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« L’olivier ! Naturellement ce n’est pas original, mais on a les arbres que l’on peut et celui-là a toutes les vertus. D’autres essences ont le prestige. La littérature les a chantées sur tous les tons. Elle a dit la beauté rectiligne des cèdres, ceux du Liban, dont elle a même entendu les chœurs, mais les nôtres ne sont pas moins altiers ni moins harmonieux ; je les trouve même plus humains …
L’arbre de mon climat à moi, c’est l’olivier ; il est fraternel et à notre exacte image. Il ne fuse pas d’un élan vers le ciel comme vos arbres gavés d’eau. Il est noueux, rugueux, il est rude, il oppose une écorce fissurée mais dense aux caprices d’un ciel qui passe en quelques jours de gelées d’un hiver furieux aux canicules sans tendresses. À ce prix, il a traversé des siècles. Certains vieux troncs, comme les pierres du chemin, comme les galets de la rivière dont ils ont la dureté sont immémoriaux et impavides aux épisodes de l’histoire ; ils ont vu naître, vivre, et mourir nos pères et les pères de nos pères. À certains on donne des noms comme à des amis familiers ou à la femme aimée (tous les arbres chez nous sont au féminin) parce qu’ils sont tissés à nos jours, à nos joies, comme la trame des burnous qui couvrent nos corps … »
Mouloud MAMMERI (1917-1989)
L’olivier ?
Que l’on parle de nature, de culture, de société, de religion, l’olivier s’invite dans l’imaginaire et la vie des humains. La richesse symbolique qui l’entoure en a fait l’arbre emblématique de la relation transcendante unissant les sociétés humaines au divin (polythéisme et monothéisme). Il est considéré comme l’arbre des valeurs anthropomorphiques : la sagesse ; la vie quasi éternelle [1], du fait de sa capacité à se régénérer à partir de sa souche, l’olivier peut reverdir tant qu’il n’est pas déraciné ; la fertilité ; la fécondité ; la fidélité [2] ; la puissance ; la force [3] ; la prospérité ; l’espérance [4] ; la renaissance ; la victoire ; la récompense ; la réconciliation [5] ; la lumière [6] ; l’amour [7] ; la paix [8], la liste n’est pas exhaustive …
L’olivier tel que nous le voyons aujourd’hui résulte de sa culture par l’homme, qui l’a sélectionné et greffé, depuis plusieurs millénaires, principalement dans les régions méditerranéennes. Depuis plusieurs années, on le trouve également sous les tropiques et on le voit pousser dans nos jardins à diverses latitudes. Si les coteaux exposés au soleil, les terrains pierreux sont les lieux qui lui conviennent le mieux, il peut survivre dans des environnements où domine la sécheresse. Seul l’extrême froid, lui fait obstacle ...
L’olivier serait originaire d’Asie Mineure [9], avant la révolution néolithique. Il préexistait à l’agriculture et se serait développé de façon sauvage. Les archéologues pensent qu’il a été domestiqué plusieurs fois, de façon indépendante, dans diverses régions [10], et sans doute depuis longtemps [11]. Le temps passant, l’olivier atteint les Amériques, l’Afrique du sud, l’Australie et le Japon, où il symbolise l’amabilité, la victoire morale, la réussite et le succès dans les entreprises civiles ou guerrières …
L’olivier de Voúves [12] en Crète (village d’Áno Voúves de la municipalité de Kolymvári dans la région de La Canée) est considéré comme l’un des plus vieux oliviers du monde, il produit encore aujourd’hui des olives, comme les oliviers du jardin de Gethsémani [13], qui dateraient de plus de deux mille ans, si cela est vrai, ils seraient « témoins » de la transfiguration du Christ.
Réputé pour son bois compact, dur, lourd et veiné, susceptible d’un beau poli, il est utilisé pour façonner divers ouvrages d’ébénisterie, des statues du culte … Sa racine est marbrée et son tronc est trapu, noueux et à l’écorce rugueuse et crevassée. Il se divise en grosses branches tortueuses, puis en rameaux fins porteurs de feuilles persistantes, opposées deux à deux, d’un vert glauque et brillant à la face supérieure, blanches et argentées en dessous. Ses fleurs portent deux étamines, élément caractéristique de la famille des oléacées.
L’olivier « apprécie » le soleil, se plaît dans un sol profond, caillouteux, bien drainé. Bien que rustique, il supporte bien la sécheresse, nécessite rarement une irrigation, pourvu qu’il soit un peu abrité du vent. Outre son bois, l’humain a tiré un maximum de profits des caractéristiques naturelles de l’olivier et de ses fruits – les olives seraient une source de vitamines E et d’acides gras mono-insaturés, qui favoriseraient un équilibre alimentaire - consommés sous diverses formes, et dont on extrait une huile, utilisée pour la cuisine (assaisonnement et cuisson des aliments), mais aussi pour les soins du corps, les rites religieux et funéraires [14], l’éclairage, etc. Les feuilles d’olivier, riches en polyphénols, des composés aux propriétés anti-oxydantes et anti-inflammatoires, sont également utilisées pour les soins.
L’olivier fleuri au printemps, puis ses petites fleurs blanches laissent la place aux olives, qui mûrissent en automne. Les variétés d’olives diffèrent par la forme, la grosseur et la qualité. Le fruit de l’olivier est charnu, ovale, ayant au centre un noyau dur et ligneux, qui renferme une amande, sa chair est ferme et verte avant la maturité. Les olives noires et les olives vertes ne sont pas deux variétés différentes, l’olive noire est seulement arrivée à maturité alors que l’olive verte est cueillie avant son changement de couleur (véraison). Pendant la phase de maturation, dite véraison, l’olive se colore de nombreuses nuances : du vert, au rosée, au violacé, au brun, jusqu’au noir. Les olives atteignent leur maturité lorsque la peau du fruit est noire, et qu’on ouvrant l’olive l’intérieur est coloré de noir jusqu’au noyau, c’est le bon moment pour la récolté, généralement après le mois de novembre.
La récolte des olives tient une place importante dans l’activité humaine, avant leur maturité, il faut préparer le sol pour faciliter la cueillette : l’herbe est sarclée, le sol est débarrassé des pierres qui pourraient blesser le fruit. Les pierres dégagées servent souvent à construire des rebords qui éviteront aux fruits tombés de glisser sur les pentes du terrain. La récolte commence par le ramassage des premiers fruits tombés naturellement à terre, suivie de la cueillette des fruits restés sur l’arbre. Les olives vertes sont cueillies en fin septembre-octobre alors que les mois de novembre et de décembre voient la récolte des olives noires.
Une fois le fruit récolté, il faut fabriquer l’huile. Meules et pressoirs permettent la production de l’huile, malgré le développement des moulins industriels, cette activité est souvent artisanale, soutenue, entre autres, par l’intérêt porté aux « produits sains, authentiques » ... L’huile d’olive a un goût fort, plus prononcé que les autres huiles. L’huile de première pression, ou huile vierge, est en principe réservée à l’alimentation, obtenue en pressant modérément et à froid les olives dans des sacs de toile. Les olives mûres – noires - donnent une huile plus douce, plus abondante, qui se conserve moins longtemps, celle produite à partir d’olives vertes est plus fruitée, plus typée se conserve plus longtemps. L’huile de deuxième pression résultait d’une pression plus accentuée des olives broyées au cours de la première pression, elle servait à fabriquer des onguents. Enfin, l’huile de troisième pression était réservée aux lampes à huile ...
Au-delà de l’agriculture et de l’économie, l’olivier est devenu le symbole de la culture méditerranéenne et de son influence dans le monde. Il est souvent utilisé comme motif dans les œuvres d’art ou les objets décoratifs pour évoquer un message de paix, de fraternité et d’amitié entre les peuples. Avant que l’on connut la colombe biblique apportant la branche d’olivier à Noé, les branches d’olivier symbolisaient déjà la paix. Eiréné (Irène), fille de Zeus et Thémis, qui incarnait la Paix, était représentée avec une couronne d’olivier sur la tête et une branche d’olivier à la main. Dans l’Égypte antique, la déesse Isis était considérée comme la gardienne de la culture de l’olivier dont elle enseignait les bien faits et les vertus de son huile. L’olivier apparaît sur les peintures égyptiennes, par exemple la couronne de justice sur la tête de Toutânkhamon faites de feuilles d’olivier. Les divinités étaient sculptées dans le bois d’olivier … La valeur symbolique attribuée à cet arbre était telle que Ramsès 3 offrit au dieu Râ une plantation d’oliviers afin d’y extraire l’huile la plus pure, symboles de vie et d’éternité, en guise de reconnaissance ; puisse toujours dit Ramsès « garder vivantes les lampes de ton sanctuaire ».
L’olivier tient un rôle important dans les arts et les lettres, comme en témoignent les récits de l’Iliade et l’Odyssée. La massue d’Hercule est en bois d’olivier et c’est dans un lit d’olivier qu’Homère fait dormir Pénélope et Ulysse, qui, entre autres exploits, triomphe du Cyclope un pieu taillé dans le bois d’olivier. On peut évoquer l’olivier historique (un des douze oliviers qui étaient, selon la légende, des clones de l’olivier sacré que la déesse Athéna aurait offert à la ville pour qu’elle en devienne la patronne [15]), situé sur le site de l’ancienne Académie de l’Athènes antique, à proximité de l’université d’agriculture d’Athènes, sur la voie sacrée, à l’ombre duquel, selon la légende, le philosophe grec Platon enseignait à ses étudiants au Ve siècle avant J.-C. Le vieil arbre est resté debout jusqu’en 1975, quand un bus l’a percuté et brisé. Le tronc a alors été déplacé à l’université d’agriculture d’Athènes. Cependant, à l’endroit où l’olivier a grandi, la souche a commencé à faire de nouvelles pousses, en 2013, des habitants du quartier ont coupé ses racines qui avaient repoussé pour en faire du bois de chauffage, et il semble que depuis, l’olivier millénaire de Platon est parti en fumée …
Pythagore chantait, au son de la harpe, les vers d’Homère, comparant Euphorbe tombé sous les coups de Ménélas à un superbe olivier [16] Dans la tragédie d’Euripide, Créüse fait reconnaître son fils Ion, par les objets trouvés dans son panier, un collier, des voiles brodés et une branche verte d’olivier détachée du premier tronc d’olivier qui poussait sur le rocher d’Athéna. Le sage Épiménide, en compensation des services rendus par ses conseils et par ses remèdes à la ville d’Athènes pendant la peste, ne demanda et n’emporta avec lui qu’une branche d’olivier.