Introduction par Emmanuel Laurentin : Troisième temps de notre semaine consacrée aux rapports entre science et politique à l’occasion de la Fête de la science qui se déroule actuellement partout en France. Hier, nous évoquions le 60ème anniversaire du déclenchement, en France, de l’Affaire Lyssenko, du nom de cet agronome soviétique lancé dans le combat contre la science bourgeoise. Avant-hier, lundi, notre invité était Jean-Louis Crémieux-Brilhac, qui organisa, grâce au soutien de Pierre Mendès-France, le colloque de Caen de 1956, qui souhaitait, il y a plus de 50 ans, organiser justement les rapports et pacifier les rapports entre science et politique en France. Et aujourd’hui, mercredi, jour des archives dans La Fabrique de l’Histoire, nous allons écouter quelques archives sonores, tirées du fonds de l’Ina, de ceux qui fondèrent ou participèrent à l’histoire du CNRS. Et nous traiterons donc de cette longue histoire des relations de la recherche avec les gouvernements des IIIe, IVe et Ve République, sans oublier bien évidemment Vichy, depuis la création, en 1939, mais aussi les relations toujours pendantes de rapports entre CNRS et université ou encore ces questions autour de l’indépendance des chercheurs. Nous le ferons avec, au téléphone, Antoine Prost, historien, professeur à l’Université de Paris I, avec deux chercheurs qui travaillent sur cette même histoire du CNRS : Jean-François Picard, historien des politiques de la science et ingénieur de recherche au CNRS et Denis Guthleben, qui est lui est aussi ingénieur de recherche au CNRS.
Voix de femme, 1 : On pourrait peut-être l’imaginer comme quelqu’un d’absorbé par ses recherches, qui ne fait pas attention à ce qui l’entoure. Enfin, ça c’est l’image un peu stéréotypée, le monsieur avec des lunettes, une petite barbe, mais je crois que c’est dépassé comme image. Enfin, je ne sais pas. Je n’en ai jamais vu de près. C’est un spécimen que j’ignore.
Voix de femme, 1 : Ça, n’est pas un homme très jeune, mais pas vieux non plus. C’est un homme qui doit avoir 40 à 45 ans. Il a un visage doux, une voix douce, un air distrait avec des yeux presque toujours très, très pâles, presque blancs. Les cheveux sont toujours un peu grisonnants, pas vraiment blancs mais grisonnants et il est mal habillé. Il est forcément mal habillé. C’est un détail sans importance. Et il a toujours l’air d’être ailleurs.
Emmanuel Laurentin : Bonjour Anaïs Kien.
Anaïs Kien : Bonjour.
Emmanuel Laurentin : Vous pouvez nous expliquer cette archive qui ouvre justement notre débat sur le CNRS ? Archive que vous avez choisie avec Charlotte Roux et Aurélie Marsset, un portrait de scientifique en 1977, c’est ça ?
Anaïs Kien : Qui montre la grande stabilité physique du chercheur dans l’imaginaire de ces personnes qui répondent à un micro-trottoir de Robert Arnaut, pour une émission de France Inter en 1977, qui cherchait à percer le secret, le mystère du CNRS.
Emmanuel Laurentin : Oui, on entend cette musique liée à ce fameux mystère du CNRS. On va essayer de lever le voile sur ce mystère du CNRS avec nos invités. Bonjour Antoine Prost.
Antoine Prost : Bonjour.
Emmanuel Laurentin : Vous êtes au téléphone avec nous depuis votre résidence. Bonjour André Guthleben.
Antoine Prost : Bonjour.
Emmanuel Laurentin : Vous êtes avec nous ici, en studio, ainsi que Jean-François Picard. Alors, d’abord partir de ce fameux constat, stabilité de certaines images du chercheur. Vous les retrouvez dans vos travaux historiques sur le CNRS, les regards portés sur les chercheurs, Jean-François Picard, lorsque vous avez travaillé pour le 50ème anniversaire ?
Jean-François Picard : Il y a du vrai dans ces descriptions, mais disons que le chercheur a tout de même suivi un peu la mode. Le personnage du chercheur ne correspond plus aujourd’hui à l’image qu’on pouvait s’en faire dans les années 1930. Je veux dire que le professeur Tournesol appartient à une page de l’histoire.
Antoine Prost : Surtout que les chercheurs scientifiques sont très différents suivants les disciplines. Le chimiste, le biologiste, le matheux, l’archéologue, ce n’est pas du tout le même personnage. Il n’y a pas le chercheur, il y a des chercheurs qui sont chacun très, très marqués par, j’allais dire, leur habitus professionnel, leurs pratiques. Les pratiques de laboratoire par exemple des chercheurs scientifiques n’ont pas grand-chose à voir avec des pratiques de bibliothèque qui font plutôt l’histoire des textes.
Emmanuel Laurentin : Bien évidemment. Il faut aussi tenir compte de ces regards extrêmement caricaturaux qui sont portés parfois sur le chercheur pour faire cette histoire longue de la recherche et des sciences. On va peut-être pédagogiquement commencer par une explication de ce qu’est ce CNRS et surtout de sa naissance puisque s’il s’appelle Centre national de recherche scientifique, aujourd’hui, le C, de Centre national de recherche scientifique n’a pas toujours été le début du mot Centre, c’était autre chose, dans les années qui ont précédé la naissance du CNRS.
Denis Guthleben : Avant d’être un centre, c’était une Caisse nationale de la recherche scientifique qui devait venir financer les travaux des savants. Il n’était pas question à ce moment-là de créer des laboratoires dans un organisme centralisé.
Emmanuel Laurentin : Encore avant, Louis Leprince-Ringuet s’en souvenait, avant cette naissance, dans les années 30, il y avait une période bénie, sur laquelle on va revenir, après avoir écouté Louis Leprince-Ringuet, une période bénie où malgré que chaque chercheur soit très pauvre, eh bien il y avait tout de même le plaisir de travailler dans une sorte de pauvreté monacale autour des recherches qui allaient conduire ensuite au développement de la physique contemporaine.
Louis Leprince-Ringuet : « D’abord les générations de physiciens, sont des générations de 5 ou 6 ans. C’est-à-dire que mes élèves, les élèves de mes élèves ont 5 ou 6 ans de moins que mes élèves. On arrive très vite à 5, 6 ou 7 générations très facilement. Alors qu’au contraire il n’y a que 2 générations derrière moi avec mes enfants et petits-enfants, dans le domaine de la nature. Autrefois, nous étions très peu nombreux. On travaillait dans de tous petits laboratoires. Il y avait le laboratoire Curie, le laboratoire Perrin, le laboratoire de Maurice de Breuil, qui était lui un laboratoire privé. On y allait pour travailler. On n’y gagnait pas d’argent. Et dans ces laboratoires, eh bien, on avait très peu d’instruments. Moi, je venais des câbles sous-marins, j’avais fait de l’électronique et finalement à partir de cette électronique j’ai construit des amplificateurs. J’étais un ingénieur, un technicien. J’ai appris la physique avec Monsieur de Breuil à ce moment-là. J’ai emmené avec moi deux ou trois mécaniciens, qui étaient des mécaniciens souvent assez vagues, qui étaient aux équipes sociales avec moi. Nous avons formé les premières équipes. J’ai été probablement l’un des initiateurs de cette vie en équipe et des équipes de gens qui s’entendent bien mais c’étaient des équipes très peu nombreuses. On a découvert beaucoup de choses, avec de petits appareils, pendant cette période entre 1930 et 1940 et la guerre. On a découvert le neutron, on a découvert la radioactivité artificielle, qui a été découverte par les Joliot. Il y avait dans tous ces laboratoires-là quelques appareils qui ont été modifié avec le temps qui se sont trouvés être des compteurs d’électrons, des chambres de Wilson, des amplificateurs d’ionisations, de petits appareils. On trouvait quand même pas mal de choses, c’était une époque assez merveilleuse. »
Anaïs Kien : C’était Louis Leprince-Ringuet, en 1972, qui évoquait une espèce de romantisme mémoriel du physicien d’avant la création du CNRS. On voit bien là, lorsque Louis Leprince-Ringuet évoque le manque d’argent, essentiellement, que finalement la nécessité d’une politique de la recherche, une politique d’État, d’une planification d’État de la recherche, n’est pas forcément une évidence jusqu’en 1938.
Denis Guthleben : Non, en effet. C’est débattu quand même depuis le début du XXe siècle, dans le cadre d’un débat lancé à l’Assemblée, par le sénateur Audiffred, pour commencer à mettre en place des institutions, plus exactement des caisses pour venir financer la recherche.
Anaïs Kien : Avec un premier échec en 1901 d’ailleurs.
Denis Guthleben : Tout à fait. Un premier échec qui en est un sans en être un puisqu’il y a quand même de l’argent qui est débloqué pour venir aider un certain nombre de laboratoires mais avec de l’argent qui suit des chemins un peu tortueux pour arriver jusqu’au laboratoire, qui fait appel à la souscription publique etc.
Antoine Prost : Il y a l’épisode Audiffred qui vient d’être rappelé, qui est tout à fait exact mais qui est orienté vers l’amélioration de l’élevage, de la nourriture… Enfin, il y a des préoccupations agronomiques et hygiénistes derrière ce premier épisode. Puis, il y a un deuxième épisode qui est la guerre de 1914 où l’on a quand même le besoin de faire des inventions pour la défense nationale. Le troisième épisode c’est 1930, la création de la Caisse qui va subventionner les chercheurs. Frédéric Joliot est un des premiers chercheurs subventionnés. Il a une bourse pour faire ses travaux. La grande époque de la création du CNRS, c’est le Front populaire. C’est la création d’un bureau de la recherche dans la direction de l’enseignement supérieur. C’est l’action de Laugier auprès de Jean Zay. C’est l’action de Perrin qui est sous-secrétaire d’État à la recherche scientifique. Il y a eu un premier Sous-secrétaire d’État, qui est Marie Curie, qui reste 3 mois, puis c’est Perrin qui prend le relai. Et c’est ça qui aboutit à la création du CNRS.
Emmanuel Laurentin : Puisque vous évoquez justement la personne de Jean Perrin, une archive de 1938 avec Jean Perrin.
Archive : « Monsieur le Ministre, voulez-vous donner aux auditeurs de Radio 37, quelques précisions sur l’œuvre du département ministériel qu’à nouveau vous êtes appelé à diriger ? Jean Perrin : Sous-secrétaire d’État à la recherche scientifique a dans ses attributions, comme vous le savez, le service central de la recherche scientifique qui a été organisé conformément au texte d’une loi de finance que j’ai eu la bonne fortune de faire voter à la fin de 1936. Ce service coordonne tous les efforts qui sont faits dans le domaine des sciences dures. Il est en liaison constante avec la Caisse nationale de la recherche scientifique, que je considère un peu aussi comme mon enfant. Grâce à la caisse et aux crédits dont elle est dotée, les savants peuvent se consacrer essentiellement à la recherche. La Caisse nationale de la recherche scientifique a formé une équipe de jeunes et elle a aussi doté de matériels nouveaux un très grand nombre de laboratoires. Le service central de la recherche scientifique a, depuis un an, fait des efforts considérables. Le monde savant tout entier se félicite de son organisation. Désormais, les chercheurs de notre pays savent à qui s’adresser pour obtenir des instruments indispensables à leurs travaux. »
Emmanuel Laurentin : La voix de Jean Perrin en 1938. C’est la première fois que vous l’entendez, Jean-François Picard, bien que vous ayez travaillé depuis longtemps sur la naissance du CNRS ?
Jean-François Picard : C’est-à-dire que Perrin a laissé davantage d’écrits que d’enregistrements de sa voix.
Emmanuel Laurentin : Alors, justement dans ce moment particulier où on aurait tendance à lire aujourd’hui, tout cela comme un immense progrès, une avancée sans faille, quelque chose qui évidemment va conduire naturellement à ce qu’en 1939 soit créé le CNRS, ça n’est pas si évident que cela. Il y avait d’autres choix, d’autres possibilités et cette alliance, ce moment, comme cela, qu’évoquait Antoine Prost, du Front populaire, a été un moment cristallisant, cristallisateur de cette volonté-là, mais on aurait pu faire autrement d’une certaine façon ? ?
Jean-François Picard : Tout à fait. Mais, il y a un point important à signaler, c’est que si l’on prend l’histoire de l’organisation de la recherche au XXe siècle, disons pour résumer, il y a deux modes d’organisation de la recherche. D’une part, on peut envisager de créer des instituts, comme l’Institut Pasteur, comme les grands instituts qui sont créés pour répondre à des demandes spécifiques. Et d’autre part, il y a ce problème qui a été évoqué à l’instant, et qui est évoqué par Antoine Prost et Denis Guthleben, qui est d’aider la recherche universitaire, la recherche fondamentale. Et ça passe par la création de ce qui vient d’être évoqué, qui est la mise en place de Caisses. Une Caisse des sciences à l’époque, c’est un organisme qui est destiné à financer des bourses pour des chercheurs et ces chercheurs sont souvent des universitaires d’ailleurs. C’est également un événement qui a été évoqué par Antoine Prost, à l’instant au téléphone, c’est qu’il y a aussi, au XXe siècle, cette autre logique d’organisation qui consiste à créer de grands instituts avec l’idée d’orienter la recherche en fonction de finalités ou de besoins, par exemple de besoin de la défense nationale. Et ce n’est pas un hasard si les deux périodes charnières au cours du XXe siècle, le moment où s’est organisée la recherche c’est précisément pendant la Première guerre mondiale, avec la création d’un service des inventions, et deuxièmement à la veille de la Deuxième guerre mondiale, avec la création du CNRS, qui avait justement pour vocation de rapprocher d’un côté effectivement ces caisses des sciences, cette Caisse nationale des sciences et de rapprocher un organisme qui s’appelait l’Office des inventions qui était chargé précisément d’organiser la recherche industrielle.
Emmanuel Laurentin : Il faut se souvenir que dans le décret de création du CNRS, en 1939, il y a effectivement la question de fédérer les recherches, faciliter les recherches intéressant la défense nationale et l’économie nationale.
Antoine Prost : Oui, d’ailleurs, Jean-François a tout à fait raison. Juste avant la création du CNRS, on avait créé un CNRSA, un Conseil national de la recherche scientifique appliquée. C’est-à-dire que l’État s’empare du problème des applications et des utilisations de la recherche pour dire : écoutez, moi, il faut que je coordonne parce que ça ne débouche pas suffisamment.
Anaïs Kien : Antoine Prost, est-ce qu’on a d’autres modèles, peut-être à l’étranger, à ce moment-là, au moment de la création de cette première caisse, d’institut qui coordonne des recherches nationales au point de l’ambition que l’on a lorsqu’on créé le CNRS ?
Antoine Prost : Il y a en Allemagne ce qui devient le Max-Planck institut qui à l’origine s’appelait Kaiser-Wilhelm institut. Dans un pays comme l’Allemagne, oui. Mais ça, Jean-François Picard, le connaît mieux que moi.
Emmanuel Laurentin : Ça existe depuis 1911, je crois ce Kaiser-Wilhelm-Gesellschaft.
Jean-François Picard : Oui, ça avait été créé justement par l’université allemande pour faire des recherches finalisées, avec une grosse subvention de l’Empereur Guillaume. Mais il faudrait aussi mentionner l’existence du mécénat scientifique, les grandes fondations américaines qui apparaissent à la même époque. La Fondation Rockefeller, bien sûr,…
Emmanuel Laurentin : Qui aura une importance justement après-guerre dans la création de ce même CNRS.
Jean-François Picard : Exactement. Assez curieusement d’ailleurs, cette Fondation Rockefeller a aidé à financer des organismes d’État, comme le CNRS.
Denis Guthleben : Il ne faut pas sous-estimer non plus le rôle qu’a pu jouer la création, en Belgique, du Fond national de la recherche scientifique, le FNRS, qui a un peu joué le rôle d’un catalyseur, un élément qui fait prendre conscience, en France, qu’un pays comme la Belgique un peu plus petit que le nôtre avait pu s’organiser autour de sa recherche scientifique.
Anaïs Kien : Les personnes qui réfléchissent à la création du CNRS, notamment le Sous-secrétariat d’État, créé sous le Front populaire, revendique un modèle ? Un modèle américain ? Un modèle allemand ? Ou un modèle belge ? Denis Guthleben, quelles sont les inspirations, le modèle étalon des législateurs à ce moment-là ?
Denis Guthleben : J’ai plutôt l’impression que ceux qui organisent la recherche scientifique à ce moment-là s’inspirent d’un modèle français, et même presque d’un modèle d’un gouvernement français, avec un Conseil supérieur de la recherche, qui est un peu l’Assemblée nationale de la recherche, un Service central de la recherche au ministère qui est un petit peu le gouvernement de la recherche et une Caisse qui est un peu le Ministère des finances de la recherche.
Emmanuel Laurentin : Antoine Prost, sur ce même point.
Antoine Prost : Je pense que l’on ne peut pas analyser la création du CNRS sans tenir compte de la relative faiblesse scientifique des universités françaises. Les universités françaises ont été constituées entre 1880 et 1900. Avant tout, les facultés de lettres et de sciences ont été des fabriques de professeurs du second degré. Elles ne se sont pas constituées suivant le modèle allemand d’universités de recherche autour de grand laboratoires. Elles se sont constituées autour de chaires qui étaient définies par les profils d’enseignements. Donc, le problème qui traverse tout le XXe siècle, est un problème qui est en train de changer parce que les universités en France ont complètement changé. Il n’y a rien à voir entre les universités actuelles et les facultés de sciences de 1939. Cette faiblesse fait qu’il y a le potentiel intellectuel mais il n’y a pas le potentiel organisationnel qui donne de vraies recherches. Donc, le problème de Sous-secrétaire d’État, comme Perrin, c’est de trouver un moyen de coordonner, de fédérer, de soutenir des gens qui sont dans les universités et de suppléer, en quelque sorte, l’insuffisance de l’université du point de vue de la politique de la recherche.
Emmanuel Laurentin : Jean-François Picard, alors, si on avance dans cette histoire, après la création, en 1939, décret du 19 octobre 1939, évidemment la guerre intervient très rapidement dans un contexte, que vous avez bien expliqué, de crise et de potentialité de guerre entre la France et l’Allemagne au moins, on imagine bien que tout ce qui intervient pendant les 5 ans de guerre va chambouler cette question-là, or c’est un peu particulier. Il va y avoir naissance de deux CNRS pendant la guerre. Il y en a un qui continuera sous Vichy, qui va continuer d’une certaine façon sous Vichy. Et quelque chose de différent qui va se créer autour de la France-Libre, en particulier autour des exilés Français qui se trouvent aux États-Unis, et qui va commencer à s’organiser d’une certaine façon, avec un regard très fort porté sur ce qui se fait aux États-Unis en matière de recherche, de financement de la recherche et également en Grande-Bretagne, avec des missions qui auront lieu en Grande-Bretagne. Évidemment, tout cela aura une importance, un impact sur la rénovation du CNRS immédiatement après la Seconde guerre mondiale. Il faut d’ailleurs noter que la semaine prochaine, France Culture consacre une journée à Claude Lévi-Strauss, il est un des premiers à participer justement à côté d’autres, à New-York, à ces questions de renaissance de la recherche française, dans un rapport frotté avec la recherche américaine.
Jean-François Picard : C’est vrai que la Deuxième guerre mondiale a été vraiment la matrice d’une réorganisation fondamentale de la recherche. Ce qui s’est passé en fait, c’est que du fait de cette mobilisation scientifique, mobilisation scientifique qui est en fait la justification de la création du CNRS, le CNRS de l’Occupation, sous Vichy, a été mobilisé principalement sur les problèmes de l’époque, engendrés par les contraintes de la guerre, principalement les questions d’alimentation, de vitamines, de carburants de substitution,…
Emmanuel Laurentin : Il n’a pas échappé aux questions de lois antijuives, que l’on retrouve dans l’histoire documentaire du CNRS avec les documents de l’époque, les purges antijuives de l’époque à la demande de Xavier Vallat et tous ceux qui étaient autour de lui.
Jean-François Picard : Tout à fait. Il y a eu d’ailleurs, lié à cet événement, une très forte immigration scientifique, celles de scientifiques Français d’origine juive, pas forcément que juive, il y a eu aussi des gens qui étaient hostiles à Vichy, ont immigrés, grâce à l’aide des Américains, aux États-Unis ou en Angleterre. Et c’est lorsque, ce à quoi vous faisiez allusion effectivement, ces scientifiques au lieu de se disséminer, disons de rester isolés, ont essayé de se rassembler et il y a notamment un personnage qui a joué un rôle tout à fat important dans l’affaire…
Emmanuel Laurentin : C’est Louis Rapkine.
Jean-François Picard : Voilà, Louis Rapkine, un biochimiste, qui a entrepris avec la bénédiction du Générale de Gaulle et les services de la France-Libre…
Emmanuel Laurentin : Et à la demande d’Henri Laugier, qui était le directeur du CNRS d’avant-guerre.
Jean-François Picard : Et avec le soutien des Américains notamment de la Rockefeller, de créer une sorte de CNRS exilé outre-Atlantique. Il y a eu cette École pratique des hautes études qui a été créée, à New-York, avec des ethnologues, comme Lévi-Strauss mais il y a eu également un grand physicien qui s’appelle Pierre Auger qui a participé aux travaux de la recherche opérationnelle menés chez les Anglais. Si vous voulez, ces gens-là, en 1945, vont se retrouver tous ensemble, le CNRS un peu appliqué mais aux problèmes de l’Occupation et de la guerre et le CNRS qui vient de l’étranger et il se produit une sorte d’insémination, de fermentation, de développement de la recherche sur de nouvelles bases à ce moment-là, à l’époque où effectivement Joliot devient directeur.
Antoine Prost : Ce que dit Jean-François Picard est tout à fait exact. Ce qui me frappe c’est que Vichy n’ait pas supprimé le CNRS.
Emmanuel Laurentin : Oui, c’est ça qui est intéressant. C’est qu’effectivement, il a été évidemment mis en sommeil d’une certaine façon, étant donné les conditions de la guerre, mais il n’a pas été définitivement supprimé.
Antoine Prost : C’est-à-dire qu’on a nommé un nouveau directeur, avec mission de le supprimer. Puis, le nouveau directeur, on a fait l’inventaire de l’existant, on a trouvé que ce n’était pas si mal et il a finalement défendu le CNRS. Il faut voir aussi qu’il se passe quelque chose pendant la guerre qui va perdurer. Le CNRS, quand il est créé, a vocation de coordination de l’ensemble de la recherche scientifique dans tous les ministères…
Emmanuel Laurentin : Eh oui, alors ça, c’est très intéressant parce que c’est le cœur de l’affaire.
Antoine Prost : Y compris l’armée mais évidemment l’hygiène, la santé… mais comme il est sous la tutelle du ministère de l’Éducation nationale, les différents ministères se dépêchent de créer leur propre structure de recherche et de la faire échapper au CNRS, c’est l’hygiène, les Territoires d’Outre-mer etc. donc, on va avoir une structure de coordination qui ne peut pas coordonner. On ne peut pas être à la fois le coordonnateur principal et la tête de réseau. Ou on est au-dessus ou on est l’un des éléments du réseau. Ça, c’est une contradiction qui apparaît dès la guerre de 40 et qui va être un peu aggravée par la fermentation croisée que décrit à l’instant Jean-François Picard.
Emmanuel Laurentin : Oui, c’est toute la question effectivement. Comment, d’une certaine façon, le CNRS ne s’est-il pas transformé en futur ministère de la recherche ? C’est-à-dire en coordinateur majeur de toutes les politiques de recherche, de tous les ministères.
Antoine Prost : De ce point de vue, il va échouer. Ça va entraîner la création, en 1958, de la DGRST, la Délégation générale à la recherche scientifique et technique, qui va se mettre à piloter des programmes nationaux et qui va devenir ensuite le ministère de la recherche. D’ailleurs, les locaux que fait construire, le CNRS, je crois sur le quai Anatole-France, c’était des locaux qui s’étaient construits comme une sorte de ministère de la recherche.
Denis Guthleben : Je crois qu’il faut revenir aussi un instant sur la personnalité du directeur du CNRS pendant l’Occupation parce que lui a souhaité ardemment que le CNRS se transforme en ministère de la recherche. D’ailleurs, dans les papiers qu’il a conservés, il ne l’appelle pas le CNRS…
Emmanuel Laurentin : C’était Charles Jacob.
Denis Guthleben : Tout à fait. Rapidement, il était géologue, il a gardé à la tête du CNRS, cette habitude du bon géologue, d’arpenteur, d’avoir toujours un carnet et un crayon sur lui et de noter toutes ses observations et ses observations sont conservées dans les archives de l’Académie des sciences où elles ont été retrouvées assez récemment et ont permis de jeter un peu une nouvelle lumière sur cette période de l’histoire du CNRS.
Emmanuel Laurentin : En décembre 40, il écrit : « Le CNRS dont le nom seul est déjà un drapeau doit être maintenu et développé, charpenté et discipliné, il peut à sa place et dans le travail collaborer au relèvement de la patrie. »
Denis Guthleben : Il l’a écrit en 1940, il faut savoir qu’un an auparavant, il était très, très opposé à ce CNRS de Jean Perrin. Il œuvrait depuis un certain temps déjà pour que cet organisme ne soit pas créé et une fois créée ne s’effondre pas. Ce qui l’a fait changer d’avis, c’est justement qu’au moment où Vichy l’a nommé à la tête de cet organisme, sachant qu’il était un opposant du CNRS, il a vu cet organisme comme une porte d’entrée vers un fauteuil ministériel, pour lui, qu’il concevait pour lui. C’est pour cela avant tout qu’il a décidé de conserver cette institution.
Emmanuel Laurentin : Alors, on arrive à cette après-guerre, Anaïs, là on écoute une archive de ?
Anaïs Kien : À la libération, c’était Joliot Curie qui dirige, le premier, le CNRS. C’est une archive où l’on entend Frédéric Joliot-Curie, en 1946.
Archive, Frédéric Joliot-Curie, 1946 : « L’homme de science, je donnerais une image simple, comme l’ouvrier ou l’artisan participaient à la construction d’une cathédrale. Ceux-ci savaient participer à cette œuvre qui nécessitait plusieurs générations mais cela ne diminuait pas leur ardeur, ni leur amour pour l’œuvre même s’ils ne devaient pas la voir achevée. On peut se demander ce que nous serions capables de construire, comme œuvre gigantesque, avec les moyens techniques dont nous disposons maintenant, si l’on voulait bien travailler pour plus d’une génération, construire pour plus d’une génération. Mais il semble que l’on ait ce souci, si égoïste, de voir de son vivant, l’œuvre achevée, l’œuvre à laquelle on a participé, on a contribué. Et je crois que je ne connais pas d’exemple de construction, même du point de vue matériel, qui soit à une échelle telle que nous ne voyons pas que ce nous avons commencé aujourd’hui, nos petits-enfants la verraient peut-être achevée. Ça serait peut-être très beau pour nos arrière-petits-enfants, ça vaut la peine de travailler avec cet esprit. La science nous en donne cette habitude car la science ne s’achève jamais, c’est une œuvre à laquelle on contribue, chaque fois. »
Emmanuel Laurentin : La science est une œuvre qui ne s’achève jamais disait, en 1946, Frédéric Joliot-Curie. On peut être étonné, Jean-François Picard, de voir par exemple la Fondation Rockefeller subventionner Joliot-Curie et aider à la reconstitution de ce CNRS de l’après-guerre sachant les opinions politiques de Joliot-Curie. On se dit, qu’est-ce qui se passe pour que des Américains, disons, on n’est pas encore en guerre froide, on est à une année ou une année et demie de la guerre froide, payent pour cela, pour des recherches qui sont menées tout de même par quelqu’un qui est assez proche du Parti communiste, sinon au Parti communiste soi-même ?
Jean-François Picard : Certes, mais là, la question que vous posez, c’est toute l’ambigüité ou disons le flou autour de la biographie de Joliot lui-même. Je ne sais pas si l’on peut rentrer dans ce sujet, ça risquerait de nous entraîner assez loin, mais disons que d’abord, Joliot il faut rappeler qu’il a passé toute la guerre à Paris, à travailler et à mettre au point le fonctionnement de son cyclotron. Il a travaillé avec les Allemands à l’époque pratiquement jusqu’à la fin de l’Occupation, ce qui lui a valu d’être surveillé de très près par les services de renseignements américains qui dès la libération de Paris sont venus pour effectivement enquêter un peu sur quelque chose qu’ils redoutaient qui était le programme de la bombe atomique nazi. Alors, d’après un certain nombre de témoignages et d’après les idées que l’on peut s’en faire, il semblerait que Joliot ait pris des positions d’extrême gauche, il était un homme de gauche indiscutablement, mais il a pris…
Emmanuel Laurentin : Il était pacifiste avant la guerre.
Jean-François Picard : Voilà, il était pacifiste mais il aurait, d’après un certain nombre de témoignages, notamment ceux qui viennent de sa famille, rallié le Parti communiste pendant la guerre, comme une sorte de quotient pour se dédouaner vis-à-vis effectivement peut-être de cette collaboration exagérée avec les Allemands. Je rappelle un fait qui est assez peu mentionné d’ailleurs dans la biographie de Joliot, il a été élu à l’Académie des sciences en 1943. C’est-à-dire à la fin de l’Occupation alors qu’il connaissait très bien la répression et que notamment le gendre de Langevin, qui travaillait avec lui, Jacques Solomon a été déporté et fusillé, assassiné par les nazis. Or, ça n’a pas empêché le camarade Joliot de continuer à prendre des responsabilités officielles.
Emmanuel Laurentin : Donc, malgré tout il intervient tout de suite après la guerre, c’est lui qu’on nomme pour diriger ce CNRS même si ensuite il partira au CEA.
Jean-François Picard : Il s’est produit un incident assez curieux. C’est-à-dire qu’en fait Joliot a été nommé directeur du CNRS, au moment de l’insurrection parisienne, par un ministre, qui lui-même a été nommé par le Parti communiste, qui était le psychologue Henri Vallon, et les services de la France-Libre et notamment le Général de Gaulle avaient envisagé, très sérieusement, de confier la responsabilité du CNRS à la Libération à Henri Laugier, son ancien directeur, qui avait essayé de reconstituer une sorte de CNRS à Alger, dès 1953.
Emmanuel Laurentin : Henri Laugier qui aura d’autres obligations ensuite, puisqu’il sera nommé aux Nations-Unies pour pouvoir préparer la Déclaration des droits de l’homme.
Jean-François Picard : Le fait que Laugier ait été obligé d’aller ailleurs, si je puis dire, est la conséquence du fait que Joliot avait pris la place. De toute façon Joliot est resté assez peu de temps à la direction du CNRS puisqu’il a été nommé au Commissariat à l’énergie atomique.
Antoine Prost : Je trouve que Jean-François Picard pousse le cochonnet, il ne faut tout de même pas considérer que faire partie de l’Académie des sciences ce soit un acte de collaboration. Il ne faut quand même pas exagérer, je renverrai quand même à la biographie de Joliot par Michel Pinault. Il en va, entre guillemets, de la collaboration de Joliot avec les Allemands comme de celle de Lucien Febvre, c’est des lieux communs hypercritiques qui ne me paraissent pas résister à l’analyse. Je suis en désaccord avec Jean-François Picard.
Emmanuel Laurentin : On le comprend à votre ton, Antoine Prost.
Antoine Prost : Pour la nomination de Joliot au Commissariat à l’énergie atomique, sachant le caractère stratégique de l’énergie atomique, c’est quand même une marque de confiance plus grande encore que de lui donner la direction du CNRS.
Emmanuel Laurentin : On voit tout de même dans ce moment-là, s’opposer deux visions de l’organisation de la science. Il y a une vision planificatrice, qui est défendue par Joliot, et une vision plus libérale, pourrait-on dire, qui laisserait la place à plus de liberté des chercheurs. Il y a l’opposition donc par exemple Joliot et des gens comme Jean Thibaud, qui dans Preuves, des anticommunistes de cette époque-là, les années 50, disent : Non, non, il faut laisser la liberté de la recherche…
Antoine Prost : Il y a un problème qui est sous-jacent pendant toute cette période et ensuite revient pendant la période de la Ve République, que je vais soulever par une anecdote qui est la visite de Pigagnol, le nouveau…
Emmanuel Laurentin : Pierre Pigagnol…
Antoine Prost : Le nouveau délègue général à la recherche à la recherche scientifique et technique…
Emmanuel Laurentin : En 58…
Antoine Prost : Il fait le tour des ministres, il va voir Pinet. Sur le pas de la porte, comme il s’en va, Pinet, lui, dit : Peut-être bien, mais est-ce que ça ne serait pas plus simple de laisser les chercheurs étrangers faire les découvertes et puis après on achète les brevets ? Pigagnol n’explose pas parce que c’est un homme courtois mais on voit bien que le problème de la recherche scientifique, c’est aussi un problème d’indépendance nationale.
Emmanuel Laurentin : On dit, par exemple, dans un rapport de la fin 45, c’est le rapport Rapkine, il dit : « Il faut reconquérir le standing auquel la France a droit. »
Antoine Prost : Tout à fait, mais il n’y a pas que le standing. La recherche scientifique c’est aussi l’avenir, l’avenir de l’énergie, de l’industrie, de l’aéronautique, et vous avez une politique très volontariste qui a besoin d’un outil centralisateur qui est dans un premier temps le CNRS et qui va être ensuite la DGRST.
Emmanuel Laurentin : Et le ministère de la recherche.
Denis Guthleben : C’est un débat qui existe en effet depuis la création du CNRS. Pour Jean Perrin, il fallait en effet une science libre et il fait une déclaration très forte au moment de la création du CNRS : « L’esprit ne peut pas être libre sans l’existence d’une science libre. » D’un autre côté, il faut quand même une science programmée puisque le CNRS est créé en octobre 39 au moment où la France est déjà en guerre, il faut que la science soit mobilisée comme le reste du pays. Donc, il y a toujours ce débat entre la liberté de la science et la nécessité de l’organiser.
Anaïs Kien : En 1958, lorsqu’est créée la DGRST, la délégation à la recherche scientifique et technique, finalement cette création ampute de son rôle de coordonnateur le CNRS, ce qui était sa mission première.
Denis Guthleben : Oui, c’était sa mission première. Mais il n’a jamais été en mesure de l’assumer parce que le CNRS est rattaché à un ministère.
Anaïs Kien : C’est un dysfonctionnement du CNRS qui explique la création de la DGRST ?
Denis Guthleben : C’est un dysfonctionnement du CNRS, ou…
Emmanuel Laurentin : Une impuissance ?
Jean-François Picard : Oui, une impuissance, je crois que Denis a raison.
Emmanuel Laurentin : Il aurait dû être rattaché par exemple dès le début au service du Premier ministre ou à la présidence du conseil, par exemple ?
Jean-François Picard : En tout cas, ça a été envisagé. Je ne connaissais pas cet élément. Même avant la guerre ça a été envisagé, je me souviens, de créer une sorte de ministère au de secrétariat d’État à la recherche, il y a d’ailleurs un Secrétariat d’État à la recherche en 36. La question est récurrente, et ça, Antoine Prost le rappelait à juste titre, du fait que le CNRS est sous la tutelle de l’Éducation nationale, le Ministère de l’éducation nationale lui-même, qui est la puissance tutélaire, n’a pas la puissance la capacité à trancher des débats avec les autres ministères techniques. On peut parfaitement concevoir que la santé va vouloir créer son institut de recherche sur la santé, le Commissariat à l’énergie atomique effectivement dépend directement du Premier ministre, l’INRA va dépendre de l’agriculture, vous avez également un grand organisme qui a été créé à la Libération, concernant le secteur de l’aéronautique, qui s’appelle l’ONERA, Office national de recherche en aéronautique, il dépend bien entendu du Ministère de la défense, etc.
Antoine Prost : Il y a une autre raison, cette raison est tout à fait fondamentale, pour laquelle le CNRS ne peut pas être coordonnateur général, c’est parce que le CNRS lui-même est un organisme de recherche. Il fait lui-même, dans ses laboratoires, des recherches. Vous ne devez pas être une tête de réseau et à la fois un des éléments du réseau sinon vous êtes soupçonné par tous les autres que vous cherchez à coordonner de tirer la couverture à vous et de réserver le meilleur des subventions pour vos propres équipes. La DGRST n’a pas de laboratoires. Elle a des programmes et elle finance des travaux mais la DGRST n’a pas de recherche propre.
Emmanuel Laurentin : Toute cette différence, Denis Guthleben, entre recherche libre et recherche dirigée, était déjà, par exemple dans une déclaration de Georges Tessier qui succèdera à Joliot-Curie, dès 1946, comme directeur du CNRS, où il dit : « Depuis la Libération, nous nous sommes montrés aussi libéraux que possible dans l’octroi des bourses et des allocations, en contrepartie nous avons la ferme intention de manifester envers les chercheurs en place moins de complaisance que par le passé, il faudra éliminer ceux qui à l’essai se sont montrés paresseux ou incapables et transférer dans un autre secteur ceux qui n’ont pas les qualités d’imaginations et d’initiatives sans lesquelles, il n’est pas de véritables scientifiques. » Et il continue en disant : « Tout en continuant à encourager la recherche libre, nous avons ouvert un secteur de recherche dirigée. » Questions : qui dirige ? Qui évalue ? La question de l’évaluation est déjà présente en 46. Que fait-on de ceux dont on considère qu’ils ne vont pas dans le sens justement voulu par le Ministère, le gouvernement, la direction du CNRS ?
Denis Guthleben : Tessier semble confondre presque tout le sujet avec une recherche d’excellence parce que c’est le but du CNRS, dès l’origine, de poursuivre une recherche d’excellence. Pour ce qui est de l’évaluation, en 45, elle est assumée par une nouvelle instance qui est créée au sein du CNRS, c’est le Comité national, qui s’appelait encore à l’époque, le Comité national de la recherche scientifique, qui avait vocation à épouser bien plus que le CNRS, d’autant plus qu’il était constitué pour l’essentiel de professeurs d’université.
Jean-François Picard : Dans cette affaire du CNRS, en fait, je pense qu’on peut dire que l’un des grands handicaps du CNRS c’est qu’il confond à la fois la fonction de caisse des sciences, c’est-à-dire de distribuer des bourses, d’où l’importance du Comité national, et la fonction institut de recherche, c’est-à-dire un organisme qui dispose de ses propres laboratoires et qui oriente la recherche en fonction des objectifs qu’il choisit. Mon impression personnelle, en tant historien de l’histoire du CNRS, c’est que la fonction caisse des sciences et répartition des bourses et de subventions a fini par l’emporter sur l’autre, sur la recherche programmée, la recherche programmatique. Je pense que ceci explique cela, ça explique les difficultés rencontrées en 1958 par la DGRST au moment où elle essaye de relancer une nouvelle politique de la science.
Emmanuel Laurentin : 1978, 20 ans après 1958, France culture enregistre dans une enquête sur le CNRS, un ethnologue, Gérard-Julien Selvi ( ?). Il évoque les différences justement à l’intérieur du CNRS entre certaines sciences, peut-être dures et de l’autre côté des sciences humaines et les difficultés que peuvent avoir les sciences humaines au milieu de tout cela.
Archive, Gérard Julien Selvi ( ?), France Culture, 1978 : « On a dit d’elle qu’elle révérait le passé, que les anthropologues, les ethnologues cultivaient le culte des civilisations mortes ou en voie d’extinction, que nous intéressions, comme des taxidermistes, à chasser des papillons que nous plantions dans de belles vitrines, à l’abri des microbes. On a dit aussi que nous étions des humanistes désuets qui perpétuons des traditions des Lumières encyclopédiques. Je crois que là non plus, la question n’est pas là. Nous ne sommes ni des prophètes, ni des inquisiteurs, ni même de nouveaux philosophes, ni même des contestataires. En fait, nous sommes en face d’une problématique qui est spécifique en elle-même puisque nous recherchons finalement à préciser, à questionner ou à illustrer, à décrire le phénomène humain dans sa forme la plus universelle possible. Pour parler des pressions extérieures qui s’exercent sur l’anthropologie, il est vrai que le gouvernement d’aujourd’hui questionne les sciences sociales, s’interroge, se demande s’il n’y a pas un gâchis extrême à continuer de financer la recherche pour des gens ou des disciplines qui ne sont pas productives, qui ne sont pas rentables, ce sont les mots utilisés. Il semblerait qu’il y ait même quelque danger à ce que, au CNRS, les sciences humaines - c’est un des projets mais les projets comme ça il y en a eu depuis 10 ans mais enfin c’est des projets qui reviennent sur le tapis- ne soient supprimées purement et simplement de la recherche scientifique et à ce que les chercheurs des sciences humaines soient progressivement recasés dans les universités. »
Emmanuel Laurentin : Curieux échos en 1978 d’une problématique qui est encore très présente aujourd’hui, Antoine Prost.
Antoine Prost : Non. Je trouve cette intervention très intéressante, elle met l’accent sur quelque chose qui est pour moi fondamental et qui explique la dualité université /CNRS. Les universités sont régies par des besoins d’enseignement. Il y a une pression. On voit très bien dans les années 60, quand les effectifs augmentent, il faut mettre des gens devant les étudiants et on pioche dans les crédits de recherche, les crédits de recherche ne sont pas du tout protégés. Si vous n’avez pas une structure de recherche indépendante de l’université, comme l’université est sous la pression constante des étudiants, parce que c’est une université ouverte dont les effectifs augmentent beaucoup, vous n’aurez jamais de laboratoires de recherche sur la Chine classique, sur tous les pays orientaux, de recherche sur le sanskrit ou sur des langues rares. La recherche pointue a besoin d’être protégée dans les universités parce qu’elle ne répond pas aux finalités d’enseignement des universités et les finalités d’enseignement commandent, dans les universités, les finalités de recherche. C’est pourquoi les universitaires eux-mêmes ont soigneusement conservé en quelque sorte deux râteliers. Ils ont une source de financement qui est le Ministère de l’éducation nationale, pour tout ce qui est leur besoin d’enseignement et un peu de recherche, et puis ils ont une autre source de financement, qui est à l’abri des pressions de l’enseignement, qui est le CNRS. Et c’est ce qui explique aussi le développement des laboratoires mixtes.
Emmanuel Laurentin : Jean-François Picard, est-ce que vous êtes d’accord avec cette analyse et surtout la permanence de ces questions de relation entre centres de recherche, comme le CNRS, et les universités et la place aussi que tiennent les sciences humaines et sociales ?
Jean-François Picard : Oui. Il est clair que le problème c’est la relation très étroite dans le secteur des SHS…
Emmanuel Laurentin : Sciences humaines et sociales.
Jean-François Picard : Dans les sciences humaines et sociales, disons, la prégnance, l’importance du secteur enseignement supérieur - universitaire. Ça, c’est très clair. Ce que je voudrais simplement ajouter, par rapport à ce que dit Antoine Prost, c’est que si on essaye de faire une sorte de bilan de ce que le CNRS a pu apporter aux sciences humaines et sociales ou à l’inverse ce que les sciences humaines et sociales ont apporté au CNRS…
Anaïs Kien : Jean-François Picard, pouvez-vous nous dire à quel moment les sciences humaines et sociales interviennent à l’intérieur du CNRS ? Sont-elles prévues dès le départ dans les structures du CNRS…
Emmanuel Laurentin : Ou se rajoutent-elles ?
Jean-François Picard : Elles sont prévues dès le départ dans le CNRS. Il s’est produit d’ailleurs dans les années 30 un phénomène assez curieux, qui a été évoqué tout à l’heure. Le CNRS, c’est une création des sciences naturelles, des physiciens, Jean Perrin et autres, et ces physiciens sont assez sceptiques sur l’intérêt d’intégrer les sciences humaines dans le CNRS. Perrin, par exemple, a quelques réflexions sarcastiques sur les sciences soi-disant juridiques etc., en même temps on a évoqué le fait que le CNRS est créé sous la direction, sous le patronage en quelque sorte, du Ministère de l’instruction publique puis du Ministère de l’éducation nationale, et en fait la direction des enseignements supérieurs a joué un rôle très important et c’est elle qui a finalement obtenu que le secteur des sciences sociales et humaines soit intégré dès les premiers projets de la Caisse de 1932-1934 et dans le CNRS. Ensuite, il s’est produit un phénomène, c’est juste ce petit point que je voulais signaler, le fait que les sciences sociales et humaines aient été intégrées dans le CNRS, ça a présenté un intérêt certain pour introduire de nouvelles disciplines dans un monde universitaire qui était assez fermé à certaines disciplines. Je pense, par exemple, à la sociologie.
Antoine Prost : La sociologie, oui.
Denis Guthleben : En ce qui concerne le rattachement des sciences humaines, en effet dès le début il y avait quelques fleurons notamment le premier laboratoire de sciences humaines du CNRS, c’est l’Institut de recherche et d’histoire des textes. Un institut qui existe encore aujourd’hui.
Antoine Prost : Tout à fait, en 1937.
Denis Guthleben : Voilà, qui date de 37.
Emmanuel Laurentin : Et il faut se souvenir qu’effectivement dans les premières décisions d’immédiate après-guerre Lucien Febvre n’est pas pour rien dans certaines décisions de création de certaines choses, ou encore Gabriel Lebrun qui crée, ou qui veut créer un centre autour du droit islamique, par exemple.
Antoine Prost : Mais ce que je disais tout à l’heure sur la pression de l’enseignement sur la recherche c’est valable pour les sciences humaines. Et c’est valable aussi pour les sciences dures. Il faut dire que la génétique ne se serait jamais acclimatée dans notre..., ne se serait jamais, ne soyons pas excessifs, la génétique a eu beaucoup de peine à se tailler une place dans les universités, elle est entrée en France par le CNRS parce que dans les programmes d’enseignement…
Emmanuel Laurentin : Elle est entrée en France grâce à l’argent de la Fondation Rockefeller qui a financé en particulier…
Antoine Prost : Grâce à la Fondation Rockefeller, mais c’est par le CNRS que la génétique est arrivée. Puis, il y a tout le problème de la « big-science » que les universités n’auraient jamais les moyens de…
Emmanuel Laurentin : Excusez-nous, mais qu’est-ce qu’on appelle la « big-science », Antoine Prost ?
Antoine Prost : C’est la physique des grands équipements dans les années 60, c’est la course au cyclotron, aux accélérateurs… Ça suppose des investissements tellement monstrueux, c’est comme ça qu’on va finalement faire le CERN, parce que c’est tellement monstrueux que ce n’est plus à la portée de…
Emmanuel Laurentin : D’un seul pays.
Denis Guthleben : Il y a aussi d’autres exemples qui prouvent que l’organisme s’est un petit peu plus sclérosé avant son ouverture vers l’université, en 66, avec la création du premier laboratoire associé CNRS-Université, par exemple celui de la biologie moléculaire qui est davantage à ce moment-là soutenu, je parle sous le contrôle de Jean-François Picard, par la DGRST justement, une autre institution que le CNRS qui lance des actions concertées, des programmes parce que le CNRS s’est révélé en fait assez incapable de déposer…
Antoine Prost : Le grand laboratoire de macromolécules, c’est le laboratoire de Sadron, c’est un laboratoire CNRS qui est décentralisé sur le campus de « La source » à Orléans, dans les années 60.
Emmanuel Laurentin : C’est lui aussi, le laboratoire de Sadron, qui avait bénéficié des fonds de la Fondation Rockefeller, tout de suite après la guerre, pour la recherche des grands polymères, je crois.
Anaïs Kien : Antoine Prost, on parle du CNRS et de ses relations avec l’université mais qu’en est-il de la réception par l’université des actions du CNRS et de ce rapprochement entre université et CNRS qui se produit dans les années 70 par la création des laboratoires mixtes, c’est-à-dire des laboratoires qui associent à la fois des personnels universitaires et des personnels du CNRS ?
Antoine Prost : C’est un système qui fonctionne assez bien parce que la reconnaissance par le CNRS vaut quand même label de qualité. Quand un laboratoire peut dire, moi, je suis associé au CNRS, ça veut dire qu’il sort du lot parce qu’il est reconnu par l’instance d’évaluation, le Comité national de la recherche scientifique, qui à l’époque est le seul évaluateur de la recherche avec évidemment toutes les retombées et les effets pervers que l’on peut imaginer, mais quand même. Il y a une instance d’évaluation, c’est le CNRS. Être reconnu, labélisé, étiqueté par le CNRS, c’est une source de financement indépendante, assurée et avec une souplesse d’utilisation. On peut dire que le CNRS c’est une lourde bureaucratie, moi, j’ai connu des bureaucraties des agents comptables des universités et celles du CNRS, il n’y a pas photo. Il vaut mieux faire gérer ses crédits par les directions du CNRS que par l’agent comptable des universités. Il fallait, ça a beaucoup changé aujourd’hui.
Emmanuel Laurentin : Jean-François Picard, quand on voit les querelles qui se développent autour des transformations et du renouveau du CNRS, on ne peut pas les comprendre ces querelles actuelles sans remonter justement comme vous l’avez fait avec Denis Guthleben ou avec Antoine Prost dans la longue histoire du CNRS. Vous montrez justement qu’il y a des racines à des querelles contemporaines aujourd’hui autour des réformes voulues par le Ministère de la recherche et Valérie Pécresse qui sont des racines historiques justement qui remontent soit à la IIIe République, soit à l’immédiate début de la IVe République.
Jean-François Picard : Précisez votre question.
Emmanuel Laurentin : Est-ce qu’on ne pas comprendre ce qui se passe, ce qui se dit aujourd’hui dans les relations entre un ministère, comme le ministère de la recherche et des chercheurs d’associations, comme par exemple « Sauvons la recherche » ou d’autres associations qui travaillent autour de la question de la réforme du CNRS, et la querelle des chercheurs eux-mêmes du CNRS sans remonter à la source historique de tout cela, c’est-à-dire sans évoquer cette question historique de la relation à l’université, de la relation à l’évaluation de la recherche, etc. qui sont posées dès le début
Jean-François Picard : Oui, il s’agit d’un sujet effectivement assez chaud puisque ça concerne plutôt les personnes et notamment les chercheurs. Personnellement, mon opinion, est que le CNRS a eu une vertu et un inconvénient. La vertu est qu’il a considérablement aidé au développement et à l’essor de la recherche française. L’inconvénient peut-être c’est d’avoir créé cette profession de chercheur, profession de chercheur à vie, c’est-à-dire d’avoir créée un corps de chercheurs fonctionnaires. Alors, raconter l’histoire serait très, très long. Disons que ça pose tout de même un certain nombre de problèmes au CNRS d’hier et d’aujourd’hui. C’est-à-dire qu’il est difficile d’imaginer un système avec des chercheurs fonctionnaires, des fonctionnaires que vous êtes obligés d’évaluer d’une certaine manière, comme on va évaluer les professeurs de l’université, d’assurer leur avancement à l’ancienneté, et ne même temps de faire une vraie évaluation scientifique, c’est-à-dire d’évaluer les performances des chercheurs de façon à pouvoir éventuellement les promouvoir ou les rétrograder. Disons que l’un des problèmes clefs qui me semble être l’un des problèmes aujourd’hui, c’est l’importance extrême et peut-être trop grande donnée dans le fonctionnement de la recherche française et au CNRS à ce qu’on appelle l’évaluation individuelle au détriment d’une forme d’évaluation qui est pratiquée partout à l’étranger qui est une forme d’évaluation beaucoup plus collective. C’est-à-dire évaluer les performances des équipes, des laboratoires, des instituts.
Emmanuel Laurentin : Merci Jean-François Picard. Merci Denis Guthleben. Merci Antoine Prost. Je voulais vous poser une question annexe, Antoine Prost, mais on n’a plus le temps. Vous étiez intervenu, il y a deux semaines ici-même sur la question du Parlement et de l’histoire, vous avez vu le rapport qui vient de sortir, qui était dans Le Monde, hier, le rapport Accoyer, un petit mot ? Qu’est-ce que vous pensez de ce qui a été sorti de ce rapport sur ce qu’on appelait les lois mémorielles ?
Antoine Prost : Écoutez, je l’ai pas vu ce rapport.
Emmanuel Laurentin : Donc, vous reviendrez une autre fois pour nous en parler.
Antoine Prost : C’est vrai.
Emmanuel Laurentin : Merci Antoine Prost. Il faut mentionner « Histoire documentaire du CNRS » en 2 tomes, avec des avant-propos d’André Kaspi aux éditions du CNRS, avec beaucoup de documents…
Anaïs Kien : Et « La science au Parlement », aux éditions du CNRS également.
Emmanuel Laurentin : Michel Pinault, qui était évoqué à propos de Frédéric Joliot-Curie. Merci Vincent René, à la technique, à la réalisation Charlotte Roux.
Des livres à découvrir, indiqués sur le site de France Culture
– Catherine Nicault, Virginie Durand (dir.), « Histoire documentaire du CNRS : tome 1, années 1930-1950 », Ed. CNRS, 8 décembre 2005.
Présentation de l’éditeur : Le CNRS a été créé le 19 octobre 1939. Avez-vous lu le décret fondateur ? Charles Jacob a reçu mission du gouvernement de Vichy de supprimer le CNRS. Après réflexion, il estime que le CNRS ne doit pas disparaître. Connaissez-vous son rapport, décisif pour la survie de l’organisme ? Au lendemain de la Libération, Frédéric Joliot-Curie est nommé au poste de directeur général. L’objectif ? Une vaste réorganisation, la réforme du statut, la place du CNRS au sein de la communauté scientifique. Autant de propositions, de débats, de conflits qui ont suscité des documents, difficiles à trouver, passionnants à lire.
L’histoire documentaire du CNRS offre à ses lecteurs la possibilité de découvrir et de comprendre les principales étapes d’une histoire de plus de soixante ans. Le premier volume s’arrête à 1950. Deux autres suivront. Les documents font revivre les personnalités qui ont marqué de leur empreinte la vie et l’action du CNRS. C’est aussi l’histoire des sciences et des politiques scientifiques en France que l’on découvre.
– Catherine Nicault, Virginie Durand (dir.), « Histoire documentaire du CNRS : tome 2, années 1950-1981 », Ed. CNRS, 7 septembre 2006.
Présentation de l’éditeur : Les premiers décrets constitutifs d’un statut des chercheurs et des personnels du CNRS datent de 1959. En connaissez-vous les termes ? Des années 1950 au début des années 1980, le CNRS crée les structures indispensables. Le nombre des chercheurs augmente. Des laboratoires naissent, qui explorent de nouveaux domaines de la recherche. Le CNRS atteint alors un niveau de maturité qui sera déterminant pour la suite de son histoire. Dès lors, il occupe une place centrale dans la recherche française.
L’histoire documentaire du CNRS offre à ses utilisateurs la possibilité de découvrir, à la source, les principales étapes d’une histoire de plus de soixante ans. Le premier tome s’arrêtait en 1950. Le présent volume couvre la période allant de 1950 à 1981, riche en évolutions. Les documents publiés font revivre les personnalités et les actions qui ont marqué la vie du CNRS, mais aussi et surtout éclairent des moments clés de l’histoire des sciences et des politiques scientifiques en France.
– Michel Pinault, « La science au Parlement : les débuts d’une politique des recherches, scientifiques en France », Ed. CNRS, 12 octobre 2006.
Présentation de l’éditeur : Comment le monde parlementaire en est il venu, à l’aube du XXe siècle, à se préoccuper des questions de science et de recherches scientifiques ?
Comment les premiers éléments d’une politique des recherches scientifiques ont-ils été mis en place ?
En montrant ce que l’action politique eut d’incertain et d’innovant dans ce domaine, en refusant aussi de considérer la naissance du CNRS, en 1939, comme inscrite « dans les gènes » du système républicain, Michel Pinault renouvelle le débat sur ce que peut être une « politique de la science ».
Fruit d’une étude des archives parlementaires et d’une recherche sur les milieux et les « réseaux » qui ont animé cette longue entreprise, l’ouvrage montre combien l’action parlementaire et extra-parlementaire - où émerge le nom aujourd’hui oublié du député et sénateur de Roanne, Jean Honoré Audiffred - a tout d’abord été parcellaire et tâtonnante. Alors que les milieux scientifiques - encore relativement peu étoffés - sont d’abord engagés dans les réformes de l’Université, ce sont les milieux « réformateurs », issus de la droite républicaine et de la gauche radicale, qui, les premiers, parviennent à se mobiliser en faveur des recherches scientifiques.
Centrée à ses débuts sur les recherches biologiques et médicales, en raison de leurs applications espérées, leur action aboutit, par une loi du 14 juillet 1901, à la création de la Caisse des recherches scientifiques dont l’analyse, en termes d’activité, fonctionnement et rôle, constitue un des temps forts de ce travail.
Lien à parcourir : Comité pour l’histoire du CNRS