, ni dans la librairie, donc, je prenais ce que je voulais. Je me souviens, très tôt, je pense que j’avais 11 ans, avoir pris un texte d’André-Pierre de Mandiargues, La marée, un très, très beau texte érotique, et en avoir été troublé extraordinairement. Oui, je pouvais tendre le bras et prendre un livre. Mon père n’était pas du tout pédagogue. Donc, il me laissait aller vers des littératures qui n’étaient pas forcément pour moi. Non pas qu’il m’incitait à lire de la littérature érotique, pas du tout. Mais j’avais la possibilité de prendre aussi bien Kafka, qu’autre chose. Ce n’était pas quelqu’un qui m’offrait des livres destinés aux enfants. Évidemment, sinon je serais absolument monstrueuse, j’ai lu Bibliothèque verte, Bibliothèque rose et tutti quanti, mais c’est vrai que j’ai eu, très tôt, accès à des littératures qui n’étaient pas spécialement adressées aux enfants. Je pense que la littérature on peut l’appréhender à n’importe quel âge, et après on la relit et on y appréhende évidemment autre chose. Mais le regard d’un enfant sur un livre, qui n’est pas pour lui, est toujours extrêmement intéressant à la fois dans ses souvenirs à lui, comme formation, et puis ensuite par rapport à des degrés de connaissance et de restitution.

Emmanuel Laurentin : C’est de là que vous vient le goût pour une littérature que vous qualifiez d’inquiétante et d’étrange, ou de l’inquiétante étrangeté d’une certaine littérature que vous publiez aujourd’hui ? C’est-à-dire ce goût justement assez surréaliste du déplacement, du pas de côté, du regard de biais qui d’un seul coup vous rend une actualité, vous rend une société plus étrange qu’elle n’apparaît au premier abord.

Joëlle Losfeld : Oui, moi, j’aime bien les regards singuliers. Donc, effectivement, je privilégie une littérature qui n’est pas forcément fantastique, mais dont j’ai l’impression que l’auteur regarde dans la marge. Regarde de la marge ce qui va se passer au centre, comme un photographe d’une certaine façon qui décale son sujet, ou qui se décale par rapport à son sujet pour tourner autour et pour développer un angle de vue qu’on ne cerne pas forcément au premier abord, mais que la vision même révèle. Moi, j’aime bien ces auteurs-là qui révèlent une partie de la réalité et par cette partie de la réalité finalement tirent le fil rouge qui conduit à une lecture universelle, quasiment, d’un sujet. Voilà ce que j’aime et ce que je privilégie. Alors, effectivement, dans l’inquiétante étrangeté, on trouve formidablement ça. Puisqu’on ne regarde pas la réalité tout au fond, il y a intrusion de l’étrangeté dans le réel. Mais ça m’intéresse, le regard singulier des auteurs m’intéresse.

Emmanuel Laurentin : Alors, cette époque, avait une géographie, aussi. Une géographie particulière qui n’est peut-être plus tout à fait la même. On se souvient, si vous vous souvenez avec nous maintenant, tout de suite, Joëlle Losfeld, de la géographie de l’édition parisienne de votre enfance. Alors, quand on lit les mémoires de votre père, on s’aperçoit que le Royal Saint-Germain y tient un endroit particulier, parce que c’est là où il tient salon, pourrait-on dire, avec des serveurs de café qui lui sont particulièrement sympathiques et qui lui gardent les tables. Il y a évidemment des rues que vous peuplerez ensuite de vos propres maisons d’édition, la rue dans laquelle était le Terrain vague, la rue Férou, aujourd’hui, du côté de Gallimard et autour. C’est quoi cette géographie pour vous ? C’est une géographie qui compte dans l’édition parisienne et souvent, quand on parle de l’histoire de l’édition, il y a toujours une certaine nostalgie du Saint-Germain-des-Prés. Nostalgie d’un certain milieu, d’un certain quartier, petit, mais dans lequel tout le monde se croisait et se retrouvait.

Joëlle Losfeld : Oui, c’est vrai que ça compte parce que d’une certaine façon ça marque l’histoire de la littérature. Je dirais même que ça marque l’histoire des écrivains, des peintres, de toute la culture. Saint-Germain-des-Prés, c’était l’endroit où les auteurs, les peintres - avant il y avait Montparnasse, puis il y a eu Saint-Germain-des-Prés - se retrouvaient, se connaissaient et je pense, sans être nostalgique d’un âge d’or, qu’il y avait des échanges, quels qu’ils soient entre les auteurs, les peintres, etc. Il y avait une espèce de communauté d’esprit, même si tout le monde ne s’entendait pas, qui faisait qu’il était facile de rencontrer des auteurs etc. Je pense que les maisons d’édition se sont mises dans un quartier où il y avait une vie culturelle et intellectuelle…

Emmanuel Laurentin : Pas très loin de la Sorbonne.

Joëlle Losfeld : Pas très loin de la Sorbonne, c’est vrai aussi, des institutions culturelles, mais aussi tout près de ces cafés où l’on rencontrait les gens qu’on voulait rencontrer. C’est vrai qu’il y avait une vie, je dirais, communautaire, ce n’est peut-être pas tout à fait le terme, entre les écrivains - il y a des écrivains qui m’en parlent encore - qui était plus affriolante qu’elle ne l’est maintenant. J’ai l’impression qu’il y a un retrait, une solitude, il y a quelque chose qui n’est pas du simplement à la géographie, qui est du à la mutation financière, économique, qui fait que maintenant les cafés, à Saint-Germain-des-Prés, sont remplacés par des choses à peu près inodores et sans couleurs, que Le Flore ce n’est plus le rendez-vous totalement des écrivains, ni Les Deux Magots, qu’il y a des boutiques de prêt-à-porter qui remplacent de plus en plus les librairies… voilà, des choses comme ça. Mais c’est vrai que c’était important géographiquement. C’est un souvenir en tout cas.

Emmanuel Laurentin : Si justement on file la métaphore de Nadja, puisque vous évoquiez Nadja, cet itinéraire dans ce Paris secret, qui est celui d’André Breton, il y a le même itinéraire pour vous ? Il prendrait quel chemin ? Joëlle Losfeld, dans un Paris secret du VIe, Vearrondissement, il y a un itinéraire comme ça qui vous semblerait relier point par point votre propre itinéraire, dans ce milieu de l’édition ?

Joëlle Losfeld : Oui. Écoutez, moi, ça commence rue du Cherche-midi, c’est une rue que j’aime énormément, qui a beaucoup changée, mais à l’époque, la première maison d’édition, puis l’appartement de mes parents s’y trouvaient. Donc, ça a été une rue où je me revoie y vivre. Vivre dans une espèce de village comme ça, dans la rue du Cherche-midi, où il y avait des antiquaires, des galeries de peintures, des éditeurs, mon père qui était souvent au café. Puis, ensuite je revoie la rue de Verneuil. Et la rue de Verneuil, c’est très curieux parce que là, j’y travaillais, mais il y avait, à côté, une rue qui s’appelle la rue de Lille, qui est toujours là-bas, il y a une photographie dans ma tête parce qu’à cette époque vivaient Max Ernst, Lacan, Juliette Greco et Michel Piccoli, et c’était presque le tableau des surréalistes au Rendez-vous des amis et j’ai cette impression figée, tout d’un coup, de voir tous ces gens aller et venir dans cette rue. Quelque chose que je ne reverrai ne plus jamais bien évidemment, puisque tous ces gens sont morts, mais j’ai eu l’impression de vivre avec une intensité extraordinaire. Et pour moi, puisque j’étais très jeune à l’époque, ça représentait quelque chose de tout à fait magique. De plus je ne les regardais pas simplement, on les rencontrait avec mon père. Donc, il y a cet itinéraire là. Après c’est quelque chose d’important mais ça ne fait plus partie de ma mythologie. Ça fait plutôt partie de mon quotidien d’éditeur et il y a moins de mythologie autour. Mais, voilà, c’est des sentiments extrêmement forts d’endroits où ma rétine a été impressionnée comme un appareil, encore une fois, photographique.

Emmanuel Laurentin : Et en même temps ces rues qui sont toutes proches les unes des autres pouvaient être des frontières entre des groupes littéraires qui n’avait pas grand-chose à voir. Tout près de la rue de Lille il devait y avoir la rue Jacob, Marguerite Duras, Robert Antelme, autre chose qui se déroulait là et ce n’est pas forcément immédiatement ce qui vous vient à l’esprit.

Joëlle Losfeld : Alors là, vous faites bien de rappeler Robert Antelme. Marguerite Duras je l’ai connue moins, mais Robert Antelme je l’ai beaucoup connu. Oui, il fait parti de mon souvenir et un souvenir éblouissant. Parce que Robert Antelme, quand il quittait Gallimard, il passait par la rue Verneuil, souvent, pour venir saluer mon père. Il le connaissait très bien. C’est vrai que d’une part c’était l’auteur de L’espèce humaine, pas que pour moi, mais surtout il avait une humanité extraordinaire. Quand il parlait aux gens dans la rue, il y avait quelque chose de lumineux chez lui, que je n’ai probablement jamais retrouvé chez quelqu’un d’autre. On s’est parlé beaucoup avec Robert Antelme, mais je dirais que je ne parle pas de mythologie quand je parle de Robert Antelme mais de quelqu’un qui m’a permis d’être dans une facilité d’être parce qu’il avait cette disposition d’esprit extraordinairement intelligente.

Emmanuel Laurentin : Alors, vous dites, il venait à la librairie de mon père, pour discuter, pour s’installer, pour dormir, comme Benjamin Perret, c’était une particularité aussi de l’époque, il y en a peut-être encore aujourd’hui, que d’être libraire et éditeur à la fois. C’est-à-dire de vendre ses propres livres, mais aussi les livres des autres et en même temps d’être un lieu de rencontre, de rendez-vous, de passage. Vous insistez beaucoup sur ce terme là, Joëlle Losfeld, et cela effectivement c’est un peu derrière nous. On a un peu abandonné cette idée-là.

Joëlle Losfeld : Oui, c’est vrai, mais mon père, quand il était, - il est d’origine belge - à Lille, il a ouvert une librairie, ça l’intéressait énormément la librairie. Évidemment, quand il est arrivé à Paris, il a fondé sa maison d’édition. Pour lui, il ne pouvait y avoir d’exercice de cette fonction sans librairie. Donc, il a toujours ouvert des librairies et en même temps des maisons d’édition. Donc, il vendait ses propres livres, il vendait les livres des autres puisqu’il y avait des représentants qui passaient.

Emmanuel Laurentin : Il donnait ses propres livres parce que quelquefois, il ne les vendait pas.

Joëlle Losfeld : C’est ce que j’allais dire. Il vendait beaucoup plus les livres des autres que les siens parce que les siens. Je me souviens d’une scène où il a envoyé quelqu’un à la Hune chercher un de ses livres alors qu’il l’avait là mais il n’osait pas dire que c’était lui l’éditeur. C’est vrai qu’il y a une tradition mais il y a Corti qui reste encore dans cette tradition-là, Le Dilettante aussi, mais c’est vrai que c’est une tradition qui s’est perdue. D’abord parce qu’on a toujours l’impression que les éditeurs sont affairés, ne peuvent pas donner du temps aux autres, c’est une réalité en même temps, maintenant on travaille 3 fois plus pour avoir une seule chose, qu’à l’époque j’imagine. Même moi, quand j’ai commencé il y a 18 ans, il suffisait d’un geste pour avoir quelque chose, maintenant il faut travailler avec les libraires, avec les journalistes, etc.

Emmanuel Laurentin : Pourquoi, selon vous, il y a ce changement de nature, du travail d’éditeur ? Aujourd’hui ce que vous faites ne correspond pas exactement à ce que faisait votre père, ou ceux qui travaillaient en même temps que lui à la même époque, ou même vous quand vous étiez auprès de lui, dans les années 70 ? Qu’est-ce qui a changé de nature dans le travail de l’éditeur, et non pas du libraire, dans son rapport aux journalistes, aux libraires, aux critiques, à toute la chaîne de l’édition ?

Joëlle Losfeld : Je ne veux pas dire par là que mon père avait eu une vie dorée, au contraire. Il ne l’a jamais eue.

Emmanuel Laurentin : Même quand il a vendu Emmanuelle, ou Barbarella, il n’a pas su en tirer les bénéfices qu’il aurait pu en tirer s’il avait été meilleur commerçant, pourrait-on dire.

Joëlle Losfeld : Gestionnaire. Moi je constate tout simplement. Il y a deux raisons. Il y a une crise économique qui est là, on ne peut pas l’oublier. Il y a aussi ce que vous disiez tout à l’heure, c’est-à-dire beaucoup de livres. Je vois, par exemple, Christelle Mata, qui s’occupe de la presse, elle multiplie les gestes - bien que nous soyons très bien servis de ce côté-là - pour réinventer un certain monde. C’est vrai que moi j’ai toujours travaillé avec les libraires, mais il faut y aller pour installer physiquement les livres sur les tables. Voilà, c’est tout, c’est parce qu’il y a énormément de production, il y a une crise économique, la durée de vie des livres est de plus en plus réduite. Avant, il y avait faculté de retour des libraires à partir d’un certain temps et jusqu’à un certain temps, maintenant, quasiment tous les libraires peuvent retourner les livres à peu près tout le temps, avec des autorisations de retour, qu’on leur donne. C’est très difficile. Il n’y a pas de longévité sur les livres.

Emmanuel Laurentin : Donc, s’il ne faut pas peindre la période des années 50, 60 et 70 avec des couleurs trop dorées, c’est aussi parce qu’on a peut-être oublié la difficulté qu’a eu votre père, ou des gens comme Pauvert en même temps que lui, vis-à-vis d’autre chose, c’est-à-dire la censure réelle qui conduisait plus souvent qu’à leur tour, ces gens-là, à la XVIIe chambre correctionnelle, là où étaient traitées les questions de mœurs en particulier. Ça, c’est vrai que c’est un grand changement par rapport à votre travail d’aujourd’hui. Même si peut-être, vous allez nous le dire, eh bien il y a tout de même un substitut à cette censure-là. En tout cas, cette censure ouverte pour raison de mœurs n’existe plus exactement comme elle existait dans ces années-là.

Joëlle Losfeld : Non, à cette époque c’était terrible de tomber sous le coup de la censure. Parce que aussi bien Losfeld, que Pauvert, Schaw ( ?), Régine Deforges, un certain nombre d’éditeurs comme ça, qui publiaient des livres aussi bien politiques que légers, comme on dit, - mais vous savez que l’érotisme c’est considéré comme une subversion absolue par rapport au pouvoir, ça l’a toujours été dans tous les siècles – passaient à une commission de censure. Et ce qui était terrible c’est qu’ils devaient tirer leurs livres, c’est-à-dire faire un tirage normal, qu’ils soumettaient à la censure – le livre- et si le livre tombait sous le coup de la censure, il était interdit aux mineurs, à la publicité et à l’affichage. C’est-à-dire que l’on ne pouvait pas faire de publicité sur ces livres-là, on ne pouvait pas le mettre en devanture de vitrine et les - 18 ans, - 21 ans, je ne sais plus, ne pouvaient pas les acheter. Donc, ça condamner un livre à rester dans les entrepôts des éditeurs. Ça, ça n’existe plus. Ça n’existe plus de façon aussi systématique.

Emmanuel Laurentin : Et ça condamnait quelquefois des livres à être carrément détruits jusqu’au dernier exemplaire, pilonnés, et donc disparaître totalement de la surface de la terre et des rayons des bibliothèques.

Joëlle Losfeld : Oui, absolument. Totalement. Alors, il y avait une manière de s’en sortir, c’était de faire ce qu’on appelait la VPC, c’est-à-dire la vente par correspondance. Mais tout cela n’était pas au grand jour, bien évidemment.

Emmanuel Laurentin : Les liasses de billets, votre père raconte qu’il avait des billets en liquide parce qu’évidemment à l’époque on payait avec des billets en liquide, puis de l’autre côté il envoyait les livres. Il fallait quelquefois changer plusieurs fois de bureau de poste pour ne pas être repérer par les postiers. Enfin, il y avait effectivement toute une gymnastique de l’éditeur d’édition en particulier érotique ou considérée comme telle par le pouvoir de l’époque. Et curieusement, il n’y a pas de progrès, disait votre père, dans ses mémoires. Il n’y a pas de progrès parce que la Ve République, qui vient après la IVe semblait moins tolérante que la VIe. Donc, il y a eu un moment de serrage de vis jusqu’au années 70.

Joëlle Losfeld : Oui. Il y a eu un resserrement absolu parce que finalement quand mon père a commencé à faire de l’édition, il faisait de l’édition érotique pour alimenter sa maison d’édition qui était dédiée aux surréalistes. Il le faisait et effectivement ça tombait sous le coup de la loi, mais il le faisait sans mention d’éditeur, sans mention d’imprimeur, etc. comme tous les éditeurs le faisaient à cette époque, mais au moment des années 60, la censure, avec le ministère de l’intérieur ça a été extrêmement sanglant pour tous ces éditeurs. A tel point qu’il n’y avait quasiment plus aucun discernement dans la censure qu’on pouvait avoir dans les livres. Par exemple, c’est vrai que mon père s’est fait interdire un certain nombre de livres érotiques, mais ça allait jusqu’à interdire Benjamin Perret pour un texte qui s’appelait, Les Rouilles encagées, on a interdit à un grand poète surréaliste de sortir son livre.

Emmanuel Laurentin : Un ouvrage qui est effectivement un ouvrage érotique mais pas plus, ni moins que tout autre ouvrage érotique. Et donc, on avait mis de côté le fait qu’il était particulier parce que c’était justement issu de la plume de Benjamin Perret. Alors, si on avance avec vous, Joëlle Losfeld, dans ces années 70, lorsqu’il écrit ses mémoires, ça s’appelle, « Endetté comme une mule ou la passion d’éditer », c’était chez Belfond, à la fin des années 70 juste avant qu’il ne meurt, votre père pointe déjà les gros éditeurs technocrates. Donc, on voit déjà qu’il a perçu une évolution de l’édition qui se concrétisera ensuite dans les années 80. C’est quoi exactement cette évolution de l’édition ? C’est la concentration ? L’arrivée de personnes, dans les maisons d’édition, qui ne sont pas forcément des amoureux de livres, mais qui sont amoureux des livres comme on pourrait l’être d’autres types de produits, Joëlle Losfeld ?

Joëlle Losfeld : Oui, c’est vrai qu’il avait senti ça. Il le dit à la fin de ses mémoires, mais il me l’avait dit. Il disait : « Je ne sais plus comment faire de l’édition maintenant ». Parce qu’il sentait bien qu’il y avait une pression des groupes qui n’était pas encore tout à fait installée, comme elle l’a été dans les années 80. Mais sa perception des choses était quand même assez juste. Dans les années 80, on installe à la tête des maisons d’édition, ou des grands groupes, des gens qui ne viennent pas de l’édition, au prétexte qu’il n’y a pas de raison que les livres ne soient pas « marketés » comme des produits en vente dans les supermarchés etc. Donc, on installe des gens qui doivent appliquer aux métiers du livre, aux métiers d’éditeurs des règles qui sont édictées pour d’autres produits, des produits qu’on appelle de première nécessité. Alors, il y a une concentration de ces maisons qui absorbent, mais il y avait déjà Hachette qui absorbait, on l’appelait La pieuvre, mais surtout le traitement du livre est fait par ces gens qui font du marketing autour du livre. On s’aperçoit après, bien après, que ça ne marche pas. On ne peut pas « marketer » des livres comme on « markete » des boîtes de petits pois.

Emmanuel Laurentin : Ah ! Ça ne marche pas. Chez certains ça marche. Bernard Fixot, ou d’autres ça marche.

Joëlle Losfeld : Bernard Fixot a une autre façon de faire. Ce n’est pas forcément ma tasse de thé mais je dois dire que lui applique une règle qui lui est particulière. Ce n’est pas du marketing droit et direct. D’abord c’est quelqu’un issu de l’édition, Bernard Fixot, donc il sait ce que c’est que le livre. Alors, il applique d’autres règles qui sont proches du marketing certes mais avec des livres qu’il fait faire quasiment sur-mesure.

Emmanuel Laurentin : A priori un grand directeur de journal du XIXe siècle qui quand il éditait les grands auteurs que vous aimez bien, des feuilletonistes du XIXe, comme Ponson du Terrail, ne procédait pas de manière différente que Bernard Fixot, c’est ce que vous voulez dire ? C’est-à-dire qu’il connaissait ses lecteurs, il avait une idée de ce qu’ils souhaitaient, il avait une idée du type de rebondissement qu’il fallait à chacun des épisodes pour que les lecteurs achètent le journal le lendemain, ou la semaine d’après suivante. C’était un peu la même façon de faire selon vous ?

Joëlle Losfeld : Je ne sais pas si c’était la même façon de faire, mais c’est vrai qu’il tablait sur une habitude des Français, et autres, à aimer les feuilletons parce que ça fidélisait d’une certaine façon les lecteurs au journal. Et jusqu’aux années 50, moi je crois qu’on a vu des feuilletons, et même après, parce que ça fidélisait. C’est tombé en désuétude, mais je crois que oui, Fixot fait la même chose. C’est-à-dire qu’il sait, il a quand même une intelligence de ce métier, il a quelques paramètres dans la tête, il sait, par exemple, qu’on ne raconte pas l’Égypte chez lui de la même manière que chez un historien qui fait un travail tout à fait sérieux, je dirais. Mais, ça plaît d’une certaine façon. On peut se tromper mais il a choisi une voie. Je ne dis pas que c’est un modèle, je dis qu’il est loin de ces directeurs qui sont à la tête de maisons d’édition et qui appliquent des règles qui ne sont pas faites pour les livres. Et ça, c’est encore un métier qui échappe à toute rationalité quand même, même si ça devient de plus en plus « marketé » de tous les côtes et souvent j’entends des amis qui sont dans les grands groupes dire : C’est malheureux mais le marketing passe avant le travail éditorial. Moi, je crois, que là, on a été un peu court-circuité par tous ces gens qui venaient et qui ont cru appliquer des règles qui n’ont pas marché à vrai dire. Enfin, qui n’ont pas marché, qui ont marché de temps en temps.

Emmanuel Laurentin : Alors, vous aviez choisi, on l’a dit, de ne pas aller directement dans ce milieu de l’édition. Vous étiez partie sur un autre chemin, celui du cinéma. Vous y revenez, à la mort de votre père, pour aider votre mère en particulier à gérer les éditions du Terrain vague. Votre père disait, à propos de son propre travail « On considère qu’un bon éditeur à Paris, pour être un bon éditeur, il faut s’être cassé la gueule au moins une fois ». Ça vous est déjà arrivé, Joëlle Losfeld ?

Joëlle Losfeld : Je ne me suis cassée vraiment la gueule, c’était un hasard de circonstances en fait. Je me suis cassée non pas la gueule, mais je suis partie de cette maison d’édition qu’avait créée mon père parce qu’on s’était associé avec quelqu’un et au bout de 6 ans, je ne me suis pas du tout entendu avec lui, donc j’ai décidé que finalement la meilleure chose à faire pour rendre hommage à la fois à mon père, mais aussi pour faire mon travail et ne plus marcher dans les traces de quelqu’un ce qui, à mon avis, est toujours un peu compliqué, surtout dans ce milieu là, et bien je devais fonder ma propre maison d’édition, en m’impliquant totalement, c’est-à-dire en choisissant mon nom.

Emmanuel Laurentin : Les éditions, Joëlle Losfeld.

Joëlle Losfeld : Voilà. Mon prénom puisque le nom existait avant. Après, j’ai été indépendante pendant très longtemps et je tenais, mais j’ai cédé à un moment donné aux champs des sirènes pour aller dans une maison dans laquelle je ne suis restée que pendant 8 mois, Payot & Rivage, avec ma marque et où on me promettait une diffusion un peu plus large et surtout la possibilité de commercialiser mes livres un peu mieux, les faire connaître, d’avoir toute la synergie que pouvait procurer un groupe un peu plus gros à taille humaine, avec des gens que j’aimais beaucoup, dont François Guérif, qui reste un ami extraordinaire, avec lequel j’avais dirigé une collection qui s’appelait, Bibliothèque de l’insolite, au Terrain Vague,…

Emmanuel Laurentin : Dans laquelle on peut trouver, par exemple, les romans de Robin Cook.

Joëlle Losfeld : Par exemple.

Emmanuel Laurentin : ( ?) décédé à la fin des années 80, dont Vices privés et vertus publiques, que j’ai sous les yeux.

Joëlle Losfeld : Finalement, cette façon de faire m’a conduite de maison d’édition en maison d’édition. J’ai repris ma marque, comme un escargot reprend sa coquille, je ne sais pas s’il la perd d’ailleurs. Donc, j’ai transbahuté ma maison à l’intérieur de groupe.

Emmanuel Laurentin : Tout en restant Joëlle Losfeld, à chaque fois.

Joëlle Losfeld : C’était une condition sine qua non puisque je n’ai jamais vendu ma marque. Avoir une liberté éditoriale, et si on me voulait, il fallait me prendre avec cette liberté éditoriale et ce nom.

Emmanuel Laurentin : En atterrissant désormais au sein du groupe Gallimard, alors ironie de l’histoire, quand on relit les mémoires de votre père, on se souvient que Gaston Gallimard avait piqué un Ionesco à votre père, en édition c’était La Cantatrice chauve en particulier, Les chaises et un autre texte de théâtre qu’avait édité votre père, et il s’était mis en colère dans le bureau de Gaston Gallimard et Gaston Gallimard lui avait répondu : « Mon cher Monsieur, si nous devions nous occuper de tous les petits éditeurs qui gravitent autour de nous et qui fatalement se casseront la figure, je serais obligé de créer un service spécial et je n’en ai pas les moyens. » Maintenant, vous vous retrouvez au sein de cette même maison. Vous dites : « conserver toujours ma ligne, la façon que j’ai de travailler, la vision que j’ai de ce travail », donc forgée par cette histoire mais en même temps détachée de l’histoire de votre père, de l’édition de votre père, en créant votre itinéraire personnel. C’est ça qui était important ? C’est-à-dire qu’on peut dire, c’est un bouquin de chez Joëlle Losfeld, aujourd’hui, depuis 18 ans que vous travaillez sur ces livres et ces collections ?

Joëlle Losfeld : En tout cas depuis la création de ma maison qui ne date pas de 18 ans mais de 15 ans, 12 ou 13 ans, je l’ai créée en 91. Oui, c’est ça que j’ai cherché à faire. Effectivement, si on avait un compliment à me faire ce serait de dire, qu’il y a une cohérence et une marque de fabrique dans le catalogue.

Emmanuel Laurentin : La cohérence, ça peut-être les œuvres complètes d’Albert Cossery, par exemple ?

Joëlle Losfeld : Disons, que la cohérence c’est déjà les œuvres complètes. J’aime bien avoir un auteur et continuer à faire ses œuvres.

Emmanuel Laurentin : Vous êtes très proche de François Guérif, que vous évoquiez, qui disait : « Moi, même les petites notes de Jim Thomson m’intéressent, parce que ça rentre dans l’œuvre de Jim Thomson, j’aime ça. »

Joëlle Losfeld : Oui, tout à fait. Oui, oui, absolument. François et moi, partageons, en grande partie, notre conception de l’édition. Indépendamment du métier, c’est quelque chose qui nous rassemble. C’est vrai que moi, je trouve très important de ne pas publier qu’un seul livre. Ça ne m’intéresse pas véritablement. Ça m’est arrivé. Ce que j’aime, c’est rassembler une œuvre d’un auteur et comprendre son évolution, dans son œuvre, et puis le faire figurer dans mon catalogue. J’ai un attachement quasi viscéral. Je n’aime pas les œuvres dispersées, même s’il y en a beaucoup. Mon seul amour de l’ordre sera celui-là : rassembler les volumes d’un auteur dans mon catalogue.

Emmanuel Laurentin : C’est un ordre passionnel, ou passionné.

Joëlle Losfeld : Oui, c’est un ordre totalement passionnel, parce que l’ordre, en fait ne m’intéresse pas tellement quand il n’est pas passionné. Donc, ma marque de fabrique, c’est ça, c’est les œuvres complètes. C’est trouver les auteurs, malgré leurs modes de narration, de temps en temps, différents, mais pouvoir tirer un fil rouge de l’un à l’autre et en tout cas qu’aucun auteur ne se contredise sur les étagères de ma maison d’édition.

Emmanuel Laurentin : Pourtant, ils sont peut-être surpris. Vous travaillez beaucoup en littérature anglo-saxonne, on sait que les Américains en particulier sont quelquefois surpris de voir dans quel type de collection on les classe. Ils ne s’imaginent pas lorsqu’ils écrivent, pour une maison d’édition américaine, qu’ils se retrouvent quelquefois dans des séries noires, policières. Vous, vous y voyez de la cohérence et vous leur donnez de la cohérence les uns par rapport aux autres, Joëlle Losfeld ?

Joëlle Losfeld : C’est pour ça que je n’ai pas créé de collections. Je mentionne, de temps en temps, qu’il s’agit d’un polar pour qu’à la fois dans les librairies que cela soit classer dans la littérature générale et en polar, mais je n’ai pas voulu faire de collections parce que pour moi, la littérature, c’est la littérature. Il n’y a pas de sous genres. De plus, je publie 15 inédits par an, il n’y a donc pas de quoi faire des collections à l’intérieur, ce serait un travail très morcelé. J’aime savoir qu’un auteur de polar puisse s’inscrire dans le catalogue, par la façon dont écrit son histoire, à côté de Cossery ou de Janet Frame,… qu’il y ait une inspiration qui la rassemble en tout cas. C’est peut-être le fruit de ma propre perception, puisque je réclame le droit à la subjectivité, mais j’ai l’impression que c’est ça qui m’intéresse.

Emmanuel Laurentin : Il y a une particularité, aussi, que j’ai trouvée dans un entretien que vous aviez donné, il y a quelques temps, vous considériez positivement les agents littéraires. Tout compte fait, la question des agents littéraires qui est souvent mise sur le tapis, on dit : les agents littéraires demandent de trop gros à valoir pour leur auteurs, ils sont là pour pouvoir imposer, donner, disons, leurs conditions à l’éditeur, qu’ils sont en train de changer, profondément, le milieu de l’édition… Vous n’êtes pas de celles ou de ceux qui considèrent qu’à tous les coups c’est le cas. Il peut y avoir peut y avoir des affinités avec tel ou tel agent qui font qu’il vous amènera le bon texte, au bon moment, parce qu’il vous connaît bien et qu’il peut y avoir la même relation amicale et fraternelle qu’il peut y avoir entre un éditeur, ou une éditrice et son auteur ?

Joëlle Losfeld : Oui, j’ai eu la chance, effectivement, quand j’ai débuté ce métier de rencontrer des agents, au moins deux, Marie Cligne ( ?) de la Novelle Agence et Boris Hoffman qui ont considéré mon travail comme un travail intéressant et qui m’ont toujours suivi en me donnant des livres qui n’était pas des livres qu’ils donnaient à tout le monde. Ils ont une connaissance parfaite de mon catalogue. C’est en ça que j’aime les agents, parce que je crois que les agents c’est aussi des gens qui peuvent faire un travail para éditorial, et c’est comme ça que je les aime d’ailleurs. Je dois dire que rien ne m’insupporte plus que de recevoir des livres qui n’ont pas grand à voir avec ma maison d’édition.

Emmanuel Laurentin : La mythologie du livre arrive par la poste, ça ne vous va pas trop en tant qu’éditrice.

Joëlle Losfeld : Si.

Emmanuel Laurentin : Vous le considérez bien mais celui qui envoi 10 exemplaires du même livre à 10 maison d’édition, celui-là vous paraît un peu étrange tout de même. Ça veut dire qu’il n’a pas vraiment ciblé, il ne connaît pas votre travail, il n’est pas proche de vous et il envoi au petit bonheur a chance en espérant que ça pousse.

Joëlle Losfeld : Qu’il envoi 10 exemplaires à 10 maisons d’édition, il a raison de tenter sa chance avec 10 maisons d’édition mais qu’il m’envoie un livre qui n’a strictement rien à voir avec ma maison d’édition que ça m’énerve. Par la poste, c’est pareil. Moi, ce que je conseille toujours aux auteurs c’est de regarder dans les librairies ce que font les maisons d’édition. Ça coûte cher d’envoyer des manuscrits. Ça prend du temps, etc., etc. Je parle pour les auteurs, comme pour les éditeurs. Donc, cibler c’est toujours plus intéressant. Après, on est pris ou on n’est pas pris, on prend ou on ne prend pas, mais comme ça. Je considère que les agents ont un rôle à jouer et que ce n’est pas si mal que ça. Maintenant, vous savez, moi, je ne joue pas dans la cour des grands. Je ne suis jamais autour d’une table où il y a des enchères. Je peux avoir une appréhension de ce travail plus sereine. Je dirais que la course à l’auteur qui se vend le plus, je n’ai jamais eu Da Vinci Code dans mes mains, par exemple.

Emmanuel Laurentin : Vous n’avez pas eu Les Bienveillantes, non plus.

Joëlle Losfeld : Les Bienveillantes, non plus.

Emmanuel Laurentin : Effectivement, ce genre de surprises arrivent par surcroît, Joëlle Losfeld. Par exemple, Effroyables jardins, de Michel Quint, ça n’est pas attendu. Petit livre dont on ne sait que faire, quand on a sa propre maison d’édition, 60 ; 70 pages, je ne sais plus combien ça faisait.

Joëlle Losfeld : 64 pages.

Emmanuel Laurentin : 64 pages, on ne sait pas dans quelle collection le mettre, on ne sait pas où le mettre dans sa maison d’édition, et puis ça fait 200 000 exemplaires au minimum.

Joëlle Losfeld : Minimum.

Emmanuel Laurentin : Minimum, donc, c’est plus que ça ?

Joëlle Losfeld : Bien sûr.

Emmanuel Laurentin : On voit bien que quelquefois, il y a la surprise, la bonne surprise qui arrive et qui non pas redonne le goût de l’édition, vous l’avez toujours eue, mais redonne les possibilités financières à votre maison de continuer à éditer.

Joëlle Losfeld : Oui, ça, c’est vrai que ça ne remet pas la passion en cause, mais ça donne du tonus quand même. C’est extraordinaire. Maintenant, quand on arrive à vendre, je crois, plus de 50 000 exemplaires on se demande pourquoi, si vous voulez. C’est un questionnement auquel on ne peut pas répondre. Donc, c’est comme un conte de fée, on va dire comme ça. Mais, je dois dire que Effroyables jardins c’est aussi le fruit d’un travail qui a été fait avant avec cet auteur. Quand je vous parle d’œuvre complète, il y a chez moi le désir, bien évidemment, de provoquer, à un moment donné, un bouillonnement autour d’un auteur et de faire en sorte que le succès arrive pour cet auteur. Plus on le voit, plus il est soutenu par sa maison d’édition, malgré, de temps en temps, des auteurs qui ne se vendent pas, comme Michel Quint qui ne se vendait pas du tout, quasiment pas, eh bien voilà, il y a une bonne surprise qui arrive. C’est vrai que c’était un ouvrage atypique par rapport à ce qu’il faisait. C’était difficile, je n’avais pas de collection. J’ai créée Arcanes, une collection de semi poche à la fois pour Albert Cossery et pour lui, et pour ce texte là que je voulais publier, puis voilà, démarrage extraordinaire, fulgurant. Mais je dirais aussi que Dominique Mainard a été quelqu’un, dans ma vie d’éditeur, dont j’ai publié un certain nombre de textes qui ne se vendaient pas vraiment puis tout d’un coup arrive, en 2002, Leur histoire qui tout d’un coup a le Prix Fnac du premier roman, se tourne ne film, on en vend 40 000 exemplaires, voilà, c’est extraordinaire.

Emmanuel Laurentin : Une construction lente, puis, puisqu’on a évoqué certains des personnages, des maillons de cette chaîne de l’édition avec vous, Joëlle Losfeld, il y a aussi des surprises. Par exemple, on s’aperçoit que des personnages qui ne sont pas connus du public qui va acheter un livre, les représentants. Ça compte énormément les représentants. C’est-à-dire qui si Effroyables jardins a eu autant de succès, dites vous, c’est parce que j’ai été enthousiaste devant les représentants. Alors, les représentants ce sont ces personnes qui vont ensuite placer dans les librairies, auprès des libraires, les livres en disant : celui-là, il va bien se vendre, ou il est intéressant,… On va voir la chaleur de l’approche personnelle et ce moment est un moment fondamental dans la chaîne de l’édition. Il faut à un moment, une fois qu’on a édité, transmettre à quelqu’un l’envie de le vendre.

Joëlle Losfeld : Tout à fait. Je dois dire que là aussi, j’ai une fidélité aux représentants qui me soutiennent, que je connais depuis des années et des années, c’est le CDE, et je dois dire que là, il y a toujours, malgré tout le fait que je les connaisse et qu’eux connaissent bien ma production, il y a un enjeu. Ça les étonne toujours quand je leur dis que j’ai le trac, quand j’arrive. Mais le trac, ce n’est pas de parler devant 15 personnes, parce que ça, je l’ai perdu, c’est de savoir que je suis la première personne à parler à des personnes qui vont aller de librairie en librairie défendre mon livre. Et ça, c’est un enjeu exceptionnel, c’est-à-dire que si vous ratez votre coup...

Emmanuel Laurentin : C’est un show, un petit show.

Joëlle Losfeld : C’est vrai que ce n’est as facile. D’abord parce que les représentants entendent tous les programmes, de toutes les maisons d’édition, mais ce n’est pas facile de tirer un angle, etc. Alors, souvent on essaye de faire rire pour que ce ne soit pas une grande messe désincarnée mais c’est enjeu majeure. Effroyables jardins j’ai y mis beaucoup de chaleur parce qu’à vrai ce n’est pas tellement moi, c’est les représentants qui m’ont dit ça, que j’y avais mis une chaleur qu’ils ont perçue. Alors, je mets toujours beaucoup de chaleur, mais il avait un avantage certain ce livre. Il faisait 64 pages, et donner des épreuves et les faire lire aux libraires c’est plus simple que de faire lire un livre de 500 pages parce qu’on n’a pas toujours le temps.

Emmanuel Laurentin : Gallimard n’a pas pu faire cela pour Les Bienveillantes, pourtant ça lui a plutôt réussi.

Joëlle Losfeld : Je crois qu’il a fait ça, quand même.

Emmanuel Laurentin : On s’approche de la fin de notre entretien, Joëlle Losfeld, on a évoqué votre itinéraire personnel et on a évoqué un tout petit peu ces changements profonds du métier d’éditeur aujourd’hui. Est-ce que vous êtes d’accord avec la polémique qui a surgi avec le livre de Schiffrin, L’édition sans éditeurs ? Vous pensez qu’on est vraiment au cœur de ce cyclone là ? C’est-à-dire qu’en gros, aujourd’hui, les éditeurs sont des marginaux au sein du milieu de l’édition.

Joëlle Losfeld : Je partage absolument. Justement, Schiffrin, j’étais avec lui, il y a 2 ans, au Salon du livre, on était sur la terrasse de Télérama, je crois, ou quelque chose comme ça, et on regardait les maisons d’édition, le paysages géographiques des maisons d’édition, il me disait : c’est presque pire qu’aux Etats-Unis. Tous ces groupes constitués en monopoles qui allaient changer, on le savait bien, dans un 1 an, ou 2 ans et qui vont encore changer. Oui, je suis d’accord. Le titre, L’édition sans éditeurs, je suis absolument d’accord. Je crois que les éditeurs, et heureusement ils existent, sont quand même des personnages qui sont de temps en temps à la périphérie du métier d’éditeur, malheureusement. Je le crois vraiment. Mais je pense, parce que je suis quand même quelqu’un de très optimiste…

Emmanuel Laurentin : Oui, on le sent, volontariste et optimiste.

Joëlle Losfeld : Volontariste, il le faut, c’est ce côté-là que j’ai découvert chez moi. Je suis quand même quelqu’un de très volontaire mais plutôt optimiste parce que je crois que de toute façon s’il ne restait pas du tout d’éditeurs, on n’aurait pas des livres formidables comme il en sort chaque année. Il faut qu’il y ait des éditeurs qui court-circuitent la parole des commerciaux et des marketeurs, je ne sais pas comment on dît, qui disent : Mais, non, ce livre-là ne va pas se vendre. Tant qu’on offre la part belle au hasard, on aura la chance de faire des succès, et de faire de très beaux livres.

Emmanuel Laurentin : Demain nous évoquerons la loi Lang, c’est aussi une des raisons pour lesquelles nous avons choisi de faire cette semaine. Le maintien d’un tissu, un peu partout, de libraires qui presque par anticonformisme conformiste, décident de mettre en avant plutôt les livres de Joëlle Losfeld, d’Alia, d’éditeurs comme Le Temps qu’il fait, que les livres des grandes maisons d’édition, avec cette volonté, dans beaucoup de régions de France, d’avoir à chaque fois le petit livre bien édité qu’on mettra en vitrine pour justement défendre cette édition indépendante et les petits éditeurs.

Joëlle Losfeld : C’est aussi, quand vous citez tous ces libraires, un travail que tous les éditeurs, que vous avez cité, avec qui je travaille beaucoup, je fais des tournées, travaillent beaucoup avec les libraires. Nous sommes, nous, petits éditeurs et eux libraires indépendants des garants. Si la loi Lang disparaissait, nous disparaîtrons aussi. La disparition des éditeurs ça sera consécutif à la disparition de la loi Lang. La loi Lang nous protège absolument contre un monopole qui pourrait s’installer et qui ferrait qu’on pourrait vendre à n’importe quel prix tous les livres et nous serions perdants. Je crois que les libraires ont compris, enfin, que certains éditeurs n’étaient pas leurs ennemis, et certains éditeurs ont compris que les libraires n’étaient pas leurs ennemis mais leurs partenaires.

Emmanuel Laurentin : Merci, Joëlle Losfeld, d’avoir accepté d’ouvrir cette semaine consacrée, en ce tout début d’année, à la question de l’histoire de l’édition en balayant une cinquantaine d’années au pas de course, pourrait-on dire, partant de votre géographie personnelle jusqu’à cette géographie devenue mondiale maintenant, de ce milieu de l’édition. Merci encore.

Joëlle Losfeld : Merci à vous.



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