« Nouveaux médias et démocratie »
Blogs, forums de discussion en ligne, SMS mobilisateurs : les nouvelles technologies sont en train de transformer la manière de faire de la politique. À cette révolution s’ajoutent la dispersion et la fragmentation des médias. Que reste-t-il de l’information quand on peut suivre l’actualité en temps réel sur son portable ? Dans la multitude des nouveaux canaux, trouvera-t-on un espace commun de discussion, nécessaire à la constitution d’une conscience citoyenne et à la délibération démocratique ?
Pascal RICHÉ : Merci d’être venus quasiment à l’aube à l’occasion de cette 16ème table ronde, qui porte sur les nouveaux médias et de leur impact sur la vie démocratique. On va parler de blog, de SMS, de satellite, de web radio, de Podcast mais on va surtout parler des conséquences de ces nouveaux médias, avec des mots comme : déprofessionnalisation, démédiatisation, désynchronisation du débat.
Ce qui se passe actuellement est un énorme chamboulement. On assiste à la fois à un fractionnement extrême des sources et des médias et également à une convergence vers le numérique, vers l’écran. Un des phénomènes, à mon sens, les plus importants, c’est que les gens, vous, moi, prenons nous-mêmes en charge l’information. Grâce à Google nous avons un outil pour trouver l’information, grâce au blog on peut s’exprimer, on peut exprimer des idées qui peuvent être lues dans le monde entier, grâce aux satellites nous avons accès à d’autres cultures, grâce au téléphone portable nous pouvons recevoir et émettre des informations à tout moment.
Au-delà des conséquences de ces changements, quels rôles cette révolution va jouer dans la relation au pouvoir, dans l’organisation de la cité, dans l’engagement citoyen et dans la délibération démocratique ?
C’est ce que nous allons explorer avec ce très beau plateau : Tariq KRIM,nous a rejoints pour remplacer Pierre BELLANGER, PDG de Skyrock, qui devait parler au nom de la blogosphère. Tariq KRIM est un entrepreneur. Il a créé la société Netvibes. C’est une startup mais qui promet d’être un petit Google. Il a été journaliste et bloggeur. Tout au bout de la table, Daniel BOUGNOUS, philosophe, est notre Grenoblois. Il est professeur de l’information et de la communication à l’Université Stendhal. Il est également rédacteur en chef de la revue de Régis DEDRAY, « Les cahiers de la médiologie » qui a changé de nom et qui s’appelle « Médium ». Il a écrit une introduction aux sciences de la communication. À sa gauche, Géraldine MUHLMANN, philosophe de formation. Vous êtes professeur de sciences politique à l’Université de Paris XI. Vous avez fait une thèse sur l’histoire du journalisme, dont vous avez tiré deux livres : « Une histoire politique du journalisme au XIXe et XXe siècle », et « Du journalisme en démocratie ». À ma gauche, David KESSLER, qui est directeur de France Culture après avoir dirigé le C.N.C et après avoir été conseiller de Lionel JOSPIN, à Matignon, pour la culture et la communication. À sa gauche, Jean-Louis MISSIKA, qui a fait beaucoup de choses dans sa vie, mais depuis 1998, il dirige sa propre entreprise JML Conseil, une société de conseil en stratégie média et nouveaux médias. Il enseigne, aussi, à Sciences Po, la sociologie des médias. Il vient de publier un petit livre rouge : « La fin de la télévision », chez la République des idées. D’ailleurs, ce petit livre rouge est traduit en chinois, j’ai appris. C’est vrai ? À sa gauche, enfin, Bernard MANIN, qui est politologue, professeur à l’université de New-York et directeur de recherche à l’EHESS. Il a enseigné assez longtemps à Sciences Po, à Paris. Il a réfléchi depuis très longtemps sur le libéralisme politique, la représentation et la délibération. Il vient d’écrire un article qui est paru dans la revue Esprit, de ce mois-ci, sur le thème de la délibération sur l’Internet.
Je vais demander à Jean-Louis MISSIKA de dresser un tableau, et de nous faire un peu rêver avec sa « Fin de la télévision ».
Jean-Louis MISSIKA : Ah ! Je ne sais pas si c’est un rêve ou une réalité. Je pense qu’il faut commencer peut-être par s’intéresser aux comportements socioculturels et non pas aux technologies. Les technologies sont très importantes, bien sûr, parce que sans elles il est certain que le big-bang médiatique que nous vivons aujourd’hui n’aurait pas lieu, mais il faut se rappeler en permanence qu’elles sont des moyens et qu’elles ne tombent pas du ciel. C’est-à-dire que, si elles apparaissent c’est parce qu’il y a eu justement un processus social et économique qui a conduit à en faire des outils utilisés par un très grand nombre de gens. Moi, ce que j’aimerais faire, c’est partir d’un phénomène qui est, à mon sens, l’un des points les plus importants de ce que nous vivons aujourd’hui, le premier clivage générationnel vraiment spectaculaire en terme de consommation de médias, depuis pratiquement le début du XIXe siècle, c’est-à-dire l’apparition de la presse populaire. Si on réfléchit au renouvellement des générations dans leurs comportements médias on s’aperçoit de quoi ? Je vais me cantonner uniquement au XXe siècle, et même à la deuxième moitié du XXe siècle, parce que sinon on n’aurait pas le temps. On s’aperçoit d’une chose très simple c’est que les générations se sont identifiées, se sont construites comme blocs générationnels, par opposition à leurs parents, essentiellement avec la musique. Pendant des années et des années, ce qui changeait véritablement c’était l’adhésion à des stations musicales. Et, vous aviez comme ça tous les dix ans de nouvelles stations qui apparaissaient, parce qu’avec un genre musical une génération réussissait, en quelque sorte, à s’identifier contre la génération précédente et l’accompagnait comme ça. Un des drames des radios généralistes, aujourd’hui, – nous on s’est identifiés à Europe1, à « Salut les copains », à des émissions comme ça mais tout ça se passait dans une sphère qui était la sphère musicale et ce n’était pas très important – et la grande nouveauté c’est que ça se passe maintenant dans la sphère de l’information d’intérêt général et que les jeunes ne consomment plus, contrairement à ce que nous nous avons fait, les mêmes journaux que leurs parents, les mêmes médias que leurs parents. Il y a un clivage brutal notamment par le fait qu’ils ont arrêté en quelque sorte de lire de la presse quotidienne d’information générale. C’est pour ça d’ailleurs que Libération connaît, aujourd’hui, une crise terrible, c’est à cause du vieillissement de son lectorat et ne parlons pas de la presse quotidienne régionale d’information qui, elle, a un problème de vieillissement de lectorat encore plus important. Mais c’est vrai aussi, même si ça se voit moins parce que naturellement les chaînes de télévision ont une assise financière plus importante, de la télévision. Les grandes émissions d’informations générales que ça soit les journaux télévisés ou les grandes émissions politiques ont un problème de vieillissement de leur auditoire absolument dramatique. Quand vous regardez, par exemple, la structure d’audience d’une émission politique de « prime time » vous vous rendez compte que les plus de 65 ans représentent plus de la moitié de l’audience, que les 40-65 ans représentent les 40% restants et qu’il reste 10% pour les moins de 35 ans. Donc, on est face à ce phénomène et, moi, ce que j’ai indiqué dans mon livre c’est que l’un des aspects les plus spectaculaires de ce phénomène était que ce socle commun d’information d’intérêt général qui était partagé par l’ensemble des citoyens d’un pays, en tout cas de ceux qui acceptaient de s’intéresser au débat public, ce socle commun est en train de s’effriter. Il y a une fraction de la population, et ce qui est très grave c’est que c’est la fraction la plus jeune, qui n’accède plus à ce socle commun et qui le fait de façon délibérée. C’est parce que ça ne les intéresse pas ou parce qu’ils considèrent que cette information n’est pas faite pour eux ou parce qu’ils considèrent que ça ne sert à rien. Et, donc, la presse généraliste et la télévision pendant plusieurs décennies ont mis sous les yeux de tous, au même moment, le même message politique. Eh bien, cette proposition-là qui était une des propositions fondamentales du fonctionnement des démocraties au cours de ces dernières années, cette proposition-là est battue en brèche par le fait que les nouvelles générations ont rompu les ponts, rompu les amarres, se sont tournées vers la presse gratuite, pour ceux qui acceptent encore de s’informer sur des supports papiers, se sont tournées vers Internet, se sont tournées vers des outils de la mobilité alors que dans les générations précédentes ce qui faisait l’identité d’une génération c’était la station musicale que l’on écoutait. Aujourd’hui ce qui fait l’identité des jeunes générations c’est le fait qu’ils utilisent des moyens d’information et de communication qui sont différents de ceux de leurs parents et de leurs grands-parents.
Alors, peut-être ai-je encore un petit moment pour expliquer les outils en question ? Ceux qui font la « Une » de l’actualité aujourd’hui. Il y a évidemment Internet, donc il y a une manière de s’informer par la recherche d’une information sous la forme d’une consultation. Et là, on voit bien la différence avec la diffusion des modèles classiques des systèmes d’information -notamment de la télévision et de la radio- et consultation. La personne va chercher de l’information au lieu de la recevoir de façon passive. Il y a le fait que le principe même de production de l’information et de consommation de l’information qui était en quelque sorte séparés, il y avait des professionnels qui produisaient de l’information et des gens ordinaires, des amateurs consommateurs qui consommaient de l’information, eh bien cette séparation est de plus en plus remise en cause, la frontière est de plus en plus poreuse. Nous savons que le « Podcasting », que le « Blogging », que ce que nous appelons le journalisme participatif, etc. c’est tout simplement de la coproduction d’informations entre des professionnels et des amateurs, voire même directement de la production d’information par des amateurs. Cela se passe aussi bien, je dirais, pour de l’actualité chaude. Quand il se passe un événement imprévu, la probabilité qu’un journaliste professionnel soit là est faible. Il est en revanche probable qu’un non professionnel qui a des outils lui permettant de saisir l’événement et - ce qui est vraiment nouveau - de le diffuser soit là. Avant, on pouvait prendre une photo mais lui faire faire le tour du monde de façon quasiment instantanée était totalement inimaginable. Or, aujourd’hui cela devient quelque chose d’extrêmement banal que l’on a vu à l’œuvre notamment dans des événements tragiques comme l’attentat du métro de Londres ou lors du cyclone Katerina. On est dans un moment tout à fait particulier et qui correspond à ce que je considère, moi, comme le big-bang médiatique. Un monde dans lequel la frontière et les espaces réservés à un monde professionnel, à des lieux qui sont clairement identifiés et qui s’apparentent à des institutions dans lesquelles on a le droit de s’exprimer et de dire ce qu’est l’actualité du monde et puis de l’autre côté des gens qui sont sensés accepter cela et qui ont suffisamment confiance dans les médias pour considérer qu’effectivement cette actualité du monde c’est l’actualité du monde et bien cet univers-là est en train de s’effriter, de se transformer sous nos yeux pour déboucher sur quoi justement ? Ça, c’est une immense question. Je crois que personne, en tout cas personne de sérieux, n’est capable de décrire le nouveau dans lequel nous allons entrer,
Pascal RICHÉ : Je comptais sur vous.
Jean-Louis MISSIKA : Non, non, non. Ce que j’ai essayé modestement de faire dans mon livre, c’est de décrire la désagrégation, la désintégration à laquelle nous assistons, mais bien évidemment on sait très bien que pour se déployer socialement et politiquement un média prend au minimum un demi-siècle. Avec l’accélération du temps on peut considérer que l’Internet mettra moins de temps que ne l’a mis la télévision, mais je vais vous donner un exemple simple pour vous montrer que c’est compliqué : les sociologues des médias qui étudient la télévision, dans les années disons fin 70 début 80, c’était quoi leurs thèmes de préoccupations ? C’était le monopole. Il y avait 3 chaînes de télévision dans des pays comme la France, il y en avait 6, 7 ou 8 dans les pays comme les États-Unis, il y avait une puissance du média liée à une concentration, on appelait la grande messe du 20h, on considérait que la sacralité de la cérémonie de la transmission de l’information chaque soir à la télévision, on sait qu’un homme comme Walter CRONKITE, le présentateur du journal du CBS, était l’homme en qui les américains avaient le plus confiance, davantage confiance que dans le président des États-Unis. Aujourd’hui, on sait très bien que tout cela a disparu, mais il faut se rendre compte que quelqu’un qui observait la télévision dans les années 70, c’était cela qu’il voyait et donc il ne pouvait pas écrire des choses sur la fragmentation, l’hyper fragmentation et la désynchronisation du débat politique et la disparition éventuelle de ce média. Or, ce que nous vivons aujourd’hui avec Internet c’est quelque chose d’à peu près équivalent. Nous n’avons aucune idée des nouvelles pratiques sociales, des nouveaux dispositifs des débats publics, de la nouvelle reconstruction que, comme tout le monde, j’appelle de mes vœux de l’espace public qu’Internet va générer. La seule chose que nous savons, et on le voit d’ailleurs dans le papier de Bernard MANIN, c’est que ça change à toute vitesse. C’est-à-dire qu’il y a quelques années on avait l’impression qu’Internet avait un effet de bulle, c’est-à-dire qu’on mettait les gens dans une espèce d’univers et puis on se rend compte que c’est plus compliqué que ça, etc., etc. On est dans une période de transformation. La seule chose qui me paraisse vraiment importante, par rapport justement à notre thème, sur l’espace public et le débat public c’est que l’on voit apparaître à certains moments dans des situations de crise des usages justement de ces nouveaux médias par les jeunes générations, mais pas seulement par elles, qui sont des usages de mobilisation politique. Je vais vous donner deux exemples et j’en aurais terminé. Ce qui s’est passé au moment de l’attentat de Madrid. En 3 jours, 3 jours avant les élections générales on se rend compte que c’est Internet et les SMS qui ont permis à la population espagnole de marquer leur désaccord radical avec la façon dont le gouvernement AZNAR souhaitait traiter la question de ces attentats. Et, cette capacité de mobilisation et de manifestation a fait voler en éclat le mensonge d’État qu’un gouvernement essayait de mettre en place en se disant : trois jours de mensonges d’État, on y arrivera. On se rend compte que justement ces outils-là et la façon dont les gens les utilisent font que 3 jours de mensonge d’État ça n’est plus possible en tout cas dans des circonstances comme celles des attentats de Madrid. Et, l’autre exemple que je voudrais donner, qui est plus proche de nous et plus récent, qui est celui du CPE (Contrat de première emploi) on voit bien comment, puisque Pierre BELLANGER n’est pas là, je peux dire quelque chose qu’à mon avis il aurait dit, il y a 4 millions de bloggeurs sur Skyblog, 4 millions de bloggeurs -naturellement, quand vous allez sur ces blogs vous vous rendez compte que les jeunes parlent de tout sauf de politique- oui mais au moment du CPE, il y a eu 10 000 blogs qui se sont ouverts sur le CPE.
Pascal RICHÉ : Merci beaucoup. David KESSLER, alors est-ce que c’est un big-bang ? Est-ce que vous pensez que Jean-Louis MISSIKA enterre un peu vite les médias traditionnels et notamment la télévision, la radio ?
David KESSLER : Je crois que, ce que Jean-Louis MISSIKA a dit à la fin - c’est évidemment difficile de ne pas être d’accord avec son analyse, qui est fondée sur la réalité, l’observation des comportements et aussi l’évolution des audiences pour la télévision, la radio et pour la presse écrite - pour la radio et pour la télévision le vieillissement de l’audience est une réalité au moins pour tout ce qui est entre guillemets les chaînes « généralistes » de télévision, de radio et pour la presse écrite évidemment. Il y a également un phénomène très sensible en radio, les radios musicales sont en train de perdre de la vitesse alors même que c’était le grand phénomène des années 80 et même des années 90. À cette période-là il y avait eu l’affaiblissement des radios généralistes avec l’information au profit des radios musicales qui étaient vraiment le lieu des communautés des jeunes.
Je crois que le fait que l’on assiste aujourd’hui à une érosion progressive des médias traditionnels au profit d’autres formes n’est pas contestable. Après, mais Jean-Louis MISSIKA l’a dit aussi, moi, ce qui me frappe, mais comme toujours dans ces matières, c’est à la fois très rapide et très lent, si je puis dire. C’est-à-dire, très rapide en ce sens qu’il y a des émergences de nouvelles pratiques qui aujourd’hui se produisent dans des rythmes qui sont incroyablement accélérés. Pour ne donner qu’un exemple qui concerne Radio France, d’abord il y a deux ans, deux ans et demi l’idée même de Podcast était quand même très éloignée, enfin les gens savaient à peine ce qu’était le Podcast, ça commençait à peine. Nous, à Radio France, le Podcast a été lancé le 1er janvier et on n’était pas les premiers, loin de là, c’est le président de Radio France qui constatant l’émergence de tout ça a dit : je veux le faire. Comme nous sommes une entreprise avec des structures qui sont forcément un peu lourdes on a dit il faut mettre du temps. Il a dit : je veux que ça vienne rapidement. On l’a fait au 1er janvier. Et sans que ça n’ait été lancé avec la publicité au départ, sans aucune campagne publicitaire, en quelques jours il y a eu des milliers et des milliers, alors aujourd’hui se sont évidemment des chiffres qui sont très éloignés des audiences il faut quand même avoir tout ça en tête, c’est-à-dire que l’audience de la radio à France Inter ou France info restent évidemment dans des proportions qui sont 100 fois supérieures, mais néanmoins il y a eu des chiffres et les émissions de France Inter, et d’ailleurs certaines de France Culture, se sont retrouvées en tête des listes des « Tunes », des listes des Podcasts. Donc ça montre bien, qu’elles sont…
Pascal RICHÉ : Est-ce que vous avez les moyens de mesurer la progression des audio-nautes ?
David KESSLER : On a les chiffres. On n’a pas des mesures pages après pages, on n’a pas des mesures émission par émission mais ce que l’on voit c’est une progression constante des chiffres en matière des Podcasts et des chiffres en matière de consultation de nos pages internet, incontestablement.
Pascal RICHÉ : Quand aura lieu le basculement ? Quand on prend le journal, par exemple, on a plus de lecteurs sur le Net que sur le papier.
David KESSLER : Nous, on est très, très loin de ça. Le rapport doit-être de 2 à 100. Quand on a les chiffres globaux de l’écoute de la radio, les dernières années nous montrent une érosion globale de l’écoute de la radio mais on est quand même aujourd’hui aux chiffres d’il y a 10 ans. C’est-à-dire qu’on a retrouvé le niveau qui était celui d’il y a 10 ans. Donc, c’est plus de 80% de gens qui écoutent dans la journée la radio. Ça reste un média extrêmement puissant, c’est d’ailleurs vrai aussi de la télévision. On est à peu près sur les mêmes chiffres d’écoute de la télévision et de la radio. Donc, tout ça reste extrêmement puissant et très supérieur. Mais c’est vrai que, encore une fois, ce qui me frappe c’est la rapidité de ces pratiques. Et, je crois qu’effectivement par rapport au fait qu’on était dans des cycles lents on est dans des cycles infiniment plus rapides avec des transformations permanentes des pratiques et en même temps des temps lents parce que les transformations des modèles sont extrêmement… Ce qui est très, très frappant en matière de télévision, je trouve, c’est que quand on regarde… ça fait quand même maintenant 10-15 ans qu’on annonce une érosion forte de TF1 - et il y a toutes les raisons pour que cette érosion ait lieu et d’ailleurs elle a lieu progressivement, sensiblement, inexorablement - il n’en reste pas moins que dans un paysage où vous avez aujourd’hui 80 chaînes, TF1 conserve encore aujourd’hui plus de 50% de la ressource publicitaire. La chaîne TF1 mère conserve encore aujourd’hui plus de 50% de la ressource publicitaire en télévision. Donc, on est dans des évolutions qui sont lentes et c’est vrai aussi pour la radio. C’est-à-dire que les généralistes voient leur audience diminuer assez sensiblement mais elles restent quand même des puissances assez fortes et en matière de captation publicitaire, elles captent une partie du marché. Les musicales s’affaiblissent mais elles restent quand même fortes. On est dans des rythmes qui à la fois sont frappants par une évolution extrêmement rapide des comportements et puis des tendances lentes sur le plan global.
Moi, je voudrais réfléchir simplement aux conséquences que ça peut avoir pour un média traditionnel, classique. Nous, nous sommes à la fois un média traditionnel et classique, France Culture, mais on est en même temps un média un peu spécifique, d’abord parce que nous avons depuis très longtemps un créneau qui est très particulier et qui est dans l’univers radiophonique - je vais y revenir dans un instant- sans concurrence directe. C’est-à-dire qu’au fond, un certain nombre de programmes qui sont sur l’antenne de France Culture, je pense à la fiction radiophonique, je pense au documentaire radiophonique, mais je pense aussi au temps long des débats ou des magazines que nous pouvons avoir, nous n’avons pas de concurrence sur ce secteur. Sur le secteur radio, je vais y revenir justement, je crois que c’est un des changements effectivement fondamentaux. Or donc d’une certaine façon on peut dire que nous, nous avons une petite rente de situation. Moi, je ne crois pas du tout. Je pense que, pour des raisons qui viennent d’être dites, pour tous les médias y compris les nôtres, il y a des risques et en même temps je crois, pour être optimiste, qu’il y a des chances. Je crois qu’il y a des risques. Il y a des risques beaucoup plus forts pour d’autres types de médias. Si je prends un exemple, et là on est au cœur de ce que disait Jean-Louis MISSIKA, c’est vrai qu’une radio par exemple comme France Info est une radio qui subit de plein fouet l’arrivée des nouveaux médias parce que ce qui a fait la force de France Info il y a 20 ans, par exemple, au moment de son lancement quand Roland Faure l’a lancée c’était qu’il n’existait pas d’accès immédiat à l’information. Il se passait n’importe quel événement dans le monde, immédiatement les gens écoutaient France Info. Et d’ailleurs le grand lancement de France Info ça a été la première guerre d’Irak où tout d’un coup l’audience de France Info est montée d’une façon extrêmement sensible. Le phénomène qu’on observe aujourd’hui c’est que, par exemple, dans la dernière année avec l’ensemble des crises que l’on a connues - je ne les rappelle pas, mais sur une année on a connu quand même pas mal de crises – eh bien l’audience n’a pas bougé. En réalité, c’est vrai que quand il y a aujourd’hui un événement qui créé un vrai besoin d’information, il se peut que l’audience du journal télévisé augmente de façon très sensible dès lors qu’il y aurait un rendez-vous majeur – premier ministre qui vient parler au moment de la crise et on attend sa parole comme une espèce de possibilité de dénouement – donc dans la dramaturgie on voit tout à coup l’audience augmenter pour le journal, mais l’audience de l’information continue n’augmente pas parce que tout simplement alors là, la source d’informations est multiple : vous allez sur Google, sur Yahoo, vous allez partout, sur les sites internet des journaux et donc vous n’avez plus accès à cette chaîne-là.
Donc, pour nous c’est évidemment un peu différent parce qu’on présente quelque chose qui, je crois, conserve son sens mais nous oblige aussi à évoluer. Conserve son sens, c’est la capacité de mettre en analyse et en réflexion les événements et ça, je crois pour ma part, que c’est une demande forte aujourd’hui et nous, nous voyons bien – et on le voit notamment bien à travers tous les prolongements Internet, c’est-à-dire tous les blogs - c’est qu’au fond ce que les gens supportent mal aujourd’hui, ce que nous auditeurs supportons mal c’est l’expression d’une opinion définitive et tranchée. C’est-à-dire l’utilisation de la radio comme un pouvoir de maîtrise. Ça, je crois, c’est quelque chose qui est plus mal ressenti que par le passé. En revanche, tout ce qui est mis en perspective et mis en débat est quelque chose qui est au contraire demandé, sollicité fortement. Et ça, je pense, c’est la conséquence des nouveaux médias.
La deuxième chose, et je m’arrête là, c’est que, je pense, ce sur quoi nous devrons travailler, tous les médias traditionnels –vous l’avez dit pour Libération-, c’est tous les développements en amont et en aval. C’est-à-dire, je ne suis pas sûr effectivement que la pratique de la consommation de la radio va baisser inexorablement et de façon forte dans les années à venir mais en revanche ce dont je suis sûr c’est que si l’on veut conquérir des auditoires un peu différents il faut, en amont et en aval, avoir des prolongements dans l’univers des nouveaux médias. Et ce sont, Bernard y viendra tout à l’heure donc je m’arrête là, des prolongements qui nécessairement ont quelque chose à voir avec le débat public : les blogs, le débat après l’émission, et aussi les Web radio. Et, pour nous, je crois, que c’est un vrai défi parce que, par exemple, pour qu’une radio comme la nôtre je disais qu’on n’avait pas de concurrence dans l’univers radio mais on a une concurrence très forte sur l’univers web radio, les webs radios culturelle il y en a beaucoup.
Donc, comment faire pour utiliser ce que peux avoir de force France Culture pour imposer dans l’univers quelque chose de très spécifique je crois que c’est le défi auquel on est confronté.
Pascal RICHÉ : Merci beaucoup, David KESSLER. Maintenant nous nous tournons vers Tariq KRIM qui, lui, est un enfant de l’Internet, si je puis dire, même s’il n’est plus si jeune que ça, hier vous avez déclaré dans une autre table ronde votre enthousiasme pour ce qui se passait en ce moment, vous parliez de l’Internet comme le dernier espace de liberté, alors en quoi est-ce que vous pensez que cette libération des médias est libératrice ?
Tariq KRIM : Comme l’ont dit les personnes avant moi, je crois que l’Internet est une révolution. Dès le début tout le monde est au fait qu’on est face à quelque chose de nouveau mais il y a de grandes étapes et notamment dans la presse. Une des grandes étapes c’est la déclaration du « Guardian » - un journal anglais que vous connaissez tous - qui a dit qu’à partir d’aujourd’hui le journal papier est un produit dérivé du web. Pour la première fois, comme tu le disais tout à l’heure, effectivement sur le web l’audience est parfois supérieure au papier mais pour la première fois on a affirmé de manière officielle que le journal papier, la priorité est au web et ensuite le papier est un papier dérivé.
Je voudrais, si tu le permets revenir avant tout sur les outils, parce qu’on a parlé de plein de choses et c’est peut-être intéressant d’expliquer pourquoi et quels sont les outils de cette révolution. Effectivement on a parlé notamment de blog, alors je ne sais pas si tout le monde sait ce que sont les blogs ? Pour être très simple, le blog est un outil de publication structuré qui permet la discussion avec les utilisateurs. Avant il fallait apprendre à faire de la programmation avec un blog on peut en 1mn 30 avoir un espace de publication avec lequel les internautes peuvent réagir. Le Podcast, c’est vraiment une invention géniale. Ici, j’ai mon baladeur MP3, à chaque fois que je le branche sur mon ordinateur et que mon ordinateur est connecté à Internet et que mon logiciel de Podcast est allumé, je télécharge de manière totalement synchrone, sans avoir aucune manipulation à faire, toutes les émissions de France Culture, toutes les émissions de la BBC, toutes les émissions de NPA, plus une dizaine de Podcasts indépendants qui ont été faits par des gens que j’ai découvert en ligne. On a un outil, et c’est peut-être là la vraie révolution du Podcast et peut-être même son succès, qui est d’une simplicité extrême. Ça, ce n’est pas un iPod mais en général vous avez votre iPod, votre système d’iTunes vous cliquez et vous téléchargez une émission de radio que la plupart des gens, comme moi, écoutent dans le métro en dehors de la synchronisation du temps.
Pascal RICHÉ : Vous le faites vraiment ?
Tariq KRIM : Je le fais vraiment.
Pascal RICHÉ : Le matin vous chargez votre journal radio et vous …
Tariq KRIM : Le matin, ce qui est bien c’est que les émissions sont adaptées, c’est des émissions de quelques minutes souvent, une dizaine de minutes, donc ça convient bien aux trajets. Pour la vidéo, il y a un logiciel intéressant qui s’appelle d’ailleurs « DémocratiePlayer » qui a essayé de simplifier l’accès à la vidéo et qui permet notamment d’avoir accès à des milliers de programmes indépendants diffusés sur l’Internet. Vous téléchargez ce programme, vous sélectionnez les chaînes sur lesquelles vous voulez aller, il y a des chaînes activistes, des chaînes de musique, et vous avez en fait quasiment une chaîne câblée Internet 100% indépendante. Donc, les outils sont en train d’évoluer. On a évidemment « PearToPear » qui sert à échanger de la musique, mais vous voyez de plus en plus des documentaires autoproduits, des documentaires politiques qui sont véhiculés par ces canaux.
Alors ce que je vous propose c’est de voir éventuellement quelles sont les différentes étapes avant de parler des technologies et voir comment on est parti d’un outil de diffusion au départ vers un outil de discussion et de débat, notamment avec les blogs, puis – et ça a été le cas notamment au États-Unis – un outil d’action et enfin toutes ces technologies sont en train de devenir des outils de pouvoir. La diffusion ça a été, historiquement le mail et les mailing-lists -d’ailleurs beaucoup de groupes d’activistes politiques ou de groupes structurés ont d’abord commencé avec le mail, les sites et c’est vrai que la vraie révolution est arrivée il y a quelques années avec les blogs, parce qu’effectivement, comme on le disait tout à l’heure, c’est extrêmement simple de monter des outils de diffusion mais également c’était des outils de dialogues. Et, en fait on dit toujours que les blogs ne sont pas des sites mais des endroits où se passent des discussions. Je vais donner un exemple, qui est mon exemple personnel. Je m’intéresse à plusieurs sujets, j’ai lancé plusieurs blogs : un au Monde qui est plutôt politique, Internet ; un sur le MP3. Et à chaque fois ils ont permis d’entretenir des discussions avec les gens sur des sujets très précis, de garder des contacts, de faire progresser ou pas certains débats et c’est vrai que chaque blog doit être perçu également comme un réseau de personnes qui s’agrègent, qui se découvrent et qui débattent. Donc, vous avez des blogs qui ont des millions d’utilisateurs, d’autres qui n’en ont qu’une dizaine, et on l’a vu avant le referendum et aussi après le referendum sur l’Europe, le fait que beaucoup de gens par affinité, je dirais, soit politique soit d’idées se sont intéressés et le blog a été en fait l’outil de débat entre ces gens.
Alors il y a une chose qui est très intéressante aux États-Unis que l’on voit beaucoup moins ici c’est que le blog est aussi devenu l’outil de « fetching » alors ça c’est aussi une chose très intéressante que l’on ne voit pas assez dans l’affaire Clearstream, en ce moment. Dès que l’on annonce quelque chose, dès qu’il y a un scoop vous avez toujours des gens qui vont analyser, chercher, vérifier les faits. Et ça, ça se fait beaucoup pendant les campagnes politiques où souvent on essaye de scanner à la loupe les profils des candidats. Bon, souvent ce n’est pas très fairplay mais il y a souvent des cas très intéressants notamment le cas de Dan Rever ( ?) notamment le scoop de Georges Bush où carrément un spécialiste des typographies a analysé les documents, a publié sur un blog le fait que ce document était un faux,...
Pascal RICHÉ : C’est plus que ça, c’est les internautes eux-mêmes qui ont nourri l’enquête. En fait c’est une enquête démultipliée.
Tariq KRIM : Absolument. Et ces enquêtes aujourd’hui sont de plus importantes. Elles interviennent dans la vie politique. On est vraiment au tout début en France, ce n’est pas encore le cas mais ça c’est une des choses importantes qu’ont apporté les blogs aux débats, c’est cette espèce de contre-pouvoir qui est lié à la fois à des experts à la fois des opinions. Ensuite, ce qui est intéressant c’est que l’Internet a depuis les années 80 avec le mouvement ce qu’on appelle le hacking politique, en Allemagne notamment et aux États-Unis avec le « chaos computer club » ( ?) pour qui l’information notamment l’information qui était détenue par l’État devait être diffusée publiquement, une des actions d’éclat du « chaos computer club » ça a été le piratage du ministère de l’environnement, pour obtenir les vrais chiffres de diffusion du nuage de Tchernobyl, c’était dans les années 80. Ce type d’actions qui étaient faites dans les années 80 se sont traduites des années après par des groupes organisés qui essayent d’agir sur la vie publique. À la différence des blogs maintenant on essaye d’agir à un niveau supérieur, c’est vraiment l’action. Aux États-Unis il y a un groupe qui est fascinant là-dessus qui a été monté par deux anciens informaticiens de la Silicon Valley qui s’appelle « MoveOn ». Historiquement « MoveOn » est apparu après les déboires de CLINTON, il voulait passer à autre chose et aujourd’hui « MoveOn » c’est 3 millions de personnes qu’on est capable de mobiliser sur des actions concrètes. Essayer de faire élire des candidats progressistes aux États-Unis, on parle beaucoup de révolution de claviers et de cartes de crédits, parce que finalement vous avez une liste d’actions : sauver la radio publique, ne pas faire élire telle personne, essayer à la sortie d’un film de Roland EMMERICH « Le jour d’après » qui parle de changement climatique, d’imprimer des PDF et d’aller à la sortie des cinémas pour dire : voilà ce que la politique de Bush est en train de faire, vous avez des actions de terrain qui sont entièrement organisées par E-mail, qui sont entièrement financées par des systèmes de paiements électroniques. « MoveOn » a beaucoup supporté le candidat Howard Dean, « MoveOn » est devenu d’ailleurs tellement puissant au États-Unis que beaucoup de gens disent que c’est le moteur du parti démocrate, même si « MoveOn » n’est pas affilié au parti démocrate. Il y a évidemment plein d’autres types d’actions que je ne développerai pas ici, mais c’est vrai que l’on est arrivé à voir des actions très concrètes. On peut mobiliser très facilement des gens, tout à l’heure on en a parlé, on a parlé des SMS, et aujourd’hui cette mobilisation peut être utilisée, focalisée sur des points concrets à résoudre.
Et enfin, c’est peut-être la situation dans laquelle on est aujourd’hui, c’est que les blogs et certains de ces outils sont en train de devenir des outils de pouvoir. Pendant la campagne présidentielle aux États-Unis il y a un blog qui s’appelle « delicos », un blog collectif de tendance démocrate, qui a alimenté le débat présidentiel. Mais après l’élection de Bush, évidemment le parti démocrate était un peu secoué, une grande partie de l’opinion démocrate aux États-Unis a été secouée par le résultat et ils ont fait ce travail de synthèse après pour remonter le moral et remobiliser l’électorat démocrate, refocaliser et on se rend compte que la motivation, l’énergie qui est arrivée, qui a été suscitée par l’Internet est devenue dans ce cas beaucoup plus forte que j’allais dire les dinosaures du parti pouvaient apporter même si et on le voit aujourd’hui, les partis politiques ont compris que l’Internet est très important.
En France on ne peut pas faire n’importe quoi, normalement même si on a vu quelques excès récemment. Il y a une étude, et je conclurai là-dessus, de l’université de Compiègne qui estime qu’il y a à peu près une centaine de blog aujourd’hui qui font l’opinion politique, en tout cas qui sont en train de devenir des niches de réflexion et de pouvoir en France.
Donc ce que l’on va voir progressivement, je pense que c’est déjà un phénomène qui est en train de se mettre en place c’est que de plus en plus, un certain nombre de bloggeurs, de médias en ligne qui sont en train de se mettre en place vont jouer un rôle moteur et on parlait du Podcast tout à l’heure c’est vrai que la première personne à avoir senti qu’il devait faire quelque chose sur le Podcast ça a été Nicolas SARKOZY qui a contacté un des bloggeurs les plus lus en France et qui a fait son Podcast vidéo. Depuis la plupart des hommes politiques ont compris que le Podcast notamment le Podcast vidéo était un bon moyen quand c’était bien fait, de pouvoir faire passer un certain nombre d’idée auprès d’une cible qui il faut bien l’avouer ne regarde plus la télévision, n’est pas une grande fana du 20h.
Pascal RICHÉ : Merci beaucoup. Cette montée des blogs évidemment coïncide avec une critique des médias traditionnels qui sont de plus en plus considérés comme trop contrôlés, comme trop formatés. Dans les salles de rédaction, en tout cas dans la mienne, mais je sais que dans d’autres salles de rédaction on regarde ces nouveaux journalistes, on peut appeler ça des journalistes, avec beaucoup de méfiance. Souvent on considère que les journalistes d’Internet sont moins cultivés, sont moins politisés et puis surtout ils ne font pas de reportages. Beaucoup de gens disent : ces nouveaux médias c’est très bien mais est-ce que c’est eux qui vont financer les grands reportages, l’information noble du journalisme ? Bon, je me tourne maintenant vers Géraldine pour savoir si l’on assiste à la fin du, pas du journalisme mais d’un journalisme, avec ces nouveaux médias ?
Géraldine MUHLMANN : Effectivement, la question qui m’intéresse beaucoup et dans tout ce que vous dites aussi : est-ce que ça va faire évoluer les pratiques journalistiques ? Qu’est-ce qu’on peut attendre de cette nouvelle configuration avec un journalisme par blog, des journaux ou des journalistes individuels qui donnent des infos sur leurs sites et des gens viennent les consulter ? Un journalisme qu’on appelle parfois participatif en tout interactif, qu’est-ce qu’on peut en attendre pour les contenus journalistique ou la manière de faire du journalisme ? Oui, je pense que cette question est majeure pour notre problème de ce matin qui est l’espace public démocratique.
Au milieu du XIe siècle il y avait un grand patron de journaux américains qui s’appelait Charles Dana qui disait : les news c’est ce qui fait parler les gens. Effectivement notre espace public est largement nourri par l’information. Donc, selon les contenus de ces news les gens vont certainement converser autrement. Donc, on à tout intérêt de se poser la question de ce qui va nourrir exactement les conversations de demain. En effet, je pense que le reportage a une capacité par son rapport au réel, par le fait justement de donner des faits, des données, et pas seulement des commentaires, des points de vue, des opinions, une manière très spécifique de nourrir le débat public, je crois précieuse et pas forcément complètement achevée, cette révolution du reportage en France. On n’est pas l’un des pays où le reportage a une place centrale.
Je voudrais faire trois remarques un peu en synthèse, qui sont des remarques que je vous lance pour la discussion. Premièrement, je crois qu’il faut se garder d’affects extrêmes. C’est-à-dire le désespoir absolu, l’angoisse totale et puis de l’autre côté l’enthousiasme radical, hyper démocratique : c’est génial, etc. D’abord parce qu’il faut avoir un peu de mémoire et ce genre d’affects extrêmes a existé à la fin du XIXe siècle quand est née la grande presse et avec elle la figure du reporteur. Évidemment s’en sont données à cœur joie des figures du conservatisme revendiqué, voire de la réaction, les textes de Gustave Le Bon, par exemple, qui disaient que : les foules après avoir été sur des barricades maintenant envahissent l’espace public par les journaux et les grands lectorats. On pourrait dire que les foules envahissent le web, c’est l’horreur,… ça va être du n’importe quoi - et puis il y a des éléments dans ce sens - le porno va se généraliser… Les foules ce n’est pas toujours, en effet, formidable. L’angoisse se nourrit facilement de l’inconnue. Et même des gens très bien, beaucoup plus progressistes et moins spontanément réacs comme Zola, stigmatisaient le « reportirisme », comme il disait, qui cassait complètement l’écriture en général. Deuxièmement, dans l’autre sens, le pôle hyper enthousiaste aujourd’hui est un peu nourri par cette idée que les gens ne se parlent plus dans le métro ou dans le bus mais c’est formidable ils conversent sur Internet, c’est la grande conversation collective. J’ai vu dans « The Economist » qui a fait un dossier là-dessus à la fin du mois d’avril que 57% des teenagers américains mettent des choses sur Internet que ça soit de la musique, de la vidéo, de l’image ou du texte, donc 57% des teenagers américains sont en conversation permanente sur le net, on voit bien que ça peut générer un enthousiasme démocratique etc. Je crois qu’il faut éviter ces affects extrêmes et se poser des questions assez simples : qu’est-ce qu’on peut en attendre ? Quelles sont les voies qui s’ouvrent ? Quels sont les bémols ? La vigilance critique sur quoi doit-elle porter ?
Ma deuxième remarque, c’est que je crois qu’il y a un élément d’espoir, d’intérêt qui en tout cas, moi, m’intéresse, c’est le fait que peut-être ça va libérer un peu le reportage. Je disais juste pour commencer que le reportage me paraît être la grande révolution du journalisme moderne pas forcément complètement achevée dans notre pays, là où vraiment la curiosité se travaille de la manière la plus fine, on va y voir, on rapporte des faits compliqués à analyser, c’est un lieu de complexité et peut-être que lorsqu’on voit des grands journalistes, des grands reporters aujourd’hui qui n’arrivent plus à donner leurs données brutes dans les grands médias, dans les chaînes parce qu’il y a un formatage terrible dans les chaînes de télévision mais il y en a aussi dans la presse, on ne veut plus de long papier, le narratif se porte mal,… Ils font un site et donnent des choses sur ces sites.
Pascal RICHÉ : Ce sont les médias traditionnels qui payent leurs billets d’avion.
Géraldine MUHLMANN : Mais ça c’est pour observations en termes de contenu il y a des gens qui vont voir ces choses. Jean-Louis MISSIKA disait dans son livre : Kevin ANDERSON (BBC News website) un reporter de guerre qui a été à Felloudja et a créé un site (BBC News website). À Felloudja il n’y a pas grand monde journalistiquement il faut quand même le savoir. Donc, moi, je pense qu’il y a quelque chose à penser là en termes de libération de la curiosité du reportage.
Maintenant ma dernière remarque, la vigilance critique. Là je pense qu’il y a 4 points auxquels on doit être attentifs. D’abord, en effet qui paye ? C’est-à-dire qu’à un moment donné s’il n’y a plus de médias traditionnels, Kevin ANDERSON va où ? Comment vont-ils faire ? Le reportage ça coûte cher c’est d’ailleurs un des arguments essentiels pour la presse actuelle pour ne plus en faire. Le jour où la presse disparaîtra complétement et les chaînes de télé avec, la question va demeurer : qui va payer ces gens ? Est-ce que c’est le public ? Va-t-on avoir des sites payants ? Cette question est totalement ouverte et le pire et le meilleur sont possibles.
La deuxième chose qui excite notre vigilance critique c’est le fait qu’il ne faut pas trop attendre non plus du journalisme participatif. Au début des années 90 s’est créée au États-Unis une mode qui s’appelait le « public journalism » où des rédactions allaient dans de petites villes et se mettaient au service des gens : qu’est-ce qui vous intéresse ? On va faire votre journal, un journal pour vous, on va en discuter… Résultats des courses, aujourd’hui il y a beaucoup de travaux critiques là-dessus parce qu’en termes de contenu ce n’était pas formidable. C’est-à-dire qu’à un moment donné la curiosité locale, ça devient hyper local news, quoi. C’est-à-dire le petit fait divers, moi je n’ai rien contre le fait divers, mais à un moment donné la curiosité il faut parfois la booster de l’extérieur. Quand on n’est qu’entre soi je ne suis pas certaine que cela donne forcément des contenus extrêmement nouveaux et avec une curiosité débridée. Donc il faut être un tout petit peu attentif à ça. Même dans des expériences passionnantes comme ce qui s’est passée à Bondy. Le Bondy blog, vous avez vu que des journalistes de « l’Hebdo », un journal suisse, sont venus à Bondy pendant les histoires autour de nos banlieues françaises. Ils ont fait parler les gens, il y a eu des moments formidables, une parole qui se libérait, des choses que l’on ne voyait pas ailleurs, mais à un moment donné même le Bondy blog s’essouffle. Il faut des professionnels, c’était d’ailleurs le cas avec des journalistes. On peut donc se demander à terme ce que ça donne ce journalisme hyper local etc.
Troisième inquiétude, en tout cas objet de vigilance critique, je crois qu’à un moment donné dans la grande diversité des contenus qu’il va y avoir, il faudra des lieux de qualité qui feront la synthèse et qui donneront des labels, qui diront : voilà, ce site est nul, il dit des choses fausses ; ce site est très bon, il dit de bonnes choses. Je n’oublie pas, par exemple, qu’en mai 2004 quand l’affaire d’Aboughraïb est sortie de la prison irakienne, évidemment tout était disponible sur Internet, toutes les photos de tortures etc. Mais il a bien fallu un journaliste, un journaliste irréprochable avec une vraie légitimité pour faire la synthèse et pour dire : cette histoire c’est ça l’histoire. C’était Seymour M. Hersh, dans le New-Yorker qui a fait la synthèse de tout ce qui avait été dit : voilà je valide. Il va donc falloir qu’on ait des instruments de validation.
Ça, c’est très important. C’est d’autant plus important et c’est ma dernière remarque : le risque d’avoir des sites qui vont faire un autre type de sélection, pas forcément au nom de la qualité. Pour un téléspectateur ou un consommateur, parfois plus passif qu’on ne le dit et qui voudra juste qu’on lui fasse du divertissement sympathique, une nouvelle programmation en lui disant : écoute, ne va pas sur Internet c’est très compliqué, tout le monde ne passe pas sa vie sur Internet, on va te faire une programmation toute prête. Ça va être les nouvelles chaînes de demain, il y aura des lieux de synthèse qui ne seront pas forcément des lieux de qualité mais qui seront des lieux pour ce que Jean-Louis MISSIKA appelle très justement : le téléspectateur qui existe toujours mais qui veut être sur son sofa quand il rentre du boulot et manger son paquet de chips et qui n’a pas forcément envie d’aller chercher sur Internet les meilleurs contenus informatiques. On ne peut non plus espérer que tout le monde va être dans un rapport curieux, critique, vigilant, passer du temps sur Internet, … Il faudra bien qu’il y ait des lieux de synthèse et de sélection espérant qu’ils soient les meilleurs possibles.
Pascal RICHÉ : Merci beaucoup Géraldine. Daniel BOUGNOUX, j’aimerais que vous nous parliez un petit peu de l’impact sur l’espace public de cet émiettement des médias, est-ce que nos regards vont continuer à converger vers un débat central à la société ou est-ce qu’on va se perdre dans le grand large de l’Internet ?
Daniel BOUGNOUX : Question tellement vaste qu’évidemment tout le monde y pense, tout le monde à un souci là-dessus, mais c’est très complexe, comme chacun ce matin s’est plu à le rappeler. Il n’y a pas de réponses simples à ces questions.
Je voudrais juste faire une mise au point avant de répondre ou d’engager la discussion sur la page que j’ai sous les yeux de notre table ronde concernant l’association « Interpeller la presse » dont le principal pilier historique grenoblois se trouve dans cette salle, Philippe GAILLARD. Il faut dire que l’association est née en fait deux fois. Elle est née en 74, elle s’est un petit peu éteinte, elle est revenue à la surface en 1985, dans les collusions politico-médiatiques entre le Dauphiné Libéré – CARIGNON, etc. C’est de l’histoire ancienne, le Dauphiné n’est plus maintenant sous cette emprise et du coup l’association elle-même s’est à nouveau mise en sommeil. Peut-être que Philippe, tout à l’heure dans la discussion, pourra préciser cette histoire qui tient au cœur des Grenoblois sur l’association « Interpeller la presse », mais qui est actuellement, disons, en repos, qui n’a plus la même activité, mais c’est vrai que ces débats raniment nos souvenirs d’anciens membres et animateurs de l’association « Interpeller la presse ». Ça donne à quelques-uns chaud au cœur de voir que le débat continue autour de ces questions, à Grenoble.
Alors, oui, Pascal, quelle convergence ? Et où allons-nous avec tous ces merveilleux outils ? J’ai regroupé, moi aussi, mes remarques économiquement : 3, 4 rubriques. D’abord le thème de notre table ronde, c’est démocratie. Démocratie c’est un peu le mot valise épuisé. Je ne sais pas qui a dit, BAUDRILLARD peut-être, que démocratie c’était la ménopause du collectif, quand on est vraiment fatigué de tout alors on est démocrate. Donc, il y a à la fois beaucoup d’exigence dans le concept de démocratie historiquement grec, les lumières, etc. et puis aujourd’hui beaucoup d’avachissement, l’homme horizontal et vautré de la démocratie. L’homme vertical peut-être au contraire de la république, il y a comme ça des polarités nostalgiques qui s’esquissent parfois pour rappeler la vigueur, la vertu et la verticalité opposée à l’horizontalité mollassonne des démocrates. Moi, je me range plutôt du côté des démocrates. Au fond j’ai envie de revigorer cette notion. Donc, je ne suis pas dans la ménopause, j’espère, mais je pense aux lumières, je pense que démocratie à l’époque des lumières ça voulait dire, justement, la lumière. Ça voulait dire exposer le débat public, mettre en débat, mettre en espace public, mettre en visibilité donc créer une scène, donner une représentation au collectif et non seulement au collectif par les représentations parlementaires mais une représentation du débat. Hier, à cette table, ROSANVALLON parlait beaucoup de la crise de la représentation, c’est un sujet qui me tient énormément à cœur, ce n’est pas que la représentation politique, c’est également la représentation médiatique et je dirais troisièmement artistique. C’est-à-dire comment mettons-nous en visibilité les courants de passion, de pensées, d’idées, de positions politiques, théoriques, affectives qui nous traversent. Comment arrivons-nous à coordonner et à rendre visible et à articuler, le maître mot de la démocratie, cela à travers nos médias ? Donc, les médias sont à la fois l’outil absolument inséparable de la démocratie, la démocratie est absolument média-dépendante, mais, si pas assez de lumière tue la démocratie, trop de lumière peut tuer aussi la démocratie. Et donc la surexposition, la pornographie, je dirais d’une intimité, d’une expression de soi par chacun ne sont pas moins nuisibles à la démocratie que la soustraction du débat et l’invisibilité des pratiques politiques.
À quelle condition a-t-on un monde commun, un bien commun, raison partagée, ce sont vraiment les mots clefs de la démocratie ? Raison partagée voulant dire une raison qui est collective. Personne n’incarne la raison en démocratie. La raison est entre nous, c’est pour ça que tout à l’heure la notion de l’entre deux qui a été soulevée par Pascal RICHÉ me parait en effet consubstantielle à la fois de la notion de média, un média est un entre deux, et un démocrate, je dirais, est un entre deux et la démocratie est un espace transitionnel, pas très maniable par chacun parce que c’est l’espace des autres par définition et parce que la raison démocratique c’est toujours la raison des autres et la capacité à rencontrer le monde des autres. Alors, si on pose ça en principe historique on voit à quel point les nouvelles technologies en fragmentant le bien public, l’espace public, en favorisant l’autonomie comme disait, hier aussi à cette table, Alain EHRENBERG, au fond la démocratie a réalisé son idéal, une partie de son idéal qui était l’autonomie des sujets. Mais chaque sujet revendiquant son propre monde, son monde propre, notion très importante la notion de monde propre. Chacun construit son monde propre. Il le construit par son blog, par son site, par sa fréquentation très personnelle des mille et une tentations médiatiques, il va vers ses propres signaux, vers ses propres chaînes, vers sa propre façon de prélever l’information qui n’est plus « push » c’est-à-dire qui vient sur vous, mais qui est « pull » n’est-ce pas, je retraite et j’extrais mon information de l’ensemble dominant de l’information commune. C’est le résultat d’une très belle thèse, du très beau livre de Jean-Louis MISSIKA, il n’y a plus la télévision, il y a de moins en moins de monde commun et de plus en plus la multiplication des mondes propres. Et, avec la désynchronisation c’est bien pire que la démultiplication des chaînes. Dans l’espace grâce à la « zapette » vous avez 100 000 chaînes dans le bouquet numérique mais maintenant dans le temps vous êtes décroché des grilles de programme. Vous avez votre propre temps de réception. Donc, vous traitez de plus en plus l’information à vos propres conditions, dans vos propres espaces et dans votre monde propre. Et là, il y a une mutation formidable de la démocratie. Ces médiocraties, c’est un lapsus très logique n’est-ce pas ? Médiocratie, démocratie ce sont des anagrammes, la démocratie est médiocrate. Elle est peut-être médiocre pour la même raison. Mais justement chacun contre sa médiocrité construit son propre monde mais qu’en est-il du monde commun, du bien commun et du partage ?
Donc là, il y a, je crois, une question immense concernant les promesses de l’autonomie et en même temps les dangers de l’autonomie, c’est la question des médias. Et toujours à cette table, hier Alain EHRENBERG disait : Tocqueville disait que démocratie, c’est liaison et « déliaison », et bien les médias, c’est liaison et « déliaison ». Par les médias nous nous relions au monde et aux autres mais par ces mêmes médias nous nous isolons et nous nous coupons. Les médias sont à la fois des espaces de rencontre et des espaces d’évitement. Sur Internet justement on évite les toxiques peoples ou les idées toxiques, toxiques voulant dire les idées des autres, celles qui ne me flattent pas. Celles qui ne renforcent pas mon propre monde, mon monde propre. Et donc, du temps d’une télévision unique ou de quelques chaînes chacun était exposé au monde des autres ou à une information pour tous. Aujourd’hui avec cette fragmentation et cette désynchronisation il y a une montée en puissance par l’autonomie propre à la démocratie des nouvelles technologies des bulles, des narcissismes, des communautés affectives ou je dirais communautés réduites aux affectes. C’est-à-dire qu’on se groupe par mimétisme, par affinité mais ça ne se fait pas un monde propre donc démocratique au sens des lumières.
Alors, voilà pour ce concept vaseux, piégé de démocratie qu’il faut constamment je crois défendre contre ses propres vices, ses propres dérives. Il ne faut pas disant manier ce mot sans une certaine précaution.
Mon deuxième, très rapidement, pôle d’intérêt serait que l’information, ça Géraldine lui a consacré deux ouvrages fondamentaux et à mes yeux magnifiques, - ce n’est pas parce que vous êtes à ma table que je fais votre éloge mais c’est vraiment des ouvrages qui ont nourri ma réflexion l’ouvrage de Géraldine, l’ouvrage de Jean-Louis – l’information naît fragmentée, elle naît en miettes. Donc, quand l’information monte en puissance au XIXe siècle et au XXe encore plus et bien elle contribue à cette fragmentation des mondes. À la fois l’information est la meilleure des choses puisqu’elle ouvre chacun au monde des autres et en même temps elle fragmente quo ? Elle fragmente les croyances, elle fragmente les mondes propres. On est déstabilisé par l’information. L’information c’est ce qui choque. Géraldine disait que l’information c’est ce dont les gens parlent mais l’information c’est aussi ce qui me bouge, ce qui me change de mes propres idées, ce qui bouscule mes croyances. L’information est l’ennemie de la religion, de l’idéologie, de la croyance en général parce que l’information c’est le savoir quand il est recoupé ce savoir ou cette information, bien sûr. Donc il y a une exigence dans l’information qui va au-delà de mon envie de dormir, de mon envie de me reposer dans mes propres idées. Donc, l’information c’est l’ouverture et l’ouverture c’est fatiguant. Donc l’information n’a pas bon visage ni pour le collectif qu’elle pulvérise éventuellement, affaire célèbre, prenons l’affaire Dreyfus repère historique, ce n’est pas beau l’information vraie quand on est un militaire ou quand on est un croyant,… on a tendance à toujours refouler l’information. Donc, l’information c’est emmerdant c’est ce qui nous divise dans le groupe. L’information c’est critique par définition. Et la critique c’est ce qui divise. Les gens en parlent éventuellement mais les gens s’opposent sur l’information et c’est ce qui a besoin justement d’être discuté, recoupé, vérifié. Donc il y a cette fonction de vrai et de faux qui vient par l’information. Mais les médiums ne sont pas du tout dominés par l’information, les médiums sont dominés par la bonne relation. Ils sont dominés par la rassurance par le divertissement, par le massage, comme je dis quelquefois, nous demandons à nos médias de nous masser de nous mettre en relation affectueuse si possible sans crise, sans conflit. Donc, la musique ou la chansonnette est bien plus valorisante pour le collectif que l’information proprement dite.
Donc avec l’information vient cette passion du réel et cette ouverture, on n’aura jamais été mieux informé qu’aujourd’hui mais informé, au fond informé ça veut dire jusqu’à quel point pourrons-nous tolérer cette information ? Et jusqu’à quel point l’acceptons-nous dans nos mondes propres ? Je ferais un détour par un très beau texte de BORGES, vous connaissez la bibliothèque de Babel, BORGES imagine la bibliothèque totale et dans le texte il dit : Quand on a eu déchiffré les volumes et qu’on a vu que c’est la bibliothèque totale la première réaction fut une joie extravagante, on avait tous les messages et puis après on a déchanté parce que le problème n’était pas d’avoir tous les messages dans la bibliothèque de Babel, le problème était comment trouver le message pertinent. Comment trouver le livre qui m’intéresse. Et donc on est tombé, avec la bibliothèque de Babel, dans le labyrinthe. Le comble de l’information, bibliothèque de Babel, bibliothèque totale se change immédiatement en labyrinthe, incapacité à naviguer dans cette bibliothèque. Et donc, Internet évidemment qui paraît 30 ans, 40 ans après que BORGES ait imaginé cette bibliothèque de Babel, c’est ce labyrinthe où chacun navigue à sa guise et selon ses propres affinités. Donc ça relativise beaucoup la notion de l’information pour tous.
Mon troisième point, très bref, ça sera pour mentionner que cet espace d’Internet si prometteur est aussi un espace d’évitement et de reconstruction des narcissismes, bien sûr on navigue en évitant l’autre plus qu’on le rencontrant et ces fenêtres que sont les ouvertures informationnelles se changent très souvent en miroir narcissisant et réconfortant.
Et puis mon quatrième et dernier point sera pour me ranger à une formule qu’on a souvent employée en médiologie : Ceci ne tuera pas cela. C’est-à-dire et Géraldine l’a dit et Jean-Louis l’a dit et j’ai commencé en disant l’association « Interpeller la presse » est née deux fois et bien un média naît toujours deux fois. C’est-à-dire qu’un média aujourd’hui, un papier, il devient blog, il devient site, si les journaux veulent survivre ils doivent se mettre sur le Web etc. donc il y a des hybridations qui sont la loi des médias et qui sont les conditions même de survie des médias. Et donc, la question du déterminisme technique n’est pas simple. Qu’est-ce que le numérique fait à l’information ? Grande question. Qu’est-ce que la photographie a fait à l’information ? Qu’est-ce que la rotative a fait à l’information ? Qu’est-ce que le papier a fait à l’information ? L’invention du papier, formidable ! Aujourd’hui on en mesure toute l’importance quand le papier justement se dématérialise non pas qu’il disparaît dans chaque imprimante il y a du papier, sous chaque écran il y a du papier mais enfin pensons bien que le papier n’a plus les mêmes usages.
Donc il y a mille fonctions des médias qui sont à la fois des façons de s’ouvrir, des façons de se refermer, des façons de vivre ensemble, des façons de se rejeter, des façons surtout de se mobiliser et on l’a dit à cette table. Les nouvelles technologies ont une fonction formidable de mobilisation, d’excitation, de sensation, de partage des mondes propres. Oui de mobilisation c’est aussi d’émotion et dans l’émotion il y a le mouvement. Les médias sont ce qui nous donne de l’émotion, c’est très passionnel la question des médias. Parce que les médias nous apportent des émotions, des passions, on en discute de même passionnellement. Et chacun va selon ses passions à travers les différentes navigations possibles. Donc, il y a cette question de l’excitation mais qui ne fait pas l’information. Donc, on se mobilise en boucle quand de grands événements se produisent par les SMS et par les blogs mais la fonction éditoriale de l’information nous attend un peu au-delà. Pour cette fonction il faudra toujours du recul, de la patience, du temps et de l’autorité.
Pascal RICHÉ : Merci Beaucoup. Alors on va terminer, et je sais que vous êtes impatient de poser des questions, mais d’abord Bernard MANIN va nous expliquer un petit peu si l’Internet est vraiment un lieu d’échange et de confrontation des idées ou pas ? Parce qu’il faut aussi voir que les gens qui vont sur l’Internet peuvent parfois s’enfermer dans des sphères d’affinités et ne dialoguer qu’avec des gens qui leur ressemblent. Alors est-ce que c’est un vrai lieu de confrontation dans lequel la délibération démocratique peut s’exprimer ?
Bernard MANIN : Le point de départ, c’est certainement que la démocratie a besoin de la confrontation entre des opinions opposées. Discuter c’est très bien, mais discuter avec des gens qui pensent comme nous ça produit des résultats plutôt indésirables et en particulier un déplacement des opinions vers les extrêmes. Donc c’est très gentil la discussion, et en général un exercice sympathique, mais si l’on ne discute qu’avec des gens qui pensent comme soi, premièrement on n’aura aucune idée du fait qu’il y a peut-être d’autres personnes qui pensent différemment, de plus on va se renforcer réciproquement dans les idées antérieures. Donc, il suffit d’énoncer cette proposition, d’ailleurs simple et vérifiée, pour voir que dans notre monde de communication dans lequel on peut choisir massivement ses interlocuteurs, qu’il s’agisse d’ailleurs d’interlocuteurs de forum de discussion ou de blogs, on peut les choisir et on les choisit en fonction de ses propres affinités. Et les mesures empiriques des liens ainsi établis d’abord de la constitution des forums de discussion, puis des blogs particulièrement, montrent qu’ils sont fondamentalement homogènes. On a fait des mesures, on a quand même quelques instruments de mesure, on l’a fait surtout aux États-Unis, mais on a noté, par exemple, on a fait des mesures sur 3 ou 4 thèmes : la peine de mort, les armes à feu, l’avortement, ce qu’on voit – on parle ici de blogs – c’est des blogs saillants. Sur chacun des thèmes il y a des blogs qui rassemblent beaucoup plus de contributions et auxquels il est fait beaucoup plus de références, de liens arrivants – des in coming links- c’est avec ça qu’on mesure en fait. Mais le point fondamental est que sur chacun de ces thèmes il y a des blogs saillants, simplement ces blogs saillants sont ou progressistes ou conservateurs, et avec à peu près aucun lien entre les uns et les autres. Et ça, ça donne une idée au fond de ce qui est un des problèmes assez précis, et assez aigus, qui est celui de la fragmentation mais par la segmentation par blogs homogènes. C’est évidemment un exercice de notre liberté et un accroissement de notre capacité d’agir et de mener la vie comme nous l’entendons, de pouvoir rentrer en relation avec des gens qui partagent avec nous quelques intérêts, quelques centres d’intérêts, quelques opinions mais en même temps la démocratie requière la confrontation avec ceux qui ne pensent pas comme nous, qui ne partagent pas nos centres d’intérêts et qui éventuellement contredisent nos propres vues et c’est là que le point délicat, le point compliqué, disons, se noue. Ce n’est pas le seul et je n’ai pas la prétention de parler de tous les points de vue compliqués mais ici se noue quelque chose d’important. Il y a toutes sortes de raisons à ce que cette communication avec les semblables soit particulièrement prononcée. D’abord elle est massivement confirmée par les études empiriques. Toutes les études montrent en effet que les blogs, les forums de discussion rassemblent essentiellement des gens qui se ressemblent, qui partagent un centre d’intérêt, qui partagent les mêmes opinions. Je l’indiquais tout à l’heure pour les blogs conservateurs et les blogs progressistes à propos de ces différents sites. Pour les forums de discussion c’est pareil il faut d’ailleurs noter qu’on a aussi quelques idées des mécanismes. Supposons que nous nous trouvions dans un forum de discussion, une communauté virtuelle et puis nous échangeons, à un certain moment nous ne nous y sentons plus très à l’aise, on trouve des choses qui ne sont pas très agréables, le départ est beaucoup plus simple que la protestation. Plutôt que de protester ou d’exprimer des désaccords, qu’est-ce qu’on fait ? On s’en va comme on quitte un fournisseur dont on n’est pas satisfait. Ça s’appelle vaquer avec son pied, ça c’est absolument sans coût. Mais l’effet combiné de ces décisions individuelles est évidemment de produire des blogs homogènes. Le point c’est qu’il y a là un mécanisme, un facteur intrinsèque d’homogénéité. De même d’ailleurs, un autre mécanisme de l’homogénéité est le filtrage collectif. Dans les différents forums de discussions mais aussi dans d’autres formes de sites on a des logiciels de filtrage collectif. C’est-à-dire que les participants à cette communauté où à cette discussion ont la possibilité de noter ou d’évaluer les différentes contributions ou les différents liens et ceci va à son tour être incorporé automatiquement dans la présentation des informations ou des liens ou des contributions sur ce forum de discussion ou sur ce site. Qu’est-ce que ça fait ça ? Ça veut dire que les choses qui sont bien estimées, bien évaluées, bien vues par les membres d’un groupe de pairs vont arriver en tête des choses qu’on va voir. Et qu’est-ce que ça veut dire ? On a là un mécanisme de renforcement. Ça n’a pas que des aspects indésirables mais ça a aussi des aspects indésirables. Parce que c’est le renforcement du conformisme et, en reprenant de vieux termes du libéralisme, le renforcement de la tyrannie de la majorité au sens de la conformité à ce que pensent les autres. Donc, une fois qu’on a isolé ce risque, d’ailleurs ce n’est pas un risque c’est un fait, ce n’est pas seulement des spéculations c’est ce qui se passe, il y a néanmoins un certain nombre de raisons également assez précises pour penser que ceci n’est pas le tout de l’histoire malgré tout. La première de ces raisons c’est qu’il y a massivement sur l’ensemble du Web, sur Internet un jeu des lois de la concentration. Il ne faut pas s’imaginer que la concentration tient simplement à des architectures centrales. On peut avoir des effets de concentration par des décisions individuelles désagrégées. Prenons juste un tout petit exemple, en fait on pourra les développer, mais un qui est central dans le phénomène de concentration ce que l’on appelle les effets de réseaux. Les effets de réseaux sont simplement ceci : la valeur ou l’utilité ou de l’intérêt à un lien est une fonction du nombre des gens qui sont eux-mêmes en liaison avec ce lieu, avec ce site. Songeons à un site de petites annonces, évidemment, tout son intérêt est qu’il soit très fréquenté. S’il est peu fréquenté il perd ipso facto de son intérêt et ce pourquoi on appelle ça, il y a un terme technique pédant qu’on utilisera ici : c’est les externalités de réseaux. Mais c’est très puissant les externalités de réseaux et ça amène à de la concentration. Ceci, on le voit à l’œuvre de multiples manières mais en tout cas la loi est indubitable, Internet est dominé et le résultat net ou brut de cela c’est la forme de ce que l’on appelle la loi de la concentration. C’est-à-dire que l’immense majorité du trafic est concentré sur un tout petit nombre de sites cependant que l’immense majorité de sites ne reçoivent qu’une quantité négligeable de trafic et ceci est vérifié de toute les façons. Évidemment sur ces sites concentrés on va quand même trouver des gens un peu différents, par définition parce qu’ils sont sur des sites concentrés.
La deuxième chose est, je crois que quelqu’un disait précédemment, lorsque des événements surgissaient - c’est Jean-Louis, qui faisait référence au CPE un peu plutôt – mais ceci se produit aussi dans des communautés qui sont rassemblées sur d’autres thèmes. Donnons un exemple un peu précis, la plupart des groupes ou communautés virtuelles sur Internet ne se rassemblent pas sur des thèmes politiques, on le sait ça aussi, c’est juste un fait, c’est comme ça, en revanche par affinités, par groupes d’intérêts. Il y a un de ces sites ou communauté très célèbre et très importante aux États-Unis « Slashdot », ça rassemble des passionnés d’informatique, a priori rien de politique. Pendant la campagne présidentielle de 2004, tout d’un coup, pour quelques raisons, une explosion de contributions politiques sur l’élection présidentielle de 2004 aux États-Unis sur Slashdot. Et là, évidemment, ces gens qui sont rassemblés obéissent à la logique des homogènes, du rassemblement et de l’entre-soi. Ils sont entre-deux sur une dimension mais il y a une autre dimension qui par le fait de l’événement fait émergence dans cet univers homogène et assez lisse et là il y a en effet de la confrontation, de la contradiction et donc du débat.
La troisième raison de penser qu’en dépit de cette propension que nous avons tous à rechercher nos semblables, à nous lier ou a établir des hyperliens avec des blogs qui partagent nos propres orientations, en dépit de cela il y a un autre facteur qui intervient qui est que nous avons, ou que nous aurions, beaucoup de difficultés à paramétrer entièrement notre univers de communication sur le net. C’est très compliqué, là aussi des études ont été faites. C’est très compliqué, non pas compliqué techniquement mais ça prend du temps. Il se trouve que nous ne le faisons pas sauf si nous sommes extrêmement motivés. Il y a aussi des raisons un peu plus techniques, les moteurs de recherche ne le font pas parce que l’on n’a pas par exemple le célèbre, le mystérieux algorithme de Google ne comporte pas de discrimination selon les contenus par absence en fait de système d’étiquetage universellement accepté. Google va ramener toutes les informations, c’est peut-être un altermondialiste, vous allez trouver sur Google et avec la hiérarchie de Google bien entendu, les sites sont pondérés en fonction des liens arrivants qu’ils ont, il y a d’autres facteurs de pondération qu’ils sont d’ailleurs très soucieux de ne pas publier mais ce que cela ne fait pas en revanche c’est de sélectionner selon les orientations idéologiques ou selon la notion de contenus. Ceci a toujours un côté un peu insatisfaisant, je suis tout à fait d’accord avec Géraldine, évidemment il faut se garder des opinions extrêmes, il y a en tout cas un élément dans cette configuration qui que si l’on se focalise sur ce que nous faisons intentionnellement avec Internet alors nous trouvons essentiellement le rassemblement des semblables et la création de l’homogénéité. Et là, à cet égard la discussion pour sympathique qu’elle soit n’a pas vraiment de vertu démocratique. Mais en revanche, si on se tourne vers ce sur quoi nous tombons, non intentionnellement, alors nous avons peut-être un paradoxe de la démocratie mais en tout cas un espoir assez bien fondé sur les observations.
Pascal RICHÉ : Pour faire vivre la démocratie, il faut se laisser surprendre sur l’Internet. Merci beaucoup.
On va vous donner la parole. Deux remarques auparavant : d’une part tous les livres dont nous avons parlés, notamment ceux des membres de ce plateau sont en vente évidemment là-haut à la librairie, sur une petite table spéciale. Ils sont tous regroupés. Deuxièmement, cette émission, comme je vous l’ai dit au début, est enregistrée à la fois pour le monde.fr et pour France Culture, donc je vous prie, s’il vous plait, de vous présenter et si vous pouvez aussi dire à qui s’adresse votre question cela sera mieux. Des micros doivent circuler dans la salle, je vais prendre peut-être trois questions. Moi, j’en avais une, un élément que personne n’a abordé : Est-ce que ces nouveaux médias favorisent la radicalité ou au contraire rapprochent les opinions vers le centre ? Je ne sais pas qui pourra répondre tout à l’heure. Mais je vais prendre d’abord des questions. Monsieur ?
Question 1 : Je travaille au Ministère des finances et j’ai une question sur l’audiovisuel public, qui donc s’adresse plus particulièrement à David KESSLER, et sans doute aussi à Jean-Louis MISSIKA. Je voudrais savoir comment vous pensez que le service public de l’audiovisuel au sens large doit évoluer ? Est-ce qu’à votre avis il doit s’affirmer ou est-ce qu’il doit se mettre en retrait face à une offre privée de plus en plus diversifiée, de plus en plus pluraliste, peut-être avec une qualité plus importante ? Cette question, à mon avis, peut avoir des réponses différentes selon les supports donc j’aimerais avoir votre avis là-dessus. Aujourd’hui, l’État est très présent dans la télévision avec France télévision, avec la nouvelle chaîne d’information internationale qui va être mise en place avec ARTE, il est très présent à la radio avec notamment Radio France et RFI, par contre il n’est pas du tout présent dans la presse, il n’y a pas de journal public, il est assez peu présent sur Internet, sauf via des sites de radios et de télévisions, il essaye de mettre en place un site qui s’appelait « Idées de France », piloté par le ministère des affaires étrangères et qui a été, je crois, arrêté très récemment, puisque ça ne fonctionnait pas très bien et ça coûtait assez cher. Donc, selon les supports, comment répondre à cette question ? Et puis aussi selon les contenus, les différentes missions assumées aujourd’hui par le service public de l’audiovisuel c’est notamment l’éducation avec France Culture, France 5, ARTE, c’est notamment l’information avec France Info, les chaines généralistes et demain la chaîne internationale, c’est aussi le divertissement avec France 2, France Inter, ces missions c’est aussi les missions des opérateurs privés qui font les mêmes sauf qu’elles les pondèrent un peu dans l’autre sens en mettant la priorité sur le divertissement, selon vous comment le service public de l’audiovisuel doit se positionner dans le contexte que vous décrivez d’évolution des comportements des usages et des technologies ?
Pascal RICHÉ : David ?
David KESSLER : J’aurais du mal à répondre en trois minutes. Juste peut-être deux pistes. La première, c’est probablement vrai que selon les supports, c’est différent et je suis absolument certain qu’au regard de tout ce que nous avons dit aujourd’hui, sur l’évolution des supports et des vecteurs d’information, la question doit être reposée différemment par rapport à la manière dont on la posait il y a 10 ans ou il y a 20 ans. Ça, j’en suis certain, mais je n’ai pas la réponse pour autant. Le second élément, c’est ce que je disais tout à l’heure. Moi, j’ai la chance de diriger une radio dont je crois, la conviction est absolue, le marché ne la permettrait pas. Tout ce que nous faisons, et tout ce que nous dépensons il n’y a aucun équilibre économique qui est lié à ça. Donc, c’est un élément très classique dans le droit public de la légitimation de l’intervention de l’État, c’est de faire ce que le marché ne permet pas qu’on fasse. Alors ce n’est pas vrai complètement pour l’ensemble du service public audiovisuel, là c’est un cas un peu pur. Si l’on pense que ce qu’on fait est utile, et je crois qu’il est utile, il faut le continuer, c’est certainement moins vrai pour France 3, encore moins vrai pour France 2. Donc la question se concentre sur des chaines qui d’abord ont des ressources mixtes et deuxièmement sont obligées de faire, parce qu’elles ont des ressources mixtes, un peu dans tous les éléments. D’où une dernière piste mais ce n’est qu’une piste, et encore une fois tout ça demanderait une élaboration, ce que je disais tout à l’heure et ce que disait Bernard MANIN me paraît fondamentalement important, c’est-à-dire que la vocation et la mission de ces lieux de service public c’est aussi de faire que précisément le débat démocratique, au vrai sens du terme, c’est-à-dire non pas la recherche de l’identité mais la recherche de la confrontation dans ce qu’elle a de noble, d’important, le fait que l’on puisse y trouver ce que l’on n’attend pas soit le cœur de leurs préoccupations. J’ai conscience qu’en disant ça je n’ai pas les recettes mais je pense que le principe doit être au cœur même de la préoccupation de ce qu’est un service public.
Question 2 : Philippe FRÉMEAUX, d’alternative économique : Nous on a un site qui est minable, un site boutique, vitrine mais on a déjà plus de connections sur notre site chaque mois qu’on a de numéros achetés. On voit bien que ça marche, en même temps on sait très bien que le modèle économique de cette affaire est totalement inexistant. On nous a dit plein de choses passionnantes, mais de fait on voit bien que les coûts de production diminuent, l’immédiateté qui change le rapport à l’information, je pense que la critique des journalistes est une critique démocratique forte, parce que moi je suis aussi revenu après avoir fait un journal de quartier quand j’étais petit sur le journalisme participatif, etc. toutes ces illusions, on est tout à fait d’accord là-dessus, mais même si l’on pense qu’il y a besoin d’intermédiaires, de gens qui valident l’information, qui donnent des labels, même s’il y a des effets de concentration, la question de savoir comment on va passer du modèle ancien au nouveau sur le plan économique reste totalement mystérieuse. Parce que même les journaux qui ont les sites qui marchent le mieux, je pense à Libération et au journal Le Monde, ils sont justes capables avec les ressources publicitaires qui sont les leurs, parce que précisément ils ont perdu les petites annonces, ce que disait très bien Jean-Louis MISSIKA, ils sont tout juste capables de payer le fonctionnement du site, mais absolument pas le prix du billet d‘avion qui permet de faire le reportage, parce que ça c’est le papier qui continue à le financer. Alors, quid du modèle économique pour demain ?
Pascal RICHÉ : Merci. Une autre question ?
Question 3 : Bonjour, Je suis Benoît, étudiant à Paris. Vous attribuez tous la crise des médias actuels à des explications techniques, à savoir l’apparition de nouveaux médias et personne n’évoque ce qui fait la désaffection des gens pour les médias traditionnels.
Jean-Louis MISSIKA : J’ai commencé mon intervention là-dessus.
Question 3, suite : Oui d’accord mais c’est à eu près tout. Ça a duré une minute mais personne n’a expliqué les raisons intrinsèquse de la désaffection des médias.
Pascal RICHÉ : On va arrêter là-dessus.
Question 3, suite : Sur 1h d’interventions on a eu une minute sur les raisons intrinsèques de la désaffection des médias.
Pascal RICHÉ : On va répondre mais on va prendre une troisième question. Ah ! Une dame.
Question 4 : Ah ! Oui il faut se présenter. Je suis Véronique Fanchon ( ?), enfin ça n’intéresse pas grand monde, ce que je voulais dire simplement, c’est qu’effectivement l’aspect économique a peu été évoqué, les histoires d’argent n’ont pas été trop évoquées alors qu’il y a beaucoup de choses intéressantes par ailleurs, il y a un autre aspect, à mon avis, c’est l’aspect législatif parce que quand on nous dit que la concentration des médias est un phénomène purement français, je ne sais pas si en Angleterre aussi il n’y a pas ce genre de problèmes aussi, notamment pour la presse écrite, mais il y a eu quand même des lois pour favoriser le fait que les télévisions aient été privatisées. On peut se poser la question de : quelles sont les lois qui pourraient faire, qui ont fait que l’on arrive là ? Une forte concentration et qu’effectivement il y a 5 ou 6 groupes industriels qui ont des intérêts au sein des médias au jour d’aujourd’hui. Pour faire le lien avec les nouveaux médias, la question que, moi, je voudrais poser et qui renvoie peut-être à l’intervention de Géraldine MUHLMANN, c’est que… elle a dit que plus tard il faudrait peut-être que des sites soient labélisés, parce qu’effectivement Internet apparaît au premier abord comme un espace de liberté, c’est peut-être pas si simple que ça, comme l’a évoqué Monsieur MANIN, finalement cet espace est-ce qu’il n’y a pas besoin que la république, la démocratie légifèrent aussi pour dire dans quelles conditions on pourrait assurer une certaine liberté. Donc, voilà, il me semble que l’aspect législatif devrait être abordé mais je ne sais pas à qui adresser ma question.
Pascal RICHÉ : Merci beaucoup. Géraldine, ça fait beaucoup de chose pour vous.
Géraldine MUHLMANN : Oui. La question de monsieur, écoutez, vous avez raison, je ne suis pas la mieux placée pour parler d’argent, vraiment. Mais ça a un rapport. Le problème c’est que les médias traditionnels ne payent plus non plus. Vous le savez bien, notamment pas beaucoup de reporters, cela rejoint exactement ce que je viens de dire. Il y a quand même énormément d’endroits au monde où les reporters français ne sont plus présents. Pour des raisons je pense idéologiques, c’est-à-dire que l’on ne pense pas que ça soit majeur d’y être, on n’est pas dans un journalisme qui croît que le reportage est quelque chose de central, beaucoup moins dans les démocraties anglo-saxonnes mais par ailleurs, il y a un problème de moyens. Une chose renforce l’autre puisqu’on se dit : c’est très cher et de plus on n’y croit pas franchement, donc on n’y va pas, alors qu’on oublie de dire que la presse de masse du XIXe siècle s’est construite, s’est massifiée, a augmenté son lectorat, comment ? Par le reportage ! Parfois j’ai envie de dire aux patrons de presse : c’est la grande recette traditionnelle du journalisme de mettre des reporters, c’est ça qui a permis d’augmenter le lectorat, mais paradoxalement ce n’est pas du tout la recette adoptée. Je crois qu’il y a un effet de réaction, on se dit on va aller faire du reportage ailleurs mais je suis d’accord avec vous, je n’ai pas du tout la réponse. Il faudra le financer, est-ce que le public est prêt à le financer tout seul ? Est-ce que la solution libérale qui est de dire chacun achète son œuvre journalistique et il y aura des gens pour payer un reporter pour qu’il aille sur le terrain acheter et payer l’info ? C’est la solution libérale, le risque c’est Bernard MANIN qui l’a dit, c’est l’envers du libéralisme, au lieu d’avoir beaucoup de pluralité on aura beaucoup d’homogénéité, qui est la raison même, c’est ce qu’on reproche aux médias traditionnels, mais ça risque de guetter aussi les nouveaux médias. En fait on retombe sur cette question essentielle de l’homogénéité qui est une question que nous avons en commun, monsieur, avec les bourdieusiens.
Pascal RICHÉ : Merci beaucoup Géraldine MUHLMANN.
Question 5 : Bonjour, je m’appelle Christophe, je suis le responsable d’un nouveau blog local citoyen de Grenoble qui s’appelle : Mon Grenoble, sur mon blog.net et j’avais, pour faire court, une simple question à vous poser : ne pensez-vous pas comme le plus grand bloggeur de France : Loïc Le MEUR, un collègue, que l’élection présidentielle de 2007 risque de se jouer sur les blogs ? Vous savez, comme quand au deuxième tour, vous avez un candidat qui a 49,5 et l’autre 50,5 etc. je veux parler évidemment des 15 jours entre les 2 tours, quelle est votre réflexion à ce sujet ?
Pascal RICHÉ : Tariq ?
Tariq KRIM : 2007, je ne suis pas sûre ça aura un basculement, mais en 2012 sans aucun doute.
Pascal RICHÉ : Il ne se mouille pas, là. Bon au suivant, MISSIKA.
Jean-Louis MISSIKA : Moi, je ne sais pas s’il faut dire plus optimiste ou plus pessimiste, ça n’a pas beaucoup d’importance en tout cas je pense qu’Internet va devenir un enjeu politique important, pas nécessairement majeure mais important de l’élection présidentielle 2007. Quand on voit la façon dont nos leaders politiques essayent de s’en servir c’est vrai que c’est assez comique, mais c’est pour ça qu’on risque d’avoir des surprises et notamment au niveau de « fetching ».
Pascal RICHÉ : Tariq, vous vouliez une deuxième chance ?
Tariq KRIM : Je pense que 5% des voix peuvent être au maximum influencé en 2007.
Pascal RICHÉ : Très bien.