Fabrique de sens
 
Accueil > Médiation scientifique > "La matière, des Grecs à Einstein", cours (2) donné par Françoise Balibar (...)

"La matière, des Grecs à Einstein", cours (2) donné par Françoise Balibar au Collège de la Cité des sciences

Transcription par Taos Aït Si Slimane, du cours du 04 décembre 2003. Un texte initialement publié sur le blog "Tinhinane", le samedi 5 août 2006 à 19 h 33.

On retracera les étapes (du XVIIe au XXe siècle) de ce que l’on a pu appeler (à tort, on dira pourquoi) une désubstantialisation de la matière. Là encore on adoptera une perspective volontairement anachronique, en insistant sur les difficultés rencontrées, les solutions apportées à diverses étapes du développement de la théorie et en soulignant le caractère irréductible des apories ainsi mises à jour. Irréductibilité dont on sait - d’où la perspective anachronique – que la physique n’a pu (partiellement) venir à bout qu’en développant un paradigme radicalement nouveau. La séance se terminera par la démonstration du fameux E = mc2 , que l’on peut considérer comme l’aboutissement de la synthèse classique

Merci à vous tous d’être venus ou revenus. J’en suis très flattée.

Je voudrais faire une remarque à propos du style de ces cours car j’ai bien compris qu’il s’agit de cours et non de conférences. Ici, c’est un Collège, donc, je fais cours. Ceci étant, certains ont pu s’étonner, voire récriminer, à propos du style de ce cours qui peut être jugé philosophique, voire trop philosophique. Je suis prête à entendre toutes les plaintes, mais je dis, tout de suite, que c’est intentionnellement que j’agis ainsi. J’ai enseigné pendant près de quarante ans, à l’intérieur de l’université, enfin de l’Éducation Nationale, avec des programmes et avec l’idée, tout le temps, qu’il faudrait faire autre chose. Le résultat d’ailleurs est celui que vous avez pu lire dans Le Monde il y a deux ou trois jours, qu’il y a -46% d’étudiants en physique entre 1995 et 2000, j’ai moi-même assisté à cette dégringolade des effectifs et ce que je fais ici, profitant du fait que ce collège ne relève pas de l’Éducation Nationale, qu’il n’y a pas d’examen et de contrôle de ce type après, il faut que vous le preniez, en tout cas moi je le prends ainsi, comme une tentative pour essayer d’enseigner la physique autrement. Je ne dis pas qu’il ne faudrait faire que ça, mais sur un sujet comme celui-là, je crois qu’on peut enseigner la physique autrement. En somme, je vous prends comme cobayes et aussi j’aimerais avoir vos réactions à ce type de proposition. En fait, je suis en train de construire une tentative pour faire passer la physique autrement, étant donné que la manière dont c’est enseigné maintenant, ça ne passe pas vraiment bien. En somme, je voudrais l’enseigner comme une philosophie naturelle, ou en tout cas partiellement comme une philosophie naturelle, puisqu’aussi bien ça a été une philosophie naturelle jusqu’au XVIIIe siècle.

Je vais faire aussi, avant de commencer, trois remarques sur ce que j’ai dit la dernière fois. Je me suis arrêtée à Aristote après avoir arbitrairement commencé aux Grecs de l’Ile de Milet, être passée par Parménide au Ve siècle et puis ensuite j’ai transité vers les atomistes et ça nous a amenés vers le Ve siècle (-420) avant J.-C. et au moment où naît Platon qui sera suivi d’Aristote, tout ça pour fixer les générations. J’ai insisté sur le fait qu’avec Parménide, sur la base d’un argument purement logique, s’introduit la question du changement qui lie définitivement la question de la matière à celle du mouvement, comme on peut le voir jusque maintenant. La question de la matière et du mouvement que l’on peut élargir à la question de la matière et de l’espace et même du vide, est une question centrale à partir justement de cet argument de Parménide qui oblige à tenir compte du changement. Ça c’est une première remarque.

Vous avez remarqué, aussi, que tout cela n’a rien d’exotique, je vous ai parlé d’atomes, d’enquêtes sur la nature, à propos des Grecs archaïques etc., il n’y a guère que Parménide qui puisse vous être apparu comme justement un philosophe nécessairement un peu exotique. De fait, tout ça est trop familier, on aurait trop tendance à penser qu’il y a eu une reprise de cette tradition par-dessus Platon, Aristote, puis tout le début de l’ère chrétienne jusqu’à y compris le Moyen Âge français pour que tout d’un coup à la Renaissance, comme par miracle, avec Galilée, on retrouve cette ancienne tradition atomiste qui va donner les résultats que l’on sait et qui sera évidemment la bonne piste. Je voudrais lutter contre cette vision qui consisterait à voir en somme que la physique a bien commencé, puis tout d’un coup s’est arrêtée pour Dieu sait pourquoi et, a heureusement repris avec la découverte des manuscrits grecs avec la Renaissance. Encore une fois, tout ce que j’ai dit la dernière fois vous a semblé familier, mais c’est trop familier.

Alors, aujourd’hui, troisième remarque, je vais aborder Aristote et j’irai jusqu’à Galilée, inclus Galilée et Newton, je change un peu mon programme par rapport à ce que j’ai annoncé sur Internet, j’irai jusqu’à Einstein parce que je dois le laisser à mon successeur Jean-Marc Lévy-Leblond avec tout ce qu’il faut pour parler de la mécanique quantique, mais je serai beaucoup plus rapide que ce que j’ai fait jusqu’à maintenant. Évidemment l’idéal aurait été de pouvoir développer ça plus longtemps, mais c’est comme ça. Donc, aujourd’hui je parlerai d’Aristote, qui nous paraît aujourd’hui totalement exotique, je ne vois pas d’autre mot, mais qui représentait en fait une manière tout à fait acceptable de raisonner pour l’époque, c’est-à-dire, je le rappelle, le Ve siècle avant J.-C. Si je vais m’attarder assez longtemps sur Aristote, pour ensuite m’attarder aussi longtemps sur Galilée, c’est parce que justement, du fait que la tradition aristotélicienne avait été reprise par le pouvoir ecclésiastique, par l’Église, mais d’ailleurs il n’y a pas que l’Église chrétienne, c’est vrai aussi du monde musulman, du fait que l’aristotélisme était en somme bien établi jusqu’à 1500 à peu près, Galilée et ceux qui l’entourent, mais disant Galilée comme une figure de proue, et de toute façon ça représente quand même une coupure, Galilée a été obligé de se construire en réaction contre cet aristotélisme, et par conséquent il est intéressant de savoir ce que ça veut dire. Deuxième raison, ce que je voudrais monter, c’est que la tradition de penser aristotélicienne pour exotique qu’elle nous paraisse aujourd’hui, en fait ne cesse de travailler de façon souterraine en dessous du premier niveau qui apparaît, et qui semble trop apparent, d’un atomisme prolongé, développé etc. Toutes les questions soulevées par l’aristotélisme restent intactes, quant au fur et à mesure que de Newton à Boltzmann se développe la théorie de la matière jusqu’à la fin du XIXe siècle, jusqu’à Einstein, qui n’est pas du XIXe siècle, mais disons jusqu’au début du XXe siècle, de fait l’aristotélisme, sous diverses formes, travaille de façon sous-jacente, je ne peux pas dire inconsciente, d’ailleurs je ne dirais pas inconsciente parce que ça n’a rien d’inconscient, de façon sous-jacente et souterraine, cette évolution présentée de façon trop linéaire habituellement.

Je passe à Aristote. Je l’ai dit la dernière fois, l’observation et l’expérience, certes existent, en tout cas l’observation dans le monde antique, jusqu’aux atomistes où nous nous sommes arrêtés la dernière fois, dans l’Antiquité, mais les arguments issus de l’observation et éventuellement de l’expérience, mais très peu, au sens où on construit une expérience de nos jours, au sens moderne d’expérience, tous ces arguments sont dominés par les arguments de logique. La logique prime. Ça nous semble là encore bizarre, ça ne l’est pas tant quand on pense que la logique a un rapport avec la langue, avec la manière dont on parle, et que si la physique a un rapport avec quelque chose, c’est bien avec la manière dont on parle, parce que sans langage, il n’y aurait pas de physique. Ce qui nous apparaît comme une bizarrerie de l’Antiquité, en fait c’est quelque chose que nous refusons de regarder en face. Que la logique soit importante, on l’a vu à propos même de Démocrite, puisque c’est un argument logique qui le conduit aux atomes. Les atomes sont des solutions à l’argument logique de Parménide, mais ce sont des solutions à l’intérieur de la logique qui sont assez peu fondées sur l’observation, or tout ceci est impensable aujourd’hui. Aristote de ce point de vue-là ne fait pas exception. L’observation est certainement plus présente que chez beaucoup de ceux qui l’ont précédé dans les textes. Et dans les raisonnements d’Aristote, c’est encore la logique qui prime. Son objectif, c’est le même que celui des atomistes, c’est de contrer l’argument de Parménide selon lequel il ne peut pas y avoir de changement, c’est un argument logique, j’y reviendrai tout à l’heure pour ceux qui l’auraient oublié dans son détail. En fait ce qu’il cherche à montrer c’est qu’on peut donner un sens au changement sans pour autant en rabattre sur les exigences de la logique. Alors que Parménide avait conclu que la physique était impossible, l’enquête sur la nature était impossible. La grande idée d’Aristote, c’est que l’être qui est au centre de l’argument de Parménide ne peut pas être défini de façon univoque. Évidemment s’il y a des philosophes dans la salle, je vous prie de m’excuser d’avance, je suis obligée de simplifier et de ne retenir qu’un certain nombre de choses. Une demi-heure pour Aristote ce n’est pas beaucoup.

L’argument est le suivant : je considère un être, un étant, comme on dirait aujourd’hui, par exemple un morceau de métal, et il prend le cas de l’airain. Il a des qualités qui le différencient des autres métaux mais cela ne suffit pas à le définir, ses qualités différentes des autres métaux déterminent ce qu’Aristote appelle son être en acte. Acte, cela veut dire réaliser, réel, actuel (en anglais ça veut dire vrai, comme c’est réellement). Donc ce morceau d’airain, avec ses qualités qui le différencient des autres métaux, il est ainsi dans son être en acte. C’est-à-dire qu’être en acte est défini par ses qualités. Mais cela ne suffit pas à le caractériser, dit Aristote, car ce même morceau d’airain peut devenir autre chose, par exemple une statue, autrement dit, il faut pour le caractériser ajouter tout ce qu’il pourrait devenir. C’est ce qu’il appelle son être en puissance. Donc l’être ne doit pas être défini de façon univoque, c’est l’être en acte qui est, c’est-à-dire tel qu’on l’observe, si on peut dire les choses comme ça très rapidement, c’est pas tout à fait juste, mais ce n’est donc pas simplement un être en acte, mais c’est aussi un être en puissance, avec diverses potentialités, puissance au sens de potentiel, quelque chose qui peut se développer. C’est aussi un être en puissance, lequel est représenté par l’ensemble des qualités qu’il peut acquérir, par exemple devenir une statue. D’après Aristote, c’est pour ça qu’il introduit cette distinction, l’être en acte et l’être en puissance doivent réduire à zéro l’argument de Parménide. Ça me donne l’occasion de répéter l’argument de Parménide. Nul être, selon Parménide, dit Aristote, n’est engendré puis détruit, puisque ce qui est engendré doit être engendré nécessairement ou de l’être ou de non-être, à partir de l’être ou à partir du non-être, mais l’être ne peut être engendré puisqu’il existe déjà, et rien ne peut être engendré du non-être qui n’est pas. Donc, on est bloqué. Cet argument, c’est ce que veut contrer Aristote avec la distinction être en acte et être en puissance et l’existence en puissance n’est que du non-être. D’ailleurs, la détermination de l’airain n’est pas, tant qu’un sculpteur ne l’a pas actualisée. La détermination future de la statue d’airain n’existe pas tant qu’elle n’a pas été actualisée, au sens de rendre « actual » en anglais. Mais le fait qu’elle soit actualisable empêche de la considérer comme du non-être absolu, donc l’existence en puissance n’est que non-être, mais ce n’est pas un non-être absolu, absolu est ici à opposer à relatif en ce sens que l’être en puissance est relatif à un certain être, il est rattaché en somme, il doit être rapporté à un certain être. Avec l’invention de l’existence en puissance, le non-être cesse d’être absolu, et c’est évidemment un coin enfoncé dans l’argument de Parménide, et il devient donc relatif à l’être. Alors ça c’est l’argument de l’être en puissance et de l’être en acte. C’est déjà quelque chose qu’on a du mal à avaler. La chose qu’on a le plus de mal à avaler dans Aristote, c’est l’importance qu’il accorde à la forme. C’est difficile à avaler pour nous, précisément, je l’avais plus ou moins dit la dernière fois, parce qu’avec la physique post-galiléenne, on cesse de se préoccuper de tout un type de problèmes qui ressurgissent depuis une vingtaine d’années, qui sont liés justement à la forme, à la morphologie, etc. Cela dit, le mot forme a un sens, il ne faut pas se tromper de mot. Le mot forme c’est en grec eidos et il se trouve, ça vous donnera une idée de l’effort qu’il nous faut faire pour comprendre de quoi il s’agit, eidos, quant il s’agit de Platon, on traduit par idée. Vous voyez donc que ce n’est pas la forme d’un moule, ou la forme délimitée par une surface à laquelle on pense, mais on n’a pas de mot en français, si ce cours se faisait en anglais je distinguerais shape et form. Que veut dire dans ces considérations le fait qu’il faille considérer à la fois l’être en acte et l’être en puissance, le changement ? Et bien ce n’est rien d’autre que le changement de l’être en puissance à l’être en acte. C’est-à-dire qu’à partir du moment où la statue, le bloc d’airain devient une statue, il change. Il était en puissance une statue, il devient en acte une statue d’airain, mais c’était totalement en puissance avant l’intervention évidemment du sculpteur qui lui imprime une forme, disons les choses comme ça. Le changement de l’être en puissance à l’être en acte se fait grâce à un principe de détermination puisque c’est une statue en airain, c’est plus déterminé qu’un bloc d’airain et à ce principe de détermination, Aristote donne le nom de forme. Cette forme a pour fonction en tant que principe, d’expliquer d’une part ce qu’est une entité, pourquoi elle est comme elle est. La statue est comme elle est. Deuxièmement d’expliquer la continuité dans le temps de l’être qui était en acte uniquement sous la forme de bloc d’airain et en puissance uniquement en tant que statue et qui devient en acte une statue à la suite de l’imposition de la forme réalisée par le sculpteur éventuellement. Donc cette forme, il faut la considérer comme un principe organisateur, plutôt que comme une forme au sens de shape justement, mais il faut aussi ajouter le fait qu’elle ne puisse pas exister à l’état séparé. Elle ne peut exister que si elle s’imprime sur un substrat, sur quelque chose, sur lequel elle s’imprime, un support, un sujet dirions-nous aussi, et ce support c’est la matière, d’où la conclusion que l’être, finalement, c’est l’union de la forme et de la matière. La matière, elle est, elle aussi impossible à connaître séparément, parce que dans le monde, toutes les matières, ce qu’il appelle les matières sensibles, sont réalisées sous forme d’êtres en acte, donc la matière est toujours en acte et en puissance, en devenir. Donc, l’airain par exemple, il est matière, en tant que condition indispensable à la réalisation de la forme, mais il est informe en ce sens qu’il n’a pas été formé, il est en attente d’une forme, donc le passage de l’être en puissance à l’être en acte qui en fait une entité. Alors cette entité c’est ce que Aristote appelle ousia, c’est un terme qu’on traduit souvent par substance, mais qu’on peut vouloir aussi traduire par entité, précisément pour des raisons que j’expliquerai plus tard sur les traductions de ousia qui ont fait que les choses sont devenues ce qu’elles sont devenues. C’est un mot qui n’est pas introduit, donc l’ousia, cela veut dire la substance, c’est la combinaison de deux choses, la matière informe et la forme qui en est une détermination. Le mot ousia n’est pas inventé par Aristote, on le retrouve déjà dans Eschyle etc., mais il en fait un usage extrêmement important. L’ousia est à la fois être en acte et être en puissance et le mot d’ordre de ce qu’on appelle l’hylémorphisme alors hylé à cause de ylé qui veut dire matière et puis morphisme, alors vous voyez : matière - forme, c’est que la substance est un composé irréductible de matière et de forme.

Le mouvement là-dedans, qu’est-ce que c’est ? Le mouvement ou le changement parce que chez Aristote, le mouvement est une catégorie de changement, une sous-catégorie de mouvement, et bien le mouvement c’est la médiation normale et naturelle entre être en puissance et être en acte, plus exactement d’être en puissance à être en acte. Donc l’ousia, la substance, est une combinaison irréductible de matière et de forme et le mouvement en tant que changement, c’est le passage de l’être en puissance à l’être en acte.

Ce bref résumé étant posé, je ne vais pas faire un cours sur la théorie d’Aristote, mais ce qui m’intéresse c’est comment tout ceci a voyagé jusqu’à nous. Très curieusement, alors que ce qui est déterminant chez Aristote, c’est la forme, donc c’est le matérialisme d’une certaine façon, en tout cas la matérialité des choses est plutôt du côté de la forme, que de la matière, et d’ailleurs la forme c’est ce qui est actif, la matière étant passive, d’où des analogies avec la division en Homme et Femme de l’espèce humaine, donc il n’y a pas de matière sensible, sans la forme qui détermine cette matière sensible à partir d’une matière informe. La substance, en tant que substantialité au sens où nous l’entendons maintenant, elle est plutôt chez Aristote du côté de la forme que de la matière. Et ce qui va se produire d’Aristote au XVe siècle, c’est que par le biais des traductions diverses, des commentaires, qui se sont développés pendant vingt siècles, on en est arrivé à identifier la substance à la matière, c’est-à-dire à court-circuiter la forme qui pourtant chez Aristote était l’élément déterminant. Et encore une fois chez Aristote, et cela me semble tout à fait juste, que la matérialité au sens du plancher des vaches, est plutôt du côté de la forme que de la matière. Or, précisément la substance qui est donc une combinaison de forme et de matière, où la forme a quand même le rôle masculin, le rôle formateur, et bien ça devient à travers ces siècles par le biais des traductions et des commentaires et aussi évidemment par l’influence de la théologie qu’il ne faut pas oublier dans tout ça, eh bien ça devient le contraire, c’est-à-dire que substance était identifiée à matière, la forme a disparu. Ou encore que la matière devient la substance, en tout cas c’est ce à quoi on arrive au moment où justement Galilée entre en scène. Donc, il y a eu élision de la forme. C’est pourquoi par exemple quand on dit, comme on le dit souvent, que le mouvement chez Aristote, c’est une modification de la substance, puisque c’est le passage de l’être en puissance à l’être en acte, et qu’immédiatement après, on établit une opposition avec Démocrite, c’est fait dans beaucoup de livres, avec Démocrite, donc la catégorie de mouvement chez les atomistes, je vous rappelle que c’est un déplacement de quelque chose qui reste identique à lui-même et qu’on dit que c’est le déplacement d’une substance, et bien on joue sur les mots, car la modification d’une substance chez Aristote, c’est en prenant substance au sens de ousia, donc inséparablement forme et matière et quand on dit le mouvement chez les atomistes c’est le déplacement d’une substance et bien on parle comme maintenant où substance a été réduite à matière, à ce qui ne périt pas. Donc il y a là deux significations du mot substance et évidemment les langues européennes modernes s’emmêlent les pieds dans ces deux significations.

Ce que je vais tenter de montrer maintenant, c’est comment la catégorie de substance en est venue à désigner la matière, comment elle a été rabattue, la substance aristotélicienne, sur, je ne dirai pas la matière, car là encore ce n’est pas la matière au sens où l’entendait Aristote, c’est la matière telle que nous l’entendons aujourd’hui, qui d’ailleurs n’est pas non plus ce que les atomistes appelaient la matière. Tout ceci est assez complexe. Le problème de ousia, donc on traduit par substance, mais encore une fois il vaudrait mieux dire ousia, c’est entité et que c’est ça qui est la combinaison irréductible d’une forme et d’une matière. On a traduit ousia d’abord en latin et ça a été traduit immédiatement par substantia qui, c’est une banalité de le dire maintenant, n’est pas la bonne traduction d’ousia. En effet, substantia, c’est sub stanteia, c’est-à-dire étymologiquement ce qui se tient en dessous, le substrat dirions-nous aujourd’hui. Or, s’il y a quelque chose qui ressemble à un substrat chez Aristote, c’est la matière, mais ce n’est pas la substance, puisque la substance c’est la matière et la forme. Traduire ousia par substance, c’est encore une fois faire passer à la trappe la forme et le mot substantia qui a été introduit par Sénèque sans aucune référence à Aristote, a été institutionnalisé comme traduction d’ousia, donc en évinçant complètement la forme et donc canonisé avec Boèce qui est un grand traducteur de textes grecs en textes latins, alors Boèce pour situer les choses, il est né en 480 et mort en 524. Alors, pourquoi est-ce que Boèce fait un tel contresens ? Il lisait Aristote, il le traduisait, il n’y a pas de meilleur moyen pour lire un livre ou une pensée que de la traduire, pourquoi en est-il venu là ? […]

C’est que probablement, enfin c’est ce qu’on avance en général comme explication aujourd’hui, tout tient dans la manière dont on conçoit la traduction. Pour lui, traduire ce n’était pas traduire, c’est-à-dire de transporter d’une langue à une autre en restant au plus près de ce qui se dit dans la langue d’origine pour le mettre dans une autre langue, mais ça consistait à trouver un équivalent dans la langue d’arrivée de ce qui est dit dans la langue de départ. Donc ce n’était pas être au plus près de ce qui est dit, mais trouver un équivalant pas tellement de ce qui est dit d’ailleurs que de ce qui est pensé et comme Boèce interprétait Aristote de façon d’ailleurs tout à fait possible, parce que c’est dans Aristote d’une façon que je vais préciser à l’instant, eh bien c’est cette interprétation d’Aristote qui lui a fait penser que ousia c’était en somme substantia. Ce à partir de quoi se construit l’interprétation de Boèce, c’est qu’on ne trouve pas chez Aristote de définition du genre « ousia, c’est ça et ça ». Mais on trouve souvent des définitions négatives : « ousia c’est cela qui n’est pas dit d’un sujet ou qui n’est pas dans un sujet ». Et ça s’est répété, ça se comprend d’ailleurs, puisque ce n’est pas dit d’un sujet puisqu’il faut en dire plus et ce n’est pas dans un sujet non plus. En tout cas ce n’est pas dit dans matière et ce n’est pas dans la matière non plus. On ne pourrait pas dire non plus que c’est dans la forme. À cause de cette précision d’Aristote, du moins c’est ce que disent les gens qui ont étudié la chose, eh bien Boèce ayant compris, ayant pris très au sérieux l’expression « ousia c’est cela qui n’est pas dit d’un sujet », a cherché un équivalent dans le registre du latin, de la sous-jacence, de la substantiation, bien que l’idée qu’ousia soit un substrat soit une idée récusée par Aristote lui-même. On peut trouver des passages où Aristote, dans la métaphysique en particulier, s’oppose à cette conception. Mais encore une fois, parce que Boèce avait, parce que traduire à l’époque ce n’était pas être au plus près de la langue, mais trouver des équivalents d’une pensée dans une autre, et bien, ayant interprété d’une façon, qui était tout à fait possible, parce que les textes existent, Aristote… d’une certaine façon, Boèce traduit par substantia. Comme c’est la traduction officielle, à partir de cette époque là ousia est traduit par substantia. Et comme substantia c’est ce qui se tient en dessous, c’est manifestement le substrat et il est très facile d’imaginer du coup comment la forme a pu disparaître. L’ousia se retrouve ainsi rabattue sur la matière et d’une certaine façon la matière au sens d’Aristote, ornée des plumes du paon de l’ousia, puisque tout ce qui était contenu dans l’ousia doit être récupéré d’une certaine façon.

Cette identification d’ousia à substantia, donc substance ensuite dans les langues, en français, est encore renforcée au fur et à mesure, parallèlement d’ailleurs et en même temps, par le fait qu’il y a de plus en plus une identification de substance, substantia, à « corps ». Cicéron par exemple distingue deux types de choses, celles qui ont de la substantia, autrement dit qui ont du corps comme on dit aujourd’hui, et celles qui n’en ont pas. Ont du corps, ou de la substance, celles que l’on peut voir et toucher, comme fond de terre, mur d’enceinte, réservoir d’eau, esclaves, bétail, mobilier, provisions etc., et je dis que ne sont pas vraiment des corps, ni de la substance, celles qu’on ne peut pas vraiment voir, ni toucher, comme usucapoin, « tutelle » etc., évidement c’est un juriste, toutes choses qui n’ont aucun corps, aucune substance, mais dont on n’a simplement qu’une représentation.

La combinaison de ces deux tendances fait que finalement, substantiel et matériel, recouverts par le corps ou superposant l’idée de corps, sont devenus équivalents. Et sont même devenus, via le corps justement, c’est-à-dire ce qu’on voit : le mur d’enceinte, l’esclave etc., le réel. Donc, se met en place, avant l’ère chrétienne et au début de l’ère chrétienne, une identification réelle, « substantielle, matérielle ». Alors, encore une fois, que ce qui était substantiel, mais évidemment tous les mots sont piégés, chez Aristote, c’était la forme. Ceci induit un autre contresens. Parce qu’à partir du moment où l’ousia, c’est-à-dire l’être d’une certaine façon, qui d’une combinaison d’être en puissance et d’être en acte, d’accord, mais à partir du moment où l’ousia est rabattue sur la matière, par la traduction d’ousia en substance, on peut traduire Démocrite autrement. D’autant que Démocrite, comme je vous l’ai dit, on ne le connaît principalement que par la manière dont Aristote en parle, et faire de la théorie atomique, qui initialement avait été inventée, si je puis dire, pour opposer des arguments logiques à l’argument logique de Parménide, donc les atomes étaient des concepts, ce n’étaient pas des êtres, et bien justement ayant rabattu ousia sur matière, il est très facile dans l’exposé de la théorie atomiste de Démocrite ou de Lucrèce de dire que c’est une théorie substantielle. Qu’il y a quelque chose qui se déplace en restant identique à lui-même, quelque chose qui se soutient, qui reste identique à lui-même, jouant encore sur une autre possibilité de transcription de substantia. C’est en particulier visible dans l’expression « substance matérielle », qui est un peu bizarre du point de vue d’Aristote, et qui est pourtant tout à fait utilisée par Avicenne, et c’est tout à fait naturel à partir du moment où justement on distingue comme le faisait Cicéron tout à l’heure, les êtres qui ont du corps, qui ont de la substance, qui sont matériels, de ceux qui sont des substances éthérées. C’est-à-dire là intervient justement la religion, Dieu. Parce que dieu ne peut pas être une substance. Dieu ne peut être un sujet. Il est nécessaire de trouver un autre terme que substance pour désigner Dieu. D’où l’introduction, c’est très schématique ce que je vous dis, d’essence. Saint Augustin, qui représente la part de rationalité de l’Église catholique à ses débuts, dit qu’il n’est pas permis de dire que Dieu se tienne sous sa bonté, sub site, se tienne et que cette bonté ne soit pas sa substance ou plutôt « son essence ». À partir du moment où justement, pour définir les substances qui n’ont pas de corps, on a recours à un mot qui est « essence », et que d’un autre côté « substance » a été rabattue sur « matière », et bien les choses sont claires, elles ne le sont que trop, et elles vont le rester jusqu’à nos jours d’une certaine façon.

Ce genre de déformations via les traductions, en fait il y en a eu des tonnes, dans toute cette période, on ne peut pas imaginer que quand Galilée parle d’Aristote, l’Aristote qu’on lui a enseigné, ou quand on parle d’Aristote de la scolastique, ce soit Aristote tel qu’en lui-même, si je puis dire. C’est une histoire énorme, imaginez quand même que ça recouvre deux dizaines de siècles. Je vais en donner un autre exemple de déformation qui cette fois se produit lors de la traduction non pas du grec au latin, mais du grec à l’arabe. Vous le savez, les textes grecs ont été abondamment traduits à Tolède vers le VII – VIIe siècle, je ne sais pas très bien, il faudrait que je vérifie, en tout cas ils ont été traduits en arabe et ils ont été abondamment commentés au point même d’ailleurs, s’agissant par exemple d’Averroès, les commentaires que fait Averroès d’Aristote ont, pendant des siècles, passé pour être Aristote lui-même. C’est-à-dire on avait les commentaires d’Aristote et on n’avait pas les textes originaux d’Aristote ; lui, Averroès, avait eu les textes originaux et les traductions et ensuite c’est surtout ses commentaires qui ont été, eux-mêmes, abondamment commentés. Pendant plusieurs siècles d’ailleurs, Aristote n’a été que l’Aristote qu’avait vu Averroès, y compris par-delà la condamnation d’Averroès par l’évêque de Paris, Tempier, qui a condamné par deux fois la doctrine d’Aristote, en 1270 et en 1277, ça n’a pas empêché que ça continue quand même, même si un coup de frein a été mis au développement de l’aristotélisme d’Averroès pour un retour à un aristotélisme plus catholique. Autre exemple de déformation, qui est encore une fois due à la manière dont on concevait la traduction, c’est-à-dire comme une recherche d’équivalent d’une pensée, pas comme un souci de langue. Aristote dit que la substance est un composé binaire : nature et forme. Chez Averroès, explicitement, il est dit que la substance est un composé ternaire de matière, forme - que d’ailleurs il identifie à passion et agent, « passif et actif, de nouveau la métaphore masculin – féminin » et produit. Matière, forme et produit, produit final en quelque sorte. C’est très facile d’imaginer que l’on puisse en venir là, d’autant que ça présente d’autres avantages que d’ailleurs je ne connais pas, mais qui existaient certainement. C’est comme ça qu’un aristotélisme totalement métissé s’est perpétué jusqu’à la Renaissance, mais vous sentez bien que là je fais un bon énorme sur des siècles, mais malheureusement l’érudition occidentale n’en est encore qu’à découvrir et à analyser, c’est très compliqué, ce qui s’est passé pendant cette période.

J’en viens maintenant à Galilée. Pour sortir de cette identification, encore une fois, je pense qu’on n’en n’est pas totalement sorti de substance à matière ou de matière à substance, il a fallu des siècles. Des siècles avant qu’on s’aperçoive comme le dit Sommerfeld - Sommerfeld c’est quelqu’un qui était professeur de physique, qui a eu son importance dans l’élaboration de la théorie quantique en Allemagne au début du vingtième siècle – Sommerfeld explique que la matière toute seule n’explique pas le monde, il lui faut ajouter quelque chose pour pouvoir expliquer le monde à l’aide de la matière. La matière toute seule n’explique rien. C’est exactement ce que disait Aristote d’une certaine façon. Simplement ce qu’Aristote ajoutait c’était la forme, et ce que Sommerfeld, en 1920, ajoute, c’est la force, qui d’ailleurs a été introduite bien avant 1920 puisqu’elle a été introduite par Newton. Mais, d’Aristote à Sumer Field, la physique a fait comme si on pouvait mettre la forme sous le boisseau, la forme au sens aristotélicien du terme, elle est progressivement remplacée par quelque chose qui s’est d’abord appelé la force, puis le champ, c’est ce que j’expliquerai la fois prochaine, et parce que ce n’est que finalement très tard qu’on a vraiment pris conscience comme d’une chose incontournable qu’on ne peut rien expliquer avec la matière toute seule. Mais le fait de rabattre la substance qui devait expliquer le monde sur la matière fait qu’on perd complètement l’idée d’explication qu’avait en tête Aristote.

J’en viens à Galilée, qui est celui qui a commencé - entouré d’autres personnes, tous ses étudiants et tous ces gens de son milieu, qui était un milieu très influent, ce qui ne l’a pas empêché comme vous le savez d’avoir maille à partir avec l’Inquisition – Galilée, comme le dit Hermann Weyl, a du se débarrasser de la métaphysique de la forme et de la substance pour pouvoir créer la physique moderne. À partir de lui, à cause du principe de la relativité, dont je ne parlerai pas aujourd’hui sauf par allusion à un certain moment, commence la physique telle que nous l’entendons à l’heure actuelle. J’ai pris sur moi, malgré certainement le courroux que ça pourrait provoquer dans certains milieux, de dire qu’Aristote était un physicien, ça dépend de ce que l’on met dans le terme physicien. En tout cas la physique telle que nous la connaissons, elle commence avec Galilée, ça je n’en démordrai pas, mais je me suis permis quand même d’appeler Aristote physicien. Je ne crois pas que la formulation d’Hermann Weyl, c’est un mathématicien, physicien, philosophe, d’une importance, pour des gens comme moi, énorme, qui a failli découvrir la relativité générale 8 jours avant Einstein, ça situe son époque. Il a beaucoup réfléchi, c’est un de ces produits de la culture des universités allemandes comme on n’en fait plus. Il a beaucoup réfléchi justement sur ce que je voudrais tenter de faire, c’est-à-dire d’essayer de raconter la physique autrement que c’est fait dans l’enseignement secondaire et supérieur depuis maintenant presque deux siècles. Je ne crois pas que la formulation d’Hermann Weyl soit la bonne. C’est-à-dire je ne crois pas qu’il ait fallu que Galilée se débarrasse de la métaphysique de la forme et de la substance. En fait, je pense, j’annonce ma conclusion, ce dont il s’est débarrassé c’est de la distinction entre existence en puissance et existence en acte. Voici comment je compte vous convaincre de ça. Il est évident que Galilée, comme beaucoup de gens de son entourage, s’est élevé contre la conception aristotélicienne du mouvement. Ça c’est sûr, le mouvement ce n’est plus le passage de l’être en puissance à l’être en acte comme chez Aristote ; pour Galilée, le mouvement c’est quelque chose qui n’est pas dans l’être, dans la matière, puisque c’est devenu la même chose, c’est donc extérieur à la substance et ça lui est imposé par une force, etc. Tout ça traduit dans des termes modernes, on ne trouve pas les choses comme ça dans Galilée, mais en tout cas la conception du mouvement comme quelque chose qui est extérieur à la matière, à la substance, donc comme le concevaient d’une certaine façon les atomistes, c’est sûr que ça c’est le fondement de la révolution galiléenne. Le mouvement ce n’est pas un changement de la substance, qui passerait d’être en puissance à être en acte, dans la mesure où le mouvement est extérieur à la substance identifiée à la matière, il est d’abord nécessaire, pour Galilée, de préciser quels sont les attributs de la matière. Car qu’est-ce que c’est que les attributs de la matière ? C’est sa forme, sa couleur, sa saveur, son odeur, sa constitution, etc. C’est le premier travail que fait Galilée dans un de ses premiers textes, qui est « L’Essayeur » qui est paru en 1612 ou quelque chose comme ça, et il fait une distinction, que plus tard Locke appellera une distinction entre qualités premières et qualités secondes. Il dit : je dis que je me sens nécessairement amené, si tôt que je conçois une matière ou substance corporelle - on ne peut pas être plus exact, dire les choses plus simplement - à la concevoir tout à la fois comme limitée et douée de telle ou telle figure, grande ou petite par rapport à d’autres, occupant tel ou tel lieu, à tel moment, en mouvement ou immobile - donc, c’est la figure, la position et le mouvement - en contact ou pas avec un autre corps, simple ou composée, et par aucun effort d’imagination, je ne puis la séparer de ces conditions. Donc ils ne peuvent pas séparer une substance ou matière corporelle de sa position, son état de mouvement, pour parler moderne, sa figure, sa taille, les contacts éventuels etc. Mais qu’elle doive être blanche ou rouge, amère ou douce, sonore ou sourde, d’odeur agréable ou désagréable, je ne vois rien qui contraigne mon esprit à l’appréhender nécessairement accompagnée de ces conditions – appréhender la matière nécessairement accompagnée de ces conditions – et peut-être n’étaient les secours des sens, ni le raisonnement, ni l’imagination ne les découvriraient jamais. Je pense donc que ces saveurs, odeurs, couleurs, etc., eu égard au sujet dans lequel elles nous paraissent résider, ne sont que de purs noms et n’ont leur siège, que dans le corps sensitif (dans l’observateur dira-t-on plus tard) de sorte qu’une fois le vivant supprimé, - autrement dit quand on supprime l’animal – eh bien toutes ces qualités sont détruites et annihilées. Mais comme nous leur avons donné des noms particuliers et différents de ceux des qualités réelles et premières, nous voudrions croire qu’elles sont vraiment et réellement distinctes. Donc, il établit une distinction très nette entre ce que plus tard on appellera qualités premières et qualités secondes. Comme par hasard, je veux dire pas comme par hasard justement, ces qualités premières, figure, mouvement, taille, etc., ce sont des qualités quantifiables - on mesure ces quantités - donc mathématisables, vous voyez où je veux en venir. D’autre part ce sont celles qui ne changent pas, celles indépendantes de l’observateur, encore pour utiliser un vocabulaire anachronique, de là à penser que ce sont les seuls attributs de la matière, il n’y a qu’un pas qu’il franchit. Autrement dit, la substance matière a gagné son autonomie, il n’est plus question de forme, car figure ce n’est pas eidos, la figure c’est la silhouette, et Galilée ne s’est pas du tout élevé contre la forme substantielle, de toute façon il identifie substance et matière. Ce contre quoi il s’est élevé, c’est l’idée que par le mouvement il puisse y avoir un certain passage de l’être en puissance à l’être en acte. Mais il ne s’est pas du tout élevé contre l’idée de forme, l’idée de forme, il y avait déjà longtemps qu’on lui avait réglé son compte dans la tradition qui va des Grecs aux Latins aux Arabes et au Moyen Âge européen. Est-ce que pour autant Galilée est un atomiste ? C’est vrai que la matière-substance qu’il envisage ne change pas. C’est justement ces qualités premières qui ne changent pas. Elle est donc inaltérable. Donc à première vue, on pourrait dire que Galilée est un atomiste, d’ailleurs si elle est inaltérable, la matière, c’est aussi ce qui la rend mathématisable. Galilée dit explicitement dans le Discours concernant deux sciences nouvelles, qui est le dernier des deux grands textes publiés par Galilée après qu’il a été assigné à résidence, il dit : puisque je suppose la matière inaltérable, c’est-à-dire toujours la même, il est clair qu’ainsi interprétée comme affection éternelle et nécessaire, on pourra donner à son propos des démonstrations mathématiques. C’est absolument corrélatif de la mathématisation du mouvement et de la physique. En cela il se rapproche des atomistes et d’ailleurs Lucrèce lui-même avait bien dit : ne va pas croire que les atomes ont telle couleur, telle saveur, telle odeur, etc., ce n’est que l’arrangement de ces atomes qui leur donne au corps – macroscopique en somme – une odeur, une couleur etc. Donc, il est en fait tout à fait dans la lignée des atomistes en ce sens. D’ailleurs, Lucrèce, dans le milieu dans lequel évoluait Galilée, c’est-à-dire un milieu de savants, de gens qui étaient très en place auprès de l’Église, malheureusement son relais l’a lâché, c’était des gens un peu de la Jet Society universitaire, ils voyageaient de Rome à Padoue, à Venise, etc., c’était quelqu’un qui était tout à fait en place si l’on peut dire. Première réponse à Galilée, est-il un atomiste ? Oui, dans la mesure où il reprend ce qui était très en vogue à l’époque : Lucrèce, qu’on lisait, c’était pas forcément admis, mais l’Église ne pouvait pas tout vérifier, et donc en ce sens, on peut dire que sa théorie de la matière est une théorie substantialiste, puisque aussi bien atomiste et substantialiste sont devenus synonymes à un certain moment entre Aristote et nous, enfin et lui. Par ailleurs, il est clair aussi qu’il est anti-aristotélicien, non seulement sur la question du mouvement et de l’être en puissance et de l’être en acte, mais aussi parce qu’il renverse totalement la hiérarchie des qualités qui avait été établie par Aristote. Parce qu’Aristote lui aussi dans le De anima établissait plusieurs sensations, qualités sensorielles. Il disait la sensation des sensibles propres, c’est-à-dire saveur, odeur, couleur est toujours vraie. Ensuite vient dans l’ordre de vérité, la perception des sensibles accidentels, on a peint du blanc sur quelque chose, puis en dernier lieu, la perception de la grandeur, du mouvement, etc., c’est à leur sujet que la sensation court le plus grand risque. Galilée renverse totalement cet ordre de sûreté. Pour ce qui est sûr d’ailleurs et qui est mathématisable, ce qui est d’ailleurs le comble de la sûreté dans la civilisation européenne, et grecque d’ailleurs aussi, c’est la forme, le mouvement qu’il a rendu mathématisable et pas justement les qualités de couleur, odeur, saveur, qui, elles, dépendent entièrement de celui qui les ressent. Ça a l’air de rien, mais il est probable que ceci a joué un grand rôle dans la condamnation de Galilée, parce que, alors il faut faire un peu d’histoire des idées, une grande question avait agité l’Église. L’Église catholique, il ne faut pas croire que c’était une bande d’obscurantistes dont il n’y avait rien à espérer, au contraire l’Église catholique n’a cessé de chercher à tenir ensemble la rationalité et le dogme. Ce n’était pas toujours facile en particulier à propos de l’eucharistie, c’est d’ailleurs quand le prêtre montre une Ostie qu’il a trempée dans du vin en disant : « buvez et mangez, ceci est mon corps, ceci est mon sang », paroles qui sont placées dans la bouche du Christ, il faut vraiment faire beaucoup d’efforts pour essayer de raccorder ça avec le bon sens. Comme dit Rousseau à Madame de Beaumont, de façon plaisante, vous allez me faire croire que le Christ, quand il a pris le pain et le vin lors de la dernière cène, a tenu au bout de ses doigts tout son corps, vous me faites rire. En effet il y a de quoi rire. Il y a toute une querelle à propos de l’eucharistie, comme vous le savez probablement, la solution trouvée, je crois par Saint Thomas, était qu’il y avait transsubstantiation, c’est-à-dire que les espèces, qui sont les qualités sensorielles, du pain et du vin restaient telles quelles, mais que la substance qui est donc une espèce de substrat, etc., elle, changeait depuis la substance du pain et du vin jusqu’à la substance du Christ. Donc on avait bien du pain et du vin, ça avait bien le goût du pain et du vin, mais ça n’était pas le sang et le corps du Christ, mais la substance était le ( ?) c’était ce qu’on appelait la transsubstantiation, mais transsubstantiation c’est quelque chose qui ne tient pas à partir du moment où substance et matière étant rapportées l’une à l’autre, on considère la matière comme constituée de particules indivisibles d’atomes, ça ne tient surtout pas, quand on pense que les qualités, certaines des qualités sensibles comme odeur, etc. sont uniquement du côté de celui qui les ressent, ce n’est pas une qualité inhérente aux objets. À ce moment-là, on n’arrive plus à croire à la transsubstantiation, à partir du moment où la substance qui reste pain, vin, etc., est quand même une autre substance, etc. Cette question de couleur, odeur, saveur, est une question qui à l’époque de Galilée est très importante. D’autant que les protestants, eux, justement, ont remplacé la transsubstantiation par la consubstantiation, ce qui est déjà plus facile à avaler par la raison, mais pas acceptable par l’Église catholique. Pietro Redondi qui est un historien italien, a ressorti des archives du Vatican une lettre envoyée tout de suite après la publication de « L’Essayeur » par un délateur anonyme à un haut dirigeant de l’Eglise catholique pour expliquer que là dans ce passage que je viens de vous lire, ainsi que dans celui qui est très drôle dans lequel Galilée dit : si avec une plume je chatouille une statue ou un corps humain, je chatouille [manque texte] dans le corps humain, ça provoque une sensation de chatouillement, mais vais-je dire pour autant que la plume a une vertu chatouillante, certainement pas puisque sur la statue cela ne lui fait rien. Alors il reprend cet argument de la statue, de la plume, du chatouillement et il dit : attention, il y a là la base d’une hérésie. Et cette hérésie, il l’avait tout à fait bien notée. Et la thèse de Pietro Redondi, elle vaut ce qu’elle vaut, c’est que Galilée n’a pas été tellement condamné parce qu’il a dit que la terre tournait autour du soleil, que pour avoir dit justement que la matière était faite de parties indivisibles.

Alors parlant de parties indivisibles, j’en viens à mon troisième point, à propos de la question de savoir si Galilée était un atomiste, qui est la question du vide. Je l’ai dit la dernière fois, les atomistes de l’Antiquité, pour eux, les atomes étaient absolument indissociables - du point de vue logique - du vide, sinon il n’y aurait pas de mouvement possible. Galilée, lui, adopte une position intermédiaire sur le vide. Il ne dit pas qu’il y a un vide, aussi pour une raison qui se comprend bien, j’avais dit la dernière fois, que vide c’était aussi synonyme d’infini, or le monde n’est pas infini pour Galilée. C’est même une des grandes raisons pour lesquelles il n’a pas inventé le principe d’inertie et qu’il a fallu attendre Newton. En fait pour lui, il n’y a pas de vide au sens presque métaphysique du terme qui serait infini. Il n’y a pas un vide général. Il y a une infinité de vides indivisibles. Et cette infinité de vides indivisibles qui est entre les parties de matières indivisibles autrement dit des atomes, et ça c’est très important, est ce qui colle entre ces parties de matière indivisibles. Autrement dit, Galilée introduit le vide non pas comme une nécessité logique, mais comme quelque chose qui est destiné à résoudre un problème très important à l’époque, qui est celui de la cohésion des corps, autrement dit la résistance des matériaux. D’ailleurs, le Discours concernant deux sciences nouvelles qui est son testament, il est mort quelques années après l’avoir fait publier en secret, en lui faisant passer les frontières et en le publiant à Amsterdam. Ce Discours commence par une très belle phrase dans laquelle il évoque l’Arsenal de Venise. Il dit : Quel large champ de réflexion me paraît ouvrir aux esprits spéculatifs la fréquentation assidue de votre Arsenal – il est en présence de seigneurs vénitiens, toujours les mêmes, Salviati qui le représente, Sagredo, l’honnête homme et Simplicio, l’aristotélicien de service, seigneurs vénitiens - et particulièrement le quartier des travaux mécaniques. A partir de là, il raconte, c’est Salviati qui dit ça, donc Galilée : ils ont interrogé un technicien de l’Arsenal, un ingénieur, je ne sais pas comment l’appeler, qui leur a expliqué qu’il ne fallait pas construire des bateaux trop gros parce qu’ils risquaient de s’écrouler sous leur propre poids. Or ça ce n’est pas quelque chose qui tombe sous le sens immédiatement, que les géants ne puissent pas exister par exemple. Quand il dit Discours concernant deux sciences nouvelles, c’est la résistance des matériaux qui est un problème technique très important, en particulier pour la seigneurie de Venise, mais pas que pour elle, et la deuxième science, c’est la science du mouvement, mais le mouvement et la résistance des matériaux sont tout aussi importants pour Galilée. D’ailleurs les deux sont liés à la matière. Galilée s’intéresse énormément à la science des matériaux, juste une incise rapide, je n’ai pas le temps d’en dire plus, ce n’est pas qu’un problème technique, la résistance des matériaux, car les matériaux c’est quand même le domaine dans lequel les alchimistes se sont illustrés. Loin de moi l’idée « new age » de faire venir la science moderne de l’alchimie, je sais bien que Newton était un alchimiste et que ça pose des problèmes, ça n’est pas pour autant qu’il faille imaginer que la science moderne est sortie de la sorcellerie. En plus, il faut distinguer deux types d’alchimie, une alchimie totalement pratique sans théorie et puis, à partir du moment où les textes des alchimistes arabes ont été traduits en latin vers le XIIe siècle, une alchimie théorique. Et c’est sur celle-là d’ailleurs que Newton s’appuie. Une des choses importantes dans cette alchimie théorique, c’est l’idée de force occulte. Maintenant reprenons les choses. J’ai dit que le vide, qui n’était pas un grand vide, mais des petits vides en nombre infini, il y a tout un problème sur l’infini, l’indéfini, etc., je passe. Ces petits vides en nombre infini sont là, c’est le dernier mot de Galilée, pour tenir ensemble les atomes, donc les matériaux, et Galilée lui-même dit, là il y a quelque chose qu’il ne comprend pas, qu’il est au regret d’avoir à introduire une force occulte. Alors ça, je trouve ça admirable. Et je me demande même si ce n’est pas ce qui fait la différence entre un scientifique et un charlatan. On a souvent dit, justement, qu’entre les scientifiques et les charlatans, la grande différence - ou entre l’astronomie et l’astrologie - il y en a un qui est un système qui ne cesse de se perfectionner, l’astronomie, alors que l’astrologie c’est fermé, tout est dit et on n’en sort pas. Et bien c’est un peu une admiration du même genre que j’ai devant ce que dit Galilée. C’est-à-dire il poursuit l’accomplissement de la raison aussi loin qu’il peut, y compris dans la mathématisation, etc. et à un moment il bute sur quelque chose, et il n’hésite pas, il n’a pas peur de faire intervenir quelque chose qui est complètement hétérogène à sa physique. Newton a fait la même chose, mais ce n’est pas tout à fait pareil. S’il y a le Newton nocturne alchimiste, il y a un Newton diurne physicien, lui il publie un truc dans lequel il dit, voilà où me mène la raison, mais alors maintenant, je suis obligé de dire, il y a quelque chose en plus, une force occulte qui fait que ce vide fonctionne comme une colle. Il a éliminé l’argument de la colle depuis très longtemps, la colle matérielle, mais le vide fonctionne comme colle, c’est-à-dire attire entre elles les particules matérielles, il écrit lui-même qu’il est obligé de faire appel à quelque chose dont il pense sûrement qu’à un autre moment quelqu’un résoudra le problème, mais il n’hésite pas à dire quand il ne comprend pas, qu’il ne sait pas. Ce quelque chose, qui est une force d’attraction etc., c’est une force justement, et c’est justement, comme le retour du refoulé, la « forme » d’Aristote qui revient là. C’est l’unique moment chez Galilée où elle revient, ensuite le retour de la forme, sous la forme de la force, sera massif jusqu’à Einstein. On voit déjà là apparaître, en somme, qu’on ne peut pas tout expliquer rien qu’avec de la matière et du vide. Il faut quelque chose en plus, qui est tellement impensable pour lui qu’il le qualifie de force occulte. C’est-à-dire, en somme, d’irrationnel.

Question 1 : Juste une petite précision au sujet de votre observation sur la transubstantialité et transsubstantiation et la cosubstantiation chez les protestants. Effectivement, Luther et les Luthériens ont adopté la consubstantiation, mais Calvin est allé encore plus loin puisqu’il dit il n’y a ni l’une, ni l’autre, bien que l’eucharistie ce soit un sacrement pour les calvinistes, vous faites ceci en mémoire de moi. Le Christ s’est donné une fois pour toutes sur la croix et voilà.

Françoise BALIBAR : Je savais toutes ces choses-là bien que je n’aie aucune compétence en théologie, mais je n’ai pas voulu alourdir encore l’exposé.

Question 2 : Comment Galilée pouvait-il expliquer que le vide, ou un certain vide, pouvait lier les parties d’un corps et que le même vide n’allait pas agglutiner tous les corps entre eux ?

Françoise BALIBAR : Parce que justement il fait la différence entre une infinité de vides indivisibles, ce sont des atomes de vide et le vide étendu n’a pas la possibilité de coller quoi que ce soit. Je pense que c’est parce qu’il observe que le vide ne colle rien. Mais, justement, ces vides indivisibles lui sont nécessaires. Ces vides infiniment petits, indivisibles, en nombre indéfini, lui sont nécessaires pour comprendre la cohésion des corps, autrement dit pour combler ce trou que la forme eidos aristotélicienne occupait d’une certaine façon. Parce que la cohésion des matériaux, c’est une question qui relève de la forme chez Aristote. Si on prend « forme » au sens « de principe d’organisation » ça relève de la forme aristotélicienne.

Question 3 : Est-ce qu’il y avait des scientifiques chez les Cathares ? Vous connaissez les Cathares ?

Françoise BALIBAR : Très peu, comme tout le monde, pas plus que tout le monde. Non, je ne sais rien de la science chez les Cathares, mais si vous le savez, je ne demande pas mieux que d’en entendre parler.

Question 4 : Vous avez juste fait une allusion au fait que Sommerfeld aurait découvert la théorie de la relativité ?

Françoise BALIBAR : Oh ! Non il a collaboré à l’élaboration de la mécanique quantique.

Suite question 4 : Donc à une semaine près, il l’aurait découverte.

Françoise BALIBAR : Ah ! Oui. La relativité générale. Ce n’est pas Sommerfeld, c’est Hermann Weyl. C’est une histoire très bizarre et d’ailleurs qui a assombri leurs relations en principe « Mon cher collègue ». Pour dire les choses un peu rapidement, Einstein butait sur une difficulté qu’il croyait mathématique, mais qui était en fait une difficulté de conception, physique donc. Hermann Weyl qui était un mathématicien, lui, a résolu la difficulté mathématique, mais sans pour autant résoudre la difficulté, d’ailleurs probablement il n’avait pas comprise, où était le point d’Einstein du point de vue de la physique. Il a résolu, il a trouvé les équations de la relativité générale, huit jours avant Einstein. Il était mathématicien, ça lui donnait un grand avantage, ce n’était pas du tout qu’ils étaient en concurrence, de toutes façons l’élaboration de la relativité générale ça a duré cinq ans, sept ans, je ne sais pas combien d’années, c’est dans la période finale, où de semaine en semaine, Einstein ayant enfin compris pourquoi il s’était posé une mauvaise question d’un point de vue physique, à brides abattues, faisait la théorie mathématique de la relativité générale et la présentait tous les mercredis à l’Académie des Sciences à laquelle siégeait Hermann Weyl, eh bien, au sprint final Hermann Weyl a été plus vite qu’Einstein, ça a donc un peu assombri leurs relations, mais Hermann Weyl n’a jamais pensé qu’il était l’inventeur de la relativité générale. Il a simplement été plus vite, une fois le terrain déblayé, pour poser correctement le problème dans la réalisation mathématique de la théorie.

Question 5 : Madame, vous avez fait allusion à l’efficacité, à l’approche des universités allemandes qui réussissent à produire apparemment de grands scientifiques, j’aurais bien aimé avoir un mot sur cette approche.

Françoise BALIBAR : C’était un monde. C’était une éducation d’élite. C’est un modèle qu’on ne peut pas transporter au XXe siècle. Il y avait dans chaque université, je ne sais pas, vingt étudiants dans chaque discipline dans les grandes universités. C’était très, très exigeant, à la fois par les programmes qui comprenaient nécessairement, en tout cas pour les mathématiques et la physique, un cursus de philosophie très, très développé, quasiment le même que celui des gens qui étaient des spécialistes de la philosophie dans ces universités, et surtout un mode de travail que les Américains ont d’une certaine façon essayé de récupérer, qui est celui des séminaires. C’est-à-dire, ces vingt étudiants, ils se réunissaient autour d’une table, dans la bibliothèque, avec tous les livres autour et ils potassaient une question par eux-mêmes, guidés par leurs maîtres. Évidemment, travailler dans ces conditions, ça a un rendement maximal, parce que c’est découvrir par soi-même, mais guidé pour ne pas aller dans des voies de traverse, ce qu’il faut apprendre. C’est totalement impensable de reproduire ça. Quand je dis que les Américains l’ont un peu reproduit, c’est par le système du « tutoring ». Les enseignants sont à la disposition des étudiants pour venir discuter dans la bibliothèque, ou dans le bureau du prof qui est à côté de la bibliothèque, des questions qu’ils ont à propos de son cours. C’est un système sans succès, qu’on a essayé d’introduire en France, qui n’a pas marché, alors résistance des enseignants, des étudiants, je ne veux pas me prononcer là-dessus, de toute façon ça n’a pas marché, mais même aux Etats-Unis, on sait bien que l’enseignement, même s’ils ont repris les séminaires à l’allemande, ça ne donne pas les mêmes résultats ne serait-ce que pour une question de nombre.

Question 6 : Pour rebondir sur cette question est-ce que vous considérez qu’Elie Carton ( ?) qui a travaillé un peu seul, lorsqu’il a dit qu’il faut rajouter aux tenseurs d’Einstein un terme supplémentaire qui est un constante multipliée par le GIG ( ?) pour obtenir le tenseur géométrique le plus général pour que la divergence soit nulle, est-ce qu’il avait prit ses idées en lui-même où est-ce qu’il avait discuté avec beaucoup de collègues ?

Françoise BALIBAR : Je ne sais pas. Je ne saurais pas répondre sur ce point d’histoire des sciences. Effectivement, les gens travaillaient très seul et il n’y avait pas beaucoup de gens qui comprenaient la relativité générale, en particulier en France. Il faut voir quand ça se passait, c’était pendant la guerre de 14-18, donc tout ce qui était allemand était à proscrire et d’ailleurs n’arrivait pas.

Question 7 : Qu’en est il du virtuel chez Aristote ? Je crois qu’il l’opposait à actuel, qu’à réel ...

Françoise BALIBAR : Oh ! Là La, je ne sais pas vous répondre. Il y a un mathématicien français qui a écrit sur le virtuel des choses à mon avis qui n’ont pas été surpassées, qui s’appelle Gilles Châtelet, il a publié au Seuil dans la collection des travaux, un livre qui s’appelle L’enjeu du mobile qui est précisément sur cette question de virtualité et il connaissait aussi assez bien, et même pas mal du tout, les physiciens mathématiciens, enfin les savants du XIVe siècle, parce que tout ça a été repris au XIVe siècle, je ne saurai pas faire mieux que de vous suggérer de lire ce livre, qui à mon avis, est ce qu’il y a de mieux sur la question. Il doit sûrement être ici à la médiathèque. [Référence : Gilles Châtelet, Les enjeux du mobile. Mathématique, physique, philosophie, Seuil, Paris, 1993.]



Haut de pageMentions légalesContactRédactionSPIP