Introduction : Bonjour. « Sur les docks », l’heure du documentaire sur France culture. Quatrième volet de la série, Rendre la culture au peuple : 50 ans de politique culturelle française En 1973, François Mitterrand est président de la république. Alternance oblige, Édouard Balladur succède à Pierre Bérégovoy. C’est la deuxième cohabitation gauche-droite qui s’achève avec l’élection, en mai 95, de Jacques Chirac à la présidence de la république. Alain Juppé est premier ministre. Dissolution de l’Assemblée nationale en 97, défaite de la droite, Lionel Jospin est nommé, premier ministre. C’est la troisième cohabitation gauche-droite de la Ve République. Pendant ce temps, l’État délègue une partie de ses pouvoirs aux régions. C’est l’heure de l’exception culturelle, de la fracture sociale, des premiers effets de la révolution numérique et de la mondialisation de l’économie. Toute de suite, un documentaire de Martin Quenehen et Philippe Rouy, intitulé, Les années 1990 : la culture, le maire et la mondialisation (1993-2002).
Reporter : Les années 90 voient le triomphe de la mondialisation de l’économie. La politique culturelle française, se retrouve alors en première ligne préférant le costume de d’Artagnan à celui d’Adam. En 1993, lors du cycle l’Uruguay round du GAT, le ministre de la culture, Jacques Toubon, dénonce un mode de vie sous influence américaine. A l’échelle nationale, les années 90 sonnent en revanche le glas d’une politique culturelle sous influence parisienne. Aux termes de 30 ans de décentralisation, les collectivités locales et notamment les communes, sont devenues les principaux décideurs de l’action culturelle. Quant aux banlieues françaises, en proie aux émeutes urbaines, elles semblent échapper à tout contrôle. La culture apparaît alors comme une aiguille pour repriser le tissu social, ou au pire administrer un calmant. Aujourd’hui, les enfants des banlieues revendiquent la reconnaissance de la diversité culturelle, en écho aux combats planétaires d’alors, pour l’exception culturelle.
Jacques Toubon, ministre de la culture : Dans le passé, je dirais qu’on a réussit, incontestablement, la bataille de l’exception culturelle. Et, lorsqu’on voit au mois de décembre dernier, la Commission européenne, tous les 25 États de l’Union européenne, signer, avec beaucoup d’éclats, la Convention mondiale sur la diversité culturelle, la Convention de l’UNESCO, on se rend compte du chemin nous avons accompli, depuis qu’en 1993-1994, nous avons du, et moi-même au ministère de la culture, puis Juppé au Quai d’Orsay, Balladur qui était premier ministre etc., batailler très, très fort, pour obtenir que la majorité des états membres, qui étaient à l’époque, l’Allemagne, l’Angleterre etc., nous suivent dans la négociation du GAT, à l’époque, c’est-à-dire les accords du commerce international, pour faire prévaloir le fait que la culture n’était pas une marchandise comme une autre, donc qu’elle ne serait pas soumise au régime de libéralisation, de privatisation des autres services dans le commerces internationales.
Régis Debré : La question est de savoir si on va avoir des producteurs d’images qui seront les États-Unis, puis des conservateurs d’images qui seront le reste du Monde. Alors, est-ce qu’on va se mettre d’accord pour une division du travail de ce genre ? Donc, la question est de savoir si l’Europe est un truc complètement passif, amorphe, qui va ouvrir la bouche puis descendront d’Hollywood toutes les images et les sons, ou si on sera encore membre de l’orchestre.
Alain Tanner : Moi, j’ai l’impression que le cinéma, celui qu’on a aimé, celui qu’on a essayé de faire etc., le cinéma d’auteur, tout ça, ne passera pas le cap, si ça continue comme ça.
Alain Cavalier, cinéaste : L’exception culturelle, pour moi, c’était le bien culturel qui n’est pas à traiter comme un bien normal. C’est la France qui est une terre d’équilibre, le cul entre deux chaises, c’est-à-dire entre le pouvoir public et le pouvoir privé, et comme ils sont à peu près à 50-50, j’ai vu s’agrandir, mon père m’en parlait et un jour il m’a dit : Ça y est, la France est partagée en 2, le privé et le public et donc automatiquement ils vont se mélanger. L’un va soutenir l’autre et il va y avoir, avant c’était très séparé, les fonctionnaires étaient des gens qui n’avaient pas de rapport avec le privé, maintenant ils passent de l’un à l’autre même. Donc, c’est ça que j’appelle une sorte d’exception culturelle. C’est-à-dire que c’est une façon de vivre le monde qui n’est pas régie par une seule règle, qui est la règle du bénéfice. Mais la règle du bénéfice recouvre en même temps, une sorte aussi, quelquefois, de règle de l’excellence. C’est-à-dire qu’on fait du bénéfice avec des choses quelquefois qui sont extrêmement bienvenues. Je ne vais pas me mêler de comparer les deux systèmes mais l’exception culturelle, je l’ai vécue. L’exception culturelle mes films en sont imprégnés, certains de mes films n’existent que par l’exception culturelle.
Assemblée nationale, 1997 : Oui, merci, Monsieur le président. Ma question s’adresse à Madame Trautmann, ministre de la culture. En effet, hier soir, au Luxembourg, les 15 européens n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur ce qu’on peut appeler, la défense de la diversité culturelle. Or, nous savons, tous, chers collègues, que bien entendu, depuis les accords de Marrakech, s’il n’y a pas dans l’OMC, de clause d’exception culturelle, la puissance industrielle américaine risque de déferler en Europe, comme on le voit d’ailleurs par la prolifération des salles de cinéma multiplexes, ou encore évidemment à partir de demain, et même d’aujourd’hui, par le déchainement commercial autour du film « StarWars ». Ma question pourrait-être d’ailleurs, Madame la ministre, la force est-elle avec vous ?
Reporter : La bataille pour la défense de l’exception culturelle fait rage tout au long des années 90. En 98, lors des négociations avec l’OCDE, autour de l’accord multilatéral sur l’investissement, l’AMI, le gouvernement Jospin choisi de faire obstacle à l’inclusion dans l’accord d’un volet culturel et refuse de participer aux négociations. Mais au-delà de sa dimension politique, la mondialisation de la culture pose également la question de l’adaptation des artistes Français sur la scène internationale.
Pierre Boulez, compositeur et chef d’orchestre : Les cultures, je sais bien que l’on parle de mondialisation tout le temps maintenant, dès qu’on parle un peu d’universalité on va verser dans le côté économie dispendieuse, ou délocalisation, etc. Non, moi, je ne me place pas de ce point de vue là, mais du côté où une institution n’existe vraiment que si elle a des rapports internationaux, dans le sens ou bien sûr les gens sont invités chez nous, mais nous sommes invités aussi à l’étranger. Il n’y a pas seulement nos invitations mais il y a des échanges. Et des échanges qui sont très intéressants. Par exemple, nous avons une Académie de musique contemporaine et on nous a demandé justement de nous occuper de cette Académie de musique contemporaine parce que nous avons des références, des références aussi bien de la qualité que du point de vue des artistes. On sait très bien que nous ne sommes pas exclusivement Français, mais que nous avons ouvert nos fenêtres et nos portes sur tout l’univers international que nous pouvons joindre. Mais ça, c’est un phénomène que j’ai ressenti aussi à cause de ma génération. Je pense qu’une partie de mon adolescence s’est passée dans des frontières extrêmement fermées, puisque c’était le temps de la guerre, entre 39 et 45, et je crois que la première réaction, aussi bien des jeunes Allemands, des jeunes Italiens que des jeunes Français à ce moment-là, ou de quelques jeunes Français en tout cas, ça a été de connaître ce que fait le voisin parce qu’il n’y avait aucun lien, aucune possibilité même de voyager. Quand on parle de ça, on dirait qu’on parle d’une époque antédiluvienne, malgré tout ce n’est pas si loin. On sent que, par exemple, ce qui nous rassemblait, des compositeurs comme Berio, Nono, Stockhausen, Ligeti, Kargel, c’était vraiment de se connaître les uns et les autres et de savoir ce que l’Europe faisait. Ça, je crois, était extrêmement important. Ça s’est étendu aux États-Unis car il y a eu aussi des liens. Je sais, par exemple, que quand on a fondé l’IRCAM, pour toute la technologie, nous avons eu recourt à des américains de Sandford qui nous ont accueilli à bras ouverts. Ils nous ont beaucoup aidés pour implanter l’IRCAM dans un terrain stable et sûr. Je pense que des institutions comme l’ensemble inter contemporain, ou comme l’IRCAM ne peuvent vivre vraiment, ne peuvent s’enrichir que s’il y a un point de vue international. Voyez-vous, toutes ces institutions sont nées internationalement. Ça ne signifie pas que la culture est un espace anonyme, dans un anonymat international mais elle s’enrichit au contact de cultures différentes.
Pierrick Sorin, vidéaste : La relation que je peux voir entre mon travail et le phénomène, entre guillemets, de mondialisation ce serait un certain abandon du langage parlé. J’ai fais, au départ, des choses où je parlais, où je parlais même volontairement mal, - c’est un travail sur le langage mais assez précis, puisque je me forçais à faire un peu des écarts de langage pour que ce soit plus drôle, ou pour que ça révèle une certaine incapacité de l’humain à gérer sa vie- mais c’est vrai qu’à partir du moment où on m’a proposé d’exposer dans des pays asiatiques, ou anglophones, je n’ai pas voulu me mettre à apprendre à parler japonais, donc j’ai plutôt préféré faire des œuvres muettes ce qui n’est pas en contradiction avec mon travail puisque j’étais plutôt influencé par le cinéma muet, donc tout allait bien, mais il n’empêche qu’à travers ça, il y a quand même eu une déperdition du sens, que je regrette un peu, c’est pour ça que dans les prochains projets que j’ai c’est plus des projets vers le cinéma avec un retour à beaucoup d’écritures et de paroles. Donc, pour moi, c’est ça. Mais est-ce que c’est une conséquence de la mondialisation ? Non, c’est plus une conséquence de l’internationalisation de mon travail. Tout ça, c’est un petit peu lié puisque si j’ai exposé au Japon, c’est aussi parce que j’étais soutenu par le groupe Cartier qui avait des intérêts à montrer des artistes au Japon, pour des questions économiques derrières. Alors, oui, je trouve ça, en partie, appauvrissant de devenir trop international en termes de contenu du travail puisqu’on a forcément envie de simplifier pour que ça puisse voyager beaucoup plus facilement.
Mathilde Monnier, danseuse et chorégraphe : Beaucoup d’artistes aujourd’hui sont Européens. Une des grandes difficultés de la façon dont le travail a évolué aujourd’hui chez les danseurs, sans doute chez les artistes plasticiens aussi, chez les vidéastes, c’est une extrême flexibilité. Ça veut dire quoi la flexibilité ? Ça veut dire que les artistes travaillent 2 semaines ici, à Berlin, puis ils sont invités 3 semaines à Anvers, peut-être après 10 jours à Paris, le lendemain ils partent pour 5 jours à Vienne, puis vous le retrouvez, je ne sais pas, en Croatie, à Zagreb, ou je ne sais où, pendant 4 jours. Et c’est ça toute l’année. C’est-à-dire qu’aujourd’hui, les gens n’ont plus 3 mois de résidence dans un lieu, ils ont 4 jours de résidence, ou 5 jours de résidence parce qu’il y a beaucoup moins d’argent. Donc, ils voyagent tout le temps, ils ont leur valise tout le temps et ça devient une espèce de relation artistique avec la valise. Tout est dans une sorte de valise et tout le spectacle doit être là-dedans.
Reporter : Dans les années 90, la majorité des artistes Français ne chantent plus, « J’ai ma valise à Paris », soit parce qu’ils voyagent autour du monde, mais plus sûrement parce qu’ils ont trouvé un port d’attache ailleurs sur le territoire nationale. Le mot hideux de province a ainsi, comme le souhaitait Malraux, presque disparu au profit de région. Aux termes de plus de 30 ans de déconcentration, et d’une décentralisation artistique, initiée par Jeanne Laurent, pour le théâtre, dans l’immédiate après guerre, la culture se conjugue en effet dans les années 90 à l’échelle locale. Mais ce sont d’abord les villes qui conduisent la politique culturelle, notamment en on finançant une large part. Aussi, nombreux sont les artistes qui ont définitivement posés leurs baluchons loin de a capitale, comme Mathilde Monnier, à Montpellier.
Mathilde Monnier : Moi, j’ai été nommée au Centre chorégraphique en 94, juste avant la mise en place de la décentralisation. Ça c’est fait vraiment à cette époque-là. Je n’ai pas les dates exactes, mais on est dedans. J’ai aussi participé à réfléchir avec différentes structures, les gens du ministère, sur ce que ça voulait dire. C’est vrai qu’au départ, ça nous faisait très peur parce qu’on avait l’impression d’être abandonné par le ministère de la culture, ce qui n’est pas tout à fait vrai. On avait l’impression aussi qu’au fin fond de la province on allait nous oublier. Ça, c’est aussi un défi artistique, c’est autre chose, mais un défi artistique à relever. En même temps, je me rends compte qu’il y a une espèce d’équilibre. Tout n’est pas positif, il faut voir comment ça évolue maintenant, mais il y a une espèce d’équilibre qui s’est trouvé parce que le dialogue avec les partenaires régionaux a plus de poids. Il existe véritablement alors qu’avant c’était quand même une sorte de façade. Le ministère décidait des nominations. Moi, je suis arrivée à un moment où les villes commençaient vraiment à avoir un certain poids dans leur parole, dans leur choix, on ne prenait pas de décisions pour certaines villes et certains régions, donc à un moment où il fallait vraiment dialoguer avec les élus. Moi, j’ai eu beaucoup de chance parce qu’à Montpellier, Georges Frêche était entouré, est toujours mais c’est un peu une autre équipe, de gens qui aimaient la danse, connaissaient la danse et la défendaient. Donc, j’ai tout de suite eu un dialogue assez fin, je dirais, avec eux.
Philippe Urfalino, sociologue : Qu’est-ce que ça veut dire la municipalisation ? C’est que la ville, les villes sont devenues le point d’articulation central entre périphérie et centre. Le rapport dominant entre la province est Paris est devenu un rapport entre des villes, y compris moyennes, et Paris, et plus le département ou la région. La région, ça n’a jamais été le cas, mais disons le département, le préfet, etc. Parler de municipalisation, dans mon sens, c’est dire que les villes deviennent de plus en plus le porteur de politiques culturelles et les interlocuteurs de l’État. Et c’est un mouvement qui est achevé dès 81. Je crois que c’est en 1980 qu’on a les premières statistiques sur les différences culturelles des communes et dès 81, les communes dépensent 50% de la dépense publique en faveur de la culture. Quand on comptabilise État, y compris d’autres ministères que le ministère des affaires culturelles, départements, régions et villes, les communes, c’est 50% Donc, c’est déjà fait. Ce qui n’était pas le cas avant, sauf certaines grandes villes, parce que dans les villes il y avait la bibliothèque, le théâtre, le conservatoire, les institutions étaient un petit peu des belles endormies. Tout ça se réveille progressivement dans les villes de droite, comme de gauche, à partir de 65, tout simplement parce que les villes deviennent de plus en plus importantes et produisent de plus en plus de services à la population. Avec les élections de 71, puis de 77, la culture est mise en avant, sont créés les services culturels municipaux, les budgets culturels se dissocient peu à peu des budgets sportifs, des budgets des loisirs et deviennent de plus en plus importants. Donc, c’est ça que j’entends par municipalisation et on est toujours dans ce cadre là. C’est-à-dire que les principaux dépenseurs publics dans le domaine de la culture sont l’État, le ministère des affaires culturelles et les communes.
Jacques Toubon : J’ai fait des grands projets régionaux qui avaient pour objet de contrebalancer les grands travaux présidentiels qui s’étaient tous faits à Paris, sous l’ère Mitterrand. Deux ou trois, ce sont faits. Les deux plus spectaculaires, je dirais, c’est l’Auditorium de Dijon qui fait qu’aujourd’hui on a probablement la plus belle salle de musique française au cœur de la Bourgogne, et le centre national du Costume, qui a été inauguré, l’année dernière, à Moulin. Mais c’est un programme qui n’a malheureusement pas été tenu comme je le souhaitais.
François Benhamou, économiste : Ce sont les villes qui financent la culture, bien avant le ministère de la culture, surtout si l’on prend en compte le fait que dans budget du ministère de la culture il y a une bonne part qui part vers les établissements nationaux qui sont en grande partie parisiens. En fait, la culture est avant tout soutenue par les villes mais ça, je crois, que c’est extrêmement positif. Je crois que ça va dans le sens d’une clarification de ce que doivent faire les uns et les autres. La décentralisation culturelle existe véritablement. On peut rajouter quelques couches à la décentralisation, mais en gros elle est faite. La difficulté est double. La première est que les villes, mais aussi les régions et les départements, sont aujourd’hui un petit peu écrasés par les missions qui sont les leurs, parce que la décentralisation n’a pas touchée que la culture. Et, deuxième élément qui est un petit peu inquiétant, c’est que c’est vrai qu’on rapprochant celui qui finance la culture des citoyens, ça c’était une bonne chose, mais en même temps, c’est vrai qu’on met sous dépendance la culture, sous dépendance directe des politiques, des politiques notamment régionaux, départementaux, etc. Et on a vu un certain nombre de dérives, soit quand le Front national est arrivé à la tête de certaines communes, ou encore quand, par exemple, Georges Frêche a des idées un petit peu loufoques sur la politique qui le conduisent à considérer que certaines subventions sont justifiées, d’autres non, avec des considérants qui échappent au plus grand nombre.
Pierrick Sorin : C’est important même psychologiquement pour les artistes de savoir qu’ils sont dans une ville où il y a des potentialités d’intervention en rapport avec la population locale, de sentir qu’ils ne sont pas trop isolés, et que ce n’est pas forcément en allant à Paris qu’on va leur montrer des choses. En même temps, on sait bien que ça sert souvent des intérêts strictement politiques, mais ça, ce n’est pas très, très grave parce que c’est la ruse de la raison. On fait les choses pour un certain type d’intérêts mais il y a transcendance, ça va quand même apporter quelque chose au public et aux artistes. Les gens qui disent, c’est de la récupération quand les artistes font des événements à ce moment-là, on ne fait grand chose.
Marc Bélit, directeur de la scène nationale : La difficulté avec la décentralisation, c’est que les interlocuteurs sont incompétents. On a vu bien souvent de nouvelles administrations arrivées, de nouvelles équipes arrivées avec des gens totalement incompétents et qui vous font passer leurs lubies pour des préconisations publiques. Là, c’est un vrai problème. En même temps, c’est la démocratie. On change les têtes. L’idée d’une permanence, d’une porosité de l’administration publique, entre les collectivités territoriales et l’État serait une priorité, de sorte qu’il y ait toujours plus ou moins de gens formés dans les administrations. On a trop vu d’adjoints à la culture, de responsables culturels, de présidents de commissions culturelles incompétentes, ou lunatiques régnaient, avec des moyens importants, sur des politiques publiques. Et, on a trop vu de commissions d’élus se saisir des dossiers culturels, sur la table, le jour de la réunion, sans les avoir lus et voter par comportement d’obéissance politique, ou par lubies,… Je ne fais pas un tableau uniquement noir, il y a heureusement beaucoup de cas, notamment dans les grandes villes, une certaine continuité, une certaine permanence d’une administration et de gens compétents à mener de grandes politiques publiques. Il y a de très grandes villes en France qui ont cette tradition là. Depuis les années 70, par exemple, une ville comme Grenoble, avait largement cette tradition. On l’a vu dans d’autres villes, à Lyon, à Lilles… Je ne veux être désobligeant avec personne, mais on a vu aussi beaucoup de villes se trouver tout d’un coup en conflit, ou démunies, ou mal orientées. La qualité à la fois des élus et des personnels publics est une des conditions de réussite des politiques culturelles. A ce titre là, l’État pourrait être dégagé de beaucoup de responsabilités, dont il n’a rien à faire, et remis sur ses axes essentiels.
Pierrick Sorin : Moi, j’ai eu une expérience très récente à Nantes, pour l’inauguration d’une sorte de ligne de bus, tramway, enfin, bref, où on m’a demandé de faire quelque chose. Et j’ai crée un événement en direct, pendant 3 jours, dans la ville où on proposait de venir se faire photographier, par moi, puis ils étaient intégrés en direct dans un film sur multi écrans. Enfin, tout un truc un petit peu complexe d’un point de vue technique, mais dont le résultat était très simple, d’un point de vue de la lecture. Ça, ça a été très, très positif parce que ça a été très, très bien reçu. Les gens ont pris ça comme une sorte d’animation un peu foraine, mais peut-être que sur 3 à 5 000 personnes qui ont vu ça, il y en a qui ont été après voir sur Internet qui était Pierrick Sorin, et ça leur aura peut être ouvert des choses. Par contre, il y a eu des choses qui ont moins bien fonctionné. A Lyon, par exemple, j’avais installé des choses dans des arrêts de tramway, et c’est vrai qu’a priori il y a eu des destructions très rapides des éléments techniques des petits films en reliefs dans des boîtes. Je crois que du coup tout a été mis aux placards. Donc, il y a eu un certain nombre d’engagements financiers qui n’ont servi à rien du tout.
Pierre Bongiovanni, vidéaste : A cette époque-là personne, je dis bien personne, au ministère de la culture n’avait la moindre idée sur ce qu’on pouvait entendre par culture numérique, ou par art numérique. Aujourd’hui, c’est tout à fait différent. Tout le monde a une idée là-dessus. Donc, le panorama a complètement changé. Quand j’ai crée le Centre international de la création vidéo, l’idée était : puisque l’armée avait des laboratoires, puisque l’industrie pharmaceutique avait des laboratoires, ce serait bien que la télévision ait un laboratoire. Et donc, on va créer un laboratoire de télévision, et on va changer la télévision. Vous avez pu constater que notre faillite est totale. En tout cas la télévision n’a pas changé dans le sens où on pouvait espérer qu’elle change à l’époque. Comment se fait-il, dans ces conditions que des collectivités, une région, des départements nous aient soutenues ? Eh bien, c’est un miracle. D’ailleurs il aura fallu attendre 15 ans pour comprendre que c’était une anomalie, et pour y mettre fin. C’est un pur miracle. Je n’ai pas d’explication rationnelle si ce n’est que quelques hommes politiques ont défendu mordicus ce pari, considérant à l’époque, - bon d’accord c’est un truc moderne et que c’est un truc auquel on ne connaît pas grand-chose – qu’il avait peut-être à terme des possibilités de redéploiements économiques autour de ces technologies.
Reporter : Outils de développements économiques, ou plus sûrement de rayonnement politique, la culture trouve des appuis locaux. Et, à la faveur de la mise en application progressive des lois de décentralisation de 1982, le nouvel échelon qui s’impose dans le maillage administratif de la politique culturelle est devenu celui de la région.
Jacques Rigaud, président de l’alliance française : Ce dont j’ai été témoin, dans les années 70, et qui n’a fait que se développer ensuite, c’est la prise de conscience par les élus locaux, toutes tendances politiques confondues, du nord au sud et d’est en ouest, que la culture était un élément très important, d’abord parce que c’est un atout pour le rayonnement d’une ville, un élément de sa prospérité, on va vu plus récemment au moment de l’affaire des intermittents combien la suppression d’un festival pouvait représenter comme pertes économiques pas simplement pour les restaurants et pour le secteur touristique mais pour tout l’environnement. Et, troisièmement, la culture est un élément de création de lien social. Maintenant, tous les élus en sont convaincus, mais je vous garantie qu’à l’époque annoncer cela aux élus, ce n’était pas évident. Il fallait faire preuve de beaucoup de pédagogie. Là, j’ai parlé des villes, mais en 72 commencent à naître les régions qui ne se développeront vraiment, en tant que collectivités territoriales, qu’avec les lois Defferre, en 1982, et la prise en compte par les régions, qui n’ont pas de responsabilités culturelles affichées, obligatoires, mais qui peuvent intervenir dans ce domaine, a été très important. D’ailleurs, en 82, Jack Lang a crée les FRAC, fonds régionaux d’arts contemporains, qui associent les régions à l’État dans le soutien à l’art contemporain, ce qui n’était pas évident a priori.
Daniel Buren, plasticien : Il y a eu deux choses dans les arts plastiques. Il y a eu l’invention du FRAC. D’une façon peut-être beaucoup plus poussée que ce qu’essayait de faire Malraux, une ouverture sur les régions. D’abord il y a eu toute la décentralisation faite à ce moment-là, où commençait fortement à ce moment-là, qui a institué des lieux où une certaine indépendance permettait de créer des collections. Ça, c’est vraiment une nouveauté. Elle a sans doute créer, moi, ce que je dis toujours, un jour, peut-être dans une trentaine d’années, quand on regardera toutes ces collections, tout ce qui a été acheté, évidemment ne seront retenues que les meilleurs œuvres, et ils y en a eu tellement d’acheter, et je dirais toutes tendances confondues, que dans 50 ans les gens diront : mais vous rendez compte, ce qui s’est fait ! Comment ces gens étaient clairvoyants ! On sait très bien que ce n’est pas forcément de la clairvoyance. Mais la possibilité, parce qu’il n’y a que l’État qui peut faire ça, d’essaimer assez généralement sur un éventail de production, très différente, intérieur et extérieur, puisque les achats ne se font pas seulement à des artistes français, finissent au bout d’un certain nombre d’années, on est déjà à peu près à une vingtaine d’années, à ouvrir une espèce de champ dans lequel forcément des œuvres majeures ont été achetées. Donc, là, il y a une espèce de collection qui s’est constituée par cette espèce de nouveauté d’un patrimoine sur l’art dans ces 20 dernières années qui sera, à mon avis, égale aux meilleurs musées dans le monde. Bon, on n’a pas assez de recul, mais j’en suis certain.
Daniel Templon, galeriste : A partir du moment où vous créez des lieux pour montrer l’art contemporain, que vous les multiplier par 10, 30, 40, 50, il y a des lieux pour montrer de l’art partout en France, il doit y avoir à peu près 35 centres d’art, plus les lieux consacrés aux FRAC, plus les lieux dépendants de la DAP, plus les musées etc., ces lieux, il faut les remplir. On crée des lieux sans se poser la question : avec quoi va-t-on les remplir ? Comme le nombre de bons artistes n’est pas plus élevé aujourd’hui qu’autrefois, la majorité de ce que l’on peut voir dans ces lieux ce sont les mauvais artistes, des artistes moyens, voire des artistes médiocres, puisqu’il faut bien les (ces lieux) remplir. On les remplis avec le tout venant. On les remplis avec celui qui est disponible, avec celui qui est copain du directeur,… Donc, il y a une trop grande prolifération des expositions qui finalement crée une confusion. Et cette confusion se fait au détriment des bons artistes. Les bons artistes sont noyés dans la masse des médiocres, et ça devient très, très difficile de faire le tri dans tout ça. Le temps le ferra, mais pour le moment on peut dire que la confusion est à son maximum.
Reporter : Dans les années 90, et encore de nos jours, le rôle des collectivités locales dans la politique culturelle ne va pas sans créer une certaine confusion. La confusion règne au sujet des compétences des élus, en charge d’administrer la culture, mais également les inégalités qui existent entre la Métropole et les Outre-mer, et d’abord au sujet des attributions respectives des différentes collectivités.
Bernard Faivre d’Arcier, directeur du Festival d’Avignon : A l’origine, Avignon n’était supporté, soutenu que par la Ville. Au Tout début, c’est Vilar qui étant directeur général du TNP, théâtre national populaire, organisait et finançait, avec son équipe, le festival d’Avignon. Lorsque Vilar a découplé le TNP et le festival d’Avignon, dans les années 64-65, le festival a connu des problèmes de financement, parce qu’il n’avait pas justement une grosse maison de production derrière lui, et c’est devenu une régie municipale. Donc, c’était la ville d’Avignon, et la ville seule, qui finançait le festival. Il n’y avait pas de subventions de l’État. Il y a eu de temps en temps, dans les années 70, des aides ponctuelles de la part notamment de Michel Guy, alors secrétaire d’état à la culture, qui avait aidé à la présentation de spectacles spécifiques de Bob Wilson ou Merce Cunningham, par exemple, au festival d’Avignon. Mais le festival d’Avignon n’était pas régulièrement financé par l’État. Les festivals ne l’étaient pas, ou très peu. En 1980, on change un peu la chose, on crée une association de gestion du festival, qui est autonome, qui a une personnalité morale, l’autonomie financière, dont je deviens le directeur, avec un financement toujours de la ville relativement important, mais on commence à y intéresser le département et l’État. Une première subvention de l’État a été obtenue en 1980. Et depuis cette date, c’est-à-dire près de 25 ans, les contributions locales ne cessent de diminuer, en proportions, et les subventions de l’État ne cessent d’augmenter, en proportions. Si bien que maintenant, la part de l’État représente deux fois plus que celle de la Ville d’Avignon. Donc, on est dans un mouvement inverse du mouvement général de la décentralisation, où on dit il y a un transfert de charges, de responsabilités de financement de l’État vers les collectivités territoriales. A Avignon, ça a été l’inverse.
Jacques Martial, comédien et metteur en scène, président de La Villette : Concernant les Outre-mer, je ne sais pas si l’on peut parler de la décentralisation de la même manière que la France métropolitaine l’a vécue. J’ai l’impression qu’il s’est agit plus de tournée, de montrer de la culture, de montrer des choses que de réellement développer une politique de décentralisation. Mais à partir de l’ouverture de scènes nationales, le CMAC, en Martinique, la scène nationale de Basse-Terre, l’Archipel, ce travail qui a été lancé. Encore une fois la distance géographique et le coût des billets d’avion excluent de manière effective et assez radicale la possibilité d’échanges quotidiens, la possibilité d’envisager que l’on puisse participer à la même aventure et dimension théâtrale que le reste de la Métropole. J’ai du mal à parler de décentralisation. Je pense à de la présentation, de la tournée, mais ce travail de décentralisation est encore à inventer, peut-être en partenariat avec Air France.
( ?) : Je crois que la principale faiblesse de ce dispositif, c’est qu’il n’est pas encadré par un grand débat collectif. En fait, la décentralisation, je dis dans mon livre que c’est une décentralisation octroyée qui a été faite en deux temps. Il y a l’époque des lois Defferre, dans les années 82-83, où l’on va octroyer un certain nombre de choses, de responsabilités, bien légitimes d’ailleurs : les archives aux départements, les bibliothèques centrales de prêts, des choses de ce genre. Puis, avec Raffarin, ensuite, les schémas sur les enseignements artistiques, les choses de ce genre. Mais il n’y a pas eu véritablement de débat. Un grand débat national. Moi, j’appelle de mes vœux, un grand débat national là-dessus, sur ce que devrait être la décentralisation. Parce que quand on regarde qu’elle est la dépense publique, on s’aperçoit que le premier acteur de la dépense publique ce sont les communes, ensuite probablement les régions, puis les départements. Donc, à ces différents niveaux de responsabilités, il faudrait des compétences appropriées, des ressources appropriées. On sait que vouloir faire de l’empilage, la tarte feuilleté à chaque fois, où tout opérateur culturel sait qu’un seul interlocuteur ne peut pas répondre à ses besoins et qu’il faut donc faire appelle aux uns et aux autres, faire des financements croisés. Ça, c’est la grande théorie de l’État, depuis 100 ans. L’État avait en vue quelque chose. Il avait en vue qu’emmenant plusieurs partenaires au financement d’opérations communes, lui pourrait se désengager ensuite progressivement et laisser les partenaires décentralisés porter le poids de la charge. Ceux-ci regimbent et bien souvent beaucoup d’opérations ont été sacrifiées parce que les partenaires publiques n’ont pas voulu porter seuls la charge, ce qui est bien dommage.
Reporter : A la périphérie des villes et des agglomérations, il est une lourde charge qu’on a laissée tomber, ce sont les banlieues. Dans les années 90, la charge commence à exploser. Les émeutes urbaines se multiplient dans les ghettos français, ilotes de misère et de béton sporadiquement embrasés. Les artistes apparaissent alors comme des pompiers chargés d’étouffer l’incendie. Dans le discours politique fleurit soudain le thème de l’exclusion culturel.
( ?) ; Eh bien, un thème, je ne sais pas. Tu prends la rue, ta cité et tu regardes ce qui s’est passé, tu vois ? C’est comme si tu faisais une petite rédaction, quoi, en la rimant. Je les écris, puis les approfondis, puis je cherche la rime qui va avec, tout ça, ce n’est pas trop compliqué. C’est rien. Trouver un thème, c’est le taf, tu vois. Il y en a qui ont du taf, il y en a qui n’ont pas de taf, moi, j’en ai, je suis un créateur. Je me rappelle, il y a longtemps, pour trouver un taf, je suis monté sur Paris, j’ai fais dans le bâtiment, magasinier, et tout ça. Mon patron c’était trop un faf ( ?). Et tu vois, j’ai fais une chanson sur ça, tu vois, sur le taf. J’ai dis quoi ? « J’ai trouvé du taf mais je suis un gros faf. Tous les matins il me prend la tête, il me met la fièvre et les après-midi c’est despi ( ?). Il me prend pour un lièvre, fais ci, fais ça, va à ( ?), pendant ce temps-là, lui, sur la tournée des bars il se tape des bières. Revient fusé ( ?) à bloc, crie comme un coq, pète les plombs, il débloque et moi il faut que je me barre il est five o’clock. Il me la fait à chaque fois. Il me fait travailler 3 heures de plus avant de rentrer chez moi. Mais il me faut de la maille ( ?), je n’ai pas le choix. Je suis vénère mais je sais que ça va augmenter mon salaire. Enfin arrive le jour de paye ou la récompense qui va me réchauffer comme le soleil. Je matte le chèque et lui dis, mes jours sup mec ? Il me dit qu’il ne me les paye pas, mettez le doigt dans l’uc mais je te les paye pas. T’inquiète je ne vais pas trop te péter la tête. J’ai tenu ( ?)… en plus à cause de lui, mes loves, je me les suis zéra ( ?) Voilà comment je ( ?) »
Patrick Bouchain, architecte : Pour Maguy Marin, Maguy voulait avoir son lieu dans la réalité urbaine. Elle a dit : Moi, j’irai là où la vie est la plus courante. Sans espoir, hein. Ce n’est pas pour dire, en tant qu’artiste je veux aller dans les quartiers sensibles parce que je veux faire de la sensibilisation à l’art et il n’y aura pas de violence. Il y a de la violence, il y a de la pauvreté, il y a du chômage, je suis là, où les gens sont. Là, où la majorité des gens qui m’intéressent sont. Donc, aller à Rillieux-la-Pape plutôt que dans Lyon. Ensuite, c’était prendre un bâtiment. Comme dans ces endroits là il n’y a pas d’histoire, il n’y a pas d’histoire architecturale, puisque c’est un terrain vierge sur lequel on a construit des logements sociaux, donc construire un bâtiment… Elle a occupé une petite crèche, qui ne marchait plus, pendant un certain temps. Moi, j’étais d’accord. Elle voulait réhabiliter une tour d’habitation. Je pense que là aussi, vous verrez, c’est sûrement des artistes qui un jour comprendront qu’on ne pas détruire le logement social, sous prétexte qu’il ne marche pas. Donc peut-être qu’il y aura des gens qui occuperont des appartements, détruiront plusieurs appartements pour faire un lieu de répétition, et qui réintroduiront peut-être dans cette architecture la vie réelle telle qu’elle devrait être. Donc, elle a voulu être dans un tour, ça n’a pas pu se faire pour des raisons de sécurité, elle voulait qu’on construise un bâtiment au milieu des tours. Moi, j’ai répondu au concours et j’ai gagné. Je voulais un bâtiment qui soit à la fois anachronique par rapport aux tours et en même temps sans arrogance par rapport aux tours. Un bâtiment qui coûte, je m’étais donné comme règle, au mètre carré, le même prix que le logement social.
Daniel Buren : J’ai fais un travail, je n’étais pas seul d’ailleurs, il y avait Jean Nouvel entre autres, on avait développé quelque chose très, très difficile dans la banlieue de Montpellier. Malheureusement, mais ce n’étais pas par rapport à la banlieue mais par rapport à une question de budget, bien que notre budget était très petit, qui fait que la chose a capoté. Ça, ça peut se passer, c’est un accident de parcours comme ça arrive n’importe où, surtout dans la commande publique. C’est à Montpellier, c’est une chose qui était extrêmement ensoleillée, c’était des sorte de HLM, comme on les connaît, c’est-à-dire des fenêtres ouvertes sans volets, sans rien du tout. On voit tout de suite que là il y a un problème quand il y a le soleil. Les gens sont bouffés par le soleil toute la journée, avec la chaleur etc., Mon idée était de mettre des stores à toutes les fenêtres et de jouer sur la couleur. Cette couleur aurait due apparaître dès que les stores étaient baissés, à la discrétion des gens. Évidemment, le projet offrait ces stores à tout le monde, ce n’étaient pas au gens qui étaient là de payer leurs stores. Ça, c’était une réponse à une chose qui à la fois me semblait nécessaire, très bon marché, et qui aurait amélioré quelque chose qui était assez défectueux, c’est le moins que l’on puisse dire, et qui en même temps jouait de façon toute à fait ambivalente avec quelque chose qui aurait été comme une espèce d’éclosion de couleurs, toutes les fois où les gens baisser leurs stores etc.
( ?) : Et maintenant, je les vois partout dans le stade autour de nous. On se tient par la main pour acheter des cigarettes. Il fallait s’accompagner de la main et du regard. S’accompagner sous la pluie et l’obscurité, ma plus belle silhouette frotte d’autres silhouettes, mais à ton bras je ne crains rien. Traverser le stade, c’est de l’autre côté. Je dois avoir assez d’argent dans mes poches. 200 ou 500 fr. pour les clopes mais pas pour leur donner, j’ai peur qu’ils me prennent tout et les cheveux mouillés, dans la nuit je sens la trace…
Pierrick Sorin : Je me souviens, a un repas de midi avec Catherine Trautmann et quelques artistes, où on parlait tout en mangeant des bienfondés d’avoir des actions un peu pédagogiques par rapport à l’art contemporain y compris dans les milieux de banlieue, etc., J’étais assez stupéfait de voir que tous les gens qui étaient là, sauf moi, partaient d’un présupposé qui était que l’art contemporain c’est bien, donc, envoyons des artistes conceptuels pour parler de l’art aux gens des banlieues. Ils pensaient vraiment être dans leur bon droit, il fallait absolument apporter ça, à ces gens-là. Ce n’est pas forcément complètement idiot mais il faut bien voir qu’aller présenter du Buren dans les banlieues ça me paraît complètement à côté de la plaque. Il faut peut-être envoyer Pierrick Sorin, parce qu’il est un peu rigolo mais il faut vraiment bien sélectionner qui on envoi et pas partir sur des présupposés aussi simplistes que ça. Je fais peut-être partie des rares qui peuvent réconcilier un peu le grand public et l’art contemporain. Mais si je peux le faire c’est parce que justement je ne suis pas vraiment un artiste contemporain. Je suis plus un artiste qui parle de l’art contemporain. Je fonctionne un peu à la frontière entre l’art contemporain et un art beaucoup plus populaire qui relèverait presque d’un art forain. Des fois je m’amusais à m’appeler moi-même Pierrick Forain au lieu de Pierrick Sorin.
Hélène Mathieu, directrice de la jeunesse et de l’éducation populaire : On a complètement déserté, à l’éducation national, ça va de soi, mais à la culture aussi le terrain de la convivialité. Les carnavals, les festivals, etc. tout ce qui est manifestations populaires qui utiliseraient les formes d’expressions artistiques. Alors, ce qu’on avait beaucoup encouragé, c’était le Hip-hop, la danse de rue, ou les pratiques musicales actuelles, avec au départ, dans le cas de la politique de la ville qu’on avait lancé, les cafés musiques, c’est-à-dire des lieux pour les jeunes par les jeunes, pour qu’ils puissent répéter, se produire etc. Même si avec les élus on avait pas mal de difficultés parce qu’ils s’inquiétaient beaucoup sur le fait de laisser des lieux aux jeunes. Mais toutes les initiatives qui permettront qu’autour, ou grâce aux pratiques artistiques se développent des formes de convivialités et de sociabilités seront importantes. Pourquoi ? Parce que sinon on laisse le terrain aux intégrismes politiques et religieux, ce qui est quand même un comble ! Les seuls moyens de transgresser cette espèce d’interdit social ou idéologique, c’est la confiance qu’on fait à un ami, un camarade. On voit très bien ça au cinéma, le bouche à oreille, « j’y vais parce qu’untel m’a dit que », ou dans les vidéos, les bouquins, on se transmet les choses. C’est ça que j’appelle la convivialité. C’est non seulement l’aspect festif mais l’aspect transmission entre paires, et avec confiance. Cette politique là, qui prenne à bras le corps la question des obstacles idéologiques, ou socioculturels, je ne sais pas comment appeler ça, n’a jamais été faite. Donc, si vous voulez, pour moi il y a deux choses qui restent à faire : une vraie politique d’éducation artistique, avec la grosse question : est-ce que ça doit se faire à l’école ? Ou hors du temps scolaire, mais à ce moment-là avec qui ? Puis l’autre, aspect qui est la politique, je vais le dire en jargon très technocrates mais après tout je suis une technocrate même si au départ j’étais pédagogue, la politique de la qualification de la demande. C’est-à-dire, aider une demande sociale à émerger et faire en sorte qu’elle soit une demande de qualité, et pas que la « StaAc », ou « La nouvelle Star », vous voyez, mais s’appuyer sur des formes populaires, quitte à passer à autre chose avec mais ça, ça ne peut se faire que dans la proximité et la convivialité.
Marc Bélit : Moi, ce que je vois se développer à ce moment-là, c’est que toute une partie de professionnels de l’action culturelle va basculer dans autre chose. C’est-à-dire dans la fête, la « festivalisation » de la société, l’organisation d’événements publics. C’est le moment des arts de la rue, ou le cirque, des formes populaires dans lesquelles il y a à boire et à manger. Il y a à la fois des artistes de grande qualité. Si on prend des gens comme le « Royal de luxe », ou le travail, par exemple, de Jean-Luc Courcoult,… qui mènent alors-là un travail très, très ambitieux dans l’espace social, etc. mais pour des artistes de ce calibre-là, il y en a beaucoup, combien d’artistes, amuseurs de foires et autres bateleurs et jongleurs qui viennent occuper l’espace public ? Et on voit pas mal de directeurs d’institutions basculer, à ce moment-là, dans l’amusement public, dans l’occupation du temps social -amusement public est un peu désobligeant, occupation du temps social- au motif que le théâtre, le lieu théâtral, le lieu de concert, le lieu muséal, c’est de vieilles choses qui intéressent une catégorie de gens auxquels il ne convient pas de s’intéresser plus que ça. Mais par contre aller à la rencontre de la demande sociale et notamment de la culture jeunes, comme telle, nécessite de changer totalement leurs domaines. Alors que le périmètre de la culture avait changé, je l’ai dit tout à l’heure, de même les pratiques sociales changent et on va à la rencontre de la rue, à la rencontre de la rue, des formes urbaines, quelquefois pour le meilleur, d’autres fois pour le pire. Ce qui est certain c’est qu’à un moment donné, on va fonder dans les années 90, sur cette mutation-là, l’espoir que c’est une troisième voie.
( ?) : Les matins, je suis translucide. Le vide de la rue se comble. Je suis translucide. Je me comble de vide. J’ai les yeux plus grands que 10 ventres. Mon ventre est vide. Mes yeux sont vides. Vides. Vide est le matin. Je ne suis plus très lucide. Je ne sais plus combien me vendre. Je ne sais plus combien m’éventrent. Les matins.
Catherine Tasca, Ministre de la Culture et de la communication : De toute façon, il n’y a pas là non plus de liens mécaniques entre le fait que dans un quartier, une commune, sur tel ou tel territoire on donne des lieux des chances d’expression à des cultures qu’autrefois on aurait appelées de populaires, ça n’a pas de liens mécaniques avec, je dirais, la paix sociale sur le même territoire. Il est clair que partout où on peut, donner des chances d’accéder à une pratique, je pense en particulier à la musique, c’est une bonne chose. Ça peut contribuer à un meilleur, comme on dit maintenant, « Vivre ensemble ». Mais ça n’est certainement pas suffisant pour réduire la fracture sociale. Ça serait trop simple. Et je dirais, alors que maintenant avec un certain recul par rapport aux années 90, justement on a la démonstration que ça ne résout pas la fracture sociale.
Roger Planchon, comédien et metteur en scène : Je connais quand même les banlieues. Si j’en parle, je peux dire pourquoi. C’est très simple. Mes beaux-parents habitaient les Minguettes. Vous connaissez les Minguettes ? Donc, j’ai une idée à peu près de ce que c’est. Je vais régulièrement dans les collèges de banlieue, donc je sais à peu près de quoi je parle. Puis, par exemple, l’année dernière, j’ai joué un mois à Saint Denis. J’ai rempli le théâtre de Saint Denis, donc, j’ai quand même quelques connaissances de ce que c’est. Je ne me fais plus d’illusions. Ce n’est plus la classe ouvrière. Ce n’est plus la même chose, nous le savons très bien. Par contre il y a des forces en banlieue, il y a des gens extraordinaire sur lesquels il faut s’appuyer. Donc, il ne faut pas penser que le terrain est désespéré. Ça n’a aucun rapport avec ça. Par contre ce n’est plus évidemment les banlieues rouges. C’est autre chose. C’est une autre histoire. Mais cette histoire-là, elle ne fait que commencer. Et il serait temps que la France se réveille. Pourquoi il serait temps que la France se réveille ? Parce que pratiquement tous les pays du nord vont être confrontés à ce problème. Il est impossible d’arrêter l’immigration du sud. C’est impossible. Nous le savons tous. Donc, s’il n’y a pas quelque chose de sérieux de fait, avec tout le risque que ça comporte, on peut échouer mais en tout cas on tente quelque chose, eh bien tous les pays d’Europe vont se trouver devant ce problème là. Devant un problème nouveau qui n’est pas du tout, puisque vous me posez la question, j’insiste là-dessus, il est évident qu’on n’est plus devant des comités d’entreprise, devant les militants communistes, devant les prêtres ouvriers, mais par contre, moi, je sais qu’en banlieues il y a des forces extraordinaires. Je peux vous le garantir. Il y a des gens formidables, qui sont prêts, qui sont là, et qui cherchent quelque chose à faire. Et là, évidemment, c’est le devoir d’un État de proposer quelque chose, de faire quelque chose. De la même façon, d’une certaine façon, disons qu’à certains moments, Malraux et quelques autres aient dit, comme ceci : Bon il y a une volonté d’amener le théâtre aux plus grands nombres, essayons de faciliter la chose. Eh bien aujourd’hui, c’est le même problème si vous voulez. Il faut trouver les bras qui vont dire comme ceci : On va faire des expériences pilotes et on va voir ce que ça va donner.
Pierre Bongiovanni : Un jour, j’entends Braouezec, communiste, patron de la Seine Saint Denis, à France culture. Je me dis, tiens, je comprends ce qu’il dit et ce qu’il dit m’intéresse. Donc, je lui ai écrit pour dire : J’ai entendu un homme politique parler, il m’a semblé que ce que vous disiez était intéressant, donc, je vous remercie. Je vous remercie d’avoir dit des trucs que je comprenais. Il me demande, on se rencontre. Il me dit : Qu’est-ce qu’on peut faire ? Je lui ai dit, on va y aller. On va mettre en place des commandos de cinéastes, parrainés par de grands noms du cinéma et on va aller dans les banlieues, on va créer des groupes sur un modèle que je pratique depuis plusieurs années à l’étranger, jamais en France, sauf un fois dans le quartier de la Goutte d’or, on va y aller avec des caméras numériques peu chères et on va produire avec des gens qui habitent-là, sans idées préconçues au départ et sans formatages de la culture cinématographique, on va voir ce que ça donne. Puisque vous êtes le patron local, le prince local et que vous avez le stade de France à votre disposition, eh bien on va réunir tout ça sur les écrans immenses du stade de France. Il me dit : génial. Ça c’était il y a un an. Plus rien. Donc, ça veut dire qu’il y a une vraie difficulté aujourd’hui à aller vers des hommes politiques et à leur dire : Alors qu’on peut y aller ? Vous voulez qu’on traite le sujet ? on va le traiter. Les Cahiers du cinéma étaient prêts à suivre, les cinéastes sont prêts à suivre, sur des idées comme ça. A un certain moment il faut y aller. Mais le personnel politique aujourd’hui est ainsi fait, eux ne sont pas pire que les autres, qui ont d’autres préoccupations, d’autres démarches et qu’au fond tout se passe comme si rien ne pouvait se faire, alors que ça relève de démarches simples. Tout se passe comme si depuis quelques temps, nous étions dans l’incapacité de nous penser nous-mêmes avec une belle ambition, des idées simples en matière de beauté, de splendeur et d’actions.