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Les années Malraux : les chefs-d’œuvre dans la maison (1959-1969)

Transcription, par Taos Aït Si Slimane du documentaire de Martin Quenehen et Philippe Rouy, mixage Bernard Laniel, archive Ina, Émelie Franceinter et Jennifer Guillot. Émission, du lundi 9 avril 2007, Sur les Docks, produite et coordonnée par Jacques Chevalier, « Rendre la culture au peuple : 50 ans de politique culturelle française : Les années Malraux : les chefs-d’œuvre dans la maison (1959-1969) »

Édito sur le site de l’émission : En 1959, André Malraux, premier ministre des Affaires culturelles, « invente » à la fois la politique culturelle et son paradoxe : comment promouvoir un art d’avant-garde, qui bouleverse les critères esthétiques établis, et en même temps populariser cet art ? Nos cinq documentaires mettent en lumière les différentes politiques culturelles qui ont successivement cherché à résoudre ce paradoxe.

Par ailleurs, la politique culturelle française possède une dimension territoriale essentielle. Comment l’État diffuse et implante-t-il sa politique culturelle en France, mais également à l’étranger ? De la rue de Valois à l’AFAA - devenue en 2006 « Cultures France » - en passant notamment par les DRAC et les municipalités, nous présenterons les différentes échelles d’une politique culturelle en évolution, entre centralisation et déconcentration.

Chacun des cinq épisodes de cette série s’attarde donc sur une période spécifique en interrogeant la logique de l’État en matière de politique culturelle. Cette logique est ainsi exhibée à travers la « philosophie d’action » et l’œuvre des ministres et des acteurs institutionnels successifs, mais également au travers du regard des artistes, qui éclairent les débats suscités par les choix politiques.

Ces documentaires donnent la parole à des acteurs et des témoins, éminents et anonymes, de chaque période, ainsi qu’à des chercheurs qui ont analysé les évolutions et les ruptures de la politique culturelle française. Ils donnent également à entendre des archives sonores, qui sont autant de traces patrimoniales révélatrices de cette entreprise.

Le documentaire d’aujourd’hui s’attache à faire revivre l’épopée pionnière des « années Malraux », à travers l’évocation de la création du Ministère des Affaires Culturelles en 1959, de son ambition de réconciliation nationale et de rayonnement international, de la conception chère à Malraux du « choc électif », de la rencontre du public avec l’art dans les Maisons de la culture, mais aussi de ses limites : ses difficultés budgétaires et ses rendez-vous manqués...

Avec : Marc Bélit, auteur du Malaise de la culture, Éd. Séguier, 2006 ; Emile Biasini, ancien directeur du théâtre, de la musique et de l’action culturelle ; Pierre Boulez, compositeur et chef d’orchestre ; Daniel Buren, artiste plasticien ; Hélène Mathieu, ancienne directrice de la culture et de l’éducation populaire ; Jeannine Mossuz-Lavau, sociologue ; Roger Planchon, comédien et metteur en scène ; Jacques Rigaud, ancien directeur de cabinet de Jacques Duhame ; Jack Ralite, sénateur de Seine Saint Denis ; Bernard Stiegler, philosophe ; Philippe Urfalino, sociologue ;Gérard Wacjman, psychanalyste et écrivain.

Producteur coordonnateur : Pierre Chevalier / Producteur délégué : Martin Quénehen /Réalisation : Philippe Rouy

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Transcrire un documentaire radiophonique n’est pas chose aisée. J’ai essayé d’indiquer un maximum de références, certaines – en cas de doute - sont remplacées par des points d’interrogation. Je mets également un point d’interrogation chaque fois que j’ai un doute sur l’orthographe d’un nom, d’un mot et quand un mot ou groupe de mots sont inaudibles.

L’oralité est respectée dans toutes les transcriptions disponibles sur ce site et initialement publiées sur le blog Tinhinane. Je remercie par avance tout lecteur qui me signalera les probables imperfections.

En France, la culture est depuis longtemps administrée par le pouvoir politique. Depuis le mécénat royal jusqu’à la décentralisation théâtrale, chère à Jeanne Laurent, en passant par la sauvegarde du patrimoine de la liberté lors de la Révolution française, la création d’une direction des beaux-arts dépendante de l’instruction publique sous la IIIe République et le Front populaire, l’État n’a jamais cessé d’intervenir. Mais il a fallu attendre 1959 pour voir la création des affaires culturelles et avec lui l’affirmation d’un grand projet politique d’action cultuelle chargé de rendre la culture au peuple et le peuple à la culture. Depuis 50 ans s’est ainsi imposée, en France, l’existence d’un droit à la culture qui selon le souhait exprimé par Robert Brichet en 1956 devait à la fois élever le goût du public, aider les artistes et conserver le legs du passé.

Cette semaine nous parcourons ensemble cinq décennies de politique culturelle à la française en compagnie de témoins et d’acteurs de cette histoire. Ministre, administrateurs, artistes et chercheurs témoignent ici de leur expérience singulière et des différentes philosophies d’actions qui ont présidées aux destinées de la politique culturelle. Premier Volet, Les années Malraux, les chefs d’œuvres dans la maison.

( ?) Pourquoi nous sommes nous battus pour qu’il existe un ministère de la culture ? Il faut se rendre compte qu’à l’époque ça n’allait pas de soi parce que le mot ministère de la culture était attaché au nazisme. Et donc, il y a toute une série de gens du théâtre privé qui étaient violemment contre l’idée même d’un ministère de la culture. Il y avait par ailleurs l’extrême gauche en France qui était contre aussi parce que ça rappelait le stalinisme. Donc, évidement lorsque de Gaulle a décidé de créer un ministère de la culture pour nous ça a été une victoire parce qu’on se battait depuis des années et des années, ça a duré des années de batailles.

André Malraux, artiste autodidacte et militant charismatique se voit confier par le Général de Gaulle les clefs du premier ministère des affaires culturelles, dont le Décret du 24 juillet 1959 précise les objectifs. « Le ministère chargé des affaires culturelles a pour mission de rendre accessible les œuvres capitales de l’humanité et d’abord de la France au plus grand nombre possible de Français ; d’assurer une plus vaste audience à notre patrimoine culturel et de favoriser la création des œuvres d’arts et de l’esprit qui l’enrichisse. » Malraux est alors sensé opérer symboliquement mais aussi pratiquement le grand rassemblement républicain mis à mal par le souvenir de Vichy et les guerres coloniales. Entouré de proches du Général, anciens résistants, ou administrateurs coloniaux, présentés comme des pionniers, le flamboyant Malraux se lance alors, tête baissée, dans l’action culturelle.

Jack Ralite, sénateur de Seine Saint Denis : L’arrivée du ministère, je fais partie de ceux qui l’ont saluée, personne ne pouvait récuser le poids de Malraux dans la création, dans la culture en général, par ses œuvres personnelles et par ce qu’il disait de la création. Moi, ce qui me touchait chez lui c’était que cet homme attachait une importance capitale à la création et de ce point de vue, si j’ose dire, parce que je ne l’ai rencontré que 2 ou 3 fois, il y avait un compagnonnage, qui d’ailleurs reprenait des idées du Front populaire et de la résistance. Et comme au Front populaire il était très proche d’Aragon, par exemple, parce qu’on parle des Maisons de la culture, mais la première maison de la culture c’est le Front populaire, c’est une idée d’Aragon. Donc, il y avait là de grandes affinités.

Marc Bélite, directeur de scène nationale et écrivain : Je crois que Malraux, par son parcours personnel, par sa jeunesse, par les mouvements antifascistes auxquels il a participé, a beaucoup fréquenté les mouvements de gauche, donc, il a reçu, je dirais, une bonne piqure de rappel de ce qui s’est passé au moment du Front populaire. Et ayant traversé la guerre et les épreuves qu’il a connues à cette époque-là, Malraux revenant avec de Gaulle devant un pays divisé, fracturé, un pays qui a été occupé, un pays qui a été vaincu, se dit comment refaire l’unité de la France ? On ne la refait pas avec un plan Marchal, ce n’est pas si simple, il faut encore recréer la dignité nationale. Et qu’elle est la conviction d’un intellectuel comme Malraux et d’autres intellectuels ? C’est de dire ce à quoi la France tient le plus, c’est finalement à sa culture. Et donc, l’idée de Malraux c’est de dire : pour refaire du consensus national, il faut que nous reconstruisions autour de cette idée. De Gaulle a produit un rassemblement politique, il faut accompagner ce geste là, de réconciliation nationale, autour de quelque chose qui nous ne divisera pas. Là-dessus on est d’accord. Et c’est vrai que d’une manière générale, même tout au long de cette histoire du XXe siècle et au-delà, la culture n’est pas un objet de division entre les Français.

Jeannine Mossuz-Lavau, sociologue : Ça a été tout son engagement politique après la libération. Parce que dans un premier temps quand de Gaulle crée le RPF (Rassemblement du peuple français) en 47, Malraux devient délégué à la propagande. Ce qu’il organise à ce moment-là, sous une forme extrêmement théâtrale, c’est les grands meetings du général de Gaulle. C’est lui qui les organise, qui fait en sorte que justement qu’il y ait cette possibilité de communion entre le chef, le général de Gaulle, et la population qui va venir, dont il espère toujours, parce que pour lui le gaullisme justement c’est un rassemblement, qu’elle soit conforme à la définition qu’il en donnait, c’est-à-dire le métro à 6h du soir, c’est-à-dire tout le monde. Et donc, ce qu’il essaye de provoquer c’est une communion directe entre le chef et cette population qui va venir dans les meetings. Et il fait tout une mise en scène extrêmement théâtrale, je dirais presque artistique, où il intervient lui en général, il fait un grand discours, juste avant le général de Gaulle, et ça se termine par : « et vous allez entendre maintenant le Général de Gaulle ». Et c’est ce qu’il va refaire après quand il sera ministre de la culture.

Extrait de Les poètes de Léo Ferré qui se continue en fond musicale.

Ce sont de drôles de types qui vivent de leur plume
Ou qui ne vivent pas c’est selon la saison
Ce sont de drôles de types qui traversent la brume
Avec des pas d’oiseaux sous l’aile des chansons
Leur âme est en carafe sous les ponts de la Seine
Leurs sous dans les bouquins qu’ils n’ont jamais vendus
Leur femme est quelque part au bout d’une rengaine
Qui nous parle d’amour et de fruit défendu
Ils mettent des couleurs sur le gris des pavés
Quand ils marchent dessus ils se croient sur la mer
Ils mettent des rubans autour de l’alphabet
Et sortent dans la rue leurs mots pour prendre l’air…

Malraux entend rassembler les Français dans les cathédrales laïques, que sont les Maisons de la culture. Son projet est d’y convertir ces concitoyens à l’idéal républicain en provoquant chez eux le choc électif, né du contact direct avec les chefs-d’œuvre.

Philippe Urfalino, sociologue : La création de ce ministère, quelque soit le caractère contingent de l’initiative qui fait qu’on l’a crée, il s’agissait de trouver un poste pour André Malraux parce qu’on ne voulait pas le laisser au ministère de l’information. Malraux et la période dans laquelle ça s’est fait ont contribué à donner à cette action une dimension très volontariste, qui a la forme d’un projet qui est à la fois social, modernisateur et esthétique. C’est encore une période où on croit à l’État en avance sur la société. De Gaulle vient d’arriver au pouvoir, c’est la grande période du plan, l’État doit transformer la société, doit contribuer à transformer la société. Donc, là, c’est la dimension « modernisateur » du projet politique culturelle. Et à côté, la politique culturelle va aller contre ce qui est ringard dans le secrétariat d’État aux Beaux-arts. Ensuite il y a un côté projet social. Et là, c’est la trouvaille de Malraux mais c’était conforme à ses convictions. C’est de faire un mouvement qui s’est fait dans d’autres ministères gaullistes, ce de Gaulle que les intellectuels de gauche considéraient comme un dictateur et bien il va être à la tête d’une politique qui pourrait être une politique de gauche. Et c’est Malraux qui explique que le rôle de la politique culturelle c’est de faire en sorte que tout le monde ait accès aux œuvres. C’est un thème qui a beaucoup énervé la gauche. D’ailleurs, dès le moment où Malraux, récemment nommé ministre des affaires culturelles, défend son budget devant l’Assemblée nationale et le Sénat le parti communiste envoi un de ses leaders, en occurrence Roger Garaudy, pour attaquer Malraux, pour dire tout ça c’est des faux semblants, ce n’est pas la réalité, la démocratisation n’est qu’un vain mot, qu’un vœux pieu, ce qui n’était pas du tout le cas, c’était tout à fait une conviction, donc une dimension sociale de la politique culturelle. Elle doit démocratiser. Et puis, troisième aspect, une dimension esthétique. Sur ce point, Malraux qui était ami d’un certain nombre de grands artistes, est très impressionné par la fin du XIXe, début du XXe, par les impressionnistes (Picasso, Mathis,...) est un homme qui considère que l’État doit donner l’exemple. Et donc, l’État doit aider l’histoire de l’art à accoucher.

« Archive radiophonique : Au Palais du Louvre, dans la salle connue sous le nom de Galerie Mollien, grande affluence pour l’inauguration privée de l’exposition, Chagall, « Les bibliques de Chagall ». L’exposition a été inaugurée par monsieur André Malraux, Ministre d’État chargé des affaires culturelles : « La première chose qui me frappe c’est qu’il y a, ici, une foule considérable, comme à tous les vernissages. Il en est des vernissages comme des mariages. Il est des mariages où tout le monde à l’air content, c’est ceux qui tourneront bien, et des mariages où tout le monde a l’air triste. Et bien, ici, c’est un vernissage où tout le monde à l’air joyeux. Et tout le monde à l’air joyeux parce qu’il y a dans la couleur de ce que nous sommes en train de regarder une puissance d’exaltation telle prend même d’une façon non artistiquement directe non esthétique, elle prend absolument au ventre tous les gens qui sont en train de regarder. »

Jacques Rigaud, président de l’Alliance française : Dans l’esprit d’un André Malraux et de Gaétan Picon il y avait un peu l’idée que le contact entre le premier venu, l’homme quelconque, et la culture devait se faire sans médiation, une espèce de frisson sacré. Il y avait une conception nietzschéenne et post-religieuse chez Malraux. L’art avec un grand A étant le substitut des divinités disparues, par conséquent, même s’il fallait bien sûr une action de terrain avec de l’action culturelle, rien ne remplaçait cette espèce de contact direct.

Bernard Stiegler, philosophe : La grande puissance de la pensée d’André Malraux sur cette question de la culture c’est qu’elle passe par cette question du culte. Évidemment, nous, nous vivons dans des sociétés, comme disait Max Weber après « Le désenchantement du monde », où Dieu est mort. On a beaucoup souligné que l’art a remplacé la religion, on répète ça très souvent, pourquoi est-ce qu’on le dit ? Pourquoi est-ce qu’on est fondé à le dire ? C’est parce qu’il y a des objets de la culture qui ne sont pas des objets de la culture quotidienne mais des objets d’exception, ou d’extraordinaireté. Car qu’est-ce que c’est qu’une pratique cultuelle ? C’est une pratique de quelque chose à quoi on voue un culte inconditionnel. Quand par exemple vous collectionnez des Picasso, ça existe, il y a des gens qui collectionnent des Picasso, qui sont près à dire je mets 10 millions de dollars pour avoir ce dessin de Picasso. Le vrai collectionneur, c’est un amateur. Qu’est-ce qu’un amateur ? Amateur, ça vient de amor, qui veut dire aimer. C’est l’amour à mort même. Un amateur aime à mort les œuvres. Il est prêt à se retrouver en prison. Vous avez entendu parler de ces gens qui volent des tableaux. Ils ne volent pas pour vendre des tableaux, c’est de la folie. Le rapport aux objets de culture lorsqu’il devient cultuel procède toujours un peu d’une telle folie. La chose n’a pas de prix, ils seraient prêts à tout pour obtenir ça. Ça, c’est le rapport normal aux œuvres. On ne peut pas avoir un rapport à la culture en tant que processus d’élévation qui ne passe pas par l’expérience d’un tel culte. Moi, j’ai été, par exemple, un barjo de jazz. J’étais prêt à n’importe quoi y compris à voler pour avoir des disques de jazz. J’ai monté une boîte de jazz, ça m’a coûté cher d’ailleurs, ça a mal tourné. J’étais fou de jazz et aussi fou de littérature et maintenant je suis fou de philosophie. On ne peut pas faire de philosophie ou de la littérature dans des conditions normales si on n’a pas un petit grain par rapport à l’objet, parce que c’est un objet d’amour et pas simplement un objet d’intérêt.

Gérard Wacjman, psychanalyste et écrivain : Il y a quelque chose qui me semble être le centre de la notion de la culture, de mon point de vue, qui est la fonction collectivisante, regroupante, fédérative et fondamentalement cultuelle. Et que l’objet qui permet ce regroupement soit un objet dit artistique ne change rien à l’affaire. Les musées sont des lieux religieux. Dès qu’on transforme une collectivité en communauté, au fond on a un effet religieux. Là où, pour moi, l’effet de l’art doit se penser en effet au singulier, les œuvres d’art divisent et la culture réunit.

« En face de ces puissances on a compris qu’il n’y a qu’une seule autre puissance. En face de la mort il n’y a que ce qui résiste à la mort. En face des puissances de la nuit il n’y a que l’immortalité. Pour des raisons assez mystérieuses tous les gens qui sont ici que tantôt avec la douleur, et tantôt avec le rire ce qui avait survécu pendant des siècles était l’arme la meilleur que le monde puisse trouver contre ce qui était en train de le menacer. Telles sont, mon Général, les raisons qui ont guidé les femmes et les hommes qui sont devant vous, je tenais à vous le dire, en leur noms. » André Malraux

Jeannine Mossuz-Lavau : Il essayait de proposer, justement, une confrontation physique avec l’œuvre, à chaque fois qu’il a pu le faire. Et ça, ça remonte, je dirais, à très longtemps. Parce qu’il y a quelque chose dont on ne souvient plus très bien aujourd’hui qui est ce qu’il avait essayé de faire quand il avait été dans la brève période 45-46, ministre de l’information du général de Gaulle. Un de ses premiers projets ça avait été de faire faire des grandes reproductions des principales œuvres d’art, disons, du trésor patrimonial artistique français et son idée était de les envoyer dans les différentes préfectures, départements et endroits où on puisse admirer les reproductions de ces œuvres puisqu’on ne pouvait pas les envoyer comme ça un peu partout. Et il avait fait, il a eu le temps, ça n’a duré que quelques semaines ce ministère, il a eu le temps de faire reproduire le, ça a été la seule reproduction en très grand, il a d’ailleurs gardé chez lui une reproduction du Moulin de la Galette et son projet était de faire plein de reproduction et de les envoyer comme ça dans les différents départements. Il a repris cette idée quand il est devenu ministre des affaires culturelles, de provoquer ce contact direct.

Daniel Buren plasticien : Moi, j’étais déjà à l’époque, bien que très jeune, tout à fait opposé à ça. Parce que je pense qu’effectivement mettre le plus grand nombre de gens au contact d’une œuvre telle qu’elle soit, ça, c’est essentiel, très important, très intéressant, je suis sûr qu’on serait étonné de voir comment les gens qui n’ont pas accès au musée ou qui n’y vont jamais si on leur permettait ça, dans leur majorité, on serait étonné de leur réaction. Il y aurait forcément, là-dedans, des gens qui seraient eux-mêmes bouleversés et qui peut-être changeraient même beaucoup de choses dans leur vie en ayant vu de près qu’est-ce que c’est cette œuvre ? Que ce soit une œuvre classique ou une œuvre actuelle. En revanche, présenter une reproduction fut-elle à l’échelle 1/1, le plus proche possible etc. tout ce qu’on sait qui à l’époque était plus que douteux mais aujourd’hui où ce ne serait même plus précis, serait extrêmement dangereux, me semble peu compatible avec justement cette possibilité d’ouvrir l’art visuel à plus de gens possible.

Marc Bélite : La conviction de Malraux c’est que dès lors que la rencontre serait possible, et bien la rencontre se produit. C’est sa conception artistique fondamentale que l’art produit une présence, que si vous êtes en face de la Venus de Milo, ou la Joconde, ou telle œuvre d’art, l’ange de Reims, etc. nous sommes atteints par le sourire de l’ange de Reims. Nous ne pouvons pas rester indifférents au sentiment d’humanité qui sur un portail d’une cathédrale va tout d’un coup illuminer le Moyen-âge, et c’est sa conviction profonde. Or, c’est évidemment, largement une illusion. Malraux n’ira guère plus loin. Tout son travail a été de dire aux Français, vous avez un patrimoine, vous avez une histoire, vous avez une culture commune, vous avez un art qu’il faut non seulement reconnaitre mais aider à rayonner. Et au-delà de cet art français, il y a un art mondial où par le privilège de la ressemblance des formes vous pouvez aussi appréhender ce que c’est l’art océanien, l’art de Cyclades etc. et donc traverser à la fois les contingences du temps et de l’histoire et découvrir que l’art est universel, que c’est un liant universel. Donc, je dirais, si on voulait résumer à la pointe du crayon quelle est l’apport de Malraux, c’était de dire aux français, vous avez l’art comme indivisible héritage.

Malraux , discours de l’inauguration de la maison de la culture d’Amiens, 1966 : « Il était entendu, il y a 130 ans, que la plus grande actrice française ne pouvait pas jouer dans cette ville parce qu’il n’y avait personne pour l’écouter. Vous êtes tous ici et combien d’Amiénois seraient-là après vous. Vous êtes plus nombreux comme abonnés de cette maison qu’il n’y a d’abonnés à la Comédie française. A Bourge qui a 2 ans d’existence réelle il y a 7 milles abonnés et Bourg a 60 milles habitants. Rien de semblable n’a jamais existé au monde sous aucun régime, jamais 10% d’une nation ne s’est trouvé rassemblée dans l’ordre de l’esprit. La maison de la culture c’est vous. Il s’agit de savoir si vous voulez le faire ou vous ne le voulez pas. Et si vous le voulez, je vous dis que vous tentez une des plus belles choses qu’on ait tentée en France parce qu’alors avant 10 dix ans, ce mot hideux de province aura cessé d’exister en France. »

Jack Ralite : Les Maisons de la culture, ça a été un événement qui malheureusement s’est limité rapidement parce que ça coûtait cher. Les villes s’en saisissaient quand elles aimaient la culture, en tout cas certaines d’entre-elles, parce qu’il y avait une subvention 50/50. Mais comme on était encore à la période où les maires se mêlaient de culture, je pense à Michel Durafour à Saint-Étienne, dès que la maison a été faite, en tout cas pour celle de Saint-Étienne, il l’a municipalisée. Mais enfin ça a compté. Moi, je me rappelle de l’inauguration de celle de Bourg, le discours de Malraux, le discours de Malraux a Amiens, le discours de Malraux à Grenoble, ça raisonnait dans les profondeurs de l’histoire d’un pays, d’un futur et puis de la vie du moment.

Emile Biasini, directeur chargé du théâtre et des maisons de la culture : Il y avait une maison du peuple qui datait de 36, à Bourg, qui ne servait pas à grand-chose et j’ai utilisé cette maison pour faire, peut-être pas la première, mais une des premières maisons de la culture. Et le maire, Boidet, me téléphone, outré et me dit : « Vous savez, on vient de trouver un couple, un garçon et une fille des lycées qui était en train de aire l’amour dans un coin, c’est scandaleux » Je lui dis, mais c’est formidable ! Car c’est précisément l’endroit où on avait mis un caldère. C’est fantastique ! Si ces jeunes gens ont eu la révélation physique sous un caldère c’est prodigieux c’est ce que j’appelle l’action culturelle. »

Jack Ralite : Alors ça ne voulait pas dire que c’était toujours bien. Je ne peux pas ne pas raconter la naissance du théâtre de la commune. Lorsque Biasini était venu, et tout ça. Puis au moment où on a ouvert le théâtre, on a fait les travaux, l’intervention du ministère Malraux c’était de nous prêtre, nous prêter 30 projecteurs et deux tables à repasser. Ce centre dramatique national, il est né comme ça. Et alors, bien sûr, ça a fait un petit peu une émotion. J’ai été reçu au ministère par son directeur de cabinet, il a dit : « Vous savez, c’est un prêt définitif. » Je me souviens, je lui dis comme ça : « Mais vous savez, un projecteur ça ne vit pas définitivement. »

Philippe Urfalino : Il faut bien se rendre compte qu’au début, les maisons de la culture des premières années ça a été un succès extraordinaire. Un nombre d’abonnés tout à fait remarquable. Ça marche très bien les maisons de la culture. Parce qu’elles arrivent dans un paysage provincial où il n’y a pas de salles. Lé théâtre ont été détruits pendant la guerre ils ont été rarement reconstruits, il n’y a pas de salles de qualité etc. Donc, les maisons de la culture, comme on va y mettre des hommes, là c’est la décentralisation dramatique, qui ont à la fois un très bon niveau artistique et on même temps une vraie vocation pour une rencontre avec la population, ça va très, très bien marcher. La pratique ne va pas être nécessairement conforme à l’idéologie de Malraux. Certains directeurs de la maison de la culture vont faire, en douce, de l’éducation populaire, en cachette je dirais presque, en préparant le public, en proposant des actions de sensibilisation etc. Donc, il faut distinguer l’idéologie de la politique culturelle et puis la pratique des gens qui sont sur le terrain. Ça sera un petit différent.

Jack Ralite : On a commencé en 1959, ici, à créer un groupe de théâtre, -je venais d’être élu maire adjoint à la culture à l’enseignement- avec Gabriel Garran. Il y a eu rapidement 70-80 jeunes enseignants, jeunes techniciens, quelques jeunes ouvriers, ne mystifiant pas la période. Et avec Garran ils ont vraiment fait un travail à la fois de création, je me rappellerai toujours de « La cruche cassé » de Von Kleist qui était remarquable, et en même temps démocratisation. Ils passaient leur temps libre, en dehors de leur vie théâtrale, qui n’était pas à l’intérieur de leur vie professionnelle biens sûr, à faire du porte à porte. On avait en gros un paquet, si j’ose dire le mot, de 100 passeurs de la nécessité d’un théâtre dans la ville qui était étonnants, étonnants. Ils ont labouré la cité. Garran me disait : « On devrait faire un pas en avant ». Et c’est là qu’on a crée le festival d’Aubervilliers, en 61, qu’on faisait dans un gymnase à côté de la salle des fêtes. On a fait 4. On a arrêté quand le théâtre a ouvert. Je pense qu’on n’a pas eu raison mais enfin on l’a fait, c’est comme ça.

Philippe Urfalino : La philosophie de l’action du ministère est anti éducative, donc pas besoin d’éducation populaire, vise à démocratiser les œuvres les plus importantes, à mettre dans les institutions du ministère des artistes professionnels. Donc, il n’y a pas de place pour les amateurs. Il y a même un certain mépris pour l’amateurisme local. Par exemple, dans les statuts de la maison de la culture, qui est une association loi 1901, on précise bien dans les textes qui préfigurent ces statuts, les déclarations d’intentions, que l’on doit créer des notables culturels. Mais les notables culturels ce n’est pas la culture des notables locaux. La maison de la culture dans son idéologie du moins est très anti notables, on se méfie du notaire ou du médecin cultivé. Il faut que les maisons de la culture soient animées par des artistes, on entend par artistes les artistes professionnels.

Roger Planchon, comédien et metteur en scène : Il y avait l’idée qu’il fallait s’emparer de la culture bourgeoise et l’offrir au peuple. Il fallait donc l’amener. Il y avait donc à l’intérieur des entreprises toute une série de militants syndicalistes, quelques soient leurs tendances politiques que ce soit des communistes, ou des chrétiens, ou des prêtres ouvriers, qui faisaient un effort considérable pour essayer d’amener la culture au peuple en étant persuadé qu’il allait se passer quelque chose et qu’il fallait faire quelque chose. Cette idéologie, qui est très forte, très importante, dont on ne soupçonne pas la force aujourd’hui, puisque tout est dérisoire et est devenu différent, à l’époque va nous porter et va faire en sorte d’amener un public. Je le dis toujours, j’ai parlé un jour devant Berliet où il y avait 12 000 ouvriers qui m’ont entendu parler du théâtre. C’est inimaginable aujourd’hui. On ne peut pas penser une chose pareille. Donc, évidemment il y avait ces militants qui étaient la base sur laquelle on s’appuyait et ces militants, dans certains cas, avec le budget du comité d’entreprise achetaient des billets qu’ils redistribuaient à des sommes dérisoires où même gratuits aux ouvriers qui venaient.

Archives radiophoniques : 400 millions d’anciens francs telle est la valeur des tableaux, prêtés par les musées nationaux, qui illuminent la cantine, aux tables de bois blancs, de la Régie Renault. Cette exposition consacrée aux peintres du XVIIIe siècle à nos jours dont autres des œuvres de Moreau le Jeune, Coro, Courbet, Bourdin, Monet, Marquet et Gromet. Mais qu’en pensent les travailleurs de chez Renault Si ces tableaux avaient été exposés autre part que dans votre cantine seriez-vous allé visiter l’exposition ? (1) Non, je ne le crois pas. Pourquoi ? Je n’ai jamais été voir de tableaux de grands maîtres. Qu’elle est votre impression ? J’étais satisfait. Ça m’a retiré un préjugé. Quel préjugé ? Je croyais m’ennuyer à regarder des tableaux de maitres. Aller voir des peintures que ce soit au musée du Louvre, ou ailleurs, j’ai l’impression de passer une après-midi barbante, si j’ose dire. Et que pensez-vous du cubisme ? (2) Le cubisme qu’on on vous l’a bien expliqué on le comprend. (1) Je m’attendais à autre chose. A quoi vous attendiez-vous ? (1) Je ne saurais pas trop dire, moi. La tour Eiffel m’a plutôt déçue. Pourquoi ? Je ne sais pas. Vous pouvez me donner un exemple, un tableau qui vous a plu ? (3) Je les ai regardés mais je n’ai pas regardé le nom. Vous voyez cette tour Eiffel ? C’est un tableau qui m’a énormément plu. Pourquoi ça vous a plu ? (3) Parce que vous voyez cette tour Eiffel qui est grise ? Ça me permet d’aller au-delà, ou d’avoir des pensées sur Paris, ou… Vous la voyez autrement qu’on la voit habituellement ? (3) Voilà, oui. C’est surtout ça ? (3) Non ce n’est pas tellement ça, c’est parce qu’elle nous permet de penser plus à Paris. Est-ce que vous avez des tableaux chez vous ? (3) Oui, j’ai un tableau mais ce n’est pas un tableau de maître. C’est un tableau qu’on m’a offert, alors vous voyez. C’est peut-être une reproduction ? Non, non. (3) C’est un bord de mer de Villeurbanne. Et alors ça vous plait ? (3) Oui, il me plait parce que… Où l’avez-vous placé ? (3) Vous savez ce n’est pas grand chez moi. J’ai juste une petite pièce, 3 x 2,50. Où l’avez-vous mis ? (3) Il est sur le mur quoi. Vous le voyez tous les jours ? (3) Je couche en-dessous alors…

Philippe Urfalino : Lorsqu’on dit que Malraux c’est la démocratisation de la culture, c’est juste mais ce n’est que la moitié. Ce n’est pas une bonne manière de caractériser notamment la spécificité de la politique Malraux. Parce qu’elle politique culturelle ne dit pas qu’elle souhaite démocratiser ? Mais ce qui était frappant, il suffisait de lire Malraux d’ailleurs, de lire tous ses discours, il y a une dimension fortement anti-éducative. Alors, il faut ramener, pour la petite histoire, au fait que Malraux est autodidacte mais aussi au fait que Malraux se serait bien vu à la tête de l’éducation nationale et qu’en fait on lui a bricolé un tout petit ministère. Très petit, fait de l’ancien secrétariat d’État aux beaux arts auquel on a ajouté le Centre national du cinéma, qui appartenait au ministère de l’industrie, et auquel on a donné par ailleurs la codirection avec le ministère de la jeunesse et des sports de certains bureaux dits de l’éducation populaire. Donc, c’est un truc tout petit et dans ses discours il doit aussi se démarquer de l’éducation nationale. Donc, il y a aussi une dimension tactique. L’éducation nationale qui lui a mis pas mal de bâtons dans les roues puisqu’au moment où le ministère a été crée on ne croyait pas à sa survie. On pensait que c’était juste un petit service rendu par de Gaulle à Malraux mais que c’était une sorte de voie de garage. Donc, on n’y croyait pas et on n’a rien fait pour faciliter la survie de ce ministère qui était extrêmement fragile pendant les premières années. Mais en même temps, ce discours anti éducatif, dans le domaine de l’art, de Malraux était lié à ses convictions. C’est lié à sa philosophie de l’art. Pour lui l’art et le grand art, le grand artiste c’est celui qui est immédiatement universel. S’il est universel il n’a pas besoin de médiation, il n’a pas besoin d’éducation, il touche immédiatement les hommes. Le grand art c’est ce qui manifeste les grandes expériences de l’humanité, la mort, la naissance, l’amour, donc pas besoin de médiation, pas besoin d’éducation, c’était sa philosophie de l’art. Et donc il a pu utiliser sa philosophie de l’art pour démarquer sa politique vis-à-vis des fonctions de l’éducation nationale y compris de l’éducation populaire. Il va dire, d’ailleurs d’une façon assez peu convaincante, « L’ambition, la mission de l’université ou de l’école c’est de nous faire connaître Racine, l’ambition du ministère de la culture c’est de le faire aimer. »

Marc Bélite : Il y a chez Malraux cette notion, cette notion peut-être fausse, en tout cas peut-être romantique, que la rencontre ça veut dire quelque chose, que la présence ça veut dire quelque chose. Je suis devant une œuvre d’art, je ne suis pas devant une explication de l’œuvre d’art. On peut m’expliquer Bérénice autant qu’on voudra, à l’école, d’ailleurs ça a fait suer des générations d’élèves, et puis un jour je vois une actrice sublime crier à Titus : « Mais quel homme es-tu ? M’avoir aimé et me répudier pour des raisons politiques, pense-tu que ça soit ça l’amour ? » Tout garçon, toute fille de 15 ou 16 ans qui entend ça sur une scène et qui voit le malheur de ne plus être aimer qui le ressent dans sa chaire comprend ce que c’est que le théâtre et comprend éventuellement ce que c’est que l’amour. Et Malraux ajoute : chaque fois qu’en remplace cette révélation par une explication, on fait quelque chose d’utile mais on produit un malentendu essentiel. Donc, il y a une divergence de fond, chez lui, sur cette rencontre.

Hélène Mathieu, inspectrice générale de l’éducation populaire : Ce qui est assez intéressant c’est de voir cette contradiction entre enseigner ou s’émouvoir est totalement encore vivace aujourd’hui. Vous allez dans n’importe quel établissement scolaire ou dans n’importe quelle structure culturelle les gens vont vous parler comme ça. Les gens du côté culture vont vous parler d’émotion, de contact avec l’œuvre et d’excellence artistique et côté éducation nationale ils vont vous parler de transmission de savoir, de programme, de référentiel de formation etc., etc. Et s’ajoute à ça la césure entre la culture et l’éducation populaire, que vous évoquiez, qui fait que Malraux ne s’intéresse pas du tout à la pratique amateur non plus. Pratique amateur qui du coup est quasiment abandonnée en fait à la jeunesse et des sports qui n’a pas vraiment le temps -parce que le ministère de la jeunesse s’occupe plutôt du sport la plupart du temps-, ni le temps, ni les moyens, ni l’argent de s’en occuper. Donc, cette double césure, en fait, on en subi encore totalement les conséquences aujourd’hui.

Débat entre directeurs des maisons de la culture, 1966 : Je trouve qu’il est scandaleux que l’éducation de la sensibilité artistique n’existe pas du tout dans les programmes scolaires, mais pas du tout, du tout, du tout. Plusieurs fois il m’a été donné d’aller faire des petites causeries dans des Écoles normales, j’ai été en face de jeunes gens, de jeunes filles qui dans quelques mois allaient avoir charge d’âmes et j’étais sidéré, atterré par la naïveté des questions, par leur ignorance totale de ce qu’était vraiment les arts. Je crois que là il y a une réforme très importante, je sais bien que le ministère de l’éducation nationale est assailli de projets de réformes mais au moment où justement on va accentuer l’enseignement technique j’ai très peur, très peur que l’éducation artistique soit alors encore plus sacrifier pourtant elle était déjà presque inexistante.

( ?) C’est le nain qui vient habiter chez le géant. Et à chaque fois que des rencontres se sont opérées, elles ont été tentées mille fois, entre l’administration de l’éducation nationale et l’administration de la culture, la culture a toujours été bouffée. On lui a demandé de l’argent et puis l’a absorbée purement et simplement. Il n’y a pas de place pour une négociation malgré tous les protocoles possibles, et Dieu sait qu’il s’en est fait dans la Ve République, il n’y a pas de place pour une reconnaissance légitime de la culture dans l’éducation nationale. Je le dis assez carrément mais il me semble que c’est un vrai problème de fond. Là, il faudrait s’intéresser un petit peu à la force de résistance de ce qu’un ami socialiste appelait le Mammouth. Je crois que là les petites biches qui passent un peu à porter peuvent se faire écraser sans ( ?).

« La connaissance est à l’université, l’amour peut-être est à nous », déclarait Malraux. Cependant, l’amour manqua au bouillant ministre dans certain domaine tel que la musique et l’avant-garde picturale. Dans ces disciplines, les artistes gardent encore aujourd’hui une dent contre lui.

Philippe Urfalino : Au tout début, on a l’idée que la musique aura sa place dans les maisons de la culture puisque les maisons de la culture doivent être polyvalentes. Même si on a mis des hommes de théâtre au départ, pour des raisons d’ailleurs assez contingentes parce qu’ils étaient là, parce que ça revenait moins cher, on a croisé les lignes budgétaires, décentralisation dramatique et la ligne budgétaire maison de la culture qui était vide. Donc il n’y avait pas encore de place pour la musique mais l’idée c’est qu’elle serait là. Il n’y aurait pas d’institution propre. Au milieu des années 60, 64, 65, Landowski prépare son plan, et son plan est un plan progressif qui passe par l’éducation, la formation de conservatoires nationaux et régionaux de musique, puis des orchestres régionaux. Donc c’est un plan progressif et à côté de cela il y a Boulez avec sa personnalité propre, son articulation avec la musique contemporaine du moment, sa prétention à révolutionner l’histoire musicale, et d’une certaine manière Boulez est plus en phase avec un certain tour de la pensée de Malraux et de Biasini. C’est-à-dire que l’on doit présenter au public l’art qui correspond à l’histoire de l’art en train de se faire. Donc, l’idée de mettre quelqu’un comme Boulez à la tête des affaires, du moins les idées de Boulez à la tête d’une politique musicale, avait un sens à ce moment-là.

Pierre Boulez, compositeur et chef d’orchestre : Malraux était dans un entourage qui considérait que l’expérience que nous avions menée dans le domaine était importante mais en même temps c’était un bavard qui n’avait pas un grand sens de l’action et qui se réfugiait beaucoup dans les mots. J’ai fais rire quelqu’un une fois en disant avec lui c’était un peu le dialogue de Donjuan et de monsieur Dimanche mais on ne savait pas qui était Donjuan et qui était monsieur Dimanche, finalement. Parce qu’il y avait une nuée de mots qui n’aboutissait la plupart du temps à rien du tout ou alors à des choses tout à fait mineures. Avoir remplacé le plafond de l’opéra ou plafond de l’Odéon malgré tout ce ne sont pas de grands actes héroïques de la culture. Et finalement c’est ça qu’on lui doit principalement en même temps, disons, du lavage des murs de Paris qui en effet font une ville plus présentable mais qui sont pas non plus quelque chose d’exceptionnelle. Ce qui est curieux c’est la différence, pour moi, de synchronisme entre sa parole et ses actes. Il y a beaucoup de paroles et très peu d’actes finalement. Ou alors il s’est laissé embobiner, il faut bien employer le mot, par des gens réactionnaires qui, par exemples, dans le domaine de la musique, de la peinture horrifient absolument mais je crois que c’était du à une certaine paresse de réaction. Comme il se sentait ne sentait pas très armé pour discuter avec les musiciens, il a dit très souvent : « on ne m’aura pas attendu pour ne rien faire pour la musique », ce qui est vrai mais en même temps ce n’est pas une excuse.

Philippe Urfalino : Alors, ce qui s’est passé, on ne connait pas vraiment le détail des histoires parce qu’il y a une dimension, je dirais, de bagarre interne à l’administration, il y a une dimension politique, c’est que Boulez et ses amis étaient associés à des mouvements qui avaient eu lieu à la fin de la Guerre d’Algérie et puis il y a des aspects personnels. C’est une période où Malraux est très mal personnellement, très perturbé. Il ne s’est pas remis de la mort de ses fils en 1961. Il y a un nouveau cabinet. Et le cabinet à une certaine emprise sur Malraux. Il s’oppose fortement à Biasini. Donc, il y a plusieurs facteurs qui jouent. Biasini qui était au fait de sa gloire, il avait le sentiment quelques mois, quelques semaines, avant de partir, il se dit ça est on a réussit, la bataille du ministère de la culture est gagnée. Puis tout s’écroule, tout d’un coup. Il est révoqué très rapidement. C’est une période où Malraux a rompu avec beaucoup de gens. Il ne les a plus jamais vus. Sans doute avait il eu le sentiment qu’on voulait lui forcer la main. Il s’est appuyé sur Landowski. Du moins il a laissé Landowski faire, alors même, c’est vrai, que la personnalité artistique de Landowski est très extérieure à l’univers intellectuel de Malraux. Mais il vrai que Malraux ne s’intéressait pas beaucoup à la musique. Ce n’était pas un de ses arts qu’il connaissait, qu’il goûtait particulièrement.

Marc Bélite : L’avant-garde comme telle, ou la force artistique des propositions auxquelles on accorde du crédit comme étant révolutionnaires et porteuses d’avenir est souvent le fait de ce qu’on ressent quand on a 20 ou 30 ans. Et Malraux a fréquenté les artistes de sa génération. Il va défendre des artistes de sa génération. Il va défendre Masson, il va défendre des gens comme-ça. Il va se tromper lourdement sur d’autres artistes comme, par exemple, Matthieu qu’il a porté au pinacle parce qu’il y voyait un gestuel génial à la façon des peintres Japonais… Donc il y a le fait que Malraux est l’homme de sa génération. Il est un petit peu emporté quand on le regarde dans son mouvement par ses choix qui sont ceux d’un homme cultivé du XXe siècle mais qui ne sont pas exhaustifs. On a beaucoup moqué l’analyse que Malraux fait de l’histoire de l’art, lui-même, et puis par ses choix artistiques d’artistes contemporains. Il est faillible, comme tout le monde. Mais comme il se veut prophétique, il a surdimensionné ses propositions et on peut dire qu’il est passé à côté d’autres, en effet.

Outre ses rendez-vous manqués avec de grands artistes de son temps, il apparaît que Malraux ne fut pas non plus prophète au ministère des finances. Malgré l’intégration de la politique culturelle dans la planification économique, la faiblesse de son budget révèle peut-être, là, sa principale limite.

Daniel Buren : Dans la mesure où l’on sait, et aujourd’hui mieux que jamais, que Malraux pouvait quasiment demander tout ce qu’il voulait à de Gaulle, on peut se dire qu’il n’a pas demandé assez. Je pense que Malraux aurait déjà pu faire un budget de la culture à 1% sans aucun problème. Surtout quand on pense qu’on était dans ces époques où il y avait beaucoup d’argent en France. Les années 60 c’est quand même le moment où la France a été riche en tant que pays. On pouvait donc certainement arriver à avoir un budget plus confortable. Il ne l’a pas fait, je pense qu’il avait une idée de la culture très bourgeoise en fin de compte. L’artiste vit d’eau fraîche et de génie. Il n’a pas besoin d’argent. Un peu ces espèces d’attitudes, l’argent c’est sale, l’argent c’est quelque chose qui est secondaire ou tertiaire etc. Or, c’est vrai, l’argent il faut espérer que ce n’est pas ce qui domine dans l’art mais c’est sûr aussi que sans argent ou avec très peu d’argent on est un peu bloqué aussi dans plein de manifestations. Donc, si, à l’époque déjà, il y avait eu 1%, on pourrait peut-être aujourd’hui essayer de monter à 2, par exemple. Or, on n’est même pas à1. Donc, vous voyez, c’est dommage, on a raté peut-être là quelque chose, à ce niveau-là, de très fort, qui est très significatif.

Débat entre directeurs des maisons de la culture, 1966 : Chaque fois comme par hasard on s’est suffisamment empêché de dormir et qu’on est enfin d’accord d’accoucher d’une pauvre petite idée, à ce moment-là on n’a pas le fric pour la réaliser. On se demande si ce n’est pas fait exprès que l’action que ( ?) ait de l’argent de côté, que l’agriculture en ait de l’autre, que l’éducation nationale en manque, et qu’aux affaires culturelles on prévoit comme budget général d’achat d’œuvres d’art, dans une année, de 1,200 million alors que l’Assemblée nationale le ministre annonce qu’il faut 5 millions pour faire de l’art. On se laisse faire. Mais c’est parce que dans le fond ce n’est pas notre boulot.

Jacques Rigaud : Malraux n’était pas du out un gestionnaire. Il n’était pas toujours un administratif. Discuter son budget, avec un ministre du budget, en allant rue de Rivoli, la corde au coup pour essayer d’arracher le minimum, sinon le maximum, ce n’était pas son truc. Il discutait de tout ça avec le Général de Gaulle, et il prenait ce qui venait. On reprochait à Malraux de ne pas avoir usé de son poids politique et personnel pour décrocher un budget plus important. Et d’une façon générale, surtout dans les dernières années, Malraux qui a connu de rudes épreuves avec la mort de son fils et de son neveu, des quantités de problèmes personnelles, qui venaient peu au ministère, ce ministère se sentait un petit peu en déshérence.

Jack Ralite : C’est vrai que les gens en entendaient parler. Comme c’était Malraux c’est bien mais dans l’inscription profonde, quand même, c’était relativement limité, quoi. Mais enfin, j’ai un bon souvenir de cette période-là. Ça correspond a un des lancements qui d’ailleurs, parallèlement à ce que faisait Malraux était un peu définit par ce que faisait Vilar. Parce que quand il a lancé les rencontres d’Avignon, dans les fameuses rencontres qui étaient dans la chambre des notaires, on était peu. On était une quinzaine de permanents de ces rencontres tous les ans. Puis il y avait du monde dans la salle mais qui n’avaient pas la parole d’ailleurs. Nous, on parlait entre nous. Je me rappelle que dans le public il y avait Ariane Mnouchkine. Il y avait même un jeune étudiant en droit de Nancy qui s’appelle Jack Lang, n’est-ce pas ?

Archive ( ?) : Jean Vilar, pour ce festival, en accord avec le maire d’Avignon, nous a demandé à Georges Wilson d’assurer les représentations dramatiques avec le TNP. Mais en plus avec Michel de ( ?) vous avez organisé des rencontres sur les problèmes de la culture. Pourquoi, aujourd’hui, y-a-t-il une urgence particulière ? Jean Vilar : « Nous ne disons pas qu’il y a urgence, cependant, à la suite de cette activité de responsable du TNP et du festival d’Avignon, je me suis rendu compte que mes camarades collaborateurs, moi-même, nous heurtions à des murs, nous nous posions des questions. Nous ne savions pas où aller, que faire. Nous savions que nous n’étions que des militants de cette action culturelle. Donc, puisque cela dépassait, à nous responsables nos moyens intellectuels il fallait qu’il y ait une rencontre, une rencontre avec des gens qui ont l’habitude de remuer les idées, d’étudier le point de vue social ou sociologique ces questions de la culture et peut-être arriver à voir, nous qui sommes des ouvriers de cette chose, ce que nous pourrions faire dans l’immédiat. »

Jack Ralite : Et alors là, pour moi, c’était les premières assises nationales de la culture. Ça a été excessivement loin dans les profondeurs. Et comme la création à cette époque-là était centrale, très centrale, je me souviens d’une rencontre que j’ai organisée, en 67, à la demande de Vilar, entre des créateurs, des hommes de théâtres essentiellement, il y avait Planchon, les plus importants du moment étaient-là, et puis la fédération nationale des centres culturels communaux, crées par Durafour. Regardez comme c’est contradictoire. Il a capté la maison de la culture une fois qu’elle a été payée, pour moitié, par l’État mais il a été à l’origine de la fédération nationale des centres culturels communaux, qui existe toujours. Il fallait voir les débats qu’on avait, moi, j’étais vis-président. Et bien elle était partenaire. Et pendant deux jours, je crois que je n’ai jamais vécu un coltinage aussi fort entre des élus qu’on voulait, mais avait peur, finalement la création fait peur, et des créateurs qui voulaient, comment il s’appelle, Planchon disait : « Il faut le pouvoir aux créateurs », après 68 il a dit, ça a pu être mal interpréter, vous voyez, n’empêche qu’il le disait. Il ne le disait pas au mauvais sens du terme. Il voulait que les maires ne s’occupent pas du répertoire. A l’époque c’était fréquent.

Jack Ralite : Il y avait donc Malraux, avec ses limites, et l’espèce de soleil qu’il représentait et Vilar qui est un laboureur républicain et socialiste –quand je dis socialiste, je dis ni socialiste PS, ni socialiste PC, socialiste, c’était un homme de progrès, quoi, mais de progrès assez radical. Vilar qui labourait, qui faisait dans le domaine du théâtre, mais pas seulement.

Roger Planchon : Vilar fut un des principaux leaders politique de France. Je fais son éloge parce que ce fut à l’époque le seul endroit où socialistes et communistes pouvaient retrouver. On était bien avant le programme commun. On était bien avant tout ça. La lutte était très brutale entre les socialos et les communistes. Et Vilar réussissait le miracle, je pense que j’appartiens aussi à ce paquet-là, où on faisait que dans nos théâtres pouvait se réunir la totalité de la gauche. La totalité de la gauche se réunissait et même on mordait sur la droite. Alors, évidemment, Vilar fut quelque chose, un précurseur, j’ai envie de dire, de l’union de la gauche, pour prendre un exemple. Il fut vraiment un précurseur. Personne ne s’en rend compte aujourd’hui. En réalité où socialistes et communistes dialoguaient à l’époque ? Nulle part. Moi, quand j’ai commencé à faire du théâtre, en 1951, à la sortie des usines Berliet, il y avait des gros bras qui cassaient la gueule, avec des barres de fer, aux anarchistes, aux trotskystes qui venaient distribuer des tracts. Ce n’était pas de la rigolade. Et puis jamais un socialo ne se serait pointé à l’entrée des usines. Donc nous faisions un théâtre dans lequel brusquement le problème de la barre de fer était oublié aux vestiaires au sens vrai du mot. Un dialogue pouvait s’établir autour de « La paix d’Aristophane » ou j ne sais quelle pièce que montait Vilar.

Jack Ralite : En fait j’avais 3 trépieds pour faire une expérience sociale en milieu, disons le mot, populaire, ouvrier, même prolétarien, et assez pauvre, ici, à Aubervilliers. Finalement ça existe toujours. Deuxièmement, j’avais ce compagnonnage avec Vilar que j’adorais. Il m’a fait faire des choses, des exposés,… et en 68 je ne l’ai jamais quitté. J’étais un flic du TNP, vous voyez, comme disait ceux qui se trouvaient en face, et puis il y avait Malraux, comme soleil, au fait de l’État. Ça fait ça, cette trilogie, quoi.

Sur fond sonore de manif avec notamment un des slogans audible, « Ce n’est qu’un début, continuons le combat », Léo Ferré : « Les temps difficile », dernière édition : « On a retrouvé chez leur coiffeuse la censure et une religieuse qui se tapaient, à grands coups de ciseaux, un bourgeois nommé Diderot, en ces temps difficiles. Mais allez donc savoir pourquoi, lui qui pourtant n’y toucha pas, savait-vous ce qui arriva, ce fut Malraux qui dégueula, les temps sont difficiles. »

Théâtre de l’Odéon, 1968 : [Toujours sur fond de manif] Quand nous avons décidé, avec le Comité révolutionnaire de prendre le théâtre de France, de l’investir, de nous y installer et de l’occuper pour détruire d’une manière définitive, ou du moins pour commencer à détruire d’une manière définitive les bastions de la culture bourgeoise, quand nous sommes rentrés, les camarades ont demandé la venue de Malraux. Nous avons pu contacter Monsieur ( ?) mais nous n’avons pas pu contacter Monsieur Malraux, je ne sais pas exactement pourquoi, ce n’est pas moi qui m’en suis occupé, toujours est-il que Monsieur ( ?) est venu, je l’ai vu dans les coulisses, je lui dis : Allez-y, allez vous affrontez, c’est votre métier, allez-y, allez voir un peu ce que les gens pensent de la culture. Il avait l’air plutôt ennuyé et se cachait derrière un pendrions. Si André Malraux était venu qu’elle aurait été la réaction des jeunes qui sont dans la salle ? Je ne sais pas. Un camarade, à l’instant, à côté, dit qu’ils l’auraient foutu dehors, je n’en suis pas si sûr. Je pense, en tout cas, qu’il y aurait eu de toute manière un dialogue. Et très franchement, oui peut-être qu’après la fin du dialogue on l’aurait foutu dehors.


Livres signalés sur le site de l’émission

 Marc Bélit, « Le malaise de la culture : essai sur la crise du modèle culturel français », Éd. Séguier, 31 octobre 2006

Directeur du Parvis, scène nationale Tarbes-Pyrénées, l’auteur revisite l’histoire des politiques culturelles publiques en France depuis l’époque du Front populaire. Il s’attarde sur le moment fondateur de la création d’un ministère de la Culture au temps d’André Malraux, examine l’enjeu de la démocratisation culturelle, ses difficultés et ses obstacles, invite à en changer les présupposés.

 Textes réunis et présentés par Geneviève Gentil et Philippe Poirrier, « La politique culturelle en débat : anthologie 1955-2005 », Éd. de la Documentation Française, 24 mars 2006.
 Ouvrage publié par Comité d’histoire du ministère de la culture / préface de Renaud Donnedieu de Vabres.

Anthologie des interventions des principaux représentants de la politique culturelle en France, et analyse des débats orchestrés autour des politiques mises en œuvre par l’État et les collectivités territoriales.

 Émile Biasini, « Grands travaux : de l’Afrique au Louvre », Éd. Odile Jacob, 1er février 1995

Présentation de l’éditeur : L’auteur raconte son expérience de grand serviteur de la France, de l’époque coloniale aux grands travaux aux côtés de François Mitterrand, en passant par sa collaboration avec André Malraux.

 Philippe Poirrier, « La naissance des politiques culturelles et les Rencontres d’Avignon : 1964-1970 », Éd. du Ministère de la Culture et de l’Éducation, 19 octobre 1997.

Présentation de l’éditeur : A partir du XVIIIe Festival d’Avignon, en 1964, Jean Vilar créa les Rencontres d’Avignon, qui se réunirent tous les ans jusqu’en 1970. Cet ouvrage réunit les comptes rendus des travaux réalisés lors de ces rencontres portant sur la naissance des politiques publiques de la culture en France.

Ouvrage épuisé mais disponible en bibliothèque.

 Jack Ralite, « Complicités avec Jean Vilar-Antoine Vitez », Éd. Tirésias, 1996. Préface de Maurice Béjart.

Un livre sur deux des plus grands hommes de théâtre français : Jean Vilar et Antoine Vitez, créateur du théâtre d’Aubervilliers, avec lequel s’est entretenu l’auteur, maire d’Aubervilliers et fondateur des Etats généraux de la culture.

 Philippe URFALINO, « L’invention de la politique culturelle », Éd. Hachette Littérature, Coll. poche Pluriel, juin 2004

Présentation de l’éditeur : Une histoire de la politique culturelle française d’André Malraux à Jack Lang, notamment des idées et des croyances qui ont guidé l’action du ministère chargé des Affaires culturelles.

 Gérard Wajcman, « Fenêtre : chroniques du regard et de l’intime », Éd. Verdier, 20 mai 2004.

Présentation de l’éditeur : Par la fenêtre nous prenons des nouvelles du monde. Mais ouvrir une fenêtre, c’est non seulement s’ouvrir au monde, y plonger par le regard, c’est aussi le faire entrer, élargir notre propre horizon. Jadis, la fenêtre, via la peinture, a dessiné les territoires du monde, métamorphosant dans son cadre le pays en paysage. On a cependant négligé que cette fenêtre qui ouvre sur l’extérieur trace aussi la limite de notre propre territoire, qu’elle dessine le cadre d’un « chez soi ». La fenêtre qui ouvre sur le monde ferme notre monde, notre intérieur. Moi et le monde - ils se croisent à la fenêtre. « Qu’est-ce que le moi ? Un homme qui se met à la fenêtre pour voir les passants », répondait Pascal. Se pencher sur la fenêtre, ce sera réfléchir sur ce bord où viennent se rencontrer le plus lointain et le plus proche, et sur le fait que la fenêtre oblige peut-être à concevoir que le Moi et le Monde ne peuvent que se penser ensemble - jusqu’à ce point : et si la subjectivité moderne était structurée comme une fenêtre ? C’est ici, tout de suite, qu’il faut préciser : pas n’importe laquelle : la fenêtre née à la Renaissance. Et là encore, pas n’importe laquelle : la fenêtre de la peinture, la fenêtre du tableau, exactement, celle inventée par Alberti. Voilà l’hypothèse, elle donne le fil de l’histoire. En grand hommage à l’idiot chinois de la fable qui, quand le maître montre du doigt la lune, regarde le doigt, j’invite donc ici à regarder la fenêtre. Invitation à détourner notre regard fasciné de spectateur du spectacle vers l’objet qui ferme et ouvre notre regard - la fenêtre.

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