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La Guerre d’Algérie, vingt cinq ans après : l’engrenage 1956

Transcription par Taos Aït Si Slimane du troisième épisode du documentaire de Patrice Gélinet « La Guerre d’Algérie, vingt cinq ans après : l’engrenage 1956 », diffusée dans l’émission « L’histoire immédiate » sur France Culture le mercredi 14 août 1996.

Chapeau : Troisième émission d’une série de documentaires sur la Guerre d’Algérie, composés d’un montage d’archives sonores, d’entretiens et de lectures illustrées, d’improvisations sur percussions de Naït Issad.

Réalisation : Christine Bernard Sugy. Avec : Ahmed Ben Bella, chef de l’organisation spéciale du MTLD, responsable du FNL, 1er Président de la République algérienne ; Marie Elbe, journaliste à l’Echo d’Alger et écrivain ; Jacques Massu, Commandant de la 10è division de parachutistes, Président du Comité de salut public ; Hocine Mezali, chef du réseau du renseignement de la Zone autonome d’Alger ; Jean-Claude Perez, médecin à Bab El Oued, responsable d’un groupe contre-terroriste à Alger 1955-56 ; Yacef Saadi, chef des réseaux terroristes pendant la Bataille d’Alger ; Jean Scotto, Curé à Bab El Oued ; Paul Teitgen, secrétaire général de la police en Algérie ; Germaine Tillion, ethnologue, membre du Cabinet de Jacques Soustelle en 1955.

Lire aussi, dans la même série :
- La Guerre d’Algérie, vingt cinq ans après : la gestation 1945-1954

- La Guerre d’Algérie, vingt cinq ans après : la Toussaint 1954-1955

- La Guerre d’Algérie, vingt cinq ans après : le 13 mai à Alger

- La guerre d’Algérie, vingt cinq ans après : La Bataille d’Alger

- La Guerre d’Algérie, vingt cinq ans après : 1959, l’année des dupes

- La guerre d’Algérie, vingt cinq ans après : les barricades

- La guerre d’Algérie, vingt cinq ans après : le putsch

- La guerre d’Algérie, vingt cinq ans après : l’OAS

- La guerre d’Algérie, vingt cinq ans après : les derniers jours

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La Guerre d’Algérie / Sur fond de coups de feu nourris / « dégagez la rue ! » / « l’Algérie française ! l’Algérie française ! l’Algérie française ! / de Gaulle au pouvoir ! de Gaulle au pouvoir ! « de Gaulle au pouvoir ! de Gaulle au pouvoir ! de Gaulle au pouvoir » / Sifflets / Déflagrations, coups de feu, bombardements / Hymne algérien

Troisième émission, les paras à Alger.

«  ? Journaliste : Prenant la parole à l’issue du déjeuner organisé par l’association de la presse étrangère, Monsieur Christian Pinault, ministre des affaires étrangères, a successivement évoqué les évènements qui se déroulent actuellement dans l’Europe de l’Est, l’affaire de Suez et le problème algérien. À ce sujet, abordant l’affaire d’arrestation des cinq chefs rebelles algériens, le ministre des affaires étrangères a déclaré : En ce qui nous concerne, comment pouvez-vous envisager que le gouvernement français, par des moyens normaux, qui peuvent être employés par toutes les armées du monde dans des circonstances semblables, puisse relâcher cinq rebelles ? Imaginez quelle serait la réaction normale des pères et des mères des soldats français qui se battent en Algérie, si nous devions dire aujourd’hui, uniquement pour permettre à sa Majesté le roi du Maroc de sauver la face, nous allons libérer les cinq chefs de ceux qui tuent vos enfants ? C’est une chose qui est absolument impossible ! Il n’y a pas un gouvernement, quelle que soit sa situation géographique dans le monde, qui placé dans la situation où se trouve aujourd’hui la France, le ferait. »

Le 22 octobre 1956, un avion transportant des dirigeants importants du FLN a été intercepté au-dessus de la Méditerranée et est contraint de se poser à Alger. Il semble que cette initiative ait été prise à l’insu du Président du Conseil, Guy Mollet, qui, depuis plusieurs semaines, négociait même discrètement avec les dirigeants du FLN. Parmi ceux-ci, Ben Bella qui était dans l’avion détourné ce 22 octobre et qui révèle jusqu’où ont été les négociations.

Ahmed Ben Bella, premier Président de la République Algérienne : Elles débouchaient sur un processus d’autodétermination, comme les accords d’Évian. C’est à peu près aux accords d’Évian que nous étions arrivés. À peu de choses près, c’était ça. Un processus d’autodétermination, un référendum, etc., etc., avec aussi la garantie des intérêts français, la présence de la colonie française, etc. Nous avions donné des garanties, c’est vrai. Nous sommes arrivés à un canevas, à peu de chose près, est exactement ceux qu’ont été les accords d’Évian.

Et vous croyez que le gouvernement français aurait accepté ?

Ahmed Ben Bella, chef de l’organisation spéciale du MTLD, responsable du FLN, 1er Président de la République Algérienne : Ils l’ont accepté. Ils devaient faire avaliser ça par un vote à l’Assemblée, or ils étaient majoritaires. L’armée, ils avaient déjà des officiers qui étaient d’accord avec eux, sur cette solution, mais la grande majorité des officiers je dois dire était hostile à cela. Mais ce qui s’est passé, c’est que l’affaire de l’avion a été faite par l’armée, par un groupe de l’armée, pas toute l’armée. Et là, ça a déclenché un processus disant non au déterminisme, tout simplement. La guerre aurait du… tout était préparé pour que la guerre se termine en 56.

Avec ce canevas, Ben Bella qui se trouvait au Maroc devait se rendre à Tunis pour y soumettre ce projet à la réunion qui devait s’y tenir entre les dirigeants du FLN d’une part et d’autre part le roi du Maroc et Bourguiba, chef du gouvernement tunisien, dont les pays venaient d’accéder à l’indépendance. Au cours de cette réunion, les trois délégations devaient aussi mettre sur pied un projet de fédération maghrébine. Mais pendant son trajet entre Rabat et Tunis, l’avion de Ben Bella est intercepté.

Ahmed Ben Bella, chef de l’organisation spéciale du MTLD, responsable du FLN, 1er Président de la République Algérienne : L’enlèvement se fait dans un avion marocain avec un équipage français. Cet avion devait nous mener à Tunis. Nous devions aller avec le sultan du Maroc dans son avion, puis tout d’un coup on a changé d’idée, on nous a dit : vous n’allez pas dans l’avion de Mohamed V parce qu’il y a son harem, etc. vous irez dans un autre avion. Nous avions émis des réserves je dois dire mais enfin finalement étant donné l’importance de l’événement, ne voulant pas quand gâcher cette grande fête, qui allait se dérouler à Tunis, de retrouvailles de toute l’Afrique du Nord, nous voulions au contraire être là puisque finalement c’était l’élément essentiel, l’Algérie, et les solutions qui allaient être dégagées en faveur de l’Algérie, donc cet avion a été intercepté par l’avion française à Alger. Ils s’étaient mis en contact, par radio, avec cet avion pour lui demander d’atterrir à Oran. Et puis au moment où l’avion s’est posé à Palma de Majorque, pour attendre des ordres, et ensuite a repris la route vers la Tunisie et à hauteur d’Alger il a bifurqué sur à Alger et alors là l’armée française avec les chars nous a cueillis.

Comment vous avez réagi vous-même ?

Ahmed Ben Bella, chef de l’organisation spéciale du MTLD, responsable du FLN, 1er Président de la République Algérienne : Très simplement. C’était un beau coup, c’était un coup bien soigné, il n’y a pas de doute. Il faut être élégant, c’était un coup bien préparé mais enfin un mauvais coup parce que politiquement ça a été une catastrophe parce que ça a mis fin à un processus. De toute façon, peut-être qu’il fallait attendre le vrai partenaire, il est venu par la suite, de Gaulle. Mais je dis que cela aurait pu se terminer en 56.

«  ? journaliste : Ici Alger, RTF. Le dépouillement des documents trouvés dans les bagages des chefs FLN, arrêtés avant-hier, continue et les prisonniers sont invités à donner des précisions sur certains renseignements qui s’y trouvent. Il semble que l’essentiel de cette précieuse documentation soit maintenant bien connu et qu’on attache une attention plus particulière au carnet d’adresse de Ben Bella. On comprend que les milieux officiels sur ce point soient extrêmement discrets. »

Ahmed Ben Bella, chef de l’organisation spéciale du MTLD, responsable du FLN, 1er Président de la République Algérienne : Lorsque nous avons été arrêtés - évidemment dans nos bagages nous avions le fameux projet, le canevas dont je vous ai parlé. Je me rappelle qu’à un moment donné, on me dit : quelqu’un veut vous voir. J’ai dit : oui, je veux bien, Ok, et puis je me trouve en face d’une dizaine d’officiers et là on me dit : Monsieur est le chef de l’armée française actuellement en Algérie. Et bon, Je n’ai pas voulu parlé, sincèrement ça ne m’intéressait pas, j’ai dit : je n’ai rien à dire à ces messieurs, ils n’ont rien à me dire. Puis, l’homme était très fin, ce général en chef, du coté français, il me dit : écoutez, je suis un militaire, je ne suis pas un politicien, je ne suis pas venu pour connaître, pour faire encore le policier, non ce qui m’intéresse, c’est de savoir ce que vous voulez. Je lui ai dit : ce que nous voulons, nous l’avons dit à vos négociateurs qui sont venus nous voir depuis six mois. Nous négocions depuis six mois et nous sommes arrivés à un accord, puisqu’ils détenaient le papier, dans nos bagages, ils l’ont eu. Nous sommes parvenus à un accord, nous pensons que cet accord permet de mettre fi à ce drame, à cette tragédie que nous vivons tous. Nous, cela nous permettrait de récupérer ce qui nous tient à cœur : notre dignité, notre droit à être libres, à être des hommes libres, à autodéterminer nos choix, le choix de ce que nous voulons être, et nous pensons que cela peut conserver l’essentiel des intérêts de la France. Et il me dit tout de suite : nous, ne nous voulons pas du tout avaliser l’accord fait par nos politiciens. Ils nous ont trahis en Indochine, ne nous sommes pas du tout décidés à être trompés une autre fois. Etc., etc. je lui dis : écoutez, c’est votre affaire. Nous, nous avons discuté avec un gouvernement, dûment mandaté, et nous voulons nous en tenir là. Ce que vous venez de faire, nous pensons que ce n’est pas honnête, parce que vous négocier avec nous puis finalement nous sommes arrêtés alors que je devais rentrer en Algérie pour voir les miens et pour préparer les conditions de l’application de cet accord, etc. Et me dit : non, nous ne voulons absolument avaliser cela, maintenant nous serions heureux de décider avec vous de voir ce que nous pouvons faire, peut-être que vous pouvez aider à dédramatiser ce problème, chercher des solutions qui aussi convenables pour nous. J’ai dit : non, absolument pas, vous ne pouvez pas compter sur moi pour cela. Je n’ai pas à discuter avec un chef d’une armée d’un État qui lui négocie avec nous, vous êtes au service de… Il me dit : non, ne nous sommes pas au service de cet État, le cas échéant nous prendrons nos responsabilités. Je lui ai dit : ça, c’est votre affaire. Et là un colonel s’est énervé, parce que le général m’avait dit : écoutez Monsieur Ben Bella, c’est terminé ! Ben Bella, c’est terminé ! Nous venons de l’arrêter, c’est terminé ! Là, j’ai dit : Il y a douze millions de Ben Bella. C’est terminé aussi Dien Bien Phu. Il Douze millions ou dix millions ou huit millions de Ben Bella. Puis, il me dit aussi autre chose : pour votre ami aussi c’est terminé. Je lui dis : mais de quel ami s’agit-il ? Il me dit : Nasser. C’était le 22 octobre, et le 29 ils attaquaient. Il me dit : dans une semaine environ nous allons régler le cas de Nasser. Je lui ai dit : écoutez, il vous attend. C’est vrai, je venais de quitter Nasser, il s’attendait à une attaque. J’ai dit : il vous attend d’un pied ferme, vous allez voir que cela ne sera pas terminé. Ça va commencer.

Le 5 novembre 56, après la nationalisation par l’Égypte du Canal de Suez, les parachutistes de Massu débarquent à Port-Saïd. Il s’agit, par une victoire sur Nasser, d’attaquer le principal pourvoyeur d’armes du maquis du FLN en Algérie. Mais un ultimatum américano-soviétique contraint les gouvernements français et anglais à rappeler leurs troupes alors qu’elles progressaient le long du canal de Suez. Une fois de plus l’armée française est frustrée de sa victoire. Elle ne le pardonnera pas à la IVème République. Après Dien Bien Phu, après Suez, l’armée veut sa revanche, « La bataille d’Alger va la lui donner.

«  ? journaliste : Ici Alger, RTF. Une fois de plus, l’opinion est bouleversée et révoltée par les deux attentas dramatiques qui ont marqués la journée d’hier. En effet, les explosions n’ont pas fait moins de douze morts, dont neuf Européens et trois Musulmans, et on parle d’une soixantaine de blessés. Certains sont dans un état grave. Des scènes déchirantes ont eu lieux cette nuit à l’hôpital Mustapha où un grand nombre de victimes avaient été transportées. Pendant plusieurs heures, des gens affolés se sont présentés au bureau des entrées pour essayer d’obtenir des nouvelles de parents ou d’amis. Mais les instants les plus tragiques peut-être se sont déroulés à la porte d’une salle d’opération où un agent de police s’inquiétait sur le sort de son fils âge de 9 ans. Le malheureux arrêtait tous les médecins et tous les infirmiers en leur demandant de sauver l’enfant […] »

Depuis août 56, le FLN réuni au congrès de la Soummam s’était mieux organisé : à sa tête un Comité de coordination et d’exécution, le CCE, dominé par un nouveau responsable, Abane Ramdane, avait décidé de porter la guerre dans les villes jusque là épargnées et notamment à Alger où des attentats avaient été déclenchées dès le printemps 56. Contre les réseaux terroristes FLN, quelques Européens créent des organisations contre-terroristes.

C’est en 56 que vous commencez à appartenir donc à ce que l’on appelle des mouvements contre terroristes ?

Jean-Claude Perez (médecin à Bab El Oued, responsable d’un groupe contre-terroriste à Alger 1955-56 : Ah, non, non, je n’appartiens pas, j’en crée. Dans mon quartier, en ce qui me concerne, la lutte anti-terroriste est née comme un patronage, j’insiste sur ce terme. C’est né dans une paroisse. C’est né avec des camarades d’école primaire. Il y avait les camarades de la rue Franklin et des camarades de la Place Lelievre, parce que je suis allé à l’école communale. C’est comme ça. Ce sont des gens qui étaient les uns ouvriers, les autres chirurgiens dentistes, les autres sapeurs pompiers, d’autres ambulanciers, d’autres chefs d’entreprises, des commerçants, qui sont venus me voir parce que j’étais le médecin du coin, donc un petit peu plus notable, à cette époque-là le médecin c’était encore quelque chose. Ils sont venus me dire : on ne peut pas rester sans rien faire. Il est très important que la population française d’Algérie se rende compte, en particulier dans note quartier, qu’il y a une organisation occulte, qui peut du jour au lendemain faire aussi bien, mettez-le entre guillemets si vous voulez, que le FLN dans le domaine de l’expression méchante d’une volonté de rester. Eux c’était dans la volonté de nous faire partir, nous c’était dans la volonté de rester. Expression méchante, adaptée ! C’est-à-dire, d’une manière tout à fait inconsciente, nous voulions faire pencher, on ne savait pas que cela s’appelait comme ça à ce moment-là, les plateaux de la balance de la peur dans l’autre sens. Il fallait que cette peur existe des deux côtés. C’est un petit ce que le cardinal Saliège avait dit quelques mois plus tard à Toulouse en disant : Il faut que la peur change de camp.

Mais du même coup, vous utilisez les armes de ceux auxquels vous reprochez précisément le terrorisme.

Jean-Claude Perez (médecin à Bab El Oued, responsable d’un groupe contre-terroriste à Alger 1955-56 : Nous sommes d’accords ! Oui, c’est comme deux et deux ça fait quatre ! Alors là, ce n’est pas la peine de se voiler la face, de dire que nous sommes beaux, élégants et que nous avons fait avec délicatesse ce que les autres faisaient avec brutalité. Non, quand on veut faire peur à des gens pour leur montrer qu’il existait dans le peuple français d’Algérie, du petit peuple d’Algérie, la volonté de rester, y compris en utilisant les armes de l’adversaire, c’est-à-dire le flingue, le couteau, la grenade et le plastic, ça c’était capital ! Donc, à ce moment-là, il n’y avait pas d’actions élégantes à prévoir. D’ailleurs au début de ces affaires-là nous avions tous des amis dans la police. Quand je dis des amis, ce n’et pas des mais policiers, ce n’est pas des relations dans la police, ce n’est pas des contacts dans la police, je dis des camarades dans la police, des gens qui étaient à l’école avec moi, qui étaient à l’école avec mes camarades, de l’époque, qui eux-mêmes ont créé leur petit réseau. Puis c’est arrivé aux yeux de certains responsables des renseignements généraux, qui trouvaient que là il y avait tout un effectif à utiliser, et c’est à ce moment-là qu’il y a eu une petite collaboration entre certains mouvements terroristes d’Algérie, urbains, et peut-être certains services de la police du commissariat central d’Alger. Ça consistait essentiellement dans ce genre d’opérations, la police avait l’impression ou avait des rasons de croire qu’elle avait des informations qui n’étaient pas recoupées mais qui étaient d’origine sérieuse, que dans tel endroit ou tel autre endroit qu’il y existait des concentrations d’armes ou des réunions clandestines, ou bien l’existence de clandestins planqués, cachés, et qu’il fallait avoir prétexte à perquisition. Bon, on allait à cet endroit, ce commerce, cette épicerie, faire sauter une bombe, jeter une grenade ou tirer une rafale de mitraillette ce qui donne immédiatement prétexte à ne descente de polices et à une opération de contrôle, qui très souvent s’est révélée positive. Nous servions en quelque sorte de prétexte pour légaliser une opération qui aurait pu paraître un petit peu arbitraire.

«  ? journaliste : Ici Alger, RTF. Aujourd’hui, une inquiétude certaine pèse sur Alger. En effet, les journées qui précèdent ont été marquées par plusieurs attentats, et cette nuit même une violente explosion a secouée toute la Casbah. Une maison de deux étages surmontant une voûte a été littéralement soufflée et une cinquante d’immeubles situés dans les rues voisines ont été endommagés. Les pompiers, la troupe et des équipes de sauveteurs bénévoles se sont immédiatement employé à dégager les victimes des décombres. On compte douze morts et autant de blessés graves. Mais il faut attendre les résultats de l’enquête en cours pour connaître les causes de l’explosion. Dès à présent cependant, les spécialistes des services de la police écartent l’hypothèse d’un attentat au plastic du style de ceux qui se sont produits au cours des dernières semaines. La possibilité d’une manifestation contre-terroriste devant être à leur avis écartée, il s’agirait d’un accident survenu au cours d’une manipulation dans un dépôt clandestin d’explosifs. »

En fait cette explosion qui s’était produite rue de Thèbes le 10 août 6 était effectivement due à un groupe d’activistes européens. À deux pas de là se trouvait le chef du réseau terroriste FLN d’Alger, Yacef Saadi.

Yacef Saadi : C’est le 10 août 1956 qu’a eu lieu cette fameuse bombe qui a causé près de 70 morts et plusieurs maisons détruites. Je me trouvais à cette époque-là à quelques vingt mètres ou trente mètres à vol d’oiseau. Dès qu’il y a eu cette déflagration, je me suis précipité avec Ali La Pointe et quelques militants qui étaient avec moi pour aller voir ce qui s’était passé. En arrivant là-bas, c’était quelque chose d’indescriptible : des chairs humaines collées contre les murs, des amputés, c’était vraiment le vrai carnage, une boucherie si vous voulez. Là on essayait de dégager les morts, d’autres gémissaient sous les décombres, on essayait de donner un coup de main et de calmer un peu la population qui était affolée, c’était la première fois qu’ils reçoivent une bombe en pleine Casbah et en plein couvre-feu. On ne s’était pas appesantis sur le lieu parce qu’une heure et demi après il y avait les pompiers, les policiers, et tout ça qui ont rappliqué sur les lieux, on n’avait pas intérêt à rester là-bas. Ce n’est qu’à l’aube que toute la population s’est mise en colère, ils voulaient tous descendre munis de gourdins, de haches, n’importe quoi pour descendre dans la ville européenne et venger ceux qui étaient morts. On les a maitrisés en leur faisant des promesses, on a harangué les foules sur les terrasses, tous les militants ont œuvré ce jour-là de façon à éviter les débordements et on leur a promis de posséder une arme aussi cruelle que celle de nos adversaires, c’est le FLN qui allait les venger, d’où la naissance des bombes. À ce moment-là on s’est mis à faire des investigations dans le milieu algérien estudiantin pour essayer d’avoir es chimistes capables de nos produire des explosifs pour pouvoir répondre à cette provocation. Effectivement on est arrivé, on a maitrisé l’explosif et les premières bombes ça a été effectivement les bombes du Milk-bar, la Cafétéria, et une bombe qui n’a pas explosée. Il y a eu trois bombes ce jour-là. Cela se passait le 31 septembre 1956. C’est les premières bombes. Et ce n’est que lorsque la rue de Thèbes a été dynamitée que nous on a pris la responsabilité d’agir avec cette arme qui est cruelle, qui fait des dégâts, qui fait des victimes innocentes, qui fait tout.

Est-ce que vous-même cela ne vous posait pas un cas de conscience Yacef Saadi ?

Yacef Saadi : le cas de conscience, ça c’est une affaire interne. Vous savez très bien que quand une bombe explose et puis on vous montre dans le journal un gosse qui a cinq-six ans qui a une jambe coupée et tout ça, vous ne restez pas insensible, mais vous fermez les yeux et vous dites c’est la guerre…

«  ? journaliste : Ici Alger, RTF. Depuis Oran où nous parviennent encore les derniers échos de la fiesta qui a permis hier à plus de quinze-mille personnes d’applaudir la rentrée mondiale du célèbre toréador Dominguin jusqu’à Bône, où le Cours Bertagnia a retrouvé son animation, aucun attentats terroriste n’est à signaler depuis 48h. À Alger par contre, les actes de terrorismes ont repris. Ce matin, à 9h 30, au Clos-Salembier, près de la rue des Iris, un chef de chantier européen, âgé de 60 ans, a été brièvement blessé par un tueur. Cette après-midi, dans la rue de Lyon, déjà célèbre dans la annales du terrorisme, deux jeunes gens âgés de 19 ans ont également été victimes des terroristes. Le premier, un Européen, est décédé quelques instants après l’attentat tandis que le second, un Musulman, était blessé. Ces trois attentats donnent une justification aux mesures de sécurité prises par le préfet de département d’Alger et qui entrent aujourd’hui en application. Ces mesures, rappelons-le, permettent le contrôle dans tous les lieux publics et services de transport des paquets, colis ou coffins. Dans les bureaux de Poste, tout expéditeur, même d’un mandat ou d’un télégramme, doit justifier de son identité. Dans les salles de spectacles, où les entractes sont désormais supprimés, toutes les issues et les toilettes sont gardées. »

Marie Elbe, journaliste à l’Écho d’Alger et écrivain : Les attentats d’Alger, c’était quand même quand on a fait venir la 10ème DP. Ça a été de petits attentats d’abord au pistolet, la grenade et après les communistes ont éduqué le FLN sur comment préparer les bombes, il y a eu les laboratoires de bombes dans Alger puis La Bataille d’Alger s’est déclenchée. Ça a commencé avec les bombes du Milk-bar et de la Cafétéria, ça devenait dramatique, on ne savait vraiment pas comment… on sortait acheter un paquet de cigarette on pouvait se retrouver… C’était terrible je veux dire. Et puis il y en avait beaucoup, il y en avait tout le temps. Il y avait des bombes dans les cars d’enfants, il y a même eu des bombes, une nuit de Noël dans les fonds baptismaux. Rien ne justifie la torture mais rien ne justifie les bombes. Quand les gens du FLN, les terroristes ont commencé à parler on avait l’impression qu’Alger était devenue une poule couveuse de bombes. On sortait des bombes par série de 20, de 10, de 30. Les murs de la Casbah étaient dédoublés et les bombes étaient partout, partout, partout ! Et on se demande ce qui se serait passé si ces bombes avaient explosé !

Ahmed Ben Bella, chef de l’organisation spéciale du MTLD, responsable du FLN, 1er Président de la République Algérienne : Que s’est-il passé à Alger ? Tout d’un coup une idée nouvelle domine tout ? C’est la bataille des villes. Personnellement, j’ai estimé que c’était un tournant dangereux dans la révolution au niveau de la stratégie. Pour nous, une stratégie avait été établie, c’est la guerre de la guérilla, la guérilla dans les campagnes. La lutte de libération nationale endossée par les paysans, c’est les paysans qui deviennent la place historique, un peu ce qui s’est passé ailleurs, en Indochine notamment. Puis tout d’un coup, l’impression qui est que ce qu’on veut faire prendre le relai de cette action par les villes, donc changer un peu le rôle qui était donné dévolu, disons, à des catégories, à des catégories qui pour nous étaient très définies. Donc il y eu un certain embourgeoisement de la révolution, c’est la ville qui devient essentielle, c’est elle qui est essentielle, c’est là où se trouve le CCE, le Comité de coordination et d’exécution, Abane et les autres, et c’est un peu, puisque les campagnes leurs échappent, puisqu’ils ne sont pas installés dans les Wilayas, prendre le relai et dire c’est les villes qui deviennent les plus importantes. Donc, Alger, on mène différentes opérations à Alger et on perd parce que là évidemment le terrain qui était circonscrit n’était pas un terrain qui était favorable aux genres d’actions que nous avions données, à une action de libération nationale. Et la Bataille d’Alger a lieu, évidemment ce qui s’y passe, c’est extraordinaire, notre peuple y a développé des qualités absolument inouïes, notre peuple a tenu le coup mais nous avons été battus.

Extrait de l’hymen algérien, pour le chant intégral et le texte en arabe et sa traduction en français, cf.

Qassaman binnazilat ilmahiqat
Waddimaa izzakiyat ittahirat
Walbounoud illamiaat ilkhafiqat
F’ildjibal ichamikhat ichahiqat
Nahnou thorna fahayatoun aw ma maaat
Wa aqadna el’âazma an tahya aldjazair.
 
Fashhadoo ! Fashhadoo ! Fashhadoo !

Yacef Saadi : Un problème se posait au départ. Es-ce qu’il fallait laisser Alger comme un havre de paix à l’instar de Saigon, par exemple ? Moi, ma position, c’était de déclencher l’action dans les villes parce qu’un coup de pistolet dans une ville ça équivaut à une embuscade dans les maquis. Puis, il y avait les rouages administratifs, tout se déroulé ici : l’administration, les corps consulaires, les ambassades, don Alger c’était un lieu de résonance, si vous voulez. C’est à partir de cette réflexion que moi personnellement j’ai organisé tous mes réseaux.

Comment étaient organisés les réseaux dans Alger ?

Hocine Mezali, chef du réseau du renseignement de la Zone autonome d’Alger : Les réseaux c’était de type pyramidal, c’est-à-dire que vous avez un responsable qui connaît deux agents lesquels connaissent deux autres agents et ça descend comme ça. ça, c’était pour avoir un cloisonnement hermétique entre les agents. Un agent n’était en relation avec plusieurs personnes. Il était en relation avec son chef d’une façon verticale et ça suffisait. Voilà comment ça fonctionnait en général, sauf peut-être pour l’état major lui-même au plus haut niveau, là les quatre ou cinq personnes qui le dirigeaient, sous la responsabilité de Monsieur Yacef Saadi, ceux-là se connaissaient entre eux, bien qu’ils ne vivaient pas tout le temps ensemble, ils étaient dispersés, ils avaient des agents de liaison entre eux, qui véhiculaient les informations, les ordres ou les contre-ordres entre eux tous.

Tout ça, ce cloisonnement, était destiné à éviter que la torture ne permette d’arrêter tout un réseau ?

Hircine Mezali, chef du réseau du renseignement de la Zone autonome d’Alger : C’était d’abord pour éviter les infiltrations parce que n’oubliez pas que la Zone autonome d’Alger, aussi bien d’ailleurs que les autres Wilayas de combats avaient en face d’elle des services de renseignements comme SDECE, ils avaient la DST aussi, il y avait les RG, il y avait toute la police, et il y avait aussi les Européens même qui, il avaient pignon sur rue en Algérie, pouvaient avoir avec des amitiés avec les Algériens l’occasion d’infiltrer aussi les réseaux FLN. C’était une clandestinité la plus totale.

Mais pourquoi et à partir de quel moment, Yacef Saadi, on peut dire que la Bataille d’Alger a commencé ?

Yacef Saadi : La Bataille d’Alger, ça, c’est dans le langage des popotes. Le nom de batille a été prononcé par les militaires. Pourquoi ? Les militaires français étaient en quête d’une victoire. Ça faisait près de 30 ans qu’ils n’ont pas eu de victoire, il leur fallait une victoire. Ils ont été frustrés de cette victoire en 1956 lorsqu’ils sont allés en Égypte. Arrivés à Alger, ils ont manigancé tout un plan pour détruire la IVème République et prendre le pouvoir. Autrement dit, l’armée devait prendre le pouvoir.

Le 24 décembre 1956, Paul Teitgen, secrétaire général de la police en Algérie, reçoit un étonnant coup de téléphone.

« - Allo ! Ici le général Faure. Monsieur le secrétaire général, est-ce que vous pourriez me recevoir, c’est très urgent ?

- Bien ! Mon général, venez à 10h
 »

Paul Teitgen : Je reçois un très beau général, l’allure sympathique, qui me dit : je viens vous voir parce que j’ai reçu une lettre de mon fils. Il me donne la lettre de son fils, qui a été tué depuis, « Votre combat est inutile… » quelque chose comme ça, disait le fils à son père. « Ça ne peu pas durer de faire tuer les gens pour rien ! » Il commence à s’énerver, « Il faut prendre le pouvoir ! » Carrément comme ça. Je le regarde un peu étonné en me disant, il est fou ce type-là ! « Il faut prendre le pouvoir. Il faudrait le pouvoir à l’armée, c’est une évidence ! » Je me dis le type est un peu excité, il faut le calmer un peu. Je lui dis : mon général vous m’étonnez, me dire ça à moi. « Je sais que je joue ma dernière carte –dit-il sur sa lancé- mais c’est une nécessité, saisissons la carte » Il faut le calmer, je lui dis : mon général, vous êtes bien tombé, je saisis votre carte, je joue avec vous. Je veux avoir des détails, moi, à quelle heure H et quel jour J ? Qu’est-ce qu’on fait ? Avec qui ? Quels sont les responsables ? Et puis même quand on aura fait ça il faut savoir qu’est-ce qu’il y a comme répondant en Métropole parce qu’on ne prend pas le pouvoir comme ça ! Même si vous prenez le pouvoir en Algérie, la France est derrière, hein ! Réfléchissez un peu, apportez-moi le détail des opérations : qui on arrête ? Qui on remplace ? Qui prend le pouvoir ? Au nom de qui le prenez vous ? Qui c’est que vous nommerez en tant que président du pouvoir à Alger ? Il me dit : « Oui, il faut en effet que je mette ça au point. C’est incontestablement indispensable. Je reviendrai. » revenez après-demain, demain c’est Noël, ce n’est pas possible. Il me dit : « On se revoit le 26 à 9h. » Au revoir mon général ! « Monsieur le secrétaire général vous êtes bien aimable. » Il est fou ce type-là ! Je rassemble les esprits, je refais le point et je bondis au Gouvernement général prévenir Chaussade, secrétaire général du Gouvernement général, son directeur de cabinet. Au Gouvernement général je leur dis : voilà ce qui vent de se passer, ils veulent prendre le pouvoir. Il m’a d’ailleurs donné quelques noms. Oui ! En métropole il y a Pascal Arrighi, Michel Debré, etc. On prévient Lacoste qui était à Paris, on lui raconte ça et je lui dis : de toute façon, je le revois après-demain, à 9h du matin il va m’apporter tout son topo, toute son organisation du complot.

Le 26 décembre, Paul Teitgen, revoit le général Faure. À l’issue de cette entrevue, enregistrée sur magnétophone, à la demande du Gouverneur général Robert Lacoste, Paul Teitgen se rend en Métropole prévenir le Président du Conseil, Guy Mollet et le ministre de la défense, Bourgès-Maunoury. Le général Faure a été condamné à 30 jours de forteresse, et surtout la conspiration a été éclipsée par l’assassinat du président très conservateur de la Fédération des maires d’Algérie, Amédée Froger. Depuis 1956, cet assassinant a toujours été attribué à Ali La Pointe, bras doit de Yacef Saadi.

Yacef Saadi : À l’époque j’étais le responsable politico-militaire de la Zone autonome. Aucune action de cette envergure ne pouvait se faire sans que je ne sois au courant. Je peux affirmer aujourd’hui que Froger n’a jamais été tué par le FLN, pour la simple raison que j’étais à la tête de l’organisation à l’époque et l’organisation était tellement structurée qu’un attentat de cette envergure ne pouvait se décider sans mon consentement, pour mettre la voiture à disposition, les armes, le refuge pour ceux qui… et ça se passait à un moment très cruciale de notre guerre de libération nationale. C’était un climat de guerre où aucun Algérien ne pouvait circulait dans les zones européennes. Or, si j’avais fait tuer Froger, croyez-vous qu’aujourd’hui je l’aurais nié ? Non, puisque je ne nie pas les bombes que j’avais mises, je ne nie absolument pas rien, je l’aurais ajouté dans la liste de mon « palmarès », si vous voulez, de gens qui étaient contre le FLN et qu’on avait tués à l’époque. Certes, il était inscrit dans nos tablettes, il devait être abattu comme tant d’autres, mais là on n’a pas pu l’avoir, c’était un complot.

Dont l’objectif était quoi ?

Yacef Saadi : Il fallait créer les conditions pour que l’armée prenne le pouvoir. Dire aux pouvoirs civiles vous êtes incapables de maitriser la situation, nous, l’armée, on va le faire, d’où les pouvoirs spéciaux au général Massu. Donc, tout un complot, le complot du général Faure qui entre dans cette histoire-là, ça c’est certain ! Je peux vous affirmer que le FLN n’a rien à voir, je peux vous le jurer maintenant.

Paul Teitgen, Yacef Saadi prétend qu’il n’est absolument pour rien dans l’assassinat d’Amédée Froger. Selon lui, il s’agirait d’une affaire qui aurait été sans doute montée par les services français pour justifier précisément ce qui a suivi.

Paul Teitgen : personnellement, je ne suis pas opposé à cette interprétation de Yacef Saadi. Je suis d’accord avec lui. Je n’ai pas de précisions, je n’ai jamais su très bien qui a tué Froger, la police l’aurait su si elle l’avait voulu.

Cette thèse pour le moins rocambolesque pourrait néanmoins sembler confirmée par les conséquences d’un autre attentat, le 16 janvier 57 contre le nouveau commandant en chef en Algérie, le général Salan.

«  ? journaliste : Ici Alger, RTF. Tout Alger commente aujourd’hui l’attentat d’une invraisemblable audace, qui a coûté la vie au commandant Rodier, chef de cabinet du général Salan. C’est dans la soirée d’hier à 19h précise que tous ceux qui se trouvaient au centre de la ville ont entendu deux explosions, si rapprochées qu’elles paraissaient confondues. Pierre Blaise s’est immédiatement rendu avec un magnétophone place Bugeaud où se trouve la 10ème région militaire pour enregistrer les impressions d’un témoin du drame : « J’étais devant u magasin, avec un camarade, et j’ai entendu une explosion. J’ai pensé qu’il s’agissait d’une grenade mais la détonation était beaucoup plus forte. Je croyais même qu’il y avait deux détonations, il y a eu un moment d’affolement, les gens se sauvaient dans tous les sens et rentraient dans les couloirs, c’est pour a que l’on n’a pas pu réaliser immédiatement ce qui s’est passé, quoi. » Naturellement, la discrétion la plus absolue entoure l’enquête en cours. On suggérait cependant ce matin que les recherches pourraient s’orienter vers les groupes d’action du parti communiste clandestin. La participation d’un Européen de tendance communiste parait impossible aux enquêteurs. En ce qui concerne les circonstances de l’attentat, on précise cette après-midi que les camions utilisés pour lancer les roquettes dans l’immeuble de la 10ème région ont été improvisés à l’aide de deux tuyaux de descente des eaux long d’environ 1,50 mètre et un fil électrique, descendant par la cours de l’immeuble jusqu’aux étages inférieurs, a servi à déclencher cette machine infernale dont la précision s’est malheureusement révélée efficace sr une distance de plus de 60 mètres. »

En fait, l’attentat contre Salan, débouche sur l’arrestation de trois activistes algérois : René Kovacs, Michel Fechoz et Philippe Castille. Or, dans la déposition de ce dernier, il est encore question de la mort d’Amédée Froger.qui selon Castille devait servir de détonateur à un complot contre la IVème République.

« Alger le 11 février 1957,
Sûreté nationale en Algérie
Sécurité publique-sûreté urbaine d’Alger
Très secret
Objet : Complot contre la sûreté intérieure de l’État
Enquête sur l’attentat du 16 février 1957 commis contre l’hôtel de la 10ème région militaire

Le but du complot, rapporté par Kovacs, Castille et Fechoz était le suivant :

- premièrement, élimination du général Salan et son remplacement immédiat par le général Cogny avec ou sans l’accord du ministre résidant

- deuxièmement restauration à paris d’un gouvernement de salut public ou d’union nationale grâce à la neutralisation du parlement

Procès verbal, 1er février 1957
Entendu le nommé Castille Philippe qui nous déclare : « l’enterrement de Monsieur Froger aurait dû être le point de départ de ce programme. Ce qui a empêché les événements de se dérouler selon le programme prévu, c’est l’initiative du général Faure et surtout ses bavardages inconsidérés. Les incidents au cours des obsèques du président Froger auraient du être tels que l’ordre public devait être perturbé pendant plusieurs jours. La situation devenant de minute en minute de plus en plus grave le colonel Ducourneau devait conseiller fermement à Monsieur Lacoste d’appeler auprès de lui le seul homme capable de redresser la situation, le général Cogny. »

Le 7 janvier 1957 La Bataille d’Alger commence. À la suite des attentats du FLN, Robert Lacoste confie tous les pouvoirs au commandant de la 10ème division parachutiste, le général Massu.

Jacques Massu, commandant de la 10è division de parachutistes, Président du Comité de Salut Pub : Cette transmission de pouvoirs est devenue nécessaire parce qu’à ce moment-là le FLN dont la cause était discutée à l’ONU avait affirmé avec force qu’il n’était pas question qu’un million de Français puissent être traités à égalité avec dix millions de Musulmans et que ceux devaient forcément l’emporter dans la conduite des affaires algériennes. Pour appuyer leurs revendications à l’ONU, les Algériens, le FLN, les leaders de la rébellion avaient décidé une grève générale, qui causait une grande inquiétude aux pouvoirs civils d’Alger. Initialement, c’est la première mission qui m’a été donnée : faire échec à la grève, secondairement et simultanément de faire échec au terrorisme. C’étaient les deux pressions qui s’exerçaient sur les pouvoirs civils d’alors. Pourquoi ils ont pensé à l’armée ? Parce que la police ne s’en sortait, soit parce qu’elle n’avait pas assez de moyens, soit parce qu’il n’y avait pas assez de coordination entre les polices, soit parce que certains éléments de la police étaient peut-être un peu favorables aux thèses de l’indépendance. (Note complémentaire concernant la Bataille d’Alger et le point de vue du général Jacques Massu [1])

Yacef Saadi : On a déclenché une bataille politique, ce que l’on appelle « la grève de 8 jours ». Une grève e 8 jours, elle a durée 8 jours, c’était à l’occasion es débats à l’ONU sur la question algérienne. Il fallait montrer au monde entier que le FLN était le représentant authentique du peuple algérien en lutte. Il fallait démontrer ça par une grande opération politique, c’était donc « la grève de 8 jours » autrement dit « la grève des bras croisés ». Moi, j’étais à la tête de l’armée à l’époque, j’avais interdit à tous les militants de commettre ne serait-ce qu’un attentat, on a cessé toutes actions armées, et l’armée a profité de cela, je parle de la 10ème division parachutiste, avec tous les autres corps d’armée. Ils ont profité de cela pour détruire complètement le FLN en tapant dans le tas sans faire de distinction entre le paisible citoyen, le fonctionnaire, l’intellectuel, etc. D’ailleurs, on a vu des balayeurs avec des cravates, etc., en pleines rues d’Alger. Eux, ils ont donné le nom de « Bataille d’Alger », l leur fallait une victoire, ils ont gagné cette bataille.

[Musique militaire]

«  ? journaliste : Ici Alger RTF. Nous sommes au quatrième jour, c’est-à-dire à la mi-temps de la grève politique déclenchée par le FLN en Algérie. La seule constatation qu’il y ait à faire c’est que loin de s’envenimer comme on le laissait entendre, cette grève est chaque jour en très nette régression. Selon l’expression d’un quotidien d’Alger, « la grève FLN s’effiloche ». N’allons pas en déduire qu’elle a avorté car il faut encore dans beaucoup de secteurs faire appel à la troupe. C’est ainsi que l’on a pu voir ce matin des militaires circulant dans des camionnettes des PTT, relever les boîtes à lettres de quartiers. Partout dans les entreprises privées on a noté une nette reprise du travail, dans les transports aussi, dans les cafés au port. Au cours de la matinée, un hélicoptère a encore une fois déversé des milliers de tracts incitant les indécis à reprendre le travail, affirmant à nouveau que l’armée n’avait d’autre mission que de protéger la liberté du travail. L’échec de cette grève purement politique est un fait acquis. Ici Alger, à vous Paris. »

L’abbé Scotto, curé de Bab-El-Oued : Lorsque le général Massu avait ordonné de défoncer les boutiques des commerçants qui faisaient la grève, le dimanche suivant en chaire j’ai parlé. J’ai dit : mes frères, qu’est-ce qui s’est passé cette semaine ? On a donc ouvert de force les boutiques des Algériens, qui est responsable de ça ? Bien sûr, ceux qui l’ont commandé, ceux l’ont exécuté mais aussi ceux qui en ont profité pour faire quelques actes de pillage, ceux qui ont applaudi du haut de leur balcon et parmi nous, il y en a. Alors, vous comprenez, c’est une honte ! Moi, dans les jours qui ont suivis, j’ai fait le tour des magasins qui entouraient l’église et j’ai été faire des excuses à ces gens-là, en votre nom, parce que j’ai eu honte que nous ayons sali l’honneur du nom chrétien. À la sortie des messes, les commerçants m’ont dit ensuite, dans les jours qui ont suivis : mais qu’est-ce que vous leur avez dit à vos gens à la messe ? Vous savez, on a eu plusieurs qui sont venus nous dire : quand même, ce n’était pas bien ce qui a été fait, etc. et même certains nous ont offert des sommes d’argent pour réparer un peu les dommages qui avaient été causés.

Paul Teitgen, secrétaire général de la police en Algérie : Massu prend les pouvoirs, à quel titre exactement ? Le texte de l’arrêté dit que c’est les autorités militaires qui avaient les pouvoirs de la police. L’autorité militaire c’était quoi ? Tout trouffion avait les pouvoirs de police, les hiérarchies élémentaires à qui on rend compte, qui ordonne, on ne sait pas ! On lâche 4 000 parachutistes dans ce qui n’est pas leur affaire, c’est comme ça qu’on entre dans l’engrenage grave - avec les pouvoirs de police. On organise bien un système, dans lequel il y a les échelons, on rend compte au colonel qui rend compte à, à qui ? À moi. Parce que quand on arrête quelqu’un j’avais exigé que le pouvoir d’assignation à résidence cela soit moi qui le garde. Ils feront ce qu’ils veulent, je voulais savoir qui ils arrêtent. Ils arrêtaient quelqu’un ils doivent me demander une assignation à résidence. J’assignais Monsieur Mohamed Ben machin à l’endroit où ils le détenaient. Ils détenaient dans une cave, j’assignais dans l’immeuble machin où était la sous-section… Pour tous les régiments de parachutistes c’était comme ça, j’assignais tout le monde. Envoyez-les moi, assignation automatique, ceci n’avait aucun résultat, je me disais, tiens une comptabilité, je sais qui ils ont entre les mains.

Germaine Tillion : La Grande erreur, la stupidité criminelle dans la Guerre d’Algérie, a été le fait de donner les pouvoirs de police à l’armée. Ça, c’était une stupidité criminelle. Et cette stupidité criminelle, les deux vrais responsables c’est Lacoste, représentant le pouvoir civil, et Salan représentant le pouvoir militaire. Au-dessous de Salan, le général qui commandait dans la région d’Alger, c’était un général qui s’appelait Allard. Au-dessous d’Allard il y avait Massu et au-dessus de Massu il y avait toute une série de colonels. Je suis d’ailleurs persuadé, je ne sais pas pourquoi c’est Massu qui a endossé aux yeux de l’opinion publique française la totalité de la responsabilité de la torture, comme phénomène général. Et au fond, il l’a assumé. Il l’a assumé certainement avec répugnance, et certainement parce qu’il a été commotionné par les attentats terroristes. Or, ces attentats terroristes ont, eux-mêmes, été déclenchés par les exécutions capitales. Et les exécutions capitales, la responsabilité en revient essentiellement au pouvoir civil, c’est-à-dire au Président de la République qui n’accordait pas les grâces et aux groupes de pression des Français d’Algérie, qui interdisaient au Président de la République d’accorder ses grâces. C’était eux qui venaient dire au Président Cotty : si vous graciez untel, on ne répond plus de l’ordre à Alger. S’il y avait eu un homme énergique et lucide à la place de Cotty, il aurait dit non. (Note complémentaire, [2])

En quelques semaines, les 4600 paras de Massu et des colonels Jean-Pierre Meyer Fossey-François et Bigeard ont réussi à briser « la grève des 8 jours », à découvrir l’organigramme des réseaux terroristes de Yacef Saadi, à contraindre la direction du FLN à quitter à Alger et à arrêter un de ses chefs historique, Ben M’Hidi. Yacef Saadi reste introuvable et au début de l’été 57 les attentats reprennent de plus belle.

Marie Elbe, journaliste à l’Écho d’Alger et écrivain : Les attentats les plus meurtriers de cette période ça s’est passé à la fin de cette période. Ça s’est passé le 3 juin, il y a eu les attentats des lampadaires, à des heures très précises, qui étaient l’heure des orties des bureaux et sur une voie où les tramways étaient pris d’assaut par la foule des petits Pieds-noirs de la catégorie moyenne qui rentraient chez eux, les ouvriers, les petits fonctionnaires, les choses comme ça, les bombes étaient réglées pour exploser à 6h 10, c’est-à-dire l’heure où vraiment c’est la foule qui prend les tramways d’assaut. Alors-là ces bombes ont explosé dans la fente et cela a fait « shrapnel », et là il y a eu un véritable massacre. C’était le 3 juin et le 11 juin ça a été le Casino de la Corniche qui a était alors là… Je crois qu’il y avait deux kilos d’explosifs, je ne sais plus ce que c’était. Je sais que les trucs, c’étaient des fulminate de mercure, c’étaient les amorces des bombes, je ne sais pas ce que c’étaient les bombes. Mais enfin, ça a été épouvantable. Ça s’est passé un dimanche. Ce Casino de la Corniche était fréquenté par toute la jeunesse de Bab-El-Oued, qui allait danser au bord de la mer. Pour elle ce Casino avec ses grands lustres, ça faisait un peu cinéma. Le chef d’orchestre de la Corniche qui s’appelait en réalité Lucien Serror, qui se faisait appeler Lucky Starway, il disait toujours je suis la chance sur le chemin des étoiles, c’était un homme qui faisait près de 2 mètres de haut, qui était un merveilleux saxophoniste, qui était un type épatant et qui avait son orchestre là, la bombe était placée sous lui. On n’a rien trouvé de Lucien Serror. Moi, quand je suis arrivée au Casino de la Corniche, avec mes confrères journalistes, le Casino était en sang et il y avait au milieu de la salle du Casino une grande nappe blanche, et sur cette nappe, je reverrai toujours, un pied et un sexe d’homme. On a reconnu le pied parce que le Lucky Starway devait faire du 45. Il avait un pied immense, il faisait près de 2 mètres. C’est tout ce qui est resté de cet homme. Je crois que le pied a été retrouvé sur la plage, 300 mètres plus bas parce que c’était sur une falaise, le Casino. C’est vous dire la violence de ce que ça a été. Je crois qu’il y a eu là 15 amputations de jeunes filles et de jeunes gens de 18-20 ans.

Jacques Massu : J’étais en train de me reposer à Bains Romains, sur une plage, où j’avais installé un foyer de convalescence pour les malades et pour les blessés surtout quand l’opération était possible, quand j’ai été prévenu de cette explosion. Je me suis précipité avec le colonel Brothier qui était mon voisin, j’ai fait demander le premier régiment étranger parachutiste à Zéralda, nous sommes arrivés ensemble, on a vu le carnage épouvantable. C’était le plongeur du restaurant de la Corniche qui avait placé une bombe sous l’estrade où se trouvaient les musiciens, causant évidemment un nombre de victimes considérable. C’est une illustration des moyens qu’employait le FLN pour mettre la population de son côté.

Marie Elbe, journaliste à l’Écho d’Alger et écrivain : C’est à la suite de cette tragédie de la corniche, qui est une véritable tragédie, que s’est déclenchée une des plus mémorables ratonnades.

 » ? journaliste : Il est encore trop tôt pour connaître le bilan exact des incidents déplorables mais faciles à expliquer qui ont marqué les obsèques de cinq des jeunes victimes de l’attentat à la bombe du Casino de la Corniche. Il faut savoir que les trois jeunes filles et les deux jeunes gens qui ont été enterrés aujourd’hui au cimetière de Saint Eugène faisaient partie de la génération de moins de 30 ans à Alger où tout le monde se connaît et se rencontre fréquemment. C’est ainsi que parmi les victimes se trouvaient deux jeunes gens Collette Matcha et Paul Perez qui devaient se fiancer officiellement la semaine prochaine. C’est donc la jeunesse d’Alger tout entière qui s’est trouvé meurtrie par la bombe de l’assassin. C’est aussi la colère des jeunes, venus en grande partie des rues populaires de Bab-El-Oued, qui a éclaté cette après-midi, après 14h, au moment où les convois funèbres se dirigeaient presque simultanément vers le cimetière de Saint Eugène qui se trouve à la sortie du faubourg et à proximité d’un quartier où de nombreux commerçants musulmans possèdent des boutiques d’épiceries et des cafés maures et dans des ruelles étroites pouvaient favoriser le désordre. Des camions conduits par des Musulmans ont été arrêtés et dans la foule rendue furieuse par les réactions d’un chauffeur qui brandissait un fusil de chasse, deux coups de révolver furent tirés. Le chauffeur d’un camion de bouteilles fut tué et peut après le conducteur musulman d’une voiture fut bousculer par-dessus le parapet en bordure de la mer. »

Marie Elbe, journaliste à l’Écho d’Alger et écrivain : On avait peu parce qu’on s’est dit que les obsèques de ces gens-là ça va se terminer d’une façon épouvantable ! Et c’était évident que ça allait se terminer de façon épouvantable. Alors, une ratonnade à Bab-El-Oued, c’était horrible. Et ça, ça a été très mauvais pour les Français d’Algérie parce qu’il n’y a pas de journalistes en temps creux, une bombe éclate comme à la Corniche, immédiatement la presse rameute, les avions arrivaient pleins de journalistes à Alger qui assistaient à quoi ? Ils n’avaient pas assistés à la bombe mais ils assistaient à la ratonnade. En fait, moi, je considère que la ratonnade était un crime passionnel. C’était un crime passionnel. C’était pourquoi est-ce que vous ne pouvez pas nous voir ? Pourquoi est-ce que vous nous avez fait ça ? C’était ça. Ce n’était pas du tout, du tout, du tout, du tout, un truc raciste. Enfin, moi, c’est mon point de vue. J’ai toujours vu dans les ratonnades en Algérie des Pieds-noirs essayer de sauver les Arabes.

Hymne algérien : : Je ne reprend pas la transcription ici, à écouter et à lire, en arabe, en français et en phonétique, cf. lien

notes bas page

[1cf. sur ce site l’interview exclusive accordée par Jacques Massu à Marc Schindler, de la Radio télévision suisse, après la publication de son livre dans lequel il expose sa version de l’histoire et où il se justifie. Il explique pourquoi il a autorisé et couvert l’emploi de la torture, comment ses parachutistes ont quadrillé Alger, etc.

[2Pour situer Germaine Tillion, et plus particulièrement sa connaissance et son implication des événements d’Algérie avant et après la Guerre d’Algérie, voir cinq entretiens d’« À voix nue » avec Germaine Tillion, diffusés en janvier 1997, et rediffusés en avril 2008 dans un programme de France Culture en hommage à Germaine Tillion, décédée le samedi 19 avril 2008