Les Matins sont en direct de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, à l’occasion du colloque « L’avenir du livre » qui a lieu toute la journée à Sciences-Po. A quoi ressemblera le livre en 2010 ? La lecture a-t-elle un avenir ? La directrice du projet Sophie Barluet, l’historien Pierre Nora, l’écrivain Alain Mabanckou, le philosophe Bruno Latour, et le Ministre Renaud Donnedieu de Vabres entament ce matin cette réflexion approfondie sur la pérennité du livre et de la lecture dans notre société.
Ali Baddou : Nous sommes à Sciences-Po, ce matin, à l’occasion d’un colloque qui va s’y tenir toute la journée. Colloque, organisé par le Ministère de la culture et le Centre national du livre, consacré à « L’avenir du livre ». C’est une étape importante de l’opération « Livre 2010 », une grande opération menée depuis plusieurs mois pour mesurer ce qui change dans les relations que notre société entretient avec le livre, avec la lecture. Une large consultation a été menée auprès de l’ensemble de la profession. Une dizaine de débats participatifs, comme on dit, ont eu lieu, à Paris et en province. Pour prendre la mesure des évolutions en cours quelques éléments du diagnostic : l’accès au savoir ne passe plus nécessairement par le livre, Internet bouleverse les circuits habituels de la distribution, de plus en plus de lecteurs quittent l’écrit pour l’écran et enfin les prescripteurs classiques perdent de leur influence. Autant de mutations auxquelles les professionnels, les libraires, les écrivains, les éditeurs ont cherché à répondre à travers un certain nombre de propositions concrètes. Propositions qui seront remises au Ministère de la culture et au Ministre lui-même, entre les deux tours de l’élection présidentielle, à lui donc d’imaginer les politiques publiques pour répondre à ces grandes mutations. On ouvre en tout cas le débat ce matin avec de très nombreux intervenants qu’on attend ici dans le petit hall de Sciences-Po où vous êtes évidemment les bienvenus, c’est au 27 rue Saint-Guillaume, dans le VIIème arrondissement de Paris. L’historien, Monsieur Pierre Nora, est déjà ici, il se sert un petit café, il sera le premier au micro de France culture à partir de 8h moins 20.
[les enjeux internationaux, journal etc. à la maison de la radio]
Ali Baddou : Retour, ici, [rappel, lieu, contexte...] Quelques unes des questions qui seront débattues, ici, à Sciences-Po à partir de 9h dans les différentes tables-rondes, « Quelle place pour le livre et la lecture dans notre société ? », « Pourquoi développer le goût de la lecture ? », « Le livre face à l’écran, un objet irremplaçable ? ». On est en compagnie, ce matin, pour la première partie de l’émission de Sophie Barluet et de Pierre Nora. Bonjour à tous les deux.
Sophie Barluet : Bonjour.
Pierre Nora : Bonjour.
Ali Baddou : Et merci d’être au micro de France culture. Pierre Nora, on ne vous présente pas. Pierre Nora de l’Académie française, historien, directeur de la revue « Le débat », vous présidez, cette matinée autour du livre et de la lecture. Sophie Barluet, vous êtes l’organisatrice de « Livre 2010 ». Vous enseignez, ici, à Sciences-Po, depuis quelques années, l’économie de l’édition, c’est ça ?
Sophie Barluet : C’est ça.
Ali Baddou : Et vous allez remettre dans quelques semaines un rapport au Ministre de la culture. Première question, elle vous semblera peut-être un poil provocante mais après tout… Encore un rapport ?
Sophie Barluet : Encore un rapport mais les rapports ne sont pas toujours destinés à recevoir de la poussière. Ils peuvent aussi être destiné à être appliquer, donc j’espère que ça sera le cas de celui-là.
Ali Baddou : Espérons en tout cas que ça ne sera pas son destin de rejoindre le grand tiroir où s’accumulent les rapports. « Livre 2010 », qu’est-ce que c’est, Sophie Barluet ?
Sophie Barluet : « Livre 2010 », c’est une idée du ministre de la culture qui vous l’expliquera un petit peu tout à l’heure.
Ali Baddou : Oui, il nous rejoindra dans la dernière partie de l’émission.
Sophie Barluet : L’objectif était de faire une analyse un peu en profondeur de l’ensemble des mutations en cours dans le monde du livre. Vous savez que c’est un monde qui est fragile et qui se pose beaucoup de question sur son avenir. Et puis chemin faisant de voir avec les professionnels quelles propositions de réformes on pouvait faire pour accompagner ces mutations. Et donc, nous avons depuis le mois de septembre mené 11 tables-rondes, avec à peu près 250 professionnels, pour voir, avec eux, comment on pouvait analyser ces mutations et évoquer ces changements politiques.
Ali Baddou : Des tables-rondes ou des débats participatifs ? C’est la grande mode en ce moment.
Sophie Barluet : Ça ressemblait à des débats participatifs mais la caractéristique que nous avons souhaitée c’est qu’à chaque débat participe l’ensemble des acteurs de la chaine du livre. C’est-à-dire qu’à chaque fois, les auteurs, lez libraires, les bibliothécaires, les éditeurs sont présents parce que ce sont des acteurs qui travaillent bien ensemble mais de manière un petit peu séparée et on voulait vraiment qu’ils réfléchissent ensemble cette fois-ci. Je crois qu’ils ont été assez heureux et le fruit de cette réflexion commune c’est ce qui fait l’enjeu du « Livre 2010 » justement.
Ali Baddou : Un mot sur les conclusions, après cette belle libération des paroles, et puis on demandera à Pierre Nora ce qu’il en pense.
Sophie Barluet : Un mot sur les conclusions ?
Ali Baddou : Provisoire, un bilan d’étape.
Sophie Barluet : C’était 5 mois et plus de 60 heures de débats, un mot c’est un peu court pour résumer l’ensemble de ces éléments.
Ali Baddou : Il faudrait recruter, vous savez, ce qu’on appel les synthétiseurs au PS. C’est eux qui sont chargés de réunir l’ensemble de ce qui s’est dit dans les débats participatifs.
Sophie Barluet : J’en voudrais beaucoup, des synthétiseur. Un mot. C’est une profession qui est fragile. Cette fragilité nous a été rappelée à chaque étape. C’est une profession qui s’interroge aussi sur son avenir parce qu’évidemment elle est la dernière des professions culturelles à être rattraper par le numérique mais il arrive, en tout cas il se profile. C’est une profession qui est absolument amoureuse de son métier. Et c’est une profession qui attend de l’Etat non pas beaucoup plus d’argent mais un Etat plutôt moderne qui l’aide à avancer et à voir comment se profile l’avenir.
Ali Baddou : Pierre Nora ?
Pierre Nora : Je lirai le rapport de Sophie Barluet avec beaucoup d’intérêt, comme j’avais déjà lu son rapport sur un secteur particulièrement menacé de la production éditoriale qui me concernait, qui était le secteur des sciences humaines. Elle avait fait un rapport qui était extrêmement profond, plein de renseignements très nouveaux et je pense que celui-ci va marquer, de nouveau, une date.
Ali Baddou : Qu’est-ce qui bouge d’après vous ? Puisque vous observez le phénomène et que vous allez présider cette table-ronde tout à l’heure. Qu’est-ce qui bouge dans la relation que la société entretient avec le livre et avec la lecture ?
Pierre Nora : Je crois que c’est assez simple. C’est que pendant très longtemps, l’édition française a été assez préservée, elle était le cœur même de ce qu’on pourrait appeler l’exception culturelle et qu’elle bénéficiait par rapport à l’étranger d’un certain nombre de verrous protecteurs que constituait le prix unique du livre, le CNL, lui-même, l’aide publique, l’absence d’agents par rapport à l’étranger, une certaine tradition familiale de l’édition sans grands groupes, l’absence de publicité à la télévision, toutes sortes de choses qui ont été évidemment menacées dans les dernières années sans parler de la bousculade fantastique que représente l’arrivée de l’Internet et du numérique.
Ali Baddou : Et tout devrait être réinventé aujourd’hui ? Où, est-ce que ça résiste ?
Pierre Nora : Ça résiste et c’est en ce sens, c’est à Sophie Barluet de dire si mon espoir peut être confirmé ou pas, -j’allais dire pour employer de grands mots, tant que le français sera le français et la France, la France, quelque chose de ce rapport à la culture sera probablement préservé. Sous quelle forme ? Je n’en sais rien. C’est de ça qu’on va débattre
Ali Baddou : Sophie Barluet, qu’est-ce que vous en pensez ? Tant que la France sera la France, peut-être que c’est entrain de changer ça aussi justement avec Internet et avec l’accès au savoir qui ne passe plus nécessairement par les livres. Est-ce que le livre n’est pas entrain de perdre sa place, la place qu’il a très, très longtemps occupé dans la culture, en France ?
Sophie Barluet : Je pense qu’on ne peut pas parler de manière générale de l’ensemble des livres et du rapport à l’Internet avec l’ensemble des livres. Vous parlez justement de l’accès au savoir, on a une table-ronde spécifique là-dessus, ce qui est certain, Monsieur Nora le sait très bien, c’est que la place du livre à l’université, elle, a changé. On consulte moins les livres en tant que tels que les extraits, ou des photocopies,… Par contre il y a d’autres catégories de livres qui sont moins soumis à la contrainte qu’on lit plus par plaisir et sur lesquels Internet, de l’avis de tous les professionnels, aura des conséquences, peut-être mais à beaucoup, beaucoup plus longs termes.
Ali Baddou : Un mot sur ce sujet justement, sur ce qu’on appelle le divorce entre l’université et l’édition. C’était un couple fusionnel. C’est entrain de changer ?
Sophie Barluet : Oui, c’est en train de changer, certainement.
Pierre Nora : Oui. Hélas, j’ai 40 ans de professorat dans les bottes et 40ans d’édition. Je suis donc assez bien placé pour être à l’interface. Oui, c’est clair. C’est clair même dans le type de produit. Les thèses sont pratiquement impubliables, c’est là peut-être qu’Internet va pouvoir peut-être jouer un rôle de complément extraordinaire avec le numérique. Puis il y a un divorce dans le type d’enseignement lui-même. Dans le rapport de Sophie Barluet, sur les sciences humaines, il y avait une notation qui était très intéressante par rapport aux Etats-Unis. L’habitude du cours en français consiste à remplacer le livre. Alors qu’aux Etats-Unis il consiste à en faire lire.
Ali Baddou : Et à l’accompagner.
Pierre Nora : Et à l’accompagner. A la fin de chaque cours, un professeur américain donne une liste de livres, mêmes un nombre de pages à résumer, à faire des notes etc. Alors qu’en France il remplace le livre. Donc, rien que ça, fait qu’à beaucoup d’égards, même les normaliens, le problème pour préparer l’Ecole normale c’est d’économiser le nombre de livres qu’on doit lire et non pas de démultiplier.
Ali Baddou : Sophie Barluet, paradoxe, Il y a une forme de démocratisation de l’accès aux livres, chaque année on en vend de plus en plus. De plus en plus de foyer ont des livres. 9% des foyers ou des personnes interrogées en France, c’était l’objet d’une étude du Centre national du Livre, déclarent ne pas avoir de livres chez eux. 9% on peut dire ce n’est pas beaucoup ou c’est beaucoup ?
Sophie Barluet : Ce n’est pas beaucoup, je trouve. Le nombre de faibles lecteurs a diminué. Le nombre de forts lecteurs par contre a diminué aussi, c’est ça un petit peu le paradoxe.
Ali Baddou : D’un côté on vend plus de livres, d’un côté on a a priori plus facilement accès aux livres et d’un autre côté le livre est fragile.
Sophie Barluet : Mais quel livre vend-on le plus ? Quand on regarde les parts de marché de chacune des disciplines on voit que ce qui arrive en tête maintenant ce sont les BD, les livres pour la jeunesse, ce qui est très bien d’ailleurs parce qu’il y a eu de très gros efforts des éditeurs pour la jeunesse, les livres pratiques, ce n’est pas forcément la littérature qui est plutôt en baisse comme d’ailleurs aux Etats-Unis où il y a eu une grande enquête, les Américains lisent de moins en moins de fiction.
Pierre Nora : Vous connaissez la phrase célèbre d’un grand éditeur, hélas disparu, qui est Jérôme Lindon, qui disait que…
Ali Baddou : Fondateur des éditions de Minuit.
Pierre Nora : Fondateurs des éditions de Minuit, « L’édition était le seul secteur économique où la baisse de la demande c’était accompagnée d’une augmentation de l’offre. » Effectivement on publie 60 000 titres nouveaux aujourd’hui ce qui a pratiquement doublé depuis quelques années après être resté pendant tout le XIXème siècle presque identique. Donc, il y a une explosion véritablement de la production numérique qui ne correspond pas à une possibilité d’absorption du marché.
Ali Baddou : Sophie Barluet, encore un mot sur cette opération, « Livre 2010 ». Pourquoi 2010 ? Pourquoi cette date ? Qu’est-ce qui va se passer ? Est-ce que c’est une prophétie ? Mais alors que dit-elle ?
Sophie Barluet : Non, c’est une date un peu symbolique qui voulait dire qu’on prenait le temps de réfléchir, on regardait à 3, 4ans, la technologie va tellement vite que c’est un peu illusoire de se projeter beaucoup plus.
Ali Baddou : Oui, c’est déjà un temps long dans les nouvelles technologies.
Sophie Barluet : Mais en même temps on était pragmatique, l’idée était de proposer au ministre des réformes, ou en tout cas des pistes de réformes qu’on puisse mettre en œuvre relativement rapidement. Pour l’administration trois ans c’est un délai normal.
Pierre Nora : Le vrai moment, que nous vivons un peu dans la douleur, c’est la rencontre de cette tradition d’un rapport à l’édition et à la culture qui était resté relativement désintéressé et au fond un peu hors marché à beaucoup d’égards avec un monde étranger qui, lui, connaît très principalement -sans exagérer non plus puisqu’ils ont leurs habitudes à l’étranger, de culture- un type d’édition qui est soumis à la loi du marché beaucoup plus étroitement. Alors, cette rencontre brutale qui s’opère et dont on ne sait pas comment elle va s’adapter. Donc, c’est vrai qu’il y a un moment qui est particulièrement important et au fond ce n’est peut-être pas si mal de faire ce rapport au moment de la compagne électorale pour rappeler à tous les candidats tels qu’ils soient que la culture n’est pas un secteur indifférent.
Ali Baddou : Mais que peut la politique pour un objet, pour favoriser, accompagner, développer la lecture ? Quand on parle des grandes politiques publiques en matière de livres, le symbole c’est le prix unique. Alors qu’est-ce qui reste à inventer de nouveau aujourd’hui ?
Sophie Barluet : Beaucoup de choses, puisque, comme on le disait tout à l’heure, c’est un secteur en mutation et il faut accompagner ces mutations. On parlait du numérique, le rôle d’un état moderne c’est aussi de donner des initiatives, de donner des impulsions, de montrer un petit peu la voie. Jean-Noël Jeanneney sera là cette après-midi,…
Ali Baddou : Il est à la tête de la Bibliothèque nationale de France.
Sophie Barluet : il a lancé ce projet de bibliothèque Europeana, voilà une initiative publique qui donne un petit peu la voie et je sais que beaucoup de bibliothèques municipales réfléchissent aussi dans cette voie, à l’Etat de coordonner tout ça. Voilà un exemple de perspective, l’accompagnement. Il y en a beaucoup d’autres qu’on a évoqués. Il seraient un peu trop long à énumérer ici. Ce n’est évidemment pas à l’Etat de se substituer aux éditeurs et aux acteurs de l’ensemble de la chaine du livre mais il peut mieux les accompagner. Et pour terminer sur la Loi Lang, c’est un acquis maintenant sur lequel personne ne souhaite revenir. Peut-être l’aménager un peu à la marge mais en tout cas c’est un acquis.
Ali Baddou : Un mot avant de retrouver la chronique d’Alain Gérard Slama. Est-ce qu’au cours de cette large consultation que vous avez menée le sentiment qui dominait était la peur, l’inquiétude ?
Sophie Barluet : L’inquiétude sans doute.
Ali Baddou : Tous les professionnels, toute la chaine est inquiète qu’on soit éditeur, auteur ou libraire ?
Sophie Barluet : Oui.
Pierre Nora : parce que c’est la chaine qui est atteinte. La chaine traditionnelle c’était éditeur, auteur, libraire. Les éditeurs sont évidemment menacés par l’ensemble de l’économie de la culture où il faut savoir que le prix d’un livre est multiplié par deux à la vente, tout simplement. Le libraire et le petit réseau des libraires est menacé à la fois par le grand commerce de la librairie et par ce rapport au livre. Il faut savoir qu’aujourd’hui 60% des livres vendus par Amazone ne sont pas en librairie. Donc, la concurrence pour les libraires est très forte. Et le métier de libraire a été extrêmement fragilisé depuis quelques années.
Ali Baddou : Donc bientôt, la librairie sera un lieu de mémoire à ranger avec les autres, les musées… ?
Pierre Nora : On peut l’interpréter comme ça.
Chronique d’Alain Gérard Slama : Je vais aborder ce problème d’abord par quelques données quantitatives, sous le regard et le contrôle de Sophie Barluet que je redoute terriblement. Voici les données que j’ai. Une donnée paradoxale d’abord. C’est que le nombre de non lecteurs de livres a tendance à diminuer. A la fin des années 90 plus de 40% des personnes interrogées, de 15 ans et plus, déclaraient ne lire aucun livre. Depuis, le nombre de non lecteurs décroît, il est autour de 37%, quelque chose comme ça. Mais cette amélioration du taux de lectures ne doit pas tromper. Dès qu’on creuse un peu on s’aperçoit que le rapport au livre a profondément changé. Premier lieu, l’augmentation du taux de lecture est due au tout petit tiers de ceux qui lisent le plus, c’est-à-dire qui lisent au moins un livre par mois. Mais le nombre moyen de livres lus diminue de façon continue. Et si par ailleurs on regarde de plus près les critères qui incitent à la lecture on constate que plus de la moitié des lecteurs achètent leurs livres dans des supermarchés, ce que vient de dire Pierre Nora, dans des grandes surfaces culturelles comme Vigin ou la FNAC, ou par Amazone et que 42% se déterminent en fonction de la couverture. 20% sont sensibles à la critique. 20% seulement ! et 7% seulement aux conseils des libraires. Ce sont de plus en plus les grands groupes commerciaux qui orientent la lecture et de façon plus nette encore on constate que si le roman résiste, avec un lecteur sur quatre, les titres en hausse sont les livres pratiques, la bande dessinée, les ouvrages de psychologie, de forme physique, de spiritualité. Quant aux essais, aux livres de sciences humaines et sociales je crois avoir lu, en fin de l’année 2004, un rapport Barluet, qui m’a laissé une impression en effet très forte, et qui indique que la tendance est très défavorable. En clair, l’usage du livre s’est instrumentalisé, l’ossium, le plaisir c’est la télévision qui absorbe l’essentiel du temps et le l’utilité sociale du livre l’emporte sur sa fonction culturelle. Bref, plus encore que le livre c’est la littérature qui est menacée. Alors Todorov rendait récemment responsables les professeurs et les critiques, d’autres incrimineront les sciences sociales, la principale cause du malaise c’est clair est plutôt le mode de diffusion du livre. Alors, reste une inconnue qui est la révolution numérique. On peut imaginer que le formidable chantier de l’Internet soit le laboratoire dans lequel prendront naissance, se sélectionneront les chefs-d’œuvres destinés à se retrouver demain dans les vitrines des libraires ainsi ressuscitées. On peut imaginer que là se concrétise la vision exprimée par Hugo, dans le chapitre célèbre de « Notre Dame de Paris », ceci tuera cela, qui est un hymne à l’imprimerie et où il dit ceci qui peut s’appliquer absolument à l’Internet : « Une immense construction appuyée sur le monde entier à laquelle l’humanité travaille sans relâche. C’est la fourmilière des intelligences. C’est la ruche où toutes ces imaginations, ces abeilles dorées arrivent avec leur miel. Là, chaque œuvre individuelle si capricieuse et isolée qu’elle semble à sa place et sa saillie, c’est la seconde Tour de Babel du genre humain. » On peut imaginer aussi, si l’on est pessimiste, une troisième Tour de Babel qui ne serait plus qu’un imbroglio d’égos enfermés dans leur narcissisme et où tout le monde parlerait la même langue, l’anglais, sans plus se comprendre.
Ali Baddou : Pierre Nora, une réaction à ces rêves ou à ces cauchemars d’Alain Gérard ?
Pierre Nora : Oui, c’est vrai que le climat d’époque pousse à un certain pessimisme par rapport à ce que nous, nous avons vécu. Et au-delà même de tout ce que vient de dire, très justement, Alain Gérard Slama, c’est vrai qu’on est en train de changer d’âge culturel. Et que d’une certaine façon le livre dans sa naissance et depuis l’imprimerie, depuis la renaissance, s’est accompagné d’un développement de ce qu’on a appelé les humanités. La livre a été en Europe, en occident, le parallèle, le véhicule de ce qu’on a appelé les humanités. Or, c’est cette culture fondée sur ces humanités qui est en train largement de chavirer et avec elle un certain rapport à la littérature, à l’université, à l’enseignement, à tout ça. Ça ne veut pas dire que ça disparaîtra complètement mais ça va se métaboliser complètement.
Ali Baddou : On retrouve notre conversation dans un instant, Pierre Nora, [annonces diverses dont celle du programme du colloque...] Vous savez qu’effectivement la grande tradition de la visite aux grands écrivains est en crise. Ce sont les grands écrivains qui viennent nous rendre visite. Alain Mabanckou est arrivé, on le retrouvera après le journal. […] Nous ont rejoint deux intervenants du colloque qui ouvre ses portes, tout à l’heure, Bruno Latour et Alain Mabanckou. Bonjour messieurs. Bruno Latour, vous êtes sociologue, professeur ici même à Sciences-Po et Alain Mabanckou, vous êtes écrivain, auteur d’un magnifique roman, « Les mémoires du porc-épique », paru cet automne et lauréat du Prix Renaudot 2006. Vous intervenez tous les deux au cours de la matinée autour de deux thèmes complémentaires : Bruno Latour, « Le livre face à l’écran, un objet irremplaçable ? », et vous Alain Mabanckou, autour de cette question : « Pourquoi développer le goût de la lecture ». Alors, partons de là peut-être, de l’amour de la lecture, du plaisir du texte, Alain Mabanckou.
Alain Mabanckou : Oui, je pense que tout écrivain vient à la littérature grâce aux livres. Et de cela je suis toujours persuadé. Celui qui a le goût du livre finit un jour par écrire des livres lui-même. Un peu comme celui qui s’entraîne pendant longtemps et qui finalement, par des automatismes, arrive à faire des figures qui vont surprendre les gens. Moi, j’ai été baigné dans cette atmosphère. Et ce goût du livre m’a poussé même à faire quelques délits, je peux dire, puisque de temps à autres j’allais en quelques sorte piller dans la bibliothèque Saint-Joseph de Pointe-Noire les livres que je ne pouvais pas acquérir, Dieu merci, c’était la Pléiade, etc. Aujourd’hui j’essaye de rendre à ma manière ces infractions. On m’avait même attrapé, le prêtre avait dit : « Ecoute, ça ne sert à rien de voler, tu peux venir t’assoir tous les jours et lire. » C’est ainsi que j’ai découvert « L’esprit des lois » de Montesquieu, et même Jean Dutourd, que je ne connaissais pas. Comme je lisais par ordre alphabétique quand j’ai fini les Dostoïevski et les autres, je tombe sur Dutourd, je pensais que c’était quelqu’un de l’époque ancienne et j’arrive en France et je le vois à la télé avec Bernard Pivot, j’ai dis aux amis : mais j’ai lu ce messier ! Ils m’ont dit : ah ! bon ! Donc, voilà, c’est le goût de la lecture qui peut vous emmener vers des territoires ignorés et c’est ces territoires qui font que nous avons tous des univers éclatés mais ouverts dans le monde.
Ali Baddou : Bruno Latour, vous voyez que la transition est toute trouvée. Le livre à l’écran, est-ce que le livre reste un objet irremplaçable ? Alors, là, en l’occurrence c’est peut-être les écrans d’ordinateur sur lesquels que vous allez plancher tout à l’heure plus que sur les écrans de télévision mais on n’a, là, l’un des lieux où ça se noue en fait. Dans la relation du lecteur, éventuellement du spectateur, de l’internaute et de son écran ?
Bruno Latour : Oui, moi, contrairement à mon éminent collègue qui écrit des livres intéressants, j’écris des livres ennuyeux. Et je lis beaucoup de livres très intéressants.
Ali Baddou : Absolument passionnants, pas de fausse modestie, ce matin, Bruno Latour.
Bruno Latour : Parce qu’en sciences sociales, malheureusement, on écrit beaucoup de livres ennuyeux. Donc, la disparition du livre en sciences sociales est un problème un peu différent de celui de la littérature parce qu’en fait ça a toujours été plutôt des plates-formes multimodales, le livre n’étant pas toujours pillé mais parfois photocopié pour une partie, redistribué, raccroché à d’autres morceaux d’articles dans un Reader qu’on donne à ses étudiants, etc. Donc, la pratique de lecture dans le domaine des sciences sociales est complètement différente. Et sa rematérialisation dans les écrans pose des problèmes assez différents de la grande littérature. La notion de clôture en particulier du texte a évidemment un sens beaucoup plus important quand on a de vrais auteurs. Quand on a des auteurs, qui sont toujours des collectifs, la notion de plate-forme multimodale me paraît meilleure pour comprendre ce que c’est un livre. Donc le livre, la notion de papier, ça intéresse les papetiers mais ce n’est pas vraiment la question qui se pose dans le domaine des sciences.
Ali Baddou : Mais belle question en tout cas, ici on est dans une université, la lecture c’est souvent une contrainte, une nécessité, il faut préparer les cours, les examens, la lecture besoin ? La lecture nécessité ? La lecture plaisir ? Comment ça s’articule, Bruno Latour ?
Bruno Latour : Je peux vous dire que mon fils qui vient de finir le Master, ici, la semaine avant l’examen m’a dit : « on a beaucoup travaillé pour l’examen mais finalement quand on lit des livres, des articles, c’est drôlement intéressant de lire des auteurs comme Hobbs etc.. » or, il arrivait à la fin des études en master, fils d’intellectuel et de lecteur, vous voyez il y a quelques problèmes dans la compréhension pour des jeunes gens de Sciences-Po.
Alain Mabanckou : En ce qui concerne les livres scolaires quand on impose la lecture d’un roman, ça ne participe pas du goût de la lecture puisque c’est une figure qu’on vous impose. Le goût commence à partir du moment où le lecteur trouve lui-même son livre, va chercher lui-même son livre. Autrement cela revêt un caractère d’exercice. C’est pour cela qu’en général je n’ai jamais compris les livres que j’ai lus pendant que j’étais étudiant. C’est maintenant, en les relisant, que je les vois autrement. Il y a même un professeur qui pensait que beaucoup de ses collègues ne lisait pas les livres qu’ils enseignaient, si bien qu’arrivé à la retraite il s’est dit : ouf ! Vivement la retraite je vais au moins lire les livres que j’enseignais.
Ali Baddou : Pierre Nora, le livre scolaire, en l’occurrence le classique scolaire, c’est un lieu de mémoire ? C’est un des grands lieux de mémoire ?
Pierre Nora : Epargnez-moi les lieux de mémoire.
Ali Baddou : Vous en avez ras-le-bol ? C’est derrière vous.
Pierre Nora : C’est gentil.
Ali Baddou : Pour vous c’est de l’histoire, pour nous c’est une découverte permanente.
Pierre Nora : Ecoutez, ça en rappelle puisqu’on a beaucoup parlé de Montesquieu, Montaigne, et c’est dans un essai célèbre de Montaigne, qu’il y a un éloge du livre bonheur, du livre plaisir et qu’il conseille à tout le monde d’arrêter de lire dès que ça vous embête en particulier dès qu’on lit des livres un peu trop savant.
Alain Mabanckou : Oui, j’abonde dans le sens de Montaigne. Dès qu’un livre devient soporifique, embêtant c’est à partir de là que commence non pas le goût de la lecture mais le dégoût de la lecture. C’est dangereux pour cela. Parce que le dégoût se transfert plus facilement que le goût de la lecture. Nous devons savoir qu’il y a certains livres qui sont comme des aimants. Dès qu’on les a entre les mains ça développe la lecture où ça dissuade le futur lecteur. En l’occurrence, je suis fier franchement des livres que j’ai pu découvrir. J’ai fais tout un catalogue. Dans certains de mes livres je ne parle que de livres évidemment.
Bruno Latour : De nouveau, je ne veux pas parler de la grande littérature, je ne vais parler que du domaine où le livre est un des éléments seulement dans un tableau de pratiques. Par exemple les juristes. Pour les juristes il y a des tas de livres, des tas de codes mais il n’y a pas de livre qui va organiser leur travail. Il y a des dossiers, il y a les photocopies des arrêts, il y a le dossier du plaignant, il y a une espèce de multiplicité qui n’est même pas un hypertexte puisque c’est des choses très hétérogènes, certains ne sont d’ailleurs pas toujours des textes mais des images et donc ce qu’on peut étudier c’est la réorganisation de ces pratiques. Le livre en lui-même, par exemple, j’ai étudié le Conseil d’Etat, un des rares livres de philosophie du droit par Pierre Legendre n’existait pas à la bibliothèque. Donc, vous voyez, ce n’est pas du tout les mêmes pratiques. Chez un biologiste dans un laboratoire ou dans un bureau il n’y a pratiquement pas de livres sinon des manuels qu’ils n’ont plus lus depuis des années et peut-être les ouvrages de vulgarisation ou de grande popularisation qu’ils auront faits. C’est des pratiques complètement différentes.
Ali Baddou : Là, c’est l’avenir que l’on peut imaginer pour ce qui se passe sur les écrans. C’est en gros la lecture ennuyeuse, la lecture obligatoire, la lecture studieuse ?
Bruno Latour : Non, elle n’est pas ennuyeuse, elle est distribuée. Il y a tout un mouvement qui s’appelle « connaissance distribuée », ce mouvement-là auquel il faut s’attacher pour comprendre ce que c’est non pas le livre, qui est un objet qui appartient probablement plutôt à la littérature mais ces espèces de pratiques qui sont des pratiques professionnelles. A l’intérieur de ces pratiques, le livre a joué un rôle très, très important pour des raisons qui n’ont rien à voir avec sa matérialité actuelle. On comprend pourquoi on le re matérialise maintenant, c’est sa reproductivité. C’est en particulier l’énorme partie des livres de sciences. C’est la qualité des images, des illustrations, des schémas, des équations. Problème d’ailleurs qui reste très important dans les écrans. La notion du livre n’est pas la bonne unité de travail dans le domaine en tout cas qui m’intéresse, celui des pratiques cognitives.
Ali Baddou : Pierre Nora, ça vous parle ?
Pierre Nora : Au-delà de toutes ces distinctions, qui sont parfaitement légitimes et exactes, il y a quand même quelque chose, c’est qu’il n’y a pas de livres sans références aux livres tels qu’ils soient, y compris et surtout le livre répondu comme embêtant ou de réflexion historique, ou sociologique ou autre, ils parlent des livres, ils pensent à des livres. La tradition dont se nourrit Bruno Latour, comme moi dans un autre ordre, c’est une tradition livresque. C’est une tradition du livre. Le livre ne parle de livres et même Mabanckou s’il écrit un livre c’est parce qu’il lit, depuis son enfance, tous les livres. Donc, il y a une mémoire, puisque vous tenez absolument à ce mot, dont la littérature est le lieu si vous voulez, ou dont le livre est le lieu, lui-même. Et c’est là qu’on arrive d’ailleurs à ce qui est probablement le plus grave dans notre dénivellation culturelle, c’est je pense quelque chose qu’il faudrait appeler la haine du livre.
Ali Baddou : Beau sujet en tout cas et le ministre de la culture Donnedieu de Vabres qui vient de nous rejoindre nous dira comment il compte remédier à cette haine du livre. [annonce et chronique d’Olivier Duhamel]
Chronique d’Olivier Duhamel : L’histoire commence le 02 juin 2004 lorsque monsieur Mohand X, ressortissant Algérien, fait l’objet d’un arrêté de reconduite à la frontière du préfet de police de Paris. L’histoire se noue le 27 décembre 2004. Monsieur Mohand X souhaite rester en France. Il veut faire valoir ses droits et obtenir le réexamen de son dossier, la délivrance d’une carte de séjour. Il a pris un avocat, lequel a sollicité un rendez-vous à la préfecture de Seine-Saint-Denis. Il y est donc convoqué le 27 décembre 2004. Il s’y rend espérant que son dossier avance. Et là, à sa grande surprise, il est interpellé au guichet et placé dans un centre de rétention administratif. Le préfet de Seine-Saint-Denis a en effet pris, à son encontre, un nouvel arrêté de reconduite à la frontière. Au bout de 48heures, il est présenté au juge des libertés et de la détention pour une prolongation de 15 jours de son placement dans le centre de rétention. Le 29 décembre, le juge refuse la prolongation sensible à la bonne foi du prévenu qui cherchait sa régularisation. Le préfet n’apprécie pas et fait appel du refus de la rétention prolongée. Le 31 décembre, le premier président de la Cour d’appel de Paris confirme cependant le refus du juge. Qu’à cela ne tienne le préfet ne renonce pas. Il forme un pourvoie en cassation. Dans son arrêt du 6 février dernier, publié hier, la première chambre civile de la Chambre de cassation donne tort au préfet et rejette le pourvoie. Citant intégralement la sobre motivation que notre plus haute institution donne à son arrêt : « Attendu que l’administration ne peut utiliser la convocation à la préfecture d’un étranger, faisant l’objet d’un arrêté de reconduite à la frontière, qui sollicite l’examen de sa situation administrative nécessitant sa présence personnelle pour faire procéder à son interpellation en vue de son placement en rétention ; qu’ayant relevé que M. X... avait été convoqué, sur sa demande, pour l’examen de sa situation administrative, la cour d’appel a, par ce seul motif, jugé à bon droit, que les conditions de cette interpellation étaient contraires à l’article 5 de la convention européenne des droits de l’homme ;... » Rappelons la première phrase de l’article 5, en question : « Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté ». C’est la belle est forte notion de sûreté qui se trouve bafouée lorsqu’on prive de liberté une personne qui pense venir pour se voir reconnus ses droits. Maître Eolas qui tient un précieux blog juridique résume ainsi la situation : Tout étranger dans une situation paradoxale, peut demander à tout moment sa régularisation mais pour se faire il doit se présenter en personne à la préfecture. Il n’a pas le choix. Dès lors il se trouve confronter au dilemme de demander sa régularisation au risque d’être arrêter ou de ne pas prendre ce risque et de renoncer de fait à la possibilité d’être régulariser. Mettre une personne dans l’obligation de s’exposer à être privée de liberté dans l’espoir de ne plus risquer d’être priver de liberté est une situation par nature déloyale pour la Cour de cassation. » Espérons que, bien qu’il soit très occupé, que le Ministre de l’intérieur trouve le temps de lire l’arrêt de la Cour de cassation et celui de prendre les mesures nécessaires pour ne plus violer la Convention européenne des droits de l’homme. »
Ali Baddou : Merci Olivier Duhamel. [applaudissement du public et annonces, accueil et salutations du Ministre] Avant qu’on ne parle de livre, un mot sur la chronique d’Olivier Duhamel
Renaud Donnedieu de Vabres : J’allais évidemment y arriver parce que c’est un sujet majeur. C’est un sujet où concilier la règle de droit, les principes bien sûr des droits de l’homme et l’application juste, humaniste de règles qui par définition sont violentes c’est le conflit essentiel de la politique aujourd’hui. Je pense qu’il faut avoir un double courage. C’est-à-dire le courage de dire que chaque individu sur le territoire national, chaque citoyen, quelque soit sa nationalité a droit à un traitement humaniste. Ça, c’est une vérité mais il faut avoir le courage aussi de dire que malheureusement les flux migratoires doivent être régulés et que ça légitime une politique de développement partout dans le monde absolument forte, mobilisée parce que sinon alors on se trouve avec des conflits, avec des antagonismes, avec des impossibilités. Donc, je salue le fait que la Cour de cassation dise avec force et autorité le droit et je crois que tout simplement ensuite chacun doit l’appliquer.
Ali Baddou : Alors, Olivier Duhamel ?
Olivier Duhamel : Nous sommes pleinement d’accord. Simplement ca va avoir des conséquences importantes parce que, sans rentrer dans le détail de ces questions qui sont complexes, en vérité cette affaire a eu lieu avant une circulaire qui légitimait le fait que l’on puisse interpeller des personnes lorsqu’elles venaient demander leur régularisation. Etant donné la motivation de la Cour de cassation du coup c’est l’ensemble de cette circulaire qui se trouve impossible à appliquer et c’est le Ministre est d’accord avec moi comment ne pas m’en réjouir il suffirait juste à convaincre quelques uns de vos collègues mais sûrement que vous allez y arriver assez facilement.
Renaud Donnedieu de Vabres : Moi, je veux vous convaincre de la double nécessité qu’il y ait des lois claires sur les questions de l’immigration parce que s’il n’y a pas de lois claires on est dans la situation d’impossibilité et je voudrais vous convaincre aussi de nous soutenir lorsque nous menons une politique très active pour qu’il y ait des moyens concrets er financiers pour le développement, par exemple, la taxation sur les billets d’avion qui est une idée française et qui est en train de devenir une réalité internationale pour que pays par pays il y ait des réalités concrètes, ça, ça permettra que chacun on fasse un pas dans la direction de l’autre. Mais dans la démocratie et dans la campagne électorale c’est normal qu’il y ait débats.
Ali Baddou : Et on est en pleine campagne, ça ne vous aura pas échappé.
Olivier Duhamel : Juste sur les billets d’avion, c’est fait. J’avais fais en chronique ici soutenant cette proposition.
Renaud Donnedieu de Vabres : Je n’ai jamais suspecté votre honnêteté intellectuelle.
Ali Baddou : Vous parliez de politique active, Renaud Donnedieu de Vabres. Il ya toujours une politique active ou tout le monde est en campagne et le gouvernement gère les affaires courantes en ce moment ?
Renaud Donnedieu de Vabres : Pas du tout. Il y a une politique active et pour moi cette semaine, c’est la semaine de tous les défis du numérique. C’est-à-dire qu’il ne vous a pas échappé que lundi j’ai reçu un rapport sur l’avenir de la presse écrite à l’heure du numérique. Et aujourd’hui, ici, à Sciences-Po -je remercie Sciences-Po de son hospitalité- nous ouvrons une réflexion stratégique et opérationnelle sur l’avenir du livre à l’heure du numérique. Il y a deux personnes que je voudrais remercier, parce qu’un ministre ça ne doit pas ingrat, je voudrais dire à Benoît Yvert, le Directeur du livre et de la lecture et à Sophie Barluet qui a été l’âme de la préparation de ce colloque et bien qu’à travers leur travail et leur mobilisation ce sont tous les auteurs, tous les lecteurs, tous les bibliothécaires, tous les imprimeurs, tous les éditeurs, tous les libraires et ici, vous voyez que la politique c’est aussi la mémoire, je me souviens de la libraire de Sciences-Po, quand j’étais étudiant, qui s’appelait Jeannette. C’était une femme extraordinaire qui donnait le goût de lire. Et bien dans la France d’aujourd’hui, malgré le défi du numérique, les libraires, comme les bibliothécaires, comme les enseignants, comme les journalistes, quand vous parlez de livre, vous donnez le goût de lire. L’objectif de cette réunion c’est comment promouvoir le goût de lire et de l’écrit à l’heure du numérique.
Ali Baddou : Hommage à Jeannette, que tout le monde connaît ici, apparemment, Pierre Nora également qui acquiesçait lorsque que vous évoquiez son nom.
Pierre Nora : Ecoutez puisque le ministre évoque ses souvenirs de Jeannette on a du s’y rencontrerait puisque moi ça m’évoque un autre souvenir c’est l’époque où le ministre était mon étudiant.
Ali Baddou : Bon, ben voilà, ça mène à tout.
Renaud Donnedieu de Vabres : Deuxième anecdote, moi je suis issu d’une rencontre entre un prof et son élève. Mon père était un des grands professeurs, entre guillemets, de Sciences-Po à la libération ; Il avait une jeune femme qui était son élève et visiblement il cherchait à la connaitre il lui avait mis comme commentaire sur sa copie : « de l’aisance dans le vide ». Evidemment elle a été se plaindre. Et bien voila le résultat.
Pierre Nora : Je n’ai jamais mis ça sur une copie du ministre.
Ali Baddou : Revenons sur le plan strictement politique Renaud Donnedieu de Vabres. C’est la couverture du magazine, « Télérama », cette semaine. Les candidats parlent enfin, c’est entre parenthèses, de culture. Le sujet a quand même été, alors on sait que l’élection ne se jouera pas là-dessus mais quand même, assez minoré, ignoré, largement esquivé dans la campagne, jusqu’à présent ?
Renaud Donnedieu de Vabres : Oui. Si je voulais faire de l’ironie c’est qu’n a tellement fait de choses que finalement, voilà… Un peu moins d’ironie, et ce que je crois est une bonne chose c’est qu’il peut y avoir des tas de projets différents. Que la culture au fond échappe au débat politicien ou trop partisan est en soi quelque chose de très important. Je profite de votre micro pour dire que la cause de l’éducation artistique, est très importante, avait un moment envisagé des idées de partenariat ou de fusion entre le ministère de l’éducation national et le ministère de la culture et de la communication et bien en tout cas l’assurance est claire si, je suis respectueux du suffrage universel, je vois qu’Olivier Duhamel me guette du regard, si Nicolas Sarkozy gagne l’élection présidentielle il n’est pas question de supprimer le ministère de la culture et de la communication, ce qui veut dire que cette diversité culturelle, cette exception culturelle française, à laquelle nous tenons, elle a besoin, non pas d’un bras armé parce que ça, ça serait une expression militaire, mais tout simplement d’une force motrice et nous avons l’intention de continuer à l’être.
Ali Baddou : Mais vous commencez à bien la sentir, cette campagne, Renaud Donnedieu de Vabres ?
Renaud Donnedieu de Vabres : Oui, je la sens bien parce que je crois que c’est une chance dans un pays. Et je souhaite en tout cas que ça soit l’occasion d’un beau débat. Des tas de questions sont sur la table. Des tas de questions difficiles.
Ali Baddou : Est-ce qu’il y a des clivages droite-gauche d’ailleurs en termes de culture aujourd’hui dans la campagne ? A lire le numéro de « Télérama » de cette semaine on n’a pas vraiment le sentiment qu’il y ait de véritables clivages entre les différents programmes et les différents bords politique ?
Renaud Donnedieu de Vabres : Chacun a sa patience. Chacun met sur la table ses priorités. Je crois effectivement que les clivages ne sont pas aussi réducteurs que droite – gauche. Il y a parfois une typologie du courage. Et pour dire les choses avec vérité lorsqu’il y a eu le débat sur le droit d’auteur, qui était un débat compliqué, il y a eu des moments où je me suis senti assez seul, il ya des moments où je me suis senti soutenu. Et sur ces questions, on n’est pas là pour animer la campagne présidentielle mais je suis prêt à tous les débats. Donc si vous voulez un jour m’inviter sur des questions d’Europe, de politique étrangère et de politique culturelle et de communication avec mon grand partenaire qu’est Jacques Lang ça sera avec joie.
Ali Baddou : Et ben voilà, rendez-vous est pris. On organisera le débat. Un mot encore, Renaud Donnedieu de Vabres, avant d’ouvrir la conversation. L’un des grands moments de la protection du livre et de l’ensemble de la chaîne du livre en France, vous venez de citer son nom c’est Jacques Lang, la loi sur le prix unique du livre, aujourd’hui vous parlez du numérique il y a un vrai défi. Comment transposer cette loi sur le prix unique du livre quand il sera question de télécharger des fichiers, des bouts de textes sur Internet ? Est-ce qu’il ya un boulot à faire comparable à ce qui se passe pour la musique aujourd’hui, par exemple ?
Renaud Donnedieu de Vabres : L’objet de cette journée justement, à Sciences-Po autour du « Livre 2010 », qui est une journée d’étape, de réflexion est de voir comment on concilie un certain nombre de principes éternels, intangibles qui sont ceux, bien sûr, de la rémunération des auteurs, qui sont ceux de la diversité du nombre d’ouvrages produits, parce que c’est la diversité des talents, avec le défi du numérique. Nous ne sommes pas passéistes, tournés vers le XIXème siècle, mais au contraire prospectifs. C’est la raison pour laquelle…
Ali Baddou : Il y avait de belles choses XIXème siècle ? Alain Gérard Slama citait Victor Hugo tout à l’heure.
Renaud Donnedieu de Vabres : Bien sûr, c’est la raison pour laquelle nous avons lancé le projet, bibliothèque numérique européenne, c’est la raison pour laquelle je ne veux pas que le numérique ne concerne que le monde des bibliothèques mais il doit associer aussi le monde des éditeurs. Et c’est la raison pour laquelle des financements supplémentaires pour la numérisation et le fait que ces questions soient portées directement par les éditeurs, je pense qu’ils sont nombreux dans la salle, nous avons besoin de médiateurs. Les médiateurs du livre c’est d’abord les écrivains eux-mêmes, ça c’est les auteurs, mais ensuite ce sont toutes celles et ceux qui font rayonner le livre, comme je le disais tout à l’heure, aussi bien les journalistes dans leur diversité, les bibliothécaires et évidemment les libraires. Et ça, c’est quelque chose d’essentiel je souhaite le maintiens de cette offre de proximité, ces lieux de culture et je suis prêt, d’ailleurs, à faire en sorte qu’au niveau européen il y ait une sorte de labellisation des librairies les plus emblématiques de la diversité culturelles, artistiques et politiques pour mettre en réseau, et puis il y a une très belle phrase d’Umberto Eco disant : La langue de l’Europe c’est la traduction. J’y crois comme une nécessité pour la circulation des œuvres.
Ali Baddou : Je vais donner la parole, dans une seconde, à Alain Gérard Slama. Bruno Latour, sur cette question du numérique qu’est-ce que vous attendez ? Qu’est-ce qu’on pourrait imaginer comme politique publique pour s’adapter à cette révolution, à ce chambardement dans le monde du livre et de la lecture ?
Bruno Latour : D’abord, je crois qu’il faut être quand même conscient, même si nous sommes ici dans une assemblée de grande politesse, de l’humiliation qu’on ressent quand on est universitaire et chercheur et qu’on va à l’étranger par forcément à l’étranger riche comme aux Etats-Unis mais à l’étranger vraiment très proche comme la Hollande, le Danemark, la Suisse devant l’état des bibliothèques. De nouveau ce n’est pas le problème du livre c’est l’ensemble de l’écologie à l’intérieur de laquelle le livre n’est qu’un des éléments dans les domaines des sciences sociales. Et cette humiliation il va falloir à un moment que les gouvernements tels qu’ils soient le résolvent. C’est-à-dire qu’on ne peut pas continuer à ce que les producteurs de sciences et de sciences sociales françaises soient humiliés quand ils vont à l’étranger et que simplement ils entrent dans une bibliothèque immense avec un nombre de postes considérables et surtout qu’ils y a des gens à qui on peut poser des questions. Ces médiateurs dont parle le ministre sont effectivement un des grands éléments de cette écologie des bibliothèques étrangères. Donc la bibliothèque c’est beaucoup plus que le livre.
Ali Baddou : Alain Mabanckou, puisque vous enseignez, vous, dans un pays riche et que vous repartez dimanche pour les Etats-Unis où vous enseignez à l’université.
Alain Mabanckou : J’enseigne à Los-Angeles. Je pense que le système de bibliothèques pose un grand problème. Aujourd’hui j’ai même l’impression que chaque fois que je cherche un livre que je ne trouvais pas en France je le trouve plutôt aux Etats-Unis dans les grandes bibliothèques. Par exemple, si j’ai besoin de trouver les livres de monsieur Duhamel, que j’ai lus quand j’étais étudiant en droit en France, puisque j’ai fais mes études supérieures ici, lui je l’ai lu par obligation dans le programme en tant que tel,…
Ali Baddou : Mais par plaisir aussi ?
Alain Mabanckou : Mais après pour le plaisir en faisant un détour par l’ordre alphabétique. Tous les livres se retrouvent là-bas en quelque sorte et l’avantage qu’il y a lorsque j’arrive dans une bibliothèque et que je cherche et que je cherche le livre de monsieur Dutourd, par exemple, qui ne s’y trouve pas, je rempli une fiche, la commande part, et le livre se retrouve là. Ce qui fait que toute l’œuvre de Derrida, de Foucault, de Deleuze…
Ali Baddou : Mais vous avez quand même passé la lettre D, Alain Mabanckou ?
Alain Mabanckou : Ça c’est dans la culture générale. Je pense que pendant que nous tenons monsieur le ministre, ici, mais je sais que monsieur le ministre le sait et que la réflexion est là-dessus et que les choses changent au fur et à mesure mais c’est un débat qui pousserait la France dont la culture, disons le, est très respectée aux Etats-Unis. Quand on voit la philosophie, la France est en quelque sorte l’unité de mesure là-dessus.
Renaud Donnedieu de Vabres : Pour faire de la provocation, c’est normal puisqu’on est sur France culture, on est dans le temple de la provocation et de l’intelligence, je vais annoncer tout à l’heure un certain nombre d’idées pour mon deuxième mandat. Evidemment d’ici-là il faut qu’il y ait quand même la consécration du suffrage universel et ensuite par un président et par un premier ministre, sur cette question des bibliothèques qui est absolument essentielle, annoncer prospective d’un projet de loi sur ce sujet concernant aussi bien le rôle, le statut des bibliothécaires que globalement la mission des bibliothèques parce que la réaffirmer est une nécessité politique.
Ali Baddou : Pourquoi cette exception française, la misère des bibliothèques universitaires ? Alors, ici, à Sciences-Po il y a un fond absolument magnifique, une bibliothèque qui est très agréable pour les étudiants mais en l’occurrence vous n’en avez pas la responsabilité au ministère de la culture, pourquoi n’agit-on pour développer ces univers-là ?
Renaud Donnedieu de Vabres : Il y a toujours des besoins supplémentaires. Je ne sais pas si l’on peut parler d’humiliation, comme vous l’avez prononcé.
Ali Baddou : Le mot est fort, que prononçait Bruno Latour.
Renaud Donnedieu de Vabres : Parce que la capacité de notre recherche française dans tous les domaines et notamment aussi dans les sciences humaines et la littérature doit se confirmer. On a des lieux d’excellence absolue. Qu’il faille veiller à leur égalité sur l’ensemble du territoire national me semble un défi. Ça, c’est vrai. C’est-à-dire que ce qui se passe à Paris, on ne peut pas dire qu’à Paris il n’y a pas un réseau de bibliothèques et de capacité universitaire magnifique, sur le plan de l’égalité territoriale, là, on est franchement perfectible.
Pierre Nora : Je crois qu’à cette tradition d’abandon des bibliothèques il y a des raisons multiples. Il y en a une qui est que c’est la rançon de la multiplicité des libraires. La France est un pays où il y a eu précisément un réseau de libraires de proximité intense, énorme par rapport aux Etats-Unis. Vous pouvez ne jamais avoir un livre dans une librairie aux Etats-Unis, il faut que vous alliez dans une bibliothèque universitaire, ou dans une bibliothèque. Deuxièmement, vous parliez tout à l’heure de la tradition des professeurs et des éditeurs, il y a eu beaucoup, en battant notre coulpe de professeur que j’ai été pendant 40 ans, une indifférence des professeurs à leur propre bibliothèque. Bruno Latour doit le savoir, il doit le sentir, comme nous l’avons été. Le souci des professeurs pour leur propre bibliothèque est récent. Je pense qu’il y a des raisons de fond mais la rançon de la multiplication des librairies est certaine.
Bruno Latour : Je maintiens mon mot humiliation, je n’ai jamais vu aux Etats-Unis de queue. A Paris je passe assez régulièrement devant les queues de Beaubourg, les queues de la bibliothèque Saint-Geneviève, je crois que c’est assez unique, ça n’existe nulle part.
Alain Mabanckou : Ce qu’il faudra dire, aussi, il faudrait, monsieur le ministre, songer à une espèce de communication entre les bibliothèques. Aux Etats-Unis, par exemple, lorsque vous cherchez un livre dans la bibliothèque de Los-Angeles et qu’il n’y en a pas, tout de suite on peut savoir qu’on peut l’avoir à la bibliothèque de Saint Francisco et dans 24h le livre arrive et le lecteur peut directement le lire. Ce qui fait que ça désengorge en quelque sorte. Mais Le Monde, Libération, tout cela les bibliothèques américaines les ont. Nous les lisons avec deux, trois jours de retard mais il n’en demeure pas moins que ces revues, ces magazines sont bien archivés pour permettre une espèce de conservation de la mémoire et de faire que la littérature et peut-être aussi la langue française puisse continuer son cours.
Ali Baddou : Monsieur le ministre, prenez des notes pour alimenter votre programme.
Renaud Donnedieu de Vabres : Tout est entré dans mon crane mais j’écoute avec beaucoup d’attention. Et ce que je vais dire là, pour faire un peu de provocation, que si, non pas pour une fois, dans ce domaine le modèle américain est le modèle du pluralisme et bien je vais en tenir compte. Mais il y a des cas où c’est le modèle européen qui est le modèle du pluralisme. Donc, un par tout, la balle au centre.
Ali Baddou : Définitivement, vous soutenez donc le candidat atlantiste, c’est le modèle ? C’était pour la plaisanterie, vous disiez qu’on faisait de la provocation, ce matin, en l’occurrence on la fait aussi.
Renaud Donnedieu de Vabres : Est-ce que vous pensez que dans la période actuelle, je vais laisser passer, vous avez le droit de dire ce que vous voulez mais dire le candidat atlantiste ça veut dire quoi ? Ça veut dire que nous considérons que les Etats-Unis sont un grand pays, et un pays ami mais il y a des moments où nous avons eu un combat frontal. Et que je sache, Nicolas Sarkozy, je ne suis pas là pour être son avocat personnel, sur le plan de la politique étrangère de la France a dit, récemment, que nous avions eu raison de ne pas faire la guerre en Irak et que nous avons globalement raison de faire en sorte que les décisions prises par la Communauté internationale ne soit pas…
Ali Baddou : Revenons au livre, là c’était vraiment une plaisanterie, vous serez peut-être le ministre de François Bayrou, qui sait ? Non ?
Renaud Donnedieu de Vabres : C’est le peuple qui décidera. Simplement j’espère qu’il aura, à ce moment-là, des regrets d’avoir voter la censure contre nous.
Ali Baddou : François Bayrou, d’ailleurs, qui fait son entrée dans le Larousse 2008. Pierre Nora en a ras-le-bol qu’on cite le lieu de mémoire mais c’est un grand lieu de mémoire.
Alexandre Adler : A propos de l’atlantisme, vous ne pensez pas quand même que Jean-Marie Le Pen comme à son habitude a présenté l’alternative avec rigueur et passion en disant que : au fond le 11 septembre, c’était un incident ? C’est peut-être quand même ça le clivage, non ? Sur l’appréciation de la politique étrangère, aujourd’hui.
Ali Baddou : Alain Gérard Slama, revenons au sujet du jour.
Alain Gérard Slama : Je voudrais revenir aux bibliothèques parce qu’il faut aussi qu’on soit cohérents dans les critiques que l’on adresse. Autrement dit, si on veut des bibliothèques bien gérées nous n’avons pas le mécénat qu’on les Américains. Il faut des financements. C’est un problème que le ministre ne peut peut-être pas aborder mais il faut des financements. Je me rappelle un rapport de Jean-Marie Borzeix…
Ali Baddou : Ancien directeur de France culture qui est actuellement à la BNF.
Alain Gérard Slama : Ce rapport disait : Il faut que les bibliothèques soient payantes. J’observe que rue d’Ulm, Monique Canto-Sperber, peut-être a-t-elle voulu fixer…
Ali Baddou : A l’Ecole normale supérieure.
Alain Gérard Slama : Directrice à l’Ecole normale supérieure a voulu peut-être fixer trop haut le péage à l’entrée de la bibliothèque mais il suffit qu’elle ait évoqué l’idée que la bibliothèque soit payante pour qu’il y ait une curée contre la directrice.
Ali Baddou : Mais ça, c’est invendable dans un programme électoral, Alain Gérard.
Renaud Donnedieu de Vabres : Il y a un sujet qui est au fond derrière nous qui était le renforcement du soutien, j’allais dire, à la création, à la diversité puisqu’on a renforcé de manière considérable les moyens du Centre national des lettres en affectant une recette supplémentaire et donc en faisant la pérennisation et l’accélération du soutien par le CNL à toutes les opérations d’auteurs, d’éditeurs qui sont très importantes. Je reconnais qu’il y a un besoin supplémentaire pour les bibliothèques…
Ali Baddou : Et bien voilà un nouveau projet.
Bruno Latour : Qu’on ne mélange pas les deux choses. Les notions de bibliothèques maintenant il faudrait écrire « xText » parce que ce n’est pas le livre plus simplement. Les bibliothèques maintenant jouent un rôle parce qu’on croit qu’on va se débarrasser des bibliothèques s’il y a une crise du livre c’est exactement le contraire. Les bibliothèques deviennent ces plates-formes multimodales absolument essentielles beaucoup plus essentielles au travail de recherche et d’enseignement. Il faut, même si on oppose le livre et écran, que les bibliothèques deviennent beaucoup plus importantes. C’est plutôt le tropisme livre qui est un problème mais le tropisme des bibliothèques, lui, est au contraire en voie d’accélération.
Alain Mabanckou : Oui, le problème du mécénat est important. C’est vrai qu’aux Etats-Unis les universités ont leurs propres budgets et puis aussi il y a ces espèces de donation que font les anciens étudiants qui ont une espèce de fierté. La fierté est tellement grande qu’ils donnent une fortune aux universités pour développer et les livres et les classes et ainsi de suite ce qui donne une belle classe avec une bibliothèque fournie. Mais je reste persuadé qu’avec beaucoup de volonté nous pouvons, en France, installer un système fiable ajouté à l’exception française. Nous aimons le livre mais il ne faut pas que nous restions là en attitude stérile du spectateur, comme dirait Aimé Césaire, en nous croisons les bras alors qu’un homme qui souffre n’est pas un ours qui danse toujours dans « Cahier d’un Retour au pays natal ».
Renaud Donnedieu de Vabres : D’où le goût du livre que nous avons voulu lancé, ici, à Sciences-Po, de manière exploratoire.
Ali Baddou : Et ben voilà, et ça démarre dans 5 minutes. Merci infiniment à tous d’avoir bien voulu participer à cette émission en direct et en public de Sciences-Po Paris.