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Jean Zay, ministre du cinéma (Film, 2015)

Transcription, par Taos AÏT SI SLIMANE du film « Jean Zay, ministre du cinéma »

La conservation du style oral pour les transcriptions de ce site permet de rester au plus près des dits des locuteurs, et de ne risquer aucune interprétation. Évitez les copier-coller, vous aurez plus de chance de profiter d’un document de meilleure qualité en faisant un lien, sachant que j’apporte des corrections à chaque lecture ou sur propositions d’autres lecteurs, voire des intervenants, quand ils font des corrections, des ajouts, etc.

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Présentation du film sous la vidéo YouTube de Ciné-Histoire : Un film de Francis Gendron et Alain Tyr en collaboration avec Alain Braun.

Peu de ministres auront laissé autant de traces en héritage que Jean Zay ministre à 31 ans.

Dans le domaine scolaire : prolongation de la scolarité jusqu’à 14 ans ; introduction de la médecine scolaire, sport obligatoire à l’école, et activités dirigées, qui ouvrent l’école vers l’extérieur. Lorsque la guerre est déclarée, trois projets de lois étaient déposés au Sénat :
 réforme de l’enseignement des 1° et 2ème degré
 création de l’ENA afin d’assurer un recrutement démocratique des fonctionnaires
 loi sur les droits d’auteur et d’édition.

Jean Zay a facilité un grand nombre de créations dont les plus marquantes sont celles du CNRS, du Palais de la découverte, du Musée d’art moderne, du Musée de ’l’homme, et d’autres encore ! Il a initié la création du festival de Cannes pour répondre à la Mostra de Venise de l’Italie fasciste, mais la déclaration de guerre en a empêché la première édition en septembre 1939. Cet homme, passionné de cinéma, dont il croyait à la valeur pédagogique pour l’école, a organisé toutes les dispositions concernant la distribution du cinéma en France.

Le film de Francis Gendron et Alain Tyr en collaboration avec Alain Braun est centré sur le rôle éminent que Jean Zay a joué dans le domaine du cinéma. « Jean Zay ministre du cinéma » (2015 1h20) est un film que Ciné Histoire vous montre dans son intégralité grâce à l’accord de ses auteurs. Résistant de longue date aux régimes totalitaires, engagé volontaire en 1939, il veut continuer la guerre en Afrique du Nord, et part sur le Massilia en juin 1940, avec d’autres parlementaires dont son ami Pierre Mendès France.

On connaît la suite : arrêté et jugé lors d’un procès inique le 4 octobre 1940, condamné à la déportation à perpétuité et à la dégradation militaire (comme le capitaine Dreyfus). La déportation n’a pas lieu du fait des combats, et il est incarcéré pendant trois ans, avant d’être assassiné par la milice en juin 1944. Son corps n’est retrouvé qu’en 1946, et identifié en 1948 ! Jean Cassou parle de lui comme « ministre de l’intelligence » !

« C’est un grand malheur pour le pays tout entier qu’il ait été sacrifié, à l’autel de la libération.
… Il aurait été l’un des meilleurs, l’un des animateurs d’une génération qui en a trop été privé.
… Ceux qui l’ont assassiné, ont porté un coup non seulement à ceux qui l’ont aimé, mais au pays tout entier »
Pierre Mendès France, extrait d’enregistrement sonore (1982)

UN JEUNE TURC

MINISTRE DE L’ÉDUCATION ET DES BEAUX-ARTS

En octobre 1929, le crash boursier survenu à New-York touche de plein fouet l’économie américaine. Plus tard, l’Europe va connaître à son tour une récession brutale.

En France, les prix s’effondrent, les ventes se tarissent, les stocks s’accumulent et le chômage s’accroît. Une dépression brutale s’installe et nourri des affrontements politiques et sociaux. Le vieux Parti Radical-Socialiste, présidé par Édouard Herriot, s’enlise et perd son identité dans des gouvernements de centre gauche et centre droit.

« Nous sommes les Républicains Radicaux, Patriotes et pacifistes, tous ensemble … » Édouard Herriot, président du Parti Radical-Socialiste

Voix Off : Sur sa gauche se crée un mouvement qui entend rénover le radicalisme, dont la doctrine nécessite d’indispensables adaptations.

Pierre Mendès France : Nous accepterons tous les sacrifices pénibles qui nous seront demandés, à la condition qu’ils s’inscrivent dans un cadre de réorganisation économique et de justice sociale.

Voix Off : De nouveaux cadres commencent à faire bouger les lignes du Parti. Une jeune génération se détache, composé de : Pierre Cot, Jean Zay et Pierre Mendès-France. Ces trois jeunes hommes ont un objectif précis que leur Parti rejoigne le mouvement populaire qui se construit. Le plus talentueux semble être Jean Zay. Né d’un père de culture juive, républicain, élevé dans la religion protestante par sa mère, Jean Zay est né à Orléans, le 6 août 1904. Devenu bachelier, il entame des études de droit, puis il rejoint, comme journaliste, son père Léon Zay, directeur du Progrès du Loiret. Il est initié à franc-maçonnerie au Grand Orient de France en 1926, à la loge Étienne Dolet, dont le supplice sur la place Maubert à Paris, suivi de son exécution pour crime d’hérésie et d’athéisme en 1546 n’a cessé de l’émouvoir. Élu députée radicale du Loiret, le 8 mai 1932, il rejoint le mouvement des « Jeunes Turcs », qui se situe à gauche du parti radical.

La crise en France profite aux ligues d’extrême droite antiparlementaire. Le 6 février 1934, elles descendent par milliers dans la rue et manifestent devant la chambre des députés. Les émeutes dureront toute la nuit, elles causeront des dizaines de morts. Cette manifestation sanglante des antiparlementaires et des factieux, alerte toute la gauche républicaine.

Léon Blum, au milieu d’une manifestation : « Ils ne passeront pas ! La réaction ne passera pas ! Vive la République des travailleurs ! Vive la Liberté ! Vive l’unité prolétarienne sans laquelle aucune victoire n’est possible ! Vive le peuple ouvrier ! »

Acclamations des manifestants : Bravo !

Voix Off : Cette volonté unitaire des partis de gauche va donner lieu le 14 juillet 1935 à la plus grande manifestation politique et sociale de l’histoire de France. Ce jour-là va naître le Rassemblement populaire, composé de partis de gauche, de syndicats ouvriers, de groupements et d’associations. Tous font le serment de rester unis. Cette date restera gravée dans la mémoire de Jean Zay, comme une source d’inspiration majeure. Il gardera un souvenir ému de la photo montage où il figure sur la couverture de la brochure du comité national du Rassemblement populaire.

Au sein du peuple en action sur le parcours symbolique Bastille-Nation lui est parvenue la conscience d’une alliance nouvelle entre le tiers état et la classe ouvrière. Il constate la capacité qu’ont les forces qui composent le peuple à imposer l’unité et à veiller au respect du serment. Sa position unitaire au sein de son organisation va le propulser rapporteur général au 32ème congrès du Parti Radical-Socialiste, tenu à Paris en octobre 1935.

Dans sa célèbre intervention « Où va la République ? », il commence son allocution par : « La République est entrée, chacun le sent, dans une période décisive de son histoire. L’heure est venue pour elle de se réformer ou de disparaître. Le plus timide des citoyens sait bien que son époque est devenue révolutionnaire. »

Jean Zay : « Le Parti Radical, qui reste fidèle à ses doctrines et à ses traditions, mais qui se tourne résolument vers les jeunes générations et qui les invite à travailler avec lui pour perfectionner la République »

Voix Off : En juin 1936, remarqué par le vieux chef socialiste, Léon Blum, Jean Zay devient, à 32 ans, le plus jeune ministre de la Troisième République. Responsable de l’Éducation et des Beaux-Arts, il s’engage entièrement dans la réalisation de réformes radicales.

Dès les premiers moments du gouvernement du Front populaire, Jean Zay ne tarde pas à amorcer une double révolution culturelle, destinée à construire une véritable citoyenneté, susceptible d’exprimer un sens critique, un rapport à la beauté dans le cadre passionné de la raison et de la liberté. Cette vision, il ne cessera jamais de la développer au sein des différents domaines de son ministère. En août 1936 il obtient le vote de la loi prolongeant l’obligation scolaire de 13 à 14 ans. Il conçoit cette prolongation d’études comme une nouvelle possibilité, pour les enfants d’ouvriers et de paysans, de compenser leurs retards scolaires éventuels.

« C’est l’effort très simple d’une nation qui doit prendre par la main ce petit écolier en galoche et en capuchon, qui s’en va sur la route de nos villages ou de nos villes, et le conduire sur les bancs de l’école primaire jusqu’au Certificat d’études, qui deviendra la base obligatoire et indispensable de tout accès aux diverses branches du second degré, où il choisira sa voie, non au hasard des sollicitudes attentives mais souvent mal informées des parents, mais d’après des renseignements précis, pris dès l’entrée de l’école, et qui laisseront subsister d’ailleurs la liberté des parents jusqu’aux études supérieures, qui le conduiront soit vers l’enseignement technique, soit vers l’usine ou vers l’atelier. » Jean Zay

Voix Off : Jean Zay crée des passerelles entre les différents cycles du système éducatif afin de permettre une meilleure orientation et coordination des élèves. Pour le Ministre de l’Éducation et des Beaux-Arts la formation initiale lui apparaît comme une préparation à la vie. L’organisation du système scolaire doit s’efforcer de réduire la reproduction des catégories sociales. Le projet éducatif doit s’imposer au cœur de la culture et de la citoyenneté. À plusieurs reprises il propose aux enseignants d’introduire le cinéma et la radio à l’école, en accordant à ces deux médias de nouveaux moyens pédagogiques. Sa conception de l’action politique n’entre pas dans les batailles politiciennes, chaque projet est pensé comme un élément d’un tout, dont il a une vision globale.

Hélène et Catherine, filles de Jean Zay : Il a rencontré des conservatrices qui font – on pourrait prendre beaucoup d’exemples - des tentatives pour bloquer les projets, ce à quoi, dans d’autres domaines, par exemple dans le domaine de l’Éducation, il a contourné cet obstacle-là, qui l’a empêché finalement de faire aboutir une loi, par l’expérimentation. Pour certaines réformes qu’il a voulu faire passer, qui ne passaient pas, ça coinçait au Sénat, qui était particulièrement conservateur, eh bien, on le fait passer par expérimentation. C’est comme ça qu’il va imposer, malgré la résistance politique du réel, les réformes qu’il souhaite.

Jean Zay : « Je vous étonnerai bien, si je vous disais qu’après trois ans, je n’ai pas rencontré parfois de ces réformateurs découragés, qui n’aiment les réformes qu’on en parlant toujours, sans jamais les réaliser, sans jamais courir le risque d’une réalisation. On finit par se dire, aux premiers coups reçus, qu’il est plus reposant et plus sûr, surtout dans une maison où tout marche naturellement bien, de rester paisiblement assis, à donner des signatures sans s’exposer aux mauvais traitements de ceux pour lesquels l’inertie résume toutes les doctrines. »

Voix Off : Pour son projet de réforme de l’éducation, Jean Zay ne cesse de chercher partout des soutiens, de l’Union rationaliste à Célestin Freinet, pédagogue novateur. Avec son ami Léo Lagrange, Sous-secrétaire d’État, il développe le sport de l’école élémentaire à l’université, en instituant un brevet sportif.

À Versailles, lors du 150ème anniversaire de la Révolution française, il rappelle la responsabilité des démocraties face aux dangers de la montée d’un pouvoir autoritaire.

Jean Zay : C’est se faire une aussi grande illusion, qu’espérer obliger au travail les masses laborieuses auxquelles on retirerait les avantages sociaux qu’elles ont conquis. Au surplus, si les démocraties n’avaient à offrir aux travailleurs de l’usine et des champs qu’un idéal de sacrifices et de renoncements, qu’elles ne s’étonnent pas, si un jour les masses ralliaient ces régimes qui ont su abattre les taudis et construire des maisons neuves, multiplier les terrains je jeux, les camps de vacances à la montagne à la mer, bâtir des cliniques, des hôpitaux et des maternités, où le prix de la journée n’est pas comme à Paris de 40 francs par jours.

Voix Off : Au château de Blérancourt, il célèbre l’amitié franco-américaine avant son départ pour les États-Unis. « L’Amérique et la France sentent en ce moment, avec un profond sentiment de gravité, que leur union ne vaut pas seulement par elle-même, elle vaut aussi, et peut-être surtout, parce qu’elle est un gage de la paix universelle. », Jean Zay

Journaliste : C’est d’abord du Normandie, mes chers auditeurs, que nous sommes actuellement. Monsieur Jean Zay, Ministre de l’Éducation nationale, veut bien vous faire part, à ce micro, de ses impressions de voyage aux États-Unis : « Je viens d’effectuer une admirable de traversée. J’ai répondu à l’honneur qui m’était fait par l’Université Columbia, dans ses cités de verdure, où j’ai eu le plaisir de rencontrer une jeunesse ardente, pleine dynamique et pleine d’optimisme. J’ai vu New-York, dont le spectacle pathétique c’est celui d’un monde en pleine ardeur et en plein mouvement. Monsieur le président Roosevelt m’a fait l’honneur de me recevoir à Washington. J’ai visité là-bas les musées et les bibliothèques, comme les gratte-ciel et les piscines. Notre coopération intellectuelle, que je m’attacherai dans la mesure de mon rôle à développer encore, est le gage d’un intérêt commun, et elle est je pense, très supérieure à tous les intérêts personnels, ou matériels mêmes légitimes. Elle sert la cause même de la civilisation. », Jean Zay

Voix off : Lors de sa visite en URSS, à l’occasion du Congrès universel du théâtre à Moscou, il assiste à plusieurs spectacles et visite une dizaine de théâtres, dont le célèbre théâtre Vakhtangov. Il rencontre des personnalités politiques, y compris son homologue Andreï Sergueïevitch. Jean Zay s’oblige à parcourir d’autres pays, de culture sociale et économique différente, pour les questionner.

Journaliste : Le navire qui amène Monsieur Jean Zay, Ministre de l’Éducation nationale, a fait son entrée dans le port d’Alexandrie. Sur le quai, une foule nombreuse attend le Ministre français, qui est reçu par Mohammed Husseini Pacha …

Voix off : Il approfondit ses connaissances au cœur de l’Égypte, terre antique et terre d’Islam, voyage au cours duquel il découvre les tombeaux des pharaons et la Vallée des Rois. Il se conforte dans l’idée qu’aucun monde nouveau ne peut naître sans partir à la conquête de son passé.

En 1938, il fait adopter son projet d’École nationale d’administration, l’ENA, et créé le Comité supérieur des œuvres sociales, l’origine du CROUS, ouvert à tous les étudiants. Il déjoue la crise à Comédie-Française en réussissant la réorganisation des théâtres lyriques nationaux.

Durant son action gouvernementale, Jean Zay rend également hommage aux grands maîtres : à Paul Cézanne, en compagnie de George Huisman, directeur des Beaux-Arts, à Claude Debussy, à Maurice Ravel, et a lancé au cours de ces cérémonies le principe d’une grande saison d’art musical, un Salzbourg à la française.

Denis Bourriaud, Directeur de l’école nationale des Beaux-Arts de Paris, historien de l’art : Jean Zay a été un visionnaire, qui a été aussi puissamment servi par la réunion, lors de son premier mandat ministériel, de l’Enseignement, de l’Éducation nationale et des Beaux-Arts. Grâce à la réunion de ces éléments, qui peuvent paraître aujourd’hui assez incongru, en tout cas c’est devenu assez inhabituel, Jean Zay va pouvoir mener une action, qui est vraiment une action de fondateur, de constructeur. C’est ça qui qui est extrêmement frappant. Il n’y a pas de logique autre que celle de la construction.

Au cours de l’Exposition des arts et techniques de 1937, il inaugure le Palais de la Découverte, et l’année suivante le Musée de l’homme, musée laboratoire dédié à l’Homme dans toutes ses dimensions : historiques, scientifiques, culturelles et artistiques. Pendant l’exposition internationale, Jean Zay, inscrit l’art dans l’espace public, et lance 900 commandes destinées à la décoration des palais de la République.

Denis Bourriaud, Directeur de l’école nationale des Beaux-Arts de Paris, historien de l’art : Ce qui a été frappant, autour de l’Exposition universelle de 1987, c’est justement la floraison des commandes publiques, qui les commandes passées à des artistes, dont reste comme œuvre phare de cette vague de commandes publiques, la Fée Électricité de Dufy, qui est encore aujourd’hui au Musée d’Art Moderne de la ville de Paris.

L’ensemble de ses commandes témoigne d’une vraie sensibilité et on sent que Jean Zay et bien entouré. On voit bien là que se dessine aussi une politique. Ce n’est effectivement pas par le soutien d’une seule tendance de la peinture à l’époque, mais la volonté de d’embrasser la totalité des nuances et des styles de l’époque.

La question, c’est est ce que le marché privé est la seule et unique commanditaire de l’art ou pas ?

Voix Off : Malgré de nombreux désaccords politiques portant notamment sur la non-intervention en Espagne et sur la signature des accords de Munich, Jean Zay ne démissionnera d’aucun des six gouvernements qui se succéderont de 1936 à 1939. Il veut avant tout poursuivre une œuvre.

Denis Guthleben, Attaché scientifique du Comité histoire du CNRS : On a souvent de la peine à faire le lien entre Jean Zay et la création du CNRS, puisqu’il ne porte pas sa signature, simplement le terrain a été préparé pendant de longues années, les éléments les plus déterminants se sont mis en place à partir de 1936 et jusqu’en 1939, vraiment sous son ministère. Le lien n’est pas forcément écrit entre Jean Zay le CNRS, il n’est pas signé, il ne porte pas sur le décret, en même temps il est évident, on ne peut pas le conteste, il est vraiment incontestable ce lien.

Voix Off : Jean Zay donne la responsabilité officielle à la Cinémathèque française de mettre à l’abri le plus grand nombre d’œuvres cinématographiques, afin de les porter à la connaissance et à l’étude de l’évolution du film.

En 1926 Bernard Natan en compagnie de Paul Painlevé, ministre de la guerre et ancien président du conseil, réceptionnent les professionnels du cinéma pour l’inauguration du studio Montmartre à Paris. Bernard Natan actuel directeur du studio et ses invités se félicitent de cette création. Tous envisagent le futur du cinéma avec confiance, pourtant un gouffre va séparer le cinéma des années 20 de celui des années 30. Les films sonores vont brutalement remplacer le cinéma muet.

En France, producteurs, réalisateurs, acteurs, exploitants et critique ne prennent pas le cinéma sonore naissant au sérieux, ils prolongent la production de films muets. Des résistances venues de l’avant garde artistique apportent de l’espérance à ceux qui pensent que tout n’est pas encore joué pour l’avènement du cinéma sonore. Cette avant-garde réalise et théorise le cinéma muet qui seule permet de maintenir un flux d’images plastiques pour dire le monde. En vérité, l’industrie du cinéma muet est à l’agonie.

En 1927, les frères Warner portent un coup fatal au cinéma muet, avec le procédé d’enregistrement sonore Vitaphone. Ils ont déjà réussi en 1926 à employer cette technique pour le film Don Juan, mais leur vraie nouveauté s’affirme au monde entier dans Le chanteur de jazz. Le héros du film, Al Jolson, chante, mais surtout il parle. Les quelques minutes de dialogue assurent un succès mondial au chanteur de jazz. C’est le triomphe sans appel du cinéma parlant et sonore. Cette fois, l’Amérique prend réellement de l’avance, la France est prise au dépourvu. En Europe, seule la firme allemande Tobis film relève le défi sous le nom de Tobis KLANGFILM. Elle propose un procédé compatible avec le Movietone et le Photophone, deux autres systèmes américains. Une bataille industrielle oppose alors l’Amérique et d’Allemagne dans l’industrie du cinéma.

Extrait parlant d’un film publicitaire avec Laurel & Hardy : Que faits-vous ici ? / nous regardons les étoiles de la Metro-Goldwyn-Mayer / Oui, mais ce que vous regardiez là-dedans, n’est pas du tout fait pour vous. C’est réservé à nos amis de l’Europe et d’Afrique. Regardez, les amis. (zoom sur la lunette ...) Nous apercevons les studios de la Metro-Goldwyn-Mayer, c’est ici que Ben-Hur a été réalisé, ainsi que Trader Torm, David Copperfield, La veuve joyeuse, Grand Hotel … et c’est ici qu’on rencontre les séduisantes personnalités de l’écran : Norma Shearer en Juliette, Joan Crawford, Clark Gable, Greta Garbo …

Voix Off : En 1929, la Tobis pénètre brutalement en France. C’est elle qui assure l’équipement sonore du Studio Éclair. Cette société allemande va produire sous le nom de film sonore Tobis le film Le requin en 1929, puis Sous les toits de Paris de René Clair, le premier grand succès du cinéma sonore en France.

L’avènement du cinéma parlant semble paralyser la firme Pathé. Bernard Natan, patron de Rapid Film et du Studio Francoeur, réagi dans cette période. Il veut redonner espoir à la firme. Il devient membre du Conseil et Administrateur délégué au cours du mois de juillet 1929. Le 26 mai 1930, Charles Pathé démissionne de sa responsabilité d’administrateur pour des raisons de santé ne lui permettant plus d’assurer ses fonctions. Rapidement, Bernard Natan va impulser de nouveaux défis. Il produit le premier journal d’actualités sonore et décide d’acheter le procédé américain de sonorisation, le standard RCA, pour les studios Francoeur et de Joinville. Il se lance dans la production de films parlants et chantants, sonorise et moderniste tout son réseau de salles de projection, une cinquantaine en France, et créé deux nouvelles salles prestigieuses comme le Marignan sur les Champs-Élysées et le Pathé Palace à Lyon. L’ambition de Bernard Natan, développer son entreprise commune major américaine, exige des capitaux considérables.

Peu à peu il perd le contrôle de la gestion de la firme et se retrouve acculé à composer avec des financiers douteux. Son développement à l’international l’amène à composer avec le cinéma allemand et coproduire plusieurs films. Les plus souvent en deux versions, française et allemande, et parfois même en trois ou quatre versions.

L’avènement du cinéma parlant pose également des problèmes sur le plan artistique. L’angoisse saisi les acteurs et les actrices, toutes et tous doivent subir un examen de passage devant l’ingénieur du son. Les plus grandes stars du muet vont disparaître des écrans, dont Ivan Mosjoukine, gloire du Studio Albatros, situé à Montreuil en région parisienne. Le retard du cinéma français dans le passage difficile du muet au parlant et d’autres raisons comme le crash boursier de 1929 vont mettre de nombreuses sociétés françaises en danger. En 1933, sur 228 sociétés, 50 se retrouvent en faillite. En 1934, le nombre grimpe à 88. La firme Gaumont-Franco-Film-Aubert (GFFA) déposera le bilan au mois de juillet. Plus catastrophique encore, la puissante société Pathé-Natan dépose à son tour le bilan en 1936.

Bernard Natan après avoir été l’objet de reconnaissance multiples comme bienfaiteur de Pathé et de l’industrie du cinéma français se retrouve livré à une opinion publique chauffée à blanc par une presse d’extrême droite antisémite.

Journaliste : Devant le tribunal de Paris se déroule le professionnel du Juif Natan, qui s’appelle en réalité Bernard Tanenzaph …

Voix Off : Couvert d’injures, cet homme sera livré à la justice en 1938. Condamné à la prison, il sera déporté dans le camp d’extermination à Auschwitz où il mourra en 1942.

Les failles des deux empires du cinéma français, Pathé et Gaumont, et de plusieurs dizaines de sociétés de production, mettent en péril toute l’industrie du cinéma français.

Francis Gendron, acteur : Il faut savoir qu’en 1934, il y a eu lieu sur les Champs-Élysées une manifestation regroupant à peu près tous les secteurs d’industrie, toutes les professions : réalisateurs, techniciens …

Journaliste : Les membres du cinéma français parcourent les Champs-Élysées en une grande manifestation pacifique, dans le but d’attirer l’attention des pouvoirs publics sur la situation difficile qui leur est faite …

Francis Gendron, acteur : Jean Zay est passionné de cinéma. Il est jeune député à ce moment-là, il essaye de comprendre pourquoi les pouvoirs publics sont sans réaction par rapport à cette manifestation, par rapport à la crise du cinéma. Il est devenu Ministre de l’Éducation nationale et des Beaux-Arts, et, lui, tout de suite, il va introduire le cinéma dans ses prérogatives. Il va lire des rapports de toutes sortes, et notamment le rapport de Carmoy, qui est adopté par le Conseil économique national, mais surtout il va se rapprocher des instances patronales et salariales. Et, avec deux hommes en particulier Roger Weil-Lorach et Georges Lourau, il va faire en sorte qu’ils comprennent que l’état va intervenir dans le cinéma.

Voix Off : Il les informe qu’il prépare un projet de réorganisation du cinéma, qu’il décrit comme une industrie vitale pour la France et pour sa renommée à l’étranger.

En Allemagne, à la mort du président von Hindenburg, Hitler concentre les pouvoirs de chancelier et de président du troisième Reich. L’axe Berlin-Rome se met en place. La volonté de domination de l’Allemagne et de l’Italie se fait sentir dans toute l’Europe, et s’exerce dans la plupart des activités économiques, y compris dans l’industrie du cinéma, arme de propagande. Mussolini inaugure la Cinecittà, la cité du cinéma, et crée, en collaboration avec l’Allemagne, le Festival international, la Mostra de Venise.

Journaliste : Dans la banlieue de Rome, une ville de l’industrie cinématographique a été édifiée en quelques mois. Le Duce qui préside l’inauguration est accueilli par son fils, Victor Mussolini, chargé de la direction générale du Hollywood italien. Monsieur Mussolini assiste à une prise de vue cinématographique.

Voix Off : Joseph Goebbels, Ministre de la propagande, lui aussi prend en charge le cinéma, qu’il considère comme un outil idéologique essentiel du troisième Reich. Il investit le studio de Babelsberg et dote l’industrie cinématographique allemande de moyens financiers considérables. Il affecte au cinéma allemand des missions précises. C’est ainsi qu’il va demander à la UFA, à la Tobis et à la CA d’accélérer la stratégie de développement du cinéma allemand dans le cinéma français. Il exige des producteurs allemands d’amplifier la pratique des doubles versions soit à Berlin soit à Paris. En 1935 lors du congrès international du film à Berlin, Goebbels place la race comme élément au-dessus de toute autres considérations. Il reprend le slogan du régime nazi : « les problèmes allemands que nous avons à résoudre dans le domaine artistique sont essentiellement dominés par la nécessité de la lutte nationale, que nous livrons pour l’honneur et la sauvegarde du sang allemand ».

Francis Gendron, acteur : Assez rapidement, deux œuvres vont participer au développement de l’idéologie nazie : Le jeune hitlérien de Steinhoff, qui invite la jeunesse à participer au combat pour la renaissance de l’Allemagne et Le triomphe de la volonté de Leni Riefenstahl. La réalisatrice montre l’organisation du Parti nazi en 1934, l’organisation de son congrès. Elle montre avec un talent assez extraordinaire le rapport de la foule en liesse acclamant son führer.

Voix off : Pour sa valeurs patriotique, politique et artistique, Goebbels lui décerne le prix national du film, et à la Biennale de Venise, Le triomphe de la volonté reçoit également le premier prix dans la catégorie documentaire.

Francis Gendron, acteur : Au-delà de la crise économique du cinéma français, Jean Zay se retrouve devant le cinéma allemand et le cinéma italien, qui font du septième art une arme de propagande absolue.

Voix off : Ce film fut projeté au cours de l’Exposition internationale de Paris en 1937.

Journalsie : Mlle Leni Riefenstahl, chargée d’une mission officielle, visite l’exposition. La vedette du cinéma allemand veut bien répondre aux questions du reporter de Pathé journal. Leni Riefenstahl : Les gens ne comprennent pas pourquoi le film des Olympiades ne sort pas. Mais nous avons tourné 400 000 mètres de pellicule. Le travail est très dur, mais je suis heureuse de la tâche qui m’incombe …

Voix off : Leni Riefenstahl obtiendra la coupe Volpi du meilleur film documentaire, lors du festival de Venise 1938, pour son film Les dieux du stade. Le triomphe du film à la Mostra de Venise conduira Jean Zay à ne plus engager officiellement la France dans ce festival.

Voix off : Sous l’impulsion du député de l’Yonne Jean-Michel Renaitour, le groupe interparlementaire de défense du cinéma français est créée en 1936. Quelques semaines avant de commencer leurs travaux, plusieurs visites de studios sont organisées à leur intention.

Journaliste : Le groupe de défense du cinéma de la Chambre des députés et du Sénat visite les studios Pathé, Mr Renaitour prend la parole : Les groupes de défense du cinéma de la Chambre des députés et du Sénat viennent de visiter les magnifiques Studios Pathé. Ils ont voulu signifier par là tout l’intérêt que le parlement porte aux cinématographes. Le cinéma en effet n’est pas seulement l’utile distraction pour une nation, il est aussi un utile moyen de propagande à l’étranger. Enfin, il peut façonner la mentalité de la jeunesse. Pour ces raisons nous pensons qu’il est nécessaire chaque jour davantage de favoriser son essor. Aux États-Unis, il est la seconde des grandes industries nationales. Il n’y a pas de valable motif pour qu’en France on ne puisse pas réaliser à Joinville d’aussi beaux films qu’à Hollywood.

Voix off : Le 16 décembre 1936 à 15 heures, le groupe commence son enquête sur le cinéma en France. Plus de 200 parlementaires, députés et sénateurs, vont inviter les personnalités artistiques du 7ème art et vont auditionner professionnels, experts et conseillers d’État, au cours de quatorze séances. Tous les grands secteurs de l’industrie cinématographique seront entendus : les industries techniques, la production, la distribution et des exploitants, mais également les représentants des syndicats, des salariés, réalisateur, vedettes de cinéma, le président de la Ligue de l’enseignement, et plusieurs critiques. Déclarations, interventions débats nourrissent des travaux du groupe de défense du cinéma au cours de la quatrième séance du 3 février 1937. Le président du groupe, Jean-Michel Renaitour, donne la parole à Jean Zay : « […] On m’a souvent demandé quelles étaient les causes du marasme du cinéma français, les raisons pour lesquelles cette industrie est dans un état si regrettable. Je les rappelle brièvement, parce que certaines comportent dans leurs simples indications des remèdes. Je crois que ces difficultés sont dues d’abord à la complexité très particulière des problèmes qui sont soulevés dans ce domaine, puisque les préoccupations scientifiques, artistiques, commerciales, financières sont entremêlées. Il s’agit là d’un domaine dans lequel les progrès de la technique ont été véritablement foudroyants, que l’existence du cinéma, malgré les mérites des maisons ou des artistes qui s’en sont occupés s’est développé dans une certaine incohérence, au milieu d’une indifférence totale, ou à peu près totale des pouvoirs publics ; que d’autre part il s’agit d’un art jeunes, dont la croissance a été extrêmement rapide, qu’en raison de la dispersion des efforts un certain nombre de gens étaient conduits,- et je ne leur reproche pas, c’est humain - à chercher avant tout dans les entreprises ou dans les films qu’ils montaient le bénéfice immédiat, et qu’en dehors de quelques cas d’hommes particulièrement qualifiés, l’industrie du cinéma a vu arriver à elle un certain nombre de bonnes volontés parfaitement d’incompétentes et inexpérimentées. Il n’y a plus guère que deux grandes sociétés qui font du cinéma français, quant au nombre des sociétés en faillites et des pertes qu’elles représentent, il a été en 1935 de 52 sociétés et de 65 en 1936, correspondant à une perte totale de 10 millions en 1935 et de 22 millions en 1936, compte tenu il est vrai de la situation particulière de la maison Pathé. Je crois que dans ces conditions, il n’est personne qui ne reconnaisse que les principes du libéralisme pur et simple, total et le désintéressement absolu de l’État en face d’un problème aussi capital, puisse se poursuivre, et qu’il ne soit nécessaire pour lui de prendre des responsabilités. Je pense pourtant que l’État doit laisser à l’industrie cinématographique, notamment pour des raisons d’ordre artistique, l’indépendance et la liberté nécessaires, et que des formules de tutelle, que personne ne demande d’ailleurs, pourraient être redoutables. […] »

Voix off : C’est au cours du dernier trimestre de l’année 1936 que Jean Zay poursuit et approfondi sa réflexion sur la réorganisation du cinéma.
Hélène et Catherine, les filles de Jean Zay : Il adorait le cinéma. Notre mère nous racontait que quand il avait un petit moment dans son emploi du temps, très serré de ministres, il avait un ministère énorme (Éducation nationale, Beaux-Arts, Jeunesse sport, Enseignement supérieur, Recherche), il lui téléphonait : Prépare-toi, on va au cinéma Parfois, il pouvait enchaîner en effet deux trois films dans la même soirée. Et même chose pour le théâtre. Ça compte énormément, je crois, dans la motivation qu’il a pu avoir d’aider le cinéma, de faire en sorte que ses conditions en face à un art à part entière.

Voix off : IL prépare l’écriture d’un projet de loi. Il s’inspire notamment des rapports de Maurice Petsche, de Guy de Carmoy.

Philippe d’Hugues, historien du cinéma – spécialistes des années 1930 : Dans le rapport Petsche et dans le rapport de Carmoy, surtout dans le rapport de Carmoy, il y a un côté corporatiste, mais qu’est-ce qu’une corporation sinon une profession qui s’organise, en vue d’un meilleur fonctionnement. Dans le corporatisme, il y a du bon et du moins bon. Ça, c’était le bon côté de la chose, cela a permis en effet de d’évacuer du milieu des éléments douteux, ou plus que douteux.

Voix off : : Le conseil des ministres du 2 octobre 1937, à Rambouillet, approuve le projet Jean Zay portant sur le statut du cinéma. Cette approbation du gouvernement permet à Jean Zay de prendre en charge véritablement la responsabilité du cinéma, et ainsi impliqué la puissance publique. Au cours de cette séance, Jean Zay avait annoncé : « Le désintéressement absolu de l’état et les taxes qui mettent justement son industrie en grand danger doivent cesser. » À l’issue du Conseil des ministres, il réaffirmera devant la presse le contenu de l’allocution qu’il avait prononcée devant le groupe de défense du cinéma : « Il est à mon sens indispensable de centraliser les attributions cinématographiques qui se trouvent disséminées entre une quantité de ministères. On ne s’étonnera pas si je dis qu’il y a un ministère qui me paraît tout naturellement désigné pour être le ministère du cinéma, c’est le Ministère de l’Éducation nationale. C’est le seul d’ailleurs qui doive de façon plus complète, centraliser tout ce qui est la vie intellectuelle française, et le seul qui ait les moyens de le faire, puisqu’il est le seul qui ait des contacts constants avec le monde des artistes et l’activité intellectuelle. »

Quelques jours plus tard, la revue Ciné France titre : « Cinéma dirigé plutôt que cinéma et étatisé », le rédacteur poursuit : « il s’agit d’un ensemble très souple ou les initiatives privées joueront librement et de façon moins anarchique qui hier »

Hormis les exploitants du cinéma, la plupart des milieux professionnels sont favorables au projet de loi du ministre. Toutefois, un entretien avec Jean Zay, publié par le journal L’Intransigeant, vient troubler ce consensus. « Il faut épurer le cinéma français », titre la Une du quotidien.

Philippe d’Hugues, historien du cinéma –spécialistes des années 1930 : Il y avait chez la part des gens qui préparaient la réforme avec Jean Zay - Jean Zay lui-même, il l’a écrit- , un souci de moralisation de la profession, qui paraissait indispensable à tout le monde.

Voix off : Jean Zay se justifie en déclarant : « Mon désir est uniquement de doter le cinéma français d’un statut assurant sa propreté matérielle et morale ». En réponse, le directeur de la revue La cinématographie française, Paul-Auguste Harlé titre : « Que cache ce bobard ? » Si ce dernier reconnaît que le cinéma français naît, vit et meurt dans la misère commerciale, il se satisfait de l’apport des banques anglaises, « dans les 100 millions d’argent frais prêté par les banques de Londres, on a fait 60 films » a-t-il écrit.

Francis Gendron, acteur : Pour Jean Zay le cinéma français doit rester indépendant, sur le plan artistique bien sûr, mais également sur le plan financier. En aucun cas il ne peut se satisfaire de l’apport trop influent des banques anglaises.

Voix off : À vrai dire, cette polémique avec la revue corporatiste La cinématographie française reste isolée. Tous les secteurs de l’industrie du cinéma sont fortement mobilisés en 1937 pour organiser le congrès international du film qui se tient à Paris

Francis Gendron, acteur : Et Jean Zay va tout faire pour que le Congrès international du film soit intégré dans l’organisation de l’Exposition internationale des arts et techniques de 1937.

Voix off : Il y encourage également la construction de plus de 40 salles de cinéma.

Francis Gendron, acteur : Le cinéma est un miroir actif de la modernisation de la société française. C’est pour ça qu’il veut insérer, intégrer le cinéma au cœur de son action.

Voix off : Le pavillon Photo-Ciné-Phono, inauguré en grande pompe quelques mois auparavant par Charles Delac, président de la Fédération internationale des producteurs de films, sera le pavillon le plus visité de l’exposition.

Journaliste : Monsieur Labbé, Commissaire général de l’exposition, pose lui-même la première pierre de ce pavillon.

Charles Delac : Le pavillon Photo-Ciné-Phono, ces trois petits mots si grands de sens vont dans quelques mois étinceler en lettres de feu au fronton du palais qui dressera ici même son élégante silhouette.

Voix off : Voulons apporter du prestige au congrès international du film, Jean Zay propose au responsable de l’organisation, Georges Lourau, d’accueillir l’inauguration de cette manifestation au Havre le 6 juillet. Ce jour-là, dans le grand salon du paquebot le Normandie, gloire de l’industrie française, il prononce un discours d’accueil très applaudi par les congressistes venus du monde entier. Le lendemain, il fera en sorte que les chefs de délégations étrangères soient reçus par le Président de la République, Albert Lebrun. Dans son discours de clôture, Georges Lourau, analysant les nouvelles responsabilités du cinéma français proposera un redéploiement de son action à l’étranger.

Tout au long de l’Exposition internationale autour de la tour Eiffel, une dizaine de pavillons, dont ceux de l’Allemagne et de l’URSS, diffusent chaque jour des films de long métrage. Les grands galas auxquels les nations veulent donner un éclat particulier ont lieu dans la grande salle de 1000 places du palais du cinéma, dont les décors ont été réalisés par l’architecte Mallet-Stevens. Une plus petite salle de cinéma, à la demande de Jean Zay, a été installé au premier étage du grand palais. Cette salle est attribuée, par roulement, à des sections des meilleurs documentaires concernant les thèmes sur l’astronomie, la déformation de l’image et les effets spéciaux des accélérés, les mathématiques, la quatrième dimension, et bien d’autres. Les cinéastes Jean Painlevé, et le Dr Comandon, seront vivement remerciés par Jean Zay pour leur aide et la programmation des films.
C’est au cours de ces projections, où s’affrontent pacifiquement les grandes nations cinématographiques, que Jean Zay met en réflexion l’idée d’organiser chaque année de grands rendez-vous internationaux autour de l’industrie et de l’art cinématographique.

Georges Lourau : Je souhaite que les pouvoirs publics comprennent un jour que le cinéma est une grande industrie qui méritent qu’on l’écoute.

Voix off : À partir du dernier trimestre de l’année 1937, les propositions de Jean Zay ont pénétré des différents milieux professionnels. Duc côté patronal, la Confédération du cinéma, dont Georges Lourau est le porte-parole, organise un dîner le 12 juillet 1938, présidée par Jean Zay. Au cours de ce dîner, les nouvelles difficultés de la profession sont exposées : amortissement laborieux de la production des films, financement onéreux faute de crédits adaptés, marché réduit, censure française et étrangère, taxes à la production des industries étrangères pour la pellicule négative, le Ministre assure qu’il tiendra compte de toutes ces difficultés, et informe Georges Lourau qu’il a confié à son ami, avocat à la Cour, Monsieur Valabrègue, les bases officiel du projet de loi sur le statut du cinéma. Le projet pour la réorganisation du secteur de la production repose sur trois grands axes : état civile du film ; assainissement de la production ; réorganisation du crédit cinématographique.

Philippe d’Hugues, historien du cinéma –spécialistes des années 1930 : Il y a eu tout de même aussi une volonté d’accélérer les choses, parce que les metteurs-en-scène s’il n’a plus de producteurs sont les premières victimes, ils ne font plus de films, ils sont réduits au chômage, donc de grands professionnels, comme Marcel L’Herbier, Berthomieu, Léon Poirier, et quelques autres ont exercé dépressions certaines sur les pouvoirs publics, pour faire avancer le projet plus rapidement. Mais, il faut bien voir que leurs interventions sont restées longtemps sans résultats.

Voix off : Du côté du salariat, toutes les organisations syndicales des ouvriers et techniciens et réalisateurs, des auteurs, acteurs, musiciens, projectionniste se regroupent et adhèrent à la fédération nationale du spectacle CGT. Jean Renoir, adhérents au syndicat des techniciens, sera rejoint par de nombreux réalisateurs. Il se souvient du soutien de Jean Zay lors de la création de la coopérative, lancée par la CGT, destinée à la production de son film La marseillaise.

Jean Renoir : « Nous avons pensé demander aux futurs spectateurs de nous avancer une somme de 2 Fr. Contre cette somme de 2 Fr ces futurs spectateurs toucheront un billet, et ce billet voudra 2 francs. Journaliste : Mais vous êtes en accord, je crois, à ce sujet-là avec le gouvernement. Jean Renoir : « Écoutez, nous avons eu la joie de trouver chez Monsieur Jean Zay, Ministre de l’Éducation nationale, un appui magnifique. D’ailleurs, Monsieur Jean Zay nous fera l’honneur, le 12 du mois prochain, d’exploser lui-même le point de vue du gouvernement à ce sujet. »

Voix off : Deux tendances se font jour à l’intérieur de la Fédération nationale du spectacle : l’une dirigée par Robert Jarville, Secrétaire général du syndicat des travailleurs de l’industrie du film, l’autre est incarnée par Francis Cébron, Secrétaire général de la fédération du spectacle. Robert Jarville fidèle à la rigueur révolutionnaire propose de nationaliser la totalité des activités cinématographiques, en désaccord avec le Ministre des Beaux-Arts, qui en aucun cas n’entend supprimer l’initiative privée. Francis Cébron quant à lui rejoint Jean Zay en approuvant, entre autres, le principe d’un contrôle sur la billetterie, pour assainir le secteur de l’exploitation.

Philippe d’Hugues, historien du cinéma –spécialistes des années 1930 : Il ne faut pas croire que l’accueil au projet de Jean Zay ait fait l’unanimité. De toute façon, dès qu’il est question de réformer le cinéma, on est sûr de faire des mécontents.

Voix off : En 1938, Jean Zay pense pouvoir dire que les différents ministres en charge signeront le projet de statuts du cinéma, dès que le Président de la République l’aura signé.

Francis Gendron, acteur : Peu à peu le projet de loi Jean Zay bat est victime de multiples tactiques, purement politiciennes, toutes sont destinées à rejeter le projet Jean Zay dans les limbes indéfiniment.

Voix off : Georges Bonnet, signera à Paris en décembre 1938, sans l’avis du Gouvernement, un accord de collaboration scandaleux avec son homologue allemand von Ribbentrop. Ces divergences au sein du Gouvernement sur la question du statut du cinéma sont aggravées par l’augmentation de la taxe locale sur le billet d’entrée de 15 %, décidée par le Conseil municipal de Paris.

Georges Hirsch, Conseiller municipal de Paris : Je me suis élevé contre la taxe sur les cinémas parce que connaissant les impôts qui pèsent déjà sur cette industrie trop visée, nous avons pensé que le cinéma français était en péril, et que nous défendions avec lui les intérêts du personnel et ceux du public.

Voix off : Suite à cette nouvelle taxe, les exploitants refuseront de projeter les actualités filmées dans lesquelles sont présents des personnages politiques favorables aux multiples taxes.

Jean Zay : « Je pense, et vous penserez avec moi, que si des mesures de détaxe d’allégement pouvait être envisagées pour le cinéma, il conviendrait de lier des facilités nouvelles à un contrôle attentif du film de qualité. Il faut donc lier, à mon sens, ces facilités fiscales extrêmement souhaitables à la nécessité de protéger, grâce à elles, le film de qualité. »

Voix off : Le projet de loi du cinéma n’étant toujours pas déposé au Parlement, une impatience surgi dans les milieux intellectuels et artistiques. Un manifeste, signé notamment par Jean Painlevé, réalisateur de films scientifiques, et Georges Auric, compositeur musical, proteste contre les atermoiements du Gouvernement. La CGT réunifiée ajoute qu’elle organisera une manifestation de masse, si le Gouvernement continue à retarder son aide au cinéma.

Francis Gendron, acteur : Face aux difficultés que le projet rencontre, Jean Zay va se décider à faire appel à une partie de l’opinion publique. C’est ainsi qu’il va s’adresser tour à tour au mouvement de Ciné-club, au mouvement d’Éducation populaire, au mouvement des associations de critiques, à la Ligue de l’enseignement, et bien entendu à tous les gens qui travaillent dans le cinéma, regroupés au sein de la Fédération nationale du spectacle.

Voix off : Alors que la pression sur le gouvernement se fait de plus en plus forte, le Secrétaire à la présidence du conseil, Yves Chataigneau, porte un coup de poignard au projet Jean Zay. Il crée au cours du mois de septembre 1938 une énième commission interministérielle, chargée en principe de coordonner les réflexions des ministres, mais en fait a pour fonction de plonger le projet dans un temps indéfini. Le ministre de l’intérieur participe à cette commission interministérielle. Il souhaite censurer les films critiques sur la famille, critiques sur la morale publique, sur l’école, ou les films qui encensent la révolte, comme Le cuirassé Potemkine.

« Les ministres opposés au projet de loi sur le cinéma, pourront espérer s’occuper du septième art pour des besoins d’importance. » écrira Jean Zay.

Francis Gendron, acteur : Exaspéré par ces lenteurs gouvernementales, Jean Zay va se décider à contourner ces oppositions en utilisant l’arsenal des décrets et des circulaires destinés au contrôle de la billetterie et aux droits d’auteur spécifique au cinéma.

Voix off : L’enthousiasme que les propositions de Jean Zay ont suscité dans l’opinion publique, et le soutien qu’elles vont recevoir des milieux professionnels, vont enfin finir par influer sur le Gouvernement. Grâce à l’opiniâtreté de Jean Zay, le 17 mars 1939, le Président de la République autorise enfin le Président du Conseil à déposer le texte de loi concernant le cinéma sur le bureau de la Chambre des députés. Vingt-six mois après sa première allocution publique, devant le groupe de défense du cinéma. À partir de cette date, le cinéma va devenir une affaire d’État.

« Une des raisons du marasme cinématographique est l’impossibilité pratique pour les entreprises de trouver des crédits. Tout le monde est d’accord je crois pour souhaiter la création d’un organisme qui met, dans certaines conditions de sécurité et de contrôle, à la disposition des entreprises qui le méritent, des possibilités de financement. Le Conseil national économique suggère la création d’une caisse centrale de l’industrie du cinéma. Il faut en plus que nous envisagions l’organisation professionnelle. Et ici, je me bornerai à indiquer quelques-unes des suggestions apportées. Le Conseil national économique suggère de créer un organisme patronal unique, et un organisme syndical unique, et la formation de ce qu’il appelle le Comité central du cinéma. Il serait alors envisagé de donner à cet organisme des pouvoirs assez grands, qui pourraient aller jusqu’à l’entente qu’industrielle. » Jean Zay

Francis Gendron, acteur : Le 17 mars 1939, c’est une date il faut retenir. Cette date n’apparaît pas dans l’histoire du cinéma, et pourtant il faut absolument retenir cette date. Pourquoi ? Parce que c’est la première fois que l’État va intervenir en faveur du cinéma, non pas pour le taxer seulement, mais pour l’aider à sortir de la crise.

Non seulement ce projet est signé par le Président de la République, mais il également signé par tous les Ministres disons intéressés : par le Président du Conseil, Édouard Daladier ; par le Ministre l’économie Paul Reynaud ; par le Ministre de l’intérieur Albert Sarraut ; par également Georges Bonnet, Ministre des affaires étrangères, et bien sûr par Jean Zay. Tous ses ministres doivent exposer les raisons de ce projet et soutenir sa diffusion.

Voix off : Voici les principaux chapitres commentés brièvement : création d’une commission de contrôle des films, avec remise d’un visa d’exploitation ; interdiction d’exercer pour les producteurs distributeurs et exploitants ayant subi une condamnation pénale ou banqueroute frauduleuse ; pour les prises de vue dans les lieux publics, obligation de possession d’une carte d’identité professionnelle ; pour les ciné-clubs, obligation de déclaration des projections en préfecture ; les films étrangers doivent obtenir un visa d’exploitation au même titre que les films français ; dépôt de tout contrat, déclarations et notifications, concernant un film en production, auprès du registre central de la cinématographie ; sont considérés comme auteurs de films toutes les personnes physiques qui ont participé à la création intellectuelle du film ; les fabricants de billets d’entrée de salles de cinéma sont tenus de déclarer leurs livraisons de billets aux exploitants, en indiquant les numéros, la couleur et le prix des places imprimées ; concernant le financement, le projet de loi encourage les établissements de crédit à prendre une part plus active à cette industrie ; la Commission de la Chambre pense à la création d’un Comptoir du cinéma, qui aurait pour rôle soit de donner une caution en aval soin de financer directement certains projets de films.

Voix off : La période 1930-1939 foisonne de grandes réussites cinématographiques. Une sorte de mythologie entoure une quinzaine de films, réalisés pour la plupart d’entre eux pendant le Front populaire : Jean Gabin en est la figure emblématique et son héros tragique. Deux films de julien Duvivier, Pépé le moko et La belle équipe, imposent le personnage de Gabin héros de milieux populaires. La plupart de ses rôles ont une destinée qui le conduisent à la mort. Marcel Carné participe à cette mise en scène du héros tragique, avec Le quai des brumes et Le jour se lève. Pourtant, ces œuvres sont produites par des sociétés dont la plupart n’ont le temps de vie que pour un ou deux films. Ces sociétés de production sont fragilisées par une injuste répartition des recettes sur le billets d’entrée, entre producteurs distributeurs et exploitants. Jean Renoir en devenant le plus français des cinéastes, signe à son tour trois autres films qui amplifient le mythe du destin tragique à l’œuvre dans le cinéma : Les bas-fonds, La grande illusion et La bête humaine. Maître du réalisme poétique, Jean Renoir a su donner de la voix au peuple. Il est devenu une véritable star du cinéma français.

En 1939, Jean Zay souhaite retrouver un appui auprès du grand public. Il envisage la création d’un grand prix du cinéma, destiné à encourager la production de films de qualité. Il en existe déjà deux : le grand prix du cinéma français, sous l’autorité d’un jury professionnel, présidé par Louis Lumière, et le prix Louis Delluc, décerné par la critique.

Philippe d’Hugues, historien du cinéma –spécialistes des années 1930 : Jean Zay a eu l’idée d’un grand prix national du cinéma français, qui aurait été différent à la fois de l’un et de l’autre, et qui devait être d’ailleurs doté d’une récompense, pour que ce ne sont pas seulement honorifique, mais profitable pour le producteur. L’idée était très intéressante, et celle à laquelle tenait Jean Zay, et pourquoi il avait créé ce prix, c’était de témoigner de l’intérêt véritable, et d’un intérêt actif des pouvoirs publics, du ministre responsable pour le cinéma. Et ça, c’était quand même une idée incontestable, puisqu’elle est reprise ensuite, trois ou quatre ans plus tard ; l’État témoignait qu’il s’intéressait au cinéma, pas seulement au plan économique et industriel, mais aussi au plan artistique, en faisant appel un jury prestigieux, pour désigner le meilleur film de l’année.

Francis Gendron, acteur : À l’issue de la remise du grand prix national du cinéma français, attribué à Quai des brumes, Jean Zay annonce à la presse la création officielle d’un Festival international du cinéma, qui doit se dérouler à Cannes, du 1er au 20 septembre 1939.

Voix off : L’organisation du festival est confiée à Philippe Erlanger, Directeur de l’association française de l’action artistique à l’étranger. Toute l’équipe se met au travail, et en trois mois, qu’il s’agisse des groupes hôteliers, des accords avec la SNCF, avec Air-France, ou la préparation de grandes fêtes populaires, tous se mobilisent pour mettre sur pied en un temps record le 1er Festival international de cinéma en France.

Entretien radiophonique de Jean Zay, 1939 : On parle revoir le beaucoup en ce moment des préparatifs du festival international du film à Cannes. Chaque jour nous apprend une nouvelle adhésion, et tour à tour, l’Angleterre, l’URSS, les États-Unis, la Suède, la Pologne, la Belgique ont annoncé leur participation. Il nous a paru intéressant d’aller demander à Monsieur Jean Zay, Ministre de l’Éducation nationale et Président du Festival international du film, comment il envisageait cette manifestation. Le Festival international du film, a-t-il pour but, Monsieur le Ministre, de remplacer la Biennale de Venise, comme on l’a affirmé à maintes reprises ? Jean Zay : Jamais les organisateurs de ce Festival n’ont envisagé la question sous cet angle. Le Festival international n’est pas créé dans le but de combattre des manifestations déjà existantes et encore moins de les imiter. Journaliste : Par conséquence, si je vous comprends bien, Monsieur le Ministre, le but de la France en créant le Festival et surtout d’encourager l’art cinématographe. Jean Zay : Certainement ! Encourager l’art cinématographique sous toutes ses formes, afin de contribuer à provoquer entre tous les pays producteurs un véritable esprit de collaboration, et chacun conviendra que nul pays, mieux que le nôtre, ne pouvait présider à une telle manifestation, dans un esprit d’objectivité artistique et d’impartialité absolue. Bien entendu, le Festival, ne n’oubliez pas, durera du 1er au 20 septembre. La Côte-d’Azur est un cadre unique, qui permettra de faire connaître à nos hôtes une grande saison du cinéma, telle qu’on en a jamais vu dans les autres pays. Du reste, les préparatifs se poursuivent activement à Cannes. Déjà, depuis quatre semaines, l’équipe technique chargée de l’organisation du Festival travaille à la préparation du cadre dans lequel il doit se dérouler. Journaliste : Il y aura aussi des galas film ? Jean Zay : Oui, et en dehors de ceci un programme de fêtes extrêmement important est prévu. Je présiderai le 1er septembre le dîner d’inauguration, le 4 septembre La nuit du cinéma promet d’être l’un des événements de l’année. Elle aura lieu au Casino de Juan-Les-Pins. Le 9 septembre, il y aura le Dîner d’élégance au Palm Beach de Cannes. À Juan-Les-Pins on annonce également, pour le 14 septembre, un dîner de gala. Ajouter que toutes les manifestations du Festival seront filmées au jour le jour, et projetées ensuite au cours des galas. Nous espérons ainsi que le Festival international du film de Cannes sera un triomphe de l’organisation, de l’accueil et du goût français.

Voix off : La presse nationale accorde une place prépondérante au Festival international de Cannes 1939. Outre Cinémonde et d’autres revues cinématographiques, qui éditent un numéro spécial, les quotidiens français ouvrent leurs colonnes et présentent régulièrement les avancées de l’organisation du Festival et la sélection des films en compétition.

Bernard Brochand, Député-Président de la Communauté d’Agglomération des Pays de Lérins, Ancien maire de Cannes : Il a vraiment œuvré, énormément, pour que ce premier Festival existe. Malheureusement, si vous voulez, la guerre a éclaté. Il devait avoir lieu en septembre, la guerre a éclaté, il n’a pas pu avoir lieu, alors qu’il y avait déjà des bateaux qui traversaient l’Atlantique, ce n’étaient pas des avions à l’époque mais les bateaux qui emmenaient les stars d’Hollywood pour participer à ce premier Festival. Donc, il est vraiment, je dirais, l’auteur du Festival de Cannes. Mais, il est l’auteur, avec justement une réponse à la Mostra, une réponse à la propagande. C’était une forme de résistance, dont on n’a pas pu parler suffisamment.

Pratiquement, 70 ans après l’anniversaire de la création du Festival, les personnes qui en ont la charge, suivent à la lettre, si vous voulez, la philosophie qu’il a voulu impliquer dans la création du Festival, par rapport à la censure, par rapport à la liberté d’expression, par rapport à l’oppression de certains peuples.

« Nous préparions pour septembre, hélas, le Festival de Cannes destiné à concurrencer par une manifestation française la fameuse Biennale de Venise, seule rencontre internationale du cinéma. Pour Cannes, s’étaient inscrites déjà plus de nations, et plus d’œuvres que pour Venise. Notre Festival, organisé avec le concours de l’action artistique aurait fait de la France, chaque année le centre mondial du cinéma. La Côte-d’Azur aurait vu se dérouler à cette occasion des fêtes de qualité, qui lui eussent servi du même coup les intérêts du tourisme français. » Jean Zay

Voix Off : La France en guerre, Jean Zay démissionne du gouvernement et par au front rejoindre l’armée de Lorraine, comme Sous-lieutenant de la 4ème armée. « Âgé de 35 ans, je désire partager le sort de cette jeunesse française, et je demande à suivre le sort normal de ma classe. » avait t-il déclaré. En juin 1940, sur les chemins de l’exode et de l’armée française en déroute anéanti par les forces allemandes, Jean Zay demeure député de la nation. Il apprend que les parlementaires sont convoqués d’urgence à Bordeaux. Il s’y rend avec l’autorisation de son Colonel. Arrivé à Bordeaux le 19 juin, Jean Zay ne connaît pas encore les modalités de la prise de pouvoir par le Maréchal Pétain. Il ne sait pas pourquoi celui-ci avait menacé de démissionner de sa fonction de Vice-président du Conseil, ce chantage avait déstabilisé le Gouvernement et abouti au départ de Paul Reynaud. Le 17 juin au soir, le Maréchal Pétain, investi par la seule autorité du Président de la République Albert Lebrun, a réussi ce que Pierre Mendès-France a appelé « le coup d’état contre la République dans la défaite ». À Bordeaux Jean Zay rencontre Charles Pomarez, nouveau Ministre de l’intérieur, qui l’informe que le parlement et le gouvernement ne siégeront plus en Gironde, il ajoute le Gouvernement va se rendre à Alger, mais sans le Maréchal Pétain, résolu à rester en France. Au cours de ces quelques jours, les nerfs du Maréchal, nouveau Président du Conseil sont mises à l’épreuve. Il craint qu’une autorité légitime de la République puisse partir pour Alger afin de poursuivre la lutte contre l’occupant allemand. Dans sa stratégie, le Maréchal Pétain a besoin de la défaite pour devenir chef de l’État et faire le don de sa personne à la France. Avec l’aide de Pierre Laval et de l’Amiral Darlan, il prépare la souricière du paquebot Massilia. Il souhaite expédier à bord du paquebot 27 parlementaires à Casablanca. Parmi eux, Jean Zay, et sept anciens ministres du Front Populaire, dont Pierre Mendès-France, Édouard Daladier et Georges Mandel, pensent constituer un nouveau gouvernement en exil. Le 21 juin 1940, le Massilia quitte la France avec les parlementaires, noyau dur de la République. La stratégie du Maréchal Pétain prend forme. Il fera en sorte de les délégitimer à leur arrivée en Afrique du nord, afin de pouvoir les traiter de fuyards et les accusés de traîtrise.

Jean-Michel Quillardet : Lorsqu’il a voulu quitter la France sur le Massilia, pour rejoindre le Maroc, c’était pour poursuivre la guerre, il ne faut pas non plus oublier, et c’est ça qu’il faut rappeler aux ligues d’extrême droite d’aujourd’hui. Jean Zay parlementaires, lorsqu’il y a la mobilisation, il pouvait rester parlementaire, il n’était pas mobilisable, il pouvait demander à ne pas l’être. Il a demandé à être mobilisé, en tant que sous-lieutenant, ou lieutenant, il a fait la guerre de 39-40.

Voix off : Au Maroc, le Commandant en chef de l’armée de l’Afrique du nord, le général Charles Noguès, semble récalcitrant sur le sujet de l’armistice. La destruction de la Marine française, le 3 juillet 1940, par la Royal Navy, le fait basculer du côté du Maréchal. Tous les nostalgiques des ligues factieuses, des groupes antiparlementaires, des royalistes, des ultras pacifistes, se réjouissent de la prise de pouvoir du Maréchal Pétain. Elle va permettre, le 10 juillet le renversement de la République, la collaboration avec l’Allemagne et l’Italie, et la mise en place du régime de Vichy, soit la révolution nationale. En août 1940, à Rabat, sur ordres de Vichy, le général Charles Noguès, fait arrêter Jean Zay et trois autres députés mobilisés. Ils sont accusés d’abandon de poste et de désertion en présence de l’ennemi. Prisonnier, Jean Zay est transférée en France. Le tribunal de Clermont-Ferrand aux ordres de Pétain le condamne le 4 octobre 1940 à la déportation, et à la dégradation militaire, la même peine que celle d’Alfred Dreyfus. Parmi les 27 parlementaires du Massilia, il est le seul à subir une telle condamnation. Incarcéré à la maison d’arrêt de Riom. Il ne cesse pas le combat. Il y écrit son ouvrage Souvenir et solitude. Madeleine Zay, sa femme, sort clandestinement ses manuscrits dans le landau de leur fille Hélène.

La haine de vichy à l’égard du Juif, du protestant, du franc-maçon de l’acteur majeur du Front populaire, ne s’est pas arrêtée à son emprisonnement.

Hélène et Catherine, les filles de Jean Zay : Profondément, je pense qu’il y a ça dans l’antisémitisme, plus le Juif est invisible, s’est fondu dans la société, et parfois même n’a plus de relation particulière avec le judaïsme, c’est celui-là qui est le plus dangereux. C’est celui-là qu’il faut poursuivre, et il faut le poursuivre comme étranger, comme non-patriote, comme ennemi de la France. Et ça, dès 1932, c’est ça qu’on lit dans les articles de presse, et c’est ça qui va s’amplifier, et qui va continuer pendant qu’il est en prison.

Voix Off : Le 20 juin 1944, la milice, bras armé du régime, s’engage dans son assassinat mémoriel. Elle sort Jean Zay de la prison de Riom, l’exécute dans le bois de Cusset au Puits du Diable, puis déclenche un éboulement de rochers, afin de faire disparaître définitivement son corps. Quatre années vont s’écouler entre l’assassinat de Jean Zay et l’identification de la dépouille de son cadavre. Cet assassinat mémoriel commis par l’extrême-droite factieuses et antisémite a certes contribué à faire de Jean Zay l’oublier de la République. Mais alors comment comprendre que bon nombre de ces idées concrétisées après la libération ne mentionne pas, ou pas assez, celui qui en était à l’origine ?

L’annonce par la plus haute autorité de la République de la panthéonisation de Jean Zay va-t-elle enfin marqué le commencement d’une vraie reconnaissance de son œuvre ?

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