Le 29 septembre 2013, s’est tenu pour la première fois en cette année le conseil des ministres sous l’autorité du chef de l’État. L’accomplissement de cet acte est plus destiné à rassurer l’opinion publique que réellement à faire marcher les affaires de l’État. Les apparences sont sauves et, la réalité, cruelle. La photo du Conseil avec des ministres debout et un chef de l’État assis dans un fauteuil est plus parlante que tout autre chose. Image dévastatrice qui produit l’inverse de l’effet recherché. Le chef de l’État s’est exécuté en direct, devant de millions d’Algériens découvrant leur président de la République impotent, dans une posture pour le moins inconfortable, en tout cas indigne du rang et de la fonction qu’incarne le personnage. Est-ce la première fois ? Non ! L’irrespect à l’égard de la fonction présidentielle, incarnant l’État, représentation juridique et métaphysique du peuple, a été déjà dévoyée et violée lors du congrès de Tripoli lorsque Ben Bella s’en était pris vulgairement à Benkhedda, président en exercice du Gpra (Gouvernement provisoire de la république algérienne). Un précédent est créé au moment même où l’Algérie entrait de plain-pied dans le concert des nations. Est-ce que cela, à l’instar de plusieurs tares, s’est définitivement mué en normes de fonctionnement étatiques ? Tout le donne à croire au regard de la dernière scène que nous avons contemplée dans un mélange de désolation et d’invraisemblance.
Discréditant les institutions, violant la lettre et l’esprit de la loi fondamentale, alors qu’il est censé en être le gardien, Bouteflika désacralise la fonction présidentielle et amoindrit sa stature. C’est un exercice extrêmement périlleux qui, en fin de compte, mine sournoisement l’idée même de l’État. Et Dieu sait la fragilité de celui-ci dans un monde en ébullition et en pleine mutation.
Nonobstant le caractère anti-démocratique de l’exercice du pouvoir par Bouteflika, consacré comme ses prédécesseurs (Benbella, Boumediene, Bendjedid. Avec Bouteflika, cela fera les quatre B) par un simulacre d’élections, sa volonté de se maintenir au pouvoir quoi qu’il en coûte pose un problème d’éthique publique. On ne peut pas faire de politique sans un minimum de morale. Et celle-ci ainsi que la raison plaident pour la continuité de l’État et non en faveur, dans tous les cas, de l’exercice du pouvoir au nom de l’État. Bouteflika, aveuglé par un égo surdimensionné, aidé en cela par un régime autocratique, privilégie le dernier terme de cette équation. Décidément, le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument. Nous y sommes.
La volonté de Bouteflika à vouloir régner et gouverner jusqu’à la fin de sa vie est claire au risque de faire s’affaisser les institutions et de diminuer de sa personnalité eu égard à la dignité de la fonction qu’il représente. Mais l’image qu’il revoie de lui-même et de ce qu’il représente est d’abord accablante à son égard. A telle enseigne que l’on se demande si l’explication politique à elle seule suffit à expliquer cet acharnement à demeurer en poste. A force d’aimer le pouvoir et de vouloir se faire aimer à travers cet exercice, est ce que finalement il ne se déteste pas ? C’est peut-être dans la psyché de l’individu qu’il faut chercher les raisons de cette démarche, à bien des égards, suicidaire. Dans leur magistral livre : « Ces malades qui nous gouvernent », Pierre Accoce et Pierre Rentchnick ont essayé d’établir un lien de cause à effet entre l’amour démesuré du pouvoir et le déséquilibre psychoaffectif de celui qui l’exerce et également les dangers que peuvent susciter des décisions prises ou non prises par une personne diminuée physiquement et psychiquement.
Pour l’instant, le pouvoir uni autour du chef de l’Etat est persuadé d’être sur le bon chemin en apparaissant comme un État stable à telle enseigne que les protagonistes de la crise tunisienne cherchent son intermédiation. Vendre l’idée de cette stabilité peut aussi amener en interne d’autres acteurs à soutenir le régime, tel est semble-t-il la voie qu’a choisie le FFS (front des forces historiques) depuis déjà les dernières élections législatives. La lettre publique adressée par le nouveau chef du FLN, ex-parti unique, à Hocine Aït Ahmed, chef historique du vieux parti de l’opposition, n’est que la face visible de l’iceberg. Le pouvoir issu du parti unique n’admet jamais la rivalité mais la soumission. Il phagocyte un par un, de gré ou de force, les potentiels concurrents.
Alors que le spectacle affligeant du symbole de l’État, réduit à la paralysie à travers le fauteuil roulant, est insoutenable, on s’achemine d’une certaine façon à une vie politique asthénique. Dans le panorama de préparatifs d’un nouveau bricolage électoral, où l’acteur le plus important – le peuple -s’est exclu de lui-même comme si les affaires de l’État ne sont pas les siennes eu égard au trucage des différents scrutins, le chantier le plus important est de construire une opposition capable de dépasser les contradictions qui ont mené à l’échec de n’avoir pas pu instaurer une alternative. Il est décisif dans cette perspective de compter sur la dynamique de la société que d’attendre l’aiguisement des confrontations au sein du système.
Tarik MIRA, Député honoraire.