Introduction : Bonjour. Sur les docks, l’heure du documentaire sur France culture. Suite et fin de la série, « Rendre la culture au peuple : 50 ans de politique culturelle française » Succédant à François Mitterrand, Jacques Chirac est élu, puis réélu président de la république. Les années 2000 sont marquées par des événements qui frappent l’opinion mondiale et bouleversent l’échiquier politique. Attentat d’Elkaïda sur les Twin-Tours de New-York, tensions très vives aux Proche-Orient, renversement de Saddam Hossein et occupation de l’Irak, présence de la gauche à la tête de nombreux pays d’Amérique-latine, déstabilisation de l’Afrique de l’Est, ultralibéralisme en Russie, mondialisation économique et réchauffement de la planète. Et la culture française dans tout cela ? Elle reflète la crise politique et sociale que traverse la France à l’aube du troisième milliaire. Est-il encore besoin d’un ministère de la culture dans la maison France ? Questions et réponses dans le documentaires de Martin Quenehen et Philippe Rouy, intitulé, « Les années 2000 : l’avenir est à nous ».
( ?) : Je crois qu’on aura vécu au XXe siècle, la désillusion progressive des différentes formes de la rencontre de la culture avec la société dans son ensemble. Mais renoncer à un tel objectif, c’est renoncer aux promesses de la démocratie. Ce qui fait que personne ne veut y renoncer, et que l’action culturelle soit ainsi comme ( ?) amené à monter toujours le rocher et qui toujours retombe, et c’est cette dynamique, cette dialectique sociale qui fait que la culture est peut-être malgré tout notre partage commun.
Reporter : Depuis 2002, certains diagnostiquent un malaise de la culture, d’autres une fin de cycle, une atrophie, une asphyxie, voire une fin de partie. Mais ce type de constat d’échec n’est pas nouveau. Roger Garaudy s’en prenait déjà à André Malraux et après lui Pierre Bourdieu. A l’époque de Jack Lang, Marc Fumaroli souhaitait la disparition du ministère. Pourtant, chacun suggérait également, en son temps, des éléments de critiques constructives. Aussi n’est-il pas pour nous question de tirer sur le pianiste mais de proposer à la fois un état des lieux de près de 50 ans de politique culturelle à la française et de voir qu’elles seraient les propositions pour demain. A la vielle des élections présidentielles, les débats qui se font jour ici, aussi bien sur l’évolution du rayonnement culturel de la France dans le monde, que sur les enjeux actuels de l’éducation artistiques contribueront peut-être à éclairer électeurs et les candidats.
Jacques Rigaud, président de l’Alliance française : On a l’impression que les ministres des affaires étrangères se moquent éperdument de la dimension culturelle de la présence française. Quand je vois les grands discours qui sont faits au niveau les plus élevés, y compris au niveau du président de la république, sur le rayonnement de la culture française, sur la langue française, et que je vois qu’on ferme les instituts, systématiquement, mais c’est monstrueux ! Lorsque vous avez dans une même ville un institut français et une alliance française, vous avez au Quai d’Orsay des technocrates qui osent parler de doublons, alors que précisément c’est une richesse. Les ministres des affaires étrangères successifs m’ont dit : il faut reconnaître qu’ils doivent, sur leur budget, supporter les soutiens aux grandes organisations internationales, les aides d’urgences etc., qu’ils ont peu de moyens et peu de combativité pour défendre la présence culturelle à l’étranger. Aux niveaux les plus élevés de l’État, quand il y a des arbitrages à rendre, ils ne sont jamais en faveur de cette action. Et moi, je dois dire, comme vous le constatez, ça me rend furieux.
Françoise Benhamou, économiste : C’est une politique qui était valable dans un autre temps. Les données ont changé. Effectivement la mondialisation joue et quand on regarde ce qui se passe, on est effrayé par le recul de la France. Ça, c’est vrai, au sens où, par exemple, la littérature française ne rayonne pas comme autrefois. Les auteurs Américains, par exemple, mais pas seulement eux, ça vient aussi d’autres pays, prennent plus d’importance. Si on regarde dans le domaine du marché de l’art, c’est vrai que dans nos grands artistes il y en a fort peu qui arrivent sur le marché mondial, etc. Maintenant je crois qu’il faut prendre un petit de recul par rapport à tout ça. Qu’est-ce qui se passe ? Il se passe le phénomène suivant : c’est que la France a tenu une place qui était un peu hors de proportions avec ses dimensions, avec le nombre d’habitants, avec ce qu’on était tout simplement. Avec la montée de nouveaux pays, la France prend une place à la mesure de ce qu’elle est. Une place qui n’est pas négligeable. Je crois qu’on continue d’avoir un rôle mais plus adéquat à notre dimension. Ça, c’est une première chose. Je crois ensuite que le modèle du rayonnement à travers des centres installés de par le monde etc., c’est sans doute effectivement un modèle un peu obsolète, à l’heure d’Internet.
Daniel Buren, plasticien : Entre la volonté de vouloir faire rayonner la culture française à l’extérieur et ce qu’on fait vraiment, je pense que là, il y a un gouffre qui est en train de s’agrandir, et qui est tragique. Parce que les gens qui permettent de faire ces programmes, que ce soient les directeurs d’Alliances françaises, ou des centres culturels, disent très souvent qu’avant d’arriver au bout de leurs programmes, de leurs promesses, ils sont bloqués parce que ce qu’ils croyaient qu’ils pouvaient faire a été réduit. L’argent n’existe plus et ils sont forcés de se dédire. Et se dédire évidemment c’est encore pire que de ne rien dire du tout. Comme ces politiques culturelles sont un peu absurdes, « Eh bien on va faire un peu sur la Pologne, l’année d’après on va le faire sur le Brésil,… », bref. Non pas qu’on puisse tout faire en même temps, ça je veux bien le concevoir, mais d’essayer de dire que ça sera plus facile de faire un effort parce que cette année c’est l’année de l’Allemagne, ou de la Chine et puis après ça on passera à autre chose, et on laisse tomber la Chine et l’Allemagne, ça me semble être complètement aberrant et très mal perçu. Imaginez ceux qui ont eu un peu la possibilité de pouvoir faire des choses parce qu’on avait fait un gros effort sur eux, quand on leur dit : Écoutez, on a fait l’effort maintenant ça passe, la place est aux autres. C’est très gentil, très joli mais ce n’est pas compréhensible. Donc, on est vraiment là-dedans avec, je pense un problème formidable de moyens et que je pense, pourquoi pas, moi, je n’ai pas d’opinion là-dessus, mais si on n’a pas les moyens il ne faut pas faire croire qu’on les a, parce que ça, c’est pire que de faire 2, 3 choses très bien puis on n’en parle plus.
Harold Kaplan, diplomate : J’aurais beaucoup de regrets, si je voyais que les Français réagissent à la situation actuelle en diminuant leurs efforts pour être présents, partout. Pour donner aux petits Iraniens, aux petits Vénézuéliens, n’importe qui, la possibilité de fréquenter un lycée français, s’ils ont le désir et les moyens. Ce serait dommage, ce serait une perte sèche pour le mode, si les Français se disaient : bon, nous avons d’autres préoccupations maintenant, ça coûte très cher… Ça ne coûte rien comparé à ce que vous recevez en retour, d’intérêt pour votre pays. Écoutez, j’ai été vice-président d’une grande société américaine, qui avait à mon époque une vingtaine d’usines en France qui ont eu ces usines en France parce que Vincin ( ?) Bendix, le fondateur de notre société aimait la France. Il aimait quoi ? Il aimait la façon dont on vit, la culture dans son sens très large. Il aimait aller à l’opéra, en France. Il descendait au Crillon et allait à l’opéra. Il n’y avait pas spécialement de logique étroitement économique dans le choix de Bendix d’installer, près de Nantes, je crois, une usine qui fabriquait des freins de voitures, et pourtant il l’a fait, parce qu’il aimait être en France. Vous me direz que c’est un peu frivole, [phrase en anglais], comme dit une hymne ( ?) américain « Le Dieu procède d’une façon très mystérieuse pour produire son ( ?) »
Laurent Dehors, musicien : Quand j’ai entendu qu’en Autriche on allait arrêter les cours de français, à Vienne, on va où là ? Qu’est-ce qui se passe ? J’avais alpagué, lors d’une réunion avec des diffuseurs, des distributeurs de subsides, des acteurs de la vie culturelle, j’avais parlé de ce problème là, ça faisait comme si on ne voulait pas trop en parler. Qu’est-ce qui se passe ? On a tourné, par exemple, en Afrique du Sud, avec mon trio, on a joué devant de grosses salles qui ne s’attendaient certainement pas à la musique qu’on leur a envoyée. En Afrique du Sud, il se demande à quoi on sert, à quoi sert la musique qu’on fait. Ensuite, quand on l’a fait avec eux, ils comprennent, mais le public de prime abord, s’il n’est pas travaillé, il se dit qu’on est des martiens. On est des martiens parce qu’on joue pas du tout la musique qui passe à la radio. On est une espèce en voie de disparition. La France est dans cet esprit, quoi.
Françoise Benhamou, économiste : Ce n’est pas affaire de renoncement, je ne crois pas. Je crois que les temps ont changé et la pensée par rapport à tout cela a changé. Par ailleurs, je pense que peut-être pare que nos avons été très accueillants, que nous avons eu cette force de rayonnement, du coup nous ne savons sans doute pas assez nous défendre à l’étranger. Et j’observe, par exemple, que la FIAC, ou nos grands salons littéraires etc. ils sont extrêmement ouverts sur les autres, et les autres ne sont pas autant ouverts sur nous. Allez à Londres et vous verrez, par exemple, dans les expositions londoniennes, comment les artistes Anglais sont mis en valeur. Et, nous, c’est vrai, qu’on ne le fait pas toujours autant. On a tendance à pratiquer souvent le dénigrement de nos propres artistes. Donc là, il y a peut-être aussi un travail sur nous-mêmes à faire.
Marc Bélit, auteur de « Le malaise de la culture » : Que fait-on pour la création française ? Non pas pour que l’État désigne l’artiste, mais pour une fois qu’ils ont émergé, qu’ils sont désignés, pour les promouvoir notamment sur la scène internationale où nous sommes très, très mauvais. Je viens de voir le KUNST KOMPASS que beaucoup ont pu voir, la France ne pèse encore que 4% dans cette évaluation des artistes produits dans le monde, alors que les Allemands sont à près de 30%, les Américains autant, les Anglais davantage. Nous sommes une puissance moyenne.
Philippe Urfalino, sociologue : Nous sommes une puissance moyenne. Pensez le statut simplement de l’enseignent de la littérature dans les universités étrangères. Pendant très longtemps, la littérature française était enseignée en Français. Il n’y a plus aucune raison pour que dans les départements de littérature française on parle en français. On parlera dans la langue du pays. Évidemment, il faut connaître un peu la langue pour apprécier pleinement une littérature, mais il y a aussi des traductions. Il se trouve que par le mouvement absolument exceptionnel, dans les années 60, des sciences humaines, des sciences sociales françaises, il y a eu une vogue très forte d’un certain nombre d’auteurs sur le plan international, on est resté à une sorte d’exceptionnalité française, mais c’est terminé. Bien sûr, la France reste toujours différente des autres pays, comme tous les pays sont différents des autres, mais nous sommes dans une phase où nous devons apprendre à être une puissance moyenne.
Reporter : A la lueur de son rayonnement culturel à l’extérieur, la France apparaît comme une puissance moyenne vouée à ne jamais retrouver son lustre des années 1900. Sans s’émouvoir outre mesure elle peut, et doit aller de l’avant, car à l’intérieur du territoire, les enfants du cours moyen sont, eux, destinés à grandir et pourquoi pas à s’élever par le biais de l’éducation artistique. Jean Zay, ministre de l’éducation du Front populaire estimait en effet que, l’art constitue, avec la pensée, l’un des impalpables leviers qui transportent les montagnes et ébranlent le monde.
Daniel Buren : Je pense qu’il y a des choses qui ont glissé. Je pense que par rapport à la France, par exemple, il y a une chose qui n’est pas évidente, c’est qu’il n’y a pas une culture, et qu’il n’y a pas une éducation, sur le plan des arts visuels, sérieuse. C’est même, on peut le dire, franchement, totalement nul. Malgré les velléités des uns et des autres, on sait très bien qu’il n’y a rien dans les lycées, dans les écoles, que ce qu’il y a est complètement négligé, ou négligeable et du coup il n’y a que ceux qui veulent faire un effort assez considérable, ou qui ont une tendance, ou un goût particulier pour les arts plastiques qui vont soit s’y intéresser à la fois comme quelque chose faisant partie de la culture et devant être abordée, ou plus profondément si on rentrait soi-même dans ce domaine et faire, ou créer, ou je ne sais quoi, par rapport à cette discipline.
Hélène Mathieu, inspectrice générale de l’éducation nationale : Sur cette question de l’éducation artistique, ce qui est intéressant, c’est de comprendre les effets mais surtout, parce que ça, c’est de l’histoire institutionnelle, pourquoi, je dirais, moyennement réussit aujourd’hui. Alors, je pêche peut-être par pessimisme en même temps, je crois qu’on est obligé de comprendre ce qui résiste. A l’éducation nationale, ça continue à être, la pratique artistique des élèves, quelque chose de superfétatoire, ou qui relève du supplément d’âme. Quand on a des élèves en très grande difficulté, alors pour les occuper, on fait de l’artistique, dans le meilleur des cas. Mais pour un grand lycée de centre ville, avec des classes prépa etc., ça ne leur viendrait à l’esprit. C’est très paradoxal parce que dans de grandes écoles comme Polytechnique, ou même HEC, ils ont tellement bien compris l’intérêt de l’ouverture d’esprit que ça procurait qu’ils offrent des possibilités de pratiques à leurs élèves. Et dans une génération de cadres, à compétences techniques égales, on voit bien que c’est la passion pour quelque chose qui fait la différence et qui les aide à être recrutés plus facilement, mais pas que chez les cadres. Je me souviens que quand j’étais prof à Dunkerque, plus exactement près de Ker-branche, dans la Flandre, j’avais des élèves chaudronniers et en fabrication mécanique. Ces élèves, de l’enseignement technique et professionnel, trouvaient plus facilement du boulot s’ils étaient passionnés par quelque chose, par exemple, les musiciens, ou ceux faisaient de la danse, danse de rue, ou ceux qui étaient passionnés de lecture. C’est curieux, parce que c’est un point de vue de bon sens qui pourtant n’arrive pas à convaincre ni la masse des enseignants, encore moins les décideurs que sont les chefs d’établissements et l’encadrement intermédiaire, c’est-à-dire les inspecteurs du premier degré et les inspecteurs pédagogues régionaux.
( ?) : Par rapport à l’éducation, qui est celle que tout le monde devrait avoir, qui nous apprend à lire, à écrire… par rapport à développer la façon de voir, la façon de regarder qu’est-ce que c’est un tableau, etc., etc. ça, on peut dire que ça n’existe pas du tout. Donc, on est en face d’un ensemble d’individus qui vis-à-vis de ça sont complètement infirmes. Ce qui aussi veut dire qu’il ne faut pas s’étonner qu’en face d’une œuvre publique, qui est un peu dérangeante, ou qui n’est pas tout à fait ce qu’on peut attendre, avec je ne sais pas, un général assis sur un cheval, beaucoup de gens se disent qu’est-ce que c’est ce truc qu’on nous met dehors ? Ce n’est pas forcément parce que cette chose doit être bonne automatiquement, ou qu’elle soit franchement mauvaise, mais le fait que n’ayant aucune éducation pour savoir lire cette chose en question, il est évident que mis directement en face d’un public large, il y a résistance de ce public large qui se sent d’une certaine façon exclu. Et il l’est, ce public large, je pense, véritablement exclu.
( ?) : Qu’est-ce que ça vous évoque ? Est-ce que vous voyez quelque chose, comme une image ultraviolente ? Es-ce que vous voyez ça ? Oui ? Pourquoi ? Réponse d’une élève ? : Parce qu’elle se mutile, pour faire ses tableaux, c’est quand même une sorte d’agression envers le public. Réponse d’un élève ? : Mais par rapport à l’époque, ça montre, jusqu’aux années 60, comme vous le dites, la femme était considérée comme inférieure, ça montre que même si quelques-uns la considèrent comme inférieure, elle est hyper résistante. Oui, c’est une manière de voir les choses. Mais j’aurais d’autres précisions à apporter. Réponse d’une élève ? : Moi, je trouve aussi que l’image, avec le ciel, la pureté, ça paraît apaisant mais je trouve qu’on regardant ça, et en même temps les photos qu’on voit à côté, je trouve que c’est encore plus agressif, parce que déjà ça fait une espèce d’opposition, en plus qu’on regarde la pureté on peut s’imaginer tout ce qu’il y a derrière aussi. Il y a peut-être deux petites choses qui sont importantes à comprendre. D’abord Gina Pane, va, pendant 5 ou 6 années de sa vie, mettre en jeu son corps, en s’entaillant, par exemple, avec des lames de rasoir, ou parfois en se piquant, comme vous le verrez tout à l’heure, avec des aiguilles. Mais dans tous les cas la chose qui est très importante à comprendre, c’est que ce n’est pas destructeur. Ce n’est pas pour se détruire. Puis, le rapport du sang, c’est comme quand on est gosse et qu’on fait les scouts, je ne sais pas, ou les indiens, l’échange du sang. Le sang, c’est l’intérieur de soi, donc c’est quelque chose d’intime, donc, la vision du sang, c’est la vision de soi. C’est peut-être pour ça que c’est aussi impressionnant. Vous voyez, ce que je veux dire ?
Reporter : L’ambitieux plan, Lang - Tasca, pour les arts à l’école, qui entendait associer les ministères de la culture et de l’éducation nationale, a été mis en place en 2001 et supprimé l’année suivante en raison de l’alternance. Un récent rapport souligne aujourd’hui l’erreur qu’a constituée cet abandon.
Mathilde Monnier, danseuse et chorégraphe : Moi, j’ai eu la chance de travailler sur le projet de Jack Lang, au moment où il avait lancé ce programme éducatif et artistique, à l’éducation nationale. Je trouve que c’est un projet génial, parce que c’est quelque chose qu’on attend tous depuis des années. On l’attend pour plein de raisons, au niveau artistique, et ça crée aussi du travail, ça crée du public, c’est des débouchés extraordinaires pour les artistes. Ce projet attendu depuis des années est essentiel. Je ne sais pas quel ministère, quel gouvernement un jour relancera ce projet. Mais il est essentiel. Il y a une demande énorme du côté de l’éducation nationale. Je travaille souvent avec des profs, eux n’attendent que ça. Bien sûr, ils ne sont pas formés sur des disciplines comme la danse contemporaine, le théâtre, le cinéma, donc ils ont besoin d’interlocuteurs et ils les demandent. Puis, il y a une attente énorme au niveau des élèves. Pour moi, ça me semblait d’une telle évidence, ce projet là, que je ne comprends pas comment ça n’a pas encore été mis en place d’une manière plus aboutie. C’est complètement fou. La danse contemporaine commence tout juste à rentrer dans le dernier cursus, seconde, première, terminale, à deux heures par semaine. Don, c’est l’époque du dessin quand on est au CME, où l’on a 2h de dessin. C’est complètement faux. C’est une vraie demande des enfants, une vraie demande des adolescents, le chantier, pour moi, est énorme là-dessus.
Une élève : Faire du théâtre, ça serait dans une salle de classe, la cantine dans le meilleur des cas, avec des tables, des chaises, des bancs,… On recule il y a des tables, etc. puis tous les élèves ne sont pas là pour en faire. Il y a ceux qui sont assis tout au fond et qui s’amusent à critiquer les autres, « celui-là est minable », « il est ridicule », « il en fait trop »,… du coup, les gens jouent, ils sont complètement coincés, on ne l’exploite pas bien au lycée. Il faudrait qu’on trouve un autre moyen de l’exploiter pour que ça soit vraiment quelque chose de valable. Une 2ème élève : C’est pour ça que je ne voulais pas faire de théâtre, au lycée, parce que chaque fois qu’on a envie de se libérer on a toujours peur des autres, alors qu’ici, même face au public, on ne les connaît pas, on a envie de leur montrer, d’échanger des choses, alors qu’à l’école ils ne vont pas comprendre en quelque sorte... Une 3ème élève : Moi, je vois dans mon lycée, il y a des clubs, mais il y a 3 pelés et 4 tondus. Il y a aussi les élèves qui ne participent pas. Il n’y a pas une bonne volonté des élèves. Mais des fois il y a des moyens qui sont développés. Une 4ème élève : Mais c’est à nous de leur faire comprendre, quand il y a des gens qui critiquent, c’est à nous leur faire comprendre que s’ils ne sont pas contents, ils n’ont qu’à essayer sur la scène. Moi, j’ai été en 4ème, l’année dernière, avec une prof de français qui était super. On faisait du théâtre, il y avait des gens qui critiquaient, on les met sur la scène et c’est à eux de jouer. Ils comprenaient ce que c’était. Il faut aussi essayer de faire comprendre.
Jacques Rigaud : Dans la mesure où l’ensemble des enfants sont appelés à recueillir, quelques soient les différences de situations sociales, ou de milieux d’origines, l’enseignement, c’est une occasion unique justement de donner à chacun la possibilité de cet épanouissement, de ses capacités. Alors, il y a eu, selon les périodes, différentes modalités de collaboration entre les deux ministères de l’éducation nationale et de la culture, du temps de Catherine Tasca et de Jack Lang, à l’éducation, il y a eu un certain nombre de choses. Je ne mets pas du tout en cause les bonnes volontés des ministres. J’observe d’autre part que sur le terrain, et quelques soient les grandes orientations générales, il y a des quantités de choses formidables qui se font, en collaboration entre le milieu scolaire et le milieu culturel. Simplement, c’est extrêmement difficile d’organiser entre ces deux mondes, que sont le monde de l’éducation, qui a ses rigidités, ses pesanteurs et le monde culturel et son administration qui sont beaucoup plus légers, une collaboration systématique. Les résultats sont de toute manière décevant. Moi, je l’ai vu quand on a eu à construire et à mettre en situation de fonctionnement le musée d’Orsay. Nous avions un service culturel, un service pédagogique, et toutes les actions qui ont été menées avec l’éducation nationale sur le terrain ont eu de très bons résultats. Et qu’on je vois, dans un musée, 15 gosses, assis parterre, devant un tableau, je me dis, là, il se passe quelque chose. Il n’y pas eu uniquement l’école, nous avons beaucoup insisté dans notre rapport sur le développement des pratiques amateurs, ou de pratiques d’amateurs, qui peuvent être parascolaires ou périscolaires mais qui peuvent être aussi indépendantes de l’école.
Catherine Tasca, ministre de la culture : Les exemples sont innombrables de cette rencontre réussie. Ariane Mnouchkine, à la Cartoucherie, n’a jamais cessé d’organiser des rencontres directes avec le public. Dans le domaine musical, parmi 100 autres, je pense à Jean-Claude Casadesus, dans le Nord. José Montalvo, qui est un des meilleurs chorégraphes aujourd’hui avec Dominique Hervieu, a constamment inscrit son parcours artistique dans ce travail d’éveil de l’appétit, notamment chez le jeune public, et parfois chez les moins jeunes. Ce qui a manqué, en gros depuis la création du ministère, c’est l’affirmation de cet objectif d’éducation artistique comme une des responsabilisés de ce ministère, responsabilité partagée. Il est évident qu’à partir du moment où on veut passer des aventures singulières, des expériences, et elles sont innombrables, à une généralisation du projet, il faut qu’il y ait un discours politique fort, un engagement politique fort.
Hélène Mathieu : Demander d’accueillir, en première partie d’un spectacle, par exemple, des travaux d’amateurs pour leur donner la possibilité de présenter au public, ou simplement encourager des festivals rencontres entre amateurs, ou de rencontres entre amateurs et professionnels, de mon point de vue, le seul endroit où ça continue, envers et contre tout, grâce à un tissu associatif, issu d’ailleurs des CEMEA, d’éducation populaire très actifs. Mais ça, c’est des choses extrêmement simples qu’on pourrait simplement demander à toutes les structures : scènes nationales, centres dramatiques nationaux et aussi les conservatoires. C’est des choses qui relèvent du bon sens. Dans le même temps, les gens de la culture vont se plaindre du fait que les amateurs ne vont jamais aux spectacles, qu’ils tournent en circuit fermé, qu’a théâtre ils font du Feydeau, qu’ils ne s’intéressent plus du tout à des répertoires plus contemporains… Oui, d’accord, on peut se plaindre mais le problème est qu’on ne met pas du tout en œuvre les lieux de rencontres. C’est une politique qui n’a jamais été portée, par le ministère de la culture d’une façon durable, je dirais même que ça n’a jamais été au cœur du ministère de la culture.
Mathilde Monnier : Il y a très peu d’écoles en France, très peu de bourses. Effectivement, on va dire : les gens du Hip-hop ce sont formés dans la rue. Mais pourquoi ils se sont formés dans la rue ? C’est parce qu’ils n’ont pas eu accès à une école. Donc, c’est aussi tout un aspect de choses à construire. Parce qu’ils n’ont pas pu danser dans les écoles. Peut-être que le mec qui a fait du Hip-hop il aurait été ravi de faire de la danse contemporaine. C’est tout cet endroit de la formation qui est, à mon sens, responsable de ça. Le cours de danse classique c’est quand même fait pour un certain milieu, on va dire, j’y ai fait une formation, qui est aussi un lieu qui devait être un lieu d’accueil d’artistes internationaux, de futures danseurs, assez pointu c’est vrai, mais qui en même temps donne une espèce de vie aux centres chorégraphiques, puisque c’est des jeunes qui sont là tout le temps, 9 mois par an…
Reporter : L’éducation artistique et la formation des amateurs donnent du sens à l’existence et à la démarche des différents protagonistes de cette forme d’action culturelle. Elle encourage également les français à devenir artistes. Or, le nombre d’artistes professionnels pose depuis quelques années la question épineuse du financement et de la diffusion du spectacle vivant.
C’est maintenant Yvan Renard, qui intervient pour le groupe communiste, républicain et citoyen. S’il vous plaît nous l’écoutons. Merci, Monsieur le président. Monsieur le premier ministre, mesdames et messieurs, mes chers collègues. Mardi dernier, dans toute la France, les intermittents du spectacle, dans une mobilisation impressionnante, étaient en grève pour défendre leurs droits, pour préserver leur régime d’assurance chômage une nouvelle fois menacé par le MEDEF. Si j’en crois certaines déclarations, les artistes, les techniciens du spectacle seraient les nouveaux privilégiés des temps modernes, coupables de tirer profit du régime d’intermittence et responsables tout trouvé de son déficit. Or, les intermittents ne font pas métier de leur intermittence. Ils sont acteurs, techniciens, musiciens. Monsieur le ministre, il n’y pas trop d’artistes en France, trop de culture, il n’y en a pas assez. On nous dit souvent tout cela coûte cher, certains technocrates…
Marc Bélit : Toutes les catégories sociales qui dépendent du ministère de la culture sont devenues désormais des ayant-droit qui réclament légitiment que l’État les soutienne. Et l’État les soutient. Donc, on va pousser, pousser vers ce fameux 1%, du budget de l’État, consacré à la culture, mais on s’aperçoit au bout d’un moment que ça ne suffit pas. Et la grande découverte des années 80 jusqu’à aujourd’hui, donc sur 25 ans, ça va être qu’il y a un interlocuteur qui s’invite au financement de la culture, qu’on n’avait pas prévu, en tout cas pensé comme tel, c’est l’UNIDIC. L’UNIDIC, qui avec aujourd’hui près d’un milliard de déficit vient s’ajouter aux 3 milliards de financement en France. Ce qui fait que si jamais, comme on le demande aujourd’hui, on budgétisait cette somme-là, et on la rentrait dans le budget de la culture, vous voyez les conséquences que cela prendrait. Je décris dans mon livre un État asphyxié. C’est-à-dire un État qui voulant toujours aller à la rencontre de la demande sociale, en l’occurrence, ici, on est sur le terrain artistique, se trouve aujourd’hui avoir atteint les limites, qui fait qu’un ministre de la culture aujourd’hui, n’a pratiquement plus de marge de manœuvre pour initier des politiques nouvelles, pour redistribuer, sauf à peut-être aller rejouer la partie sur le terrain de la décentralisation, en allant voir les collectivités locales ou territoriales, qui aujourd’hui financent, à peu près, les deux tiers des dépenses publiques en France. Mais là, il faudrait, c’est ce que je suggère, une loi d’orientation, véritablement discutée au parlement, voulue par tout le monde et qui établisse clairement les responsabilités des uns et des autres, ce qui n’est pas le cas, aujourd’hui. Le ministère de la culture tant quand même le grand régent, l’État français étant le grand régent de la culture en France, c’est-à-dire celui qui donne non seulement les orientations, mais qui contrôle, qui évalue, et qui finalement est le maître du jeu.
Bernard Faivre d’Arcier, directeur du festival d’Avignon, en 2003 : Je ne tiens évidemment pas à voir le public perdu, ou balloté, et je ne veux pas non plus, s’il s’était agi de continuer, voir étaler les divisions du milieu théâtral sous le regard à la fois du patronat et de l’État. Donc, ce festival va se clore, on l’a dit, la mort dans l’âme. Mes deniers mots sont des mots de remerciements pour tout le personnel du festival, et des mots de courage, parce que maintenant, il va falloir démonter, ranger, faire les comptes, répondre au public. Ce 57ème festival est clos.
Les 20 dernières années ont plutôt été centrées sur la création et l’aide à la production. Ce qui était tout à fait judicieux. On a une très grande variété de formes artistiques maintenant en France, c’est sûr, plus même que dans d’autres pays européens, encore faut-il que les œuvres ainsi produites soient portées à la connaissance du public. Donc, il y a tout un travail de médiation à faire pour rassembler ce public. Or, le public, lui-même, qui est assez stable dans le domaine du spectacle vivant, est sollicité de partout. Il est sollicité dans son porte-monnaie et dans l’usage de son temps. Il est sollicité par la télévision, Internet, d’autres pratiques qui se développent souvent sous le signe de la gratuité. Or, le spectacle vivant n’est pas une industrie culturelle, il ne se reproduit que dans les conditions du vivant, il coûte forcément cher. C’est une économie de prototype, ce n’est pas industrialisable, Dieu, merci. C’est ce qui fait à la fois sa force et sa faiblesse. Donc, il est important d’accoupler à la création aussi une diffusion et s’assurer de la diffusion de la création. Jean Vilar, lui, faisait un spectacle, le montrait l’hiver à Chaillot, l’été à Avignon, il le reprenait d’une saison à une autre, il faisait des tournées, il allait à l’étranger, etc. maintenant les spectacles sont produits pour être diffusés 20, ou 25 fois. Je pense aux spectacles de danse, par exemple, c’est encore plus court. Donc, il est anormal qu’il y ait autant d’effort, autant de temps de préparation, autant de difficultés pour les artistes eux-mêmes, pour monter un spectacle qui ne soit pas diffusé plus longtemps. Alors, on dira que ça veut dire qu’il a trop de spectacles, ou trop de compagnies, trop d’intermittents. Il n’y en a pas trop s’il y a suffisamment de public.
Mathilde Monnier : On joue, 2 fois, 3 fois, 4 fois au mieux, donc, effectivement une sorte de difficulté. Soi-disant que le public ne viendrait pas. Ce n’est pas vrai. Les spectacles sont souvent pleins, il n’y a pas de raison qu’on n’en rajoute pas 2, ou 3. Moi, je dirais plutôt que le grand manque aujourd’hui est financier. Il y a beaucoup moins d’argent. Il y a toujours des tas de gens qui vous invitent partout, pour 3 francs 6 sous. Il y a beaucoup de gens qui ont beaucoup d’idées, plein d’idées mais ils ont 3 francs 6 sous. C’est quand même la difficulté et notamment sur les productions. Trouver des dates pour des spectacles, les gens trouvent, plus ou moins, mais trouver des gens qui coproduisent, ça n’existe plus. Plus personne ne coproduit. On préachète, c’est des drôles de façon de faire. On achète un petit bout d’une répétition, comme si on pouvait couper les choses en 4. On achète une première version d’un spectacle, parce qu’on pense qu’une deuxième version sera plus chère. Il y a de drôles de choses qui se font quand même. Je pense que les lieux sont boulimiques, on est devenu tous un peu fous. Il y a beaucoup plus d’artistes, de choix, d’alternatives. L’Europe s’est ouverte, les gens veulent un peu tout faire, ils ont peur de manquer un train, ou manquer un artiste. On se dit on va en faire 10 plutôt que 4 parce que si jamais on n’a pas tel artiste, ou telle chose… ça manque parfois de prendre un parti pris, de le tenir, de le tenir face à un public. On dit on va faire un peu de Hip-hop, de danse contemporaine, de danse théâtre, comme ça tout le monde sera content, la programmation sera bien ronde, on aura un peu de tout, on aura de la poésie sonore, de la musique contemporaine… Je ne dis pas que c’est mal, il se trouve que c’est les artistes qui finalement pâtissent de ça. Une espèce de trop grande ouverture, un marché qui a complètement explosé, et qui fait qu’aujourd’hui même en Turquie il y a déjà au moins 4, 5 compagnies de danse contemporaine qui pourraient tourner, et du coup on est attiré par une compagnie turque alors qu’une compagnie française on ne va pas la faire tourner. Le marché a complètement éclaté, il n’y a plus de repères. Une sorte de perte de repères parfois pour les lieux et du coup pour les artistes aussi.
Reporter : Certains repères se déplacent, ou disparaissent. Aux termes de 50 ans de politique culturelle française, d’autres repères sont bien ancrés dans le paysage. La France possède ainsi l’un des réseaux d’équipements culturels les plus denses du monde : musées, salles de spectacles et autres lieux de création représentent aujourd’hui un semis fertile et productif qui a su évoluer et s’adapter aux enjeux sociaux et politiques contemporains. Cependant, l’avenir dure longtemps, et la politique culturelle attend peut-être une renaissance. C’est ce que semble suggérer Marc Bélit, directeur de la scène nationale de Tarbes, dans son dernier ouvrage, « Le malaise dans la culture ».
Marc Bélit : Il faut prendre acte de l’étouffement des moyens de l’État, la paralyse relative, et il faut prendre acte du fait que notre rayonnement à l’extérieur n’est pas bon, qu’il est empêché. C’est aussi un aspect de ce que je traite. Il faut prendre acte du fait que la création est dérangeante, changeante, et qu’elle n’a peut-être pas à être administrée directement à partir des bureaux parisiens et qu’il faut reprendre ça autrement. Il faut prendre acte que la société a changé, qu’elle est devenue beaucoup plus ouverte et que les mécanismes économiques et industriels affectent tout un chacun, que le comportement des individus est moins collectif et d’avantage individualisé. Et par conséquent, si l’État a une mission à faire, c’est à revenir sur ses fondamentaux. Pour ces fondamentaux, j’en distingue à peu près trois. Je dis que si la démocratisation a échoué telle qu’elle a été menée comme telle, il y a quand même un moment où elle peut avoir une utilité sociale indéniable, c’est au début de la vie des gens, dans l’enseignement. Et les grands échecs de l’enseignement artistique à l’école, des arts et de la culture me semblent un des premiers points qu’il faut traiter et avec une dépense comparable à celle que l’on fait pour la démocratisation des fêtes en général. On doit pouvoir faire de l’enseignement artistique correctement à l’école, c’est ce que je pense. La deuxième chose, c’est que dans une période où les identités culturelles se difractent, où le multiculturalisme semble être la ligne de conduite de beaucoup de groupes sociaux, en France, la question de l’unité nationale, en tout cas du destin commun se pose. Et on peut la reconstruire autour de quelque chose qui nous est commun, qui est la notion de patrimoine, à laquelle les français sont très attachés, par la reconstruction de l’appartenance de tous à un patrimoine commun, comme on le voit dans les journées de patrimoine mais aussi par les archives, par le livre, par cette notion extensive du patrimoine qui pet être aussi un patrimoine narratif comme on le voit parfois dans l’irruption de gens dans le paysage culturel, je pense au film « Indigènes », par exemple, où on voit que des gens s’invitent dans l’histoire nationale en disant : voilà, notre utilité sociale a été là. Donc, je crois que le patrimoine est un bon endroit pour développer ce besoin d’identité et de solidarité nationale. Et, troisièmement, si on veut pratiquer une politique culturelle équitable et bien menée, c’est effectivement une loi d’orientation sur la décentralisation. Et puis accessoirement il faudrait voir ce que pourrait être une véritable télévision culturelle, ou en tout cas dans la mesure où l’on paye une redevance publique, qu’il y ait, comme il y a avec France Culture, ou avec Arte, des chaînes dont l’objectif est culturel mais dont on sait quand même que l’audience est très réduite. Comment faire pour qu’il y ait un quota incompressible de programme culturel, qui soit garanti par la dépense publique, sinon on n’a pas besoin de payer la redevance, on peut laisser les choses au marché. Parce qu’on voit aujourd’hui comment convergent les chaînes sur une modalisation on dirait, grosso modo, des chaines commerciales, ce qui n’est pas sans poser problèmes. C’est l’un, ou c’est l’autre. Cet entre-deux qui caractérise la France n’est pas sain, comme tel.
Émile Biasini, collaborateur de Malraux et de François Mitterrand : Le Louvre, Versailles, l’Opéra, c’est des choses fondamentales qui existent et qui font parties de notre capitale. Il faudrait, à mon avis, supprimer le ministère de la culture, faire le ministère du patrimoine, je l’avais dit à Pompidou, il y a déjà 30 ans, et entretenir, encore une fois les Anglais sont beaucoup plus sages que nous, ils donnent de l’argent pour leurs fondements culturels. Et, à côté de cela, créé une action culturelle, faite uniquement de missions, sans qu’on s’occupe d’administration. Il y a deux aspects différents, il y a la culture et les témoignages du passé qu’il faut entretenir ou abandonner en générale et par ailleurs le présent, ce n’est pas ce que Lang a fait, c’est-à-dire créer une administration, des gens, des gens et des gens, c’est donner des moyens à des gens qui ont des idées et qui font des choses.
Daniel Templon, galeriste : Ce n’est pas à l’État de jouer le rôle de promoteur des artistes qui arrivent sur le devant de la scène. La politique culturelle est c’est bien ça qui est le problème en France, doit être menée par le secteur privé et pas par le secteur public. Le secteur public doit entériner par la suite les démarches individuelles et les consacrer, leur donner une autorité supplémentaire parce qu’elles entrent dans un cade qui devient un cadre culturel au sens pédagogique, une entrée relative, même minime dans l’histoire contemporaine. Je sais que ça se fait partout maintenant, mais ça ne se fait pas aux États-Unis, et c’est bien pour ça que l’art américain a aujourd’hui une place bien supérieure à l’art européen, sauf quelques exceptions, en Allemagne ou en Angleterre maintenant. En tout cas une place bien supérieure à celle de la France, qui sur la scène internationale est quasiment inexistante.
Pierre Bongiovanni, vidéaste : En ce moment, je travaille pour une revue, à la constitution d’une dizaine d’œuvres d’art pour 2025. Donc, je demande à 10 artistes d’imaginer des œuvres d’art publiques pour 2025. Le fait de faire travailler des gens de 30 ans aujourd’hui sur l’art qu’ils prévoient pour 2025, ça devrait être au cœur de la politique culturelle. Et ça n’est présent nulle part. C’est-à-dire que la vraie partie prospective, innovante, destinée à bousculer les conventions, à mettre en l’air les langues de bois, à sortir du clientélisme artistique français, c’est précisément de mettre en perspective un certain nombre de gens qui n’ont pas forcément des cartes de visite impressionnantes pour qu’ils travaillent sur les parties les plus pointues, les plus problématiques de l’évolution de notre civilisation. Si on ne fait pas ça, je ne comprends pas à quoi on sert. Et curieusement, ce que je vois, moi, c’est que les politiques publiques, en matière de culture, ne font que célébrer les schémas de pensées du passée, archaïques, des manières de penser mondaine et totalement à côté des enjeux du moment. Donc, la célébration, très bien, mais en termes de politiques culturelles, ce n’est pas ça le sujet. Le sujet c’est que les laboratoires de recherche aujourd’hui en Chine sont mieux équipés qu’en France, et qu’en Europe, les universités chinoises vont sortir des gens très bien formés, aussi créatifs sinon plus que nous et que nous on va rester étrangler par notre propre beauté, notre splendeur, pendant que les gens vont travailler ailleurs, vont travailler pas plus mal qu’ici, voire mieux, en tout cas plus de moyens. C’est ça, une politique publique. Investir massivement, non pas dans la distraction, parce que la culture est devenue comme disait l’autre est devenue une rame de distraction massive, il vaut mieux que les armes deviennent celles d’innovations massives. C’est ça, pour moi, une politique culturelle, et on n’est pas là du tout.
Pierre Bongiovanni, vidéaste : Il ne faut pas penser qu’un théâtre de demain, ou un cinéma de demain peut surgir sans l’accord profond, c’est-à-dire ceux qui ont le pouvoir à l’intérieur du pays, et sans le réseau qui furent jadis pour le théâtre, les comités d’entreprises, qui demain seront les nouveaux réseaux à créer en banlieues totalement différents, etc. ça ne peut pas se faire autrement mais il importe que quelqu’un dise voici le cap, voici où on va, voici ce qu’il convient de faire. Évidement on prend des risques quand on dit. Si après on s’est trompé, on dira quelle politique de cons on nous a proposée ! Mais c’est comme ça que ça peut se passer. Il y a eu une espèce de retrait de ce que racontait l’État. Il n’y a plus eu de courage de l’action. Mais il n’y a plus eu de politique de l’État.
Mathilde Monnier : Je pense que c’est extrêmement grave, c’est un silence terrifiant. Ce silence autour de la culture ça laisse présager d’une espèce de déni, à la fois de notre travail, de notre place dans la société, de la place de la culture, bien sûr, dans la société. Je pense aussi que c’est très mauvaise évaluation de l’opinion publique. On dit que la culture ce n’est pas un objet de campagne, je pense que c’est totalement faux. Je pense que les Français consacrent de plus en plus de temps à la culture, à des loisirs bien sûr mais la culture en fait partie, que ce soit la musique, le spectacle vivant, le cinéma, le livre,… c’est tout à fait imaginer que les gens peuvent vivre sans culture alors que je suis sûre que n’importe quel Français aujourd’hui mettrait la culture à une place beaucoup plus importante qu’on ne le croit. Or, c’est quelque chose qui n’est absolument pas évaluée, pas sondée du tout. C’est vrai qu’on n’a pas beaucoup de chiffres là-dessus. C’est une espèce de présupposé que la culture n’intéresserait plus personne. Je pense que c’est enjeux extrêmement important parce qu’il est aussi social. Ce n’est pas vrai que l’enjeu culturel n’est que culturel, il est aussi social. C’est une façon de vivre ensemble, de se regrouper autour des spectacles, c’est aussi la place des loisirs dans nos vies, des vacances, d’un espace qui ne soit pas qu’un espace de travail. C’est la place de l’éducation. On se rend compte que quand on parle culture, on parle éducation très, très vite. On parle détente, on parle bienêtre, on parle du corps aussi. Je veux dire des choses qui sont, à mon sens, très proches des préoccupations de beaucoup de gens.
Jacques Toubon, ministre de la Culture 1993-1995 : Une certaine tiédeur, je dirais, des propositions dans le domaine de la culture, tient au fait que ce n’est pas un dossier, comme on dit aujourd’hui, vivant. Ce n’est pas effectivement un domaine de l’action publique dans lequel il y a d’un côté la gauche et de l’autre côté la droite. Non. C’est un domaine où gauche, comme à droite, il y a des gens qui s’y intéressent, d’autres ne s’y intéressent pas. Certains voient dans la politique culturelle un cœur de l’action publique, d’autres au contraire la voit à la périphérie, mais c’est vrai que ces opinions sont d’une certaine façon également répandues à droite et gauche. Il n’est que de voir, par exemple, sous le gouvernement Jospin, comment des femmes comme Catherine Trautmann et Catherine Tasca qui avaient, je dirais, d’une certaine façon tout pour réussir, ce sont trouvées en but avec les professionnels de la culture qui auraient été supposés, entre guillemets, être de leurs amis. Donc, d’une certaine façon c’est bien. Parce que ça veut dire qu’on n’est plus dans la situation où on était dans les années 80, où quand un maire de droite était élu en 77, ou en 83, il arrêtait les initiatives culturelles qui avaient été prises par son prédécesseurs de gauche et inversement quand le prédécesseur de gauche revenait. Donc, ça, c’est bien. En revanche, ce qui n’est pas bien, c’est que beaucoup de nos politiques, considèrent que la politique culturelle c’est en plus.
Pierrick Sorin, plasticien et vidéaste : Le fait qu’on entende assez peu parler de préoccupations culturelles en période électorale, personnellement, ça ne me gêne pas beaucoup. Parce que je comprends très bien que dans une société qui est en but à des difficultés diverses, la question culturelle ne soit pas la principale préoccupation. Il ne faut pas exagérer non plus. Je suis vraiment pour qu’on défende un certain nombre de choses qui pour moi sont vraiment essentielles. Par exemple, une radio comme France Culture, une chaine comme Arte, ça, c’est des choses qu’il ne faudrait vraiment pas toucher sinon là, je suis prêt à descendre dans la rue et taper… par contre le fait de ne pas parler d’aides éventuelles qu’on ne va pas apporter aux artistes,… ça, ça ne me choque pas du tout. J’ai même un côté presque de droite au sens où je pense que si les artistes veulent qu’on parle d’eux il faut qu’ils commencent par faire un travail intéressant et entre guillemets, Dieu y reconnaitra quand même les siens un minimum. Je suis plutôt e gauche mais des fois j’aime bien tenir des propos de droite, liés à la réussite personnelle, et à un certain effort. Voter Sarkozy, non. Ségolène, ça va. J’ai remarqué qu’on approchant Ségolène d’assez prêt elle n’y connaissait rien, c’est clair, mais…
Gérard Wacjman, psychanalyste et écrivain : Foutre la paix à l’art, c’est bien, mais ce n’est pas la vérité. On ne fout pas la paix à l’art. La politique culturelle existe, et existera d’autant plus que chacun aura trouvé sa position. Moi, je ne peux pas entendre parler de démocratie participative sans imaginer quelles conséquences ça a sur le domaine artistique. On me dira que ce n’es pas comme ça que ça va se passer etc. mais on sait bien que c’est tout de même comme ça que ça se passe. Si on se met à demander aux gens ce qu’ils veulent voir dans les musées, au secours ! Fuyons tout de suite. On sait très bien ce que les gens veulent, l’art contemporain est cuit. Les artistes peuvent aller à l’étranger, l’affaire est close. Ils ont un goût réactionnaire. Je ne crois pas à la démocratie en matière d’art. Pour le coup, je n’y crois absolument pas. Je crois à la démocratie quant à la nécessité absolue de faire que les gens puissent voir le maximum de choses, qu’on donne la possibilité aux gens de voir le maximum de choses même si cet aspect des choses n’est pas sans conséquences difficiles... Je peux en dire un mot peut-être. Les gens veulent voir, tout voir. Il y a un côté éclairage ( ?), plein feu et le wihtetube, même si sa conception dans le musée a une autre origine, il répond tout de même de cette nécessité-là, de donner tout à voir aux gens. Moi, je pose des questions sur l’avenir de tout ça. Parce que le mouvement c’est toujours, plus de monde et toujours plus de trucs à voir. Je fais le pronostic du coup qu’il va y avoir une revendication de raréfaction. C’est pour ça que j’ai voulu créer un lieu, à la maison rouge, une fondation d’art contemporain, à Paris, qui est une chambre d’hôtel, où il y a peu de gens qui peuvent entrer à la fois. Un lieu comme celui-là, un lieu modeste, mais où des gens viennent, peuvent se reconnaître entre eux. Ce n’est pas un public, ce sont 30 personnes différentes et qui vont éventuellement passer une heure avec un artiste, le rencontrer, avoir un rapport de proximité plus grand avec cet artiste. Donc, recréer une relation justement de près, que je pense fondamentalement opposée à la relation de la culture qui est toujours une relation de loin. Ce n’est pas pour vanter mon petit machin, c’est pour dire que je crois en effet que c’est quelque chose qui va se passer. Il y aura nécessairement au regard de cet effet, il faut le stade de France maintenant. Y compris pour de très grand artiste, il y aura une pente au stade de France. Moi, je voulais créer un zénith intérieur, un Zénith à 30 personnes. Mais je crois que ça va de paire avec ce qui est en train de se passer. Je ne suis pas en train de dire, il ne faut que ça. Je dis, justement parce qu’il y a cet effet de foultitude, il y aura au regard de ça, des effets de singularisation.