Fabrique de sens
 
Accueil > Oreille attentive > Transcriptions d’émissions de France Culture > Tout arrive ! / "Livre 2010" avec Benoît Yvert

Tout arrive ! / "Livre 2010" avec Benoît Yvert

Extrait de l’émission, du 26 octobre 2006, Tout arrive !sur France culture : rencontre avec Benoît Yvert qui parle notamment du « Livre 2010 ». Une émission préparée par Geneviève Méric, produite par Arnaud Laporte, réalisée par Laurence Millet. En compagnie de Valérie Marin La Meslée, Daniel Martin et Antoine Guillot, prise de son Claude Courtois. L’extrait ci-dessous a été transcrit par Taos Aït Si Slimane. Comme dans toutes les transcriptions disponibles sur ce blog, l’oralité est respectée au maximum. Il n’y a pas de réécriture afin d’éviter tout risque d’interprétation.

Texte initialement édité sur mon blog "Tinhinane", le dimanche 17 décembre 2006 à 20 h 00.

Arnaud Laporte : […] Rencontre avec un homme important du secteur, le président du CNL (Centre National du livre), directeur du livre et de la lecture au ministère de la culture, Benoît Yvert, pour parler, avec lui, du présent mais surtout de l’avenir de ce secteur.

Quelques mots d’abord sur vous, Benoît Yvert, pour mieux vous présenter : historien de formation puis libraire spécialisé, bien sûr, dans les livres historiques, une librairie nommée -en hommage à Chateaubriand – « Le conservateur », qui a été une bonne adresse qu’on se donnait, qu’on se redonnait entre gens intéressés par ce secteur. Différents politiques d’importances fréquentaient votre libraire, du côté des Invalides : Michel Charas, François Léotard, François Mitterrand, étaient vos clients.

Benoît Yvert : Je ne sais pas comment vous savez tout ça.

Arnaud Laporte : C’est notre métier, vous savez.

Benoît Yvert : Oui, oui, je confirme.

Arnaud Laporte : Ce n’est pas dans votre librairie que vous avez rencontré Dominique de Villepin ?

- BY : Si. Si, absolument.

Arnaud Laporte : C’est sans doute l’enseigne qui a due l’intéressée, Chateaubriand ?

Benoît Yvert : Non, c’est que j’étais le seul libraire d’anciens, à l’époque, spécialisé dans l’histoire des idées politiques et j’avais la particularité d’essayer de lire et de connaître ce que je vendais. Par le bouche à oreille, un jour il est entré. Il voulait savoir si j’avais des livres sur le Premier Empire. C’est comme ça que j’ai connu Dominique de Villepin.

Arnaud Laporte : Et vous en aviez.

Benoît Yvert : Oui, quelques uns.

Arnaud Laporte : Après la librairie il y a eu le passage à l’Institut de France puis vous avez suivi l’actuel premier ministre du quai d’Orsay à Matignon en passant par la place Beauvau en endossant à chaque fois une activité éditoriale dans ces différents ministères : il y a eu le dictionnaire des ministres des affaires étrangères, président des conseils et les premiers ministres (Premiers ministres et présidents du conseil : Histoire et dictionnaire), il y a eu aussi « L’histoire et dictionnaire de la police ». Vous avez une passion pour les dictionnaires, Benoît Yvert ?

Benoît Yvert : Oui, puisque j’en ai rédigé deux. Dans le monde de surinformation dans lequel on se situe c’est souvent très agréable d’essayer de faire une synthèse à partir de la pluralité des informations. C’est ce que j’ai essayé de faire pour les premiers ministres, notamment. Mais j’ai pu constater que j’étais un auteur maudit, ça c’est très peu vendu.

Arnaud Laporte : Mais enfin ça existe !

Benoît Yvert : Ça existe.

Arnaud Laporte : Ce sont de sommes importantes, « L’histoire de la diplomatie française », aussi, qui est devenu un ouvrage de référence et puis le 25 août 2005 vous avez été nommé, c’est le conseil des ministres qui décide ?

Benoît Yvert : C’est ça, absolument.

Arnaud Laporte : Directeur du livre au ministère de la culture, un poste que l’on qualifie parfois d’envié, il faut surtout avoir envie d’avoir affaire à des problèmes presque insolubles pour désirer ce poste ?

Benoît Yvert : Pour compléter mon cursus, j’avais également été conseillé littéraire, pendant une quinzaine d’années, pour Plon et Perrin. Evidemment c’étai très intéressant pour moi, qui avais connu certains maillons de la chaîne du livre, de pouvoir passer de l’autre côté de la barrière et de pouvoir assumer, sous l’autorité du ministre de la culture, une politique du livre. Enfin, écoutez, quand on est passionné par le livre je ne pense même pas que l’on peut refuser. Vous dire que c’est facile tous les jours, c’est une autre affaire.

Arnaud Laporte : Alors, justement, avec mes camarades, ici présents, on va passer quelques uns des problèmes, que vous avez à résoudre, en revue, Benoît Yvert. Avant de nous intéresser à la grande étude du « Livre 2010 », dont on parlera dans un instant, justement commençons par vous peut-être : A votre prise de fonction, août 2005, quel a été le dossier qui vous paraissait le plus intéressant, le plus brulant, le plus urgent à travailler ?

Benoît Yvert : L’immense avantage de prendre ses fonctions en août c’est qu’on peut bénéficier quand même -ayant trois semaines- disons d’une remise à niveau intégrale. Vous devez notamment apprendre un certaine nombre de choses que vous ne connaissez pas. Je pense, par exemple, à la façon de présenter un budget, de travailler un budget. Donc, vous avez des stages,… Prendre ses fonctions avec beaucoup d’humilité, mais...

Arnaud Laporte : Là, on ne vous envie pas du tout, hein !

Benoît Yvert : En fait, ça a un côté intéressant une fois qu’on sait certaines choses,...

Arnaud Laporte : comme toute chose, sans doute,...

Benoît Yvert : Et, d’autre part, j’ai tenu à recevoir toutes les personnes qui travaillaient pour moi. Et, déjà cerner votre périmètre d’actions, les gens avec lesquels vous travaillez,… ça m’a paru le préalable nécessaire.

Arnaud Laporte : Il y a beaucoup de personnes qui travaillent pour vous ?

Benoît Yvert : Il y en a 60 à la direction du livre et 60 au Centre national du livre.

Arnaud Laporte : Oui, c’est pas mal, effectivement. Dossier le plus urgent à ce moment là, août 2005 ?

Benoît Yvert : Très rapidement, celui qui est apparu, c’est la question de la bibliothèque numérique européenne puisque j’appartenais de droit au Comité de pilotage qui était présidé par le ministre et coprésidé, vice-présidé par Jean-Noël Jeanneney. Donc, le numérique que je ne connaissais guère m’est tombé dessus par hasard et j’ai pu découvrir à quel c’était effectivement un enjeu fondamental.

Arnaud Laporte : Ce travail et ce dossier on le suit régulièrement. Jean-Noël Jeanneney, par ailleurs producteur sur cette antenne, est venu plusieurs fois, dans cette émission et dans d’autres, nous donner les avancées de ce chantier, énorme. Alors, on en est où, précisément, aujourd’hui, en octobre 2006, sur ce sujet-là ?

Benoît Yvert : Je peux vous répondre d’un point de vu politique et budgétaire. D’un point de vue politique, à l’issue des travaux du Comité de pilotage, qui ont permis de dégager un livre blanc et de fixer une feuille de route, l’établissement public est en charge de poursuivre maintenant l’avancée, on va dire, avant tout technologique et puis également de trouver un moyen, une réponse à Google. Bien sûr c’est une entente entre l’établissement public et les éditeurs pour régler la question du livre numérique de demain qui est un enjeu fondamental. Et, la réponse budgétaire, une enveloppe, à la demande de l’établissement, de 10 millions d’euros qui vont être affectés pour que la politique soit concrétisée budgétairement.

- Daniel Martin : Comme vous avez prononcé le terme de Google, je crois qu’il est toujours nécessaire de rappeler, effectivement, qu’elle est la différence d’approche dans la numérisation des titres entre Google, cette entreprise effectivement européenne et puis peut-être le travail que fait aussi de son côté la BNF - la BNF étant en plus dans la dimension européenne. Mais peut-être la différence entre Google et l’entreprise européenne ?

Benoît Yvert : Déjà, il y en a un qui respecte le droit d’auteur, la bibliothèque nationale de France qui ne numérise que des titres,...

- Daniel Martin : Je crois que sur un dossier comme ça, qui est grave et important c’est bien de fonctionner par évidence mais je crois qu’il faut aussi prendre le dossier extrêmement sérieusement, vous répondiez comme si vous plaisantiez, ce n’est pas une plaisanterie du tout.

Benoît Yvert : Non, non, mais on peut dire les choses graves avec un sourire.

- Daniel Martin : Ah ! d’accord.

Benoît Yvert : Il est évident que Google faisait peser une menace extrêmement forte à la fois sur le droit d’auteur et sur la médiation de l’éditeur dans ce qu’elle a de plus sacré. Procéder à une forme de numérisation sauvage, sans le moindre respect des auteurs et de ce point de vu là la réponse qui a été donnée par les pouvoirs publics. C’est à la fois une réponse technologique et une réponse politique à deux niveaux : en disant la réponse doit être faite à cette entreprise privée au niveau des pouvoirs publics, donc c’est croire à la puissance de la médiation d’une bibliothèque, on peut y revenir si vous le souhaitez, c’est de dire que la réponse doit être au niveau européen parce que nous avons un patrimoine intellectuel commun à partager et qu’en fin cette réponse doit être faite plutôt que contre l’éditeur en partenariat avec l’éditeur. Actuellement, Jean-Noël Jeanneney qui suit le dossier a du vous en parler, de mener une concertation étroite avec les éditeurs de trouver un moyen dans un avenir que tout le monde souhaite le plus proche possible d’aborder la question de livres sous droits pour inventer ce qui sera une forme de mandat numérique, en tout cas de contrepartie qui devra être négociée.

Arnaud Laporte : On pourrait presque remercier Google d’avoir fait un effet d’annonce puisque c’est quand même resté beaucoup une annonce en décembre 2004 -si mes souvenirs et mon calendrier intérieur fonctionnent encore- prévoyant sous deux ans numériser des millions d’ouvrages avec une technologie qui de fait n’existait pas, n’existe toujours pas, et Google a fait une annonce qui a permis notamment à la France de se mobiliser très vite et Jean-Noël Jeanneney,… mais je pense que l’on reparlera plus précisément de cette question. Antoine Guillot, une question, sur Google peut-être ?

- Antoine Guillot  : Oui et puis sur cette bibliothèque européenne. Est-ce que tous les pays européens sont vraiment sur la même longueur d’onde que la France ? On sait, pour un domaine que je connais plus, dans le cinéma, que maintenant c’est gagné, tous les pays européens sont d’accord sur la défense, l’exception culturelle en terme de cinéma. Est-ce que notamment dans les pays entrants tout le monde est sur cette même longueur d’onde de la nécessité d’une intervention étatique anti Google ?

Benoît Yvert : Qu’ils soient exactement sur la même longueur d’onde, au même niveau et au même moment, je vous mentirais en vous disant que la réponse est oui. Être très optimiste sur l’évidence à très cours terme qui se dégagera j’en suis tout autant, encore une fois il faut savoir ce que l’on veut. Est-ce qu’on a une politique culturelle européenne portée par les États avec la médiation des bibliothèques en partenariat avec les éditeurs ? C’est-à-dire est-ce qu’on se sert du numérique pour prolonger la force d’une culture commune ou est-ce qu’on laisse, on laisse faire, on laisse passer sans réagir ? Chaque gouvernement devra aussi prendre ses responsabilités. Mais le message qui a été envoyé par le gouvernement français, en tout cas, rencontre un écho majoritairement extrêmement favorable. Moi, je ne comprendrai pas que l’histoire n’aille pas dans le bon sens.

Arnaud Laporte : Alors, il a une réponse européenne à ce dossier, c’est vrai qu’on se posait une question, on se la pose encore, d’une réponse francophone qui paraîtrait plus logique, comme ça de prime abord pourquoi pas faire une bibliothèque numérique francophone ? Parce que réunir les États de différentes langues autour d’une bibliothèque c’est un beau projet mais on se dit que la logique, comme ça, un peu pragmatique voudrait que l’espace francophone serait le meilleur espace pour cette bibliothèque numérique.

Benoît Yvert : Je vais vous répondre en homme de l’imprimé. Je ne vois pas pourquoi on n’arriverait pas à faire à l’ère du numérique ce que Stephan Zwig avait fait avec « Harmonia Mundi » qui était la volonté de traduire les plus grands textes européens dans un certain nombre de langues communes pour que nous partagions, entre habitants de l’Europe, une culture commune. Ça a donné lieu à une des plus grandes collections de l’histoire de l’édition. Il vaut mieux être ambitieux que de partir,...

Arnaud Laporte : C’est ambitieux au fond ce que vous voyez, non ? Valérie Marin La Meslée, on peut réunir les mêmes gens autour d’une même langue, sans doute, les énergies sont peut-être plus à fédérer dans ce sens là ?

- Valérie Marin La Meslée  : Oui ça peut être, en effet, une logique intéressante même si la francophonie est une manière de décliner aussi les autres langues et ça peut se faire aussi bien en espagnole qu’en des tas de langues qui rassemblent les lecteurs.

- Antoine Guillot : Sur la francophonie, en dehors du fait que la notion de francophonie est quand même très, très virtuelle, il existe un site extrêmement important - celui de la bibliothèque de Limoges. Vos savez qu’à Limoges il y a énormément de manifestations francophones : les Francofolies, le festival de théâtre etc., etc. mais ça c’est le site effectivement de référence là-dessus.

Arnaud Laporte : On a interrompu Valérie Marin La Meslée mais on rentre dans l’étude : « Livre 2010 ». Etude impulsée par le ministre de la culture, Renaud Donnedieu de Vabres, quels sont les objectifs et la philosophie de ce grand chantier, Benoît Yvert, dont vous avez, évidemment, la responsabilité ?

Benoît Yvert : Il y avait d’abord un point de départ, le numérique. C’est que le numérique va, sur un terme dont les spécialistes discutent, affecter très profondément l’économie du livre. L’autre jour, lors d’une des tables-rondes qu’on organise dans le cadre du « Livre 2010 », on a eu l’occasion de consulter les nouveaux appareils, les nouveaux « Readers », comme on les appelle,...

Arnaud Laporte : Lecteurs, en français.

Benoît Yvert : Voilà, il y a marqué « Reade » dessus, il s’agit effectivement d’un lecteur en français.

Arnaud Laporte : Moi, je traduis.

Benoît Yvert : Qui donne un confort de lecture très supérieur aux appareils précédents. Ce qui veut dire que la technologie fait des progrès et que ce qui s’est passé, même si les réalités sont un peu différentes - parce que le livre est un support et aussi un objet heureusement irremplaçable-, au niveau de la musique, ce qui est entrain de se passer au niveau de la presse va, à moins d’être aveugle et sourd, affecter plus ou moins l’économie du livre.

Arnaud Laporte : Ça se passe avec le cinéma également, l’audiovisuel,...

Benoît Yvert : Voilà. Donc, à partir du moment où il y avait cette réalité qui, à mon avis, amène l’Etat plutôt que de rester d’un côté du fleuve à regarder la réalité passer, il a essayé de se dire : là, il y a un avenir qui se dessine et si on essayait, ensemble - c’est-à-dire la direction du livre concernée avec les autres services d’Etat en concertation avec les professionnels et les gens de terrains- réfléchir aux problématiques communes : bien sûr le numérique, la mise en valeur du patrimoine, la librairie indépendante, la bibliothèque de demain, le maintien de la diversité éditoriale, la place du livre français à l’étranger,… ? Vous me disiez quel dossier j’ai découvert ? Tout ça.

Arnaud Laporte : Oui. Oui.

Benoît Yvert : Alors, plutôt que de fuir ou d’essayer de les traiter un à un et si on essayait, par une méthode originale, avec un plan de route dans l’urgence mais en laissant le temps d’une concertation opérationnelle, essayer de mettre tout ça sur la table et dans un délai d’un an de proposer, déjà au niveau des équipes que je dirige, une réflexion sur la façon dont on gère nos dossiers, des éléments sur lesquels on n’est peut-être pas assez présents, comme l’action territoriale sur laquelle on doit être plus là, peut-être des dossiers qu’on traite et qui nous prennent trop de temps,… enfin, le but du jeu n’est pas de faire un « village Potemkine » on disant que tout va mais d’essayer tout simplement de reconfigurer, nos équipes sont très motivées là-dessus, un service public idéal et qui va être plus réactif par rapport aux innovations technologiques.

Arnaud Laporte : Alors on va s’arrêter sur quelques uns des points dans ce petit temps que nous avons aujourd’hui mais on pourrait faire une sorte de feuilleton avec vous, Benoît Yvert, revenir régulièrement pour pouvoir suivre l’évolution de ce travail prospectif. Daniel martin, librairie indépendante, partant là-dessus si vous le voulez bien.

- Daniel Martin : Je voulais juste revenir sur les questions des technologies,

Arnaud Laporte : Non, les librairies indépendantes, si vous le voulez bien,...

- Daniel Martin : ce qui m’a paru comme préalable, comme quelque chose d’extrêmement important, c’est de différencier la partie technique et la partie outil qui en général sert de blocage a énormément de personnes. Je trouve que lire, sur n’importe quel sorte de support, c’est toujours lire, le fond ne change pas c’est l’accessibilité qui change. Est-ce que c’est votre point de départ ?

Benoît Yvert : Non, moi je suis un homme de l’imprimé, je lis avec beaucoup plus de plaisir l’objet livre que sur l’écran et je confesse que ce n’est pas le cas de tout le monde en particulier les jeunes publics.

- Daniel Martin : Exactement. Parce que ça, ça me semble très important. Alors, la libraire indépendante,

Arnaud Laporte : Antoine Guillot a une question à poser sur la librairie.

- Antoine Guillot : Sans préjuger des conclusions du rapport est-ce que vous êtes sensibles à une des idées qui a été lancée comme ça, et je fais encore un rapprochement avec le cinéma, d’étendre aux librairies indépendantes ce qui se fait se fait pour les salles de cinéma indépendantes, les salles art et essais, leur donner un label qui leur permettrait d’avoir un certain nombre de subventions mais aussi d’avantages fiscaux ?

Benoît Yvert : Non seulement sensible mais le ministre de la culture a déjà écrit à son homologue de l’intérieur et les travaux sont en cours entre les équipes pour porter l’extension de la Loi. Oui, c’est une très bonne piste, nécessaire. La librairie indépendante rencontre un certain nombre de difficultés conjoncturelles là aussi ce serait idiot de se voiler la face. L’extension du prix des loyers en centre ville, développement récent mais massif de la vente par serveurs,… Encore une fois le but du « Livre 2010 » c’est d’abord où en est-on exactement ? Et, surtout, surtout, surtout, sans discours faciles, sans dialogues bidons appréhender une réalité et ensuite trouver des pistes. Alors, il y a des cas où c’est une urgence et la réforme, en tout cas la demande de réforme est déjà en cours.

Arnaud Laporte : Question liée, Daniel Martin, sur la loi unique des livres.

- Daniel Martin : Il y a également le développement des grandes chaînes : Privat , etc., etc., de grands groupements de librairies et de grosses librairies qu’il faut prendre en compte, je pense, dans le développement de la librairie indépendante. Maintenant, pour revenir à la Loi sur le prix unique du livre, est-ce qu’effectivement dans ces évolutions, il est prévu une évolution à cette Loi ? Est-ce qu’il est prévu de prendre en compte tous les différents accès : accès par informatique, électronique, les commandes à distance etc., etc. ?

Benoît Yvert : Ça, c’est tout à fait, aussi, un des exercices des thèmes des tables-rondes. Je vais vous dire comment on fonctionne. Moi, à titre personnel, comme toute personne qui est attachée à l’existence de la librairie indépendante, la Loi Lang qui a été impulsée par Jérôme Lindon, tout le monde sait aujourd’hui qu’elle a permit le maintien et le développement de la diversité culturelle et de la librairie indépendante. Tout le monde est attaché à cette loi. Mais je veux que dans le cadre du « Livre 2010 » s’il y a des personnes qui ne le sont pas puissent avoir à notre table et nous dire pourquoi. Et, moi, ma position,...

- Daniel Martin : Parce qu’à partir du moment où l’on peut commander son livre en ligne, le commerce du livre change de nature.

Benoît Yvert : Totalement.

- Daniel Martin : Donc, en fonction de ça, on sait très bien qu’un certain nombre de détournement - ce qu’ont fait un certain nombre d’opérateurs en voulant s’installer en France il y a quelques années, ce qui n’a pas été possible – sont multiples et permanentes. Est-ce que là, la Loi va effectivement intervenir de manière très ferme ?

Benoît Yvert : Il va falloir effectivement faire l’inventaire des relations ou des libertés prises avec la Loi Lang pour renforcer ses dispositions sans aucun doute. En tout cas, être dans l’esprit de la loi.

Arnaud Laporte : Valérie Marin La Meslée, vous avez lu, attentivement d’ailleurs, la publication qui a été faite à l’occasion de cet anniversaire de cette Loi du prix unique du livre.

- Valérie Marin La Meslée  : Oui, c’est un livre qui est édité par l’IMEC,

Arnaud Laporte : L’Institut Mémoires de l’édition contemporaine.

Valérie Marin La Meslée : Voilà. A partir des archives laissées par Jacques Lang dans cet établissement.

Arnaud Laporte : On suit les courriers entre Jérôme Lindon – Jacques Lang, Jacques Lang-François Mitterrand,…

- Valérie Marin La Meslée  : Et c’est vrai qu’au début on se dit que le titre du livre : « Le prix du livre - 1981-2006 - La loi Lang, contexte, débat, documents », ce n’est pas forcément une lecture affriolante et pourtant c’est tout à fait passionnant parce qu’on a vraiment l’impression de rentrer dans les secrets de l’Etat et puis surtout on est informé sur une loi. On a tendance à l’oublier, j’ai fais juste un test avant de venir, les gens ne savent pas que le prix est unique pour le livre. Où qu’ils se rendent ils auront toujours le même prix. Ils auront l’idée que s’ils vont à la FNAC ou chez Leclerc c’est moins cher. Or, la FNAC et Leclerc, c’est assez intéressant de voir dans quelles mesures ils ont causés quelques problèmes à l’application de cette Loi qui donc non seulement a été votée rapidement et de manière pas évidente du tout mais surtout qui a demandée une gestion d’application pendant des années et des années. Donc, c’est vraiment intéressant,

- Daniel Martin : Alors qu’ils en ont beaucoup bénéficiés, en plus la FNAC et les centres Leclerc parce que finalement ils ont conservé leurs marges.

Arnaud Laporte : Evitons de citer à chaque fois la marque, le CSA veille.

- Daniel Martin : En jouant effectivement sur cette marge légale, des 5%, qui a toujours été promue comme un avantage alors que ce n’est un avantage pour personne en particulier mais pour tout le monde en général.

Arnaud Laporte : Enfin, 5% de remise sur les nouveautés.

- Valérie Marin La Meslée : Est-ce qu’on peut passer à un autre aspect ?

Arnaud Laporte : Je vous en prie.

- Valérie Marin La Meslée : Parce qu’en fait, moi, je voulais vous demander, finalement on parle de cet objet livre qui a tendance à disparaître,

Arnaud Laporte : Vous dîtes non, Benoît Yvert.

- Valérie Marin La Meslée : La réalité veut qu’il soit du moins menacé, que l’on ne sache pas trop dans quelle mesure il va rester,

Benoît Yvert : Je peux vous couper ?

- Valérie Marin La Meslée : Oui, oui, coupez-moi, je vous en prie.

Benoît Yvert : Il y a trois réponses à ça. Il y a ceux qui disent que le livre est mort. Enfin le livre est déjà mort de très nombreuses fois dans l’histoire de France : il est mort quand la radio est apparue, quand la télévision est apparue, quand l’ordinateur est apparu et aujourd’hui il est condamné à mort par un certain nombre de personnes. Beaucoup disent qu’il ne sera pas affecté par cette évolution. Certains prennent les choses avec énormément de pessimisme. Et puis il y a, à mon avis, une forme de juste milieu avec la distinction entre la lecture plaisir et la lecture obligatoire, la lecture littéraire et l’information. Est-ce qu’un Code de droit qui représente effectivement de l’information brute, ou des caractères très techniques ou des frais techniques, le fait de le posséder comme objet n’est sans doute pas déterminant et une partie peut légitimement basculer sur le réseau. Moi, je suis plutôt tenant de cette affectation partielle avec un livre qui sera totalement rendu à la littérature. Et, l’enjeu concerne, à mon avis, à ce stade de la réflexion une part qui se situe entre 30 et 50% du marché plus technique, informative, directionnelle, là ou une partie numérique en partenariat avec les éditeurs doit être inventée parce qu’évidemment le risque, si l’on ne bouge pas, c’est que l’on peut passer dans une zone de turbulence qui serait catastrophique -cf. le disque, d’autres domaines. Si on affecte, par exemple, la moitié ou 30 ou 40% du marché de l’édition, ça ne sera pas les bestsellers qui seront atteints, ça sera les auteurs, le lancement, la capacité d’innovation,… Et on risque d’arriver à l’inverse même de ce que l’on souhaite au nom du partage c’est-à-dire à concentrer d’avantage la production.

- Valérie Marin La Meslée : Alors, évidemment il y a tout un chapitre sur la concentration et je voudrais revenir sur cet objet livre ou du moins sur la pratique de la lecture. Parce que finalement on a l’impression, et je voudrais savoir quel est votre avis là-dessus, que de manifestations culturelles en festivals, en spectacles à « La recherche du temps perdu » en CD… on arrive finalement à tout, toutes sortes de manifestations sauf l’acte de lire. Est-ce que c’est une tendance qui est finalement très propice et qui revient à l’économie du livre c’est-à-dire qu’au font on n’a plus le temps de lire mais qu’en allant voir un spectacle ou des comédiens jouent un livre en revient chez soi et on se dit : tiens, finalement je vais retourner au livre et je vais relire ? Ou alors c’est une espace de course comme ça, une fuite en avant, et après tout qu’il faut accepter, c’est comme ça ?

Benoît Yvert : Mon idée sur les manifestations littéraires c’est qu’est-ce que le public peut avoir en plus de l’acte de lire ? Lire est un acte individuel qui se pratique dans le silence, et c’est une part du temps que l’on se réapproprie, ce qui n’est pas vraiment raccord avec le principe d’une manifestation littéraire. La fête de la musique c’est par essence quelque chose qu’on entend et qui se partage. Qu’est-ce que demande le public. Est-ce que le public souhaite exclusivement la rencontre avec l’auteur dans le cadre d’une dédicace ? La réponse est oui et partielle, on le sait. Quand j’encourage une manifestation littéraire, je me demande en quoi ça peut aider ensuite à vendre un livre, à découvrir un auteur. On constate souvent que la lecture et la médiation de la voix, une sorte d’avant propos est souvent très bénéfique après pour les ventes des livres.

- Valérie Marin La Meslée : Alors, ça, ça exige évidemment des moyens énormes parce qu’il faut peut-être à terme penser à rémunérer aussi bien les acteurs culturels de ces manifestations, c’est souvent des structures assez fragiles, que les auteurs qui sont finalement sollicités, pas toujours pour vendre un livre à la clef et qui par exemple comme en Allemagne, où la notion de lecture est comme ça très installée, est un véritable mode de rémunération pour les auteurs. Est-ce que ça ne vous paraît pas une piste intéressante de professionnaliser un peu tout ça ?

Benoît Yvert : Oui, sans excès.

- Daniel Martin : Je voudrais revenir sur une question qui me paraît extrêmement importante qui est celle de l’objet livre. Il semble que la question de l’objet livre, du livre tel qu’on le manipule tous les jours, est une fausse question. Je trouve que plutôt que de s’entêter sur cette question et de savoir s’il va durer ou pas, on sait globalement qu’il va continuer, quelqu’un me disait il n’y a pas très longtemps, tant que les gens vont lire des livres comme ça il en existera, ça dépend aussi d’une volonté de chacun je crois que ça appartient à chacun. L’important c’est de défendre la permanence de la littérature. Et, quand vous parliez tout de suite de la diversité d’offre au niveau de la littérature je trouve que c’est très important de maintenir une production littéraire de grande qualité dans cette diversité quelques soient les supports sur lesquels se retrouvent cette littérature. L’e-book va bientôt offrir des possibilités absolument extraordinaires, dans le confort de lecture, dans les offres annexes,… et ça, je crois que l’on ne peut pas s’opposer à ça. C’est quelque chose qui va se développer très rapidement.

Arnaud Laporte : Personne ne parle de s’y opposer, personne. Ce n’est pas question d’ailleurs, Daniel.

- Daniel Martin : Il n’empêche que maintenir des idées générales qui sont très importantes, c’est-à-dire de savoir qu’un dictionnaire est un dictionnaire et qu’il y a de la référence et que sur Google même s’il y a un potentiel de dictionnaire on peut trouver tout et n’importe quoi, ça je trouve par exemple que c’est un débat, c’est quelque chose sur lequel on peut se battre. Mais les supports, je crois que c’est le fond qui compte, c’est ce qu’on lit.

Arnaud Laporte : On est tous d’accord, Daniel Martin, c’est le fond qui compte. Le fond et la forme parce que la forme ça a aussi une durée limitée. On parle de lecture, il faudrait parler de lecture publiques et donc de bibliothèques. Une étude a déjà été rendue mais j’imagine que ça fait partie de ce travail « Livre 2010 ». En quelques mots, c’est toujours difficile de synthétiser, Benoît Yvert, le plus important aujourd’hui, on a évoqué le soutien aux librairies indépendantes, essentiel le soutien aux bibliothèques l’est tout autant, alors justement dans la déconcentration, dans la décentralisation, comment faire aujourd’hui ?

Benoît Yvert : En tout cas, regarder, fixer, sans aucun doute, des frontières – ce qui est déjà le cas - entre ce qui est du rôle des régions et du rôle de l’Etat et nous de repenser –tout est sur la table- la façon dont on travaille avec les régions, le partenariat étranger aussi. Par exemple, les affaires étrangères bougent pas mal avec la création de Culture France dans un esprit de partage et de solidarité, de réfléchir entre nous –avec Culture France- à qui fait quoi de façon à éviter les doublons… Le but c’est de repenser aussi le rôle d’une direction centrale à l’heure de la décentralisation.

Arnaud Laporte : C’est facile de mettre tous ces gens autour de la table,...

Benoît Yvert : Très...

Arnaud Laporte : de pouvoir s’entendre et de créer,…

Benoît Yvert : Pas forcément de s’entendre...

Arnaud Laporte : A un moment donné, il va falloir que vous décidiez, enfin vous et le ministre j’imagine...

Benoît Yvert : Il y a un rapport qui sera fait. Moi, je tiens à engager un directeur de programme extérieur qui a aussi travaillé pour l’Etat et qui vient de l’édition. Moi, je crois beaucoup à la double identité, ça s’appelle Sophie Barluet, qui ferra un rapport.

Arnaud Laporte : Qu’on connait bien dans cette maison.

Benoît Yvert : Je me prononcerai librement sur la façon dont elle a accompli son rapport et ensuite le ministre de la culture choisira. Moi, mes prises de position par rapport au rapport seront publiques.

Arnaud Laporte : On a évoqué très, très peu les nombreux dossiers que vous avez à gérer. Vous avez le temps de lire autre chose que des rapports ou des études ?

Benoît Yvert : Oui, oui, je vous rassure.

Arnaud Laporte : Conseil de lecture pour finir ?

Benoît Yvert : J’ai commencé hier soir Les bienveillantes...

[Éclats de rire complices de tous]

Arnaud Laporte : C’est original !

- Valérie Marin La Meslée  : Ce n’est pas très original. Ce qui tue la librairie en cette rentrée,

Arnaud Laporte : Ça, c’est l’avis de Valérie Marin La Meslée.

- Valérie Marin La Meslée : Ah ! Non, c’est ce que j’entends.

Arnaud Laporte : Ça a commencé hier. Les prix littéraires ça commence aujourd’hui et on attend cette après-midi le prix de l’Académie française, ça sera peut-être le premier prix pour Jonathan Littell. […]



Haut de pageMentions légalesContactRédactionSPIP