La guerre d’Algérie
[Générique : Tirs, rafales / Dégagez la rue ! / Tirs, rafales / L’Algérie française ! L’Algérie française ! L’Algérie française ! / De Gaulle au pouvoir ! De Gaulle au pouvoir ! De Gaulle au pouvoir ! De Gaulle au pouvoir ! / Sifflets / Déflagrations, bombardements / Hymne algérien
Neuvième émission : L’OAS
« Français de toute origine, La dernière heure de la France en Algérie est la dernière heure de la France dans le monde, la dernière heure de l’Occident.
Aujourd’hui, tout est près d’être perdu ou sauvé. Tout dépend de nos volontés. Tout dépend de l’Année Nationale.
Nous savons que l’ultime combat approche. Nous savons que ce combat, pour être victorieux, exige l’unité la plus totale, la discipline la plus absolue.
Aussi tous les Mouvements Nationaux clandestins et leur organisation de résistance ont décidé de joindre unanimement leurs forces et leurs efforts dans un seul mouvement de combat : L’ORGANISATION ARMÉE SECRÈTE. O. A. S. »
Pierre Sergent, capitaine : Pour ma part, je considère que l’OAS a été l’armée, mais à cause de sa situation secrète, en fait des Français d’Algérie. Donc, sa seule justification c’était justement de donner la voix à cette population d’Algérie, comme l’ALN avait finalement donné la voix au FLN. Donc le rôle de l’armée secrète, de l’OAS, a été de donner la voix à ces gens qui n’avaient pas finalement voix au chapitre.
Jean-Claude Perez, Pied-noir, médecin et chef de la branche armée de l’OAS : Celui qui a créé l’organigramme de l’OAS, c’était Godard. Godard avait la manie des papiers, des organisations clandestines, des codes, il le faisait très bien. Il ne faisait que ça mais il le faisait très bien. Il ne faisait que ça, refusant de voir du monde... Salan, on ne le voyait très rarement. Enfin, on la vue, il est venu me voir à mon PC. Ça n’a pas toujours été facile entre Salan et moi, il faut dire qu’il y avait des influences occultes qui avaient barre sur lui, à ce moment-là. Enfin, barre sur celui, de la manière dont on pouvait avoir barre sur Salan, ça, encore une fois, c’était autre chose.
Quelles influences occultes ?
Jean-Claude Perez, Pied-noir, médecin et chef de la branche armée de l’OAS : Vous savez, chaque général avait sa petite cour et il y a des gens dont le génie est de plaire au patron du moment. Moi, j’étais toujours assez, comment dire, libre, un petit peu le FTP chahuteur, qui n’admettait pas trop qu’on lui dise ce qu’il avait à faire, et qui était assez rebelle au commandement subi, il faut dire que cela rejoint mon tempérament, mon personnage, ma personnalité, c’est comme ça. Mai ça s’est arrangé, ça s’est très vite arrangé. Alors, ont été constituées les grandes branches de l’OAS : il y avait l’« organisation des masse » qui était dirigée par Gardes, l’« action psychologique et propagande », qui était dirigée par Jean-Jacques Susini, et l’« organisation des opérations et du renseignement » qu’on m’a donnée.
En quoi consistait-elle ?
Jean-Claude Perez, Pied-noir, médecin et chef de la branche armée de l’OAS : L’« organisation des opérations et du renseignement », c’était en fait l’organisation militaire de l’OAS, qui était l’organisation de combats à proprement parler. C’était en fait organisé comme les militaires.
Pierre Sergent, capitaine : Tout de suite après l’échec du putsch, nous nous somme retrouvés, pour discuter, avec Jean-Claude Pérez, Jean-Jacques Susini, le général Gardy, Nicole Bésineau, le lieutenant Degueldre, le lieutenant Godot, bref, tous ces gens qui vraiment mettaient leur peau au bout de leurs idées. J’étais très frappé de la réaction des Pieds-noirs, qui était, à l’unanimité : l’Algérie, c’est la France. C’est-à-dire que dans leur esprit aucune partition n’était possible. Je me souviens avoir répondu, au cours d’une de ces réunions, dramatique d’ailleurs dan le fond, je crois que je répondais à Jean-Claude Pérez, où je leur avais dit : mais enfin vous me faites marrer, la France vous dit merde ! c’est le moment de lui dire merde aussi ! Je cite mes propre paroles de l’époque, en fait cela voulait dire : la France vous refuse, c’est le moment de faire au fond une Algérie algérienne, mais avec tout le monde, voyez-vous, presque une partition vis-à-vis de la Métropole. Et devant ce blocage complet, psychologique, des Pieds-noirs sur cette solution, je me suis dit puisque c’est cela, c’est à Paris que cela se passe, ce n’est pas à Alger. En fin de compte, la solution qui sera déterminante sera celle qui sera donnée par le gouvernement de Paris. Et c’est la raison pour laquelle j’ai choisi de venir mener le combat en Métropole.
Est-ce que l’OAS a une stratégie ? Ou est-ce que, comme certains le disent, c’est un peu une manifestation de désespoir ?
Jean-Claude Perez, Pied-noir, médecin et chef de la branche armée de l’OAS : Quand je dis que ça été le regroupement des retardataires, je veux dire par là que c’est l’esprit qui a dominé, qui s’est manifesté à l’occasion de l’organisation de l’OAS. Pour moi, c’est l’esprit que j’avais en 55. En 1961 a commencé, a essayé de se créer ce que personnellement j’aurais voulu se voir créer en 55 et ce qi a été impossible à réaliser. Donc, cette espèce de volonté jusqu’au-boutiste elle aurait dû se manifester 6 ans plus tôt. Pour moi, l’OAS avait six ans de retard, ou sept ans de retard. Elle aurait du exister dès 1955, parce qu’une organisation clandestine de cette envergure ne se met pas en place en un an, il lui faut des années. Il faut des années avec des déboires, des massacres, des coups durs, des pertes, pour que cela s’organise. Bien ! Si par exemple avait pu vivre trois ans, si les négociations avaient été retardées d’un an, il est possible que l’affaire eu tourné autrement. Et ça, ils l’ont vite compris en France quand ils ont vite accéléré le processus de négociation.
« Archives radio : Inter-Actualités/ Au micro Jacqueline Baudrier. Il y a exactement quatre-vingt quinze minutes que la Conférence d’Évian est ouverte. Et dès le début des pourparlers le gouvernement français a annoncé d’importantes, de très importantes décisions. D’abord le gouvernement a ordonné l’interruption des opérations offensives sur l’ensemble d territoire algérien, à partir d’aujourd’hui, 20 mai, à 18h. Les forces de l’ordre n’entreront désormais en action qu’en cas de légitime défense ou pour la poursuite des auteurs d’attentats. Cette interruption est prévue pour une période d’un mois. Elle sera suspendue ou au contraire prorogée suivant l’évolution de la situation. Autre décision, en Algérie, le Délégué général a reçu instruction d’accélérer les mesures de libération, que le gouvernement a déjà prises, en faveur d’internés et de prisonniers. Six mille libérations sont prévues au cours des quatre semaines à venir. En outre, dans un grand nombre d’arrondissements les autorités prendront les mesures nécessaires pour rétablir la circulation normale des personnes et des biens. »
L’OAS, à la tête de laquelle sont placés les généraux Salan et Jouhaud, passés dans la clandestinité après le putsch, s’était fixé pour premier objectif d’empêcher les négociations prévues au mois de mai à Évian. Pour en faciliter le déroulement de Gaulle fait libérer six mille prisonniers du FLN et décrète une trêve unilatérale en Algérie espérant en retour l’arrêt des opérations menées par l’Armée de libération nationale, l’ALN. Mais cette manœuvre se heurte au refus du Gouvernement provisoire de la République algérienne, installé à Tunis, qui ne veut pas entendre parler de cessez-le-feu avant la conclusion d’un accord politique, si bien que lorsque le 20 mai 61 les pourparlers commencent à Évian, Ferhat Abbas, président du GPRA, ne se fait guère d’illusions sur leur issue.
« La négociation n’est pas la paix. Bien sûr, nous souhaitons que les prochains entretiens aboutissent à cette paix ardemment désirée par les peuples algériens et français. Mais personne ne doit ignorer que les forces colonialistes n’ont pas désarmé et que la négociation peut-être longue et difficile. Elle risque même d’échouer à cause de certaines convoitises et des intransigeances possibles de l’impérialisme français. Aussi avons-nous le droit d’éclairer notre peuple. La Guerre d’Algérie peut encore durer. » Ferhat Abbas
Les négociations menées du côté français par Louis Joxe, assisté de Bernard Tricot, butent surtout sur deux problèmes : l’avenir des Pieds-noirs en Algérie et la question du Sahara.
Bernard Tricot, conseiller technique chargé de l’Algérie auprès de de Gaulle (1959- 62) : Le général de Gaulle a vraiment tenté de laisser le Sahara en dehors des accords, parce que le Sahara c’était important et intéressant, parce qu’il y avait les centres d’essais nucléaires, et bien sûr parce qu’il y avait le pétrole. Et c’était en soi assez raisonnable de laisser le Sahara en dehors de la négociation, de tenter de le laisser parce que l’appartenance algérienne du Sahara n’était pas du tout évidente. Quand on regarde une carte de l’Algérie, du Maroc et de la Tunisie, on voit bien les frontières de l’Algérie qui vont en s’élargissant, à l’Est et à l’Ouest, au détriment du Maroc et de la Tunisie. On peut dire : eh oui, tout ce Sahara est en effet algérien mais c’était très artificiel, c’est la domination française, l’administration française qui avait en fait rattaché le Sahara à l’Algérie. Nous avons beaucoup discuté avec les gens du FLN, sans du tout réussir à les convaincre, c’était devenu pour eux un point de fixation, le Sahara fait partie de l’Algérie et ils estimaient ne pas avoir le droit de sacrifier quoi que ce soit du territoire algérien.
Le 13 juin 1961, les deux délégations étant incapables de s’entendre, les premières négociations d’Évian sont ajournées. Elles reprennent à Lugrin en juillet et pour les mêmes raisons, elles échouent. Le 31 juillet 1961 Krim Belkacem, chef de la délégation algérienne, tient une conférence de presse.
« Les pourparlers d’Évian puis ceux de Lugrin nous ont montrés en réalité ce qu’il en était. Nous avons trouvé les interlocuteurs français figés dans leurs positions, n’abordant les problèmes véritables que pour tenter de les dénaturer. Nous nous sommes trouvés en face d’un gouvernement français qui veut bien décoloniser mais à moitié, c’est-à-dire maintenir l’Algérie sous une domination coloniale à peine déguisée. »
Après l’échec des négociations, le GPRA durcit sa position d’autant que la France en cas d’échec brandit la menace d’un projet de partition de l’Algérie. Cette attitude a pour effet de durcir le comportement du FLN. En août 61 le modéré Ferhat Abbas est remplacé à la tête du GPRA par un partisan de la fermeté, Ben Khedda. De son côté, en Algérie, l’OAS multiplie les initiatives pour mobiliser les Pieds-noirs auxquels elle demande de manifester leur détermination : dans les rues d’Alger en créant des embouteillages monstres, en scandant « Algérie française » à coups de casseroles, et en se mettant à l’écoute des émissions pirates qu’elle diffuse à partir du mois d’août.
« Archive radio, journaliste ( ?) : Ici Alger. Vers 13h les émissions de France V ont été interrompues à la suite de la destruction des câbles électriques d’alimentation des émetteurs d’Ouled-Fayet et des Eucalyptus, qui sont les deux émetteurs de France V. une émission fut diffusée immédiatement après la coupure, sur une fréquence très voisine de celle de France V. Un speaker anonyme a pris la parole pour annoncer la mobilisation prochaine par l’OAS de 100 000 Français d’Algérie, puis l’ex général Salan a pris à son tour la parole, mettant en cause la politique du général de Gaulle, et affirmant que l’Algérie resterait française. L’émission a pris fin aux environ de 13h 15, elle a donc duré près d’un quart d’heure. La Marseillaise et le Chant des Africains alternaient avec les déclarations enregistrées. Ici Alger, à vous paris. »
« Archive émission pirate, speakerine ( ?) : Français d’Algérie, soyez désormais tous les jours à l’écoute aux heures d’information sur une longueur d’onde voisine de France V. »
[Musique militaire]
L’OAS dispose d’une grande popularité chez les Pieds-noirs.
Jean Morin, Délégué général du gouvernement en Algérie : Sa popularité, c’est difficile à dire parce que d’une part elle est composée d’un noyau agissant, pas tellement nombreux. Il est évident que les européens d’Algérie ont été déçus par le putsch parce qu’ils auraient bien préféré que l’opération Challe réussisse plutôt que le succès de l’OAS.
Oui, mais les dirigeants de l’OAS proviennent quand même des rangs des Pieds-noirs.
Jean Morin, Délégué général du gouvernement en Algérie : Oui, mais enfin les dirigeants de l’OAS d’abord c’est les militaires, c’est quand même Salan, c’est quand même Gardy, C’est quand même Godard, c’est quand même Argoud, c’est quand même à la base un encadrement militaire…
C’est aussi Susini, c’est Pérez, c’est Jacques Achard.
Jean Morin, Délégué général du gouvernement en Algérie : Oui, c’est Susini, c’est Pérez, c’est vrai, c’est les anciens du FAF, c’est les Vignau, c’est les Martel. C’est toujours les mêmes quand même ils n’ont pas recruté de personnalités importantes. Seulement : un, c’est sûr que les gens considéraient que (manque deux mots) se battent sur l’Algérie française ; deux, c’était très amusant de faire sonner les casseroles le soir et que ça cela fait un jeu auquel tout le monde se livre volontiers, qu’aller dénoncer l’OAS il n’en est absolument pas question de la part de quel que Pied-noir qui soit, peut-être même pas les libéraux, mais que se joindre à eux cela suffit pour être, comme vous dites, comme un poisson dans l’eau. À partir du moment où personne ne veut vous dénoncer et vous êtes quand même suivi dans vos manifestations, vous ne pouvez pas avoir beaucoup plus.
Edmond Jouhaud, général : Le 20 août je partais à Oran, avec le capitaine Ferrandi, et je décidais de rester à Oran et de prendre le commandement de l’OAS local, que j’ai dirigé par conséquent jusqu’à mon arrestation.
Mon général, vous êtes donc dans l’OAS, vous le second je crois de Salan, dans l’organigramme de l’OAS, quelles étaient en fait les objectifs de l’OAS ?
Edmond Jouhaud, général : Les objectifs de l’OAS étaient les suivants : arriver à mobiliser la population, essayer de trouver dans l’armée – étant donné que l’inéluctable s’avançait tous les jours plus rapidement qu’on ne le pensait, c’est-à-dire l’indépendance de l’Algérie – un certain nombre d’unités qui se joignent à nous et prendre, si vous voulez, l’Algérie, former un gouvernement algérien pour mettre la Métropole en face de ses responsabilités. Vous me direz que c’est peut-être une vue de l’esprit, la population nous l’avions complètement en main, ça manifestement. Ainsi, par exemple à Oran, ça je peux dire, je faisais pratiquement ce que je voulais. D’autre pat, sur le plan militaire, j’ai eu l’impression à un moment donné que le 5ème étranger, des éléments du 2ème étranger, que les groupes musulmans, les GMS, que des unités des Fusiliers-Marins, se joignaient à nous en Algérie, c’est-à-dire qu’ils ont fait l’opération du 13 mai, prise du pouvoir par l’armée, la population venant là-dessus, dans son ensemble étant mobilisée à notre demande.
Jean-Claude Perez, Pied-noir, médecin et chef de la branche armée de l’OAS : L’OAS commençait à prendre une structure révolutionnaire d’implantation dans la masse, et c’était la preuve, malheureusement tardive, que si la population d’Alger avait voulu s’organiser comme ça quelques années auparavant, beaucoup de choses n’auraient pas été possibles, sans parler du pouvoir de séduction que cette organisation avait en France vis-à-vis de gens qui voulaient se compromettre. Donc, la question de savoir si c’était un combat de désespoir, non parce qu’à un moment donné on sentait que des gens ne savaient pas trop ce que cela allait devenir. Vous avez vu des livres par exemple de notables policiers disant que l’OAS avait été noyautée, que ci, que là, en particulier qu’ils avaient des taupes chez nous, je ne sais pas comment il faut dire ça. C’est vrai, mais ces taupes n’étaient pas des taupes clandestines, c’étaient des gens qui nous disaient qu’ils jouaient le double jeu, parce qu’ils avaient affaire à des chefs qui ne savaient pas trop si l’OAS allai gagner ou perdre, et qui se ménageaient une espèce de virginité a posteriori pour le cas où. Il y avait des tas de fonctionnaires qui nous donnaient beaucoup renseignements, qui venaient des tas des gens, qui sont en place actuellement à des échelons extrêmement élevés, qui nous ont dit comment flinguer untel et untel.
Parmi les opérations, les méthodes utilisées par l’OAS, il y a ce que l’on appelle les opérations ponctuelles.
Jean-Claude Perez, Pied-noir, médecin et chef de la branche armée de l’OAS : Les opérations ponctuelles mon cher cela veut dire le flingage d’un individu par rapport à une opération collective qui s’appelle un plasticage ou une opération imprécise. L’opération ponctuelle c’est flinguer untel parce qu’il est dangereux.
Qui est-ce qui décidait ?
Jean-Claude Perez, Pied-noir, médecin et chef de la branche armée de l’OAS : Oh ! En général théoriquement vous savez… Alors là c’était une espèce de confrontation d’opinions du bas et du haut. Soit cela venait de chez nous, c’est-à-dire de mon échelon, on disait : untel, untel est très dangereux, pour telle et telle raison, il faut le repérer et l’éliminer, c’était ça ! Ou bien des gens nous disaient : untel fait ceci, fait ceci, fait ceci, fait cela, nous demandons le feu vert pour agir. Ça, c’est quand cela se passait normalement. Il nous arrivait parfois d’être mis devant le fait accompli. C’est que les liaisons c’était un monde ! Pour se contacter les uns les autres, c’était un monde ! Vous avez connu Alger à ce moment-là tout en long quadrillée ? J’étais connu comme le loup blanc, moi, je ne pouvais pas me permettre de me balader comma ça ! Pour transmettre des instructions, pour venir aux contacts, pour avoir des réunions, il fallait prendre des tas de précautions, se déguiser, arriver dans des appartements où il y avait des caches, c’était effroyable ! Ça a été une vie infernale !
« Bulletin de renseignements : Cornu Georges, 3 chemin des Glycines, Alger. Se déplace toujours sur moto de marque Arielle, immatriculée 659 BC 9A. Communiste notoire et propagandiste acharné. Cet individu a été mis à la porte plusieurs fois à la suite de sa propagande en faveur du PCA, Parti communiste algérien. Se targue d’avoir énormément voyagé et de tout connaître, mais en fait n’a aucun métier dans les mains, par contre, possède une langue, qui dans nos intérêts, aurait sacrément besoin d’être raccourcie. »
Marie Elbe, journaliste à L’Écho d’Alger, écrivain : Tout le monde tuait. Vous savez à la fin il y a eu des horreurs commises des deux côtés. L’OAS, je ne veux pas du tout l’excuser, ni justifier rien, mais je n’ai pas plus à être épouvantée par ce qu’a fait l’OAS que ce qu’a fait le FLN. À la fin, quand le FLN enlevait des Pieds-noirs, à la périphérie des quartiers musulmans, français, franco-musulmans, ou même dans des quartiers –parce qu’à la fin on ne vivait plus dans des quartiers musulmans, les européens se repliaient sur le centre de la ville et les musulmans prenaient tous les quartiers périphériques – moi j’ai vu ça, j’ai vu un Européen enlevé, saigné à blanc, vidé de son sang, ils ont rejeté le cadavre avec une pancarte : « Merci au sang versé pour le FLN ». Je veux dire ce n’était pas joyeux, ce n’était pas quand même non plus des pratiques très courtoises.
[Bruits de manifestation avec des klaxons et des casseroles et des slogans : « Algérie française ! »]
« Ces casseroles, ces sifflets, ces klaxons : « Algérie française ! » ont quelque chose d’émouvant. Cela a duré deux heures sans une seconde d’interruption. Ce n’est plus de l’hystérie mais un cri désespéré, interminable, qui remue les plus endurcis. Voilà comment on est balancé continuellement entre deux mondes qui s’entretuent, pleurent, soufrent, appellent en vain « au secours ! ». Cris dérisoires des casseroles, quête pathétique d’un impossible miracle. Cela ne me fait pas oublier les autres, les miens qui n’en finissent pas de tomber, de se faire haïr et ne parviendront sans doute jamais à émouvoir leurs vis-à-vis car il y a longtemps que l’on se refuse à les prendre pour des hommes. Chez l’Européen, le découragement est immense. Il ne croit plus en l’Algérie française. On sent partout un vent de débâcle, et la vie plonge peu à peu dans une indéfinissable tristesse : la tristesse visible des rues, des magasins vides ou éventrés, la tristesse invisible des douleurs cachées, des appréhensions obscures, des terreurs inavouées, des paniques justifiées. » Mouloud Feraoun, Journal, 26 septembre 1961
Algérie FrançaiseDans la nuit un chantMonte doucement,Frère, entends ma voix,Et viens avec moi.Au bout du chemin,S’ouvre un clair matinPour notre pays,Pour notre patrie !Algérie française (bis)Ô si belle Algérie !Dans un même élan,Que tous tes enfantsSoient unis pour la vie,Le ciel est plus bleu,Et nos cœurs joyeuxChantent, chantentLa Marseillaise,La chanson d’espoirDes esprits sincères :Algérie française !Le soleil enfinVient de se lever,Frères, il faut aimer,Frères, il faut chanter,Unissons nos mains,Ne craignons plus rien,Pour notre pays,Pour notre patrie !Algérie française (bis)Ô si belle Algérie !Dans un même élan,Que tous tes enfantsSoient unis pour la vie,Le ciel est plus bleu,Et nos cœurs joyeuxChantent, chantentLa Marseillaise,La chanson d’espoirDes esprits sincères :Algérie française !
« La France dans sa majorité comprend que quelque chose d’essentiel est en cours mais ce n’est pas au niveau dont on parle tant. Des officiers traînés sur le banc de la justice spéciale, et qui clament leur foi fixent la profondeur du drame que vit le pays. Les mécontentements qui s’élèvent de toutes parts confirment la cohésion nationale dans l’opposition. Et puis enfin, le seul fait que je puisse prendre la parole sur les antennes même de la Radio télévision officielle, n’est-ce pas une des preuves éclatantes que le pouvoir se meurt lentement, abandonné de tous ? » Raoul Salan
[Musique de la Marseillaise]
Le général Salan qui s’exprime régulièrement sur les ondes, Jean-Claude Pérez, chef de la branche armée de l’OAS, qui contrôle les commandos Deltas de Roger Degueldre, vivent au milieu des Européens comme des poissons dans l’eau. En revanche, le Délégué général, Jean Morin, installé aux environs d’Alger, à Rocher-noir, est très isolé. Pour lutter contre l’OAS, qui dispose de complicités évidentes dans la police, le gouvernement s’appuie, en Algérie, sur une organisation gaulliste, le Mouvement pour la communauté, MPC, et y envoie discrètement des gendarmes de Métropole, la Mission C de Michel Hacq. À la tête de ceux auxquels Lucien Bodard donne le nom de « barbouzes », le président du MPC, Lucien Bitterlin.
Lucien Bitterlin : C’était une réaction de la base. On n’a pas toujours bien compris que ce n’était pas le pouvoir qui confiait une mission. Nous étions un certain nombre de militants concernés, établis en Algérie pour certains, gaullistes, anciens des forces françaises libres ou de la Résistance, que ce soit le Tac, ou d’autres qui avaient choisi de vivre en Algérie, qui estimions que le pouvoir ne faisait peut-être pas tout ce qu’il fallait pour convaincre, par les voies médiatique, les Français et les Algériens de l’évolution de la situation. Et nous estimions que le parti gaulliste, sur place en Algérie, n’était pas aussi dynamique qu’il aurait dû l’être, aussi lucide, et qu’il y avait une carence qu’il fallait contrer. Nous nous sommes réunis, avec un certain nombre d’amis, pour faire des propositions, en disant : il nous faut une structure indépendante, il nous faut convaincre les Français d’Algérie, qui doivent rester dans le cadre d’une Algérie indépendante, qu’il nous faut lutter contre l’OAS, qui va conduire le pays à la ruine, non seulement l’Algérie mais la France, et il nous faut convaincre les Algériens que l’avenir c’est effectivement cette Algérie nouvelle qui sera associée à la France dans le cadre d’une coopération digne des deux pays. Mais très vite, après les premières manifestations que nous auront, c’est-à-dire le collage d’affiches, les distributions de tracts, nous serons amenés à constituer autour de nous, autour du MPC, des équipes chargées de la protection des responsables. Et le gouvernement, via le Délégué du gouvernement, nous demande de voir s’il n’est pas possible d’obtenir des renseignements contre l’OAS, car nous allons nous présenter en Algérie avec la Croix de Lorraine et le drapeau tricolore, sans ambigüités, sans équivoques, ce qui fait que cela va causer un certain choc dans la communauté algérienne, et l’hostilité bien sûr de tous les partisans de l’« Algérie française », qui sont alliés dans l’Organisation de l’armée secrète. Le gouvernement était quasiment isolé en Algérie, on le sait trop peu. Pratiquement la police locale avait abandonnée, elle était victime d’ailleurs de l’OAS ou complice, et les renseignements généraux avaient complètement disparu. Donc, tout va venir de France, et c’est là où il va y avoir l’amalgame de notre action politique avec celle de la police française, de la Mission C, dirigée par Michel Hacq. Et c’est là donc que nous allons être affabulés, nous et eux, de l’étiquette « barbouze ».
Parmi vos adversaires les plus acharnés, il y avait aussi les « barbouzes » ?
Jean-Claude Perez, Pied-noir, médecin et chef de la branche armée de l’OAS : Je n’en sais rien. Je ne sais pas. Je ne sais pas on nous a envoyé là-bas des gens capables de nous faire du mal ou si l’on nous a pas envoyé des gens là-bas pour se faire tuer. Moi, je suis persuadé que c’est la deuxième hypothèse qui est la vraie. Ils se sont trop manifestés en arrivant. Par définition, un barbouze ça ne se voit pas. Un barbouze ça ne doit pas se voir, une caserne de barbouzes c’est une connerie ! un cantonnement d’agents spéciaux, c’est une aberration ! C’est tout juste s’ils ne mettaient pas : ici barbouzes, si vous voulez nous tirer dessus, mettez-vous-là plutôt que là ! C’est incroyable la facilité avec laquelle il y a eu quelques opérations ! Ils nous ont fait quelques misères, mais enfin j’estime que ces gens ont été exploités pour se faire zigouiller à la place des gendarmes.
Vous avez joué un rôle actif dans les attentats dont ils ont été victimes ?
Jean-Claude Perez, Pied-noir, médecin et chef de la branche armée de l’OAS : Vous savez, aux fonctions que j’occupais je n’étais pas dans la rue avec un flingue. J’intervenais avant. Ça, c’était avant. Le gars venait : j’ai repéré tel truc, tel machin, j’attaque ce soir. Bravo ! Je n’allais pas donner un conseil à un type dont c’était la spécialité.
Lucien Bitterlin : Nous avons subis l’action terroriste. Les premiers qui ont été victimes ce sont les militants de notre organisation. Yves Le Tac a reçu plusieurs balles dans la peau. Gaston Pernot qui a été, même dans son lit d’hôpital, victime d’un jet de grenade. D’autres qui ont été assassinés à Orléansville. Il s’est trouvé aussi qu’un certain nombre de nos militants ont été pris sous le feu des tireurs de l’OAS. Moi j’ai été blessé en sortant de chez moi par un commando Delta, et j’ai eu la vie sauve grâce à mon ami André Goulet qui conduisait la voiture et lui a été traversé de part en part, les tueurs de l’OAS avaient vidé quatre chargeurs de pistolets mitrailleurs sur nous. Vous savez, dans le feu de l’action, vous tirez si vous êtes attaqués. À partir de là vous ne pouvez pas dire qu’on tirait les premiers. Quand on vous tire dessus, ou quand il y a une menace de tir, vous tirez, ça c’est le fait de la guerre civile et c’est assez atroce. L’action terroriste ça peut être autre chose, seront, à partir de décembre 1961, les opérations de plasticage que l’on va commettre nous quand la sécurité militaire va nous donner un certain nombre de plastics avec des détonateurs et mèches lentes pour poser devant les cafés, qui sont connus comme des fiefs OAS. Et là, nous allons mener une opération qui va semer la confusion, nous allons faire sauter un certain nombre de café, comme Tonton Ville, l’Automatic, en plein secteur OAS. L’AOS avait pour but de créer un climat de terreur chez les Algériens et de montrer que c’était les Français d’Algérie qui tenaient le haut du pavé. Derrière tout ça, il y avait une espèce de chantage, de racket, de collectes de fonds. Le jour où les cafés, les établissements sympathisants de l’OAS vont sauter, il va y avoir une certaine panique, en tout cas un désarroi dans la communauté sympathisante de l’OAS : pourquoi nous payons à l’OAS et en même temps nous sommes plastiqués ? Donc, c’est le contre-feu de l’incendie qui a été allumé. Était-ce un bien, était-ce un mal ? Toujours est-il que nous avons fait ce genre d’opérations à la demande de la sécurité militaire pour bien montrer que l’OAS n’était pas seule sur place et qu’il fallait compter avec un autre courant, un courant français anti-OAS.
« Archive radio : Ici Radio-France, Aujourd’hui 9 octobre, l’Organisation armée secrète a interrompu les émissions de la radio gaulliste pour vous faire entendre la voix de l’Algérie française. À partir de demain, Radio-France émettra aux heures d’informations, au lieu et place de France V, ou sur des longueurs d’onde voisines. Soyez tous à l’écoute. Ayez confiance, l’OAS vaincra pour la France et l’Algérie française. »
En janvier 1962, dix-neuf membres du MPC seront tués par l’OAS dans le local de leur mouvement à Alger. Mais la France métropolitaine n’est épargnée non plus par ce climat de guerre civile, l’OAS s’y manifeste ainsi que le FLN, qui, le 17 octobre 61 à Paris, organise une manifestation de travailleurs Musulmans, contre le couvre-feu qui leur est imposé.
[Slogans de manifestants : Libérez, Ben Bella ! Libérez, Ben Bella ! Libérez, Ben Bella ! Libérez, Ben Bella ! Libérez, Ben Bella ! Assassins, OAS ! Assassins, OAS ! Assassins, OAS ! Assassins, OAS !]
Pierre Vidal-Naquet, historien : Dans toute cette Guerre d’Algérie, le souvenir qui pour moi reste le plus dramatique n’est pas Charonne, le 8 février 1962, dont on a beaucoup parlé, dont on parle encore de temps en temps, mais le 17 octobre 1961. Je me souviens, nous étions réunis dans cette pièce, où vous vous trouvez, c’était le jour où nous avions, dans Le Monde, publié un communiqué de protestation contre les tortures infligées aux gens de l’OAS. Et voici que l’un d’entre nous, Jacques Panijel, arrive bouleversé, disant : vous savez ce qui se passe ? Les Algériens déferlent dans le centre de Paris, ils sont accueillis de la façon que vous pouvez imaginer. Que s’était-il passé ? Il y avait eu des actes terroristes de part et d’autres, à Paris. C’est-à-dire que d’une part les harkis et les policiers français rossaient, torturaient, éventuellement tuaient, jetaient à la Seine un certain nombre d’Algériens, et d’autre part, les Algériens abattaient, tuaient un certain nombre de policiers. Le préfet Papon, cru trouver une solution en imposant un couvre-feu aux Algériens, couvre-feu qui ne pouvait pas ne pas apparaître comme une mesure purement et simplement raciste, les Algériens, à l’époque, étaient citoyens français, c’était donc une sorte de chasse au faciès qui s’organisait. Pour protester, les Algériens organisent, le 17 octobre, une énorme manifestation, silencieuse, sans armes, on n’a trouvé aucune arme. Les gens étaient fouillés avant d’aller sur les lieux de la manifestation par les responsables du FLN. Ils y allaient, les hommes, les femmes, les enfants, et on ne leur permettait pas d’avoir le moindre canif sur eux. Et puis là, ils ont été accueillis, d’une façon inimaginable !, par des troupes, par des coups de feu, par des projections dans la Seine. L’affaire a été tellement dramatique, il y a eu quand même plusieurs centaines de morts, on a reconnu officiellement deux morts. Nous avons su, par des sources très proches de l’inspection générale des services, qu’il y avait eu environ 350 morts le 17 octobre et les jours suivants. Voilà ce que fut ce 17 octobre, un des épisodes les plus brutaux et les plus oubliés de la Guerre d’Algérie. Je vous mets au défi d’interroger 50 personnes et d’en trouver plus d’une, ou deux, qui saura ce que fût le 17 octobre 1961, un des jours de honte de notre de notre histoire.
Autour de Pierre Sergent, qui organise l’OAS en Métropole, sur le même modèle qu’en Algérie, celle-ci se manifeste en France de diverses manières, en obtenant le soutien de nombreux intellectuels et hommes politiques de droite et en multipliant les attentats. Mais son action devient vite incontrôlée lorsqu’on décembre 1961 le général Salan envoie en France André Canal, dit le « monocle », qui remet en cause le capitaine Sergent.
Pierre Sergent, capitaine : L’histoire des attentats est très nette. Je suis à l’origine évidemment des ordres qui ont été donnés, c’est-à-dire de créer des événements aussi bien à Marseille, à Bordeaux et à Lille, de façon à ce que le jour venu on puisse créer des incidents au même moment, pour montrer qu’il y avait à la tête de l’organisation un cerveau, qu’il y avait une organisation qui existait, de façon à mobiliser le peuple français. Et pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois, il faudra voir les dates, l’affaire a complètement marché, nous avons fait des actes très concrets, très précis, qui ont mobilisé effectivement le peuple français. Vous me direz que ne s’était pas mobilisé forcément pour nous, c’est exact mais il reste une vieille règle de la propagande : « l’essentiel est qu’on en parle », il fallait donc impérativement que les Français se sentent concernés. Ensuite, il y a eu divergence. Pour ma part, j’ai crée des commandos d’action, c’est-à-dire des gens qui devaient faire des actions beaucoup plus ponctuelles, comme on disait à l’époque, et qui ne visaient que les responsables directs de ceux qui étaient nos adversaires, voire nos ennemis. Or, il est resté toute une branche qui n’était pas d’accord avec moi, ou qui faisait semblant d’être d’accord et qui continuait à lancer des opérations, notamment « les nuits bleues », comme on disait à l’époque, c’est-à-dire des explosions un peu partout. Il était évident qu’un jour ou l’autre arriverait un incident. C’est la raison pour laquelle j’ai eu avec André Canal, c’est de l’histoire on peut en parler vingt-cinq ans après, j’ai essayé même de faire arrêter André Canal parce que ce qu’il continuait à faire me semblait extrêmement dangereux pour l’organisation et pour les buts que nous cherchions.
André Canal arrive en France, en décembre 1961, sur ordre de Salan qui lui donne aussi le commandement de l’OAS, comment ça s’est passé exactement ?
Pierre Sergent, capitaine : Malheureusement il avait dans la poche un accréditif du général Salan, qui lui donnait des pouvoirs considérables en Métropole. Comme en plus de ça, cet homme était un homme efficace, il était arrivé avec du matériel, notamment de l’explosif en quantité industrielle, eh bien on ne pouvait plus l’arrêter dans ses actions. Je crois que cela reste un des points noirs de la stratégie de l’OAS et que c’est une erreur fondamentale, parce que ce qui devait arriver est arrivé, c’est-à-dire qu’un beau jour une explosion a blessé une petite fille et tous nos adversaires de l’époque ont saisi l’occasion pour retourner toute l’opinion publique contre nous.
« Archive radio, Jacqueline Baudrier : Quelles sont donc les conséquences psychologiques de l’offensive du plastic ? Cela paraît clair, et je doute que ce soit le but recherché par l’organisation armée secrète. On constate en effet une véritable mobilisation de l’opinion métropolitaine, que certains d’ailleurs cherchent visiblement à exploiter à des fins politiques qui vont bien au-delà de l’affaire algérienne. Quoiqu’il en soit, il y a unanimité contre cette violence aveugle. Dans toute la presse parisienne ce matin, l’indignation s’exprime en termes véhéments. La première édition de France-Soir, montre déjà qu’il en sera de même dans les journaux de l’après-midi. Je vous donne le titre de son éditorial : « Ce sont des assassins » quoiqu’en dise l’OAS le plastic tue et tue aveuglement, aussi bien que les attentats du FLN : des innocents, vieillards et des enfants. Je vous rappelle en effet que les dix attentats au plastic d’hier à Paris ont fait une dizaine de blessés, dont cette petite fille de quatre ans qui avait le seul tort d’habiter dans la même maison que Monsieur André Malraux. Daniel Pouget, vous êtes allé ce matin prendre de ses nouvelles, à l’hôpital Cochin où elle est soignée, comment va-t-elle ? Daniel Pouget : En effet, Jacqueline Baudrier, je suis allé ce matin à l’hôpital Cochin au service d’ophtalmologie, dirigé par le professeur Auffray. La petite Delphine a passé une nuit relativement calme. La première opération tentée hier semble avoir réussie. Mais de toute façon les médecins qui sont actuellement à son chevet ne peuvent et ne veulent se prononcer avant une huitaine de jours. Jacqueline Baudrier : Et bien en signe de protestation contre cette offensive du plastic, je vous rappelle qu’il devait y avoir aujourd’hui plusieurs manifestations organisées d’une part devant le domicile du professeur Vedel et d’autre part à la Bastille. Or, je reçois à l’instant une précision du ministère de l’intérieur, un rappel plus exactement, toutes les manifestations sur la voie publique sont interdites. En conséquence la manifestation prévue ce soir, à 18h 30 à la Bastille, par les organisations syndicales (CFTC, UNEF, CGT) et par certains partis politiques, en particulier le parti communiste et le PSU, ne pourra avoir lieu, de même est interdite aussi la manifestation projetée par les étudiants devant le domicile du professeur Vedel. »
Après l’attentat contre André Malraux, dont est victime une petite fille de quatre ans, Delphine Renart, le 7 février 1962, et malgré l’interdiction du ministre de l’intérieur Roger Frey, les organisations de gauche manifestent quand même à la Bastille. Au métro Charonne, une charge de la police provoque la mort de huit manifestants. Le pourrissement de la situation en Algérie comme en Métropole conduit de Gaulle à accélérer la reprise des négociations. Pour y parvenir, il renonce au Sahara. Au sein même du GPRA certains éléments sont aussi favorables à la reprise des pourparlers, craignant les progrès de l’OAS mais il faut convaincre les éléments durs du FLN, hostiles à toutes concessions. C’est pourquoi, avant de reprendre les négociations, une délégation du GPRA, menée par Bentobal et Krim Belkacem rencontre, à Aulnoy, les cinq dirigeants du FLN, dont Ben Bella, prisonnier depuis 1956, pour leur soumettre les propositions que compte faire le GPRA aux pourparlers qui doivent se tenir dans le Jura, aux Rousses, quelques jours plus tard.
Ahmed Ben Bella, chef de l’organisation spéciale du MTLD, responsable du FNL, 1er Président de la République algérienne : Dans les négociations d’Évian, oui, nous avons été tenus à l’écart, totalement à l’écart. Puis, voilà qu’un jour nous avons été contactés par des éléments du GPRA, par notamment Bentobal et d’autres…
Et Krim…
Ahmed Ben Bella, chef de l’organisation spéciale du MTLD, responsable du FNL, 1er Président de la République algérienne : Et Krim. Nous nous sommes rendus compte à ce moment-là que les premiers accords, le premier canevas était inacceptable. Nous avons eu des discussions très chaudes avec nos amis, je peux le dire maintenant. Certains de ceux qui sont venus, Bentobal notamment, avait dit : Ahmed, mais la guerre est perdue pour nous, tu es là, tu… et je me rappelle que je lui ai dit : c’est toi qui est perdu, ce n’est pas nous. Il m’a dit : notre peuple est las, il ne veut plus… Je lui ai dit : c’est toi qui es las, c’est toi qui n’es plus à même d’endosser notre… tu es perdu pour nous. Si tu tiens ce langage, c’est que tu es perdu, c’est toi le mal, ce n’est pas notre peuple. En tout cas, je ne signerais jamais un pareil document.
Malgré les réticences de Ben Bella, à la réunion des Rousses, les négociateurs Français et Algériens s’entendent et décident de se retrouver à Évian, quelques jours plus tard, pour conclure enfin un accord.
« Ici Radio France, la voie de l’Algérie française. Ainsi, ces messieurs du gouvernement, Joxe en tête, sous les ordres de leur maître de Gaulle, paradent sur les écrans de télévision et se glorifient d’avoir signé un accord avec les assassins du FLN pour mieux étouffer la voie de l’Algérie française, du moins tel est dans leur esprit le processus du désengagement de la France, c’est-à-dire de l’aliénation de ses devoirs envers les populations de confession chrétienne, musulmanes ou israélite, qui sont encore placées sous son contrôle. Ainsi, ces messieurs des palais espèrent, par le biais de leur déclaration mensongère, amener les rebelles des palaces de Tunis, du Caire et de Rabat à s’engager dans la voie des négociations tout en leur faisant miroiter l’Algérie, une Algérie que de Gaulle, ce traite à la patrie, a juré de larguer à tout prix pour se débarrasser définitivement des Français européens et Musulmans fidèles qu’il ne veut à aucun prix voir s’intégrer dans une France hexagonale réduite à l’état de petite nation n’ayant plus voix au chapitre dans le concert européen, à plus forte raison dans le concert mondial. Quoique vous fassiez, de Gaulle, Debré, Joxe, ou Frey, plus connu sous le nom de « Roger la honte », vous trouverez sur votre route des hommes décidés à lutter jusqu’au bout pour la victoire de la vraie France, derrière leur chef le général Salan, qui lui au moins n’a jamais trahi le serment fait en 1958, et depuis 1954 par les forces armées française de conserver cette portion du territoire nationale à la France. L’OAS n’abandonnera pas la lutte. Les chiens aboient, la caravane passe. L’OAS vaincra soyez en certains. Vive l’Algérie française ! Vive le général Salan ! Vive la France ! »
[Musique de parade militaire]
Le 18 mars 1962, malgré les outrances verbales de l’OAS, les accords d’Évian qui mettent un terme au conflit algérien, sont enfin conclus. Parmi les signataires, Bernard Tricot.
Bernard Tricot, conseiller technique chargé de l’Algérie auprès de de Gaulle (1959-1962) : Ce n’était pas la joie. C’était un mélange bizarre, il y avait l’idée : voilà une épreuve qui dure depuis huit ans, elle s’achève, nous étions dans l’illusion car nous croyions qu’elle allait s’achever, les massacres des deux côtés ont continué pendant des mois. D’autre part elle avait été si pénible, si longue, il avait fallu renoncer à tant de choses, et on sentait qu’il y avait tant de menaces qui pesaient encore que nous n’étions pas réellement joyeux. Alors, pour la première fois, les deux délégations se sont serré la main. Je voie encore toutes ces mains qui se rapprochent par-dessus la table, qui s’entrecroisent, qui se serrent, qui se retirent. Oui, il y avait là un moment sans doute d’émotion mais je crois que des deux côtés on sentait qu’il y avait encore tant d’obstacles à vaincre, c’était la gravité qui l’emportait.
« Paul Gardy, général : Le général d’armée Gardy vous parle. Français de toutes origines et de toutes confessions, qui vivaient sur le sol de notre Algérie, Européens et Musulmans, civils et militaires, l’heure est venue, la trahison gaulliste est consommée, l’entente est scellée entre un pouvoir d’imposture l’ennemi implacable auquel il veut livrer cette terre et ses habitants, citoyens français. Sous le couvert d’illusoires garanties, qui seraient balayées par le futur État FLN, comme chiffons de papiers, ce qu’elles sont et rien d’autre chose, uniquement destinées à sauver la face à notre dictateur, celui-ci à décidé l’abandon. Conçu par ce vieillard démon, soutenu par une mafia d’intrigants serviles, ce faux-semblant de paix, cette capitulation honteuse ne se fera pas ! Le peuple français d’Algérie se dresse pour la résistance. »
« Les forces de l’ordre, gendarmes mobiles et CRS et Unités de quadrillage sont invitées à se refuser à toutes actions dans le secteur délimité par la caserne Pélissier, la caserne d’Orléans des militaires Climat-de-France et Saint-Eugène. Quarante-huit heures de réflexion sont laissées aux officiers, sous-officiers et soldats, qui, à partir du jeudi 22 mars 1962 à zéro heure, seront considérés comme des troupes au service d’un gouvernement étranger. »
Faute d’avoir pu empêcher la signature des accords d’Évian, l’OAS essaye désormais de les rendre inapplicables et de mobiliser la population contre les forces de l’ordre. Le 23 mars à 10h, place de Desaix, à Bab El Oued, le commando Alpha de Jacques Achard, conformément à l’ultimatum tire sur un camion de l’armée tuant sept soldats. Aussitôt, le quartier de Bab El Oued est bouclé, l’armée et l’aviation intervienne.
[Tirs nourris, rafales, bombardements, déflagrations, passage d’avion…]
Pour rompre l’encerclement de Bab El Oued, le responsable de l’OAS à Alger, le colonel Vaudrey demande à la population d’Alger de manifester.
« Une opération monstrueuse, sans précédent dans l’histoire, est engagée depuis trois jours contre nos concitoyens de Bab El Oued. On affame 50 000 femmes, enfants, vieillards encerclés dans un immense ghetto. La population du grand Alger ne peut rester indifférente. En une manifestation de masse pacifique et unanime, tous les habitants de Maison-Carré, d’Hussein-Dey et El Biar rejoindront ce lundi, à partir de 15h, ceux du centre pour gagner ensemble et en cortèges, drapeaux en tête, sans aucune arme, sans cris, par les grandes artères, le périmètre du bouclage de Bab El Oued. Non, les Algérois ne laisseront pas mourir de faim les enfants de Bab El Oued. Ils s’opposeront jusqu’au bout à l’oppression sanguinaire du pouvoir fasciste ! Il va de soi que la grève sera générale, à partir de 14h. Faites pavoiser ! »
[Chant militaire, paroles indistinctes]
Pour briser l’encerclement de Bab El Oued, L’OAS lance donc dans la rue des civiles, si les manifestants franchissent les barrages qui entourent le quartier, l’OAS a gagné. Ce lundi 26 mars, tout repose sur les épaules d’un jeune lieutenant du 4ème Régiment des tirailleurs, le lieutenant Ouchène, qui se trouve rue d’Isley près de la Grande Poste. À 14h 50, c’est le drame. Une rafale de fusil-mitrailleur est tirée sur ses hommes qui ripostent aussitôt.
[Halte, s’il vous plaît ! Halte au feu ! Halte au feu ! Halte ! Halte au feu ! Mon lieutenant, il faut les arrêter s’il vous plaît ! Halte au feu ! Halte au feu !]
La fusillade fait 46 morts et deux-cents blessés. Elle apprend aux Pieds-noirs que l’OAS qui les a entrainés dans cette manifestation ne peut faire reculer un pouvoir déterminé à faire appliquer les accords d’Évian. Compromise par l’action de l’OAS, la population pied-noir commence déjà à quitter l’Algérie.
La Guerre d’Algérie par Patrice Gélinet dans une réalisation de Christine Bernard Sugy. Aujourd’hui neuvième émission, « L’OAS ». Avec les témoignages de : Pierre Sergent, Jean-Claude Perez, Bernard Tricot, Jean Morin, Edmond Jouhaud, Marie Elbe, Lucien Bitterlin, Pierre Vidal Naquet, Ahmed Ben Bella et les voix de Ferhat Abbas, Belkacem Krim et du général Salan. Documents archives de l’Ina réunis par Cécile Borderie et Annie Saunier. Texte dits par François Chaumette et Aziz Kabouche. Naït Issad improvisait aux percussions.