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Planète terre, Sommes-nous vraiment dépendants des OGM ?

Transcription par Taos Aït Si Slimane de l’émission de France Culture, du mercredi 14 novembre 2012 : Planète terre, Sommes-nous vraiment dépendants des OGM ? par Sylvain Kahn.

Vous pouvez me communiquer vos corrections, observations et suggestions à l’adresse suivante : tinhinane[@]gmail[.]com

Présentation sur le site de l’émission L’étude du professeur Séralini a relancé le débat sur les OGM. Planète terre s’arrête donc aujourd’hui sur ce sujet d’actualité : doit-on considérer que ces techniques seront indispensables pour nourrir les 9 milliards d’êtres humains de demain ? Quelles sont les conséquences de leur introduction dans les systèmes agricoles ? Un géographe et un biologiste se situant sur deux registres spécifiques et défendant un point de vue différencié sur l’innovation et le progrès exposent le résultat de leurs travaux.

Une émission en partenariat avec Science et vie

Invité(s) : Xavier Arnauld de Sartre, géographe, maître de conférence à l’université de Pau et chercheur au CNRS et Philippe Joudrier, biologiste, Ancien directeur de recherche à l’Institut National de Recherche Agronomique (INRA), expert à l’l’AFSSA

Sylvain Kahn : Bonjour à toutes et à tous. Comme chaque mercredi sur France Culture nous sommes ensemble jusqu’à 14h30.

Viviane Noël, Yanis Djoudad et Catherine Madure nous accompagnent en régie.

Vous avez rendez-vous avec votre émission géographique et nous sommes en direct bien sûr !

Alors, suite à la publication de l’étude du professeur Séralini, du CRIIGEN, sur leur toxicité, les organismes génétiquement modifiés font à nouveau la Une de l’actualité scientifique et politique.

Le partenaire des émissions de science de France Culture, le mensuel Sciences et vie, publie dans son numéro de novembre un article très critique sur l’étude que Gilles-Éric Séralini a consacré à la toxicité des OGM. 

Michel Alberganti y reviendra de façon contradictoire sur cette antenne, dans son émission « Science publique », ce vendredi à 14h.

Pour sa part, « Planète terre » évoque aujourd’hui la question de l’utilisation des plantes génétiquement modifiées dans l’agriculture. Dans un espace agricole désormais mondialisé les surfaces en plantes génétiquement modifiées sont cultivées depuis 1995, au nom d’une idée élémentaire et prometteuse : contribuer à nourrir 9 milliards de terriens en 2050. En 2012, près de vingt ans plus tard, les cultures de PGM, plantes génétiquement modifiées, représentent 12% de la superficie agricole mondiale. L’espérance alimentaire levée par le génie génétique est-elle déçue ou encore d’actualité ? Quel bilan agricole et alimentaire peut-on tirer de cette innovation agronomique ? Dans les régions où elle est introduite quels problèmes a-t-elle résolus ? Quels problèmes éventuels a-t-elle générés ? Quelles sont aujourd’hui les différences agronomiques et agricoles entre les régions à PGM et les régions sans PGM ? Est-ce un progrès, une innovation ou une rupture, voire une révolution ? Sommes-nous vraiment dépendants des OGM ? C’est le sujet de « Planète terre » cette semaine.

Pour faire le point, j’ai invité deux chercheurs : Xavier Arnauld de Sartre qui est géographe au CRS et à l’Université des pays de l’Adour, auteur de plusieurs publications sur l’Amazonie et coordinateur du livre « Les Révolutions agricoles en perspectives », paru en 2012 ; puis, Philippe Joudrier qui est biologiste de l’INRA, l’Institut National de Recherche Agronomique, auteur du livre « OGM : pas de quoi avoir peur ! », publié en 2010.

Bonjour à tous deux !

[Réponse des deux invités au bonjour !]

Philippe Joudrier, je précise que vous êtes en direct, en duplex de France Bleu Hérault, à Montpellier. Merci aux collègues de France Bleu Hérault de nous accueillir.

Il se trouve que l’un et l’autre, Philippe Joudrier et Xavier Arnauld de Sartre, vous avez tous les deux contribué à cet ouvrage collectif et pluridisciplinaire, « Les Révolutions agricoles en perspectives », paru il y a quelques mois aux Éditions France Agricole.

Pour commencer, si vous le voulez bien, ma première question est élémentaire, quelle est aujourd’hui la part des plantes génétiquement modifiées dans l’agriculture mondiale ?

Xavier Arnauld de Sartre, vous qui êtes en plateau, en studio, à Paris, à France Culture ?

Xavier Arnauld de Sartre : Comme tu l’as évoqué toi-même, tout à l’heure, on est à 12% des superficies plantées qui sont en PGM, principalement sur la grande culture, ça veut dire que les PGM ne touchent pas l’élevage et touchent assez peu… les cultures… les légumes, assez peu.

Sylvain Kahn : Bon !

Xavier Arnauld de Sartre : Assez peu.

Sylvain Kahn : Et alors, est-ce que vous pouvez également dire un petit peu plus sur la répartition géographique ? Est-ce que la culture des plantes génétiquement modifiées est plutôt concentrée, j’ai parlé de 12% des surfaces mondiales, si vous confirmez ce chiffre, dans quelques régions ? Ou est-ce que c’est un type de culture que l’on trouve réparti sur l’ensemble des paysages agricoles de la planète ?

Xavier Arnauld de Sartre : Non, c’est assez concentré. En fait ce qui est intéressant avec les plantes génétiquement modifiées, la plupart d’entre elles en grande culture, en particulier le soja Roundup Ready®, sont très utiles pour lutter contre l’érosion éolienne, c’est-à-dire que cela permet de faire du labour, donc d’éviter d’avoir une perte des sols avec le vent, parce que le soja Roundup Ready®, pour des raisons un peu techniques, sur lesquelles on peut rentrer, évite ça. Donc, les PGM, les plus communément plantés, ont été inventés aux États-Unis, dans les grandes plaintes pour répondre aux problèmes qui s’étaient posés dans les années 30, qui était le « Dust Bowl », c’est-à-dire l’érosion éolienne, le nuage de poussière. Donc, on va retrouver ces plantes principalement dans les pays qui sont concernés par l’érosion éolienne : les États-Unis, l’Argentine, le Brésil, une partie de la Chine, pour les grandes cultures en tout cas.

Sylvain Kahn : Et en Chine, juste pour terminer sur ce rapide panorama, les antes génétiquement modifiées c’est plutôt du coton, donc un usage textile et industriel d’avantage qu’un usage alimentaire, si je ne me trompe pas ?

Xavier Arnauld de Sartre : Oui, en Chine et en Inde, principalement.

Sylvain Kahn : D’accord. Sinon, soja, disiez-vous, ainsi que le maïs c’est plutôt, là aussi, cultivés, aux États-Unis, en Argentine et au Brésil, pour l’alimentation humaine, ou l’alimentation animale ?

Xavier Arnauld de Sartre : Principalement pour l’alimentation animale, mais évidemment l’homme en consomme.

Sylvain Kahn : Vous voulez dire indirectement ?

Xavier Arnauld de Sartre : Ou directement, selon les marchés.

Sylvain Kahn : Philippe Joudrier, je le rappelle, vous êtes en duplex depuis les studios de Radio France Hérault à Montpellier, merci. J’ai une question, là aussi assez élémentaire, par laquelle j’aimerais bien commencer avec vous. Page 131 de cet ouvrage, « Les Révolutions agricoles en perspectives », dans le chapitre que vous avez écrit, vous indiquez qu’une plante génétiquement modifiée n’est au final qu’une nouvelle variété végétale parmi toutes les autres. Est-ce à dire que pour vous on est avec innovation dans une continuité finalement de l’histoire de l’agriculture humaine, telle qu’elle existe quasiment depuis le Néolithique finalement ?

Philippe Joudrier : Oui, tout à fait ! En fait, l’homme a toujours, depuis les débuts de l’agriculture, depuis -8000, -10000 ans avant notre ère, sélectionné les plantes qu’il cultivait, il le faisait de manière totalement empirique, on a qualifié ça de sélection massale, en fait il ne sélectionnait que les individus qui lui paraissaient beaux, qui lui paraissaient dignes d’être ressemer, puis, avec le progrès des connaissances,… Un petit rappel historique, ce n’est qu’en 1676 que des naturalistes très aguerris, je dirais, mettent en évidence le rôle des organes sexuels chez les plantes, donc ce n’est qu’après qu’on va pourvoir commencer à faire des croisements pour obtenir de nouvelles variétés. Ensuite, avec le développement de la génétique, qui s’était fait en 1865, avec les découvertes des lois de Mendel, qui ont été redécouvertes et mises en œuvre qu’au début du siècle dernier, on a de plus en plus orienté les choix, fait croiser des pantes dont on prenait un caractère positif chez le parent mâle, un caractère positif chez le parent femelle pour essayer de les combiner chez le descendant, de proche en proche, on a mis en œuvre de nouvelles techniques d’amélioration des plantes. Il y a une chose qu’il faut bien comprendre, c’est qu’on a besoin en permanence de nouvelles variétés. Donc, dans de la transgénèse, la méthode la plus performante à l’heure actuelle mais on pourra d’ailleurs sur ce dernier point parce qu’il en existe maintenant huit autres nouvelles qui sont en cours, on a pu faire de manière beaucoup plus sûre, et beaucoup moins aléatoire, des variétés qui présentaient telle ou telle caractéristique. Alors, vous avez signalé en introduction qu’effectivement il n’existe que deux caractères principaux qui ont été réalisés mais peut-être que c’étaient les plus simple à mettre en œuvre et à obtenir : c’est donc une tolérance à certains herbicides ou une résistance à certains insectes, mais il existe malgré tout d’autres applications, on aurait pu parler aussi de la papaye aux Philippines, ou même en Chine, des papayes génétiquement modifiées qui sont résistantes à des virus. Donc, en fait dans tout ce processus l’homme a systématiquement utilisé le progrès des connaissances scientifiques et a essayé de les mettre en œuvre pour obtenir de nouvelles variétés, ce n’est qu’un processus continue.

Sylvain Kahn : Avant d’aller plus loin sur cette question de la commercialisation de plantes génétiquement modifiées sur seulement deux caractères, ce que vous venez de rappeler, je voudrais demander à Xavier Arnauld de Sartre, de son point de vue de géographe, son sentiment sur cette question, que je posais à Philippe Joudrier, est-ce qu’on est dans une innovation, pour le coup culturale, qui est finalement dans la continuité de l’histoire de l’agriculture telle qu’elle peut se concevoir, encore une fois depuis la révolution Néolithique, ou pas ?

Xavier Arnauld de Sartre : Je ne vais pas remonter aussi loin que le Néolithique, je ne suis pas compétent. Ce qui est clair, c’est que les plantes génétiquement modifiées ne marquent pas une rupture paradigmatique par rapport à la révolution verte, c’est-à-dire qu’on améliore des techniques de création variétale, on améliore par le biais de la génétique, mais on ne révolutionne pas la manière de concevoir l’agriculture en intensifiant l’agriculture et en l’artificialisant dans son rapport au milieu.

Sylvain Kahn : Ça, c’étaient les deux caractères de la révolution verte apparue dans les années 60 ? C’est à cette révolution verte que vous faites référence ?

Xavier Arnauld de Sartre : Oui, c’est ça. La révolution verte, on fait dater les premières innovations techniques à la fin du XIXème siècle mais elle se développe principalement au cours du XXème siècle, et elle s’accélère grandement après la Seconde Guerre mondiale, à partir de 1945.

Sylvain Kahn : Ah, oui, ce que vous appelez révolution verte, ce n’est pas uniquement la révolution agricole telle qu’elle s’est développée dans certains pays en voie de développement, en particulier en Inde, vous parlez de la révolution agricole telle qu’elle a commencé à se développer avec la mécanisation, l’industrialisation…

Xavier Arnauld de Sartre : Oui, voilà, on estime que dans la période récente, c’est-à-dire depuis le XVIIIème siècle, il y a trois révolutions agricoles qui ont lieu, qu’on appelle les révolutions agricoles de l’ère moderne que l’on associe à la révolution industrielle. La première révolution agricole a lieu à partir du XVIIIème siècle, elle est très intéressante parce qu’elle ne marque pas de rupture très forte par des innovations techniques mais elle réorganise les modes de production. Elle se développe, elle commence en Angleterre, partout dans le monde, ça c’est la première. La seconde révolution agricole, elle, marque une rupture par rapport à la première dans le sens où elle s’accompagne d’innovations techniques très fortes en particulier de matériels de mécanisation, d’utilisation d’intrants et d’herbicides, pesticides et de changement variétal. Celle-là, elle se développe, toujours pareil, en Europe, début du XXème-XIXème, et diffusion dans le monde à partir de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Et la troisième révolution agricole, qu’on associe à la troisième révolution industrielle, les innovations commencent à être mises en place à partir des années 70, et on la voit se diffuser principalement à partir des années 90.

Sylvain Kahn : Et quels en sont les caractéristiques ?

Xavier Arnauld de Sartre : Une des caractéristiques de cette révolution, mais ce n’est qu’une de ces caractéristiques, c’est le développement de nouvelles semences, en particulier les semences génétiquement modifiées. La semence en elle-même n’est pas révolutionnaire, ce qui est révolutionnaire c’est plutôt qu’avec la semence arrivent un ensemble de paquets de transformations qui changent fondamentalement les rapports au territoire de l’agriculture. Donc on va avoir un changement technique qui va apparaître avec la semence puisqu’on a des semences qui permettent, en particulier dans le cas du Roundup Ready®, d’éviter le labour, on va pouvoir mettre en place ce que l’on appelle du semis direct, ne pas labourer, ce qui est assez révolutionnaire par rapport à ce qu’on faisait dans l’agriculture depuis le Néolithique, ce qui permet de conserver mieux les sols, mais ce qui aussi implique d’utiliser plus d’herbicides puisqu’on n’a plus le labour pour tuer les mauvaises herbes. Avec le changement technique, à la fois les coups de mise en culture sont beaucoup plus élevés, puisque le matériel de semis direct est beaucoup plus cher, et ça permet une plus grande rentabilité, donc on a besoin de moins de monde pour produire. Donc, on a un changement dans le sens où on a une diminution du nombre d’agriculteurs assez importante. Dans la Pampa argentine où je travaille, on perd à peu près un tiers des producteurs, et encore, on n’arrive plus à calculer parce qu’un des changements c’est que justement on ne sait plus quels sont les agriculteurs. C’est-à-dire que l’on a un changement d’acteurs au point où le propriétaire d’une terre n’est pas celui qui la met en culture, n’est pas celui qui fait les traitements, n’est pas celui qui récolte, n’est pas celui qui prend les décisions, et n’est pas non plus celui qui forcément va récupérer les bénéfices. C’est-à-dire que tous ces rôles qui dans la deuxième révolution agricole sont tenus par un homme, voire deux, le producteur, dans la troisième on ne sait plus qui sont les producteurs, on a tout un tas d’acteurs qui interviennent. Et ensuite on a… Oui, c’est les trois caractéristiques : semences, techniques et population.

Sylvain Kahn : Une agriculture, j’ai envie de dire, sans hommes, c’est un peu schématique, un peu exagéré, mais pas tant que ça. Philippe Joudrier, vous qui êtes biologiste et qui avez très longtemps travaillé à l’Institut national pour la recherche agronomique, est-ce que vous diriez, pour réagir à ce que vient d’indiquer Xavier Arnauld de Sartre que parmi ces nouveaux acteurs, voire parmi ces décideurs, qui ne sont plus, si j’ai bien compris, les agriculteurs eux-mêmes, il y aurait à la fois les scientifiques et les grands instituts de recherche, comme l’INRA par exemple qui joue donc un rôle déterminant pour le premier caractère de cette troisième révolution agricole, et aussi les grandes firmes de type pharmaceutique, on pense bien entendu à Monsanto, qui est celle qui revient le plus souvent sur le devant de l’actualité, est-ce que ce déplacement d’acteurs, pour votre part et avec le point de vue qui est le vôtre, vous le retrouvez dans ce sens-là ?

Philippe Joudrier : Oui, en quelque sorte. Je suis assez d’accord avec l’analyse de Xavier Arnauld de Sartre. Il y a eu une complexification de ce que l’on a appelé les itinéraires techniques. Je pense que le progrès génétique ne représente qu’une part de l’augmentation des rendements, etc., on peut partager en deux, je dirais ; il y a 50% des rendements qui proviennent des itinéraires techniques : à quel moment, par exemple, faut-il mettre un engrais ? À quel moment il faut absolument apporter de l’eau ? À quel moment il faut traiter ? Etc. L’autre moitié correspond à l’amélioration variétale, donc une amélioration génétique, qui a permis de mieux comprendre comment les plantes se nourrissaient, la physiologie de la nutrition de la plante, leur biologie florale, le remplissage du grain, par exemple pour le blé, les céréales d’une manière générale. Pour le blé par exemple, c’est assez spectaculaire, depuis a fin de la Deuxième Guerre mondiale, 1946, date de la création de l’INRA d’ailleurs également, on a gagné, pour le blé, un quintal par hectare et par an. On est parti en 1945-46 de vingt quintaux en moyenne pour atteindre maintenant quatre-vingt quintaux en moyenne pour la production de blé en France, ce qui est tout à fait considérable.

Sylvain Kahn : On a d’ailleurs un peu l’impression qu’on a atteint un plateau maintenant, non ?

Philippe Joudrier : Oui, effectivement, il semblerait qu’on ait atteint un plateau, je dirais même que vous me tendez la perche pour dire que peut-être c’est d’autres techniques que la sélection conventionnelle qui permettront de franchir ce plateau et de continuer à espérer des gains de production avec des pates génétiquement modifiées dont on aura pu par exemple introduire des gènes leur permettant de mieux valoriser l’azote dans un premier temps et pourquoi pas, on peut essayer de rêver, de fixer l’azote comme le font certaines légumineuses. Cela sera un problème d’une autre envergure mais ça devient maintenant à la portée des agronomes et les sélectionneurs pour les dizaines d’années à venir.

Sylvain Kahn : Alors, précisément sur ce sujet, qui je crois est sans doute un des points qui est à l’origine de la création de plantes génétiquement modifiées par le génie génétique, il y a vraiment cette idée d’un progrès agricole, comment, Xavier Arnauld de Sartre, analysez-vous le bilan que l’on peut faire près de vingt ans après l’introduction des OGM de cet objectif de progrès ? Il y a bien sûr le rendement mais il y a aussi l’ensemble des systèmes agricoles, est-ce que d’une certaine manière, le géographe que vous êtes, vous estimez que l’on peut être plutôt déçu ou au contraire vous considérez que l’introduction des OGM, je ne parle pas bien entendu, en tout cas à ce stade, des éventuelles risques, soit sanitaires soit alimentaires qui pourraient exister, sur lesquels on a pas encore d’études définitives on va le dire, est-ce que vous pensez qu’on peut faire un bilan par rapport à cette perspective de progrès ?

Xavier Arnauld de Sartre : La question du progrès est intéressante dans le sens où il faut la prendre en termes de discours et après en termes d’impacts de ce qui se passe sur les territoires. En termes de discours, on observe vraiment avec les OGM une rupture dans la croyance dans le progrès, on n’a plus d’adhésion des populations, y compris des agriculteurs, à l’innovation OGM comme on a pu avoir une adhésion à la seconde révolution agricole par rapport au progrès, l’idée de progrès est cassée chez les agriculteurs et dans la population bien évidemment, les OGM sont extrêmement contestés.

Sylvain Kahn : En Europe, mais est-ce qu’ils le sont autant dans les pays dont vous parliez tout à l’heure, à savoir essentiellement : États-Unis, Brésil, Argentine, voire Paraguay et Uruguay ?

Xavier Arnauld de Sartre : Je ne connais pas les États-Unis mais j’imagine qu’eux ils sont capables de fournir de fortes contestations aussi. En Argentine et au Brésil, oui on a bien évidement de l’OGM. Très intéressante la différence entre l’Argentine et le Brésil par rapport à la contestation des OGM, mais on ne va pas y entrer c’est peut-être un autre sujet. On observe bien une non adhésion finalement à l’idée de progrès qu’apporterait les OGM. Alors, ça, c’est au niveau des discours. En termes concrets, si on regarde en termes de rendement oui, on a progressé, on a quasiment doublé les rendements. Philippe Joudrier montrait bien que ce radoubage n’était pas dû uniquement aux OGM, en fait les OGM permettent sans doute de lever un certains nombre de blocages, ce qui permet des augmentations de rendement, mais on a bien un progrès en terme de rendement. Ensuite, en termes sociaux évidemment la question est tout autre, on a des impacts sociaux très importants avec des disparitions de populations très importantes, avec la création de nouvelles catégories de pauvres, comme dans toutes révolutions agricoles en fait où on a un type de population qui remplacé un autre et qu’il va progressivement appauvrir. Donc, à ce niveau-là, il n’y a pas de progrès social mais bon le progrès social peu se passer par ailleurs, on a vu dans les précédentes révolutions agricoles les populations sorties de l’agriculture être réabsorbées dans d’autres secteurs.

Sylvain Kahn : Ce que l’on a appelé l’exode rural.

Xavier Arnauld de Sartre : Voilà, et être réabsorbée dans l’industrie, tout ça est possible. Là où l’on s’interroge aussi sur le progrès c’est que ces OGM rendent, je vous l’ai dit tout à l’heure, l’artificialisation des milieux de l’agriculture plus patente qu’auparavant, e seconde révolution agricole. Et ce qui est intéressant, c’est qu’on a une innovation qui est assez fragile, on voit les variations de rendement à l’échelle de la campagne qui sont très importantes et qui sont très difficilement absorbables par des agriculteurs, en tout cas par des agriculteurs petits ou moyens. Il faut avoir de grosses épaules pour absorber des variations de rendement qui sont sans doute liées, mais là il faut qu’on avance en recherche, aux variations climatiques. On commence à avoir des avances qui sont des Ferraris, extrêmement rapides mais par contre extrêmement fragiles quand elles sont en dehors des pistes bien asphaltées. Et là on observe des variations très fortes, on peut s’interroger sur le progrès par rapport au changement climatiques à venir.

Sylvain Kahn : Philippe Joudrier, sur ce dernier point, vous avez peut-être un commentaire, un éclairage ?

Philippe Joudrier : Oui, en fait quand je parlais de l’augmentation des rendements il s’agissait uniquement de variétés conventionnelles. Je vous ai donné l’exemple du blé, il n’y a toujours pas de blé transgénique cultivé dans le monde on peut dire, il y en a toujours pas, les donc les progrès génétiques sont dû uniquement à l’amélioration de type conventionnel. Il semble que l’on arrive à un plateau maintenant mais on est grâce au génie génétique sans doute capable à très court terme de faire des plantes qui se développeront avec beaucoup moins d’eau, en tout cas en valorisant mieux l’eau qu’on leur fournit, qui pourront pousser sur des sols salés, ça représente quand même des problématiques importantes notamment par exemple en Australie, et surtout des plantes qui sont résistantes à leurs ravageurs naturels, les insectes en premier, c’est la première application, mais aux virus, aux bactéries et aux champignons, ce qui est tout à fait considérables. On a d’ailleurs indirectement des progrès qui ont été faits de manière significative sur des teneurs moindres en mycotoxines des maïs génétiquement modifiés, résistants à des insectes. Monsieur de Sartre précisait au début l’existence de « Dust Bowl » qui se produisait assez régulièrement aux États-Unis…

Sylvain Kahn : En particulier dans les années 30, oui.

Philippe Joudrier : Voilà, le dernier d’importance je crois date des années cinquante, aux États-Unis, on a eu cette année un « Dust Bowl » absolument phénoménal aux États-Unis qui risque de se traduire malheureusement par des quantités de mycotoxines présentes, des toxines produites par des champignons qui viennent contaminer les cultures, à tel point, comme nous importons beaucoup d’aliments pour bétails, que cela soit des tourteaux de soja ou le « corn gluten feed », on risque de les retrouver avec des teneurs en mycotoxines qui vont être très voisines des seuils autorisés. L’utilisation de PGM justement permet de réduire ces teneurs en mycotoxines et d’améliorer la qualité sanitaire de la matière première agricole.

Sylvain Kahn : Philippe Joudrier, on entend bien en quoi les plantes génétiquement modifiées du génie génétique sont ou pourraient être un facteur de progrès, de grand progrès, mais comment le biologiste que vous êtes explique, ou réagit, à cette réticence, à cette absence d’adhésion qu’évoquait tout à l’heure Xavier Arnauld de Sartre, s’agissant des agriculteurs et des sociétés agricoles ?

Philippe Joudrier : On assiste effectivement, depuis quelques années, et je dirais même depuis que des produits issus d’OGM sont arrivés en Europe, fin 96 très exactement, globalement dans l’opinion, voire même parmi les scientifiques, à une rupture dans la croyance au progrès, à l’innovation, cela va même plus loin, il y en a qui ne croient plus à la science. Tout le monde peut le constater, c’est quand même assez patent depuis plusieurs années, qu’il y a un déni total de l’expertise, que l’on peut constater à propos des OGM, tous les experts sont a priori vendus au lobby des grands semenciers, vous avez cité Monsanto, d’accord c’est le principal mais il n’y a pas que lui…

Sylvain Kahn : Il y en a combien d’autres ?

Philippe Joudrier : Syngenta, DuPont, Bayer, etc.

Sylvain Kahn : Juste sur ce point, Philippe Joudrier, on peut supposer, faire l’hypothèse que cette situation que l’on peut appeler oligopolistique ne favorise pas l’abaissement de la méfiance que vous appelez de vos vœux, surtout qu’on sait bien par ailleurs, je ne sais pas si c’est le cas de toutes ces firmes, en tout cas pour ce qui concerne Monsanto, cette situation oligopolistique la conduit a avoir des pratiques qui ne sont pas toujours très aimables. C’est sûrement un problème cette situation un peu oligopolistique. Xavier Arnauld de Sartre, vous vouliez réagir sur ce point.

Xavier Arnauld de Sartre : Je pense qu’il faut prendre un peu de hauteur par rapport à ça. I se trouve que c’est très bien montré par les historiens de l’innovation, le système de production de l’innovation a profondément changé dans les années soixante-dix où l’on est passé de l’innovation qui était en grande partie piloté par l’État, et dont l’INRA en matière agricole est une des incarnations, à une innovation qui s’est retrouvé développée en partenariat, on pourrait dire avant l’heure, public-privé, c’est-à-dire une association entre des chercheurs et des grands groupes, comme Monsanto en agriculture. La réticence peut-être à l’égard de la science vient peut-être de là, vient peut-être du fait que le rôle de la science comme servie public mis là pour développer des innovations a changé dans les années soixante-dix et les conséquences sont celles que l’on retrouve sur les OGM. Ce n’est pas tellement l’innovation en elle-même qui est problématique mais plutôt le fait que l’on laisse l’innovation entre les mains de quelques groupes depuis les années soixante-dix.

Sylvain Kahn : Philippe Joudrier, en deux, l’émission se termine.

Philippe Joudrier : Il y a quand même quelque chose de très important à préciser, c’est qu’à la fin des années soixante-dix deux ouvrages sont parus : l’un qui s’appelait « la guerre des semences » et l’autre, le nom ne revient pas immédiatement, les conclusions étaient les mêmes dans ces deux ouvrages, le marché des graines et semences était détenu par dix ou douze familles dans le monde, ça n’a pas changé à l’heure actuelle, c’est toujours le cas, évidement les capitaux ont changé de mains, c’est bien évident.

Sylvain Kahn : Si cela n’a pas changé depuis l’époque que vous décrivez, on peut néanmoins appeler que cela puisse changer à l’avenir.

Xavier Arnauld de Sartre : Tout à fait !

Sylvain Kahn : L’émission touche à sa fin, je vous remercie beaucoup pour vos précieux éclairages. Sur d’autres points tout à fait importants, à savoir les éventuels risques sur la santé, les éventuels risques sur l’environnement, les études à long termes,...

Philippe Joudrier : Dont aucun ne sont démontrés à l’heure actuelle…

Sylvain Kahn : Dont aucun ne sont démontrés à l’heure actuelle bien entendu mais ils font débat, et de façon contradictoire Michel Alberganti dans son émissions « Science publique » sur cette antenne, à 14h, vendredi prochain, lui y reviendra de façon abondante.

Merci beaucoup à tous les deux : Xavier Arnauld de Sartre et Philippe Joudrier. Je rappelle que vous avez l’un et l’autre contribué à ce livre sur « Les Révolutions agricoles en perspectives ».

J’invite tous les auditeurs à podcaster cette émission, à la partager et à en débattre autant qu’il en plaira sur les pages Facebook et franceculture.fr



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