Fabrique de sens
 
Accueil > Oreille attentive > Transcriptions d’émissions de France Culture > "L’idéal héroïque", avec Jean-Pierre Vernant

"L’idéal héroïque", avec Jean-Pierre Vernant

Transcription, par Taos Aït Si Slimane, d’un extrait de l’émission, « Les chemins de la connaissance », « L’idéal héroïque », par Marie-France Rivière, enregistrée en 1981 et rediffusée dans le cadre de l’hommage que France culture rendait à Jean-Pierre Vernant.

L’oralité est respectée dans toutes les transcriptions disponibles sur ce site. Je remercie par avance tout lecteur qui me signalera les probables imperfections.

Texte initialement édité sur mon blog "Tinhinane", le samedi 28 avril 2007 à 22 h 56.

« L’idéal héroïque », « Les chemins de la connaissance », avec Marie-France Rivière.

Marie-France Rivière : L’idéal héroïque, c’est celui que représente les héros du poème homérique. Mais ces personnages avaient-ils une valeur d’exemple pour ceux qui écoutaient chanter leur gloire ? Peut-on discerner, aujourd’hui, dans l’Iliade ce qui, à travers le récit épique, était une forme d’enseignement ?

Jean-Pierre Vernant : L’Iliade est un poème mais au sens grec et surtout au sens que les Grecs de l’époque archaïque pouvaient donner à ce genre d’activité. C’est un chant. C’est un chant poétique. Nous sommes dans un contexte non seulement d’une poésie orale, les auteurs n’écrivent pas leurs poèmes, ils les récitent en public, mais de ce qu’on peut appeler une civilisation, une culture orale. Ça veut dire qu’il n’y a pas, dans cette Grèce archaïque, d’écriture qui a une fonction sociale. Un poème comme l’Iliade, ou plus exactement l’ensemble de ce qui constitue le genre épique, forme non seulement un type particulier d’expression poétique mais constitue, pour une société, l’ensemble de son savoir. C’est à travers le chant des poètes que les Grecs ont en quelque sorte à leur disposition, pour le transmettre de génération en génération, tout ce qui dans des civilisations écrites se trouve consigné dans des archives, des livres d’histoire, des manuels spécialisés d’architectures ou de ce genre. Si vous voulez, lorsque Platon va instituer un type d’enseignement et de pensée proprement philosophique, il éprouvera le besoin, comme vous le savez, de condamner ce qu’il appelle la poésie, la fiction et sa condamnation va non seulement mettre en cause le type de discours qui est propre au genre épique, ou même à la tragédie mais à travers cette condamnation, rejeter tous les types de connaissances transmises de bouche à oreilles qui constituaient jusque-là le savoir commun des Grecs. Ce qu’on peut appeler leur savoir partagé. Tout ce que les Grecs connaissaient de leur soi-disant passé, c’est-à-dire la légende des héros, c’était à travers l’épopée qu’ils l’avaient apprise. Et même par-delà, comme le dira Platon, dans Homère, -dans cet Homère que les enfants apprenaient à réciter par cœur, qui été la base de la païdea, de l’enseignement grec- ils trouvaient, ou ils auraient dû trouver, ou ils croyaient trouver la façon dont on gouverne, les vertus politiques, la façon dont on construit des bateaux, on laboure, on navigue, et fondamentalement, surtout, les types, les modèles de valeurs qui étaient véhiculés à travers la tradition épique. Alors, il faut bien voir que l’épopée dont nous avons, comme ouvrage véritablement constitué l’Iliade et l’Odyssée, qui est un peu différent, -l’Iliade c’est fondamentalement un chant héroïque- ce type de poésie véhicule, à travers la forme épique, l’ensemble du système de connaissances sur lesquelles la culture grecque était fondée. Ça, c’est un point, je crois fondamental parce que ce qui se passe en Grèce et qui explique beaucoup des traits particuliers de culture grecque, c’est qu’entre le VIIIe et Ve siècle cette culture orale qui reste absolument dominante va céder le pas à des formes de savoirs qui font l’objet d’une rédaction écrite. Par exemple, les historiens ; quand Hérodote va commencer à écrire une histoire, il va rejeter dans le domaine du mutos, du mythe, du récit fictif, enjolivé et peu vraisemblable tout ce qui constituer les traditions qui étaient véhiculées par la tradition épique et que les poètes postérieurs, comme Pindar ou comme les tragiques, à Athènes avaient repris. Il y a donc là une véritable coupure qui s’institue dans la tradition intellectuelle du monde grec et l’Iliade est pour nous non seulement cet extraordinaire poème, cet extraordinaire geste des héros mais elle est, pour nous aussi, le document de ce que pu être cette tradition orale des Grecs.

Marie-France Rivière : Est-ce que le héros a une valeur absolue d’exemple ?

Jean-Pierre Vernant : Écoutez, je crois que oui. L’épopée, l’Iliade, c’est fondamentalement la geste d’un héros, la geste d’Achille. On raconte la guerre de Troie et, ce que je crois, c’est qu’Achille a une espèce de valeur exemplaire pour définir une certaine conception de l’honneur héroïque, d’un type de conduite tout à fait exceptionnelle et qui gardera pendant, au fond, très longtemps et jusqu’à l’époque classique, une espèce de valeur paradigmatique exemplaire du point de vue du système des valeurs de la Grèce.

Quels sont les traits fondamentaux de ce personnage ? Fondamentalement c’est un guerrier. Un jeune guerrier qui se fait de l’honneur ce qu’on pourrait appeler une conception absolue et radicale. A ses yeux il y a deux façons, comme il l’explique lui-même lorsqu’il expose en quelque sorte son cas, de concevoir l’existence. Il déclare, Achille, qu’à peine né il a eu à choisir entre deux sortes de destin. Ou bien une vie longue, chez lui, en paix dans le calme, et l’absence de toute gloire. Ou bien ce qu’il appelle la vie brève, la mort prompte. Mais s’il fait le choix de la vie brève, alors il obtient une gloire immortelle, Kleos aphthiton, une gloire indestructible. Et tout le problème d’Achille est, je crois, l’illustration de cette opposition. Achille est l’homme qui, en choisissant la vie brève, c’est-à-dire en se vouant en quelque sorte d’un même mouvement, tout entier à la guerre, à l’exploit héroïque, et à la mort, comme si entre ces termes il n’y avait qu’une relation qui ne pouvait pas être dissociée, guerre-exploit héroïque-mort, cet ensemble constitue la condition sinéquanone pour accéder à ce qui, aux yeux du Grec de l’épopée héroïque est fondamentale, la gloire indestructible. Qu’est-ce que c’est que Kleos aphthiton ? Qu’est-ce que c’est que cette gloire indestructible ? Et bien c’est précisément, pour Achille, et pour tous ceux qui comme lui ont franchi la barrière qui sépare la barrière du héros authentique du commun des hommes -et même d’un homme comme Agamemnon, c’est-à-dire d’un homme qui le plus roi d’entre tous les rois de l’Iliade, du chef de l’expédition - on a droit à une gloire indestructible qui est celle devenir aedimos ( ?), c’est-à-dire chantable, digne d’être chanté. Digne d’entrer dans l’épopée, comme un personnage épique. C’est-à-dire digne de devenir, pour toutes les générations qui vont suivre, ce personnage dont les aèdes vont répéter sur le même canevas oral les exploits. Vous me direz, quelle curieuse sorte d’immortalité. Mais c’est que les Grecs ne croient pas à une espèce d’immortalité de l’âme individuelle au sens ou nous pouvons, nous, aujourd’hui y croire. Les grecs pensent que la mort, c’est une façon, pour un être qui a été vivant, de se perdre dans l’anonymat, dans l’obscurité. Les morts constituent une sorte de cohorte sombre et indistincte où plus personne ne garde son nom. Plus personne n’est soi-même. Les morts s’appellent les sans-noms. Exactement comme dans l’épopée, quand le poète commence à chanter, le poète déclare que la muse -c’est-à-dire la mémoire, la fille de mémoire, mnémosyne- qui l’habite et qui l’inspire ne lui permettra pas de dire les noms et les exploits de toute cette piétaille innombrable qui a combattue. Dans cette foule immense il va retenir les noms et les exploits de quelques personnages exemplaires. Les héros, ceux qui justement ont poussé la logique de l’honneur jusqu’à une pointe si extrême qu’ils sont arrivés à donner à leur personne une sorte de relief et de puissance qui les rend incomparables avec la foule des humains ordinaires. Et ceux-là, le poète se souvient d’eux, le poète les chante. Et le rayonnement, l’éclat de son chant n’est rien d’autre que l’éclat de la gloire de ces personnages singuliers.

Marie-France Rivière : Mais tous les personnages ne sont pas mis dans le cas de choisir. Hector n’a pas choisi ?

Jean-Pierre Vernant : Hector n’a pas choisi mais il choisit quand même. Je m’explique. Hector est un héros. Il n’est pas, si vous voulez, comme Achille, une sorte de héros poussé à sa pointe extrême. Il y a chez Hector, beaucoup plus de contenu humain. Il est en même temps un mari. Il est en même temps un père. Il est en même temps un fils. Il est défini comme cela par le texte. Il est quelqu’un qui a des rapports étroits avec les Troyens et les alliés des Troyens. Achille est un individu singulier et solitaire. Ce qui le définit dans l’intrigue de l’Iliade c’est que dès le départ, parce qu’il a été offensé par Agamemnon et que les Grecs ne lui ont pas donné entièrement raison contre le roi, il décide de se retirer marquant ainsi, à ses yeux, l’honneur, le Grec dirait la time, qui lui ai donné par ses compagnons ne compte pas. C’est ce qu’il dira à un moment donné. Il dira que l’honneur de ses compagnons d’armes au fond ça lui ai égal. Il ne veut être honoré, dit-il, que par le destin de Zeus. C’est-à-dire par cette prompte mort que Zeus lui a réservée. Il ne veut comme honneur que cette espèce de sacrifice de lui-même qu’il a accepté dans le combat, cette vocation à la guerre et à la mort, qui lui permettra d’obtenir la gloire immortelle. Hector n’est pas comme cela mais lorsqu’Hector s’est trouvé hors des murs de Troie et qu’Achille le poursuit, après qu’Achille, Patrocle étant mort, a décidé de revenir dans la bataille. Hector voit apparaître Achille. Achille qui le remplit de terreur. Achille qui rayonne de feu avec son armure, ses yeux étincelants, sa gestuelle, les grimaces qu’il fait, ses claquements de langues, toute cette espèce de mimiques de terreurs que comporte le visage du héros possédé par la transe guerrière, Hector fuit comme un lapin. Il fait le tour des murs de Troie puis finalement il voit qu’Achille va le rattraper, il voit en même temps qu’Athéna se joue de lui et il comprend que son destin est arrivé. A ce moment-là, Hector décide de faire face et dit à peu près ces paroles, il a compris qu’il va mourir, il a compris que c’est un combat qui engage sa vie, qui engage sa psuké, sa vie mortelle, il déclare : « Non, je ne mourais pas sans gloire, ni sans quelque exploit qui parvienne à la mémoire des hommes à venir. » C’est-à-dire qu’au dernier moment, il décide de transformer sa mort, qui est comme toutes les morts inévitables, qui n’est rien, qui est le destin de tous les hommes, en quelque chose qui par la façon même dont il va accueillir la mort dans une épreuve où il tient ferme, va faire de la mort un bien qui lui ai propre à lui, Hector, qui lui appartient à jamais et qui soit transformée dans la mémoire des hommes, dans le chant poétique, en une gloire immortelle. Alors, c’est le cas d’Hector, c’est le cas d’Achille, c’est le cas d’un autre homme comme Sarpédon, c’est le cas aussi d’un homme comme Patrocle. Ce sont de véritables héros. Il y a dans l’Iliade deux morales superposées. Il y a d’une part la morale ordinaire qui est une morale de l’honneur au sens où nous connaissons en Méditerranée des sociétés où l’honneur joue. C’est-à-dire que ce qui compte c’est ce qu’on pense de vous. Les gens n’existent que par rapport au regard que les autres portent sur lui. Il ne faut pas perdre la face. Mais il y a des règles dans cet honneur. Si on vous a humilié, comme par exemple, Agamemnon a humilié Achille, alors il y a des procédures de compensation. Agamemnon, en effet, va envoyer à Achille une ambassade, où il s’abaisse lui-même en tant que roi, il offre à Achille tout ce que l’on peut imaginer, y compris sa fille à épouser à son choix. Il lui rend celle qu’il lui avait prise Briséis, il la lui rend en affirmant qu’il ne l’a pas touchée. Il lui propose des villes. Il en fait son gendre, et sa femme Achille n’aura pas à l’acheter. Il s’abaisse devant Achille. Tout homme considérerait que l’affront est lavé. Non, non, non. Achille, non. Pourquoi ? Achille s’explique très clairement. Et c’est, je crois, là le fond du problème de ce qu’on appeler l’idéal héroïque. C’est qu’Achille explique qu’il n’y a aucune commune mesure entre tout ce que possède Agamemnon, les titres, il est roi, la puissance, le commandement, le sceptre que Zeus a transmis dans sa lignée pour qu’il ait le pouvoir de commander, les richesses, les biens, les trépieds, les terres, tous ces honneurs terrestres dont Achille dit qu’on peut toujours les retrouver quand on les perd, les échanger, les reconquérir lorsqu’on ne les a plus et ce que le véritable héros engage. Ce qu’il engage parce qu’il a décidé de l’engager en chaque combat et qui est quoi ? Qui est lui-même dans sa dimension héroïque, c’est-à-dire sa vie mortelle. « L’âme d’un guerrier ne se retrouve plus lorsqu’elle a franchit la frontière des dents » dit Achille. Que peuvent me faire tous ces moutons, ces trépieds, cet or et tout ce qu’il m’offre ? Tout cela, qu’Agamemnon possède et sur lequel jouent les règles de l’honneur ordinaire ne compte pas quand on le comparer à quelque chose qui est sa propre vie mortelle. Or, Agamemnon, c’est encore Achille qui le dit, est incapable de faire cet acte d’éprouver dans un duel, où on est deux et où on engage sa vie, d’éprouver justement cela. Il ne peut pas engager sa propre vie. Achille lui dit : « Toi tu te camoufles derrière les nefs et tu n’es jamais prêt à combattre au premier rang, là où justement l’enjeu est à chaque fois, pour le héros, sa propre vie » Quand l’enjeu est chaque fois sa propre vie, on est sûr un jour de la perdre. Mais c’est parce qu’on a accepté cela que d’une part, autant qu’il est possible à l’homme, dans le contexte de cette culture, on l’emporte sur la mort. On l’emporte sur la mort parce que pour un Grec exister, vivre, c’est échapper justement qu’on soit vivant, ou qu’on soit mort, à l’anonymat, l’obscurité, au blâme. C’est ne pas être insignifiant. Exister, qu’on soit vivant ou qu’on soit mort, ça veut dire qu’on est louangé, qu’on est reconnu, qu’on est célébré, qu’on est chanté. Il n’y a pas d’autres moyens d’être chanté, c’est-à-dire d’exister toujours, de vivre indéfiniment dans la mémoire des hommes que de perdre la vie dans un combat héroïque. En la perdant non seulement on gagne la gloire immortelle mais on gagne, ce qui est fondamental, une jeunesse indéfectible.

La mort, pour le Grec, ce n’est pas seulement le fait du décès, c’est rien. La mort c’est cette puissance qui est installé en chacun de nous et qui fait que toutes les choses humaines, toutes les choses de ce monde, sont passagères, transitoires, qu’on soit beau, vif, rapide, souple, qu’on ait l’alke, cette espèce d’ardeur qui vous rend invincible, et que peu à peu tout ça se fane et se décrépite et qu’on devient un vieux, un vieux pour qui la vie n’a plus de sens. Tout se fane, il y a ce beau mot : « Il mort jeune, ce que les dieux aiment ». Pourquoi, il mort jeune ? Parce que leur corps, leur cadavre et c’est ce qui était expliqué très clairement dans l’Iliade, leur cadavre ne peut pas ne pas remplir le spectateur de beauté. Lorsqu’Hector est mort, Achille le dépouille de ses armes. Il git nu dans la poussière. Tous les Grecs arrivent. Tous les Grecs à qui Hector a fait tant de mal. Comme ils le haïssent, tous lui portent encore des coups. L’un le transperce. On a donc un cadavre souillé de poussière et de sang et le poète chante que tous les Grecs regardaient et admiraient la beauté enviable d’Hector. Ça, c’est la belle mort. C’est un mort où l’individu est maintenant réduit à son apparence physique. On reconnait que c’est Hector mais l’âme est partie, la psuké est partie et le corps est inanimé. Il ne peut plus ni porter secours à ses amis, ni faire peur à ses ennemis. Il est là, étendu, immobile. Il est réduit, en quelque sorte, à l’apparence physique de son corps, ce que les Grecs appellent soma, le mot grec qui veut dire corps, signifie dans l’épopée le corps de quelqu’un qui est mort, le cadavre. Et, à ce moment-là, ce corps rayonne d’une sorte de beauté extraordinaire. Parce qu’il a une beauté virile et guerrière qui est rehaussée par sa mort même. C’est pourquoi on prendra le cadavre, on le lavera, on l’embellira, on va l’oindre d’huile, on va le déposer sur un lit où tout le monde l’admirera et on va ensuite le brûler pour que disparaissant dans l’invisible, en tant qu’apparence, il ne reste plus de lui que d’une part le mémorial funéraire, le dertre qu’on élèvera sur son tombeau où il y aura ses os et d’autres part le chant qui va conserver sa mémoire et qui va le chanter en gloire et en jeunesse. Autrement dit, dans cette espèce de vision héroïque du monde, où ce sont les valeurs de vie qui sont exaltées, parce que ce que recherche le héros ce qu’il déteste c’est la mort, ce qu’il déteste c’est l’anonymat de la mort, ce qu’il met au-dessus de tout c’est de rester vivant parmi les vivants. Et il ne peut y rester que s’il inscrit sa présence dans l’épopée.

Marie-France Rivière : Mais en fait ils ont parfaitement réussi puisqu’ils sont encore dans nos mémoires.

Jean-Pierre Vernant : entendu. Ils ont tellement bien réussi qu’il y a un épisode de l’Iliade qui dit tout cela fort clairement. C’est cet épisode où Achille est dans sa tente. Il est retiré dans sa tente, il ne veut plus combattre, il a décidé que puisqu’on l’a offensé il ne rentrera plus dans le combat avec les Grecs. Tout le monde vient le prier. Et en particulier on lui envoie à ce moment-là une délégation à la fois de ses amis, des plus vieux, des plus sages, des plus malins, comme Ulysse, pour lui dire que ce n’est pas possible, Agamemnon s’est aplati par terre et maintenant ça est l’honneur est sauf. Non, pour Achille l’honneur n’est jamais sauf. C’est comme un crime de lez-majesté. Achille se place si haut dans son honneur héroïque que s’il n’est pas tout en haut, il est tout en bas. Il n’y a pas de position intermédiaire. Voilà, il n’y a rien à faire. Alors, il est là, qu’est-ce qu’il fait ? Et bien le poète nous décrit Achille avec Patrocle, qui est assis en face de lui. Et Achille chante. Il chante, il joue de la lyre en même temps. Et qu’est-ce qu’il chante, Achille ? Il chante les Klea andron, c’est-à-dire les hauts faits des hommes, des hommes d’autrefois. C’est-à-dire qu’il chante très exactement ce qu’Homère chante. D’une certaine façon, il se chante lui-même comme si pour Achille, Achille ne pouvait pas avoir d’autre existence que cet Achille qu’Homère chantera, comme si c’était seulement dans le miroir du chant qui dit sa gloire, dans le miroir du chant qui est la mémoire sociale, la mémoire collective des Grecs qu’Achille, en quelque sorte, pouvait se reconnaître comme une personne, comme quelqu’un.



Haut de pageMentions légalesContactRédactionSPIP