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La Guerre d’Algérie, vingt cinq ans après : le putsch

Transcription par Taos Aït Si Slimane du huitième épisode du documentaire de Patrice Gélinet « La Guerre d’Algérie, vingt cinq ans après : le putsch », émission « L’histoire immédiate » diffusée sur France Culture le mercredi 21 août 1996.

Description de l’émission sur le site archive de l’Ina : Huitième émission d’une série de documentaires sur la guerre d’Algérie composé d’un montage d’archives sonores, d’entretiens et de lectures illustré d’improvisations sur percussions de Naït Issad.

Réalisation : Christine Bernard Sugy. Avec : George Buis, général ; Michel Fourquet, général ; Edmond Jouhaud, général commandant des forces aériennes françaises en Algérie ; Jean Morin, Délégué général en Algérie de décembre 1960 à mars 1962 ; Boualem Oussedik, lieutenant dans la Wilaya IV ; Jean-Claude Perez, Pied-noir, médecin et chef de la branche armée de l’OAS ; Pierre Sergent, capitaine ; Si Azzedine, Rabah Zerari, commandant de l’ANL, chef de la zone autonome d’Alger ; Bernard Tricot, conseiller technique chargé de l’Algérie auprès de de Gaulle (1959- 62)

Lire aussi, dans la même série :

- La Guerre d’Algérie, vingt cinq ans après : la gestation 1945-1954

- La Guerre d’Algérie, vingt cinq ans après : la Toussaint 1954-1955

- La Guerre d’Algérie, vingt cinq ans après : l’engrenage 1956

- La Guerre d’Algérie, vingt cinq ans après : le 13 mai à Alger

- La guerre d’Algérie, vingt cinq ans après : La Bataille d’Alger

- La Guerre d’Algérie, vingt cinq ans après : 1959, l’année des dupes

- La guerre d’Algérie, vingt cinq ans après : les barricades

- La guerre d’Algérie, vingt cinq ans après : l’OAS

- La guerre d’Algérie, vingt cinq ans après : les derniers jours

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La guerre d’Algérie

[Générique : Tirs, rafales / Dégagez la rue ! / Tirs, rafales / L’Algérie française ! L’Algérie française ! L’Algérie française ! / De Gaulle au pouvoir ! De Gaulle au pouvoir ! De Gaulle au pouvoir ! De Gaulle au pouvoir ! / Sifflets / Déflagrations, bombardements / Hymne algérien.]

Huitième émission : Le putsch

Le 14 juin 1960, le général de Gaulle a lancé un nouvel appel au Gouvernement provisoire de la République algérienne pour négocier un cessez le feu. Jusque là le GPRA avait refusé. Certain désormais que de Gaulle est prêt à admettre l’indépendance de l’Algérie, il n’éprouvait le besoin de négocier ce qu’il devait de tout manière obtenir. Le 19 juin, Ferhat Abbas, président du GPRA, accepte des pourparlers. Il sait que dans l’ALN, l’Armée de libération nationale, décimée par l’armée française, beaucoup envisagent d’arrêter le combat. Le 28 mars 1960 avait commencé en effet un des épisodes les plus mystérieux de la Guerre d’Algérie, l’affaire Si Salah. Ce jour-là, à la sous-préfecture de Médéa, le colonel Mathon, membre de l’État-major du Premier ministre, Michel Debré, et Bernard Tricot, conseiller du général de Gaulle pour les affaires algériennes, rencontrent trois hommes : Si Lakhadr, Halim et Abdellatif, envoyés par Si Salah, chef de la Wilaya IV, la Région d’Alger.

Bernard Tricot, conseiller du général de Gaulle pour les affaires algériennes : Le soir tombait et à un moment donné nous avons vu la porte du jardin s’ouvrir. On avait demandé qu’il n’y ait plus aucun garde, aucun concierge, ni rien, et nous avons vu arriver je crois trois silhouettes, qui se sont précisées, qui ont monté le perron, c’était eux. C’était très intéressant. C’était la première fois pour ma part que j’avais un entretien avec des chefs de la rébellion, Mathon aussi, le préfet aussi, et eux, c’étaient des gens qui n’avaient pas du tout l’habitude de fréquenter les préfectures. J’ai proposé qu’avant de parler de la cessation des combats, etc., nous fassions un peu connaissance. Je leur ai dit : nos sommes des adversaires, nous pouvons très bien nous massacrer mutuellement, vous souhaitez que l’on parle, on va parler, mais avant de parler de choses précises, si on parlait un petit peu de l’évolution de l’Algérie, de l’avenir, de la façon dont vous voyez les choses, de l’état d’esprit de vos camarades des maquis, etc., ça nous permettrait peut-être de mieux nous comprendre. Nous avons eu un entretien pas mauvais du tout avec ces gens-là. Il y en avait un notamment qui m’intéressait, qui s’appelait Si Lakhdar. Si Lakhdar m’a expliqué - les autres aussi mais surtout lui – qu’ils en avaient assez de la guerre, que cela ne voulait pas dire du tout pour cela qu’ils renonçaient à leurs idées, mais que puisque de Gaulle avait proposé l’autodétermination, on pouvait essayer de voir ce que cela donnerait et étudier les conditions d’un cessez le feu. Ils ont marqué pas mal d’éloignement, de façon plus franche que je l’aurais cru, à l’égard de la direction du FLN à l’extérieur, je ne sais plus je crois qu’ils étaient à Tunis à ce moment-là, en disant, eux, ils continuent la guerre avec une intransigeance et au fond avec une certaine indifférence étant en Tunisie, si je puis dire les pieds au chaud, ils ont les honneurs d’un gouvernement, puisqu’ils sont reconnus comme gouvernement, par beaucoup de pays arabes, ils peuvent attendre mais nous, nous qui voyons nos camarades tués par l’armée française, qui voyons la répression, qui voyons combien pour tant de familles privées du mari, du père, la vie est difficile, nous aimerions bien que cela puisse cesser.

Le 15 avril, Si Salah adresse un message chiffré au GPRA, Gouvernement provisoire de la république algérienne.

« Puisqu’ils semble définitivement établi que nous n’entretiendrons entre nous qu’un langage de sourds, nous nous permettons de vous envoyer ce dernier message. Vous avez interrompu radicalement tout acheminement de compagnies et de matériels de guerre depuis 1958, la Wilaya I n’a pas de chef, la Wilaya III également, vous n’avez rien fait pour soulager cette dernière, vous avez de tout temps méconnu la situation du peuple et de l’ALN. Vous êtes enlisés dans la bureaucratie. Nous ne pouvons plus, en aucune manière, assister les bras croisés, à l’anéantissement progressif de notre chère ALN. »

Bernard Tricot, conseiller du général de Gaulle pour les affaires algériennes : Alors à partir de là nous avons eu des discussions sur comment pourrait-on organiser un cessez le feu qui ne soit pas une reddition, qui ménage totalement l’honneur des combattants des maquis mais qui en même temps apporte des garanties à la France et l’armée française. Nous nous sommes séparés après un entretien qui n’était pas mauvais, nous en avons eu un autre par la suite, un troisième, et là j’ai eu l’impression que nous commencions à piétiner. Alors, finalement, au retour d’un second ou troisième voyage, je ne sais plus, je me rappelle avoir dit au colonel Mathon : écoutez, il me vient une idée, que vous allez peut-être trouver bizarre, mais j’ai l’impression qu’il faut que nos imaginions quelque chose qui persuade ces hommes de surmonter les difficultés auxquelles ils se heurtent. Il faut trouver quelque chose d’assez à la fois spectaculaire, réel, sérieux, pour contribuer à les déterminer. Je ne vois qu’une chose, c’est de proposer, la prochaine fois, que nous les prenions dans notre avion et que nous amenions au général de Gaulle.

Le 10 juin 1960, en pleine nuit, Si Salah, Si Mohammed et Si Lakhdar pénètrent en effet, dans le plus grand secret, à l’Élysée, où les attend le général de Gaulle et son adjoint militaire, le colonel de Bonneval.

Bernard Tricot, conseiller du général de Gaulle pour les affaires algériennes : Nous sommes arrivés à l’Élysée où visiblement Gaston de Bonneval n’aimait pas ça, du tout, du tout, du tout, d’autant plus qu’il était bien entendu qu’on ne les fouillait pas nos visiteurs. Il n’était pas totalement exclu qu’ils aient accepté cela dans l’idée de descendre le général. On ne le sait pas. On ne le savait pas. Ce n’était pas invraisemblable. On a pris le risque, nous avons eu raison. Je vois encore ces gens entrer dans le bureau du général, Bonneval restait derrière la porte avec un pistolet en poche. Le général s’est levé, leur a dit : nous sommes adversaires c’est pourquoi je ne vous serre pas la main mais je vous salue. Je sais que vous voulez tenter d’aboutir à un cessez le feu en Algérie, eh bien nous allons en parler. Tout le monde s’est assis, Mathon et moi de part et d’autre du général de Gaulle, les chefs rebelles en face de nous. Le général leur a rappelé quelle était sa politique, etc. les autres ont expliqué ce qu’ils voulaient faire. Il a été question des garanties, de ce que les armes ne devaient pas être rendues mais entreposées si je puis dire en terrain neutre. Et à la fin de l’entretien, en descendant dans l’ascenseur avec nos gens, je leur ai demandé : est-vous satisfaits ? Je me rappelle que Mohammed lui-même m’a dit : oui, c’es pour nous une grande garantie d’avoir entendu directement le général de Gaulle.

Après cette entrevue, la seule que de Gaulle n’ait jamais eu avec un dirigeant de la révolte algérienne, Si Salah avait obtenu la possibilité de rencontrer d’autres dirigeants de l’ALN mais il a du mal à les convaincre de cesser le feu. Dans les maquis, certains considèrent que Si Salah a flanché.

Si Azzedine, Rabah Zerari, commandant de l’ANL, chef de la zone autonome d’Alger : Moi je qualifie cela comme faiblesse. Le conseil de la Wilaya IV à l’époque, Salah était à la tête, il y avait la « bleuïte » qui battait son plein, le quadrillage était très important, la bouffe se faisait rare, sur le plan militaire vraiment nous étions au creux de la vague, par la suite l’ALN s’est adaptée à la nouvelle condition, je crois que c’est ce truc là… Le conseil de la Wilaya IV, moi je ne dis pas si Salah seulement, a faibli. Il y a eu des officiers subalternes, mêmes les officiers supérieurs, puisqu’il y a eu des capitaines qui ont repris la barre, et ils ont exigé du conseil de la Wilaya IV de revenir sur les premières positions, les positions initiales, celles du Front de libération nationale : mener la guerre jusqu’à l’indépendance totale. Et ils ont repris les positions de la direction.

Boualem Oussedik, lieutenant dans la Wilaya IV : C’était un homme d’une grande générosité et d’un patriotisme à toutes épreuves. Je le dis. D’ailleurs, il n’y a pas d’affaire Si Salah. Il y a eu une affaire qui concerne un certain nombre de responsables, qui à un moment donné, à partir d’une analyse qui leur était personnelle, ont pris certaines initiatives. Je le dis que c’est une erreur sur le plan politique mais de là à leur contester leurs qualités de patriotes, ça, non ! Je ne vais pas jusque là, d’autant que jusqu’à maintenait c’est une affaire… vous savez le général de Gaulle, je crois, a pris des dispositions pour qu’il n’y ait plus de rescapés.

Peu de temps après tous les témoins de l’entretien de l’Élysée disparaissent. Trahi par Si Mohammed, Si Salah et Si Lakhdar devaient être tués dans des circonstances encore mal connues, ainsi que Si Mohammed lui-même, victime d’une opération menée par les parachutistes. Certains ont soupçonné le général de Gaulle d’avoir souhaité leur disparition pour mener à bien les négociations avec le GPRA.

Bernard Tricot, conseiller du général de Gaulle pour les affaires algériennes : On s’est demandé si le général avait fait tout ce qu’il fallait pour exploiter cette affaire. Et on a dit : mais il n’y a pas cru suffisamment. Il a eu tort, en même temps qu’il avait ces entretiens, soit directement soit par personnes interposées avec des rebelles, de continuer à parler avec le GPRA et d’annoncer qu’il était encore disposé à avoir des entretiens avec ses représentants en vue d’un cessez-le-feu. Alors, je dirais ceci, c’est que nous n’avions jamais été sûrs d’aboutir avec les gens de la Wilaya IV, ils avaient beaucoup hésité, que c’était une carte possible, que de toute façon que cela ne nous amenait la paix que dans une partie de l’Algérie et ce que l’on cherchait c’était un cessez-le-feu total, qu’il y avait donc intérêt à ne pas renoncer à la tentative de cessez-le-feu global avec le FLN, tout en gardant possible une solution moins satisfaisante, qui était celle d’un cessez-le-feu partiel avec la Wilaya IV et peut-être la Wilaya III. Or, le général de Gaulle, dans l’entretien qu’il avait eu, à l’Élysée, avec les gens les chefs de la Wilaya IV, leur avait dit, très clairement : je suis heureux de m’entretenir avec vous mais je ne renonce pas aux efforts que je fais pour aboutir à un cessez-le-feu global concernant l’Algérie, je renouvellerai prochainement mes propositions publiquement, dans un discours, et si le GPRA ne répond pas une fois de plus ou répond d’une façon pas sérieuse, nous reprendrons les conversations avec vous.

De gaulle mon général
Bedel alih el hal
Franca khlas el hamel
Ouhoua rah hassel
(Refrain pas très audible)
Kefech yaaml had el âm
Fi djmiat el oumam
Gal ana anheb essalem
Lekin el harb rahou tayeb
[…]

Après le discours du 14 juin, et pendant l’affaire Si Salah, les pourparlers avaient été en effet engagés à Melun, le 25 juin 1960. ils avaient été rompus le 29, la délégation algérienne ayant refusé deux exigences de de Gaulle : d’abord que le cessez-le-feu soit un préalable aux négociations, ensuite qu’il puisse négocier avec d’autres tendances que le FLN. Le 4 novembre 1960, de Gaulle aborde alors une nouvelle étape de sa politique algérienne en parlant pour la première fois de République algérienne.

« Les dirigeants rebelles, installés depuis six ans en dehors de l’Algérie, et qui à les entendre, y sont encore pour longtemps, se disent être le gouvernement de la République algérienne, laquelle existera un jour mais n’a encore jamais existée. » [1]

La formule République algérienne provoque de violentes réactions, aussi bien en Métropole, dans l’entourage immédiat du général de Gaulle, qu’en Algérie où l’on procède à d’importantes mutations. Le commandant en chef, le général Crépin, est remplacé par le général Gambiez, tandis qu’à Paul Delouvrier succède un nouveau délégué général, Jean Morin, qui accueille, en décembre 1960, le général de Gaulle. Celui-ci, en effet, dans la perspective du référendum qui doit avoir lieu, en janvier suivant, sur sa politique algérienne se rend en Algérie où il est violemment accueilli par les Européens. Mais à Alger même, les musulmans descendent aussi dans les rues en brandissant des drapeaux FLN.

[Sur fond de manif]

Jean Morin, délégué général en Algérie de décembre 1960 à mars 1962 : Ces manifestations ont été rapidement prises en main par des délégués du FLN. Et la sortie des drapeaux verts a été évidement l’un des éléments qui ont beaucoup marqué la population, les autorités, les journalistes qui étaient sur place et les paras, ce qui a donné lieu à certains incidents, notamment dans un ou deux quartiers où la 10ème DP était en contact avec les Musulmans. On m’a téléphoné pour me dire que la situation devenait très grave, car effectivement le para qui lutte depuis des années dans bled et qui chaque fois qu’il aperçoit le drapeau vert a l’intention de tirer, quand il voit un drapeau vert devant lui dans un faubourg d’Alger, pour lui c’est l’ennemi qui se présente dans les mêmes conditions. J’ai donc demandé au général Crépin de faire relever les éléments de la 10ème DP, qui étaient au contact des Musulmans, par des éléments CRS ou gardes-mobiles de façon à ce qu’à l’époque on s’aperçoive que c’était le maintien de l’ordre qui était en cause et pas la guerre dans les rues d’Alger.

[Musique de parade militaire]

« Archive Radio France à Alger, journaliste ( ?) : Cette nuit des militaires ont occupé des bâtiments publics, notamment ceux de l’Agence France presse et ceux de la Radio. Monsieur Jean Morin, Délégué général de gouvernement, Monsieur Robert Buron, ministre des Travaux publics, qui se trouvait en mission à Alger, et le général Gambiez, commandant en chef interarmées en Algérie, ont été aussitôt appréhendés, ils sont gardés à vue au Palais d’été. Cependant ce n’est que peu après 8h du matin que la population d’Alger s’est rendue compte du coup d’État. En ce moment en effet Radio Alger, qui jusque-là était resté muette, a repris ses émissions par une proclamation, signée par les généraux rebelles, qui annonçait : l’armée a pris le pouvoir en Algérie et au Sahara. Or, jusqu’ici, seule Alger se trouve sous leur contrôle. »

Après le referendum du 8 janvier 1961, à l’occasion duquel la politique algérienne de Gaulle est approuvée par 75% des suffrages exprimés, le 22 avril 1961, les généraux : Challe, Jouhaud, et Zeller, rejoints le lendemain par le général Salan, prennent le pouvoir à Alger.

Edmond Jouhaud, général : Un certain nombre d’officiers se sont dit : il faut faire un coup de force, comme au 13 mai, mettre l’armée aux barricades, tout au moins aller au-delà des barricades, prendre le pouvoir en Algérie, pour mettre le gouvernement dans l’obligation de modifier sa politique, et dans la mesure du possible aussi se débarrasser de de Gaulle. Et un certain nombre d’officiers, en particulier le colonel Roux, le général Faure, se mettent à prospecter à droite et à gauche, moi j’en ai fait un peu en Algérie aussi, bien que peu connu dans l’armée de terre, pour prendre la température de l’armée et savoir quels sont les concours que l’on pourrait obtenir. D’autre part, les jeunes officiers se demandaient les raisons pour lesquelles on les faisait se battre, depuis l’Indochine où ils avaient perdu des tas de camarades. Sait-on par exemple les sacrifices des jeunes officiers ? Je parle des promotions qui sont sorties après 1945. Elles ont perdu pratiquement un officier sur cinq. Quel est le corps de fonctionnaires, quel est le corps d’industriels, qui accepterait de voir un ingénieur, un fonctionnaire sur cinq, tué dans les dix ans qui suivent ? Et ça, les hommes politiques ne se rendent pas compte.

En avril 1961, ce produit le putsch. Vous avez participé d’une certaine façon à sa préparation, Pierre Sergent ?

Pierre Sergent, capitaine : Cette préparation putsch, c’était au fond la préparation de la prise du pouvoir, par l’armée française, pour conserver l’Algérie dans un ensemble français. Le premier problème qui s’est posé à tous ces officiers, qui se retrouvaient clandestinement, dans une des salles de l’École militaire - et ces officiers s’appelaient : le colonel Argoud, le colonel Broizat, le colonel Gardes, le colonel Lacheroy, enfin une dizaine de colonels – leur grand problème a été de trouver un général capable de prendre en main le mouvement et sur le nom duquel tout le monde s’accorderait. Les premiers candidats annoncés avaient été par exemple le général Massu, complètement récusé par certains, d’ailleurs lui-même n’a pas voulu marcher. Ensuite on a parlé du général Salan, trouvé trop politique par certains, on lui attribuait des amitiés socialistes ou socialisantes, ce qui était pour certains un pêché capital. Et en fin de compte, un beau jour, c’est le général Challe, dont le nom a été retenu, qui a accepté de coiffer l’ensemble de l’opération.

Edmond Jouhaud, général : Le 26 mars 1961, j’allais à Lyon, où se trouvait Challe, avec un haut-fonctionnaire de l’administration des finances, qui était un Oranais, qui s’appelle André Regard. J’avais téléphoné au général Challe et nous nous retrouvons à la Gare Perrache et de là nous partons, en voiture, dans une petite rue très discrète, nous discutons. J’indique à Challe les moyens dont on disposait, que tout était prêt mais qu’un seul chef faisait l’unanimité dans l’armée de terre, c’était lui. S’il voulait en prendre la tête, c’était possible, s’il n’en prenait pas la tête, il était inutile d’en parler. Le général Challe me dit : je rentre à Paris, je vais réfléchir, et je donnerai ma réponse. Le général Challe rentre à Paris, il voit le colonel Georges de Boissieu, qui lui dit : toute l’armée sera derrière vous. Il reviendra par la suite sur cette impression, mais enfin il lui dit : on est derrière vous. Et le général Challe nous dit un jour, c’était je crois le 2 avril : je suis d’accord, je prends la tête de l’opération. Et le général Faure, qui rentrait d’Espagne, lui donne une lettre dans laquelle le général Salan, mis au courant des préparatifs, donnait le commandement militaire de l’opération au général Challe, se réservant le commandement civil et militaire de l’opération. Le général Challe dédaigneux prend la lettre, la froisse, la jette parterre, et me dit : on ne se parle pas comme ça entre amis ! Donc, le général Challe était le chef de l’opération et le général Salan n’avait qu’à le suivre.

Pierre Sergent, capitaine : Pendant cette préparation, il y a eu évidemment beaucoup de conversations sur la façon dont se passerait cette prise de pouvoir. Et je crois que le moment capital qui va commander tout le reste, sans doute même l’OAS, c’est le choix du discours que prononcerait le général Challe, après la prise du pouvoir à Alger, en avril 1961. Deux textes ont été proposés au général Challe. Le premier est un texte assez long, et ce texte était je dirais le texte de la légitimation du mouvement. C’est-à-dire que le général Challe prenait globalement le destin de la France pour faire l’Algérie française dans un contexte global. C’est un texte qui, si je voulais choisir un exemple historique, était un peu ce qu’avait déclaré de Gaulle à Londres en 1940, en disant que Pétain trahissait la France donc lui, de Gaulle, était un général légitime et que c’est lui qui était dépositaire de la légitimité française. Voilà le premier texte proposé au général Challe. Le second, qui ne faisait que deux feuillets, était un texte beaucoup plus léger. Qui, grosso modo, se résumait en ceci : nous allons rétablir la paix en Algérie, prouver à la France que l’Algérie peut rester française, et proposer cette Algérie pacifiée au général de Gaulle. J’étais totalement opposé à ce texte, parce que je n’étais qu’un jeune capitaine à l’époque face à mes anciens, des colonels plein et des généraux, voire des généraux d’armées, je ne me suis pas assez battu pour mon opinion, qui était celle que l’on faisait une erreur monumentale qu’il ne fallait pas commettre, à partir du moment où l’on acceptait ce texte, je dirais minimum, nous n’étions plus que des officiers factieux, la légitimité restait à Paris et il ne s’agissait plus d’un putsch, c’est-à-dire d’une prise de pouvoir mais s’agissait seulement au fond d’un règlement de conscience. Et jusqu’à la fin de mes jours, je resterai persuadé que les officiers généraux qui ont pris en main cette affaire, qu’on appellera le putsch, en fait ont voulu libérer leur conscience vis-à-vis des populations, qu’ils s’étaient engagées de défendre jusqu’au bout, beaucoup plus qu’à sauver l’Algérie française dans un ensemble français cohérent. Et je crois que c’est le moment tout à fait fondamental de la préparation de ce que l’on appellera à tort le putsch.

« Archive Radio France à Alger, journaliste ( ?) : Radio France à Alger, le général Challe s’adresse au forces armées.

Officiers, sous-officiers, gendarmes, marins, soldats et aviateurs : je suis à Alger avec les généraux Zeller et Jouhaud et en liaison avec le général Salan pour tenir notre serment, le serment de l’armée de garder l’Algérie, pour que nos morts ne soient pas morts pour rien. Un gouvernement d’abandon a prôné successivement : l’Algérie française, l’Algérie ans la France, l’Algérie algérienne, l’Algérie indépendante associée à la France. Il s’apprête aujourd’hui à livre définitivement l’Algérie à l’organisation extérieure de la rébellion. Voudriez-vous renier vos promesses ? Abandonnez nos frères Musulmans et Européens, abandonner nos cadres, nos soldats et nos supplétifs Musulmans à la vengeance des rebelles ? Voulez-vous que Mers el-Kébir et Alger soient demain des bases soviétiques ? Voulez-vous une fois de plus, la dernière, ramenez votre drapeau ? Alors, vous auriez tout perdu, même l’honneur ! Mais je vous connais tous, je sais quels sont votre courage, votre fierté, votre sens de l’honneur et du devoir, la discipline qui fait notre force ne saurait en aucun cas conduire au déshonneur. L’armée est avant tout au service de la France et garante du territoire national, l’armée ne faillira pas à sa mission, et les ordres que je vous donnerai n’auront jamais d’autres buts. »

Pour le soldat de notre empire
Nous combattons tous les vautours
La faim, la mort nous font sourire
Quand nous luttons pour nos amours
En avant, en avant, en avant
 
C’est nous les africains qui arrivons de loin
Nous venons de nos pays pour sauver la patrie
Nous avons tout quitté, travaux, femmes et foyers
Et nous gardons au cœur une invincible ardeur
Car nous voulons porter haut et fier
Le beau drapeau de notre France entière
Et si quelqu’un venait à y toucher
Nous serions là pour mourir à ses pieds (bis)
Battez tambours
A nos amours
Pour le pays
Pour la Patrie
Mourir au loin
C’est nous les africains

Edmond Jouhaud, général : L’opération a eu lieu dans la nuit du 21 au 22 avril. Je me trouve à ce moment-là très surveillé par la police, parce que depuis que j’avais incité les Français d’Algérie à répondre : non, au référendum de 1960, j’avais deux inspecteurs de police qui me suivaient du matin au soir, sans arrêt, dans Alger. Le général Challe était arrivé, il était au PC des parachutistes, à El Biar. Dans la nuit du 21 au 22 je vais le rejoindre à son PC. Je trouve là, Challe, Zeller, un certain nombre d’officiers, un certain nombre de civils, on écoutait avec attention l’arrivée des parachutistes. Les premiers qui devaient arriver étaient les parachutistes du 1er régiment étranger de parachutistes, sous le commandant de Saint-Marc. Vers une heure du matin, on entend le bruit des camions, c’était les parachutistes du 1er REP qui arrivaient. On dit : pourvu que cela se passe bien. Ils devaient investir Alger avec les commandos de l’air. À 4h du matin, un officier arrive en Jeep et nous dit : tout est paré : Palais d’été, commandement de l’état-major interarmées, Gouvernement général, casernes, etc. tout est sous nos ordres. Le général Gambiez est arrêté, Monsieur Morin est arrêté, le général Vézinet est arrêté, tout était par conséquent, si j’ose dire, dans l’ordre.

Jean Morin, délégué général en Algérie de décembre 1960 à mars 1962 : Le commandant du Palais est venu me demander ce qu’il fallait faire, et nous avons donné instruction d’ouvrir le feu sur quiconque essayerai de pénétrer dans le Palais. Je dois dire que quelques minutes après il m’a expliqué qu’il n’avait pas pu empêcher que les choses de se produisent car les paras n’étaient pas bien sûr entrés par la porte d’honneur mais avaient sauté les murs tout autour du Palais. Un homme s’est présenté, vers deux heurs, deux heures et quart, s’appelant le commandant Forhan, il a demandé à me voir. Je l’ai fait recevoir par mon directeur de cabinet, il m’a dit qu’il était chargé par le général Challe d’assurer ma protection, puisque c’était le général Challe qui avait pris le commandement en chef en Algérie et qu’il s’était installé au quartier Rignot, dans le bureau du général Gambiez.

Quelles sont les circonstances dans lesquelles vous avez été arrêtés ou capturé ?

Jean Morin, délégué général en Algérie de décembre 1960 à mars 1962 : Quelques minutes après cette arrivée du commandant Forhan, je suis remonté dans mon appartement, et là j’ai eu la possibilité, ce qui je crois a été alors très utile, de téléphoner entre deux heurs et quart et trois heures et demi, il était 5h 30 du matin.

Le téléphone n’a pas été coupé ?

Jean Morin, délégué général en Algérie de décembre 1960 à mars 1962 : Le téléphone n’a pas été coupé. Ils sont venus très énervés pour me dire : où est le téléphone ? Où est le central ? J’ai répondu : à la Poste. Donc, j’ai eu au téléphone Michel Debré, j’ai eu, alors là avec plus de difficultés, l’Élysée, j’ai eu Geoffroy de Courcel, qui était secrétaire général, et il m’a dit : le général de Gaulle va venir vous parler.

C’est vous qui apprenez à Paris le déclenchement du putsch ?

Jean Morin, délégué général en Algérie de décembre 1960 à mars 1962 : Oui. J’avais appelé déjà vers minuit le directeur général de la sûreté pour lui demander d’envoyer d’urgence les CRS par avion. Puis finalement les gens du 1er REP se sont énervés, ils ont cherché un peu partout en disant : nous va mettre des sentinelles partout. Et vers 5h du matin, ils ont découvert le poste, ils ont coupés les fils partout, par conséquent les communications téléphoniques étaient terminées.

Edmond Jouhaud, général : Dans la rue les gens nous regarder passer sans manifester parce que personne n’était au courant. C’est quand la radio a annoncé : Allo, allo, ici Radio France, l’armée vient de prendre le pouvoir que les Algérois ont appris que l’armée avait pris le commandement en Algérie. Ça a été une grande surprise pour eux, et même un étonnement, ça n’a pas été l’enthousiasme du 13 mai. Ils avaient l’impression que cela avait été fait sans eux, ils étaient un peu navrés que cela soit fait sans eux.

« Archive Radio France à Alger, journaliste ( ?) : Alger ce matin a son visage habituel du dimanche mais Alger la blanche est devenue Alger la tricolore. Dans les quartiers populeux de Bab El Oued et de Belcourt, les façades disparaissent sous les drapeaux. À Belcourt, au Clos Salmbier, de nombreux Musulmans qui depuis quelques mois n’avaient plus aucun rapport avec les militaires ont repris le contact. En Métropole, les membres du gouvernement français se sont réunis hier après-midi en conseil extraordinaire. À l’issue de cette réunion, l’état d’urgence a été proclamé. »

[Musique militaire]

Edmond Jouhaud, général : Le dimanche matin arrive le général Salan, qui arrive d’Espagne, qui nous rejoint, et ils forment ce que l’on appelle le quarteron, comme l’appelait le général de Gaulle.

« Article premier : L’état de siège est ordonnée par le commandement militaire sur toute l’étendu des Départements français d’Afrique du Nord.

Article 2 : En conséquence tous les pouvoirs dont l’autorité civile était revêtue passent tout entier à l’autorité militaire.

Signé, généraux : Challe, Salan, Jouhaud, Zeller. »

Une colonne de la Légion étrangère
S’avance dans le bled en Syrie
La tête de la colonne est formée
Par l’Premier Étranger de Cavalerie
La tête de la colonne est formée
Par l’Premier Étranger de Cavalerie
 
Les Druses s’avancent à la bataille
En avant, légionnaires à l’ennemi
Le plus brave au combat comme toujours
C’est l’Premier Étranger de Cavalerie
Le plus brave au combat comme toujours
C’est l’Premier Étranger de Cavalerie

Tandis que Jean Morin, prisonnier est envoyé à Aïn Salah, dans le Sud saharien, Louis Jox, ministre des affaires algériennes fait un voyage éclair en Algérie, pour empêcher le ralliement aux quatre putschistes, qui ayant pris leur retraite ou démissionné, comme le général Challe, ancien commandant en chef en Algérie, n’ont plus de commandement. Beaucoup d’officiers hésitent, comme le général Gouraud à Constantine. Mais très peu d’entre eux basculent, contrairement à ce qu’affirme France 5, la Radio d’Alger, prise par les insurgés et rebaptisée Radio France.

« Archive Radio France à Alger, journaliste ( ?) : De nombreuses unités se sont ralliées au général Challe. Ces unités, en voici quelques unes : le 6ème BCA, le 7ème BCA, le 273ème RMA, la 16ème DB, le 1er REP, le 7ème RC, la 10ème et la 25ème BP, le 2ème et le 7ème REI, le 1er escadron saharien porté de la Légion, la demi-brigade de Légion étrangère… »

George Buis, général : Dans l’armée il y a un responsable, c’est celui qui commande, je suis formelle. Sur l’Algérie, c’est la faute des généraux qui commandaient quand il s’est passe des choses mal. Au moment du putsch il a suffit que le général Ailleret, qui n’était pas un personnage, qui avait un petit commandement, que le général Fourquet, qui n’était pas un grand personnage, qui avait un commandement banal, disent : non, pour que personnes ne bouge chez eux. D’ailleurs qui a bougé en fin de compte ? Alors que trois ou quatre gloires étoilées ont appelé à la rébellion, il a bougé, deux ou trois régiments et encore, c’est le colonel qui bougeait et les officiers qui suivaient couci-couça. C’était leur rêve pour faire un putsch à l’espagnol. Il y avait les deux tiers de l’armée française, qui a bougé sur ces dizaines de milliers de sous-officiers, sur ces deux ou trois milliers d’officiers ? Il faut revenir aux réalités.

Michel Fourquet, général : Tout d’abord on ne savait pas très bien ce qui se passait. J’étais à Constantine, Constantine étai restée très calme à ces moments-là, en ce qi concerne le putsch. Puis les nouvelles sont arrivées, on a commencé à comprendre un peu ce qui se passait. Et très vite, je crois que c’est le premier jour, ou en tout cas le deuxième jour au matin, l’un de mes officiers m’a prévenu, il m’a dit : on vous prévient, il y a un petit détachement de la 10ème Division parachutiste qui est en direction vers votre bureau, pour vous faire « au patte » (je ne suis pas sûre de cette expression), parce qu’on connaissait ma position. Mes officiers m’avaient demandé ce que je pensais de ce putsch, je leur avais dit extrêmement clairement qu’il ne pouvait pas être question une seule seconde que l’on puisse obéir aux quatre généraux, que nous avions un gouvernement, qu’il venait d’y avoir un vote d’ailleurs sur l’Algérie, par conséquent le pays s’était prononcé, le gouvernement avait donné ses instructions et qu’il ne pouvait pas être question que nous allions contre les décisions prises. Par conséquent, les quatre généraux en question, quelques soient leurs motifs, qui étaient d’ailleurs très honorables, il faut bien le dire, ne pouvaient faire qu’un mauvais coup. Ceci bien entendu se savait d’où le détachement de la 20ème DP pour me neutraliser, comme on dit en bon langage.

Pierre Sergent, capitaine : Je pense pour ma part que l’armée dans son ensemble avait rejoint le général Challe et qu’ensuite il fallait mobiliser cette armée. Comme le dit Henri IV, « En cas de crise c’est le cul sur la selle que l’on conquière son royaume ». Eh bien je pense que là, il ne fallait pas que Challe continue de se servir du téléphone mais il devait voir lui-même les troupes sur place et les galvaniser. J’ai vu par exemple de très près comment s’est passé cette affaire du général Gouraud, le général Zeller, qui était peut-être l’homme ayant le plus de caractère de toute cette opération, a bondi dans un avion, et est allé lui-même remettre le général Gouraud devant ses propres responsabilités, de façon à ce qu’il s’engage comme il avait promis qu’il le ferait. Sans le déplacement du général Zeller, peut-être que le général Gouraud aurait continué à hésiter. C’est exactement l’exemple qui prouve que le général Challe n’a pas fait justement peut-être ce qu’il aurait pu faire.

« Un pouvoir insurrectionnel s’est établi en Algérie par un pronunciamiento militaire.

[…]

Ce pouvoir a une apparence : un quarteron de généraux en retraite. Il a une réalité : un groupe d’officiers, partisans, ambitieux et fanatiques. Ce groupe et ce quarteron possèdent un savoir-faire limité et expéditif. Mais ils ne voient et ne comprennent la nation et le monde que déformés à travers leur frénésie. Leur entreprise conduit tout droit à un désastre national.

[…] Voici l’État bafoué, la Nation bravée, notre puissance dégradée, notre prestige international abaissé, notre place, notre rôle et notre place en Afrique compromis. Et par qui ? Hélas ! Hélas ! Héla ! par des hommes dont c’était le devoir, l’honneur, la raison d’être, de servir et d’obéir.

Au nom de la France, j’ordonne que tous les moyens, je dis tous les moyens, soient employés partout pour barrer la route à ces hommes-là, en attendant de les réduire. J’interdis à tout Français et, d’abord, à tout soldat d’exécuter aucun de leurs ordres. […].

Devant le malheur qui plane sur la patrie et devant la menace qui pèse sur la République, ayant pris l’avis officiel du Conseil constitutionnel, du Premier ministre, du président du Sénat, du président de l’Assemblée nationale, j’ai décidé de mettre en œuvre l’article 16 de notre Constitution. A partir d’aujourd’hui, je prendrai, au besoin directement, les mesures qui paraîtront exigées par les circonstances. Par là même, je m’affirme, en la légitimité française et républicaine, qui m’a conférée par la nation, que je maintien quoi qu’il arrive, jusqu’au terme de mon mandat ou jusqu’à ce que viennent à me manquer, soit les forces, soit la vie, et que je prendrai les moyens d’assurer qu’elle demeure après moi après moi.

Françaises, Français ! Voyez où risque d’aller la France, par rapport à ce qu’elle était en train de redevenir.

Françaises, Français ! Aimez-moi ! » [2]

[Musique de la Marseillaise]

Dans ce putsch sans effusion de sang, l’arme essentielle du pouvoir c’est le transistor. Le discours du général de Gaulle à 20h, le 23 avril, est écouté dans toutes les casernes d’Algérie, et mobilise les soldats contre les officiers tentés de se rallier à Challe. En Métropole aussi l’opinion se mobilise, lorsque est invoqué le risque d’une opération organisée sur la France par les généraux rebelles.

Pierre Sergent, capitaine : Les jeunes officiers nous ne demandions qu’une chose, c’est une intervention, mais malheureusement j’avais appris que ce n’était du tout l’intention du général Challe de faire une opération sur Paris, d’où je dirais les réflexions grotesques de Michel Debré, appelant le peuple français à se rendre sur les aéroports où risquaient d’arriver les parachutistes à pieds, à cheval ou en voiture, vous vous rappelez cette fameuse intervention de Michel Debré qui nous a semblé, à nous, complètement ridicule.

« Des renseignements nombreux, précis et concordants permettent au gouvernement de penser que les auteurs du coup d’état d’Alger envisagent, à très brève échéance, une action de surprise et de force sur la Métropole et en particulier sur la région parisienne. Des avions sont prêts à lancer ou à déposer des parachutistes sur divers aérodromes afin de préparer une prise du pouvoir. Je tiens à dire aux Français, et notamment aux habitants de la région parisienne, que le gouvernement à pris des mesures pour s’opposer à cette entreprise. Des ordres ont été donnés aux unités de repousser par tous les moyens, je dis bien par tous les moyens, cette folle tentative. Les vols et les atterrissages sont interdits sur tous les aérodromes de la région parisienne à partir de minuit. Dès que les sirènes retentiront, allez-y, à pied ou en voiture, convaincre les soldats trompés de leur lourde erreur. Il faut que le bon sens vienne de l’âme populaire et que chacun se sente une part de la nation. » Michel Debré

« Archives radio :

Les souvenirs dans un écrin
Placés à portée de la main
On les enfouit derrière un voile
On s’en décore la poitrine
On les encadre tendrement
On les cajole on les câline
Et l’on (manque un mot) la vie demain
 
Les souvenirs c’est comme l’amour
[…]

Speakerine : Eh bien nous allons interrompre cette chanson de Joël Holmès car Pierre Fromentin nous apporte les dernières nouvelles. Pierre Fromentin : Les autorités civiles et militaires d’Oranie et du Constantinois ont aujourd’hui assuré le général de Gaulle et le gouvernement de la République de leur loyalisme et de leur volonté de n’obéir qu’aux autorités légales. Tandis que par sa démonstration, à Mers el-Kebir, la marine, stationnée en Algérie, prouvait, en repoussant les parachutistes, qu’elle aussi était loyale, l’escadre de Méditerrané recevait l’ordre d’appareiller. […] a conservé aujourd’hui son calme résolu et les dernières nouvelles qui lui sont parvenues d’Algérie, si elles n’ont pas atténué sa vigilance déterminée, lui ont apporté l’espoir de voir les parties de l’Algérie encore contrôlées par les chefs de la sédition revenir dans l’ordre républicain. Speakerine : Merci, nous retrouvons maintenant le cours de notre émission en attendant d’autres informations

Les souvenirs c’est comme l’amour
Quand y en a plus, y en a toujours
Mais quand on a volé, l’étale
 
Les souvenirs dans un écrin
Placés à portée de la main
On les enfouit derrière un voile
On s’en décore la poitrine
On les encadre tendrement
On les cajole on les câline
Et l’on (manque un mot) la vie demain
 
[…]

 »

Le 25 avril 1961, isolé, n’arrivant pas à faire basculer l’armée, Challe décide de se rendre.

Pierre Sergent, capitaine : Le général Zeller, assis, rougeoyant, comme il était toujours, avait un visage tout à fait dramatique. Je me souviendrai toujours, j’étais debout, devant son bureau, et il m’a dit : Sergent, le général Challe a décidé de se rendre. J’avoue que je m’y attendais si peu, puisque le mouvement n’avait eu que quatre jours d’existence, que j’ai pris cette phrase comme un coup de point à l’estomac, je me suis presque presque défaillir tellement c’était énorme comme nouvelle. Le général Zeller s’est aperçu qu’il vient de me porter, et il a complété en me disant ceci : je vous ai demandé de venir me voir car je voudrais savoir ce que vous comptez faire vous et vos camarades. Je lui ai répondu : mon général je suis venu sans billets de retour, donc j’irais jusqu’au bout, je serai solidaire jusqu’au bout de la population malheureuse d’Algérie. Et le général Zeller m’a simplement répondu : je vous remercie Sergent, c’est tout ce que je voulais savoir. Les généraux ont accepté d’aller une dernière fois sur le Forum, pour voir cette foule. Je me rappellerai toujours que les micros avaient été coupé déjà, et qu’ils s’agitaient comme des pantins désarticulés, sans paroles, ce qui avait quelque chose de grotesque. Ensuite, dans la grande salle du Gouvernement général, sur les fauteuils qui étaient là, il y avait là Challe, qui avait toujours la pipe au bec, il y avait le général Salan, il y avait le commandant de Saint-Marc, puis un tas d’officiers qui les avaient rejoints. C’est là où je suis allé me planté devant le général Challe, et je lui ai dit : mon général, il faut continuer le combat. Il m’a dit : pour moi, Sergent, c’est fini. J’irai rendre compte de mes actes au général de Gaulle. Je lui ai rétorqué : mais notre devoir, à nous, mon général, c’est de continuer. Et il m’a répondu : oui, peut-être, vous avez peut-être raison. Et c’est le moment où je l’ai quitté et je suis allé me mettre en civile et je suis parti dans la foule, avec mon fidèle adjoint le lieutenant Godot, nous sommes rentrés dans la clandestinité, je dirais pour d’autres activités.

On dit que vous avez envisagé de tuer Challe à ce moment-là ?

Pierre Sergent, capitaine : C’est exact. Là, je suis sorti de ce beau, le général Challe a, je dirais, qu’une chance à l’époque, c’est que j’avais retiré me équipements militaires, que j’avais déposés sur une armoire un peu plus loin dans le bureau du colonel Broizat et je n’avais pas sur moi mon pistolet car je crois effectivement que si j’avais eu mon pistolet sur moi, je serai rentré par la porte d’à côté et je cois bien que j’aurais descendu le général Challe, car vraiment j’étais bouleversé par la fin d’une opération qui me semblait ne pas avoir été menée à son terme. Je crois qu’immédiatement j’ai compris qu’en fait le général Challe ne voulait pas vraiment gagner.

Edmond Jouhaud, général : Le général Challe décide d’abandonner et de se mettre à la disposition de la justice. Nous partons, Challe, Salan et moi, le général Zeller qui avait un costume civil s’était dispersé dans la foule. Mais nous qui étions en civil nous partons avec le 1er REP vers Zéralda.

Pourquoi est-ce que vous ne vous êtes pas rendu comme le général Challe, par exemple ? Pourquoi vous êtes parti avec…

Edmond Jouhaud, général : Je ne me suis pas rendu pour une raison bien simple. Je savais que les Français d’Algérie, mes compatriotes, allaient souffrir. Je pensais qu’il y avait peut-être une occasion, que peut-être l’armée pourrait se manifester à nouveau éventuellement. D’autre part je savais qu’ils allaient souffrir et je ne voulais pas si vous voulez que des compatriotes souffrent sans que je ne sois présent parmi eux.

Non ! Rien de rien ...
Non ! Je ne regrette rien
Ni les taches qu’on a fait,
(ligne indistinct)
 
Non ! Rien de rien...
Non ! Je ne regrette rien
(ligne indistinct) officiers
Tout ça c’est du passé

« Archives radio : Speakerine : Ici France 5, Radio diffusion télévision française. La situation est redevenue normale à Alger. Nous prions instamment la population algéroise de rentrer chez elle. Algérois, Algéroises, rentrez chez vous. Ici France 5, Radio diffusion télévision française. Ici France 5, Radio diffusion télévision française.

Michel Fourquet, général : Autant j’étais opposé, totalement opposé pour des raisons de fond à toute cette aventure-là, je pense qu’il serait injuste de ne pas dire le pourquoi de toute cette affaire. Si des gens comme Challe, comme Jouhaud, je ne parle pas des deux autres, mais surtout Challe et Jouhaud, se sont engagés dans cette affaire-là, il faut voir d’abord la tradition et la deuxième chose, et je crois que c’est peut-être le plus important dans toute cette affaire-là, c’est que les officiers, les sous-officiers, sur le terrain, se sont engagés vis-à-vis de la population algérienne. Et ce sont des engagements personnels qu’ils prenaient vis-à-vis de la population. Imaginez, vous-même, prenant des engagements vis-à-vis d’une population plus ou moins fruste, et puis tout d’un coup apprendre que vous devez les laisser tomber. Ceci explique beaucoup et je crois même pour 90% cette affaire du putsch des généraux.

Quelle est la raison principale, selon vous, de l’échec du putsch ?

Pierre Sergent, capitaine : Le manque de caractère du général Challe, en ce sens que vous avez je crois un drame tout à fait essentiel, c’est la rencontre de deux caractères : celui du général de Gaulle d’un côté et celui du général Challe de l’autre. On a parlé beaucoup de l’intervention des transistors, dans cette affaire, il ne faut pas bien sûr la minimiser, mais en fait le transistor a été l’interprétation, vis-à-vis du contingent, du caractère de de Gaulle donnant l’ordre aux troupes au nom de la France de ne plus obéir aux officiers factieux, et d’un autre côté des propos beaucoup trop faibles, par rapport à ceux-là, du général Challe. Je crois que c’est comme ça que se résume la situation. De Gaulle est un homme d’une telle stature, qu’on ne pouvait pas s’amuser avec de Gaulle, ou bien on le (manque un mot), on le brisait, si on pouvait le faire, mais en aucun cas on ne pouvait s’amuser à vouloir le chatouiller, l’égratigner, car nous savons bien que le personnage avait une telle dimension historique que c’est lui qui nous briserait, c’est lui qui nous écraserait.

notes bas page

[1

[2Larges extraits du discours du général de Gaulle, le 23 avril 1961, tel qu’on peut l’entendre