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Tout arrive ! / La culture est-elle encore un enjeu politique ?

Transcription, par Taos Aït Si Slimane, de la première partie de l’émission d’Arnaud Laporte, « Tout arrive ! », « La culture est-elle encore un enjeu politique ? », du vendredi 01 décembre 2006, réalisée, par Laurence Millet, Luc-Jean Reynaud, en direct et en public à la Cinémathèque Français.

L’oralité est respectée dans les transcriptions disponibles sur ce blog. Ces textes sont souvent mis en ligne sans aucune relecture (soyez donc vigilants), un point d’interrogation entre parenthèses signale un doute sur l’orthographe d’un nom, d’un mot ou un groupe de mots… Un grand merci à tous les lecteurs qui voudront bien me signaler la moindre faute repérée.

Texte initialement publié sur mon blog Tinhinane, le mercredi 15 août 2007 à 18 h 55.

Arnaud Laporte : Nous sommes aujourd’hui en direct, de la cinémathèque française, pour une émission spéciale organisée dans le cadre du colloque proposé par France culture et Arte en partenariat avec Le monde. Cette journée à été ouverte par le PDG de Radio France, Jean-Paul Cluzel, par le ministre de la culture et de la communication, Renaud Donnedieu de Vabres, et par mon grand chef, David Kessler, directeur de France culture, Jérôme Clément, président d’Arte en assurera la conclusion, cette après-midi.

De Daniel Barenbaum à Bernard Stigler, d’Antonio Tabucchi à d’autres personnalités du monde culturel, nombreuses sont, ces personnalités, à avoir souhaité porter sur la place publique la question titre de ce colloque, « La culture est-elle encore un enjeu politique ? », colloque à retrouver dans son intégralité, dès lundi, sur les sites Internet respectifs de France culture et Arte.

Avec nos invités, dans cette première partie de l’émission, nous allons aborder quelques-unes des questions soulevées par les débats de cette journée.

David Kessler, Jérôme Clément, cette question qui sert de titre à ce colloque, « La culture est-elle encore un enjeu politique ? », vous y apportez une réponse dans les premières lignes du texte introductif que vous avez rédigé pour le programme de ce colloque. C’est bien l’absence quasi complète –on note bien le mot, quasi- des questions culturelles au sein du débat politique qui vous a poussée à organiser cette journée. La première question est dès lors de comprendre les raisons de cette absence, ou plutôt de cette disparition. Ce colloque, Jérôme Clément, c’est une façon de mener l’enquête ?

Jérôme Clément : C’est une façon de donner la parole à un certain nombre d’acteurs, d’observateurs de la vie culturelle, d’artistes et de personnalités engagées dans ce secteur pour essayer de comprendre, de faire le point sur ce qui se passe aujourd’hui dans le domaine de la culture. On voit bien qu’il y a soit un essoufflement de politiques culturelles, soit une interrogation sur leur rôle, soit parfois un divorce entre les uns et les autres, et qu’au moment même où on va avoir une campagne présidentielle en France, et une campagne législative, on a besoin absolument d’interpeller, c’est un peu notre but, les responsables politiques pour leur dire : ce secteur là, il ne faut pas l’oublier, il est essentiel à la vie du pays. C’est un secteur d’activité, et le sondage du Monde, qu’on a rendu public ce soir, qu’on a fait avec Arte et Radio France le montre. C’est une préoccupation importante dans notre vie. Alors, où en est-on ? Que peut-on faire ? Voila les questions.

Arnaud Laporte : Pour mieux comprendre, effectivement, vous le disiez Jérôme Clément, Radio France et Arte ont commandé un sondage. Les grandes lignes ont été dévoilées dans l’édition du Monde, daté du 1er décembre. Davide Kessler, comment d’une part ce sondage a été conçu ? Parce qu’évidemment quand on fait un sondage le plus important ce ne sont pas les réponses mais les questions, et qu’est-ce qui vous a frappé à la lecture des résultats de cette enquête ?

David Kessler : Ce sondage est venu d’un constat, comme vient de le dire Jérôme Clément, qui est de dire que si les politiques parlent peu de culture, c’est probablement parce qu’ils pensent que les questions culturelles n’intéressent pas les Français. Et dans un monde où les questions sociales, les questions économiques sont évidemment au premier plan, la question du chômage, la question du travail, etc., la question culturelle viendrait en quelque sorte comme une annexe, un supplément d’âme, on pourrait en parler quand on aurait parlé de tout. Ce que montre ce sondage, c’est que la question culturelle n’est pas jugée par les Français comme une question négligeable. Alors, certes, elle arrive derrière d’autres questions, comme les questions économiques mais elle n’est pas jugée comme une question négligeable. Et elle est jugée aussi à l’aune d’autres questions qui sont aujourd’hui des questions fondamentales, qui sont les questions d’identité, la lutte contre les inégalités, les questions de finances, des tarifs, des prix. Pour toutes ces questions on voit bien que le lien est fait assez spontanément entre ces sujets. Je crois que c’est l’intérêt de ce sondage que de le montrer. Il faut évidemment le prendre tel qu’il est. Il n’indique pas une mobilisation extrême de la population en faveur des questions culturelles, ce n’est pas ça, mais c’est simplement l’idée qu’au lieu de situer la politique dans une sorte de logique de la demande, on disant : je vais répondre aux questions qui me paraissent celles que demandent les citoyens, on peut aussi provoquer un certain nombre de sujets et susciter l’intérêt.

Arnaud Laporte : Gérard Mortier, vous êtes directeur de l’Opéra de Paris, vos fonctions vous nous obligeront à nous quitter avant la fin de cette première partie, on vous en excuse d’avance, bien sûr. Belge de naissance, ayant travaillé en Allemagne, en Autriche, aujourd’hui en France, vous avez apporté, ce matin, dans nos débats, une vision européenne sur les questions qui nous préoccupent. Quelle place vous semble occuper la culture dans les débats politique de ces pays d’Europe, autres pays d’Europe que vous connaissez bien ? Est-ce qu’il y a une spécificité française sur cette question, sur ces débats ??

Gérard Mortier : C’est très différents entre la France et l’Allemagne, ça a été expliqué. On doit faire attention à ce qu’on veut dire quand on parle de culture. Je pense que ce colloque à un sens parce qu’il pose de bonnes questions qui au minium conduisent à une meilleure définition.

[quelques brefs échanges, avec Arnaud Laporte visiblement agacé, liés à des incidents techniques]

Gérard Mortier : (sur un ton humoristique) Mais ça, on ne va pas la nommer la culture, c’est de la technique. Ce que je voudrais reprendre, déjà ce colloque et ces débats ont un sens quand on définit bien les différents mots. La culture, ça a à voir quand même avec la créativité de l’homme. L’homme confronté à la nature. Une fois qu’on dit quel rôle cela joue dans une société, c’est aussi important que l’économie, sur la politique, sur différents autres domaines. D’abord le débat devrait se faire autour de définitions de ces principes. Je crois que l’art, -nous parlons de l’art maintenant- l’expression artistique était toujours quelque chose d’essentiel pour l’homme. Quand il a saisi, tout primitif, des objets, il les a dessinés, puis il a cherché un mot, il a toujours chanté, il a toujours dansé, ce sont des expressions artistiques. Donc, ce n’est pas du superflu. C’est existentiel. Et je crois qu’on a perdu ce sens existentiel, de l’expression artistique, pour l’homme. Si l’homme s’ennui, s’il devient nihiliste, tel que c’est ( ?) de plus l’art et le monde artistique ont succombé à certaines lois de notre société contemporaine, la loi de la consommation. La loi de la consommation veut dire que l’art est un divertissement et non pas une prise de conscience. Je crois que ce sont ces débats qu’on voudrait écouter parfois. Comment se fait l’art dans ces institutions qui ont parfois vieillies, qui datent souvent du XIXème siècle, et de quelle manière on les subventionne ? Ce sont ces discussions que je voudrais écouter. Comment des artistes qui n’ont peut-être pas encore la possibilité d’être éditer, d’être écouter, d’être exposer, comment ils peuvent participer à cette vie culturelle ? J’espère que ces débats vont apporter quelques clarifications là-dessus.

Arnaud Laporte : Je reviens d’un point sur ma question, est-ce que ce débat se situe à différentes places selon les différents pays que vous connaissez bien ?

Gérard Mortier : Je dirais qu’actuellement si je peux positionner la France en Europe, ce qui me gêne étant donné que la culture française a joué un très grand rôle pour moi, même si je parle le français avec beaucoup trop d’accent et beaucoup trop de fautes, mais quand même l’esprit et la littérature française a joué un très grand rôle. Ce qui me gêne actuellement, c’est que la France était toujours à l’avant-garde. Au début, la France a énormément influencé, par sa pensée et sa littérature, l’Europe et actuellement j’ai l’impression qu’à trop vouloir conserver le patrimoine, au lieu de peut-être réfléchir comment ce patrimoine peut-être fructueux pour des visions sur le futur, la France se ferme et n’ouvre pas assez la porte. Et comme étranger en France je plaide auprès des Français pour qu’ils révisent cela. C’est-à-dire de nouveau ne pas avoir une vision pessimiste mais une vision optimiste. C’est l’apport que je voudrais faire.

Stéphane Grant : Je voulais revenir sur ce point, Gérard Mortier, parce que ce matin, avec la parole libre et dérangeante parfois que l’on vous connaît ici, comme directeur de l’Opéra de Paris mais avec le point de vue que rappelait Arnaud Laporte, ayant dirigé des institutions ailleurs en Europe, en Belgique, le Festival de Salzbourg, en Autriche, vous pointiez justement ce problème de la subvention, en France, et à quelle point elle participe à l’institutionnalisation de la culture, vous le savez bien puisque l’Opéra de Paris est certainement la maison institutionnelle qui mange le plus au budget de la France, je voulais justement revenir sur ce point-là. Vous, quel chantier vous ouvreriez pour peut-être changer justement le point de vue et la politique de la culture, en France, et le fonctionnement aussi de ce rapport au budget ? Et la deuxième petite chose, et pour compléter ce que vous disiez à l’instant avec Arnaud, vous avez été sur la façon dont le débat autour de la culture et des rapports à la politique se font aujourd’hui en France, vous avez parlé de : la restriction –je vous cite- du questionnement culturel en France. On France –je vous cite- on clôt, on n’ouvre plus.

Gérard Mortier : Alors, je dirais tout d’abord qu’en Europe actuellement, la France est quand même le pays qui touche le moins à la subvention. Donc, il y a là, une sorte de contradiction. Quand je compare tout ce qui s’est passé en Allemagne avec la clôture de beaucoup de théâtre, la restriction des budgets, je constate quand même que dans l’esprit des Français, la subvention des grades institutions culturelles reste quelque chose de très important.

Stéphane Grange : C’est ce que donnait le sondage du Monde.

Gérard Mortier : Mais faisons attention peut-être qu’à un moment ça ne va plus être le cas. Alors, je crois qu’une question qu’on doit avoir, c’est que les grandes institutions artistiques, -je parle toujours d’artistique aujourd’hui- sont souvent issues d’une pensée artistique du XIXème siècle. Qui était très intéressante, donc ce n’est pas une critique, mais on a évolué, et disons, les subventions vont beaucoup envers ces grandes institutions et le questionnement doit être dans le futur, est-ce que les institutions correspondent encore aux besoins de notre société d’aujourd’hui et pourrait-on les restructurer ? Je donne un exemple, l’orchestre symphonique, que j’adore personnellement, donc ce n’est pas pour l’abolir, c’est typiquement une invention du XIXème siècle. Et actuellement beaucoup d’expressions musicales, et je crois qu’on pourrait le dire dans la littérature et beaucoup d’autres chose, est-ce qu’on doit continuer à subventionner l’orchestre symphonique, ou on doit aussi subventionner d’autres créativités dans le domaine musicale ?

Arnaud Laporte : Voilà qui me donne l’envie de passer la parole à Marc Fumaroli, on vous excuse Gérard Mortier, je l’ai signalé, vous deviez partir puisqu’Arte et France culture ne sont pas les seuls, et c’est heureux, à s’intéresser à ces questions, il y a eu un très bon numéro de la revue Esprit, il y a déjà quelques temps, on peut se procurer utilement le numéro, actuellement en librairie, n°42, pour lire le dossier : Quelle politique pour la culture, on y trouve notamment une contribution assez musclée de Nathalie Heinich, nous y reviendront peut-être avec elle, une contribution à laquelle répondent, Jack Lang, Maryvonne de Saint-Pulgent, Philippe Urfalino et vous Marc Fumaroli, membre de l’Académie Français, le titre de votre article : Le crépuscule de l’Etat culturel, nous donne un peu la teneur du propos. Qu’est-ce que vous aviez envie de formuler dans cet article ?

Marc Fumaroli : C’est une aube, naturellement. Après le crépuscule, la nuit, mais il y a toujours l’aube au-delà de la nuit.

Arnaud Laporte : De quelle aube s’agit-il alors ?

Marc Fumaroli : Il semble malgré tout qu’il y ait un abus de vocabulaire dans le mot même de culture. On se gargarise de ce mot, on l’emploi évidemment dans un sens qui ne peut pas être réfuté. Qui serait contre la culture ? Seulement, qu’est-ce qu’il y a dans ce mot ? Moi, je crois tout de même qu’aujourd’hui la question dramatique qui se pose à nous, c’est qu’on a deux formes de cultures. Il y a une culture de grande consommation, qui est une industrie de la culture, destinée en somme à remplir les loisirs, ou à répondre à un certain nombre de demandes, ou même à imposer par l’offre un certain nombre de demandes, à un immense public. Puis, il y a ce qu’on appelait autrefois me semble-t-il, enfin tout au moins dans le terme étymologique, la culture, c’est-à-dire le développement personnel, l’invention de soi, le rôle que la littérature, les arts, la musique, la poésie, peut-être même aussi d’ailleurs le voyage, les promenades à la compagne dans ce qu’elles ont également de nourrissant et d’inventif. Tout cela me parait difficile à concilier. Et la question est de savoir s’il faut en quelque sorte que les moyens de l’Etat soient mis à la disposition de ce qui déjà par le mouvement naturel de l’économie se développe tous les jours d’avantage, c’est-à-dire disons, cette communication de masse, je n’appelle plus culture. Et puis comment peut-on inventer, restaurer, ou réinventer ce qui serait peut-être le meilleur mot, pour éviter cette antithèse si facile entre conservation et invention, entre patrimoine et art vivant, réinventer une formule qui ne touchera jamais tout le monde naturellement mais qui de même nourrira eux qui on en vocation. Je pense que cette distinction, quand on ne la fait pas, on fait de la tartufferie. Parce qu’on parle de chose qui n’ont pas de rapports l’un avec l’autre.

Arnaud Laporte : On entend, ici, à la cinémathèque française, c’est un lieu qui vit, on parlait des lieux de vie, ces enfants dans le hall, c’est l’avenir, alors ?

Marc Fumaroli : C’est l’avenir. C’est toujours cette fameuse aube vers laquelle nous nous dirigeons.

Arnaud Laporte : On est heureux d’entendre des enfants dans un lieu de culture. Mais parlons des menaces qui sont évoqués dans le sondage commandé par Radio France et Arte. Première menace contre la culture, la télévision, viennent ensuite l’hégémonie anglo-saxonne, la mondialisation. Mais alors, le rôle particulier, Jérôme Clément est évidemment interrogé, ici, dans cette journée, et peut l’être, alors massification, toucher le plus large public, une nouvelle grille vient d’être annoncée pour le mois de janvier, avec le désir toujours d’ouvrir d’avantage et de pouvoir pour avoir d’avantage de téléspectateurs mais qu’est-ce qu’on leur offre ? Qu’est-ce qu’on leur propose ? Quelle place singulière une chaîne comme Arte peut jouer dans ce paysage ?

Jérôme Clément : Il faut resituer cette question dans un contexte. Le développement des technologies nouvelles apporte une profusion d’images absolument incroyable et surtout dans lequel chacun peut être son propre programmateur d’images et son propre organisateur. L’individualisation est énorme et la conséquence des nouveaux modes de diffusion fait que le rapport à l’image, le rapport aussi à la culture, le rapport à tout ce qu’elles véhiculent, ces images, va beaucoup évoluer. Donc, la question qu’on doit se poser, qu’on se pose d’ailleurs quand on dirige un média comme celui que je dirige, c’est comment fait-on avec tout ça ? On doit à la fois être très ferme sur la ligne éditoriale et sur le contenu. Pour nous, ce qui est important, c’est de donner à chacun, ce que Marc Fumaroli appelait les moyens de son développement personnel, en tout cas apporter du beau, du rêve, de la poésie, de la connaissance aussi, de la compréhension du monde, de l’ouverture aussi, enfin tous ces éléments. Puis, on regarde comment on peut les mettre à la disposition de chacun. Il faut surtout avoir une conscience très, très claire, je crois et de plus en plus non pas tellement du comment mais du pourquoi. C’est-à-dire qu’elle est la ligne éditoriale, qu’est-ce qu’on veut dire ? Puis on voit comment le dire. Mais d’abord qu’est-ce qu’on veut dire ? Je crois que dans cette concurrence effrénée, dans ce monde qui part un peu dans tout les sens, notamment sur ce plan, il faut essayer de garder un certain nombre d’idées claires sur ce qu’on veut die. C’est-à-dire l’essentiel de ce qui peut constituer, je dirais, ce qu’on appelait autrefois l’honnête homme.

Marc Fumaroli : Vous avez parlé d’individualisation, c’est un mot qui est actuellement très employé pour justifier, pour légitimer, pour remplir d’espoir même cette multiplication incroyable de moyens de communication mis à la disposition de tous à des prix qui sont finalement populaires, ou démocratiques, mais finalement programmer son propre monde d’images cela suppose que l’on ait un jugement déjà formé, que l’on ait en quelque sorte des dispositions nécessaires à faire un choix, on peut aussi être noyé dans un monde pareil, s’y perdre, s’y détruire. Il me semble qu’il y a toujours à l’arrière plan, de ce que nous appelons par commodité culture sans trop distinguer quelquefois entre ces différents niveaux, il y a tout de même l’éducation. Et moi, je pense qu’il faut toujours lier, et même vis-à-vis des politiques, puisque nous parlons politique, les questions de culture aux questions d’éducation parce que c’est là que peuvent se former effectivement des esprits capables de se retourner, de se retrouver dans cette espèce d’océan que leur propose le marché et s’y retrouver sans s’y perdre.

Arnaud Laporte : La question de l’éducation artistique on souhaiterait aussi qu’elle soit au cœur de cette campagne électorale qui s’annonce. Je faisais référence au texte que vous avez rédigé en commun, David Kessler et Jérôme Clément, vous aviez parlé, David Kessler entre ce point de jonction entre l’individu qui s’élève et la culture qui s’abaisse, le juste milieu entre l’exigence et l’accessibilité. Je vous avouerais que j’ai assez frappé par cette image que j’ai trouvée assez forte, voire assez dure, cette idée de culture qui s’abaisse. Est-ce que je vous ai mal lu ?

David Kessler : Non, vous avez très bien lu, comme toujours. Je crois que la question que nous avons souhaitée poser dans cet éditorial, Jérôme Clément et moi-même, c’est en réalité la question de la responsabilité des médias, et des médias de masse. Et effectivement puisque lui dirige une télévision et moi une radio, la discussion qu’on peut avoir entre une exigence je dirais, de compréhensibilité -j’espère que l’on me pardonnera ce néologisme-, qui est le fait que tout simplement, il faut que ce qu’on dise ne soit pas compréhensible uniquement par ceux qui profèrent la parole mais par les auditeurs, et en même temps il faut se garder de trahir ce dont on parle. C’est un point d’équilibre qui est toujours délicat. C’est le problème d’un intellectuel qui vient dans une émission. Lorsqu’il a 3 mn pour exprimer une pensée qui est un travail de 5 ans ou de 10 ans, il est forcé de trahir parce qu’on lui dira, vous devez développer une idée, là ou sa pensée est nuancée et inversement il est bon que ces travaux puisse être portées à la connaissance du public. Donc, cette image de l’ascenseur de ce qui monte et ce qui descend exprime l’exigence qui pèse sur les médias, qui est une exigence difficile.

Arnaud Laporte : Pour ces derniers instants, Corinne Rondeau, un regard, une écoute sur ces propos ?

Corinne Rondeau : Pour la matinée, je constatais que l’introduction c’était le nouveau : Les nouveaux champs culturels, les nouveaux territoires, les nouveaux modèles, les nouvelles pratiques, etc. Finalement, dans ce nouveau on retrouve, ce que disais Marc Fumaroli, tout dans le nouveau, comme il y a tout dans la culture. Ce qui me manquait à l’ouverture de ces débats, c’est la question de ceux qui font de la culture, c’est-à-dire ceux qui en profitent, parce qu’on ne sait pas si c’est de l’ordre du profit, ou de l’ordre de l’apprentissage. Ce qui est au cœur de cette question, qui est une question qui est dans le encore, on est à la fin de quelque chose peut-être, où est-ce que le encore, est encore une manière de relancer le projet du politique dans le champ de la culture. C’est-à-dire de se pose la question que le présent, aujourd’hui on ne peut pas le penser. De quelle manière, la question de la culture aujourd’hui c’est une manière de pouvoir laisser un champ à celui qui a, je dirais, une consommation de l’objet, non pas pour une consommation mais pour une émancipation, Je crois que la question qui me manquait, moi, en tout cas, dans ce nouveau, c’est de penser aussi ceux qui sont de l’autre côté de la culture, c’est-à-dire ceux qui nous font vivre aussi.

Marc Fumaroli : Je comprends très bien cette inquiétude, ou en tout cas cette préoccupation. Il faudrait peut-être revenir à la question initiale. Pourquoi les politiques aujourd’hui ne tiennent pas tellement à mettre en avant dans leur programme, ce que nous appelons, trop commodément, à mon avis, et trop facilement de manière compromettante même, la culture, entre guillemets. Il me semble que ce qui est en jeu est que nous avons eu une politique culturelle, depuis 50 ans pratiquement, elle est remise en cause aujourd’hui, regardez le dossier du débat, non pas remise en cause dans ses profondeurs mais remise en cause dans ses modalités. Il y a des questions critiques qui se posent à son sujet. Les politiques n’aiment pas tellement qu’on se pose des questions, et ils n’aiment pas tellement parler de notions qui sont en quelque sorte assorties de nuances, d’interrogations,… et d’autre part il y a un problème d’ordre économique à l’arrière plan de tout ça. Là, les politiques sont particulièrement attentifs. Parce qu’ou bien on continue en France sur la lancée en quelque sorte de l’Etat subventionnant l’ensemble, de ce qu’on appelle traditionnellement la culture, ou bien on va se concentrer sur un certain nombre de points qui paraissent essentiels et puis on va abandonner en quelque sorte le destin de la culture de masse au dialogue entre l’offre et la demande privé. Et là, effectivement on est au seuil d’un choix qui angoisse un peu les Français mais qui surtout laisse les politiques extrêmement inquiets, parce que se prononcer sur cette question c’est peut-être se perdre ou peut-être se sauver, mais la question n’est pas résolue du tout.

Jérôme Clément : Je pense que ce qui se passé dans le domaine de la culture n’est rien d’autre que ce qui se passe dans la société. C’est-à-dire une crise extrêmement importante qu’on commence à mesurer sur trois questions fondamentales : l’individualisme, né en particulier des nouvelles technologies, mais aussi d’une fragmentation extrême de la société ; le rôle de l’Etat par rapport au marché qui est au cœur de la question culturelle mas pas seulement, de beaucoup d’autres questions dans le débat politique général, et la question de la cohésion sociale qui est d’ailleurs un peu liée à celle de l’individualisme mais pas tout à fait parce que là il s’agit des groupes et leur façon de cohabiter entre eux. Et sur toutes ces questions, la culture, ou les activités artistiques, ou leur représentation ils sont extrêmement mal à l’aise, en tout cas ils se rendent compte qu’il y a un problème majeur aussi bien pour ceux qui la font, je parle des artistes, que pour ceux qui la vivent et là, je parle des citoyens.

Arnaud Laporte : Nous continuerons, bien sur à débattre de ces questions avec un autre plateau d’invités, après le journal de la rédaction. Je voudrais simplement préciser que si les politiques ne sont pas présents, dans cette journée, c’est à dessein. Vous avez souhaité que les différentes étapes de cette réflexion sur la vision de la culture par les politiques ne soient pas un comité de soutien plus au moins glamour, ou plus ou moins une caution intellectuelle pour un meeting de fin de campagne, mais qu’on puisse véritablement débattre. Je précise que ce colloque sera en ligne sur les sites de France culture et d’Arte dès lundi [suite annonce diverses]

Remarque : Cette émission est incomplètement transcrite, il manque la deuxième partie que je n’ai malheureusement pas enregistrée et qui n’est plus disponible sur le site de France culture.



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