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La Fabrique de l’Histoire / Débat sur le projet de la Maison de l’histoire de France

Transcription par Taos Aït Si Slimane du « Débat sur le projet de la Maison de l’histoire de France » de l’émission « La Fabrique de l’Histoire » par Emmanuel Laurentin. Une émission du mercredi 1er décembre 2010 avec Frédéric Mitterrand et Patrick Boucheron.

Présentation sur le site de l’émission : Pour la première fois aussi longuement, le ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand, dialogue publiquement avec un historien opposé au projet de la maison d’histoire de France, Patrick Boucheron.

Pendant cinquante minutes ils évoquent la nécessité d’un tel lieu, son implantation au cœur de Paris, sur le site des Archives Nationales, les réticences de certains historiens face à l’instrumentalisation de ce projet par le pouvoir politique et la création d’un conseil scientifique pour le piloter.

Invités : Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication et Patrick Boucheron, maître de conférences à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, membre de l’Institut universitaire de France.

Note ajoutée postérieurement à l’émission : Le Jeudi 13 Janvier 2011, Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture, a installé le Comité d’orientation scientifique de la future Maison de l’histoire de France. Le Comité est composé de 19 membres et est présidé par une personnalité nommée par le ministre de la Culture et de la Communication. Le mandat de ses membres est de deux ans renouvelables.

Membres du comité

 Jean Favier, président d’honneur, ancien directeur général des archives de France, ancien président de la Bibliothèque nationale de France

 Jean-Pierre Rioux, président, inspecteur général honoraire de l’Éducation nationale

 Dominique Borne, rapporteur général, Inspecteur général honoraire de l’Éducation nationale.

 Jacques Berlioz, directeur de l’École nationale des chartes

 Eric Deroo, cinéaste et historien

 Étienne François, professeur honoraire des universités

 Sébastien Laurent, maître de conférences à l’université de Bordeaux,
chargé de recherche au Service historique de la Défense

 Dominique Missika, productrice et éditrice

 Laurent Olivier, conservateur du patrimoine au Musée d’archéologie
nationale (Saint-Germain-en-Laye)

 Pascal Ory, professeur des universités à l’université Paris I-Sorbonne

 Jean-Christian Petitfils, historien

 Paule René-Bazin, conservateur général honoraire du patrimoine

 Anthony Rowley, maître de conférences à l’Institut d’études politiques de Paris

 Martine Segalen, professeur honoraire des universités

 Benjamin Stora, professeur des universités à l’université Paris XIII et à l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO)

 Elisabeth Taburet-Delahaye, conservateur général du patrimoine,
directrice du musée de Cluny-Musée national du Moyen Âge

 Laurent Theis, professeur émérite des universités

 Anne-Marie Thiesse, directeur de recherche au CNRS

 Emmanuel de Waresquiel, ingénieur de recherche à l’École pratique des hautes études

Vos remarques, observations et corrections sont toujours les bienvenues.

Emmanuel Laurentin : Troisième temps de notre série hebdomadaire sur les débats d’actualité en histoire, une discussion ce matin, jusqu’à 10h, qui va nous permettre de faire le point sur un projet lancé officiellement à Nîmes, en janvier 2009, par le président de la République et complété en septembre dernier, à Lascaux, par ce même président de la République, la Maison de l’histoire de France. Un projet présidentiel, fortement discuté chez les historiens, dont la tutelle revient au ministre de la culture. Le ministre de la culture, Frédéric Mitterrand, sera avec nous. Il est un des deux invités de cette discussion de ce matin, dans « La Fabrique de l’Histoire », le deuxième est Patrick Boucheron. Patrick Boucheron enseigne l’histoire du Moyen-âge à l’Université Paris I Sorbonne, pour lui, cette année 2010 a été particulièrement riche parce qu’elle s’est ouverte sur la publication, chez Fayard, d’un important ouvrage qu’il a dirigé, l’« Histoire du monde au XVe siècle », et qu’elle se clôt sur la sortie en librairie d’un brillant petit livre, publié aux Presses de la Sorbonne, « Faire profession d’historien », dans lequel il revient sur son parcours. Patrick Boucheron fait partie de ces historiens lecteurs de Michelet, qui pense que faire l’histoire de France n’est pas un mal en soi mais qui, pour le moins, doute devant cette Maison de l’histoire, qui doit voir le jour en 2015, à Paris. Le ministre et l’historien vont débattre de ce projet à un moment crucial de son histoire tandis que doit se concrétiser l’existence d’un Conseil scientifique, chargé d’en définir les contours et le discours.

Bonjour, Monsieur le ministre.

Frédéric Mitterrand : Bonjour Emmanuel.

Emmanuel Laurentin : Bonjour, Frédéric Mitterrand et bonjour Patrick Boucheron.

Patrick Boucheron : Bonjour.

Emmanuel Laurentin : En décembre 1963, le Général de Gaulle entrait dans cette maison et faisait un discours. Un discours qui commençait par une question : À la radio, fallait-il une maison ? Alors, je vous reprends la question en disant : À l’histoire...

Frédéric Mitterrand : Il fallait sans doute une maison puisqu’on y est toujours et qu’elle fonctionne très bien !

Emmanuel Laurentin : Exactement...

Frédéric Mitterrand : La preuve, ce matin !

Emmanuel Laurentin : Donc, je vous pose la question : À l’histoire, fallait-il une maison, Frédéric Mitterrand ?

Frédéric Mitterrand : Je pense que oui. Je pense que oui pour plusieurs raisons. Tout d’abord, il y a une soif d’histoire dans notre pays, qui est considérable, qui regroupe toutes sortes de courants, des dames qui font de la généalogie aux gens qui sont très érudits et surtout à l’extraordinaire école d’historiens, que nous avons en France depuis longtemps, qui a assuré le rayonnement de l’histoire vue depuis la France à l’étranger. D’autre part, nous avons un « émiettage », en quelque sorte, de tous les repères historiques en France, on a à peu près 1000 musées, des lieux patrimoniaux extraordinaires, et on n’a pas de cartographie précise de l’ensemble. De surcroît, on est peut-être un peu perdu devant le foisonnement des travaux historiques, puisqu’on est vraiment passé de l’histoire chronologique à toutes sortes de regards croisés sur la manière dont on peut appréhender l’histoire. Et je pense qu’il est bon de trouver un moyen pour se repérer au milieu de tout cela.

Emmanuel Laurentin : Patrick Boucheron, je vous pose la même question : À l’histoire, fallait-il une maison ?

Patrick Boucheron : Une maison, bien sûr ! La maison de l’histoire, je dirais qu’elle existe déjà, c’est la diversité des usages de l’histoire que nous serons d’accord pour constater et pour s’en féliciter, aussi. Le rapport Lemoine commence par une sorte…

Emmanuel Laurentin : Le rapport Lemoine, le premier rapport…

Patrick Boucheron : Le premier rapport qui…

Frédéric Mitterrand : Le premier rapport, c’était Rioux, non ?

Emmanuel Laurentin : Non, premier rapport Lemoine, deuxième rapport Jean-Pierre Rioux, troisième rapport Jean-François Hébert.

Patrick Boucheron : Avril 2008, le premier à lancer l’idée de ce qui ne s’appelle pas encore « Maison », à ce moment il s’appelle musée…

Emmanuel Laurentin : Musée de l’histoire de France.

Frédéric Mitterrand : Ils forment un corpus les trois rapports.

Patrick Boucheron : Oui. Il forme ce diagnostic d’un appétit de l’histoire dans la société française qui n’est pas pleinement rassasié par l’histoire académique. Par rapport à ce foisonnement des usages de l’histoire : usage amateur, usage romanesque, usage télévisuel, audiovisuel, on peut avoir deux attitudes : il y a une attitude de repli, une attitude d’inquiétude, qui peut être celle des historiens aussi : l’histoire aux historiens, c’est un point de vue par exemple qui n’est pas le mien mais qui peut être celui d’une génération ou d’une corporation. Puis, il y a une autre manière de dire, qui est plus inquiétante encore et qui forme le substrat je dirais politique qu’il y a derrière la Maison de l’histoire de France, de son projet en tout cas, c’est ce que vous avez dit, Monsieur le ministre : on est perdu dans ces usages. Mais, pardon, nous étions à Blois, au festival de Blois…

Emmanuel Laurentin : Aux rendez-vous de l’histoire.

Patrick Boucheron : Qui représente d’une certaine façon, cet idéal d’une histoire partagée…

Frédéric Mitterrand : À Blois, on n’est pas perdu.

Patrick Boucheron : Et on n’est pas perdu.

Frédéric Mitterrand : Non, on n’est pas perdu parce qu’on est dans un lieu, précisément dans une grande maison.

Patrick Boucheron : Voilà, et là on peut entendre l’histoire, je dirais qui va de Paul Veyne à Stéphane Bern, et tout va bien. Alors, la question qui au fond peut être débattue ce matin c’est : est-ce qu’à partir de constat de la diversité…

Emmanuel Laurentin : Constat partagé !

Patrick Boucheron : Constat partagé de la diversité des usages, est-ce qu’il faut s’en plaindre ? Est-ce qu’il faut dire : c’est une perte ? On est perdu. Ou est-ce qu’il faut simplement le constater et en prendre son parti ?

Frédéric Mitterrand : On est d’accord déjà sur ce point-là. Simplement, Blois c’est 4 jours par an. Et entre 4 jours par an et la permanence, il y a une très grande différence. Le projet de la Maison de l’histoire de France se découple en plusieurs choses qui prennent tout à fait en compte ce que Patrick Boucheron vient de dire. C’est tout d’abord un portail, je n’ai pas d’autre mot pour l’instant, sur Internet qui fait état de toutes les connaissances sur l’histoire à un moment donné et qui évolue puisque tout évolue tellement vite dans ce domaine, où il y a à la fois des bibliographies, les réponses à des colloques, la présence des colloques, les travaux qui se font, les articles, etc. C’est aussi une cartographie précise, qui permet précisément de ne pas être perdu, je ne sais pas si j’ai utilisé vraiment ce mot-là, qui permet de se repérer convenablement à travers tous les lieux d’histoire qu’il y a en France, c’est-à-dire tous ces musées dont j’ai parlé…

Emmanuel Laurentin : C’est en cela que c’est une tête de réseau, comme on appelle cela maintenant en jargon administratif ?

Frédéric Mitterrand : Et à l’arrivée, après cette carte qui sera faite, qui fait que quand on s’intéresse par exemple à l’Antiquité, il y a un musée absolument merveilleux à Arles, mais il y en a plein d’autres en France, on a le repère pour aller voir les autres, il y a des interconnexions éventuellement pour s’y repérer. Et il y a aussi ce que l’on peut voir à l’étranger et qui correspond à la même… avec des antennes, des pistes pour y aller, pour savoir comment cela se passe. Puis, il y a un troisième élément, c’est en quelque sorte la clef de voûte de l’ensemble. La clef de voûte de l’ensemble, c’est précisément dans un lieu qui fait ce qui se passe à Blois pendant trois jours mais qui le fait pendant le reste de l’année. Un lieu où il y aura à a fois un auditorium pour voir des films. Moi je suis un enfant de Marc Ferro, le jour où j’ai vu Métropolis avec Marc Ferro, j’avais 19 ans, depuis ce jour-là, je n’ai plus voir un seul film, même une comédie musicale américaine, sans penser à ce que cela signifiait sur le plan historique aussi. D’ailleurs on y pense même de façon très, très forte même quand on va voir l’exposition Monet, on pense à l’histoire, on se demande quel a été le cheminement de cet homme qui ensuite est devenu l’ami de Clémenceau. Bon alors, il y a à la fois un auditorium, il y a des salles pour les colloques, les conférences, etc. Il y a même éventuellement des chambres en résidence pour les chercheurs, parce que le lien avec les chercheurs de l’université, des enseignants, doit être très, très fort. Des salles d’expositions temporaires où l’on peut étudier les questions relatives à l’histoire. Puis, effectivement une galerie chronologique pour se repérer parce que malgré tout la chronologie permet d’avoir un socle sur lequel on peut ensuite construire les questions.

Emmanuel Laurentin : Alors, qu’est-ce qui vous ennui dans ce programme tel qu’il est présenté actuellement par le ministre de la culture, Patrick Boucheron ? On a vu beaucoup d’historiens débattre, discuter, dans les journaux en particulier, les tribunes : Daniel Roche, Jacques Le Goff, Arlette Farge, Pierre Nora, contester ce projet de façon assez vive, qu’est-ce que vous, en tant qu’historien de votre génération…

Frédéric Mitterrand : Il y a des historiens qui sont pour, Emmanuel. Quand on aura constitué le Conseil scientifique, on s’apercevra qu’il y en a qui sont pour.

Emmanuel Laurentin : On en parlera à ce moment-là. On parlera de ce Conseil scientifique, en gestation pour l’instant. Patrick Boucheron, qu’est-ce qui vous ennuie en tous les cas ? Si cela ne vous choque pas, qu’est-ce qui vous ennuie ? Puisque j’ai dit tout à l’heure que vous n’étiez pas, comme tous ceux qui ont lu Michelet, hostile à l’idée même d’une histoire de France.

Patrick Boucheron : Évidemment, comment être hostile à l’idée même de l’histoire de France ?

Emmanuel Laurentin : Il y a des historiens qui sont hostiles à cette idée-là.

Patrick Boucheron : Oui, en même temps parmi les signataires de l’Appel auquel vous faites allusion, qui était sans doute un appel nécessaire pour fixer le débat, parce que moi je ne pense pas qu’il soit décevant qu’il y ait un débat sur une question politique.

Frédéric Mitterrand : Je l’appelle de mes vœux !

Emmanuel Laurentin : C’est pour ça que vous êtes là tous les deux.

Patrick Boucheron : Mais appelons-là déjà comme une question politique. Elle est politique parce que les attendus du projet, - pardon, il faut reparler de ces différents rapports, après tout ce sont des documents publics que l’on peut lire sur Internet, sur le site du ministère de la culture – qui justifient cette création d’un équipement culturel sont directement issus de la campagne électorale de Nicolas Sarkozy, en 2007, tout cela on l’a déjà raconté…

Emmanuel Laurentin : Le rapport du président de la République à l’histoire, des usages de l’histoire, mais pas seulement de lui mais de toute la classe politique de l’époque.

Patrick Boucheron : Il pose un diagnostic politique sur la situation. Et elle est politique aussi parce qu’on peut parler des politiques culturelles, on peut parler de cette tête de réseau dont vous évoquez les effets bénéfiques mais c’est lié à ce que l’on appelle la RGPP, qui a aussi des opposants. Alors, sur les rapports eux-mêmes et sur je dirais le diagnostic, ça, c’est quelque chose d’important, parce que vous me dites est-ce que cela m’ennui ? Moi, a priori je suis un historien, je ne suis pas là pour monter en chaire et dire ce qui est bien et ce qui est mal, je suis là pour lire les documents. Le premier document est d’avril 2008, il est encore dans l’enthousiasme du commencement…

Emmanuel Laurentin : Dans l’élan.

Patrick Boucheron : Dans l’élan, et avec une sorte de candeur, presque touchante aujourd’hui,…

Emmanuel Laurentin : C’est le rapport d’Hervé Lemoine.

Patrick Boucheron : Il pose le diagnostic qui est celui-là, qui est de dire : « La France est malade de sa mémoire. L’histoire est désorientée sous les coups des mémoires affrontées. » C’est quelque chose que l’on ne cesse de dire, c’est quelque chose que les historiens peuvent dire, mais le fait que les historiens le disent n’en fait pas une réalité historique, ça reste une opinion politique.

Emmanuel Laurentin : Et c’est un débat médiatique aussi, il faut bien le reconnaître.

Patrick Boucheron : Et par rapport à cette opinion, on peut avoir un débat.

Frédéric Mitterrand : Je ne sais pas si le terme : « La France est malade de sa mémoire. », se trouve dans les rapports, je les ai relus là pendant le week-end, d’ailleurs si je me trompe dans la chronologie, c’est que je les lis comme un corpus, à l’intérieur des rapports, on trouve peut-être ce genre de notations qui correspondent d’ailleurs à la vision d’un certain nombre de personnes, l’histoire est tellement riche, je l’ai dit tout à l’heure, qu’il y a toutes sortes de courants et de manières de l’aborder.

Emmanuel Laurentin : Il y a plusieurs maisons dans la maison du père.

Frédéric Mitterrand : Il y a plusieurs chemins pour rejoindre la maison du père, oui. Mais en fait, moi, je ne suis pas malade de la mémoire de la France ni de l’histoire de France, pas du tout. Je ne suis ni dans la glorification ni dans la repentance. Je vois simplement une histoire de France qu’on a du mal à percevoir, qu’on a du mal aussi à relier à l’histoire du monde. Et je pense que quand on a le dernier livre de Patrick Boucheron entre les mains justement, on s’en rend compte…

Emmanuel Laurentin : L’« Histoire du monde au XVe siècle ».

Frédéric Mitterrand : On se rend compte que c’est extraordinaire de mettre justement en parallèle ces histoires différentes dans leurs contours, dans leurs retrouvailles, dans la manière dont elles s’interfèrent ou ne s’interfèrent pas. Donc, moi, je n’ai pas ces problèmes-là. Par ailleurs, moi je n’ai pas non plus d’a priori politique, ce que tout le monde veut lire, à droite comme à gauche, et qui ne retient pas vraiment mon attention totalement.

Emmanuel Laurentin : Tout de même, vous avez parlé du premier rapport, le rapport Lemoine mais ce rapport est derrière, depuis il y a deux autres qui ont été publiés, le dernier en date étant celui de Jean-François Hébert, qui est chargé de la préfiguration de cette Maison d’histoire de France, et ce rapport…

Frédéric Mitterrand : Il est très ouvert.

Emmanuel Laurentin : Il est beaucoup plus ouvert, plus récent que le premier…

Patrick Boucheron : Il est plus prudent.

Emmanuel Laurentin : Plus prudent.

Frédéric Mitterrand : Ouvert, ouvert !

Patrick Boucheron : Il amortit, il tient compte du fait qu’il y a eu des résistances et que ces résistances sont très fortes.

Frédéric Mitterrand : Non, il tient compte de ce qu’a dit le ministre.

Patrick Boucheron : Tant mieux !

Frédéric Mitterrand : C’est surtout de ça dont il tient compte, et de l’intelligence de son auteur, Jean-François Hébert.

Patrick Boucheron : Le rapport Lemoine, il y a quand même un pessimisme fondamental dans cette histoire. On lit dans le rapport Lemoine : « Le pire n’est pas à venir, il est advenu. »

Frédéric Mitterrand : Sous Vichy, ce n’était pas terrible !

Patrick Boucheron : Non, mais il parle d’aujourd’hui. Et là, je cite le dernier rapport Hébert…

Emmanuel Laurentin : Le dernier rapport.

Patrick Boucheron : Le dernier : « La maison est un antidote à la tentation du relativisme qui nivelle toutes les valeurs » Ça, c’est une position qui est idéologique.

Frédéric Mitterrand : Oui, bon, il y a des positions idéologiques des uns et des autres. C’est tout l’ensemble, si vous allez à Blois vous arrivez dans des stands où vous avez des gens qui vous tiennent un discours sur l’histoire puis dans le stand d’à côté vous en avez d’autres qui vous…

Patrick Boucheron : Bien sûr.

Frédéric Mitterrand : Ce qui est important…

Emmanuel Laurentin : Quel est votre discours ?

Frédéric Mitterrand : Ce qui est important, c’est le dialogue et le foisonnement, ce qui est important c’est la plate-forme où les gens peuvent échanger…

Patrick Boucheron : J’entends bien.

Frédéric Mitterrand : Ce qui est important, c’est l’endroit où les gens peuvent étudier. Ce qui est important, c’est l’endroit où les gens s’avancent, sont en contact avec le grand public. Ce qui est important, c’est l’endroit où les chercheurs peuvent être proches des archives. Ce qui est important, c’est le lieu de vie. La vie est plus forte que tout. Quand cette Maison sera ouverte, 5 ans plus tard toutes ces polémiques nous paraîtront vraiment vaines, vraiment vaines.

Emmanuel Laurentin : Est-ce qu’il est important de savoir le discours sur l’histoire du ministre qui est chargé de ce dossier ? C’est-à-dire votre vision, vous, de ce que doit être ce lieu.

Frédéric Mitterrand : Je vous l’ai exposé, je vous ai raconté ce qu’il en est. Je vous ai dit ce qu’il en est. Donc, je vois la construction comme cela mais au fond ce n’est pas à moi d’avoir un discours sur l’histoire.

Patrick Boucheron : Ça, c’est évidemment quelque chose d’important.

Frédéric Mitterrand : Le discours sur l’histoire et sur la Maison de l’histoire va être établi par le Conseil scientifique suis sera chargé d’élaborer le contenu, le fonctionnement et, encore plus important peut-être, les méthodes, parce que le contenu et le fonctionnement… On va faire la rencontre dans la liberté de chacun mais les méthodes qui ne devront pas être contraignantes, qui devront être ouvertes, et non pas prudentes, ce n’est pas tout à fait la même chose, ça, c’est le Conseil scientifique qui va les déterminer.

Emmanuel Laurentin : Alors, venons-en à ce Conseil scientifique puisque nous sommes en plein moment de création, de conception de ce Conseil scientifique. Blois a été d’ailleurs un moment fort où on vu des historiens discuter entre eux : « Est-ce que tu y vas ? », « Est-ce que tu n’y va pas ? », « Qu’est-ce que tu fais toi si on te demande ? », etc. On voit bien effectivement qu’il y a beaucoup de prévention, beaucoup de précautions oratoires qui sont prises…

Frédéric Mitterrand : C’est normal aussi.

Emmanuel Laurentin : Où on est-t-on, Monsieur le ministre, sur cette question du Conseil scientifique ?

Frédéric Mitterrand : Juste un mot, c’est normal qu’il y ait ce débat, après tout ce sont des choses qui sont très, très importantes, qui met en jeu des gens éminents, qui ont travaillé. Patrick Boucheron parle de son parcours dans le livre que vous avez rappelé, Emmanuel Laurentin.

Emmanuel Laurentin : « Faire profession d’historien »

Frédéric Mitterrand : Tout ça n’est pas une plaisanterie même s’il faut y mettre aussi de temps en temps, conformément à mon caractère, un peu d’humour et de distance, pour ne pas être totalement emporté par la passion, au contraire être toujours soucieux de dialogue. Quelle est la manière dont va se former le Conseil scientifique. Écoutez, il y aura dans le Conseil scientifique, je pense, des historiens éminents, il y aura des gens qui précisément permettront d’avoir des ponts entre l’histoire et d’autres sciences, comme la sociologie, la géographie, etc.

Emmanuel Laurentin : Mais c’est un Conseil qui a quelles missions dans cette Maison à venir ? C’est-à-dire qu’il a la mission de définir les contours, le discours, ce qu’on y verra, ce qu’on y entendra ? C’est ce Conseil qui aura la haute main ?

Frédéric Mitterrand : Comme je vous l’ai dit, c’est ce Conseil qui va élaborer…. Vous savez, en France, il faut avoir, quand on veut construire quelque chose, les artistes, par exemple quand on avait fait le Centre Pompidou, puis il faut avoir l’administration.

Emmanuel Laurentin : Le géomètre et le saltimbanque.

Frédéric Mitterrand : Oui.

Emmanuel Laurentin : Une expression de François Mitterrand.

Frédéric Mitterrand : L’administration est puissante en France, et c’est avec l’administration que vous êtes aussi appelé à travailler. J’ai, avec la présence de Jean-François Hébert et de son équipe, quelqu’un qui tient cela très, très bien.

Emmanuel Laurentin : Le géomètre.

Frédéric Mitterrand : Le géomètre qui tient cela très, très bien, qui le fait très, très bien, qui est à l’écoute de son ministre, ce dont je ne peux que me féliciter et le féliciter lui, mais en même temps, ce n’est pas le géomètre qui dit ce qu’il y aura dans la Maison. Il y contribue mais c’est le Conseil scientifique, qui va habiter la Maison, qui dit comment sera la Maison.

Patrick Boucheron : J’ai tendu effectivement que vous ne vous reconnaissiez pas complètement dans la pétition de principe qui préside à la construction intellectuelle de la Maison…

Frédéric Mitterrand : Je vous arrête, Patrick Boucheron, il n’y a pas une pétition de principe.

Patrick Boucheron : Si, je pense quand même…

Frédéric Mitterrand : Il y a une volonté de départ, qui est d’ailleurs assez conforme à ce qui se passe en France, toujours, avec les grands établissements de musées ou d’institutions qui se font, mais en dehors de ça, il y a une très grande liberté dans la constitution.

Patrick Boucheron : Alors, parlons de la volonté de départ. Parlons de la volonté de départ parce que le fait qu’elle soit politique évidemment n’est pas en soi une tare. Vous faites allusion aux grands établissements,…

Emmanuel Laurentin : Aux grands projets.

Patrick Boucheron : Aux grands projets présidentiels, celui-là est clairement un grand projet présidentiel. On peut d’ores et déjà dire que l’on n’est pas dans le même rayon de courbure budgétaire, évidemment on peut toujours le comparer

Emmanuel Laurentin : Ce n’est pas le Quai Branly, ce n’est pas la Grande Bibliothèque.

Patrick Boucheron : Ce n’est pas le Quai Branly, ce n’est pas le Musée d’Orsay, ce n’est évidemment pas le Louvre, on parle d’un budget de 60 à 80 millions d’euros.

Frédéric Mitterrand : Qui sont de belles opérations, plébiscitées.

Patrick Boucheron : Oui, ça correspond aux capacités financières de l’État aujourd’hui, en tout cas telles que les politiques économiques actuelles le permettent. Le fait n’est pas que l’initiative soit politique, comment ne le serait-elle pour la construction d’une institution ? mais, c’est qu’elle est, dit Pierre Nora, politicienne. Alors, Pierre Nora, je parle de cette tribune…

Emmanuel Laurentin : C’est une tribune dans Le Monde, qui date du 11 novembre dernier.

Patrick Boucheron : Et qui a fait un peu de mal, quand même ! Parce que Pierre Nora…

Frédéric Mitterrand : Elle n’a pas fait de mal, elle a fait avancer le débat.

Patrick Boucheron : Oui…

Frédéric Mitterrand : La preuve, on se retrouve aujourd’hui ensemble, c’est très bien.

Patrick Boucheron : Si, elle a fait un peu de mal parce que malgré tout, Monsieur le Ministre, on sait bien que cette constitution d’un Conseil scientifique a du mal quand même à se faire…

Frédéric Mitterrand : Non, non aucun mal.

Patrick Boucheron : Que Pierre Nora au fond…

Frédéric Mitterrand : Non, non, Patrick Boucheron. Elle n’a aucun mal à se faire à condition que l’on accepte de venir me voir. Par exemple, j’ai proposé à l’un de vos amis, Monsieur Offenstadt, de venir me voir, il m’a envoyé un mot en me disant qu’il ne viendrait jamais me voir.

Patrick Boucheron : En tout cas, ce qu’a dit Pierre Nora…

Frédéric Mitterrand : Effectivement de temps en temps, il y a des difficultés à établir le dialogue mais je n’ai pas de mal à constituer mon Conseil scientifique.

Emmanuel Laurentin : C’est vrai ?

Frédéric Mitterrand : Non, je n’ai pas de mal, je vous assure.

Emmanuel Laurentin : Tout de même, on entend, peut-être a-t-on les mauvais numéros de téléphone…

Frédéric Mitterrand : Mais on entend de tout !

Emmanuel Laurentin : On entend des gens qui nous disent : je n’y vais pas.

Frédéric Mitterrand : Bien sûr qu’il y a des gens qui disent qu’ils n’y vont pas, c’est tout à fait leur droit.

Emmanuel Laurentin : Et des gens importants. J’ai cité tout à l’heure : Jacques Le Goff, Pierre Nora, etc.

Frédéric Mitterrand : Regardez la pyramide du Louvre, moi, je suis un grand admirateur de Michel Guy, qui a été un grand ministre

Emmanuel Laurentin : Il y avait d’ailleurs une journée à son hommage la semaine dernière.

Frédéric Mitterrand : Je lu ai rendu hommage la semaine dernière. Je suis un grand admirateur de Michel Guy, qui a été un grand ministre de la culture, pas très longtemps, pendant deux ans, il a marqué très fortement…

Emmanuel Laurentin : Absolument, avec des décisions très...

Frédéric Mitterrand : Michel Guy, qui était un homme admirable, il était contre la transformation du Louvre et la pyramide du Louvre, ça n’a pas empêché qu’on fasse la pyramide du Louvre et que les gens soient d’accord maintenant.

Patrick Boucheron : Mais ce qu’il faut expliquer maintenant, c’est pourquoi les résistances, les réticences dépassent je dirais le cercle prévisible des opposants…

Frédéric Mitterrand : Non.

Patrick Boucheron : Si, il existe, c’est vrai.

Frédéric Mitterrand : Non, on est dans le cadre habituel, ce qui s’est passé au Louvre c’était ça.

Patrick Boucheron : Non, non, ce n’est pas vrai, lorsqu’on parlera du lieu spécifique des Archives…

Emmanuel Laurentin : On y reviendra tout à l’heure.

Patrick Boucheron : Vous savez qu’il y a une pétition qui circule et lorsqu’on la regarde…

Frédéric Mitterrand : Mais des pétitions, il y en a partout, tout le temps.

Patrick Boucheron : Bien sûr mais il est important de voir qui signe et là vous verrez que ce ne sont pas des habitués des pétitions.

Frédéric Mitterrand : Oh !

Patrick Boucheron : C’est je dirais des historiens, universitaires, qui n’ont pas toujours droit au chapitre.

Frédéric Mitterrand : Des historiens universitaires.

Patrick Boucheron : Bien sûr, il y a toujours une diversité, on ne peut pas dire : les historiens sont pour, sont contre…

Emmanuel Laurentin : Il ne faut surtout pas dans un contexte d’éclatement de la discipline dont on parlait hier.

Patrick Boucheron : Un historien, Pierre Nora, qui était le candidat, du fait de son autorité et de son œuvre, car enfin, les lieux de mémoire ça pouvait être je dirais que le catalogue de ce musée était écrit d’avance, c’est une histoire du roman nationale, qui est chatoyante, qui est séduisante…

Frédéric Mitterrand : La Maison de l’histoire de France, c’est effectivement un ensemble des lieux de mémoire mais vous savez les enfants quelquefois deviennent différents des parents.

Patrick Boucheron : Et voilà ce que dit l’enfant, pardon le père,

Emmanuel Laurentin : Le père de ces lieux de mémoire, Pierre Nora.

Frédéric Mitterrand : le père ne reconnaît pas ses enfants.

Patrick Boucheron : « Ce projet - écrit Pierre Nora, dans Le Monde - aura beaucoup de mal à se remettre de son origine impure et politicienne. Nicolas Sarkozy l’a lancé en janvier 2009, en pleine remontée du Front national et pour « renforcer l’identité nationale » Il s’est trouvé pris dans la lumière, ou plutôt dans l’ombre de cette funeste enquête sur ladite identité. C’est là son péché originel. »

Frédéric Mitterrand : Écoutez, la notion de péché originel, moi je suis agnostique donc je ne crois pas au péché originel, premier point. Puis, c’est son point de vue, ce n’est pas le mien. J’y attache de l’importance parce que ce qui vient de Pierre Nora m’intéresse mais je n’y attache pas une telle importance que je juge que cela soit pour moi dirimant. C’est ce qu’il dit mais moi je ne pense pas du tout la même chose. Voilà !

Patrick Boucheron : J’entends. Soyons agnostiques jusqu’au bout, nous, nous refusons aussi de croire en l’âme de la France puisque c’est aussi une des lignes de partage idéologique. Sur ces ondes, Jean-Pierre Rioux, qui défend ce projet était opposé à Daniel Roche…

Frédéric Mitterrand : Vous voyez qu’il y a des historiens qui défendent ce projet.

Patrick Boucheron : Bien sûr.

Frédéric Mitterrand : Et Rioux est un grand historien, très, très respecté.

Patrick Boucheron : Et il dit : je suis suffisamment « péguyste »...

Emmanuel Laurentin : C’était chez Alain Finkielkraut, samedi dernier.

Patrick Boucheron : Je crois en l’âme de la France, reprenant le titre du livre de Max Gallo dans lequel toutes les citations qui circulent, comme des mots de passe, d’un rapport à l’autre. Moi je suis médiéviste, donc je sais très bien que les gens ne vont pas directement aux sources, ils vont les puiser dans les florilèges. Florilèges : c’est l’âme de la France de Max Gallo, 2007. Et à cela, Daniel Roche lui répond : « Moi, je suis historien, je ne crois pas en la transcendance, je ne crois en l’immatérialité, je crois en la construction sociale. »

Frédéric Mitterrand : Mais très bien, mais très bien, très bien, très bien. Il y aura enfin un lieu où un échange comme celui que nous avons ce matin à France Culture, pendant une heure, où cet échange pourra se nourrir en permanence. Il y a à travers l’histoire de France, telle qu’elle est racontée, vue, étudiée aujourd’hui, un émiettement extraordinaire. Un débat, comme celui que nous avons, qui est un débat d’une heure, c’est un débat qui devrait être poursuivi beaucoup plus fort, beaucoup plus longuement. Moi je veux bien rester, si vous voulez, jusqu’à midi…

Emmanuel Laurentin : Il faut que je demande à notre directeur s’il veut bien.

Frédéric Mitterrand : Il faut que l’on ait un lieu. Regardez, à Paris par exemple, vous avez trois expositions actuellement, trois expositions où il est question d’histoire. Vous avez une exposition sur le Général de Gaulle aux Invalides, vous avez une exposition sur la musique à l’époque de Lénine et de Staline…

Emmanuel Laurentin : À la Cité de la musique.

Frédéric Mitterrand : Qui est une exposition magnifique, à la Cité de la Musique. Et vous avez une exposition France 1500, au grand Palais, qui est absolument admirable aussi, qui est une exposition sur l’histoire de l’art mais où l’histoire est sans cesse présente. Je ne sais pas si vous l’avez vue, Patrick Boucheron, j’imagine que vous y êtes allé. Peut être que vous n’êtes pas d’accord ou que vous êtes d’accord, je n’ai pas eu le temps d’en parler avec vous avant. En tout cas il y a l’idée des courants, des transferts de cette Europe où les gens se déplaçaient, où l’Italie et la France n’étaient pas en confrontation comme on l’imagine, etc. Eh bien voilà, il y a ce désir, ce désir tellement fort, d’avoir des lieux où l’on puisse se parler, se voir, échanger, connaître, confronter des regards différents, et bien ce lieu, on va le créer à la Maison de l’histoire de France. Alors, vous me direz que ce n’est peut-être pas la peine puisqu’il y a ces trois expositions qui sont là, oui mais en fait le mouvement pour l’histoire est encore beaucoup plus fort et vous avez partout, en Europe, ce mouvement. Vous en avez l’exemple avec l’extraordinaire musée d’histoire de Berlin, où vous avez à la fois une galerie chronologique et des salles d’expositions temporaires, avec actuellement cette exposition sur Hitler et les Allemands, qui est un succès absolument énorme.

Emmanuel Laurentin : Patrick Boucheron ?

Patrick Boucheron : Très bien, ne reprenons pas le mot péché originel. Mais admettons au moins que vous aurez beaucoup de mal, je le dis sans…

Frédéric Mitterrand : On a du mal à tout faire, Patrick Boucheron, en France.

Patrick Boucheron : Oui, mais vous aurez beaucoup de mal à…

Frédéric Mitterrand : Même déplacer un cendrier dans un musée c’est compliqué.

Emmanuel Laurentin : Il n’y a plus de cendrier dans les musées

Frédéric Mitterrand : Oui, heureusement.

Patrick Boucheron : Mon maître Pierre Toubert disait souvent : « On n’est pas des enfants. » Il y a un moment où il faut arrêter de jouer même si on peut toujours rire bien sûr, il y a quand même un vrai problème…

Frédéric Mitterrand : Vous croyez que je suis un enfant, Patrick Boucheron ?

Patrick Boucheron : Mais pas du tout, mais le problème c’est celui qui a été…

Frédéric Mitterrand : Nous sommes des enfants de Pierre Nora, ça, c’est vrai.

Patrick Boucheron : Ce projet aura beaucoup de mal, je le répète, à faire oublier les conditions historiques dans lesquelles il a été énoncé, qui étaient strictement, directement lié au débat sur l’identité nationale, et on instrumentalise évidemment le projet…

Frédéric Mitterrand : Non, je ne suis pas d’accord. On n’est pas d’accord.

Patrick Boucheron : Oui, on n’est pas d’accord mais ça, c’est un fait puisque dans les rapports…

Frédéric Mitterrand : C’est un fait que nous ne sommes pas d’accord.

Patrick Boucheron : Non, non…

Emmanuel Laurentin : Puisqu’il n’y a plus de ministère de…

Frédéric Mitterrand : Il n’y a plus de ministère de la culture ? Vous le supprimez ?

Emmanuel Laurentin : De ministère de l’identité nationale…

Frédéric Mitterrand : C’est un scoop, cela !

Emmanuel Laurentin : Mais au tout début effectivement, il y avait la possibilité, c’était dans l’un des rapports je crois, de voir arriver, dans la préfiguration de cette Maison de l’histoire de France, la question de l’identité nationale, ça a été ensuite mis à l’écart.

Frédéric Mitterrand : Il n’y en a plus maintenant !

Emmanuel Laurentin : Ce que dit, Patrick Boucheron…

Frédéric Mitterrand : On peut tisonner de vieilles cendres tant qu’on veut.

Emmanuel Laurentin : Puisqu’il n’y a plus ces vieilles cendres, comment…

Patrick Boucheron : Pas si vieille que ça !

Emmanuel Laurentin : Comment pensez-vous justement dépasser, ce qui n’est pas un péché originel, ce qui serait trop dur, ce que vient de dire Patrick Boucheron ?

Frédéric Mitterrand : Je dépasserai,…

Emmanuel Laurentin : (manque un mot), j’imagine

Frédéric Mitterrand : Oui, j’ai déjà dépassé je veux dire. On est entrain de construire ce Conseil scientifique…

Emmanuel Laurentin : Il y aura combien de membres ?

Frédéric Mitterrand : Il y aura une douzaine de personnes.

Emmanuel Laurentin : Une douzaine de personnes.

Frédéric Mitterrand : On évitera le chiffre 13. On n’est pas… J’ai déjà dépassé, moi je ne suis pas… Je reconnais totalement la pertinence du désir du président de la République d’avoir une Maison de l’histoire, et avec cela, je conçois que cette Maison de l’histoire soit le lieu d’échange et de dialogue dont je parle depuis le début de cette émission.

Emmanuel Laurentin : Et...

Frédéric Mitterrand : Et j’ai le blanc-seing pour le faire

Emmanuel Laurentin : Et vous refusez ce que disait Pierre Nora dans son article, dans cette tribune dans Le Monde, le 11 novembre dernier,...

Frédéric Mitterrand : Le 11 novembre !

Emmanuel Laurentin : Le 11 novembre,...

Frédéric Mitterrand : C’est un jour de paix.

Emmanuel Laurentin : Que vous donniez l’impression, c’est ce que disait Pierre Nora, de ne pas y croire vous-même. Vous y croyez.

Frédéric Mitterrand : Alors ça, je dois dire, avec tout le respect, l’admiration, l’affection que j’ai pour Pierre Nora, que j’ai vu d’ailleurs après sa tribune, que c’est un point sur lequel je ne suis absolument pas d’accord.

Emmanuel Laurentin : Vous y croyez ? Vous y croyez ?

Frédéric Mitterrand : J’ai fait des études d’histoire, ça ne va pas très loin, je n’ai qu’une Licence. J’ai fait à la télévision, pendant des années, des contes de fées, qui avaient une apparence historique mais au fond relevaient d’un des multiples courants du genre qui s’intéresse à l’histoire.

Emmanuel Laurentin : Discours sur le passé.

Frédéric Mitterrand : Est-ce que vous pensez que moi, je n’y crois pas et je n’ai pas envie de le faire ? C’est toute ma vie, toute ma vie est passée à travers l’histoire. Alors, je ne suis absolument pas d’accord.

Emmanuel Laurentin : Alors, il y a une autre question qui s’est posée, qui s’est ajoutée aux questions préliminaires, avant même de savoir le choix du lieu, c’est effectivement ce choix du lieu, qui a été décidé, en septembre dernier, Frédéric Mitterrand, ce choix, c’est le quadrilatère des Archives nationales, dans un lieu qui est déjà en travaux, puisqu’il va y avoir bientôt le déplacement, en 2013,…

Frédéric Mitterrand : Le lieu n’est pas en travaux, le principe.

Emmanuel Laurentin : Oui, le principe a débuté par le déménagement, d’ici peu de temps, de ces Archives nationales, pour une partie d’entre elles, sur un nouveau lieu, qui se situe à Pierrefitte, en Seine Saint Denis. Donc, les gens des Archives nationales, les archivistes et d’autres pensaient occuper ce lieu qui existait entièrement à partir du déménagement de ces archives du côté de Pierrefitte. Or, vous avez annoncé, et le président de la République l’a annoncé, l’installation dans ce quadrilatère, ce qui provoque des protestations, des grèves sur place, des piquets de grève nombreux et permanents…

Frédéric Mitterrand : Nombreux… Ils ne sont plus très nombreux !

Emmanuel Laurentin : En tout cas, ils existent encore. Donc, pourquoi ce choix de ce lieu et en quoi était-il indispensable de l’installer dans ce lieu, alors qu’il y en avait d’autres évidement qui avaient été évoqués : Vincennes, Fontainebleau, etc.?

Frédéric Mitterrand : Il y a plusieurs…

Emmanuel Laurentin : Oui, c’est une question à rallonge.

Frédéric Mitterrand : C’est une question à rallonge mais je vais essayer d’être bref pour qu’il y ait le temps de parole de Patrick Boucheron soit respecté, comme vous respectez le mien. Écoutez, si j’ai mis un certain temps avant en quelque sorte de sortir du bois, c’est parce que j’ai consacré beaucoup de temps précisément à visiter les lieux qui étaient évoqués dans les rapports et aucun de ces lieux ne convenait qu’il s’agisse des palais de la monarchie, avec tout le respect que l’on peut avoir pour ce chapitre très important de l’histoire, ils enfermaient l’histoire de France dans un cadre qui n’était pas celui précisément de l’histoire…

Emmanuel Laurentin : Comme le musée de l’histoire de France qui avait été voulu par Louis Philippe à Versailles et qui existe encore.

Frédéric Mitterrand : Et qui est d’ailleurs très intéressant à voir.

Patrick Boucheron : Qui existe de moins en moins puisqu’il est progressivement grignoté par l’établissement.

Frédéric Mitterrand : Grignoté et c’est bien dommage d’ailleurs mais enfin pour ça, c’est une autre histoire. Une autre histoire ! Mais comme Fontainebleau, comme Vincennes, ou comme les Invalides, tous ces lieux correspondaient à un chapitre et risquait de réduire considérablement la réflexion sur l’histoire. Il y avait la possibilité aussi de construire un lieu nouveau, ce sur quoi j’ai beaucoup travaillé et cela s’est avéré impossible.

Emmanuel Laurentin : On avait pensé à l’Ile Seguin en particulier.

Frédéric Mitterrand : À l’Ile Seguin, oui. Mais c’était impossible, la spéculation immobilière est telle que les prix sont trop importants, on y arrivait pas. Puis, là, Eurêka ! En fait si on revient à la base de la réflexion, l’histoire et le travail sur l’histoire, la recherche sur l’histoire, le progrès de la recherche historique, l’élargissement extraordinaire des horizons du regard sur l’histoire se passe à partir des textes, des archives de ce que l’on possède pour regarder. À partir de ce moment-là, il y avait l’idée des Archives. Alors, les Archives est-ce que c’était possible ou cela n’était pas possible ?

Emmanuel Laurentin : Est-ce que c’est possible ?

Frédéric Mitterrand : On construit un centre des Archives pour 260 millions d’euros, à Pierrefitte, avec une architecture magnifique, de Massimiliano Fuksas, dans lequel il va y avoir 66 mille mètres carrés qui seront consacrés aux Archives. Et on a le Centre des Archives, qui est à Paris, qui reste à Paris avec des pans entiers des Archives, notamment les minutiers des notaires, là, il y a 33 mille mètres carrés, il y a évidemment 20 mille mètre carrés qui vont être déménagés à Pierrefitte, c’était prévu dès le départ, c’était validé par tout le monde. Ensuite, à partir du moment où l’on dit qu’il y a ces 20 mille mètre carrés qui restent libres, dont on va d’ailleurs prendre qu’une partie, parce qu’on va aider malgré tout les Archives de Paris, ce qui reste à Paris, à se redéployer pour pouvoir continuer à fonctionner dans de meilleures conditions que dans le passé, à partir du moment où on passe, en quelque sorte, je pose mon 2, je retire mon 4, etc., de 33 mille mètres carrés au total à 85 mille mètres carrés, que l’on nous dise pas qu’il n’y a pas 10 mille mètres carrés pour installer la Maison de l’histoire, qui est en fait le partenaire logique des Archives et qui va valoriser le travail des Archives.

Emmanuel Laurentin : C’est donc 10 mille mètres carrés. Pour l’instant, vous travaillez sur une hypothèse de 10 mille mètres carrés ?

Frédéric Mitterrand : A peu près, 10 mille -12 mille.

Emmanuel Laurentin : 12 mille mètres carrés qui existent déjà, qui sont dans les locaux qui pour l’instant sont dévolus aux Archives et qui pourraient être dévolus à cette…

Frédéric Mitterrand : Il y a au moins 20 mille mètres carrés qui vont se libérer et on va donc partager entre les Archives telles qu’elles sont et la Maison de l’histoire et puis tout le monde va vivre ensemble très bien puisque ce sont des cousinages extrêmement étroits.

Emmanuel Laurentin : Patrick Boucheron ?

Patrick Boucheron : Parlons de trois choses. Parlons de la fonctionnalité du lieu, de son occupation et je dirais de son symbole puisqu’on cherchait un lieu symbole de l’histoire de France.

Frédéric Mitterrand : Et il l’est !

Patrick Boucheron : Il l’est, assurément mais il y avait d’autres candidats…

Emmanuel Laurentin : C’est là où ont été installées les Archives par Napoléon au début du XIXe siècle.

Patrick Boucheron : En 1808, pour recouvrir au fond les Archives de l’Ancien Régime par le nouveau Régime.

Emmanuel Laurentin : Toujours les rapports entre le politique et l’histoire.

Patrick Boucheron : Évidemment. Et depuis lors les Archives nationales étaient, comme disait Charles Braibant, qui les a dirigées jusqu’en 1959, l’arsenal de l’administration et le grenier de l’histoire. Donc, évidemment, on peut très bien dire : voilà, c’est le lieu idéal. Pourquoi ne l’est-il pas ? Il ne l’est pas du point de vue fonctionnel, parce que cela pose quand même des problèmes,…

Frédéric Mitterrand : Et la gare du Raincy, c’était un lieu fonctionnel pour mettre le musée du XIXe siècle ? Ça a été parfait.

Patrick Boucheron : J’entends bien mais lorsque vous dites…

Frédéric Mitterrand : Il n’y a rien de mieux que de récupérer des lieux pour leur trouver une nouvelle fonctionnalité.

Patrick Boucheron : Oui, mais enfin là, il s’agit de faire un musée qui va, si j’ai bien compris, réconcilier les enfants de France avec la chronologie, avec une galerie qu’on va leur faire visiter…

Frédéric Mitterrand : Notamment.

Patrick Boucheron : Vous nous expliquerez où vous garerez les cars dans le Marais pour que l’ensemble des enfants de France…

Frédéric Mitterrand : On n’a pas besoin de cars. Il y a 4 stations de métro, précisément pour ça, c’est bien.

Patrick Boucheron : Admettons ! Ensuite, le problème humain, c’est toujours le même, nous sommes dans un contexte politique, vous le savez bien, la révision générale des politiques publiques…

Frédéric Mitterrand : Sauf que là, c’est sanctuarisé, au lieu de réduire les emplois, on en augmente. On a 70 emplois de plus, et l’endroit est totalement épargné, les Archives sont totalement épargnées par cette RGPP, dont l’opinion publique ne sait pas très bien ce qu’elle veut dire, et que veut dire qu’en vérité, il n’y a qu’un emploi sur deux à la retraite qui est remplacé. Eh bien, les Archives, non ! Les Archives sont justement tenues à l’écart de cette réforme.

Patrick Boucheron : Les archivistes ne sont pas la seule catégorie professionnelle à se sentir aujourd’hui délaissés, humiliés…

Frédéric Mitterrand : Oui, d’accord, mais si les archivistes veulent reprendre en main toute la politique administrative de la France, soit !

Patrick Boucheron : Mais pourquoi le sont-ils ?

Frédéric Mitterrand : En tout cas, eux ne sont pas concernés par cette réforme.

Patrick Boucheron : Ils le sont pour une raison simple, c’est qu’il y avait, vous le savez bien, dans un contexte compliqué il est vrai, où les Archives depuis très longtemps cherchent leur identité, leur identité publique, mais il y avait un projet déjà d’un musée d’histoire de France, un musée où il y avait tout ce que vous vouliez : consensus sur le Comité scientifique…

Frédéric Mitterrand : Deux choses…

Patrick Boucheron : Attendez, je termine. Et cela est écrasé par une décision qui tombe comme la foudre. Et ça, de ce point de vue là, on en revient bêtement à notre discussion de départ, c’est un contexte politique dans lequel nous sommes et c’est à partir de ce contexte politique que l’on réagit. On ne réagit pas en faisant un procès d’intention mais simplement…

Frédéric Mitterrand : Si, c’est un procès d’intention.

Patrick Boucheron : Mais, non pas du tout.

Frédéric Mitterrand : Quand on dit que c’est un contexte politique, c’est un procès d’intention.

Patrick Boucheron : Non, le contexte politique…

Emmanuel Laurentin : Frédéric Mitterrand.

Frédéric Mitterrand : Patrick, vous aviez encore quelque chose à rajouter, non ?

Patrick Boucheron : Non, répondez sur ce point puis on verra.

Frédéric Mitterrand : Je ne souscris pas, c’est là notamment où nous ne sommes pas d’accord, avec Patrick Boucheron, que je serais très heureux d’accueillir à la Maison de l’histoire quand elle sera terminée, et qui j’espère en trouvera à ce moment là la nécessité. Ce que je veux dire par là, c’est que je ne souscris pas à ce présupposé politique en revanche, ce que j’ai constaté c’est que les Archives souffrent, mais souffrent depuis bien plus longtemps, et ne se sentent pas valorisées comme elles doivent l’être. Archives de Paris et Archives départementales aussi.

Emmanuel Laurentin : Il faut d’ailleurs remarquer que l’ancien directeur des Archives est venu soutenir le projet...

Frédéric Mitterrand : Jean Favier.

Emmanuel Laurentin : Là, c’était dans le Figaro, en disant : on ne peut pas à la fois se plaindre du fait que notre mémoire historique soit insuffisamment valorisée et protester contre une mesure qui va dans le sens qui va dans le sens de cette valorisation.

Frédéric Mitterrand : Moi, je veux valoriser les Archives, au contraire, Patrick Boucheron. Je veux les valoriser. Je veux que les Archives aient le sentiment et puissent vivre pleinement la fierté des personnels et des gens qui y sont, à juste titre. Et c’est pourquoi l’autonomie administrative, juridique des Archives sera totalement préservée. Les expositions faites par les Archives, qui sont d’ailleurs des expositions qui sont sous le terme « musée d’histoire de France », ces expositions se poursuivront exactement comme elles se poursuivent. Elles seront sans doute enrichies selon leur demande, et pas seulement pour reprendre pour qu’on leur impose quoi que ce soit, elles seront enrichies éventuellement par cette présence de la Maison d’histoire de France. Quant au problème des emplois, je le redis encore une dernière fois, c’est exactement l’inverse de ce qui est présenté, les emplois sont sanctuarisés et augmentés.

Emmanuel Laurentin : Patrick Boucheron.

Patrick Boucheron : Deux points, si vous le voulez bien. Sur la RGPP, il ne s’agit pas seulement d’une réorganisation administrative, il s’agit aussi d’un changement au fond d’attitude par rapport au patrimoine puisque maintenant les Archives sont, c’est un peu bizarre, intégrées dans le patrimoine.

Frédéric Mitterrand : Parce que ce n’est pas du patrimoine ?

Emmanuel Laurentin : Ce n’est plus une direction en tant que telle de la tutelle.

Frédéric Mitterrand : Eh ben, oui, voilà. Il y avait 12 directions au ministère, c’était incompréhensible.

Emmanuel Laurentin : Maintenant il n’y en a plus que ?

Frédéric Mitterrand : Il y en a quatre.

Patrick Boucheron : Dès lors que l’on considère que les musées doivent devenir des établissements publics avec des exigences de rentabilité à plus court terme, évidemment ça les rend, on le voit bien, dans une sorte de face à face, pardon, d’aller retour entre le ministère de la culture et l’établissement public de Versailles, les anciens ministres de la culture devenant,…

Frédéric Mitterrand : Ah, je vais aller à Versailles, moi aussi ! Je vous accueillerai Patrick Boucheron.

Emmanuel Laurentin : Et vous occuper ensuite du musée de l’histoire de France.

Patrick Boucheron : Les ministres de la culture en viennent ou y reviennent, voilà.

Frédéric Mitterrand : Ah, Versailles ! Est-ce qu’on peut choisir, j’hésite entre Versailles ou Chambord. Voilà !

Patrick Boucheron : Ou Fontainebleau, pourquoi pas ?

Frédéric Mitterrand : Ce n’est pas mon genre.

Patrick Boucheron : En tout cas, ce qui est certain, c’est qu’on voit bien les effets pervers aussi à Versailles. Vous nous avez parlé des contes de fées qui nous ont fait pleurés évidemment tous à chaudes larmes, quand même…

Frédéric Mitterrand : Ah !

Patrick Boucheron : Vous aimez Marie-Antoinette, mais enfin quand même Versailles devient aujourd’hui une sorte de Marie-Antoinette Land où c’est tout Marie-Antoinette à l’intérieur...

Emmanuel Laurentin : Et vous craignez que les Archives deviennent cela ?

Frédéric Mitterrand : Je vais demander à Jean-Jacques Aillagon de venir nous rejoindre, il nous éclairera.

Patrick Boucheron : Tout cela est lié au fait que la Maison de l’histoire de France, parce qu’on en a pas parlé jusque là, est la tête de réseau des 9 musées : musée des Eyzies,…

Emmanuel Laurentin : Alors, la préhistoire au Eyzies, l’archéologie à Saint-Germain-en-Laye, le Moyen-âge aux Termes de Cluny, à Paris, la Renaissance à Ecouen, les châteaux de Pau, la Malmaison, Fontainebleau, le musée de Compiègne et le musée des Plans reliefs aux Invalides, ce sont les 9 musées…

Patrick Boucheron : Les 9 musées tête de réseau. Quoi de commun ? Ce sont des musées du XIXe siècle,…

Frédéric Mitterrand : Oui, mais ce sont des musées qui traitent chacun un chapitre de l’histoire de France, et vous noterez, vous noterez Patrick Boucheron que d’une part j’ai le plus grand respect pour ces établissements, qui dépendent du ministère de la culture, qui doivent pouvoir continuer leur travail en parfaite autonomie, d’ailleurs on le voit quand on va voir l’exposition « France 1500 », on voit bien qu’ils ont collaborés, que certains ont collaboré d’une manière magnifique, mais en même temps, je vous l’ai dit tout à l’heure, il y a plus de 1000 musées d’histoire en France. Vous allez à Vauban Lignières, dans le Morvan, vraiment dans un endroit assez perdu du territoire, vous avez là deux dames, qui sont des dames qui s’intéressent à l’histoire, qui ont fait avec des moyens très modestes, un musée Vauban. Eh bien, moi, je connaissais peu de choses sur Vauban, il y a 10 pièces, c’est admirable, admirable, il y a un auditorium, on apprend tout ce que l’on veut savoir sur Vauban, il y a même une vision critique, etc. Ces gens-là,…

Patrick Boucheron : Mais là, on est dans la diversité des usages de l’histoire, on est d’accord.

Frédéric Mitterrand : Ces gens là participeront de la cartographie générale et il y aura le musée de Vauban Lignières, comme il y aura le musée d’Ecouen, voilà, c’est tout.

Emmanuel Laurentin : D’ailleurs dans ces 9 établissements qui sont sous…

Frédéric Mitterrand : Il faut que qu’on va à Vauban Lignières on sache qu’il y a d’autres musées…

Patrick Boucheron : D’accord, c’est l’affaire mise en réseau…

Frédéric Mitterrand : C’est bien de le faire.

Patrick Boucheron : Mais il faut dire que ces musées ont en commun d’être des musées du XIXe siècle, un peu délaissés, construits… en tout cas élaborés dans une visée qui est aussi une visée clairement politique.

Frédéric Mitterrand : Si vous allez à Cluny, vous n’avez pas l’impression que le musée est délaissé.

Patrick Boucheron : Non, je ne dis pas ça…

Emmanuel Laurentin : Pour le médiéviste que vous êtes, effectivement.

Patrick Boucheron : Évidemment pas. Mais…

Frédéric Mitterrand : Pas délaissé par tout le monde en tout cas.

Patrick Boucheron : Qui vont servir au fond de réserves de luxe à un musée qui n’a pas de collections, le musée de l’histoire de France. Car il faut quand même dire quelque chose, là, c’est un fait, je le constate, et c’était déjà le cas avec le Quai Branly, aujourd’hui…

Frédéric Mitterrand : Il n’y avait pas de collections au Quai Branly, on est d’accord.

Patrick Boucheron : Oui, c’est-à-dire que l’État est prédateur de lui-même…

Frédéric Mitterrand : Mais, non, il n’est pas prédateur !

Patrick Boucheron : Si.

Emmanuel Laurentin : Il réorganise les collections.

Patrick Boucheron : Il réorganise les collections mais n’augmente pas ces collections.

Frédéric Mitterrand : L’État donne à voir ce qui n’est pas bien vu, c’est formidable !

Patrick Boucheron : Dans ce cas là on va faire une galerie de l’histoire de France qui commence par le trône de Dagobert et qui s’achève…

Frédéric Mitterrand : Et alors, vous êtes contre le trône de Dagobert aussi ?

Patrick Boucheron : Je suis vraiment pour le trône de Dagobert aussi au point que je…

Frédéric Mitterrand : Brigitte Lefèvre, qui a fait de l’Opéra de Paris et du ballet de l’Opéra de Paris le meilleur ballet du monde, un jour, avec une création contemporaine exceptionnelle, exceptionnelle, elle a dit à quelqu’un, quand elle programmait aussi Le lac des cygnes : « Ah, on s’intéresse à la musique et vous n’aimez pas les tutus ? ! » Elle avait raison ! C’est un ensemble.

Patrick Boucheron : J’aime le tutu, j’aime le trône de Dagobert, j’aime le Moyen-âge,…

Emmanuel Laurentin : Au moins on aura appris ça, vous aimez tout ça.

Patrick Boucheron : Revenons aux Archives. Vous avez dit, Frédéric Mitterrand : au fond ça ne serait pas correct puisque c’est l’ensemble de l’histoire qui doit se montrer en gloire dans la Maison…

Frédéric Mitterrand : Avec les connexions avec le reste du monde, attention !

Emmanuel Laurentin : C’est très important ce que vous dîtes.

Frédéric Mitterrand : La Méditerranée…

Patrick Boucheron : Oui, oui. Cela ne serait pas correct de s’installer dans un palais de l’Ancien Régime. Or, il se trouve qu’avec la réorganisation des Archives, avec le fait que maintenant c’est sur trois sites : sites des archives, Pierrefitte, Fontainebleau, quadrilatère des archives d’Aix…

Emmanuel Laurentin : Et Roubaix.

Patrick Boucheron : Oui. Une coupure en 1790, qui d’ailleurs à mon sens n’a pas été assez suffisamment discutée par les historiens,

Frédéric Mitterrand : Et les Archivistes.

Patrick Boucheron : C’est trop tard, fait que les Archives nationales redeviendront au fond le dépôt de l’Ancien Régime. Cela pose aussi un problème…

Frédéric Mitterrand : Les minutiers des notaires, les notaires ce n’est pas tout de l’Ancien Régime, ne dites pas aux notaires qu’ils sont des gens de l’Ancien Régime, ils ne seront pas très contents.

Patrick Boucheron : Du point de vue de la galerie de l’histoire de France, cela crée une discontinuité historique qui tient lieu de discours.

Frédéric Mitterrand : Mais si vous avez une exposition sur l’histoire de Pékin et de ses relations avec l’Occident, je dis n’importe quoi, ou une exposition sur Bolivar, ou une exposition sur comment parler de l’histoire aujourd’hui dans les salles d’expositions temporaires, vous n’aurez pas du tout ce sentiment de quelque chose d’un peu poussiéreux que vous êtes entrain de nous décrire.

Patrick Boucheron : Pas du tout…

Emmanuel Laurentin : Parce que justement, Patrick Boucheron, vous êtes un des tenants de cette histoire mondiale qui est en train d’émerger dans le discours, en tout cas des historiens en France, avec l’histoire du monde au XVe siècle, et tous ceux qui y ont collaboré, donc…

Frédéric Mitterrand : Qui est un livre, je dis ça à Patrick Boucheron, - on est à l’antenne il va croire que c’est une flatterie - c’est un livre génial.

Emmanuel Laurentin : Justement, ce livre –j’en pense la même chose, je peux m’ajouter à ce compliment – qui veut justement ouvrir les portes et les fenêtres, si la Maison d’histoire de France ouvre les portes et les fenêtres, vous êtes toujours aussi hostile à cette vision-là ? Parce que justement c’est ce que Frédéric Mitterrand…

Frédéric Mitterrand : Il les craint un peu parce qu’il est un peu dans le présupposé mais ça passera après.

Emmanuel Laurentin : Patrick Boucheron.

Patrick Boucheron : Je vais vous répondre. Ce n’est pas mieux de faire de l’histoire du monde que de faire l’histoire de France, c’est-à-dire qu’en soit ce n’est pas mieux. Simplement parce que cela n’existe pas plus en soi que l’histoire de France.

Frédéric Mitterrand : C’est très juste.

Emmanuel Laurentin : C’est une construction.

Patrick Boucheron : C’est une construction. Et ce qui m’intéressait dans ce projet, et ce que je ne retrouve pas dans la Maison de l’histoire de France, c’est que pour moi l’histoire c’est une observation méthodique des situations dans l’inquiétude au fond de celui qui pose le regard sur elle, c’est-à-dire que si elle doit conforter nos certitudes, nos identités, nos appartenances, moi, cela ne m’intéresse pas.

Frédéric Mitterrand : Alors…

Patrick Boucheron : Si elle doit au contraire inquiéter, troubler, questionner, critiquer, alors, oui, je suis preneur.

Frédéric Mitterrand : Mais, moi, je n’ai pas…

Patrick Boucheron : Et encore une fois, la Maison de l’histoire de France, elle est fondée sur un discours qu’à mon avis confortera le lieu même dans lequel elle sera inscrite, elle est formée, elle est conformée par un discours sur l’identité de la France, et même pour Max Gallo, l’âme de la France.

Emmanuel Laurentin : Frédéric...

Patrick Boucheron : Et c’est sur ce point là que vous ne trouverez pas de soutien parmi les historiens.

Emmanuel Laurentin : Frédéric Mitterrand.

Frédéric Mitterrand : Parmi les historiens, parmi certains historiens, je veux toujours quand même un peu infléchir ce propos parce qu’il y a beaucoup d’historiens qui vont me rejoindre, je le sais, je consulte beaucoup, vous le savez d’ailleurs, en plus tout le monde se téléphone, on me le dit…

Emmanuel Laurentin : C’est tout à fait exact, on reçoit beaucoup de coups de fil. Là, on peut voir ce que cela veut dire un réseau effectivement.

Frédéric Mitterrand : Moi je regarde tranquillement, je sais que je donne quelques coups de fil et je sais qu’ensuite ça se succède. Mais la « Maison de l’inquiétude », c’est vrai que je n’ai pas vocation à créer la « Maison de psychose » d’Hitchcock aux Archives. Ça, ce n’est pas mon rite. Je vous dis ni glorification, ni repentance.

Patrick Boucheron : Repentance, c’est encore un mot, je ne sais pas d’où ça vient, où vous avez vu que les historiens demandaient repentance ?

Frédéric Mitterrand : Chacun a des mots auxquels il est accroché. Vous êtes très attaché à péché originel, …

Patrick Boucheron : Non, encore une fois.

Frédéric Mitterrand : Moi j’emploie repentance, bon… En tout cas, moi, c’est comme ça que je vois les choses, et je pense que la galerie chronologique, qui au fond excite le plus les imaginations, je peux vous dire que les salles d’expositions temporaires auront une importance cruciale, parce que c’est là que ce trouvera précisément le lieu de la critique, de la réflexion, voire même de l’inquiétude, eh bien, la galerie chronologique, elle va être élaborée par le Conseil scientifique, elle laissera ouvertes les questions qui se posent mais elle est nécessaire. Elle est nécessaire, Patrick Boucheron, parce que c’est vrai qu’il y a aussi une perte du sens de la chronologie de l’histoire en France, ce qui est regrettable.

Patrick Boucheron : Vous revenez à cette thématique de la perte.

Frédéric Mitterrand : Pardon ?

Patrick Boucheron : Vous revenez à cette thématique de la perte.

Frédéric Mitterrand : Mais, oui.

Patrick Boucheron : Vous revenez à cette thématique de la perte qui est liée le mot d’ordre politique au départ.

Frédéric Mitterrand : C’est vrai qu’il y a une perte.

Patrick Boucheron : Dans laquelle beaucoup ne se reconnaissent pas.

Frédéric Mitterrand : Eh bien, moi je me reconnais dans cette idée qu’il y a une certaine, une certaine perte de la chronologie de l’histoire en France. C’est vrai. Mais ça ne se résume pas à ça.

Emmanuel Laurentin : Vous avez parlé de ce Conseil scientifique, Monsieur le ministre, quand annoncerez-vous l’existence de ce Conseil scientifique ?

Frédéric Mitterrand : Très vite, maintenant. Je me fixe la date limite du 10 janvier, mais cela sera peut-être avant.

Emmanuel Laurentin : Patrick Boucheron, pour terminer, très brièvement ?

Patrick Boucheron : Vous faisiez allusion, Emmanuel Laurentin, à ce musée de l’histoire de France qui a déjà existé, qui a été inauguré en 1837…

Emmanuel Laurentin : Au temps de Louis Philippe.

Patrick Boucheron : Au temps de Louis Philippe.

Emmanuel Laurentin : Avec de magnifiques tableaux.

Patrick Boucheron : Avec de magnifiques tableaux.

Patrick Boucheron : La galerie des Batailles.

Frédéric Mitterrand : Qui sont dans les manuels de notre enfance.

Patrick Boucheron : Voilà. Évidemment qui commençait par la galerie de Tolbiac et qui s’achevait par 1809, etc.

Frédéric Mitterrand : Un mot, moi, j’avais fait un grand dîner pour un souverain étranger dans la galerie des Batailles, il y a la prise de Jérusalem, il y a Charles Martel à Poitiers, on était obligé d’éteindre toutes les lumières pour qu’on ne les voit pas.

Patrick Boucheron : Vous savez que le grand historien de cette galerie des Batailles est Thomas Gaehtgens, et dans son article, dans les lieux de mémoire, justement consacré au musée historique de Versailles, voilà ce qu’il écrit et c’est ce que je voudrais juste d’un mot dire : « De même qu’une politique qui prétend neutraliser les antagonismes politiques, en faisant appel au sens de la communauté nationale, est vouée à l’échec, de même, une représentation de l’histoire soumise à l’ordre du jour politique ne peut que passer de mode. »

Emmanuel Laurentin : Frédéric Mitterrand.

Frédéric Mitterrand : « Trois hommes se croisent, se parlent sans doute, échangent une vision en partie commune, nous le devinons puisque nous connaissons leurs écrits et leurs actions ultérieures, de la manière qu’on les hommes de forcer le cours des choses. » C’est une citation que j’emprunte à Patrick Boucheron, qui à mon avis résume exactement ce que je souhaite faire.

Emmanuel Laurentin : Pour son très beau livre.

Frédéric Mitterrand : Son très beau livre, « Léonard et Machiavel ». Vous verrez, Patrick Boucheron, vous viendrez

Patrick Boucheron : À la maison…

Frédéric Mitterrand : À la Maison de l’histoire de France.

Emmanuel Laurentin : Merci à tous les deux d’avoir accepté ce dialogue, parce que ce n’était pas un débat, c’était un véritable dialogue. Merci, Monsieur le ministre, merci Patrick Boucheron, d’avoir accepté ce dialogue autour de la Maison de l’histoire de France. Demain nous traiterons justement des grandes figures que l’on ne peut pas trop contester, nous reviendrons sur Anne de Bretagne, sur Jeanne d’Arc, sur Napoléon, et également sur de Gaulle…

Frédéric Mitterrand : Oh, Jeanne d’Arc, Jeanne d’Arc…

Emmanuel Laurentin : Justement cela fait partie des discussions que nous aurons demain avec Colette Beaune.


Bibliographie signalée sur le site de l’émission

 « Léonard et Machiavel », Patrick Boucheron, Ed. Verdier, Lagrasse (Aude), 4 septembre 2008.

4e de couverture : La scène se passe à Urbino, au palais ducal, à la fin du mois de juin 1502. Dans l’effet de souffle des guerres d’Italie, les petits États tremblent sur leur base ; ils seront à qui s’en emparera hardiment. Insolent et véloce comme la fortune, César Borgia est de ceux-là.

Le fils du pape donne audience à deux visiteurs. Le premier est un vieux maître que l’on nomme Léonard de Vinci, le second un jeune secrétaire de la Chancellerie florentine du nom de Nicolas Machiavel.

De 1502 à 1504, ils ont parcouru les chemins de Romagne, inspecté des forteresses en Toscane, projeté d’endiguer le cours de l’Arno. Un même sentiment d’urgence les fit contemporains. Il ne s’agissait pas seulement de l’Italie : c’est le monde qui, pour eux, était sorti de ses gonds.

Comment raconter cette histoire, éparpillée en quelques bribes ? Léonard ne dit rien de Machiavel et Machiavel tait jusqu’au nom de Léonard. Entre eux deux coule un fleuve. Indifférent aux efforts des hommes pour en contraindre le cours, il va comme la fortune.
Alors il faut le traverser à gué, prenant appui sur ces mots rares et secs jetés dans les archives comme des cailloux sonores.

 « Histoire du monde au XVe siècle », Patrick Boucheron, dir, coordonné par Julien Loiseau, Pierre Monnet, Yann Potin, Ed. Fayard, 1970.

4ème de couverture : Le XVe siècle est le temps de l’invention du monde. De Tamerlan à Magellan, depuis l’Asie centrale jusqu’à la capture de l’Amérique en 1492, s’accomplit une première mondialisation. Mais la geste de Christophe Colomb est tout sauf un événement fortuit : elle est précédée, et surtout rendue possible et pensable, par une dynamique globale et séculaire d’interconnexion des espaces, des temps et des savoirs du monde. Elle ne se laisse en rien circonscrire par ce que l’on appellera plus tard l’occidentalisation du monde : les marchands de l’océan Indien, les marins chinois de l’amiral Zheng He, mais aussi les conquérants turcs ont toute leur part dans cette histoire des devenirs possibles du monde, où rien n’est encore écrit.

Ni dictionnaire critique ni somme érudite, Histoire du monde au XVe siècle se veut un essai collectif davantage qu’une encyclopédie. Faisant alterner les chapitres de synthèse et les textes au ton plus libre éclairant un événement, un personnage ou une œuvre, le livre se prête à la lecture au long cours comme au hasard du cabotage. Mais dans tous les cas, il s’agit bien de susciter des étonnements par rapprochement et d’éveiller des curiosités par le déplacement du regard.

Si l’accent est naturellement mis sur ce qui circule plutôt que sur ce qui cloisonne, s’inscrivant en cela dans les perspectives nouvelles d’une histoire globale attentive aux connexions des lieux et des temps, cette histoire du monde ne se réduit pas à une chronique de la mondialisation : il s’agit aussi de rendre compte des spécificités et des originalités des territoires du monde, des temps du monde, des écritures du monde, des devenirs du monde - ces quatre dimensions inspirant l’architecture d’ensemble du livre.

 « Faire profession d’historien », Patrick Boucheron, Ed. Publications de la Sorbonne, 2010

4ème de couverture : « Écrivant ce mémoire - finalement, le mot me va -, je n’avais pas d’autres ambitions que de faire, le plus sincèrement possible, le récit d’une réconciliation. Il fallait pour cela décrire les attentes et les incertitudes, dire pourquoi ce métier m’a enthousiasmé et pourquoi il m’a déçu. Je crois être arrivé à un point où les différentes veines qui cheminaient séparément dans mon travail confluent, assez tranquillement, en un mode d’écriture de l’histoire dont j’aimerais désormais suivre le cours. Mais cette évidence personnelle demeure inséparable d’une inquiétude collective quant à la possibilité même pour l’université de continuer à accueillir une vie intellectuelle. »



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