Déontologie et encadrement de l’expertise
Table ronde animée par Stéphane FOUCART, journaliste, Le Monde
Stéphane FOUCART : La journée continue avec notre table ronde sur la déontologie et l’encadrement de l’expertise publique, avec Marie-Angèle HERMITTE, juriste, directrice de recherche au CNRS et directrice d’études à l’EHESS, membre du HCB, qui travaille sur le risque, la technologie et le marché, et Elena PASCA, philosophe, administratrice de la FSC et qui anime le blog « Pharmacritique ».
Pour commencer, Marie-Angèle HERMITTE va nous parler de l’organisation de l’expertise publique en France, de son histoire et surtout de ce sur quoi s’exerce cette expertise publique, à savoir les données brutes d’expériences, qui est souvent moins mise en avant que les histoires de conflit d’intérêts et de déontologie personnelle. Ces données sont produites par les pétitionnaires, c’est-à-dire les industriels qui soumettent les dossiers aux agences de sécurité sanitaire qui existent d’ailleurs depuis relativement peu de temps. Cela pose des questions à la fois sur la nature des données, leur accessibilité et leur mode de production.
Marie-Angèle HERMITTE, je vous laisse la parole.
La libération des données brutes pour une réelle contre-expertise
Par Marie-Angèle HERMITTE, juriste, EHESS-CNRS
Merci.
Il ne vous aura pas échappé que nous vivons dans une société que l’on pourrait appeler une « société des sciences et des techniques », caractérisées par le fait que des décisions politiques dont la forme n’a pas changé (lois, décrets, arrêtés) sont largement « fondées sur la science », ce qui change l’arrière-plan des décisions publiques. Donc, désormais, il faut avoir une base scientifique avant de prendre une décision. Cela passe par une expertise, par des rapports, par un certain nombre d’études scientifiques. L’expertise, qui a toujours été porteuse d’un enjeu scientifique, est désormais également porteuse d’un enjeu politique. Pendant longtemps, le fonctionnement en fut autorégulé, autogéré. Les administrations centrales, le ministère de la santé, de l’environnement, etc., s’étaient dotés de capacités techniques, internes d’une part et en ayant recours à des conseillers, d’autre part. On ne connaissait pas forcément leurs noms, et il n’y avait pas de procédures préétablies. On constate, aujourd’hui encore, que les institutions les plus anciennes fonctionnent avec des procédures relativement opaques. Si l’on prend l’exemple des grandes académies, on ne trouve pas de déclarations d’intérêts des membres, ce qui devrait figurer aujourd’hui dans le règlement intérieur. Or, dans certains domaines, le point réalisé régulièrement par les académies sur des questions aussi sensibles que les OGM, les ondes électromagnétiques ou l’impact des jeux vidéos sur les enfants s’apparente à une expertise, est d’ailleurs relayé comme tel dans les médias, et devrait donc respecter les « principes directeurs de l’expertise », dont le principe du contradictoire, ce qui est loin d’être le cas.
Suite à une première série d’affaires, reconnues comme « scandales », le législateur a entrepris un long travail de construction de la sécurité sanitaire et environnementale et, pour ce faire, a ouvert les « boîtes noires » des fondements scientifiques des décisions publiques. Il a d’abord été décidé de remplacer (ou de doubler) ces conseillers occultes, commissions diverses, parties d’administrations centrales, par des « agences ». Ces dernières sont instituées par la loi, ont des finances et des fonctionnaires, mais elles ont continué longtemps de fonctionner de manière largement autorégulée, dans le cadre d’un principe général d’impartialité, lié au statut de la fonction publique. On a ensuite introduit la pratique puis l’obligation des déclarations publiques d’intérêts, mais elles furent longtemps remplies de manière aléatoire, avec une transparence irrégulière. Ces premiers efforts, déjà importants, n’empêchent pas la répétition des scandales, malgré la création de l’Agence du médicament ou de l’Établissement français du sang. Après la crise de la « vache folle », on crée l’Agence de l’alimentation, puis l’Agence de l’environnement, puis on commence à remboîter tout cela en organisant un certain nombre de fusions. De crise en crise, on améliore le design des agences, du moins on pense l’améliorer, et on rajoute un peu de déontologie, de manière fragmentée et imprécise, laissant donc une part encore importante à l’autorégulation.
En 2011, le Conseil d’État annule d’une part un avis de l’AFSSE (Agence française de sécurité sanitaire et environnementale) pour des raisons de conflits d’intérêts dans le comité d’experts analysant un procédé de purification de l’eau, d’autre part, une recommandation de la Haute autorité de santé en raison de l’absence de déclarations d’intérêts de certains experts. Les agences réalisent qu’elles sont fragilisées par la sévérité des décisions. Une annulation est un acte grave qui oblige de tout recommencer, et les experts concernés se sentent mis en cause.
C’est alors qu’arrive l’affaire du Médiator. On fait la loi Bertrand, en décembre 2011, qui pose enfin les principes directeurs de l’expertise : pluralisme, transparence, objectivité, contradictoire. Le mot contradictoire apparaît dans la loi, c’est une sorte de mini-révolution. Alors que les controverses sont fréquentes dans les milieux scientifiques, les expertises destinées à l’évaluation des risques de tel ou tel produit sont presque toujours adoptées à l’unanimité, sans opinion dissidente. Quelques sociologues et quelques juristes se battaient, sans succès, depuis longtemps afin qu’il y ait prise en compte d’opinions dissidentes et reconnaissance du principe du contradictoire, mais on répondait que la science était objective, « une fois qu’on sait, on sait », donc il n’y a pas de contradictoire, notion juridique.
Je signale que maintenant les déclarations publiques d’intérêts ont été rendues uniformes par un décret de mai 2013, et obligatoires, sous peine de lourdes sanctions pénales. Le taux de réalisation effective est satisfaisant et surveillé par les agences. Celles-ci se sont dotées de chartes de déontologies. Donc, sans considérer que les problèmes de conflits d’intérêts sont résolus, on avance assez vite.
Le moment est donc venu d’ouvrir une nouvelle boîte noire et de s’interroger sur les données d’expertise. À quoi sert d’élaborer une déontologie de l’expertise rigoureuse si les données sur lesquelles elle s’appuie sont fausses ou incomplètes ? En effet, les autorisations de mise sur le marché s’appuient sur des évaluations de risques (et parfois d’avantages) qui sont menées à partir de résultats d’expérimentations obligatoires qui prouvent l’absence d’effets négatifs. Outre la difficulté à les obtenir – autant pour les institutions publiques et plus encore pour le public – certains résultats obtenus par le pétitionnaire sont écartés. Par exemple, en Allemagne, Monsanto avait écarté des résultats négatifs concernant des plantes OGM, il a fallu intenter une action en justice pour les obtenir. Le gouvernement a donc saisi le Comité éthique, économique et social du Haut conseil des biotechnologies (HCB), à la suite de l’affaire Séralini, pour faire le point de l’accès aux données brutes des pétitionnaires, qui sont difficiles à obtenir. Notons que la commande visait l’accès aux données brutes, pas leur qualité.
Le HCB a considéré que le problème était plus simple qu’on ne l’imaginait, car un certain nombre de commissions avaient déjà pris l’habitude de rendre publiques ces données si elles étaient demandées. Cette démarche s’appuie sur des textes anciens relatifs à l’accès aux documents administratifs.
Il s’avère que des textes contraignent les pétitionnaires à mettre à disposition des autorités compétentes l’ensemble des données brutes produites au cours de leurs évaluations, et que ces démarches avaient été mises en pratique avant même l’adoption du texte. Je cite par exemple des textes récents, comme le règlement de 2013 sur les OGM qui contraint les pétitionnaires à mettre à disposition des autorités compétentes l’ensemble des données brutes produites au cours de leurs évaluations. En fait, cela avait été déjà mis en œuvre avant l’adoption du texte. C’est aussi accessible au public à condition d’en faire la demande, sachant qu’un certain nombre d’ONG veulent que cela soit mis en ligne plutôt qu’accessible seulement sur demande. Je ne partage pas ce point de vue ; dès lors qu’elles sont accessibles, il n’y a pas de raison de les mettre en ligne automatiquement, ce qui permettrait de faire des traitements de données. A mon avis, cela faciliterait l’intelligence économique pour un bénéfice démocratique que je n’aperçois pas. En effet, l’analyse des milliers de pages que représente une évaluation de risques ne peut se faire chez soi à ses heures perdues et sans formation particulière. C’est un travail scientifique de haut niveau qui requiert la volonté, le temps et l’argent pour le faire. L’équipe qui veut s’y lancer doit s’organiser et faire la demande qui ne rencontrera aucun inconvénient. En revanche, cela permet de repérer une demande étrange qui peut cacher un concurrent. Disposer du nom de celui qui a fait la demande permet de surveiller les éventuelles contrefaçons.
À partir de là, qu’est-ce qui ne fonctionne pas encore très bien ? Certaines données restent difficilement utilisables, il faudrait qu’il soit rendu clairement obligatoire le fait que cela doit être sous une forme qui permet les traitements informatiques. Voilà pour l’accès.
En revanche, c’est toujours le pétitionnaire qui réalise lui-même les études ou les sous-traite à un prestataire avec lequel il se trouve en lien direct. Il me semble cependant essentiel qu’un fonds public soit mis en place. Il recevrait les rémunérations des pétitionnaires pour une réelle prestation de services, et choisirait directement les entreprises qui réaliseront les études, afin d’éviter qu’elles entretiennent un lien direct avec les pétitionnaires. Ça, c’est une vraie réforme qui reste à faire.
La deuxième réforme à faire, et elle n’est même pas pensée à ce jour, concerne la qualité des articles scientifiques publiés par les revues scientifiques. Il devient de moins en moins secret, et l’on en trouve la trace dans des ouvrages et des articles de journaux, que les doutes s’accumulent sur la mauvaise qualité des résultats scientifiques, y compris ceux qui sont publiés dans des revues à comités de lecture. Une enquête que j’ai menée de-ci de-là – mais cela n’entre pas dans mes compétences – m’a renvoyée sur des personnes qui ont fait des calculs plus précis, et qui estiment qu’en biomédecine on aurait quasiment 40% des résultats qui seraient contestables si des méthodologies rigoureuses étaient appliquées. Même en supposant une exagération de ce taux, il faut admettre que les expertises ne peuvent être satisfaisantes si elles sont fondées sur un taux aussi élevé de résultats faux.
Que faire ? Je n’ai pas encore imaginé de solution à ce sujet. Alfred SPIRA et moi avons réalisé un projet de colloque « tout ficelé » : il y a un programme de travail sur trois jours, nous n’avons pas encore mis de noms d’intervenants. Je l’ai transmis à de nombreuses personnes, pour l’instant nous n’avons eu aucune réponse. C’est comme si le problème n’était pas vu.
Je vous remercie.
Stéphane FOUCART : Elena PASCA, vous allez nous parler des réglementations, lois et dispositifs qui ont cours dans certains pays étrangers pour encadrer, voire sanctionner, une expertise fautive qui le serait de manière déontologiquement contestable pour des intérêts cachés ou des résultats qui sont volontairement biaisés par les experts.
Il est frappant de constater que les experts ne sont jamais inquiétés. Je ne résiste pas à une petite anecdote. Récemment, j’ai été en contact avec quelqu’un qui m’a dit : C’est tout de même scandaleux que l’Académie de médecine ait maintenu son article de 1996 qui dit en gros que l’amiante ne représentait pas un danger en cas d’exposition environnementale. Je ne l’ai pas cru, j’ai appelé l’Académie de médecine qui m’a confirmé que cet article, qui avait été publié dans les comptes rendus de l’Académie, n’avait pas été retiré et qu’une commission d’enquête serait montée par l’Académie pour vérifier… qu’elle avait raison. Je n’ai pas eu de nouvelle de la commission en question, qui apparemment n’a pas beaucoup avancé sur ce sujet.
Il me semble qu’il y a une sorte d’impunité des experts, dont va nous parler Elena PASCA tout de suite.
Encadrement de l’expertise : des leçons d’ailleurs
Par Elena PASCA, philosophe, Pharmacritique et FSC
L’Académie de médecine et l’Académie des sciences ne publient pas les déclarations publiques d’intérêts de ses membres. Il faut le savoir.
Pour commencer, je ne vais répéter ce que Stéphane FOUCART a dit, je voudrais simplement dire que je n’ai pas de conflits d’intérêts et n’en ai jamais eu. L’obligation de déclaration concerne actuellement les professionnels de santé, depuis l’article 26 de la loi de 2002, cependant, il me semble que tout intervenant sur de telles questions devrait préciser s’il a des conflits d’intérêts.
Stéphane FOUCART : Je ferai ma déclaration tout à l’heure.
Elena PASCA : D’accord, mais je ne vise personne, c’est dit de façon générale.
Pourquoi je m’intéresse aux pratiques étrangères ? Parce qu’en France, nous avons pour habitude d’avoir un regard franco-français et de dire, en particulier lorsqu’il s’agit d’un modèle législatif américain de dire : Oui, le néolibéralisme bat son plein là-bas, ils n’ont pas de leçon à nous donner, etc. Les préjugés selon lesquels l’État protégerait les citoyens, ou selon lesquels un médicament approuvé serait sûr car garanti par l’État, sont fortement enracinés en France. Or, quand on compare à d’autres pays, on s’aperçoit que ce n’est pas en France que l’on est le mieux protégé, et ce n’est pas forcément l’État fort, l’État républicain, l’État centralisé qui protège le mieux. Ce qu’il y a d’intéressant aux États-Unis – c’est de là que viennent principalement mes exemples – c’est qu’ils ont laissé la place, par leur législation, pour l’existence de grandes associations, qui ont des moyens d’action, qui sont des Watch Dogs (des chiens de garde), comme Public Citizens, Consumers International, et bien d’autres qui disposent d’une législation leur permettant d’intenter des procès, de demander des comptes, de demander à la FDA, l’Agence américaine du médicament, tout document ou le moindre papier sur tel ou tel médicament. Il existe donc une véritable possibilité d’action, car l’État n’a pas phagocyté la société civile. La société civile est vraiment crainte par l’État, notamment pour ces actions-là.
Je vais donner quelques exemples. Partons déjà de la loi évoquée également par Marie-Angèle HERMITTE. Certes, la loi de 2011 portée par Xavier BERTRAND comporte des avancées. Toutefois, s’agissant de l’expertise et de la répression d’éventuels dérapages, soupçons de corruption ou de conflits d’intérêts, le langage scientifique d’apparence neutre traduit les conflits d’intérêts et en permet la dissémination. En effet, un auteur peut être simultanément consultant pour une entreprise, expert et chef de service dans un hôpital, et mettre en place un protocole de référence. Ces leaders d’opinion, que l’on appelle aussi dealers d’opinion, fabriquent l’opinion d’abord de leurs confrères. Or, on sait que malheureusement dans notre République, il y a toujours des ordres professionnels qui s’autorégulent, notamment l’Ordre des médecins, qui nous intéresse ici au plus haut point, et qui échappe forcément à la loi. Il n’est donc pas possible d’encadrer l’expertise.
Ce que je viens de décrire, à savoir cette dissémination des conflits d’intérêts au moyen de la traduction de ces conflits d’intérêts en langage scientifique d’apparence neutre, se propage dans toute la société, dont les associations de patients, etc.
La mesure phare de la loi de 2011 prévoit des amendes en cas de non-déclaration des liens d’intérêts. Toutefois, le « gendarme » n’a pas été trouvé. Le Conseil de l’ordre des médecins s’est proposé, mais il est juge et partie, car il gère les conflits d’intérêts des médecins avec les industriels et détermine si un médecin peut être consultant ou faire partie du speaker bureau de tel ou tel laboratoire. C’est resté complètement en suspens. Le Conseil national de l’ordre des médecins a proposé de s’occuper de ce problème, c’est-à-dire de faire le « gendarme », et c’était curieusement le même jour qu’à l’Assemblée nationale, le 4 octobre, on votait en dernière lecture cette loi que le Conseil de l’ordre organisait un colloque pour dire : nous, on veut bien s’occuper de cela mais il nous faut de l’argent, il faut que nous soyons payés pour ça. C’est toujours l’exigence de moyens supplémentaires pour les médecins.
Jerome KASSIRER, médecin critique des dérapages médicaux pharmaceutiques aux États-Unis, et d’autres critiques, savent très bien que la déclaration est un faux problème, de même que la transparence si elle est vue comme un but en soi. Insister sur la transparence signifierait que plus rien ne compte une fois la déclaration publique effectuée. Des leaders d’opinion l’ont bien compris. J’ai assisté en décembre 2010 à une réunion à la Haute autorité de santé, portant sur l’expertise et les conflits d’intérêts, pendant laquelle un leader d’opinion en matière cardiovasculaire, Nicolas DANCHIN, professeur au Centre Georges Pompidou, a projeté la liste des ses liens d’intérêts avec un tas de laboratoires, et il a dit : « Voilà mes conflits d’intérêts, qu’allez-vous faire maintenant ? Vous pensez que je n’ai rien à dire ? Ou vous pensez qu’ils m’achètent tous ? » L’idée était qu’une multitude de conflits d’intérêts s’annulerait – ce qui n’est bien sûr pas le cas.
Ce que je veux dire là, mais nous n’avons pas le temps de tout détailler, c’est que si l’on insiste sur la transparence, on ne va pas jusqu’à l’objectif qui est l’élimination de ces conflits d’intérêts, parce que le seul fait de les déclarer ne les change en rien les conséquences de ces conflits d’intérêts. Leur déclaration n’élimine en effet pas leurs conséquences.
En France, cette loi n’a donc pas apporté de mesures structurelles et n’a pas modifié le cadre législatif et juridictionnel. Le système est resté tout autant pharma-amical, il n’y a pas eu de bouleversements. On pourra en discuter après de petites mesurettes cosmétiques, dans les faits, on a toujours des ordres professionnels qui s’auto-régulent, qui font des expertises qui arrangent leurs commanditaires.
J’en viens maintenant à quelques exemples de moyens législatifs aux États-Unis. Il ne s’agit pas de ce qui est fait ou pas aux États-Unis ; ce qui m’intéresse ici, c’est ce qui existe dans leur corpus législatif. La manière dont c’est appliqué ou pas, c’est une autre problématique qui n’est pas l’objet de mon intervention aujourd’hui. Pour l’instant, je me contente d’observer que contrairement à la France, des lois existent aux États-Unis.
La loi « False Claims Act » dans sa première version existe depuis 1863 – elle a été actualisée à maintes reprise depuis. Elle a été édictée dans le cadre de la Guerre civile et stipule que pousser le gouvernement à payer pour un objet défectueux constitue une fausse allégation ou une demande frauduleuse de certification ou l’occultation délibérée des défauts d’un produit. Dès lors que l’argent de l’État est gaspillé de manière injustifiée, cette loi intervient.
Des États peuvent intenter des actions en justice en vertu de cette loi, ainsi que l’État fédéral, des actionnaires, des victimes, individuellement ou en recours collectif. Charles GRASSLEY, sénateur républicain, président, jusqu’en 2006, de la puissante Commission des finances du sénat américain, était chargé de l’application de cette loi et avait les pouvoirs de lancer des enquêtes sur les industries ou de s’en prendre à des dignitaires de l’administration. Il a par exemple menacé de prison un responsable de l’Agence américaine du médicament (FDA), s’il ne lui communiquait pas tous les documents sur tel ou tel médicament. En 2004, il a été sensibilisé par l’épidémiologiste David GRAHAM, lanceur d’alerte du Vioxx, qui était menacé notamment par la FDA pour laquelle il travaillait. Il est alors devenu un protecteur des lanceurs d’alerte et a mis en place, pour eux, une ligne directe de fax, qui existe toujours. Il a lancé des dizaines d’enquêtes sur des médicaments défectueux.
La loi « False Claims Act » a permis de sauver environ 20 milliards de dollars. Le procès n’est pas toujours nécessaire. Une menace de procès suffit parfois pour récupérer de l’argent. Pour l’année fiscale 2009, 1,6 milliard de dollars a été récupéré par l’État sans charge criminelle, sans qu’il y ait besoin de mener de procès. Deux tiers des amendes perçues en vertu de cette loi proviennent de l’industrie pharmaceutique.
Cette loi permet également un contrôle des prêts publics. Les malades à faible revenu sont couverts par le Medicaid et les malades chroniques sont couverts par l’assurance publique Medicare. Le gouvernement se bat pour fixer des prix plus bas pour ces deux programmes. Toutefois, les laboratoires trouvent le moyen de facturer davantage. Ils sont souvent poursuivis, notamment sur la base de cette loi. Sanofi, par exemple, a été lourdement condamnée pour avoir voulu frauder le Medicare. Les établissements hospitaliers et les médecins à titre individuel peuvent également être poursuivis au titre de cette loi.
La loi inclut en outre la protection des lanceurs d’alerte, qui sont souvent des parties prenantes dans le cadre des procès. Ils obtiennent une rétribution à l’issue des procès, laquelle cependant n’est pas à la hauteur des risques importants qu’ils prennent.
D’autres réglementations renforcent le « False Claims Act », dont le « Whistleblowers Protection Act » de 1989. Une loi fédérale de 1987, le « Anti kickback statute » s’oppose aux pots-de-vin. Toute action qui induirait l’achat ou la vente de produits de santé remboursés par des programmes fédéraux (Medicaid, Medicare, etc.) peut être considérée comme ayant induit des dépenses injustifiées, comme des cadeaux à un médecin pour l’inciter à prescrire un médicament « me-too » plus cher et inutile. Cette action peut tomber sous le coup de cette loi, qui prévoit des peines d’emprisonnement de cinq ans maximum et des amendes.
La loi antimafia « Racketeer Influenced and Corrupted Organizations Act » (RICO) édicté en 1964 fait partie d’un corpus de lois destinées à contrer les organisations ayant des méthodes mafieuses, soit de racket, soit d’influence des prescripteurs, notamment de médicaments. Une conspiration nationale d’un laboratoire pour faire prescrire un nouveau médicament « me-too » tombe sous le coup de la loi. C’est ainsi qu’en 2009, le laboratoire Eli Lilly a été condamné pour son neuroleptique à une amende de 2,5 milliards de dollars. Les procureurs ont averti les médecins que cette loi pouvait s’appliquer également à des médecins à titre individuel.
Outre un moyen de répression, ces lois représentent des moyens de dissuasion contre la fraude, les conflits d’intérêts.
En 2004, une filiale du laboratoire Pfizer a été traduite en justice, sous le coup de la loi « False Claims Act », pour la promotion hors AMM du Norantin, qui induisait des dépenses d’argent public injustifiées et des effets secondaires. Pfizer a réglé une amende de 400 millions de dollars. Le procureur général a mis cette somme à la disposition de 13 équipes chargées de présenter des programmes d’éducation critique à des médecins et des consommateurs pour leur apprendre à sortir du mirage du discours marketing pharmaceutique. Celles-ci ont développé des supports éducatifs, des séminaires, des sites, des ateliers de lecture critique et ont mis des moyens à destination des consommateurs pour contrer la publicité directe au consommateur en matière de médicaments. Seuls les États-Unis et la Nouvelle-Zélande autorisent ce type de publicité pour les médicaments.
Par ailleurs, une fois condamnée, une firme pharmaceutique voit son dossier remis à l’« Office of Inspector general », qui correspond à une IGAS qui serait, elle, dotée de vrais pouvoirs. Cette instance met à l’épreuve les firmes sous peine d’être exclues des programmes publics de santé (Medicaid, Medicare), ce qui induirait pour elles d’énormes pertes de revenus. Les programmes privés d’assurance maladie possèdent également leur liste de médicaments. Un médicament exclu de cette liste entraîne un effondrement du chiffre d’affaires. Les termes des accords entre les laboratoires, les médecins, les établissements hospitaliers, etc., et l’« Office of Inspector general » figurent sur un site public, ce qui permet à tous de connaître la nature des délits et les condamnations encourues.
En outre, les laboratoires sont obligés de faire figurer sur leur propre site Internet la monographie complète du médicament telle qu’elle a été mise en place par la FDA. En France, vous n’avez cela que dans le Vidal, réservé aux professionnels de santé, bien que les deux ressources n’aient rien de commun.
De nombreux programmes de transparence et de notations existent également. Par exemple, chaque faculté de médecine est notée en fonction de sa politique de conflits d’intérêts.
Dans le cadre de l’indépendance des expertises, le National Institute of Clinical Excellence (NICE), en Grande-Bretagne, et l’Institut für Qualität und Wirtschaftlichkeit im Gesundheitswesen (IQWiG), en Allemagne, analysent le rapport bénéfices-risques mais aussi le rapport coût-efficacité et efficience.
En Grande-Bretagne, la loi « Bribery Act » qui a été promulguée en 2010 représente actuellement la loi anti-corruption la plus dure au monde. Il y a eu beaucoup de batailles parce que c’était la dernière loi des travaillistes et les conservateurs ont essayé de la bloquer mais les décrets sont parus en avril 2012.
En Allemagne, une enquête auprès de 3 000 médecins depuis 2007 au sujet d’actes de corruption et conflits d’intérêts a été abandonnée car il n’existe pas de qualificatif juridique, comme en France. Un certain nombre de tribunaux ont cependant condamné des professionnels de santé entre janvier 2011 et juin 2012, lorsque la cour de cassation allemande a désavoué ces condamnations pour des raisons législatives. Un débat public a été lancé, ainsi qu’une proposition de loi pour modifier le code pénal fédéral, notamment l’article 229, qui criminaliserait les conflits d’intérêts en cas de réussite de cette loi.
Questions de la salle
Stéphane FOUCART : On va peut-être prendre quelques questions.
Un monsieur (nom non indiqué) : Marie- Angèle, dans tes propositions, tu dis qu’il faudrait que les données de base soient facilement accessibles et utilisables, que ça ne devrait pas être difficile. Je suis un peu plus sceptique. Je crois que c’est un vrai problème et il n’est pas évident que ce soit facilement utilisable par tout le monde. Ça nécessiterait, à la limite, une standardisation du recueil de ces données, de leur organisation, et je ne parle pas là des données qui sont informatisées, avec des fichiers qui ont des formats compliqués et de leur utilisation en dehors de l’équipe de chercheurs initiale. Il faut vraiment s’y pencher à fond, à mon avis.
Marie-Angèle HERMITTE : C’est effectivement le point sur lequel la recommandation a demandé de faire évoluer les choses. Ça a commencé à évoluer puisque déjà les autorités publiques ont eu une sorte de fonction pédagogique. Là, je parle de ce que je connais. L’agence du médicament, je ne la connais pas de l’intérieur. Je connais mieux ce qui se passe à l’ANSES, du fait de ma présence au Comité de déontologie. Là, il est clair que les experts de l’ANSES ont déjà demandé, depuis longtemps, que les formats soient plus facilement utilisables. Donc, à partir du moment où les autorités publiques le demandent, le public a accès à la même chose que les experts, il bénéficie de la même organisation. De toute façon, il est bien évident que ce n’est pas le public, ce n’est pas moi qui avons un intérêt à avoir accès aux milliers de pages qui sont nécessaires pour regarder les analyses toxicologiques, etc. C’est uniquement dans un certain nombre de cas, un peu exceptionnels, où un regroupement de chercheurs dans des associations du type CRIIRAD, par exemple, peuvent utiliser les données – parce qu’ils sont eux-mêmes chercheurs, et sont eux-mêmes du domaine – ou peuvent demander à des contre-expertises de refaire les expertises qu’ils estiment mal faites. J’allais dire « ce n’est pas vous et moi » ; il y a certainement dans la salle des gens qui sont capables de faire ça. Évidemment, moi, en tant que juriste, non.
Elena PASCA : Je voudrais ajouter que disposer des données brutes est absolument essentiel. Je donne un exemple, ce sera plus simple :la revue Prescrire a demandé à l’Agence européenne du médicament toutes les données sur le Rimonabant, qui était vendu sous le nom « Acomplia », me semble-t-il, qui avait été rejeté aux États-unis. Ce qu’elle a eu de la part de l’Agence européenne, c’était des feuilles à 80 % noircies. Tout ce qui était vraiment important était noirci. Voilà des professionnels de la santé capables d’analyser des données cliniques, capables d’analyser des essais cliniques, et ainsi de suite, qui ne reçoivent rien. Il y a beaucoup d’exemples de ce type. On n’a toujours pas accès à ce corpus EudraCT - CT pour « clinical trials » – un corpus européen. Pourtant, il y a beaucoup de scientifiques, de pharmacologues, de revues indépendantes qui seraient parfaitement capables d’analyser cela…
D’autre part, encore une mention. Qui pourrait faire un excellent usage des données brutes ? Réponse : une unité de pharmacologie clinique auprès de l’Agence du médicament. On devrait avoir une telle unité indépendante, parce que ce qui se passe, c’est que l’AMM, ou l’homologation, comme vous voulez, est accordée sur la base uniquement du dossier donné par un laboratoire. Il n’y a pratiquement aucune autre expertise, aucune contre-expertise. Vous disiez que la loi a introduit le pluralisme, l’expertise contradictoire, mais ça n’existe pas dans les faits. C’est ce que je voulais dire.
Marie-Angèle HERMITTE : Dans un certain nombre de domaines – et, je le dis encore, je ne parle pas du médicament parce que je n’ai pas d’expérience pratique du médicament – il y a maintenant, dans un certain nombre de commissions d’experts spécialisées, des gens qui ne sont pas du tout du même avis. Le contradictoire commence donc à exister, c’est tout récent. Vous savez, une loi de 2011 produit de vrais effets sept ou huit ans plus tard. Les décrets d’application viennent à peine d’être adoptés. Après, il faut le temps de changer la culture. Ça met du temps. Ceci dit, dans le domaine que je connais, ça a déjà produit des effets. Il s’agit, dans le premier cas, d’un conflit d’intérêts qui n’a pas abouti à l’exclusion d’un expert, ce qui aurait dû être fait. Cela concernait un procédé de filtration de l’eau, pour avoir une eau potable à la sortie. Là, un membre de la commission d’expertise était titulaire d’un brevet qui n’avait jamais été exploité et qui portait sur un domaine technique très proche, même si ce n’était pas le même type de procédé. C’était, en tout cas, pour le même objectif que celui qui faisait la demande pour enregistrer son propre procédé. Il y avait une forme de concurrence entre les deux. Le Conseil d’État a donc estimé que dans ce cas, l’expert titulaire du brevet, concurrent quoique non exploité, aurait dû partir, ce qui me paraît exact. D’autre part, un autre membre de la commission d’évaluation siégeait au conseil scientifique, certes deux fois par an, certes de manière bénévole, mais siégeait au conseil scientifique d’une entreprise concurrente du fameux procédé. Là aussi, le Conseil d’État a estimé qu’il s’agissait d’un conflit d’intérêts qui aurait dû conduire à exclure ces deux experts de l’évaluation en question.
L’autre décision est un peu moins intéressante, encore que. Cela impliquait la Haute autorité de santé, et les recommandations en matière de diabète. Un certain nombre d’experts n’avaient tout simplement pas rempli leurs déclarations publiques d’intérêts. Or le Conseil d’État a estimé que le fait de ne pas les avoir remplies suffisait à invalider la recommandation. Il est revenu en arrière dans deux décisions plus récentes, dans lesquelles il dit : « Finalement, il suffit que les déclarations soient présentes au moment où les tribunaux statuent. » Je trouve qu’il est très dommage qu’il soit revenu en arrière, parce que ça avait vraiment conduit les experts à faire beaucoup plus attention. C’est très assommant de remplir les déclarations publiques d’intérêts. Je le fais, je déclare par exemple le fait que j’ai travaillé pour Sciences citoyennes au projet de loi sur la protection des lanceurs d’alerte et ça m’a été reproché, je vous le dit tout net.
Sur la question des données brutes, elles ne sont pas vraiment dans le domaine public. Elles sont la propriété de celui qui les a produites, ce qui est tout à fait normal juridiquement, et elles sont accessibles par le truchement de l’accès aux documents détenus par les administrations et établissements publics. Mais elles ne sont pas dans le domaine public stricto sensu et je continue de penser qu’elles n’ont pas de raison d’être dans le domaine public. Je suis opposée à leur libération sur Internet, pour les raisons que j’ai déjà indiquées, mais aussi pour une raison pratique. Lorsqu’il faut faire la demande pour avoir accès, si on a accès facilement, au moins ça permet d’avoir la traçabilité des demandes et de savoir qui a demandé. Si c’est une association du type CRIIRAD ou CRIIGEN, etc., ce n’est pas problématique. Si c’est une université chinoise, ça l’est plus. Il faut donc pouvoir suivre les demandes qui ont été faites.
Stéphane FOUCART : On va prendre, cette fois, plusieurs questions.
André CICOLELLA : Il y a une question qui a été un petit peu abordée mais il est intéressant de la fouiller parce qu’elle est d’actualité. C’est la question des revues scientifiques et la façon dont les articles sont évalués, sur quels critères ; c’est quand même un trou noir. Je me souviens d’un article qu’on avait soumis à une revue de toxicologie, il y a quelques années, sur les éthers de glycol. On avait un avis de je ne sais pas qui, qui disait que les Français passaient trop de temps à prendre des congés payés. Quel était le rapport avec l’article qu’on avait fait ? Aucun. L’article avait été refusé. On sentait le type qui s’était défoulé en toute liberté. Je ne dis pas que c’est systématiquement comme ça mais on a un exemple récent. C’est l’article de Gilles-Éric Séralini qui a été retiré avec des conditions que le rédacteur en chef lui-même est gêné d’expliquer car il le retire avec des critères qui ne correspondent pas à ceux que publie la revue, et qui ne s’appliquent pas aux autres, notamment à l’article publié par Monsanto quelques années avant. On voit bien qu’il y a une intervention directe sur la revue. Ça pose un problème de fond qui est que ces revues dépendent aujourd’hui de quelques grands groupes, qui ne font pas ça uniquement pour le plaisir de la science. Il y a un enjeu qui dépasse les limites franco-françaises, qui est un enjeu international. On a là aussi un autre exemple sur les perturbateurs endocriniens, les 17 ou 18 rédacteurs en chef qui ont pris des positions et, après, un travail – je crois que c’est CEO qui l’a fait – a montré qu’il y avait un conflit d’intérêts pour la plupart de ces rédacteurs en chef. Là, il y a un trou noir qu’il faut aujourd’hui éclairer parce que c’est, à mon avis, une des clés si on veut progresser à ce niveau. Je crois que c’est un champ qu’on doit développer à la Fondation sciences citoyennes.
Stéphane FOUCART : C’est Stéphane Horel qui avait décelé les conflits d’intérêts en question. Une autre question, intervention ?
Dominique DORE, Directrice d’un fonds de dotation qui s’appelle Eco-Action 21 : Dans le cadre d’une soirée où on cherchait à avoir des données « genrées », donc les données « hommes et femmes », on a eu comme conférencier quelqu’un, Henri Verdier, qui se présente comme étant au service du Premier Ministre, dans un groupe qui s’appellerait Etalab, qui serait normalement un groupe travaillant sur la récolte des données. Il y a peut-être un pont à faire dans ce cadre, mais ce n’a pas l’air d’être un service très connu.
Bertrand BOCQUET : Je voulais aussi intervenir sur les aspects de publication scientifique pour compléter ce qu’a dit André. Aujourd’hui, la recherche scientifique est un facteur économique important. Sa diffusion est donc également importante. Il y a une pression aussi de publication vis-à-vis de la communauté des chercheurs. C’est aussi à considérer. Il y a peut-être des grands groupes internationaux qui en tirent un bénéfice important, de ces publications scientifiques à forte valeur ajoutée, mais il y a également un autre côté – je pense qu’il y a un effet ciseau – qui fait qu’aujourd’hui, on est chercheur soumis à publication, avec une intensité et une productivité de travail, qui au niveau de reviewing de revue peut être aussi pénalisant parce qu’il faut aller vite. Je ne vois pas comment, à part avec la déontologie et la responsabilité des chercheurs, qui est aussi engagée, comment on fait pour réguler tout ça.
Stéphane FOUCART : Une autre question, intervention ?
Catherine BOURGAIN : Je voudrais rebondir là-dessus parce que je pense qu’il n’y a pas que la déontologie, il y a l’engagement des structures qui financent la recherche, les organismes de recherche, les universités, etc. Je sais que cela fait partie des réflexions au sein du Conseil d’éthique à l’Inserm, par exemple, à l’Institut de la recherche médicale, où on commence à réfléchir sur comment faire pour ne plus arriver à 40 % ou 20 % de publications qui sont fausses. Ça engage aussi les systèmes d’évaluation des chercheurs. C’est toute l’institution de la recherche qui est engagée, et pas seulement au niveau national mais également aux niveaux européen et international.
Marie-Angèle HERMITTE : Il faudrait peut-être signaler qu’il commence à y avoir une prise de conscience, malgré tout, et au niveau international. La déclaration de Singapour de 2007 sur l’intégrité de la recherche scientifique a créé une petite communauté internationale de gens qui y réfléchissent. Ils se réunissent maintenant chaque année, mais c’est le début. Est-ce que c’est susceptible d’apporter une sorte de frein à cette compétition dans la publication qui a abouti à tout et n’importe quoi ? Le COMETS du CNRS vient également de lancer une alerte à ce sujet.
Stéphane FOUCART : Elena voulait vous dire quelque chose. Ensuite, une dernière intervention de Martin Pigeon.
Elena PASCA : Juste une précision quant aux revues médicales, car là encore, la question des conflits d’intérêts, bien entendu, André l’a parfaitement dit… C’est justement parce qu’il l’a dit que ça devrait être un sujet pour la Fondation sciences citoyennes. J’avais proposé qu’on fasse une proposition, une sorte d’ours de déontologie, que nous pourrions proposer à toutes les revues, un ours de déontologie qui serait rédigé de façon suffisamment large pour convenir à tous les domaines, convenir aussi bien à une revue de médecine qu’à une revue de biologie, etc. Dans cet ours de déontologie, il y aurait non seulement la question des déclarations d’intérêts mais aussi, pour chaque article qui rendrait compte d’un essai clinique, il y aurait l’obligation de dire si l’essai clinique en question a été financé uniquement sur fonds public, s’il y a des financements privés, par qui et dans quel but, s’il y a un certain nombre de tirés à part, parce qu’on sait très bien que de nos jours, un moyen d’influencer les revues et de les obliger à publier un article, c’est de leur commander par exemple 10 000 tirés à part sur cet article en question parce que ça apporte beaucoup d’argent, et on sait que dans une conjoncture très précaire financièrement… Voilà, il y a un certain nombre de moyens – je ne peux pas tous les énumérer ici – qui font qu’il n’y a pas que les conflits d’intérêts directs qui s’exercent, il y a aussi des moyens d’influence des industriels sur les revues pour publier tel article ou pour retirer tel autre. Un tel ours déontologique serait une bonne initiative.
Stéphane FOUCART : J’ajoute une chose : il serait très simple et très utile de préciser les financements d’une étude dans l’abstract et de ne pas obliger les associations ou les citoyens qui veulent se faire une idée à acheter chaque article pour savoir exactement par qui il a été… C’est quelque chose à laquelle la presse est elle-même confrontée dans son travail quotidien sur la science : on ne sait pas, à la lecture de l’abstract, qui paye.
Elena PASCA : Il y a un programme, et cela complète ce que je viens de dire sur les revues, qui s’appelle Integrity and Science Watch Database, mis en place aux États-unis par un de ces veilleurs, pour ne pas dire watchdog – désolée pour la traduction primaire. Là, on peut faire des recherches – certes cela concerne les États-unis – sur les paiements qui ont été faits à telle publication, à tel établissement… On a une base de données importante là-dessus.
Stéphane FOUCART : Le mot de la fin ? Parce que je suis en train de me faire gronder.
Nicole Marie MEYER : Pour finir avec les lanceurs d’alerte, parce que nous avons commencé par eux, merci infiniment d’avoir présenté si remarquablement le False Claims Act de 1863, loi fondatrice. J’ai ouvert la matinée en le citant brièvement, mais ai développé le Public Interest Disclosure Act britannique ; c’est donc bien que vous ayez fait un exposé complet de cette première loi. 5 milliards de dollars ont été recouvrés via le FCA pour l’année 2012, pour compléter les chiffres. Il y a par ailleurs aussi, aux États-Unis, pour les lanceurs d’alerte, de grandes institutions en contre-pouvoir. Le GAP (Government Accountability Project), institution caritative créée en 1977 pour le soutien aux victimes (avec une ligne d’urgence) et agence indépendance, qui fait à la fois des formations, des études et recommandations au gouvernement pour les réformes nécessaires, ou deux associations extrêmement puissantes de lanceurs d’alerte, dont le National Whistleblowers Center de Washington, qui vient d’obtenir 104 millions de dollars de dommages et intérêts pour Bradley BIRKENFELD.
Elena PASCA : Pour ce qui est de la protection des lanceurs d’alerte, je n’ai pas eu le temps parce qu’il y a des dispositifs en fonction des domaines. Il y a donc une vingtaine de réglementations de protection des lanceurs d’alerte. Pour répondre, parce que je n’ai pas répondu tout à l’heure à propos des SLAPP. Les SLAPP (Strategic Lawsuit against Public Participation) sont une mesure d’intimidation, tout simplement. En France, on peut toujours utiliser la loi contre la diffamation comme un SLAPP – cela a été traduit par « poursuite bâillon ». Aux États-Unis, par exemple, les poursuites en vertu de la False Claims Act sont aggravées si l’industriel en question a essayé de mettre en place une SLAPP contre le lanceur d’alerte. Je n’ai pas le temps d’approfondir. Je dis juste que tous ces statuts et toutes ces réglementations de protection des lanceurs d’alerte sont réunis dans ce qu’on appelle Office of the Whistleblower Protection Program. C’est en particulier dans le Département du travail, Labor Occupational Safety and Health administration, donc travail, santé, risque au travail. Il y a donc un département spécifique qui réunit tout cela sous un programme d’ensemble.
Nicole Marie MEYER : Vous trouverez une information sur les dispositifs étrangers et notamment européens sur le site de Transparency International France http://www.transparency-france.org/.
Stéphane FOUCART : C’était le mot de la fin. Je suis désolé pour l’intervention que j’avais promise mais il est 50, il est l’heure. Merci à tous.