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Cité des sciences, dans la mémoire de Miene MATHON

Cette contribution est le fruit d’un entretien, le mardi 06 février 2018, d’une heure quarante-cinq minutes, avec Miene MATHON, dans le cadre du projet « Mémoires et histoires d’Universcience ». Le document a été soumis pour relecture et validation, le vendredi 06 aout 2019, à Miene MATHON, qui l’a validé le 13 octobre 2019, et qui a demandé sa publication sur Fabrique de sens en décembre 2020.

Qu’est-ce qu’on nous faisait confiance !

Et, quelle belle et bonne ambiance ce fût !

Taos AÏT SI SLIMANE : Bonjour Miene, merci d’être venue jusqu’ici, à la Cité des sciences et de l’industrie, pour ce rendez-vous dans le cadre de du projet « Mémoires et histoires d’Universcience ».

Je vous ai envoyé la note d’intention de ce projet, et je serais ravie d’avoir votre retour, avant de commencer cet entretien, que j’enregistre en vue d’une transcription que je vous soumettrai pour validation, avant de confier le texte aux archives de notre établissement.

Miene MATHON : En fait, je ne vais pas du tout vous raconter ma vie, mais juste quelques points en lien avec ma collaboration avec la Cité des sciences et de l’industrie.

Votre document est très bien construit, j’adhère à votre démarche, d’où ma présence aujourd’hui. Avec un ami photographe et un ami designer, avec lesquels nous avons gardé des contacts, on avait pensé à faire quelque chose qui retrace cette histoire, le temps passe et cet énorme travail n’a pas été entamé, …

Taos AÏT SI SLIMANE : Votre projet concernait l’histoire de la Cité ?

Miene MATHON : Non, plutôt sur comment on nous faisait confiance, ou combien on nous faisait confiance ce temps-là ! J’étais très jeune. Une confiance qui a bien changé. Aujourd’hui, on fait généralement moins confiance aux artistes, aux créateurs, à des jeunes qui sont supers, que personnellement j’adore, mais auxquels on fait peu confiance.

Taos AÏT SI SLIMANE : Comment se prononce votre prénom ?

Miene MATHON : Willemien ou Miene. Je suis née à côté de Eindhoven, une ville néerlandaise située dans la province du Brabant-Septentrional, dans le Sud des Pays-Bas. Je pense que le fait d’avoir vécu jusqu’à dix-sept ans dans une ville de design, qu’elle demeure jusqu’à ce jour, et le fait que je visitais souvent l’Evoluon et l’Efteling [1] , qui sont des lieux au Pays-Bas, cela a dû m’influencer. Je prenais des cours de dessin à l’Académie, le nom de l’école du design de l’époque.

Taos AÏT SI SLIMANE : Ce sont des lieux, des musées de quoi ?

Miene MATHON : L’Efteling est un parc où l’on raconte des contes à la manière néerlandaise, situé au sud des Pays-Bas. Eindhoven, c’est la ville de Philips, qui a une histoire incroyable, mais je pense aussi que par la ville qui a été bombardée pendant la guerre, il ne restait pas grand-chose, si ce n’est ce qu’on reconstruisait, cela avait du sens pour la recherche, parce qu’ils en faisaient, j’ai pu visiter cela plus tard, et puis par la démarche de reconstruction pour l’économie, ce n’était pas que des sujets amusants, ludiques. Le Stedelijk museum était un lieu très avant-garde, tenu par un certain Rudi FUCHS, où j’allais avec des amis regarder ou écouter. Je faisais du vélo bien-sûr ! Donc, cette période et ces visites ont dû m’influencer et c’est grâce à une bourse de Phillips que j’ai pu faire mes études à Paris.

Arrivée à Paris, j’ai appris la langue, et j’ai compris que pour entrer dans une école d’art - j’hésitais entre le théâtre et architecture, mais j’aimais bien dessiner -, il fallait passer par des concours. J’ai vu la difficulté de passer par des concours. C’est quand-même grâce aussi à une bourse que j’ai pu me prendre au sérieux, on me donnait une chance, … Pour faire court, j’ai toujours le passeport néerlandais, il faut bien en avoir un, … et le fait d’avoir une sorte de double, de par une langue maternelle, etc., on est déjà dans des mouvements créatifs, … Ça, je l’ai compris.

Taos AÏT SI SLIMANE : Quelle était ta formation de base ?

Miene MATHON : J’ai un bac néerlandais, j’ai fait des maths, mais pas que, et arrivée en France, j’ai vu que le système de l’éducation nationale était tout à fait autre, il fallait passer des concours. Premier concours, je suis reçue aux beaux-arts, en septembre, j’amène mes cartons à dessins, mais je ne comprends pas qu’il fallait se battre pour dessiner des nues, car les habitués prenaient les meilleures places … Comme j’avais encore cette bourse, j’ai refait une prépa, où j’ai rencontré d’ailleurs tous les personnes avec lesquelles je suis toujours en contact. Tout cela « forme » à cet âge-là. On se forme aussi par les épreuves qu’on traverse, …

Taos AÏT SI SLIMANE : Tu avais quel âge ?

Miene MATHON : J’avais tout juste dix-huit ans.

Au concours des Arts Déco j’avais une très, très bonne note pour le dossier, mais je me suis plantée, le jury entendait évidemment mon accent, ils m’ont posé des questions tellement à côté de la plaque que je n’ai pas pu m’empêcher de le leur dire, résultat, je n’ai pas été admise à cette école. J’ai fait une autre école d’art. On apprend là encore en avançant, …

Taos AÏT SI SLIMANE : Quelle école ?

Miene MATHON : L’École nationale des arts appliqués et des métiers d’art. Comme on m’a toujours dit : « Vas vers les volumes, la 3D, … », j’ai suivi les conseils des professeurs bienveillants qu’il y avait dans cette École. Quand j’ai compris qui étaient les premiers ouvriers de France, qui nous donnaient des cours, avec un petit groupe de 5-6 personnes, on s’est dit : « Là, il y a quelque chose d’intéressant, de passionnant, … » J’en ai donc pleinement profité.

Taos AÏT SI SLIMANE : C’était en quelle année ?

Miene MATHON : J’ai fini mon cycle en 1982.

Taos AÏT SI SLIMANE : Vous vous souvenez des noms de vos enseignants ?

Miene MATHON : Oui : CARDON, THOMAS, WAECHTER, MOUILLE, RAFESTIN, SAUVAT, AUBRY, ALIGUI, HOUPLAIN, RAPHAELLI … j’ai du mal avec les noms, mais je m’y vois encore. Je suis retournée à deux ou trois reprises, mais cela reste difficile de travailler sur des projets avec eux.

Taos AÏT SI SLIMANE : Quand vous parlez des premiers ouvriers de France, s’agissait-il de compagnons du devoir ?

Miene MATHON : Non, je ne pense pas, mais en BTS plasticien volume, on avait deux professeurs extraordinaires, ce qu’ils nous enseignaient était super ! Je fais toujours des moulages, et je sais ce que je fais, grâce à ce qu’ils m’ont transmis, un enseignement qui avait beaucoup de sens par rapport au BTS.

Ensuite, c’est toujours agréable de continuer, d’autant que j’avais une bourse. Entre temps, j’avais aussi trouvé du travail dans les centres aérés, ça s’appelait comme ça à l’époque, où j’ai rencontré des communistes, … Bref, je découvrais la vie parisienne de l’époque, … J’habitais en banlieue parisienne.

Taos AÏT SI SLIMANE : Où ?

Miene MATHON : À Saint-Germain-en-Laye, tout simplement parce qu’il y avait un lien avec l’international. Il y avait surtout une Alliance française. Je ne raconterai pas toute ma vie à Saint-Germain-en-Laye, cela relève d’un autre sujet, …

Un jour, un ami, Yann SOMERITIS, me dit : « Il y a une petite annonce dans Le Monde, ils cherchent des designers, … c’est ton métier, non ? » Je lui réponds : « Bah, oui, presque, … » Et me voilà avec mon barda, dessins, les photos, et tout ce que j’avais sous la main de mon travail, pour me présenter à l’entretien. Tout cela la dernière année de ma formation, je n’étais pas encore diplômée. Je rencontre Richard NEILL, d’origine anglaise, qui m’embauche. Richard NEILL à qui je dois beaucoup. Il me présente à Adèle ROBERT, etc. Et me teste tout de suite sur les langues. On me demande si je veux être sous le régime d’intermittents du spectacle, j’accepte.

Je commence tout de suite à travailler au sein de l’équipe et ma première mission a été d’aller au Science Museum de Londres, où j’ai rencontré un monsieur anglais, - on ne se souvient pas de tout quand-même – d’un certain âge, qui était matheux, qui avait pour les enfants de ce musée de Londrès, inventé un petit pont en bois, qu’il testait, comme les Anglais savent le faire, de manière très théâtrale. J’ai fait les tests avec lui, puis on a mesuré le poids et toutes les choses qui en découlent, etc. Ce que je veux dire, c’est que dans ma démarche, il y a toujours eu une approche scientifique, qui vient bien de quelque part.

Ensuite on a formé des équipes. Comme j’avais, non pas une double nationalité, mais une double casquette puisque j’avais travaillé dans les centres de loisirs, ça m’amusait de fabriquer des choses avec les enfants, des cerfs-volants et bien d’autres choses, j’avais aussi participé à la restructuration d’une grosse boîte à Saint-Germain-en-Laye, qui s’appelle aujourd’hui La CLEF [2], où avec d’autres jeunes artistes, on avait tous besoin d’un peu d’argent et on était enthousiaste, on avait inventé les ilots, entre autre « l’ilot construction », donc j’apprenais aux enfants à construire des objets en bois.

Peu à peu La Villette et les équipes prennent forme, on m’a mis sur des dossiers qui concernent les enfants. Encore une fois je n’ai pas en mémoire tous les noms, je sais qu’il avait une Christine LAVAUD, qui venait du musée des enfants, des lieux qu’on visitait en ces temps-là, … Je me souviens de Gillian THOMAS.

On a pu former un groupe de fabricants, on ne faisait pas que parler, on était tout de suite dans la maquette, dans la manipulation, …

Taos AÏT SI SLIMANE : C’était du design d’objets ?

Miene MATHON : C’était le design des objets que l’on testait sous forme de maquettes. Mais pas que, on communiquait par des esquisses, qui se trouvent aux archives par ailleurs pas loin d’ici.

Après, c’est très vaste, cela a été très rapide aussi. Je dois reconnaitre que je gagnais bien ma vie, plutôt très bien. Mais au moment où, tel un puzzle, tout se fabrique et prend forme, on nous a appris que l’Éducation nationale allait prendre la suite des opérations. J’aurais pu rester avec mes équipes, mais j’avais très envie de faire un voyage de quelques mois à Naples. Donc, je suis partie faire un reportage à Naples, en conservant mon statut d’intermittente.

Après avoir dessiné les salles de découvertes, il y en a eu plusieurs, on a travaillé, avec d’autres amis, en fait les mêmes groupes, sur la première exposition. À ce moment-là, on se prenait plus au sérieux, d’autant que c’était difficile, qu’il y avait beaucoup d’argent et qu’à l’intérieur du bâtiment principal il n’y avait pas encore les éléments, on invente donc un espace dans un espace, qui allait être la première exposition : Or [3]. Et là, de nouveau, on invente tout.

Miene MATHON : Oui, Adèle ROBERT, m’a tout de suite mise sur les rails des intentions éditoriales, des partis pris scientifiques et culturels du futur établissement. Il y avait également Gillian THOMAS. C’était en fait des personnes plus âgées que moi. Je disais tout à l’heure que l’on m’avait fait beaucoup confiance, j’avais 25 ans et j’étais entourée par des gens qui avaient 40 ans, ou plus.

Pour revenir à votre question, oui, oui il y avait également des scientifiques, dont, par exemple, un avec lequel j’avais beaucoup travaillé, notamment sur les maths, c’était un historien des sciences, …

Je vois le monsieur, mais son nom ne me revient pas. Je regarderai mes archives. Richard NEILL je l’ai revu, lorsque pour replonger dans mes propres archives j’avais besoin de son accord pour certaines choses, cela m’a permis de reprendre contact avec lui. Je suis restée en contact avec quelques personnes, mais honnêtement je n’ai pas les noms en tête à cet instant, …

Taos AÏT SI SLIMANE : Richard NEILL a travaillé à la Cité en quelle année, et pendant combien de temps ?

Miene MATHON : Il faudrait le lui demande. Il était là avant moi, je présume que c’était dès les débuts. Il habite en Normandie.

Taos AÏT SI SLIMANE : Vous me conseillez de le voir ?

Miene MATHON : Oui, il est très intéressant. A priori cela n’a rien à voir mais les gens avec lesquels je suis restée en contact étaient plus âgés que moi. Je travaillais avec eux dans les mêmes locaux sur des sujets qui nous concernaient tous, on leur a demandé, avec un Néerlandais, Evert ENDT, qu’on m’avait présenté, de fonder l’École de l’ENSCI [4]. Ils ont démarré l’École de design de Saint-Sabin, ou j’ai rencontré Peter BROOK, cela n’a pas grand-chose à voir avec notre histoire, mais, moi, cela m’a marqué. C’est toute une époque, …

Par rapport aux noms, je ne m’en souviens pas beaucoup, mais on s’est beaucoup inspiré, en tout cas moi, mais d’autres aussi, du Cnam. On y allait redessiner ce qui existait déjà, comme les engrenages, etc., même s’il n’y avait pas tout. C’est amusant de se dire que c’est grâce à un musée qu’on fait un autre, …

J’allais souvent à l’Institut néerlandais, the American center à Paris.

Je retourne souvent aux Pays-Bas pour voir ce qui se passe là-bas. J’ai aussi de bons contacts avec les Italiens, avec les Anglais. Je voyage beaucoup pour voir ce qui se passe dans d’autres musées semblables. Les revues italiennes, aussi d’architecture, m’inspirent beaucoup et je les trouvais à la bibliothèque de l’école et à Beaubourg.

Taos AÏT SI SLIMANE : Vous rappelez-vous des personnes qui constituaient l’équipe de départ ?

Miene MATHON : Adèle ROBERT, je suis sûre. Jacques LICHNEROWITZ, que j’ai revu, il y a environ 12 ans, quand j’ai travaillé sur un projet scientifique, qui est tombé à l’eau - il se souvenait de moi. Ça, c’est une autre histoire parce que cela se joue en banlieue. Jean-Jacques BRAVO, et d’autres, que j’ai revu il y a à peine une semaine lors d’une réunion de l’Association des scénographes [5]. Je n’ai malheureusement pas revu d’autres architectes et concepteurs.

Il est dommage que l’on ne puisse pas tout écrire, ... Je ne veux pas tomber dans le pathos, mais LICHNEROWITZ, Jean-Jacques BRAVO, etc., étaient des gens qui avaient 5 ans de plus que moi, mais qu’est-ce qu’on se faisait confiance mutuellement ! Nos dessins étaient quelquefois des espèces d’esquisses, disant des traits d’étapes, sans échelle, des croquis de création en cours, avec des flèches, des commentaires textuels en marge, etc.

Taos AÏT SI SLIMANE : Pourquoi se priver d’écrire une histoire intéressante, qui, comme vous me le redisiez dès le départ, porterait sur « Qu’est-ce qu’on nous faisait confiance ! »

Miene MATHON : C’est vraiment ça, et cela se passait dans la joie et la bonne humeur. On se marrait, on prenait vraiment plaisir à ce qu’on faisait. C’était peut-être l’effet Jack LANG … je pense qu’il y était pour quelque chose, j’ai pu le lui dire deux ou trois fois, pas directement : « Merci ! » Il venait sur les chantiers, pas pour me voir, bien sûr, mais on sentait quand même l’envie de construire quelque chose. Et ce qui était très beau aussi, je ne pense pas que ce n’était que politique, mais j’étais dans ce mouvance qui existait à l’époque, on voyait clairement que les banlieues n’avaient aucun contact avec la ville de Paris. Et ça, moi, cela m’a choqué, sans doute parce que je suis néerlandaise. Je pense qu’on était dans la mouvance de se dire : « Ok, il y a un périphérique autour de Paris, mais il y a plein de lieux qui sont des friches où l’on pourrait imaginer des choses. » Pourquoi je dis cela ? Parce que dans mes études, j’avais étudié ce qu’était une folie. C’est très français, le nom folie. Je garde cela ouvert, à développer. Cela m’avait plu, le fait que dans un espace on ait de petits « folies », même si l’on retrouve une trame, comme faisaient les Italiens, même si cela n’était pas toujours exécuté, avec : l’urbanisme, les parcs, le public, les écoles, tout ce qui fait un territoire, de le rendre vivant. Et pour ça, je n’ai pas changé d’un brun. Aujourd’hui, j’observe, sans crier cela très haut, des projets où l’on a brassé des sous pour rien, sans tenir compte d’une nécessaire cohérence entre ce qui est grand, par exemple les transports, la mobilité, et ce qui est utile, ce qui est petit, par exemple le fait qu’un enfant puisse jouer dans le sable, etc.

En un mot, je suis restée fidèle à la mouvance : « C’est en faisant des expériences que l’on apprend »

Taos AÏT SI SLIMANE : Vous aviez le cœur et l’esprit ouvert à la prise en compte de l’environnement humain, par exemple ici les riverains de La Villette. Aviez-vous l’impression qu’à cette époque en incluait leurs avis ?

Miene MATHON : Non, non.

Taos AÏT SI SLIMANE : Les créatifs avaient le nez sur le guidon ? Ils étaient dans leur bulle, pensaient peut-être aux riverains sans vraiment les associer ?

Miene MATHON : Dans l’urgence, je pèse mes mots, de : « Ouah, on va faire ça, vite fait, bien fait », personnellement, je n’ai pas eu de contacts. Mais je voyais bien par exemple en Grande-Bretagne, à Manchester ou même York, aux Pays-Bas, où le public s’intéresse aux grands projets. Donc, je ne peux même pas répondre à cette question, mais je vois ce qui se passe aujourd’hui. Là, on parle de 1982-83, … Je pense, mais il faudrait que je relise des études, qu’il y a d’autres villes qui ont su créer de plus grands liens, notamment à Lille, Strasbourg, plus tard Marseille où j’allais voir et Nanterre. Ça, je trouve que c’est un bel exemple d’une ville qui a quand même su s’ouvrir vers Paris, …

Taos AÏT SI SLIMANE : Ce qui ne serait pas une occupation de territoire mais un aménagement, dynamique de territoire qui associe, intègre, ses habitants ?

Miene MATHON : C’est ça, un aménagement pour le public.

Taos AÏT SI SLIMANE : Revenons à vous et à votre arrivée à la Cité en projet. Quand vous arrivez en 1982, vous avez intégré un petit groupe qui travaillait sur un objet précis ou avez-vous été mise à la disposition de tous les groupes projets qui pouvaient avoir besoin de vos compétences ? En d’autres terme étiez-vous sur une fonction transversale ?

Miene MATHON : Non, non, … je ne suis pas comme ça. J’ai la discipline du Nord, je dis cela avec humour et du recul. Cela me plaisait de dessiner pour les tous petits, plus précisément pour les 6-12 ans, le public cible de ce qui allait être l’Inventorium. À un moment donné, comme il y avait du retard et que j’étais jeune et enthousiaste, on me donnait d’autres tâches pour d’autres ilots : les bulles, les maths, etc. C’est vers la fin que j’ai travaillé sur des projets liés à la toute petite enfance, à la météo et à l’informatique. Puis, on a fait l’exposition sur l’Or.

Taos AÏT SI SLIMANE : Qui, d’après vous, à proposer le terme d’Inventorium ?

Miene MATHON : Je ne sais pas.

Taos AÏT SI SLIMANE : Quels ont été précisément les ilots sur lesquels vous aviez travaillés ?

Miene MATHON : « Les machines à monter l’eau », « Les bulles de savon », « Temps et rythme » ; les engrenages, je ne me rappelle plus le terme exact, Les puzzles, Les maths. J’ai aussi travaillé sur « L’illusion » et « Géologie », mais ce n’était pas dans l’Inventorium, sur la cohérence entre ces espaces, parce qu’il y avait des liens avec les architectes, qui se passaient pas toujours très bien, parce qu’on ne travaillait pas dans le même espace-temps … Voilà les quelques éléments qui me reviennent en tête, mais il n’est pas impossible que cela me revienne à la relecture du texte de cet entretien. Je complèterai alors si besoin. Par rapport à « L’Illusion », j’aimais bien retravailler ce côté théâtre absurde de mon enfance.

Taos AÏT SI SLIMANE : Qu’est-ce qu’il y avait de plus stimulant à cette période ?

Miene MATHON : De ne pas travailler tous les jours ensemble, de pouvoir tester par des maquettes ce qu’on inventait, de ne pas trop parler mais de faire, soit le côté fabricant, etc. Il y a aussi Les machines à monter l’eau, où je me suis éclatée et pour lesquelles on m’a complétement fait confiance. Dessiner des tables pour l’informatique, c’est moins drôle, mais c’était tout de même intéressant parce que c’était pour le projet : « Qu’est-ce que l’informatique va nous apporter ? », et là j’avais travaillé avec BOURGUIGNON. En fait, il y a plusieurs réponses.

Taos AÏT SI SLIMANE : De mémoire, quelles ont été, pour vous, les idées et concepts scientifiques les plus compliqués et les difficiles à traduire en volume, et surtout à transcrire pour des enfants ?

Miene MATHON : Je ne peux pas vraiment répondre à cette question, bien que je la comprenne. Parce qu’on sait dessiner, on communique avec une équipe sur ce qui peut être fait. Exemple, si l’on travaille sur les engrenages, pour une quelconque raison, il faut qu’on parle ensemble, avec tous les concernés, ce qu’il convient de faire, comme par exemple « les petits doigts des enfants », ce qui implique de faire des engrenages à leur échelle. En fait parler de toutes les décisions à retenir pour des objets qui sont dans un espace, articulé dans un ensemble, …

Taos AÏT SI SLIMANE : Tout en prenant en compte son sens scientifique et technique …

Miene MATHON : Ça, je pense que je sais le faire.

Taos AÏT SI SLIMANE : Vous étiez intéressée par la réalisation en volume d’un « phénomène » technique, scientifique, vous faisiez vous aider par des experts du domaine, des scientifiques ?

Miene MATHON : J’ai au départ une bonne formation scientifique et nombre de mes ami.es étaient à l’Université Paris VII, donc des scientifiques.

Taos AÏT SI SLIMANE : Avec qui faisiez-vous les tests ?

Miene MATHON : Je testais moi-même, je faisais également des tests avec des ami.e.s et des collègues, etc.

Taos AÏT SI SLIMANE : Qui avaient tous des doigts plus grands que ceux des tous petits enfants, …

Miene MATHON : Certes, mais quand on fait un APS, dans le processus …

Taos AÏT SI SLIMANE : Y-avait-il des préfigurations avec des enfants ?

Miene MATHON : Bonne question, cela aurait dû se faire, mais ce n’était pas possible. Mais comme je travaillais en banlieue, dans les centres de loisirs et à la CLEF, je l’ai fait de façon générale, on aurait pu mieux faire …

Taos AÏT SI SLIMANE : Donc, de façon informelle, dans le maquis en quelque sorte …

Miene MATHON : Complètement informelle en effet. Par rapport au dessin technique, on était aidé quand même. Il y avait des scientifiques avec nous, on travaillait ensemble autour d’une table.

Taos AÏT SI SLIMANE : Des spécialistes de la petite enfance, du développement des enfants, de l’ergonomie ou des disciplines impliqués dans le sujet des manips ?

Miene MATHON : Non, je n’en ai pas souvenir, des spécialistes de la petite enfance. Je pense qu’à l’intérieur de l’équipe, il y avait l’implicite de prendre en compte les enfants quand on travaille pour les enfants.

J’avais des amis néerlandais ergonomes, mais quand on se revoyait c’était pour faire de la voile ensemble.

Taos AÏT SI SLIMANE : Mais, vous n’étiez pas entourés de spécialistes des enfants …

Miene MATHON : Non, je n’ai pas mémoire de ça. Non. Je n’irais pas jusqu’à dire que c’est inné chez moi, mais j’ai toujours beaucoup travaillé avec et pour les enfants, j’ai donc par expérience, et parfois de manière empirique, acquis de bons réflexes. Christine LAVAUD, qui avait une grande connaissance du musée des enfants, nous a aidés quand même, mais c’est aussi en faisant bien sûr. À cette époque, je travaillais de temps en temps avec d’autres équipes, notamment avec des personnes que je vois toujours, du début de Beaubourg et les espaces de médiation pour le jeune public. Donc ce qui se mettait en place à d’autres endroits, aussi à Saint Germain-en Laye et Marly-le Roi.

Taos AÏT SI SLIMANE : Vous insistez toujours sur « en faisant », vous voulez bien expliciter ?

Miene MATHON : C’est mon côté néerlandais, où le côté du faire est important.

Taos AÏT SI SLIMANE : Cela n’a rien de spécifique à cette région du monde. Ne serait-ce pas lié à ta formation (où l’art manie beaucoup la matière) et à tes expériences en animation ?

Miene MATHON : Oui, oui, je fais toujours comme ça d’ailleurs, on apprend à apprendre en faisant. C’est juste de la méthode, le chalenge était grand, parce que il n’y avait pas d’exemple sur certains phénomènes, il fallait donc aller dans les archives pour comprendre telle ou telle machine, c’est pour cela que je mets l’accent aujourd’hui sur Les machines à monter l’eau, parce que je voyais bien que c’était limite. Je me souviens avoir demandé aux architectes, qui se trouvaient à côté de la Grande Halle (mais aussi dans leurs agences à Paris) : « … Le bac que j’ai dessiné, le poids à mon avis fait tant, qu’est-ce que vous en pensez ? » Ils me répondirent : « Ah, bon, mais c’est un problème, et bla-bla-bla, … » Ce à quoi je répondais : « Soit, mais alors donnez-moi les limites, les contraintes, … » Mais comme ils étaient dans un autre espace-temps, on ne se comprenait pas forcément, … Finalement, j’ai calculé la charge d’eau que pouvait monter un enfant et j’ai fait avec ça, … Donc, par rapport à la limite, c’était juste celle que j’avais moi évaluée, comme je ne suis pas ingénieur, c’est quelque peu limité, …

Taos AÏT SI SLIMANE : Vous anticipez ma prochaine question, mais je la pose quand-même : y avait-il des ingénieurs avec vous ?

Miene MATHON : Oui, mais ils intervenaient, c’est toujours comme ça en scénographie : on dessine, on développe, on soumet et là bien sûr il y a d’autres compétences qui prennent le relais, notamment pour la sécurité, etc. Par contre, je n’ai pas de souvenir, Richard NEILL et d’autres, dont je ne me souviens plus des noms, nous aidaient quand-même, ils nous disaient : « Tu as tant au mètre-carré, cela devrait être bon, … ». J’ai quelques notions de physique également.

Un autre exemple, avec GILL, on travaillait sur Les bulles de savon, je dessine, je les soumets à Richard, de toute façon ce n’était pas bien compliqué de faire des bulles de savon, j’avais prévu des grilles puisque le savon glisse, il fallait donc penser au sous-sol et à l’éclairage, et de nouveau on n’était pas d’accord avec les architectes, parce que les chantiers soit allaient trop vite soit pas assez vite, … Mais, bon on a réussi.

Je me souviens aussi avoir défendu souvent, dans des réunions, le fait de toujours tester, on me répondait : « Oui, mais cela va faire ceci, cela va faire cela, etc. ». J’étais peut-être jeune mais j’osais dire : « Oui, vous avez tous raison, mais ce n’est qu’en testant qu’on peut le faire, donc on va utiliser des matériaux temporaires. Ne mettant pas le paquet sur des matériaux définitifs, à l’issue de la période de test, on ajustera et le dessin et les matériaux stabilisés. » Ça, cela a été fait, mais je n’étais plus sur Paris à ce moment-là.

Taos AÏT SI SLIMANE : Qui était le chef de projet de l’Inventorium ?

Miene MATHON : Pour moi, c’était Adèle ROBERT.

Taos AÏT SI SLIMANE : Vous voilà, en quelle année déjà, quittant le projet, pour aller à Naples, c’était en 1984 ?

Miene MATHON : Je ne sais plus très bien. Il faut regarder les dates de l’exposition Or. Juste après, son ouverture, comme j’étais fatigué et que j’avais un projet à Naples, je suis partie.

Taos AÏT SI SLIMANE : C’était donc après le 15 juillet 1986, date de clôture de l’exposition Or. Comment êtes-vous passée du projet Inventorium au projet de l’exposition temporaire Or ?

Miene MATHON : Tout simplement, par l’intermédiaire de groupes d’amis. Il y avait du travail, on y aller.

Taos AÏT SI SLIMANE : Vous étiez salariée de quel boîte, bureau, établissement … ?

Miene MATHON : J’étais intermittente, c’était l’EPPV qui honorait mes cachets. J’ai encore mes fiches de paies. Mon statut était très clair, même s’il était un peu embêtant puisqu’il fallait s’occuper de la TVA, mas bon, j’ai pris un agent comptable et tout était clean…

Petite « anecdote », par rapport au fait que d’un coup je gagnais beaucoup d’argent d’un coup, étant jeune on n’a pas forcément besoin d’avoir tout cet argent, la première chose que j’ai faite, ça a été d’aller à la Fnac, pour m’acheter les œuvres dont j’avais besoin et de la musique. J’avais aussi des amis Anglais, comme je le disais tout à l’heure, qui eux étaient occupés par le film d’animation, je me souviens que quand un des amis est venu, on a été ensemble à la Fnac, et je lui ai offert tous les livres sur les films d’animation. Mes amis vont très bien, ils sont toujours à Bristol et leurs activités se sont très bien développées. C’est juste une anecdote qui parle de cette époque, …

Taos AÏT SI SLIMANE : Ils sont producteurs de films d’animation à Bristol ?

Miene MATHON : Oui, Aardman [6] et maintenant Wonky-films [7], ils sont connus, ce n’est pas qu’eux, mais je ne vais pas nommer tout le monde.

Taos AÏT SI SLIMANE : Les hasards de la vie sont souvent très intéressants … en ces temps là où il y avait de grandes effervescences dans les milieux culturels, politiques, artistiques, etc., il y a comme une démultiplication des possibles. Je trouve intéressant de regarder les bulles qui font coalescence, sans être forcément miscibles ...

Miene MATHON : C’est tout à fait ça. Et cela se produit parce que vous parlez plusieurs langues, parce que vous êtes ouverts et disponibles pour les rencontres, parce que vous êtes curieux, enthousiastes, parce qu’il y a des contacts entres les écoles d’art, etc. mais c’est aussi des moments où on peut faire des erreurs, rater des rendez-vous. Je me souviens par exemple de Philippe STARCK qui voulait absolument me voir, je ne savais pas pourquoi, et moi j’ai choisi autre chose, j’avais bien sûr eu tort de ne pas lui avoir accordé toute l’attention qu’il méritait. Je le sais aujourd’hui, mais je ne pouvais pas le deviner, … Une chose est sûre, entre 20 et 30 ans, quand on est en formation où quand on a la chance de travailler, toutes les portes sont ouvertes, toutes les opportunités sont à portée de main. J’espère que c’est toujours le cas. Je pense que oui, entre les écoles d’art, il y a de forts liens, ce qui me semble normal, heureux. Je vais reprendre l’exemple de l’engrenage, quand on dessine des engrenages on comprend aussi qu’il y a des liens avec le film d’animation … Oui, en effet ce sont des champs des possibles.

Taos AÏT SI SLIMANE : De ce que vous me dites, je comprends l’importance pour une école d’être ouverte, de ne jamais s’isoler du faire, d’expérimenter …

Miene MATHON : Oh oui ! Si on pouvait faire quelque chose pour ça, cela serait grand ! C’est ce que je défends au sein des projets européens, d’Erasmus+. C’est en faisant que l’on apprend, pas exclusivement bien sûr. Aujourd’hui, avec l’internet, on peut se documenter, avoir une vue globale sur un sujet, mais rien ne peut remplacer les professionnels de terrains pour creuser et améliorer son savoir et savoir-faire. Donc, pour moi, bravo le BTS, par exemple. Pour le projet Grundtvig AL4ED, j’ai été questionnée, lors d’une visite-étude en Turquie, mais c’était en turque, langue que je ne parle pas, il y avait heureusement un ami, Bilal YAVAS, qui me traduisait, on me demandait ce que je pensais de l’enseignement en Turquie. J’ai répondu que je n’en savais strictement rien pour ce qui concernait la Turquie mais qu’en revanche je trouvais les BTS en France très intéressants et performants. Ce qu’il faut comprendre, quand on est designer ou scénographe, c’est avec des matières qu’on travaille, on doit les connaître, le plexiglas n’est pas du verre. Aujourd’hui, en scénographie, on peut faire des choses magnifiques avec du plexiglas, grâce, entre autres, au LED, etc. Il faut donc se tenir au courant par rapport aux matériaux et à leur évolution.

Taos AÏT SI SLIMANE : En d’autres termes, exercer une veille technique et technologique sur tous les champs qui impactent vos activités, tout en suivant les innovations et variations des usages et des pratiques aussi bien des professionnels que des usagers et des publics …

Miene MATHON : C’est ça. Je trouve tout cela passionnant parce que il y a toujours l’humain derrière, sans cette vigilance et veille on peut faire beaucoup d’erreurs, …

Taos AÏT SI SLIMANE : Quand on est en alternance par exemple, il y a une sorte d’apprentissage qui se fait par mimétisme du guidant, du maître, cela me semble moins ouvert que quand on prend son envol pour explorer de vastes territoires …

Miene MATHON : Est-ce vraiment du mimétisme ? Il faudrait demander à un psychanalyste, après tout, c’est peut-être structurel, propre à chaque enfant, à chaque individu … Un exemple, un peu bête, disons plutôt trivial, c’est la cuisine en France. C’est quand même super que des familles cuisinent et testent tel ou tel produit.

Taos AÏT SI SLIMANE : Je suis peut-être une grande rêveuse, une idéaliste, mais il me semble dommage que l’on fasse son apprentissage sous les ailes d’une même personne. Il y a selon moi des différences significatives entre un alternant dans une entreprise et un apprenti des compagnons du devoir qui font le tour de France, voire du monde, afin de multiplier leurs expériences dans des contextes suffisamment diversifiés pour se fortifier, en ayant rencontré plusieurs mentors, etc. Et ce n’est qu’à l’issue d’un tel périple, sans doute éprouvant à divers niveaux, que l’on peut s’établir …

Miene MATHON : Vous avez sans doute raison. L’expérience des apprentis du devoir est enviable mais fort contraignante et pas à la portée de tout le monde.

En tout cas, pour des métiers liés à la création, qui doivent tenir dans la durée, on travaille bien sûr dans un cadre, comme la scénographie, et ce n’est pas parce qu’il y a moins d’argent qu’on n’invente pas des façons de faire. Avec du papier et du latex, on peut faire des choses magnifiques, mais on ne peut pas faire un Inventorium pour enfants. Le fait que nous ayons fabrique cela avec des matériaux qui durent ou pas, ce n’est pas moi qui ai choisi, c’est l’argent qui a déterminé le choix. Vous me suivez ? On n’est pas en1982, ni dans 1984, mais de fait que les personnes se voient toujours, c’est déjà amusant, on a senti dès cette période qu’il y avait vivier finalement. Je parlais des folies, je travaille toujours sur des folies. Je ne dis pas que le musée soit en soi une folie, mais dans le Parc, c’était bien vu, …

Taos AÏT SI SLIMANE : Dans Paris et pour le reste de la France, il constitue peut-être une sorte de folie, une belle et grande folie, …

Miene MATHON : C’est une belle folie, qui ne résume pas tout ce qui a été fait, pour ma part, je ne me souviens pas de tout.

Taos AÏT SI SLIMANE : Les contraintes ne brident pas l’imaginaire, elles délimitent l’espace, l’aire des possibles, le lieu d’explosion de l’imaginaire et de la créativité, … J’ai bien conscience du fait que l’imaginaire ne se déploie pas de la même manière selon qu’on ait ou pas les moyens d’aller au bout de nos « délires créatifs », … mais de ce que je sais les ressources financières ne manquaient pas pour la conception et la réalisation de la Cité, …

Miene MATHON : On a tous à l’esprit des chantiers et des réalisations aboutis avec peu de moyens, mais là n’est pas mon propos. Ce qui est intéressant, à mon avis, par rapport aux étrangers, qui sont venus travailler pour le Parc, c’était, à cette époque, l’ouverture d’esprit de la France en général, ce qui selon moi n’avait rien à voir avec la politique, cela s’est trouvé comme ça, je ne sais comment ni pourquoi. Il y avait une effervescence intellectuelle et artistique. Donc, quand je défends mon propre travail, je dirais, comme d’autres Néerlandais, que c’est grâce au fait que dans les pays nordiques on apprend ce qu’est la lumière, qu’on peut placer des objets phares, qui ont du sens dans un parcours, parce que finalement le scénographe fait un parcours éclairé. Du moins, je l’espère.

Taos AÏT SI SLIMANE : Vous parlez de la lumière ou des Lumières ? La lumière physique ou les lumières de l’esprit ?

Miene MATHON : Les deux. Finalement, « mon héritage », moi qui vient des Pays-Bas, avec Rembrandt, l’ombre et la lumière, … On a vu cela aussi en travaillant à Trondheim en Norvège. J’ai vu comment était fait le musée des sciences, là aussi c’était beaucoup « on manipule », « on touche », « on comprend ou on ne comprend pas », « aie, cela fait mal », etc. en fait chacun son propre parcours de visiteur qui fait que l’on comprend le phénomène. Disons que dans les pays du Nord on a cette approche, sans doute lié à l’éclairage sur un phénomène, qui fait qu’il y a une connaissance qui se construit. Je ne sais pas si c’est très clair, ce que je dis-là, …

Taos AÏT SI SLIMANE : Je vous suis, pas de souci. Je vais me permettre de vous poser une question très « bête ». Le fait de trouver la solution inhibe quelquefois l’imaginaire. À mon tour d’essayer d’être claire. On a un objet en tête, tant qu’on le pense, à mesure qu’on le crée, il se transforme, cela alimente l’imagination et la créativité, une fois que l’on a trouvé la bonne solution, on le fige. L’imaginaire se met au dormance sur cet objet. Ai-je tout faut en disant cela ?

Miene MATHON : Ça, c’est une question à laquelle je peux répondre, mais il faudrait demander à mon ami Yo, qui travaille pour le design de la RATP. Il a tweeté, et je suis d’accord avec lui, que « chaque être humain a droit à du design », voilà, … Après, par rapport à l’objet, s’il est petit, il peut être utile, etc. Je pense qu’un architecte ou même designer d’espace pense autrement, parce que ce ne sont pas que des objets qu’on met en lumière, c’est un parcours, c’est un parcours sensible. Je ne peux pas vraiment répondre à cette question.

Taos AÏT SI SLIMANE : Elle est sans doute mal posée. L’usage et les pratiques, si l’on est attentif, peuvent faire évoluer les objets, et même les parcours matériels et sensibles. Mais il arrive que certains livrent une réalisation, une création et ne la regardent plus « vivre », ce qui les privent, peut-être, d’une possibilité de continuer à la faire évoluer, transformer, voire muter et éclore dans une forme radicalement nouvelle, … et, selon moi, les ajustements et mutations continues, sont comme un collier où s’enfilent à chaque étape de nouvelles créations, une création continue en quelque sorte. Certains disent : « On m’a demandé ça, j’ai livré en fonction de la commande, je passe à autre chose, sans me retourner. », y compris pour des espaces permanents d’ailleurs, …

Miene MATHON : Ce n’est pas ma philosophie de tourner la page sans trop me soucier de ce que deviennent mes créations. Je vous suis dans votre raisonnement, sans doute là encore mon côté néerlandais, pragmatique et je l’espère un peu poétique aussi. Quand on a une cafetière qui fonctionne, par exemple une cafetière italienne, qui fonctionne très bien, on n’a absolument pas besoin de revenir sur cet objet, c’est les parcours qui sont intéressants et le café. C’est contenant finalement une cafetière. Par contre, quand on apprend que l’aluminium n’est pas bon pour la santé, il vaut mieux acheter une cafetière en inox, mais la forme et l’utilité changent pas. Il y a des objets de tous les jours, notamment les rames de métro, cela fonctionne depuis très longtemps. Je pense que c’est une question de mode que de vouloir les changer, d’intervenir sur la forme. Une chaise reste une chaise, une mauvaise chaise restera toujours une mauvaise chaise.

Taos AÏT SI SLIMANE : Et / ou, dans le cas des rames de métros, des raisons ergonomiques, sécuritaire, voire même quelquefois financières, etc.

Miene MATHON : En fait, je ne peux pas vraiment répondre à votre question. Il me faut réfléchir. Je demanderai à mes enfants, mon fils est architecte aux Pays-Bas.

Taos AÏT SI SLIMANE : Prenez tout votre temps, vous le ferrai à la relecture en vue de la validation. Vous pouvez aller aussi loin que vous voulez, y compris en écrasant mes questions et commentaires.

Miene MATHON : En fait, je ne peux pas vraiment répondre à votre question. Il me faut réfléchir.

Taos AÏT SI SLIMANE : Revenons à votre récit. Qu’elles ont été vos contributions sur l’exposition l’Or ?

Miene MATHON : Quand je suis arrivée dans l’équipe, on m’a demandé de faire une maquette pour un chantier à finir, puis on a démarré l’exposition sur l’Or. « Que dois-je faire pour l’exposition ? », on me répond : « Tu te documentes ». C’est ce qu’on fait tous. Sylvie, Pascal et Gilles ont dessiné le parcours. Moi, j’ai plutôt travaillé sur les vitrines.

Taos AÏT SI SLIMANE : Principalement sur les formes des contenants ?

Miene MATHON : Pas, seulement, j’ai aussi travaillé sur les contenus, des petites machines qui montraient les processus de séparation des matières, pour extraire l’or, on a également fait une entrée de mine, vous la connaissez l’exposition ?

Taos AÏT SI SLIMANE : Non, je n’étais pas là et je ne l’ai pas visitée.

Miene MATHON : En fait, c’était un parcours très bien sensible, très bien fait, notre problème c’étaient les travaux du bâtiment principale de la Cité qui n’étaient pas finis, tous les chantiers se chevauchaient. Pour l’exposition, on entrait par une grotte, puis suivait l’histoire des chercheurs d’or, etc. Moi, j’ai plutôt travailler sur les maquettes, que j’ai dû réaliser. Également avec les constructeurs sur place.

Taos AÏT SI SLIMANE : Cela avait duré combien de temps ?

Miene MATHON : Si mes souvenirs sont bons, environ une année, pour tout le processus. Moi, je n’étais pas tout le temps là. C’était un hiver très froid et des fois j’allais travailler rue de Charonne et à Montmartre.

Taos AÏT SI SLIMANE : Physiquement vos bureaux étaient basés où ? Dans la halle aux moutons ?

Miene MATHON : Non, pas du tout, d’ailleurs, cela avait beaucoup changé, y compris quand on est arrivé dans le site de la Cité, puisque le ministère de l’éducation nationale prenait le relais. Nous, on travaillait de la Place de la Nation, directement avec les constructeurs.

Taos AÏT SI SLIMANE : Des bureaux gérés par l’EPPV, ou étiez-vous installés en tant qu’indépendants ?

Miene MATHON : On était dans une structure, qui s’appelait Les productions de l’ordinaire, avec Gilles LACOMBE, qui habite encore aujourd’hui à Montreuil. Je ne le vois plus beaucoup aujourd’hui, mais je suis restée en contact avec d’autres ami.es. Je ne sais pas pourquoi ils ont quitté ce lieu magnifique dans une ruelle du 12ème arrondissement de Paris, certains y vivaient, mais il y avait aussi les bureaux. Moi, j’étais toujours sous un statut d’intermittent, et là on produisait aussi les projets dont on avait la charge. Il y avait là également les constructeurs, encore un point très, très intéressant dans tout le processus de conception, on apprend énormément auprès des constructeurs. La vie dans des ateliers où se côtoient des personnes ayant des compétences diverses, c’est précieux, un luxe utile et absolument indispensable. Personnellement, mais je ne suis pas la seule, je n’ai jamais quitté le fonctionnement en atelier. L’atelier, c’est le lieu où l’on reçoit les gens et où l’on fabrique, réalise les commandes. Jean-Jacques BRAVO, Pascal PAYEUR, Gilles LACOMBE, Sylvie, JOUSSERAND, on se revoit de temps en temps, …

Je reviens à l’exposition sur l’Or. Je ne sais pas qui était à l’initiative de ce projet, mais je trouvais très judicieux de démarrer par ce thème pour la première exposition temporaire. Je me souviens avoir découvert qu’en France aussi on cherchait l’or. C’était finalement un sujet très français.

Taos AÏT SI SLIMANE : Quelles autres expositions vous ont marquées ?

Miene MATHON : Géologie, puisque j’ai travaillé sur la fabrication d’une roche. Il faut connaître un tout petit peu la géologie pour dire : « Attendez, les failles, ce n’est pas un machin tout droit, etc. », pour le reste, on intervenait surtout ponctuellement, sur de petits points pour finir les chantiers. Là, on n’était pas sur la pensée, la conception, mais sur la fabrication et la finition. La finition, c’est fatigant, c’est prenant, …

Taos AÏT SI SLIMANE : Des charrettes où se mêlent le stress et les fêtes pour la décompression, ça devait glouglouter pas mal, non ?

Miene MATHON : Oui, oui, mais moi j’étais trop sérieuse, je bossais beaucoup, parce que j’étais quand même très content d’avoir du boulot, d’être autonome. Je n’avais plus ma bourse, pas des parents pour m’aider, je me devais d’être « rigoureuse », sérieuse. Il y a eu la période des charrettes où on dormait sur place, on buvait bien sûr, mais je ne restais pas à Paris le soir, sauf quelquefois dans un squat le long du canal, qui a finalement brûlé, …

Taos AÏT SI SLIMANE : Vous avez quand même été au bout de votre formation, vos études ?

Miene MATHON : Oui, j’ai eu mon diplôme.

Taos AÏT SI SLIMANE : La Cité ouvre, vous soufflez et vous vous dites, je m’en vais, au moins quelques temps ?

Miene MATHON : Comme en géologie il y avait encore du travail, on me demandait de prendre des notes et je faisais des croquis, etc. Le père de mes enfants est allé à Naples pour surveiller le Vésuve, avec un groupe d’ami.es, que je fréquente toujours. Je suis partie moi aussi à Naples, parce qu’ils voulaient bien que je parte avec eux sur le terrain mais ils n’avaient pas de sous, et je me suis dit, je ne vais quand même pas travailler à l’œil non plus, je vais suivre ça de loin mais je vais profiter de la ville. Un ami m’a prêté un vélo et j’ai pu faire un très bon reportage. Au début, je voulais voir ce qu’était la mafia, mais c’était un peu naïf de ma part. En fait j’ai fait un reportage, sur deux mois, avec principalement des diapositives et quelques dessins, que j’ai toujours, sur les Champs Phlégréens, sans oublier le côté humain, comme vous devez le savoir, Naples est passionnante.

Après Naples, j’ai été, pour presque quatre ans, au Pays-Bas où j’ai travaillé, mais j’ai eu du mal à me réintégrer dans la vie néerlandaise, probablement parce que j’avais des enfants et que je n’arrivais pas à tout mener de front.

Taos AÏT SI SLIMANE : Je ne voudrais pas être indiscrète mais votre compagnon est-il Néerlandais ?

Miene MATHON : Non, Français.

Taos AÏT SI SLIMANE : Il vous a suivi au Pays-Bas pendant quatre ans ?

Miene MATHON : Il avait trouvé du travail en géologie au Pays-Bas, c’était un pur hasard. Comme j’étais en pays connu tout de même, je me suis dit : « Je fais ça, ci, etc. » en fait j’ai beaucoup travaillé pour le cinéma féminin, ce qui n’avait pas à voir avec le design mais cela me plaisait, …

Taos AÏT SI SLIMANE : C’était du design de la pensée …

Miene MATHON : En quelque sorte, oui. Concrètement, il s’agissait de visionner des films, de les sélectionner, d’écrire des critiques, c’était dans le secteur art et essai, là évidemment j’ai fait d’autres rencontres.

Taos AÏT SI SLIMANE : Vous étiez bénévole ou salarié pour ces activités ?

Miene MATHON : Un peu les deux. J’avais un atelier, j’ai beaucoup peint. J’ai exposé et vendu quelquefois, mais ce n’était pas ce que je voulais faire. À mon retour en France, j’ai retrouvé les petits boulots annexes, j’avais bien compris que je ne pouvais pas prétendre avoir une agence toute seule, élever les enfants, etc. J’ai donc travaillé comme scénographe en banlieue, pendant des années et des années. Aujourd’hui que mes enfants travaillent, je suis plus libre pour retravailler dans ces domaines.

Taos AÏT SI SLIMANE : Quand vous avez travaillé en banlieue c’était dans quel cadre ? Des projets d’état ou de région, lesquels ?

Miene MATHON : Des projets de ville, département, région. J’aime bien l’idée des écomusées, je me rapproche donc de ça. J’ai par ailleurs restructuré une association parisienne, pour être porteurs de projets européens, d’où Erasmus+. Il s’agit de donner de la méthode à des projets. Je dois dire que la vie a changé pour les créateurs, pas parce qu’il y a moins d’argent ou moins de volonté publique, mais les choses sont devenues extrêmement compliquées, parce qu’on se complique la vie. Faire des parcours à l’extérieur ou à l’intérieur, c’est quand même toujours des parcours, cela ne peut pas être fait que par des scientifiques ou par des designers ou par des conservateurs de musée. Je pense que la scénographie en soi, que ça soit plus pour le théâtre ou pour des expos pour des musées, c’est un vrai métier.

Taos AÏT SI SLIMANE : Quelle est votre définition de la scénographie ?

Miene MATHON : On est auteur puisqu’on décrit un projet, en répondant à une demande ou à notre propre initiative. C’est seulement ça.

Taos AÏT SI SLIMANE : Cela se limite à la description d’un projet ?

Miene MATHON : Au début oui, après on essaye de développer mais il faut d’abord que cela plaise et qu’il y ait de l’argent pour le réaliser.

Taos AÏT SI SLIMANE : Je reformule ma question, si quelqu’un vous demande d’expliquer les fonctions, les activités d’un scénographe, que lui répondrez-vous ?

Miene MATHON : Un scénographe, c’est celui qui invente des parcours sensibles. Je dirai cela, ce qui n’est pas la même chose que d’être designer quand même, mais cela dépend des personnes. Le designer prévoit des objets qu’on peut multiplier. Il est dans un processus : « J’invente un objet et on va en faire plusieurs. » Le scénographe prévoit une fois un parcours et puis c’est tout. Il peut y avoir des objets à l’intérieur du parcours, mais c’est le mot parcours qui est important.

Taos AÏT SI SLIMANE : Quelle(s) distinction(s) faites-vous entre un scénographe et un muséographe ?

Miene MATHON : Le muséographe et le scénographe travaillent ensemble. Le muséographe apporte sa connaissance des textes et théories mises en jeu et le ou la scénographe mais en forme le contenu. Cela passe par l’esquisse pour le ou la scénographe.

Taos AÏT SI SLIMANE : Et l’architecte ?

Miene MATHON : Il peut être l’un ou l’autre. En fait ces trois métiers s’interconnectent. Il est difficile de se passer de l’architecte, mais il faudrait demander aux architectes qui sont par ailleurs scénographes, vous verrez que faire un parcours sensible, ce n’est pas réellement de l’architecture. Bien sûr, le lieu doit être dessiné, défini.

Pour revenir à la muséologie, à l’époque de la conception de la Villette, tout cela n’était pas du tout clair, on n’entendait pas le mot de muséologie, mais cela se faisait. C’est beaucoup plus tard qu’il est arrivé : ah, c’est de la muséologie, d’accord, …

Taos AÏT SI SLIMANE : Muséologie ou muséographie d’ailleurs ?

Miene MATHON : Je ne sais pas. Moi, je reste scénographe.

Taos AÏT SI SLIMANE : Il me semble tout de même important de bien nommer les choses et les situer dans l’histoire.

Miene MATHON : Les situer dans l’histoire, cela serait important en effet, mais personnellement, je ne suis pas assez liée aux universités pour pouvoir répondre à cela. Je suis des chantiers à l’École des hautes études en sciences sociales mais en marionnettes, peut-être que je pourrais leur poser des questions sur les terminologies. Personnellement, je me place plutôt du côté des créateurs, parce qu’on transmet aussi l’envie de dessiner, ce sont là des choses toutes simples, par rapport aux cours qu’on donne.

Taos AÏT SI SLIMANE : Comparativement aux institutions culturelles que vous connaissez en Europe ou ailleurs, avez-vous l’impression que cet établissement (Cité des sciences et de l’industrie et le Palais de la Découverte) soit original et compte dans l’écosystème des lieux de médiation des sciences et des techniques ? Si oui, en quoi ?

Miene MATHON : Il compte bien sûr, aussi bien le Palais de la découverte que la Cité des sciences. Je pense que c’est du côté français qu’il n’est pas assez identifié. Les Français sont par exemple très fort en maths, faisons un méga truc sur ce qui fonctionne en France, pour sensibiliser les publics français à l’intérêt et importance de ces deux établissements. Cela pourrait être l’art du langage, - on est là dans le bâtiment Descartes – le côté cartésien parlons-en, cela est ultra intéressant ce lien entre la langue, l’apprentissage en général, et les mathématiques ; ce sont de supers sujets. Je dis cela un peu rapidement pour répondre à votre question.

Taos AÏT SI SLIMANE : La question de la ligne éditoriale est sous-jacente mais ma question concernait la crédibilité et la visibilité européennes et internationales de ces deux établissements dans le champ culturel, avec leurs caractéristiques et spécificités, même s’il est difficile de les mettre en rapport avec les musées, ce qu’aucun des établissement d’Universcience n’est.

Miene MATHON : C’est par exemple, ici, une Cité, au sens grec du terme, et ça, c’est super. J’ai des ami.es qui travaillent à Pantin, je me demande comment les riverains par exemple perçoivent la Cité des sciences. Par rapport aux étrangers qui viennent à Paris, quand j’ai fait des « visites -études », souvent pour des Européens qui viennent pour six jours à Paris, je ne venais pas forcément la Villette, parce qu’on s’adapte au groupe et que c’est souvent des enseignants, des bibliothécaires, je les amène plutôt au Musée de l’homme, c’est aussi parce que plus petit. Je les amène également à Versailles pour visiter le jardin du potager du roi.

Taos AÏT SI SLIMANE : Ma question ne visait pas forcément les pratiques des étrangers visitant Paris. La Cité des sciences est quelque sorte une « folie » de la République française, connait-on des équivalents à l’étranger ? Des muséums, il y en a partout, des musées d’art également, la création de la Cité des sciences reste quand même un geste très audacieux, …

Miene MATHON : C’est une bonne et belle folie (un « folly ») qui mérite d’être mieux identifiée, et c’est, selon moi, le bon moment pour le faire, la Philharmonie étant achevée, même si tout n’est pas complètement fini, il y a au niveau de l’ensemble de la Villette une harmonie dont on ne peut qu’être fier.

Taos AÏT SI SLIMANE : La Cité des sciences et de l’industrie, la Géode, le Zénith, la Cité de la musique, le Conservatoire, la Cité de la danse, les folies, la Grande Halle, les divers jardins, etc. vu de l’extérieur, hier comme aujourd’hui, aviez-vous l’impression que cela faisait un tout cohérent, bien articulé ou juste des juxtapositions de lieux de programmation culturelle ?

Miene MATHON : À l’époque, on sentait déjà des tensions entre toutes les structures et projets. J’habitais à Saint-Germain-en-Laye et à mes yeux, il fallait surtout, ou disons également, recréer Saint-Germain-en-Laye, c’était là aussi une vision politique. Venant des Pays-Bas, j’étais étonnée du peu de connaissances générales en urbanisme de la France. Comme ce n’était pas mon métier, je regardais cela de loin. Le fait que cette « folie » (le grand projet de La Villette) existe, un peu comme la Tour Eiffel, c’était un pôle d’attraction économique. Que les gens viennent faire la fête à dans le Parc de La Villette, est-ce que cela se sait à l’étranger ? C’est quand même cela qui fait aussi le charme du Parc de La Villette, ça fonctionne, on a vraiment envie d’y passer toute une journée.

Je reviens dans les années 1982-83-84, quand ils ont voulu démolir la Grande Halle on s’était tous opposé à cela. On leur a fait prendre conscience de l’erreur qu’ils allaient commettre en détruisant un tel édifice, surtout qu’à l’époque il y avait le trou des halles en plein cœur de Paris. C’est grâce aussi aux gens qui sont intervenus à l’époque qu’on peut aujourd’hui retracer l’histoire. Là où je veux en venir, c’est que l’urbanisme devrait, c’est quasiment des utopies, partir de l’histoire du lieu. Je pense que c’est un point qu’il faut faire émerger, éclairer.

Taos AÏT SI SLIMANE : Cela nous amène à l’histoire de la communication. A-t-on su communiquer sur le projet, dans sa globalité, ses enjeux, sa portée ?

Miene MATHON : Je ne sais pas, et cela m’attriste parce que les personnes sont aujourd’hui décédées, entre autres, celle qui a travaillé sur la typographie, on ne peut plus malheureusement lui demander. Pour répondre de manière constructive, on identifie toujours un lieu, qu’il soit petit ou grand, par sa typographie propre, et de là découlent beaucoup de choses. Pour la communication, je ne sais pas quoi vous dire. J’avais lu des articles par rapport au Parvis nord de la Cité. Je ne sais pas comment on se restaure une fois à la Cité, il manque sans doute des petits lieux de vie par rapport au quotidien. Je ne sais si cela répond à tous les besoins d’une Cité, … mais c’est bien aussi de garder un peu d’utopie, de ne pas tout vouloir finir, …

Taos AÏT SI SLIMANE : Vos réponses me laissent dubitatives, mais nous ne débattons pas dans le cadre de cette rencontre, je me contente de soulever quelques points pour essayer de connaître vos – les premiers artisans et acteurs - expériences, représentations, etc.

Miene MATHON : Je pense qu’il y a encore du boulot.

Taos AÏT SI SLIMANE : Les visiteurs français, comme les étrangers, tout comme les instances dirigeantes de l’État français d’ailleurs, sont prêts à défendre par exemple le Château de Versailles, château des rois, son jardin et son parc, qui sont en effet une part de l’histoire de France. Ils sont également prêts à défendre la Tour Eiffel, qui fut un temps en danger. Y-aurait-ils beaucoup de monde pour défendre la Cité des sciences et de l’industrie, en tant réalisation contemporaine qui a symbolisé, et symbolise encore quelque chose, tout comme le Palais de la Découverte ?

Miene MATHON : Aujourd’hui, on à Stéphane BERN, on a la ministre de la culture, Françoise NYSSEN, on a ce problème du Bouquet de tulipes de Jeff KOONS, offert en hommage aux victimes des attentats, et on oublie, c’est peut-être grave et c’est sans doute à creuser, que c’est quand même grâce aux sciences qu’on avance et pas grâce au bling-bling, je ne sais comment exprimer cette idée.

Taos AÏT SI SLIMANE : Le fait que les demeures des rois valent, patrimonialement et symboliquement, plus que des lieux de savoirs et de connaissance créés par les deniers publics au profit de tous ?

Miene MATHON : C’est hyper grave, parce qu’ailleurs en Europe, on travaille à partir des friches industrielles, comme à Nantes du reste. L’histoire et la science me semblent intimement liées, et c’est cela qui est intéressant. Quand on vient à Paris, ce n’est pas voir les tulipes de Jeff KOONS.

Taos AÏT SI SLIMANE : Le promoteur et concepteur du projet Villette ne l’ont peut-être pas suffisamment magnifié, promu, su trouver des arguments pour le faire aimer. Aujourd’hui, ça serait salutaire, selon moi, de communiquer sur le Parc et tous ses « résidents », son proche voisinage, tel le 104, Pantin, bientôt le Campus Condorcet [8], et les usages qu’on font leurs publics.

Miene MATHON : Ce qui est marrant dans mon parcours, comme je maitrise plusieurs langues, est que l’on m’a toujours envoyé sur des projets européens. C’est très intéressant parce qu’on rencontre plein de monde et on peut comparer les systèmes, principalement ceux de l’accès à l’éducation, quels que soient les vecteurs, de l’école aux bibliothèques. La France est toujours compliquée dans tous les domaines. Et quand on compare des lieux plus petits, qui ne sont pas dédiés juste à la science, on remarque quand même des choses et dans les retours d’expérience, dont on rend forcément compte dans le rapport final. Par exemple : On n’a pas été reçu par le maire du 9ème arrondissement de Paris, on n’a pas pu bien manger à Versailles, et c’est là où je veux en venir, c’est quand même étonnant pour des étrangers de venir en France et de ne pas trouver des lieux de restauration corrects. Il y avait des bouchers à la Villette, pourquoi ne trouve-t-on plus un restaurant où l’on pourrait manger de la bonne viande ? Cela pourrait être une sorte d’argument marketing. À Versailles, nous nous sommes retrouvés dans une crêperie, très chère pour rien d’exceptionnel. Les représentants des sept pays européens, dont la France, qui étaient là ne pouvaient qu’être déçus. Visiter le jardin potager du Château de Versailles, être en France dans un pays de gastronomie, et ne rien pouvoir manger qui puisse être en écho, en résonance, c’est quand même problématique, non ? Peut-être est-ce de ma faute, j’aurais peut-être dû plus me creuser la tête pour dénicher LE LIEU mémorable à Versailles, qui soit bien sûr à la portée de nos bourses, ou carrément faire venir un traiteur, …

Taos AÏT SI SLIMANE : Autour des établissements culturels, c’est quasiment le même problème partout, il n’y a plus que des franchises, une uniformisation des offres, aussi bien pour la restauration que pour le reste, …

Miene MATHON : Je me souviens qu’en 1983 ou en 1984, quand l’offre pour les enfants prenait forme, on s’était posé la question de la boutique, la fallait-il ou pas, fallait-il un Villette-bus ? Y-aurait-il ou pas un local pour la restauration des enfants ? Des questions qui n’étaient pas simples. Tout cela existe aujourd’hui, mais ce n’était pas simple du tout.

Taos AÏT SI SLIMANE : Non, tout n’existe pas, …

Miene MATHON : Je pense que c’est le rôle des scénographes ça aussi.

Taos AÏT SI SLIMANE : Vous pensez vraiment que c’est le rôle des scénographes de répondre à de telles questions, surtout si la boutique, le lieu de restauration et les vestiaires, etc. directement lié à l’espace qu’ils mettent en scène ?

Miene MATHON : Pas seulement eux, bien sûr. Aujourd’hui, j’arrive par exemple à la Cité des sciences et / ou au Palais de la Découverte, avec une délégation de 28 Européens, on mange où à des prix raisonnables, surtout si l’on veut faire le lien soit avec la culture française, soit avec les sciences et les techniques ? C’est une question concrète.

Taos AÏT SI SLIMANE : Vous avez raison, la promotion de ces liens ne peut pas se limiter à leurs seules offres, ils doivent veiller à créer les conditions d’un bon accueil à leurs visiteurs, soit au sein de leurs établissements, soit en travaillant avec leur environnement urbain par des partenariat concerté, gagnant-gagnant, …

Miene MATHON : On met en avant l’écologie, le bien vivre ensemble, le fait de bien manger, d’être dans le beau, le bon, etc. en France, mais pour les touristes, cela reste des promesses souvent non tenues dans les établissements culturels et leurs alentours. C’est vrai pour Versailles, le Musée de l’immigration, etc. Quand on a été visiter le Musée de l’immigration récemment, on a essayé de trouver un café, sans succès, pour se restaurer ils nous ont proposé de manger dans une sorte de Fab-lab où des jeunes proposent des sandwichs, mais quand il n’y a plus de sandwichs, il n’y a plus rien. Je mets l’accent là-dessus, parce que dans l’imaginaire collectif, aussi bien en France que la France vue d’ailleurs, bien manger, c’est important. Je me rappelle qu’à mes débuts à la Villette, on allait manger de grands steaks des bouchers de La Villette, mais c’était en 1982-84, …

Taos AÏT SI SLIMANE : Un restaurant avec de la bonne viande aux alentours de la Villette, je ne saurais pas vous recommander d’adresse aujourd’hui, …

Miene MATHON : Ah bon ! Je ne voudrais axer mon propos uniquement sur cela, mais ce n’est pas sans intérêt selon moi.

Taos AÏT SI SLIMANE : Mais vous avez raison d’aborder cet aspect des choses, un projet culturel s’inscrit dans un territoire, une histoire, il n’est pas hors sol, …

Miene MATHON : Et toutes ses offres périphériques ne sont pas de la seule responsabilité d’un établissement.

Taos AÏT SI SLIMANE : S’il sait dialoguer avec son environnement, et trouver les arguments pour convaincre et assurer l’adhésion…

Miene MATHON : Cela peut se faire avec le privé, les ESAT [9] , ce que nous avons fait en banlieue. Cela peut-être aussi un projet d’intégration, …

Taos AÏT SI SLIMANE : Revenons à L’Inventorium, avez vu des choses équivalentes dans d’autres pays ?

Miene MATHON : Pas vraiment, parce que ce n’est jamais pareil. Nemo à Amsterdam, ce n‘est pas si bien que ça, je trouve. Eindhoven, je n’y suis pas retournée. Au Sciences Museum cela continu d’être bien. Le Muséum, c’est très bien. Depuis trois ans, je n’ai pas été voir les expositions Palais de la découverte. Donc, je ne peux pas vraiment répondre à votre question. Mais il y a une question de taille, c’est quand même énorme en termes de mètre-carré. Il est difficile pour les autres de réaliser les mêmes ambitions avec moins d’espace d’autant que cela a un coût, y compris remplir pour chauffer, entretenir, etc. Pour trouver un lien avec des budgets d’entretien dans la durée.

Des expositions vraiment bien qui touchent à la fois la science et l’humain, il y a des exemples partout.

Taos AÏT SI SLIMANE : Mon interrogation concernait les espaces pour les enfants.

Miene MATHON : Il n’y a rien qui me vient à l’esprit spontanément. Sauf cette particularité que j’ai de travailler pour des enfants ou dans la formation.

Taos AÏT SI SLIMANE : À quand remonte votre dernière visite à la Cité des sciences et de l’industrie, et pour quelle exposition ?

Miene MATHON : Il m’arrive de venir pour des raisons professionnelles, voir des choses bien précises. Il m’est aussi arrivé d’amener des éducateurs, je ne me souviens plus du titre de l’exposition, cela portait sur l’identification, il y a je crois quatre ans. En fait je viens très rarement.

Taos AÏT SI SLIMANE : Recommandez-vous la visite de la Cité ?

Miene MATHON : Oui, toujours.

Taos AÏT SI SLIMANE : Sur quelles bases puisque vous ne la fréquentez quasiment plus ?

Miene MATHON : Parce que je pense que c’est intéressant de la voir au moins une fois, ne serait-ce que pour mesurer l’importance, en termes de dimensions, du bâtiment, parce qu’il se passe toujours des choses très intéressantes dans le Parc, et puis je ne boude pas mon plaisir de leur recommander deux ou trois trucs que j’avais dessiné à l’époque. Je viens avec des groupes mais on se ballade, on ne visite pas vraiment, …

Taos AÏT SI SLIMANE : Est-il facile aujourd’hui de collaborer avec Universcience, la Cité ?

Miene MATHON : Oh non ! Je ne cherche même plus. C’est ultra compliqué. Quand j’ai essayé de faire des photos avec un ami photographe pour faire des photos de ce qui reste de ce que j’avais dessiné, on pouvait ne pouvait même y entrer. Ils nous ont demandé de faire une demande, d’envoyer un e-mail, une série de tracasseries, bref. Et puis entre nous, je ne regarde plus vraiment les appels d’offre de la Villette, alors que je réponds à d’autres, …

Taos AÏT SI SLIMANE : Pourquoi vous ne regardez plus les appels d’offres de La Villette ?

Miene MATHON : Parce que je ne travaille pas que sur Paris.

Taos AÏT SI SLIMANE : Quelque chose s’est cassé ?

Miene MATHON : Pas forcément avec la Villette en soit mis à part la surenchère de procédures, les choses sont extrêmement compliquées, mais c’est aussi parce que je préfère travailler dans les Alpes, ou je suis arrivée en 1972. Là-bas, je me sens bien. Je ne peux pas travailler que sur place parce qu’il n’y a pas d’internet, bien qu’on soit en France, c’est à peine croyable … Je parlais des écomusées, et de fait il y a plein de choses à tricoter par rapport à des petits projets, sur lesquels on travaille avec les scientifiques, ou pas, du coin, parce que là où je suis il n’y a pas d’Université …

Taos AÏT SI SLIMANE : C’est où exactement ?

Miene MATHON : Du côté de Gap.

Taos AÏT SI SLIMANE : Il y a Grenoble, Aix, Marseille, et les universités suisses, non ?

Miene MATHON : Oui, avec l’internet on peut abolir les distances. Les scientifiques suisses, je ne les connais pas assez. On trouve toujours son chemin mais il y a beaucoup de choses qui ont changé. Quand on a publié des cours sur l’internet, on s’est quand même confronté aux droits d’auteurs. On ne peut pas encore vraiment publier ce qu’on veut sur Internet, il faut d’abord défendre les droits d’auteurs, comprendre comment tout cela fonctionne puis agir en conséquence, parce que on peut écrire, dessiner du contenu, mais quid des droits d’auteurs là aussi ? Pour moi, c’est un challenge personnel de suivre ce qui se passe sur le numérique. Dans le cadre Erasmus+ j’ai préparé beaucoup de cours, je pense qu’on pourrait avancer par rapport à l’innovation et tout ce qui découle des sciences. Ce n’est pas forcément moi qui serait la spécialiste en la matière mais il y a beaucoup de choses à faire, tout en pensant bien sûr aux personnes qui n’ont pas forcément accès à l’ordinateur, aux contenus, mais qui ont le désir d’apprendre.

Taos AÏT SI SLIMANE : Vous parlez d’apprentissage tous azimuts ou est-ce orienté art et sciences ?

Miene MATHON : Ce sont des cours destinés aux adultes. C’est en rapport avec la VAE. Erasmus+ permettrait d’apprendre à apprendre aux adultes.

Taos AÏT SI SLIMANE : Vous souvenez-vous de la didacthèque de la Médiathèque de la Cité des sciences ?

Miene MATHON : Non. Je suis passée à côté … Je n’étais sans doute pas sensibilisée, à cette époque, à ces questions.

Taos AÏT SI SLIMANE : Il y a aussi la Cité des métiers, avec d’importantes ressources et de multiples ateliers, un concept qui a essaimé dans de nombreux pays européens, et sur d’autres continents.

Miene MATHON : Oui, ça, je sais, elle est très bien.

Taos AÏT SI SLIMANE : Il y a également l’École de la médiation, qui est pilotée par Universcience et d’autres acteurs de la médiation des sciences et des techniques.

Miene MATHON : Je ne connais pas non plus. Mais j’ai vu qu’il y avait un Fab-lab, qui me semble très intéressant.

Je vais regarder tout cela de près, cela pourrait être intéressant pour des opérations et alliances dans le cadre d’ERASMUS+. C’est pour cela que le SITEM est intéressant.

Taos AÏT SI SLIMANE : Avec un petit bémol concernant ce type de rencontre destinées principalement aux muséologues et muséographes mais c’est rarement ouvert aux autres acteurs, à d’autres métiers, non ?

Miene MATHON : En effet. Heureusement que nous avons nos propres démarches et initiatives qui nous permettent de piocher des perles rares. Je suis par exemple entrée en contact avec les gens de l’Ina, en m’intéressant aux métiers.

Taos AÏT SI SLIMANE : Que va faire l’Ina avec vous dans le cadre d’ERASMUS+ ?

Miene MATHON : C’est à nous d’inventer. Je vais revoir la personne, que j’ai rencontrée dans le cadre du SITEM, qui s’occupe des projets européens. En fait les projets européens qui nous tiennent à cœur s’adressent aux adultes, donc c’est l’inclusion sociale, ce n’est pas tellement ce que je sais faire, mais pour trouver des liens avec tout ce qu’on fabrique, il y a beaucoup matière à faire, mais nous devons nous appuyer sur des fonds de l’Ina, ceux des archives nationales ou d’ailleurs. Ainsi, quand je venue consulter les archives d’Universcience, c’était à la fois pour le plaisir de retrouver mes dessins, que je n’avais jusque-là jamais scanner, ce qu’on m’a permis de faire. Il m’est arrivé, quand on a un temps de discussion avec les migrants, souvent en anglais, il me demande ce que je fais, et je leur réponds : « Je dessinais des objets qui aident à monter l’eau, cela peut être utile dans ton pays… » En fait, c’est pour ça que je suis revenue ici, je me suis dit : « Mais ces dessins, ils sont très bien ! ». Il faut évidemment les adapter à la situation de terrain. Mais, entre nous, pour les machines à monter l’eau, on n’invente rien, ce sont les machines africaines. Donc, quand des migrants viennent d’Afrique, c’est marrant de leur montrer, sur une clé USB un dispositif inspiré de leurs pratiques. Cela m’est arrivé une ou deux fois, mais malheureusement le problème des migrants est énorme, on n’est pas encore au point où l’on peut le relier à des projets européens. Cela dit, je ne désespère pas, comme pour d’autres publics non encore inclus.

Taos AÏT SI SLIMANE : À la Cité des santé, située au sein de la Médiathèque, comme la Cité des métiers, il y a des associations qui interviennent dans le cadre de migrants et santé. De même, un collègue, Réza EBRAHIMI, responsable et principale acteur de l’autoformation au sein de la Médiathèque, a mis sur pied des ateliers d’échanges avec les migrants, pour, entre autres, une appropriation de la langue française.

Miene MATHON : Il serait intéressant en effet que je rentre en contact avec toutes ces personnes, ne serait-ce que pour un échange d’expérience et pourquoi pas aller plus loin.

Taos AÏT SI SLIMANE : À la fin de cet entretien, avant d’aller déjeuner, on pourrait faire un rapide tour à la Médiathèque, ce qui me permettra de vous mettre en relation, de manière informelle, avec les collègues.

Miene MATHON : Vous parlez d’informel, nous avons décidé, avec un groupe d’artistes de travailler justement sur les relations et contacts informels, il y a du boulot … ! Finalement, l’informel se structure également. Le formel existe, c’est tout simple, les universités travaillent ensemble depuis des siècles, mais c’est tout ce qui est informel, qui ne veut pas dire bidouille, qu’on met en place.

Taos AÏT SI SLIMANE : L’informel qui permet quelquefois de déverrouiller les choses quand les structures sont trop lourdes, …

Miene MATHON : Dans mon parcours, quand j’ai quitté la banlieue ouest, parce qu’ils étaient - un musée du département - incapables d’inventer un contrat de travail pour nous, on était douze, j’avais trouvé du travail dans une école de formation d’Évry, dans le domaine de la marionnette. Pour moi, la marionnette cela remonte dans ma petite enfance au Pays-Bas. Je me suis dit : « À partir de maintenant, je ne travaillerais plus que sur les marionnettes. » J’ai fabriqué des marionnettes, pour les migrants, en laine, latex et bois. Et pour les habiller, les finir, on entrait en dialogue avec les membres du groupe. Pour ce projet, je travaille avec une structure à Patin, pour le domaine de la marionnette. C’est drôlement intéressant, … J’ai remarqué que les gens à qui j’enseignais comment on fabriquait une marionnette ne s’exprimaient pas bien - c’était des éducateurs spécialisés - n’avaient pas d’idée sur leur propre schéma corporel, etc., ce qui m’a permis de voir que des adultes, en France, qui travaillent, et ne sont pas désocialisés, etc., n’avaient pas accès à leur image. Je n’ai pas du tout écrit là-dessus, mais c’était clair. Et, de fil en aiguille, aujourd’hui, ce qui m’intéresse est de ne plus faire que de la scénographie pour la marionnette, pas forcément de les fabriquer, mais de voir tout ce qui a été fait et lier les peuples grâce à cet objet.

Et là, on retombe sur tout ce qui est récit. Les récits de vie des gens sont incroyables. En fait, ils ne vous racontent pas tout, c’est ce qui est marrant, mais il est intéressant d’observer la forme qu’ils prennent pour parler des points forts de leur vie. Les migrants sont humbles, pas tous bien sûr, ils ne racontent pas du tout leurs malheurs finalement, mais ce qui était bien dans leur vie, dans l’espoir de continuer à vivre. On n’est pas du tout dans le trauma ou les psychodrames à deux balles. J’ai formé des art-thérapeutes, je respecte ces gens, mais quand on travaille, de façon informelle, avec les migrants, on réapprend des techniques ancestrales.

En fait, ça, c’est venu parce qu’on travaille – avec d’autres personnes - sur des archétypes, donc masques, marionnettes, etc.

Taos AÏT SI SLIMANE : L’approche par les marionnettes, les masques, l’éphémère, etc. ne s’est pas particulièrement développée en muséographie ? Cela pourrait être intéressant aujourd’hui pour décrocher les enfants et les adultes des écrans, en leur faisant faire, d’ailleurs il y a de plus en plus d’activités manuels qui sont proposées par les commerciaux, …

Miene MATHON : Non, cela n’a pas été fait, et cela manque. Des études le montrent. Notre projet, qui porte sur les matières, le faire, etc. s’appelle « ARTiculation ». Je vais, j’espère avoir une résidence, dans les Alpes, sur ce projet.

Taos AÏT SI SLIMANE : Puisqu’il est l’heure d’arrêter notre échange. Il ne me reste plus qu’à vous remercier très chaleureusement pour le temps que vous m’avez accordé, pour votre confiance et votre générosité.

Je m’engage à vous envoyer le verbatim de cet enregistrement. Vous avez la totale liberté pour le « martyriser », l’enrichir, l’amender, etc. Une fois que l’aurez validé sur le fond, je vais le relire sur la forme pour faire la chasse aux coquilles, qui ont l’art de se nicher partout. Puis, je le déposerai aux archives d’Universcience. Ni moi, ni les chercheurs et les intellectuels qui auront accès dans le cadre légal des archives ne pourrons citer tout ou partie vos dits sans votre accord explicite.

Miene MATHON : Merci à vous d’avoir pensé à moi, et surtout pour votre écoute, et le travail de transcription que vous aurez à faire.

Taos AÏT SI SLIMANE : Bonne chance pour tous vos projets. Au plaisir de vous lire et de vous retrouver pour de nouvelles aventures.

notes bas page

[1Efteling Center est un parc d’attractions et complexe de loisirs néerlandais situé à Kaatsheuvel (Brabant-Septentrional). C’est un des plus anciens parcs de loisirs en activité puisque ses racines remontent en 1935, lorsque deux clercs locaux fondent un terrain de jeux. Officiellement inauguré le 31 mai 1952 avec le Bois des contes de fées, il puise son inspiration dans l’œuvre de l’illustrateur Anton PIECK (1895-1987). Lauréat de plusieurs prix internationaux, Efteling s’est développé dans la durée, s’adaptant aux nouvelles technologies et offrant aujourd’hui une large variété d’attractions, conçues par des sociétés spécialisées, telles Vekoma et Intamin. Parmi les prix reçus, la Pomme d’or, l’Applause Award, le Thea Classic Award et les Theme Park Insider Awards sont les plus prestigieux. Bien qu’il ne soit essentiellement connu qu’aux Pays-Bas, en Allemagne et en Belgique, il est aujourd’hui un des plus importants parcs de loisirs d’Europe avec plus de cent millions de visiteurs reçus depuis son ouverture.

[2La CLEF

[3Or : exposition temporaire de la Cité des sciences et de l’industrie, du 13 mars au 15 juillet 1986. Exposition déployée sur l’espace Claude Bernard. Elle est le fruit d’un concours et du partenariat avec le Bureau de recherches géologiques et minières, du Comptoir Lyon ALEMAND LOUYOT et d’Or information. L’Or, une des premières expositions temporaires, était consacrée à l’or sous tous ses aspects : la recherche, l’extraction, la transformation, les propriétés de l’or, son utilisation dans l’industrie et l’artisanat, son rôle dans la vie économique et la mythologie qu’il a suscitée au cours des siècles.

[4Source : site de l’ENSCI : L’École nationale supérieure de création industrielle–Les Ateliers (ENSCI–Les Ateliers) : école française de design située dans le 11e arrondissement de Paris. En 1981, c’est par la volonté de François Mitterrand, alors président de la République et Jack LANG, ministre de la Culture, par l’action de Claude MOLLARD, futur délégué aux Arts plastiques et Patrick BOUCHAIN, l’architecte missionné pour rédiger un rapport sur l’enseignement du design, que s’élabore la future École Nationale Supérieure de Création Industrielle (ENSCI-Les Ateliers). En 1982, Jean-Louis MONZAT de Saint-Julien, qui a imaginé avec Patrick BOUCHAIN la structure de l’école, devient le premier directeur. L’ENSCI-Les Ateliers est placée alors sous la double tutelle du ministère de l’Industrie, de la Recherche et de la Technologie et du ministère de la Culture. Les deux parrains de l’école sont Jean Prouvé et Charlotte Perriand. Mais c’est en 1983, que François Mitterrand annonce officiellement la création de l’ENSCI-Les Ateliers lors de l’allocution de clôture du colloque «  Création et développement  » dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne (13 février). En 1984, Anne-Marie BOUTIN devient directrice et présidente du Conseil d’administration. En 1985, l’ENSCI-Les Ateliers acquiert le statut d’Établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC). Puis se succèdent les directeurs : Evert ENDT (1992), Françoise JOLLANT KNEEBONE (1998), Jean-Paul ROBERT (2001), Emmanuel FESSEY (2004), Alain CADIX (2007), Bernard KAHANE (2013), Yann FABÈS (2016).

[6Source Wikipédia : Aardman Animation, Ltd., aussi nommé, Aardman Studios, ou plus simplement Aardman, est un studio d’animation britannique situé à Bristol en Angleterre. Ils ont été fondés en 1972 par David Sproxton et Peter Lord, et le nom le plus connu qui y soit attaché est celui du réalisateur Nick Park. Aardman est connu, grâce à ses films, utilisant la technique du stop-motion et de clay animation, ou plus particulièrement grâce à ces personnages caractéristiques en pâte à modeler, Wallace & Gromit. Après une expérimentation de l’animation 3D pour rattraper leur retard sur cette technique, ils produisirent un court-métrage qui sortit dans les années 1990, Owzat (1997). Cette entrée sur le marché de l’animation 3D s’officialise, en 2006, avec Souris City (2006).

[8Campus Condorcet : La Cité des Humanités et des Sciences Sociales est un campus en construction dans le Grand Paris, au nord de Paris, à cheval entre le territoire de la Porte de la Chapelle à Paris et celui de La Plaine Saint-Denis à Aubervilliers.

[9Les Établissements et Services d’Aide par le Travail (ESAT) sont des établissements médico-sociaux qui ont pour objectif l’insertion sociale et professionnelle des adultes handicapés.

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