Un compartiment du RER, quelque part en banlieue, un matin comme les autres.
- Oh Pierre, tu as l’air bizarre ce matin…
- J’ai fait un drôle de rêve…
- Eh bien raconte, on a le temps, on n’est pas arrivé.
- Ben voilà. Je me levais, la tête dans le coaltar…
- Ça, c’est pas du rêve, t’es vraiment comme ça tous les matins !
- C’est bon, arrête. Je mettais machinalement la radio et là une sorte de flash spécial : « Bienvenue aux auditeurs qui nous rejoignent. Je vous rappelle la principale information de cette Matinale : nous avons appris il y a une heure le décès du Général O. à l’hôpital militaire de M. des suites du traumatisme crânien dont il a été victime hier soir. Dominique pouvez-vous nous en dire davantage sur ce que certains vont appeler un malheureux concours de circonstances et d’autre une lâche agression. Oui Thomas, rappelons d’abord en quelques mots qui était le Général O. Né juste avant l’Armistice de 1918, il est élève officier juste après la défaite de 1940. Deux dates, deux symboles. Toute sa brillante carrière se fera dans l’armée et dans les services secrets. On se rappelle surtout son irruption dans les médias en 2000 quand il reconnaît et justifie l’usage de la torture pendant la Guerre d’Algérie. »
Après il y avait la lecture d’un communiqué de l’Élysée, les phrases habituelles, l’hommage à son caractère et à son style mais après il y avait une phrase « la condamnation des méthodes des lâches qui l’ont harcelé »
- Bizarre
- Attends tu vas comprendre après.
- Bon allez, la suite, tu m’intrigues.
- Le correspondant en Alsace racontait ce qui s’était passé après les élections municipales. Beaucoup de municipalités du canton de Sélestat avait changé de bord dont celle où habitait le Général O. Changement d’équipe, çà O. il s’en foutait. Le journaliste en a profité pour rappeler le nombre de fois où la guillotine a fonctionné pendant que Mitterrand était au gouvernement.
- C’est quoi alors le harcèlement ?
- La municipalité avait changé le nom de la rue où habitait le Général O. : le Général O. habitait désormais la rue Maurice Audin, tu sais du nom de ce jeune mathématicien arrêté, torturé et « disparu »
- Oui en 57 à Alger, j’ai vu le film sur la Chaine Parlementaire il n’y a pas longtemps
- Non seulement les plaques de rue avaient été changées mais un grand panneau avait été planté pas loin de chez le Général avec une photo de Maurice Audin et le texte « Il y a 19 mille et quelques jours que Maurice Audin a disparu. Nous ne l’oublions pas » Et chaque matin un employé de la mairie venait mettre à jour le décompte des jours.
- Même s’il était borgne ton Général, il ne devait pas apprécié, c’est sûr. Mais de là à en mourir. Tu parlais de traumatisme crânien.
- J’y viens. La veille la municipalité faisait installer un éclairage sur le panneau. Et c’est en se précipitant vers les gars que le Général a glissé sur une merde de chien et qu’il est tombé sur le bord du trottoir. Pas de bousculades donc
- Je voudrais pas être à la place du propriétaire du chien, il va y avoir une sacrée enquête !
- Sûr.
- Et après ?
- Ben le réveil a sonné. Fin du rêve. J’aurais bien voulu savoir si le Général O. exclu de la Légion d’honneur comme Papon allait être enterré avec sa Légion d’honneur comme Papon.
- Nous on arrive. Allez, viens.
En même temps qu’eux leur voisin se lève et s’adresse à Pierre :
« Excusez-moi Monsieur. Je suis né en Algérie en 1955 et je n’ai pas connu mon père : il est mort sous la torture pendant la Bataille d’Alger. Je n’ai pas pu faire autrement que vous écouter raconter votre rêve. S’il vous-plait, ne dites pas « J’ai fait un rêve » mais dites comme Martin Luther King « I have a dream » »
Il y a jours que Maurice Audin a été "disparu".Nous ne l’oublions pas