Frédéric WORMS : À présent, aujourd’hui : « Qu’est ce qui nous rend fous ? », avec Françoise DAVOINE et Philippe JEAMMET.
Qu’est ce qui nous rend fous ? Parmi les craintes issues de la pandémie, des confinements, du moment présent, il y en a une que l’on ose à peine nommer, c’est celle de la folie. La folie individuelle mais aussi collective. Il faut pourtant l’affronter, tout le présent nous y invite, mais peut-être aussi que le présent nous y aide. Peut-être que la crise nous aide à comprendre ce qui nous rend fous. Ce mystérieux « cela » qui nous cherche dans notre intimité la plus personnelle, et qui peut aussi nous révéler les ressources pour y répondre, l’importance en tout cas de l’affronter, qui est la condition pour affronter tout le reste. C’est une réelle émotion d’en parler aujourd’hui, avec deux déchiffreurs des folies humaines : Françoise DAVOINE, psychanalyste, qui a toujours travaillé sur les relations entre la guerre et le trauma, qui vient d’éditer les « Leçons de la folie », de Jean-Max GAUDILLIÈRE. Et, Philippe JEAMMET, qui n’est pas seulement un grand psychiatre pour adolescents, mais dont le livre « Quand nos émotions nous rendent fous » est plus actuel que jamais.
Bonjour Françoise DAVOINE.
Françoise DAVOINE : Bonjour !
Frédéric WORMS : Bonjour Philippe JEAMMET
Philippe JEAMMET : Bonjour !
Frédéric WORMS : Vous nous entendez bien à distance, avec cette technique qui peut aussi nous fragiliser ?
Philippe JEAMMET : Oui, oui, tout à fait. C’est formidable, en même temps on sent en effet notre fragilité.
Frédéric WORMS : On sent notre fragilité mais en même temps on sent que les liens tiennent. Je crois que cela va être un de nos thèmes aujourd’hui. Merci à tous les deux d’être là pour tenter de répondre à cette question : Qu’est ce qui nous rend fous ?, en particulier aujourd’hui. Je vais sans doute vous poser, à chacun de vous de vous deux, une question sur cette actualité. Françoise DAVOINE d’abord. Vous avez toujours travaillé sur ce que vous appelez, avec Jean-Max GAUDILLIÈRE, la charnière entre la grande et la petite histoire. Il y a une section du livre que vous éditez, les séminaires de Jean-Max GAUDILLIÈRE, qui s’intitule : « La folie surgit au croisement de la grande histoire, avec sa grande hache - comme aurait dit PEREC – et la petite histoire ». Alors, est-ce que, pour vous, la pandémie est la grande histoire ? Et est-ce qu’elle peut produire cet effet sur nos petites histoires ?
Françoise DAVOINE : Oui, bien sûr, parce que je crois que ce qui rend fou, c’est le temps qui s’arrête.
Frédéric WORMS : Ah ! c’est au cœur du sujet.
Françoise DAVOINE : Eh oui, « le temps est hors de ses gonds », comme dit Hamlet. Il y a un an, tous les repères du passé se volatilisaient ; quant à l’avenir, on pensait que cela allait mieux après les vacances, et l’avenir est toujours incertain. On ne peut pas projeter des repères du passé dans le futur, …
Frédéric WORMS : Mais, ça, cela peut arriver dans une vie individuelle, mais là c’est un événement mondial, collectif …
Françoise DAVOINE : Tout à fait. Cela peut arriver à des moments que l’on appelle aujourd’hui traumatiques, des commotions qui peuvent être d’un ordre singulier, à une petite échelle, mais aussi dans un ordre politique, historique, comme aujourd’hui. Et ces commotions, ce n’est pas moi qui le dit, c’est Auguste Comte, qui est devenu fou en 1926, il a eu un épisode cérébral, et il a toujours revendiqué dans sa théorie positiviste, en parlant de positivité subjective, provoquée par des événements historiques, des commotions et des épidémies.
Frédéric WORMS : C’est pousser le rationalisme jusqu’à comprendre son propre épisode de folie.
Françoise DAVOINE : Et on peut rejoindre le livre de Philippe JEAMMET, que ce sont, dans ce cas-là, nos émotions qui sont modifiées, et qui modifient nos perceptions, jusqu’à la folie, qui atteste de ces commotions-là.
Frédéric WORMS : Et, à l’occasion d’un événement historique, vous-même, Philippe JEAMMET, comme le disait Françoise DAVOINE, vous parlez des émotions, vous les reliez aussi aux relations. Est-ce que pour vous, cet ensemble peut être indissociable de la pandémie, mais aussi du confinement, de ses effets sur nos vies individuelles, nos relations ? Est-ce qu’elle a aussi quelque chose d’historique ? Est-ce qu’elle risque d’aggraver ce que vous décrivez comme les sources - on va y revenir - l’endroit d’où surgissent nos forces mais aussi nos fragilités, et même cette folie humaine, dont vous parlez dans votre livre ?
Philippe JEAMMET : Oui, comme tout événement qui nous confronte à un sentiment d’impuissance. Pour moi, c’est finalement plus simple qu’il n’y paraît, parce qu’enfin la folie cela paraît comme tout un monde, c’est finalement banal, trivial, c’est une réponse au sentiment d’impuissance, à la peur. Et cette impuissance nourrit la peur. La vie, c’est une co-création permanente et nous, nous avons, en plus, cette capacité réflexive, c’est-à-dire la capacité de se rendre compte. Mais cette capacité reste soumise aux émotions, à ce qui nous fait vivre : est-ce qu’on a peur ou est-ce qu’on est dans la confiance. On est tout le temps entre ces deux éléments. Dès que l’on sent qu’on est menacé, on est programmé biologiquement - comme tout le vivant, depuis le début du vivant - à réagir activement. Et ce qui va nous menacer, c’est à chaque fois ce sentiment d’impuissance. Alors, il va falloir trouver une solution, qui peut être par l’acte, par la pensée, par les croyances, on va voir tout cela se mêler. Finalement, c’est une mise à l’épreuve.
Frédéric WORMS : Oui, mais alors justement, Philippe JEAMMET, on a l’impression que là, elle est double en ce moment. Il y a la mise à l’épreuve par le virus lui-même, c’est une peur au fond biologique, est-ce que d’une certaine façon ça suffirait à nous ébranler ? Sans doute oui, mais est-ce que la double peine, la mesure même de protection contre cette peur-là qui produit une autre peur, par la séparation, le confinement. Est-ce que vous voyez dans ce double tour d’écrou, pour ainsi dire, une fragilisation supplémentaire, dans ce qui se passe en ce moment.
Philippe JEAMMET : Finalement, elle l’est tout le temps, inhérente, parce qu’il y a la mort, il y a la maladie, … Alors, là, c’est à une autre échelle, il y a des phénomènes médiatiques globaux, mais finalement il n’y a rien de très nouveaux. Mais là, cela prend une échelle, en plus des moyens de communication actuels, qui évidemment amplifient considérablement, donc cela prend un côté très spectaculaire. Mais, c’est très trivial finalement à la base, et c’est toujours un effet de biologique qui est autonome quelque part, est-ce qu’on est dans la confiance ? Le vivant est tributaire de l’échange. Est-ce que l’échange se fait, ou ne se fait pas ? Chez l’être humain, cet échange est en plus subordonné à la conscience qu’on en a, et à la mémoire. Il faudrait complexifier, mais cela reste toujours les mêmes fondamentaux, dès que la peur domine, il faut redevenir acteur. Comment on redevient acteur ? On redevient acteur, forcément par échange, avec les autres, mais est-ce que cela se fait dans la confiance ou dans la peur ? Là, cela va dépendre d’une partie de nos gènes et d’une partie de notre histoire, notamment enfant, et on va les revivre à l’occasion de ce qui fait traumatisme, c’est-à-dire cette perte de la confiance, et on est obligé d’agir. Et cela agit, il me semble, comme une sorte de vertige. C’est l’équivalent du vertige au niveau musculaire, vous perdez votre équilibre, il va vous falloir vous appuyer. Au niveau émotionnel, c’est la même chose.
Frédéric WORMS : Mais ce qui est frappant, il y a un paradoxe dans ce que vous dites, Philippe JEAMMET, il y en a plusieurs, on va les déplier un petit peu, c’est aussi l’idée que la folie on se la représente comme une sorte de contrôle, vous, vous y voyez plutôt aussi une réponse à une perte plutôt qu’une perte elle-même …
Philippe JEAMMET : Tout à fait, une conduite adaptative, …
Frédéric WORMS : … donc, une conduite encore, quand même, c’est un paradoxe, je voudrais revenir, …
Philippe JEAMMET : … voilà. C’est pour cela que les gens qui n’ont pas ce trouble ne comprennent pas ce qu’ils font. Mais celui qui a ce trouble, il sait bien que ce trouble c’est quelque chose qui a un sens pour lui. S’il a des peurs, des obsessions, tout cela prend sens pour lui, pour les autres, ils disent que c’est complètement fou. Non, pour lui, c’est un moyen d’avoir moins peur.
Frédéric WORMS : … On va creuser cette explication, qui n’empêche pas la folie d’être dangereuse, de conduire à des menaces. Vous êtes tous les deux médecins aussi, …
Françoise DAVOINE : Non, moi je ne suis pas médecin.
Frédéric WORMS : Non, vous n’êtes pas médecin, vous êtes psychanalyste, Françoise, et Philippe JEAMMET est psychiatre. Évidemment, il y a quand même cette idée que la folie, il faut quand même s’en protéger, malgré tout. C’est une conduite adaptative, on va y revenir dans la conversation avec vous deux, mais même au niveau ordinaire, il y a une peur de la folie justement. Quand on dit : « Je suis en train de devenir fou, qu’est-ce qui m’arrive, ça me rend fou ?! », on approche ça avec un sentiment presque de sacralité, vertige, justement, comme disait Philippe JEAMMET.
Françoise DAVOINE : Bien sûr. Et surtout, on a l’impression d’être tout seul.
Frédéric WORMS : Voilà, vous vous rejoignez là-dessus.
Françoise DAVOINE : Comme on n’a plus confiance dans personne, en même temps, on est à la recherche quelqu’un à qui on pourrait faire confiance, même si tout le monde disparaît. Alors, moi j’ai eu une expérience, un peu étonnante, en reprenant tous mes patients par téléphone, il y a un an, que les personnes qui étaient passées par cet état, que décrit Philippe JEAMMET, l’hôpital, etc., étaient très entraînés à la nouvelle situation, …
Frédéric WORMS : C’est-à-dire, celles qui avaient eu des pathologies lourdes, face à la déstabilisation du confinement, …
Françoise DAVOINE : Celles qui avaient connu la peur, qui avaient connu la solitude, … du coup n’étaient plus stigmatisées. Le fait de ne pas être vraiment en relation, mais aussi de sociabilité habituelle, le fait de voir clair là où les autres dénient, mettent cela de côté pour vivre, et bien tout d’un coup il y a des ressources en elles, qui ont pu être non-stigmatisées, et s’affirmer. Certains se sont mises à écrire, …
Frédéric WORMS : … en tous cas, elles ont une expérience. Ce qui est frappant aujourd’hui, c’est que dans cette pandémie, dans ce confinement, chacune et chacun, même protégé par son apprentissage, par sa petite enfance, comme vous le disiez l’un et l’autre, contre ce risque, prend conscience de ce risque.
Philippe JEAMMET, est-ce qu’on pourrait revenir sur ce moment, aujourd’hui, où, par exemple, quelqu’un qui se croit protégé contre ces expériences de peur, de dessaisissement, se dit tout à coup : « là, il y a quelque chose qui se passe, qu’est ce qui m’arrive ? c’est à devenir fou ! » Quand on sent dans la vie ordinaire ce retour de ce qui a été refoulé en un sens. Est-ce que cela, vous le sentez aujourd’hui se généraliser, avec un effet de révélation finalement ?
Philippe JEAMMET : Absolument, c’est pour cela que je le comparais un peu au vertige. Si vous avez un vertige, il faut que vous vous appuyer sur quelque chose autrement vous allez tomber. Et là, il y a un vertige parce qu’on ne sait pas, on est dans l’inconnu, et on a besoin de savoir, il faut se raccrocher. Chacun va réagir comme il peut, certains avec des théories, on voit fleurir des théories de tout, ou par des comportements de fuite ou de colère. On est poussé à être acteur.
Frédéric WORMS : Par tous les moyens, il faut qu’on redevenir acteur de sa vie.
Philippe JEAMMET : Par tous les moyens, mais on ne les choisi pas. Ils s’imposent à nous. Personne ne choisit son capital émotionnel, ce qu’a été son enfance et les peurs qui l’ont habité. Donc, on ne choisit pas ces réponses. On peut après choisir, se prononcer, si on peut avoir un regard critique sur ces réponses, se dire : « oui, je le connais, je suis en train de m’emballer, je suis en train d’avoir peur, … » Si on peut se regarder comme cela, on peut se redonner confiance. Sinon, on est envahi, et il nous faut agir. Et c’est ce qu’on voit. Mais agir de façon très différente, l’important est de redevenir acteur. D’ailleurs, de manière très loin, je pense que le suicide n’est pas un acte de mort. Le suicide est la dernière façon qu’on a de se retrouver, de se donner un pouvoir, là où sent qu’on a perdu tout pouvoir. C’est plus un acte d’affirmation, de se raccrocher, plutôt qu’une pulsion de mort.
Frédéric WORMS : Mais tous les moyens ne se valent pas, Philippe JEAMMET. Dans votre livre, j’en avais été frappé, il avait été écrit avant la pandémie, à la fin, vous montrez que les théories du complot, que les conduites destructrices, effectivement le suicide, peuvent être aussi des réponses. Mais il y a des réponses qu’il faut soutenir, face à d’autres qu’il faut chercher à éviter malgré tout. Comme on dit : « Des remèdes qui aggravent le mal »
Philippe JEAMMET : Tout à fait, et c’est là où en effet, la référence propre à l’espèce humaine, du fait de ses capacités réflexives, c’est les valeurs : en quoi en va croire. Et ces valeurs sont une élaboration de la communauté humaine, mais elles vont aussi dépendre de nos expériences de confiance entre nos parents et nous, notamment dans la première enfance : est-ce qu’on est dans la confiance à l’autre, ou est-ce que l’autre est imprévisible, on redoute simplement ce qu’il va pouvoir faire ? Cela change complètement. Ce lien de confiance est essentiel. Et là, on peut se dire, au moins que la réflexivité serve à cela : on ne choisit pas d’avoir peur, on ne choisit pas de se sentir menacé, on peut choisir ce qu’on en fait. On peut le choisir en fonction justement des valeurs, qui vont être un prima de la vie. Seulement, vous voyez, quelque chose d’emblée, qui me semble fondamental, tout ce qui est de l’ordre du vivant, c’est-à-dire qui est l’échange, eh bien on dépend de l’autre, et alors bonjour la déception.
Frédéric WORMS : Justement, c’est là-dessus que je voulais enchaîner, Philippe JEAMMET, parce qu’effectivement vous dites qu’on ne choisit pas toujours les valeurs, les repères, on dépend de l’autre, et je me tourne aussi vers Française DAVOINE, qui est toujours à cette charnière-là, comment vous aussi finalement, l’autre c’est parfois, les autres, c’est la politique.
Par exemple, Philippe JEAMMET, la perte des repères ce n’est pas seulement un autre qui nous fait défaut ou bien nous-même qui somme saisies par la peur, c’est parfois les repères politiques. Pourquoi est-ce que la guerre joue un tel rôle, selon vous ? Chez vous et chez Jean-Max GAUDILLIÈRE aussi, dans cet effondrement, cette perte des repères qu’évoque Philippe JEAMMET au niveau subjectif.
Françoise DAVOINE : La guerre, s’est vécu à un niveau singulier puis complètement général, et surtout par ceux qui la font. Moi, je suis née en arrière, j’ai mis beaucoup, beaucoup de temps à m’apercevoir que ça a été une … J’avais enregistré beaucoup de choses, …
Frédéric WORMS : Ce contexte-là finalement c’était plus qu’un contexte.
Françoise DAVOINE : Voilà, … Philippe JEAMMET parle des réflexes de peurs, des terreurs, qui sont ensuite complètement enfouis, complètement dissociés, et qui vont se réveiller à l’occasion justement de circonstances comme maintenant. J’ai vu chez des personnes que je vois, des enfants qui ont été aussi terrorisé, tout ce que Philippe JEAMMET raconte, seuls, ils ont perdu confiance aux autres, et puis, la vie est passée, et ces personnes se sont construites. Mais, la pandémie a réveillé cet enfant, qui peut être reconnu et s’allier aux adultes, qui vont s’en occuper maintenant, et lui est hors du temps.
Frédéric WORMS : Donc, il y a un cercle qui peut être destructeur entre les peurs individuelles et les effondrements collectifs, mais cela peut aussi être une sorte de cercle, dont on peut se ressaisir …
Françoise DAVOINE : Ce n’est pas un cercle, c’est vraiment une trajectoire, je dirais, en quête d’autres qu’ils reconnaissent. Et ça, on est toujours testé. L’autre qui n’est pas seulement celui qui dit : « Je vous comprends » On va être testé sur notre fiabilité. Il faut donner des gages, il faut être là.
Frédéric WORMS : Philippe JEAMMENT, je vous entends, vous voulez réagir ?
Philippe JEAMMET : Je suis entièrement d’accord, il faut être là. C’est là que la confiance est l’élément central. Mais la confiance n’est possible que si elle n’est pas non plus certaine. Cela ne peut pas être une contrainte. La confiance justement suppose une adhésion mutuelle. C’est cela au fond qui fait la richesse de l’amour, la richesse des liens humains, c’est qu’ils se co-construisent dans le partage, mais ils sont toujours à la merci d’une déception. On pourrait voir, au contraire, les gens toujours pessimistes, ont au moins un avantage, ils ne risqueront pas d’être déçus. Je pense que l’on a dans le pessimisme, y compris philosophique, les positions qu’on dit - je pousse un peu le bouchon – de petits bourgeois, où on veut une certitude, « personnes n’est fiable », « il ne faut faire confiance à personne », « le mal l’emportera », avec ça, on est sûr d’avoir toujours raison, on ne se mouille pas. Tandis que quand on veut prendre le parti de la vie, c’est toujours au risque d’une déception. De toute façon, la vie se transmet mais n’est pas éternelle, elle ne va pas durer, tandis que la revendication, l’envie de tuer, le dénigrement, le pessimiste, là, rien ne peut l’arrêter, ils sont seuls à connaître la réalité, …
Frédéric WORMS : Si on pense que tout va mal, on est sûr d’avoir raison. C’est comme l’hypochondriaque, qui a écrit sur sa tombe : « Je vous l’avez bien dit ». Alors que la confiance, cela veut dire qu’il y a une chance que cela soit possible, du coup, on prend un risque plus grand. Et c’est ce risque qui est du côté de l’ambivalence de la vie.
Philippe JEAMMET : C’est vraiment un paradoxe humain. La vie, on le sait bien, n’existe que dans l’échange, y compris avec le virus. S’il n’y a pas d’échanges, il n’y a pas de vie.
Frédéric WORMS : Alors, Philippe JEAMMET, pardon de vous interrompre, nous allons justement entendre quelqu’un nous parler de la privation de cet échange, tel que certain le vivent aujourd’hui.
Pour avoir si souvent dormi
Avec ma solitude
Je m’en suis fait presqu’une amie
Une douce habitude
Elle ne me quitte pas d’un pas
Fidèle comme une ombre
Elle m’a suivi çà et là
Aux quatre coins du monde
Non, je ne suis jamais seul
Avec ma solitudeQuand elle est au creux de mon lit
Elle prend toute la place
Et nous passons de longues nuits
Tous les deux, face à face
Je ne sais vraiment pas jusqu’où
Ira cette complice
Faudra-t-il que j’y prenne goût
Ou que je réagisse ?Non, je ne suis jamais seul
Avec ma solitude[…]
[Annonce]
Frédéric WORMS : Françoise DAVOINE, Philippe JEAMMET, avant que nous n’écoutions ce morceau que vous avez choisi, nous parlait de la confiance dans l’autre, du risque de la solitude. Ici, dans la chanson de Georges MOUSTAKI, que l’on entend, d’abord ils sont deux à la chanter, c’est une solitude assez heureuse, maîtrisée, peut-être une réponse à la folie, quand on arrive à maîtriser la solitude.
Françoise DAVOINE : Elle devient une campagne, qu’il dit. Et puis, il écrit une chanson, il y a un rythme de vie qui s’impulse …
Frédéric WORMS : Il arrive à exprimer ce sentiment…
Françoise DAVOINE : Voilà, … c’est le rythme qui permet de lancer la vie, dans quelque chose qui serait étal. Justement, je crois que d’arriver à avoir la solitude comme campagne, c’est ce à quoi, parviennent pas mal de personnes qui …
Frédéric WORMS : … en ce moment, dans le confinement …
Françoise DAVOINE : Oui, plutôt que l’on ne devienne tous fous, si on est passé par des moment comme ça, maintenant, comme je le disais, on peut maintenant trouver des ressources. C’est la littérature, à l’échelle de chacun.
Frédéric WORMS : Alors, on va y venir parce que dans vos travaux, Françoise DAVOINE, avec Jean-Max GAUDILLIÈRE, vous voyez dans la littérature la ressource pour exprimer ce que l’on n’arrive plus à dire. C’est par la chanson, des rythmes, vous insistez, qu’on arrive à parler de ce qui risque de nous priver de la parole, de nous rendre fou.
C’est notre question aujourd’hui. Philippe JEAMMET, quand vous entendez cette chanson, « Ma solitude », est-ce cela répond à votre conception de la folie, dans votre travail ? La source de la folie, c’est les émotions, c’est-à-dire les relations ? Pour vous, les émotions, c’est ce qui régule nos relations avec le monde et les autres.
Philippe JEAMMET : Voilà, c’est ce qui les dérégulé, et on voit que pour parler comme ça de la solitude, c’est qu’il a connu autre chose. C’est pareil pour la nostalgie, on ne peut pas maîtriser la vie. Tandis que la destruction vous la maîtrisez, vous pouvez tout tuer, y compris vous-même. Mais vous ne pouvez maîtriser l’autre. Vous avez le partage et ce partage a une fin. Vous voyez bien que cette solitude n’est pas celle du vide et de la destruction, dans la chanson. On sent bien qu’il y a toute cette attente, tout ce plaisir qu’il a connu et qu’il tente de renouveler, et c’est cela l’importance l’art, c’est de pouvoir non pas faire le deuil mais de savoir que dans tout ce qu’il a dit, c’est-à-dire l’échange, on ne maîtrise pas l’autre. On est dans un échange qui évidemment fluctuera, et dès qu’on est dans la maîtrise, on n’est plus dans la vie, l’autre est devenu un prolongement de nous-même ou un objet, et on est beaucoup plus près de la destructivité, par peur. La possessivité est une forme de destructivité, que ce partage qui suppose toujours que l’autre pourra avoir une évolution, qui s’éloigne aussi de la vôtre, sans que « tout ou rien ». Vous le faites avec les enfants, avec les parents : voilà je suis amoureuse, … C’est toute cette richesse. Et la nostalgie est tout imprégnée d’une prudence, qui n’est pas justement l’emprise, mais le partage.
Frédéric WORMS : Le partage, qui nous permet aussi d’être nous-même. L’expérience de la peur, dans certaines expériences de solitude ou d’isolement, malgré tout nous nous révèle aussi que ce n’est pas si facile d’être soi-même. Le risque de la folie, pour y revenir, prenons-le quand même très au sérieux, puisque les autres sont nécessaires pour être soi-même, s’il nous affecte, cela peut nous détruire. Là, on a l’expérience d’une solitude heureuse, mais essayons d’approcher plus près du gouffre, finalement il peut y avoir quand même aussi cette peur qui nous mène effectivement vers la destruction, mais qui passe d’abord par une destruction de nous-même.
Philippe JEAMMET : Bien sûr, tout à fait. Effectivement il n’y a pas de maîtrise, tout ce qui est de l’ordre de la vie, cela ne se maîtrise pas, cela se partage. Donc, il y a des moments de proximité, des moments d’éloignement, des moments qui seront plus ou moins douloureux, et c’est là où il y a tout un espace à construire, par beaucoup de choses, en particulier par les arts, la littérature, … Il y a plein de façon. La richesse créative qu’engendre cette fragilité du vivant qui fait que l’autre on ne peut pas le maîtriser, s’emparer de lui. Si on s’en empare, ce n’est plus un autre, on se retrouve seul. C’est ce qui existe quand on s’empare de quelqu’un, on en fait son esclave, à un niveau ou un autre, on est encore tout seul.
Frédéric WORMS : Je vois Françoise DAVOINE qui veut réagir, peut-être aussi sur ce risque qui nous menace intimement.
Françoise DAVOINE : Cette catastrophe qui est arrivée au mois de mars dernier, ce n’est quand-même pas banal. Une pandémie, certains l’ont minimisée, d’autres l’on accrue, la peur, …
Frédéric WORMS : Chacun l’a prise comme il pouvait, …
Françoise DAVOINE : Il n’empêche que c’est un fait que l’on croyait complètement rayé de la carte dans nos pays. C’est quand même cela qui nous a déstabilisés.
Frédéric WORMS : Oui, il y a eu donc aussi un ébranlement de repères, de ressources que l’on croyait fiables, …
Françoise DAVOINE : Œdipe, c’est le chouchou des psychanalystes, j’avais lu « Œdipe roi »,et j’avais complètement oublié que cela commence par la peste. Vous voyez, j’étais passée par-dessus complètement, …
Frédéric WORMS : On voit les relations individuels, l’inceste, etc., mais on oublie que cela se fait dans un contexte de la peste.
Françoise DAVOINE : Sophocle écrit pendant la peste, Socrate écrit pendant la peste et Périclès meurt de la peste.
Frédéric WORMS : Vous vouliez nous proposer comme morceau de musique, une cantine anglaise, qui est une mémoire de la peste, issue du livre de Daniel DEFOE, « Journal de l’année de la peste ». Pour vous, les épidémies sont une des failles par où s’engouffrait le trauma finalement.
Françoise DAVOINE : Bien sûr, mais en même temps une création. Même MOUSTAKI, il a écrit cette chanson, je pense qu’il est passé par des moments pas faciles.
Frédéric WORMS : Cela s’entend, cela vibre un peu.
Françoise DAVOINE : Je voulais vous dire, tout au début, en avril, ce qui m’a choqué le plus, c’est de voir les bébés dans les poussettes, à qui je ne pouvais pas sourire. C’est un de mes sports favoris. Et je me dis : qu’est-ce qu’ils voient ? Qu’est-ce qu’ils scrutent ? parce qu’ils ont des yeux très intenses. Quelqu’un – Thierry GUICHARD - m’a proposé ce livre, « Journal de l’année de la peste » de Daniel DEFOE, qu’il écrit à soixante ans, cela fait partie de ces grands livres, comme CERVANTES, qui sont écrits tard, …
Frédéric WORMS : Par des personnes qui ont eu une longue traversé
Françoise DAVOINE : Oui, qui en ont vu. Il a 62 ans, il a écrit Robinson Crusoé deux ans avant, et, il décrit l’année de la peste, à Londres en 1665, alors qu’il l’a écrit en 1722, …
Frédéric WORMS : Il raconte la peste 50 ans après
Françoise DAVOINE : … quand il avait 5 ans.
Frédéric WORMS : … d’accord, c’est toujours l’idée central de votre livre, les éléments de la vie réveillent ceux de l’enfance et, …
Françoise DAVOINE : … et là, … Il lit des documents sur la peste de Marseille qui a lieu à ce moment-là mais il l’a enregistré à cinq ans. Qu’est-ce que décrit ? Alors-là, vous serez content, la folie est à toutes les pages.
Frédéric WORMS : Je ne sais pas si cela me ferait plaisir. Si c’est pour affronter, oui, d’accord …
Françoise DAVOINE : L’enfant qu’il était, qui est resté en sommeil, qui était retranché dans ces terres-là, ressurgit à plus de 60 ans, il écrit là. C’est un gros livre.
Frédéric WORMS : Et c’est un des très grands récits de la peste, de l’histoire …
Françoise DAVOINE : … très, très grand récit …
Frédéric WORMS : … Thucydide, la tragédie avec Sophocle, et là la linéature moderne d’une vie individuelle …
Françoise DAVOINE : … Pour revenir au fameux partage, je voulais dire, quand Socrate doit définir ce qu’est l’amour, éros, dans le Banquet, il parle par la bouche d’une femme, Diotime, laquelle est une étrangère et une prophétesse qui a fait reculer la peste à Athènes, …
Frédéric WORMS : … De ça, je ne m’en souvenais pas du tout …
Françoise DAVOINE : Moi non plus je n’avais pas fait attention. … et qu’est-ce qu’elle dit ? Éros est fils de Poros, son père et, c’est traduit par Expédient, on ne comprend rien du tout, en fait c’est le passage, la porosité, cela permet l’échange, l’échappatoire, et de Penia, la pénurie. Et on était tout le temps en pénurie de masques, de vaccins, etc.
Frédéric WORMS : … le manque et le désir, l’inventivité.
Françoise DAVOINE : Et pour rebondir sur ce que disait Philippe JEAMMET, les soignants, vous êtes au courant, en première ligne, j’ai reçu quelques témoignages, …
Frédéric WORMS : … Tout à fait, vous avez fait un très beau texte intitulé « Le soin en première ligne »
Françoise DAVOINE : … les soignants inventaient auprès de patients en coma artificiel, des porosités, d’elles-mêmes, où elles leur parlaient pendant qu’ils étaient complètement inconscients. Elles écrivaient un journal des interactions pour qu’ils sachent, quand ils sortiront de là, ce qui s’était passé, pour que cela ne soit pas un trou noir. On invente de nouveaux passage entre nous, je dirais, d’échanges peut-être mais de porosité.
Frédéric WORMS : … des tunnels, des percées, …
Françoise DAVOINE : … Voilà.
Frédéric WORMS : Philippe JEAMMET, Françoise DAVOINE vient de parler des âges, vous-même, entre l’enfance et la personne qui raconte après coup, vous travaillez beaucoup sur l’adolescence, il y a un âge critique là aussi. Mais peut-être que vous voulez réagir à ce que disait Françoise DAVOINE, dont je tiens à souligner qu’elle souriait sous son masque.
Philippe JEAMMET : Vous voyez la créativité du vivant dans ce partage, et c’est toujours possible, mais il faut le savoir, le transmettre, parce que si la peur, la détresse prend le dessus, on se referme. Au lieu de créer ces échanges, chacun se repli sur soi, et on n’est que plus malheureux. Donc, là, c’est le cœur de la vie, c’est l’échange mais ce n’est pas la maîtrise. On ne sait pas ce que cela va donner, les résultats vont être très différents, selon les cas, mais on n’a pas été seuls. La vie c’est ça. En même temps, c’est ce paradoxe de la vie, pour être soi, on ne peut l’être que dans l’échange avec les autres, cela n’existe pas que comme ça, en même temps, pour être soi, il faut être différent des autres. Et c’est là qu’on voit qu’à un moment donné, selon le besoin que l’on a des autres, ou que les autres ont de nous, doivent être ressentis comme une atteinte à notre autonomie. Il y a toujours cette tension dans ce qui est le plaisir, le partage, entre justement rester soi et en même temps se nourrir de l’autre. C’est l’extrême richesse du vivant, qui fait qu’on ne peut pas le cataloguer, l’enfermer. Il y a une telle diversité de la créativité, et même dans l’art. C’est toujours divers, et c’est ça la vie, ce n’est pas la répétition du même.
Frédéric WORMS : Moi, je suis profondément d’accord avec ce que vous dites l’un et l’autre, mais je suis un peu surpris, je vais jouer le rôle, non pas du diable, mais de la négativité, alors que vous êtes, l’une analyste, l’autre psychiatre, et moi, je me disais : quand vous dites, Philippe JEAMMET, que c’est toujours possible, qu’il y a toujours des ressources, on peut toujours créer ces passages secrets, dérobés, dont parlait Françoise DAVOINE, est-ce qu’il n’y a pas quand même une sorte de moments où cela n’est plus possible ? des moments où il n’y a plus d’issues, sauf peut-être effectivement ces issues destructrices, dont vous parlez, qui ont une part de positivité vitale. Je voudrais quand même creuser le négatif, d’abord, Philippe JEAMMET.
Philippe JEAMMET : On ne le sens qu’après coup, mais c’est toujours potentiellement possible. Mais ce qui fait que cela n’est plus c’est qu’à un moment donné, on ne peut plus rester comme ça, dans cette attente, il faut qu’on redresse la maîtrise, et malheureusement, on ne le reprend que de cette manière-là. Il y a deux ans, j’allais faire une conférence dans une bibliothèque en banlieue, on parlait de ce que l’on vient de dire, et à la fin, une vieille dame de 85 ans, a levé le doigt, qui m’a dit : « Vous savez, ce que vous me dites, je l’ai fait toute seule. Je vis toute seule, ma vie à quoi ça rime. Alors, alors l’autre jour, j’ai pris tous mes médicaments et je me suis dit : je vais en finir, 84 ans et seule, … Et, au moment où j’allais avaler mes médicaments, ma chatte est arrivée, elle a mis sa patte sur ma main. Elle est malade et elle a besoin d’un médicament tous les jours. Et je lui ai dit : Oh, je t’ai oubliée aujourd’hui. Vite, je suis allée chercher son médicament, je n’ai plus eu envie de prendre les miens. »
Frédéric WORMS : Ah, oui, ça, c’est magnifique.
Françoise DAVOINE : Belle histoire !
Philippe JEAMMET : Je lui ai dit, ce n’était pas la peine que je parle pendant une heure, là, vous avez dit ce qui est le fond de la vie. Alors, cela ne va pas tout résoudre pour cette dame, mais vous voyez, c’est cela le vivant, avec ce que cela a de fragile, de vulnérable, d’incertain. On ne peut pas en faire un principe. On ne peut pas une certitude. Non, mais cela s’attache, c’est ce qui permet (manque un mot incompris)
Frédéric WORMS : Ce qu’il y a d’impressionnant dans ce que vous écrivez, c’est cette ressource de la relation, y compris avec un autre vivant, même non humain, mais qui nous rappelle à notre humanité. Mais malgré tout, ces relations, Françoise DAVOINE, courent un risque aussi, ces relations peuvent devenir destructrices. Vous parlez des traumatismes, y compris politiques. Il n’y a pas que la peste, la pandémie, il y a aussi le totalitarisme, la destruction délibérée. Parmi les romans que vous évoquez, il y a le grand roman de Toni MORRISON, « Beloved », où une femme est amenée à tuer sa propre fille pour la préserver du maître cruel, qui vient reprendre possession d’elle commune d’un objet, pas d’un sujet. Là, quand même dans ce que vient de décrire Philippe JEAMMET, pardon je creuse le négatif, mais vous allez me donner des ressources, Françoise DAVOINE, il y a aussi cette violence qui peut venir des autres, pas seulement de ma violence comme ressource.
Françoise DAVOINE : Bien sûr. Elle a eu la chance cette écrivaine, c’est l’histoire de sa famille, de ses ancêtres, …
Frédéric WORMS : Toni MORRISON, prix Nobel de littérature, une grande figure de …
Françoise DAVOINE : Voilà. Qu’est-ce qu’elle fait ? Elle fait un livre thérapeutique. Elle part de cet esclave qui a tué sa petite fille, pour l’épargner des gens de la plantation qui viennent récupérer leur bien, puisqu’elle est fugitive, simplement, l’enfant assassiné devient un fantôme.
Frédéric WORMS : Elle vient hanter sa mère et la maison …
Françoise DAVOINE : … concrètement, elle prend possession de cette maison. Et, elle attire - il y a une petite sœur - l’amour, et l’amour et l’amour. Elle est concrète, ce n’est pas du tout un fantasme, elle habite cette maison, jusqu’à ce que - c’est là que je dis que c’est un livre thérapeutique – le fantôme est apaisé. Comme disait Jean-Max GAUDILLIÈRE, les fantômes ne sont pas là que pour nous embêter. Je ne suis pas spiritiste, mais les fantômes rentrent dans mon bureau tous les jours.
Frédéric WORMS : Les fantômes sont dans les paroles des vivants, …
Françoise DAVOINE : … dans les présences, dans les transmissions, …
Frédéric WORMS : … dans les corps des vivants, ils n’ont pas une existence mystique, indépendante de nous, … Ils sont entre nous, en tous cas.
Françoise DAVOINE : … Ça, chacun croit ce qu’il veut. En tous cas, à un moment donné, cet enfant, qui a vécu plusieurs années, est tellement envahissante que la plus jeune sœur, qui à l’âge que sa mère avait quand elle a tué son enfant, va chercher du secours à l’extérieur. C’est la première fois. Et là, par hasard, c’est là-dessus que je voudrais rebondir, la rencontre, c’est toujours par hasard. On fait plein d’effort, on est bienveillant, c’est toujours quand on fait une bêtise et qu’on est incapable de la reconnaître, par hasard que tout d’un coup, l’autre se dit : tiens, voilà quelqu’un qui est fiable.
Frédéric WORMS : Mais, il y a les conditions sociales, politiques. Ce n’est pas pareil d’être esclave ou d’être thérapeute, d’être soigné dans une société démocratique, …
Françoise DAVOINE : … non, …
Frédéric WORMS : … mais, c’est un hasard heureux.
Françoise DAVOINE : Bien sûr, bien sûr, mais là, elle raconte, … dans ces sociétés, il y avait le bleus, …
Frédéric WORMS : … il y avait des ressources, ...
Françoise DAVOINE : Il y avait des ressources, c’est de cela que s’est emparée, Toni MORRISON.
Frédéric WORMS : Philippe JEAMMET, on va revenir dans un instant sur les conditions du moment d’aujourd’hui, mais vous-même, sur les dimensions sociales, politiques de nos fragilités, de nos relations, vous travaillez en institution, vous avez exercé à l’hôpital Montsouris, pendant très longtemps, il y a besoin de ces cadres de soin. Il y a besoin aussi pour ces relations individuelles d’inventer des ressources collectives.
Philippe JEAMMET : Absolument. Les occasions de rencontres. La vie, c’est une histoire de rencontres, et ce qu’on en fera. Cela n’a pas de sens d’être totalement maîtrisé. On a bien vu qu’à chaque fois que l’on veut tout maîtriser, on tombe de haut dans une emprise destructive. La vie c’est cela, il y a une part d’incertitude, une part d’aléa. C’est là où la confiance est un élément important pour supporter des moments de repli, des moments flottants. On a toujours quelque chose à faire. Tant qu’on est en vie, il y a une ouverture possible.
Frédéric WORMS : Alors, vous nous proposez une autre version, un peu plus douloureuse malgré tout, du rapport à la solitude, Philippe JEAMMET, que nous allons entendre maintenant.
Ne me quitte pas
Il faut oublier
Tout peut s’oublier
Qui s’enfuit déjà
Oublier le temps
Des malentendus
Et le temps perdu
À savoir comment
Oublier ces heures
Qui tuaient parfois
À coups de pourquoi
Le cœur du bonheur
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas
Ne me quitte pasMoi, je t’offrirai
Des perles de pluie
Venues de pays
Où il ne pleut pas
Je creuserai la terre
Jusqu’après ma mort
Pour couvrir ton corps
D’or et de lumière
Je ferai un domaine
Où l’amour sera roi
Où l’amour sera loi
Où tu seras reine
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas
Ne me quitte pasNe me quitte pas
Je t’inventerai
Des mots insensés
Que tu comprendras
Je te parlerai
De ces amants-là
Qui ont vu deux fois
Leurs cœurs s’embraser
Je te raconterai
L’histoire de ce roi[…]
Frédéric WORMS : [annonce] Philippe JEAMMET, qui a choisi de nous faire entendre, « Ne me quitte pas », et nous vous proposons une version de Nina SIMON. On parlait de Toni MORRISSON Il y a un instant, avec Françoise DAVOINE, il y a aussi ce mélange des voix, quand une femme qui a été empêchée dans sa carrière artistique, à cause de la couleur de sa peau, aux États-Unis, Nina SIMONE, reprend la chanson de Jacques BREL, sur une détresse amoureuse. Il y a plus d’une détresse, je dirais, dans cette voix-là que nous entendons encore.
Philippe JEAMMET : Oui. Oui, oui, et on voit comment cette détresse peut nourrir l’inspiration. Pour qu’il y ait inspiration, c’est qu’elle a connu quand même quelque chose de bon, parce que cela ne se génère pas spontanément. C’est là où depuis l’enfance et toutes les expériences que l’on a pu avoir, en fonction de notre tempérament, encore une fois, qui rend les émotions plus ou moins explosives, mais quand même, c’est du vécu. Elle a eu aussi des moments, comme cette rencontre, qui lui ont donné soif pour la vie.
Frédéric WORMS : Vous voulez dire que cela pourrait être pire, qu’elle pourrait être plus abîmée, ou détruite encore, au point de ne pas arriver même à s’exprimer comme ça ?
Philippe JEAMMET : Voilà, … et on voit que c’est un des dangers à l’heure actuelle, dans les revendications sur les traumatismes. Bien sûr qu’il faut réagir, mais on arriverait à une inversion, il faudrait que les autres subissent un peu plus que ce que j’ai subi, et non pas arrêtons tous ces comportements-là. On a une impression de revanche dans beaucoup de débats à l’heure actuelle, à tous les niveaux, …
Frédéric WORMS : Une surenchère finalement, …
Philippe JEAMMET : C’est une surenchère dans c’est moi qui fait le plus fort, et moi je vous en fait voir encore plus, … et là, c’est la répétition du même. Cela me rappelle le livre « Vous n’aurez pas ma haine » [1]. C’est un livre qui devrait ressortir, écrit après les attentats, il est tellement fort.
Frédéric WORMS : Vous commentez magnifiquement la réaction de ce père ou de ce conjoint, j’ai un doute tout d’un coup, d’une victime du Bataclan …
Philippe JEAMMET : Un conjoint. « Vous n’aurez pas ma haine » Trop souvent, on a l’impression que la haine continue à vivre dans la rancune, la rancœur, … Là, il y a quelque chose dont il faut se méfier, parce que la haine a la vie dure, et c’est plus facile. On trouvera toujours des raisons de haïr. Des raisons d’aimer ou de pardonner sont plus difficiles peut-être à trouver, c’est tellement plus précieux. La vie dans ces chansons-là, c’est, il ne faut pas faire subir plus que ce que l’on a subi, mais « arrêtons ces malentendus », « arrêtons cette cascade-là » …
Frédéric WORMS : Je suis très frappé par ce que vous dites, Philippe JEAMMET, parce que l’expérience du mal, finalement peut donner deux réactions : une réaction où tout est négatif, pas moyen d’être rassuré là-dessus, ou, au contraire, maintenir cette dualité fragile, jusqu’au creux de nos expériences les plus difficiles, comme dans les attentats, dans la pandémie. Je voulais demander …
Philippe JEAMMET : L’opposition CAMUS – SARTRE. Je crois que d’une certaine façon, la plus confortable, c’est celle de SARTRE, et Dieu sait que …
Frédéric WORMS : Oh, il y aurait beaucoup à dire. Ils sont tous les deux quand-même dans une forme de dualité, de reconnaissance de la positivité, malgré tout. Mais c’est vrai que SATRE, c’est plutôt la liberté rationnelle et moins l’émotion face à l’injustice. Il y a les deux, chez les deux, d’une façon différente, mais c’est un autre débat.
Françoise DAVOINE, vous-même, quand vous entendez cette chanson, avec ses traumatismes derrière, il y a la situation d’aujourd’hui, vous parliez des soignants et des soignantes, qui sont, selon vous, en première ligne. Vous prenez la métaphore de la guerre, vous travaillez beaucoup aussi avec Stéphane AUDOIN-ROUZEAU, qui a repris votre séminaire à l’École des hautes études, qui travaille sur … redite-nous d’ailleurs le nom du séminaire, qui m’avait beaucoup frappé.
Françoise DAVOINE : La guerre transmise.
Frédéric WORMS : La guerre transmises, c’est un enjeu majeur finalement, non seulement l’événement, mais comme vous le dites l’un et l’autre, la façon dont nous le prenons, l’exprimons, le transmettons. Les choses ne nous arrivent pas brutes, elles passent par nous.
Françoise DAVOINE : C’est ça, et il faut qu’elles se disent. Toutes ces émotions et ce bouleversement des perceptions, des sensations, etc., doivent à un moment donné trouver un autre, si périlleux soit-il, si hasardeux soit-il. Je pensais à Décaméron de BOCCACE [2], je vous en avez parlé, est écrit en plein peste !
Frédéric WORMS : C’est de jeunes gens qui quittent la ville, en pleine peste, …
Françoise DAVOINE : Florence, je ne sais plus combien de morts en trois mois. Et BOCCACE écrit une psychothérapie : dix jeunes gens partent à la campagne et vont raconter une histoire, chacun, par jour. En dix jours, cela fera décaméron. Et cela va être la source de toute une littérature, …
Frédéric WORMS : Le renouveau de la culture, la renaissance dans tous les sens du mot, …
Françoise DAVOINE : Jusqu’à aujourd’hui.
Frédéric WORMS : Est-ce qu’on trouve toujours quelqu’un ?
Françoise DAVOINE : Je crois.
Frédéric WORMS : Même si l’on n’a pas le thérapeute, dont vous parliez ? L’ami ?
Françoise DAVOINE : Cela peut être une chatte, il a été dit, une araignée, c’est aussi un non-humain, ce n’est pas forcément les humains. Mais il y a de l’autre.
Frédéric WORMS : Comme les animaux qui recueillent les enfants sauvages dans la forêt.
Françoise DAVOINE : Tout à fait.
Frédéric WORMS : Philippe JEAMMET, je sens que vous voulez réagir là aussi.
Philippe JEAMMET : Oui, si je peux me permettre, parce qu’à propos de ces rencontres qui font la vie, j’ai créé, avec d’autres, en 2001, un diplôme universitaire : suivi d’adolescents difficiles, où sont convoqués toutes les professions à haut potentiel émotionnel dans la rencontre avec les ados : santé, justice, éducation nationale, police et gendarmerie, tous ensemble, tous niveaux hiérarchiques, tous ensemble. Depuis 2001, il y a toujours entre 110 à 120 participants, et avec deux sessions, de deux jours, dans l’année, en petits groupes d’analyse de pratiques. Quand on parle maintenant de formation, etc., quels que soient les métiers, la rencontre joue un rôle important, là en tant qu’homme, pas seulement en tant que métier, ils sont en contact de ces jeunes. Et le fait de pouvoir partager cela dans de petits groupes où ils se retrouvent ensemble et de voir qu’ils ne sont pas là pour faire le travail de l’autre, néanmoins certains, en tant qu’êtres humains, sont sollicités dans cette rencontre-là. On peut voir le plaisir et la satisfaction des gens qui le font. Dans cette période où l’on cherche un peu les réponses, il faut que l’on se parle. D’ailleurs, pour ces ateliers, un sur deux pratiquement continue après l’année de formation, en disant : on a eu tellement de plaisir de partager, de ne pas être seuls.
Frédéric WORMS : Ce qui est frappant dans ce que vous décrivez, c’est qu’on pourrait dire : si la rencontre est si essentielle, si évidente, importante, dans ces métiers que vous décrivez, pourquoi est-ce qu’il y a besoin d’une formation ? Est-ce qu’il y a un risque de l’oublier ? Parce que ces métiers sont aussi soumis à des contraintes de résultats, des contraintes de toutes sortes, institutionnelles, … Donc, il faut quand-même faire sa place dans la société à ce rappel. Il faut quand-même créer les cadres où on peut remettre l’essentiel à sa place, en quelque sorte ?
Philippe JEAMMET : Oui, absolument. Il y a des formations professionnelles indispensables, c’est aussi cela qui vous donne une sécurité, une légitimité et un sens. Vous maîtrisez votre technique et en même temps, vous êtes confronté, dans la rencontre avec l’autre, qui va solliciter des choses qui renvoient à l’histoire personnelle de chacun. De voir que c’est pareil pour tout le monde et qu’on peut trouver une solution, qu’on n’est pas seul, que ce n’est pas tout ou rien. Il n’y a pas à opposer la formation et la réflexion. Là, on est légitimement mobilisé émotionnellement, dans ces rencontres. Il faut apprendre à partager, de savoir que c’est propre à la vie.
Frédéric WORMS : Apprendre à assumer ses propres réactions vitales, face à celle des autres. Qu’est-ce que vous recommanderiez aujourd’hui, Philippe JEAMMAET, politiquement, comme réponse face, quand même à ces menaces de déstabilisation sans réponses, sans que les ressources ne soient là ? Qu’est-ce qu’il faut mettre en place dès aujourd’hui, j’allais dire, sans attendre la sortie ?
Philippe JEAMMET : Je vois bien. C’est des occasions de partage et d’expériences. Il faut avoir des lieux, sous des formes différentes, où on peut partager nos peurs. C’est normal d’avoir peur, d’avoir des réactions, d’être blessé, et de pouvoir montrer que ces réactions sont normales, il ne faut pas en miroir se contenter simplement de les renvoyer, comme un match de boxe : « tu m’a fait ça, tiens, je te fais ça ». Comment on va répondre ? Il n’y a pas de réponse toute faite. C’est surtout la façon dont cela a été reçu. Comment on serait senti face à cela, qui est important, et pour cela il faut le partager avec d’autres. Donc, il y a une nécessité à l’heure actuelle de pouvoir parler, hors de tout jugement, donné de pouvoir se confronter à la réalité de nos réactions émotionnelles, qui sont normales. Alors, comment apprendre à en faire chose, je ne vois pas assez clair, mais il y a quand même une richesse …
Frédéric WORMS : Et vous Françoise DAVOINE, qu’est-ce que vous proposeriez dans ce prolongement ?
Françoise DAVOINE : Je ne propose rien mais j’entends ce qu’on me dit, à savoir quelqu’un me dit : « C’est vrai qu’avant on passait notre temps à se débarrasser des enfants, qui va les garder ? Qui va les garder ? Maintenant ils sont à la maison » Bon, alors, …
Frédéric WORMS : Alors, qu’est-ce qui se passe alors ?
Françoise DAVOINE : Eh ben, voilà : les écouter, seulement les écouter, parce qu’ils ne sont pas commodes, je ne dis pas que c’est du gâteau, mais on dirait qu’on se retrouve, …
Frédéric WORMS : Mais avec une pression sociale malgré tout, en travaillant chez soi …
Françoise DAVOINE : Bien sûr, avec une pression sociale, ce n’est pas idyllique du tout ! Ça peut …
Frédéric WORMS : Ça peut nous rendre fous, …
Françoise DAVOINE : Bien sûr, on peut exploser, mais il y a un nouveau contact, un nouveau passage.
J’avais pris comme chanson, qui n’a pas pu être passer aujourd’hui, cette ronde, …
Frédéric WORMS : Cette balade anglaise, cette ronde issue de la peste …
Françoise DAVOINE : Une ronde des petits enfants :
Ring a-ring o’roses, (Faisons la ronde autour de la rose)
A pocketful of posies (La poche pleine de fleurs) pour changer l’odeur pestilentielle
A-tishoo ! A-tishoo ! (Atchoum, atchoum) donc, on est déjà malade
Deuxième strophe
Ashes ! ashes ! (des cendres, des cendres)
We all fall down ! (Nous tombons tous), ils tombent parterre en rigolant
C’est une ronde depuis le XVe siècle !
Frédéric WORMS : Pour conjurer la peste ensemble.
Françoise DAVOINE : Les enfants ont beaucoup de ressources.
Frédéric WORMS : Je reviens, pardon, sur les conditions sociales d’aujourd’hui, pour que les parents puissent échanger avec les enfants, avec lesquels ils vivent, les amis à distance, les proches malades peut être difficiles d’accès aussi, il faut quand même aussi remettre ce dont on parle aujourd’hui, avec vous deux, au cœur de l’agenda politique. Il ne faut pas que cela soit un supplément d’âme, comme disent certains.
Françoise DAVOINE : Bien sûr
Frédéric WORMS : Alors, comment est-ce qu’on fait ça ?
Françoise DAVOINE : Moi, je ne suis pas bonne en politique, je ne peux pas vous dire. En tous cas, on peut le faire à ses échelles, on peut inventer des choses à notre échelle.
Frédéric WORMS : Vous revendiquez cette échelle humaine. Vivre l’épidémie à l’échelle humaine aussi, Philippe JEAMMET ?
Philippe JEAMMET : On peut effectivement pourvoir partager, pouvoir échanger et ne pas s’en servir pour régler ses comptes sur d’autres points. C’est surtout cela qui me semble actuellement à corriger. D’utiliser tout pour en faire un argument pour aller contre quelqu’un, d’en faire un instrument indirect de propagande.
Frédéric WORMS : Et assumer aussi les risques, les risques de la folie, vous-même, Philippe JEAMMET, qui êtes psychiatre. Vos collègues psychiatres aujourd’hui doivent être tous aussi sur la brèche, un petit peu inquiets …
Philippe JEAMMET : Oui, tout à fait.
Frédéric WORMS : Il faut quand même aussi assumer cette dimension, tout aussi centrale pour la santé individuelle, mais aussi publique, dans nos sociétés.
Philippe JEAMMET : Oui, on peut en effet craquer, être submergé, ce n’est pas nécessairement négatif. Il ne faut pas s’y enfermer. C’est l’enfermement qui est un problème. Si on réagit, cela montre que cela nous touche, donc, qu’il y a quelque chose de vivant, qu’il y a quelque chose d’important. Ne nous laissons pas enfermer dans la destructivité, c’est cela le problème. Ce n’est pas qu’il y ait des réactions, c’est qu’après elles s’auto-renforcent dans la destructivité, c’est-à-dire dans le refus du partage et dans l’enfermement, contre soi ou contre l’autre.
Frédéric WORMS : Parce que l’intensité affective en elle-même, vous y voyez un signe de vie. La folie, on parle aussi d’amour fou, de désir fou de la culture, de ceci ou de cela, de vacances, d’espace, de de temps. Finalement, il y a une intensité affective dans la folie, tout simplement aussi, qu’il ne faut pas perdre.
Philippe JEAMMET : C’est ce qu’on en fait encore une fois. Et la folie, à certains moments, c’est un moment de vertige qui nous déborde et il nous faut réagir. Mais, on ne la choisie pas, elle s’impose, ce n’est pas un choix, en fonction de notre histoire. Cela témoigne d’une vitalité, et cette vitalité, il faut l’orienter vers l’échange et la construction, et non pas vers la destruction. C’est plus facile à dire qu’à faire, mais le savoir est important.
Frédéric WORMS : C’est au cœur de la culture, j’allais dire. Je pense que ce que vous venez de prononcer, Philippe JEAMMET, c’est presque un éloge au sens d’Érasme. Françoise DAVOINE, les livres que vous avez édités, de Jean-Max GAUDILLIÈRE, « Leçons la folie », c’est presque aussi un éloge au fond paradoxal, comme on le faisait à la Renaissance.
Françoise DAVOINE : Je disais que je n’étais pas bonne en politique, mais je crois que là, il y a vraiment toujours l’ouverture d’issues politiques, fondamentalement. Après, cela peut être agencer de différentes façons, mais il y a l’ouverture d’un passage, ce qui est politique, qui concerne …
Frédéric WORMS : Et si on assume ce risque, malgré tout. Là aussi, « Leçons de la folie », ce n’est pas non plus et idéaliste ou naïf …
Françoise DAVOINE : Ah, ce n’est pas de la propagande.
Frédéric WORMS : Non, mais c’est quand-même aussi un danger. C’est la leçon aussi ambivalente d’un risque majeur pour les humains, mais qui a encore quelques ressources. Il ne nous reste malheureusement qu’une minute pour que vous réagissiez là-dessus.
Françoise DAVOINE : La ressource c’est de réussir en les mettre en paroles, c’est ce que disait Philippe JEAMMET, ne pas se laisser fasciner par l’horreur, la négativité, la destructivité, c’est le refus de la fascination pour devenir acteur, c’est ce qu’il disait.
Frédéric WORMS : Oui, tout à fait. Philippe JEAMMET, Françoise DAVOINE traduit bien ce que vous disiez il y a un instant ?
Philippe JEAMMET : Tout à fait. C’est un plaisir. Merci Françoise. Cela donne tout de suite une autre atmosphère. Il y a tout de suite quelque chose qui donne de l’élan, alors qu’on est dans l’affrontement, comme si on était des buffles qui se tapaient la tête les uns contre les autres, alors qu’il y a tout un espace à animer.
Frédéric WORMS : Et l’espace aussi pour les jeunes, on n’a pas eu beaucoup de temps d’en parler, Philippe JEAMMET. Les adolescents, dont vous parlez beaucoup, sont toujours l’épicentre au fond de nos risques. On n’a pas le temps d’en parler, mais je pense qu’il faut ouvrir sur tous ceux qui nous écoutent.
Françoise DAVOINE : Ils sont là pour créer du nouveau.
Frédéric WORMS : Exactement ! Merci beaucoup à vous deux. Merci infiniment d’avoir affronter avec nous cette question : « Qu’est-ce qui nous rend fou ? »
[annonce, rappel du thème de l’émission et des invités] avec et grâce aussi, beaucoup, à : (manque un nom), Marie-Claire OUMABADY, Sandrine CHAPRON, Jeanne DELECROIX, Léa NKAMLEUN FOSSO, Anne-Pascale DESVIGNES [suite des annonces]