Le secrétaire général, M. Léveillé nous parle du Magnifique essor du Palais de la Découverte
Vendredi 2 juin 1939, pour la première fois, la Loterie nationale élit pour domicile le Palais de la Découverte, on tire en grande pompe la Tranche de la Recherche Scientifique. La machine électrostatique se tait, ses crépitements de foudre à l’échelle humaine sont remplacés par les flonflons et la fanfare de la Garde, les préoccupations des visiteurs habituels font place à des contingences plus terre à terre. « Mon numéro sortira-t-il ? » se demande avec angoisse le profane. Mais voici justement qu’après le discours du Père des atomes, Jean Perrin, se lève le Maître du hasard, le professeur Darmois, qui, parlant de la « notion de probabilité et d’espérance mathématique, va dévoiler aux candidats millionnaires les subtilités roueries de cette déesse capricieuse qui s’appelle la chance.
Réjouissons-nous que l’attrait du gros lot enseigne le chemin du Palais de la Découverte à ceux qui ne le connaissaient pas encore, … Mais ces paroles tombent dans le vide, s’il n’y est pas encore venu, il n’est aucun de nos lecteurs, si éloigné soit-il de la capitale, qui ne se promette de passer avenue Victor-Emmanuel a sa prochaine visite à Paris. Et, puisque l’ondoyante lumière de l’actualité éclaire une fois de plus ce Palais, laissons la parole à son aimable secrétaire générale, M. Lévéillé, dont le bureau s’ouvre sur les jardins du Grand Palais par la vaste baie bordée de géraniums, et qui est entouré, au nord-ouest le magnétisme, au nord-est par la sismologie, au zénith, comme il se doit, par l’astronomie.
M. Léveillé est celui qui, dès la fin de 1931, avec l’appui de M. François Carnot, avait préconisé la création du palais de la science, avec M. Henri Bonnet et M. Lebrun, directeur du Musée pédagogique. Beaucoup lui avaient ri au nez. Écoutons-le aujourd’hui nous parler statistique :
– du 11 juillet 1938 au 24 décembre, nous avons enregistré 250 000 entrées, et du 1er janvier 1939 au 1er mai 150 000, …
Remarquons en passant que ces chiffres battent le record des grands musées nationaux.
– Nous attachons un intérêt particulier, poursuit M. Léveillé, à la visite des élèves des écoles, et il faut se féliciter de la création, boulevard Kellermann, d’un centre d’accueil qui reçoit, chaque semaine, les écoliers de province. Ainsi voyons-nous arriver tous les lundis, 250 enfants que leurs maîtres guident dans nos différentes salles.
Ouvrons encore ici une parenthèse : les enfants sont à l’honneur au Palais de la Découverte, puisque l’on y tourne actuellement un film avec la troupe enfantine des Disparus de Saint-Agil ! [1]
– Et les écoliers parisiens ? questionnons-nous
– La plupart commencent à connaître la maison dans ses moindres recoins. Pensez que le cours complémentaire de Montreuil n’est pas venu moins de onze fois ! Ces onze promenades ont donné les résultats tellement satisfaisant que nous avons exposé les dessins faits par les élèves.
Nous avons vu cette exposition, qui embrasse toute la science, depuis les protubérances du Soleil jusqu’à la biologie, avec une exactitude et une sincérité surprenantes.
– Bien souvent, reprend notre interlocuteur, ce sont les enfants eux-mêmes qui demandent à leurs professeurs de les conduire ici.
Nous connaissons à Londres, dans le quartier de South Kingston, le Science museum : c’est un immense édifice où l’on a rassemblé tout ce qui, de près ou de loin, touche la science, depuis la première locomotive de Stephenson jusqu’aux derniers modèles de bicyclettes, en passant par le pendule de Foucault et les engins vénérables exhumés de l’observatoire de Greenwich. Mais le Science Museum est un musée, tandis que le Palais de la Découverte est un laboratoire en pleine activité, qui suit, pas à pas, jour après jour, les progrès du savoir.
– Vous n’ignorez pas, nous déclare M. Léveillé, que l’entrée du Science Museum est gratuite, … et qu’il y a un budget de douze millions. Du reste, s’il reçoit annuellement un million de visiteurs, il faut dire que les trois quarts viennent pour la bibliothèque scientifique, qui est l’une des plus riche du monde.
Le Palais de la Découverte suit, jour après jour, les progrès de la science disions-nous.
Exemple : on vient de découvrir que la France manque de poumons d’acier, tout le monde parle de poumons d’acier. Or, depuis un mois, deux poumons d’acier fonctionnent au Palais de la Découverte, appareils dernier cri, mis à la disposition des médecins en cas d’urgence. L’éminent professeur Binet en expliquera l’emploi le 15 juin, à 21 heures, dans une conférence sur « la lutte contre l’asphyxie ».
Autre exemple, une révolution s’opère en physique. Pour transmuer les atomes radioactifs découverts par M. et Mme Joliot-Curie, l’Américain Lawrence imagine une sorte de mitrailleuse pour atomes nommée cyclotron. Le Professeur Joliot en installe un au Collège de France. Aussitôt le Palais de la Découverte en présente une maquette grandeur naturelle et, dans quelques jours, des tracés lumineux en simuleront le fonctionnement. Ajoutons que M. Lazari, qui monta la grande machine à cinq millions de volts, se disposa à lui adjoindre des expériences électrostatiques entièrement nouvelles.
Nous devons aussi attirer l’attention sur l’organisation absolument remarquable des conférences qui ont lieu les jeudis, samedis et dimanches, sont prononcées par les savants les plus qualifiés, agrémentées d’expériences et de fils et mises à la portée de tous. Faut-il enfin répéter que, tous les jeudis, de 20 à 23 heures, chacun peut mettre l’œil à la grande lunette et admirer les merveilles du ciel ?
Telle est la réputation du Palais de la Découverte que l’on s’est décidé à en installer une réplique, en réduction, au Pavillon de la France de l’Exposition de New-York. Sous la présidence d’honneur de Jean Perrin, c’est M. Joliot qui en a assuré l’organisation effective. L’illustre créateur de la radioactivité artificielle a réussi à faire tenir, sur 400 mètres carrés, à la fois l’histoire de la science française et ses réalisations contemporaines les plus retentissantes. On y rappelle que Descartes inventa la géométrie analytique, Pascal et Fermat le calcul de probabilités, Lagrange la mécanique céleste, Monge la géométrie descriptive, Galois la théorie des groupes, Lavoisier la chimie, Sadi Carnot la thermodynamique, Pasteur la microbiologie, Becquerel, Pierre et Marie Curie la radioactivité - laquelle value six Prix Nobel à notre pays – et que le système métrique, photographie et le cinéma sont également dus au génie français. Ce sont des choses qu’il est bon de redire parfois, et qu’apprennent avec sympathie les touristes étrangers qui, par des jours d’été, après la traditionnelle excursion à la Tour Eiffel, affluent au Palais de la Découverte, le Kodak en bandoulière.