Introduction par Emmanuel Laurentin : Quatrième et dernier temps de notre semaine spéciale consacrée aux crises économiques dans l’histoire. Depuis lundi nous avons cheminé des économies antiques à celle du Moyen-âge, mardi, puis au XVIIIe siècle, hier, aujourd’hui, nous allons nous arrêter sur la crise de 29 en tentant, avec Aurélie Luneau de La Fabrique de l’Histoire et nos invités, de montrer le travail d’interprétation des historiens et des économistes sur cette grande dépression qui est, jusqu’à ce jour, restée dans le monde entier comme la reine des crises. On ne peut, contrairement à des périodes plus anciennes, plaider pour le manque de sources, de statistiques ou de documents en tout genre pour parler de cette crise. Les chiffres et les faits sont là mais les interprétations sont encore divergentes. Pour tenter d’éclairer cette référence incontournable de l’histoire économique, nous aurons avec nous quatre des meilleurs spécialistes de cette crise des années 30 : Bernard Gazier, professeur d’économie à la Sorbonne, auteur d’un « Que sais-je » sur la crise de 29, Isaac Johsua professeur d’économie à Paris XI, auteur de « La crise de 29 et l’émergence américaine », dans la collection Actuel Marx au Puf, ainsi qu’« Une trajectoire du capital », aux éditions Syllepse, Gérard Marie Henry, professeur à l’université de Reims et auteur d’un livre sur Keynes, chez Armand Colin, ainsi qu’un livre sur la crise de 29, toujours chez Colin, et enfin, Pierre-Cyrille Hautcoeur, directeur d’études à l’EHESS, spécialiste, entre autres, des marchés boursiers.
« Il en est des années comme des poètes, des hommes politiques et des belles femmes. La célébrité les distingue bien au-delà du lot commun et visiblement 1929 est de celle-là, comme 1066, 1776 et 1914. C’est une année dont chacun se souvient : « On est allé en faculté avant 1929 », « On s’est marié après 1929 », « On n’était même pas né en 1929 », ce qui annonce une totale innocence. Une référence à 1929 est devenue l’équivalent sténographique des événements de cet automne-là. Pendant une décennie, toutes les fois que les américains ont été affligés de doutes sur la pérennité, sur leur état de prospérité habituelle, ils se sont demandés : « Est-ce que c’est 1929 qui va recommencer ? » Et même après un quart de siècle, c’est toujours une année à la personnalité politique singulière. Depuis une génération, les démocrates préviennent qu’élire des républicains c’est préparer un autre désastre semblable à celui de 1929. La défaite du candidat démocrate, en 1952, fut largement attribuée à l’avenue malencontreuse de trop nombreux jeunes gens qui ne connaissaient que par ouï-dire les horreurs de cette époque. Il serait bon de savoir si en fait nous connaîtrons un jour un autre 1929. »
Voilà comment John Kenneth Galbraith, le très grand économiste et historien d’économie dans son très fameux livre, « La crise économique de 1929 », que l’on peut trouver en petite bibliothèque Payot, écrivait, commençait, débutait son travail sur cette crise de 1929.
Bernard Gazier, on voit bien qu’il y a là, à la fois une façon extraordinaire de rendre compte de l’importance imaginaire et mythique de 1929 et de se poser la question de la validité de ce qu’il y a du mythe d’un côté et de l’autre côté du travail nécessaire de l’historien et des économistes sur cette période.
Bernard Gazier : Tout à fait. En même temps, on peut dire que John Kenneth Galbraith demeure un chroniqueur américano-centré. La puissance, on voit...
Emmanuel Laurentin : On voit bien les références qu’il donne. Les dates qu’il donne c’est : 1066, la conquête de l’Angleterre par Guillaume le Conquérant, 1776 c’est la référence à l’indépendance américaine et 1914 là, ça touche à peu près tout le monde bien évidemment puisque c’est la Guerre mondiale. J’ai coupé un tout petit passage où il évoquait la bataille d’Appomattox ou plutôt la façon dont le général Lee s’était rendu aux Nordistes à Appomattox. On voit bien qu’il est effectivement américano-centré.
Bernard Gazier : En même temps la crise a eu des échos qui vont très au-delà. Les mécaniques de diffusion vont des canaux bancaires, financiers, monétaires pour devenir ensuite des canaux politiques, culturels. On peut même dire, d’un certain point de vue, que la crise de 1929 a conduit jusqu’à la naissance du Tiers-monde tel que nous le connaissons aujourd’hui. C’est un peu un paradoxe mais les désastres de cette époque ont conduit à une sorte de monétarisation jusqu’au bout du monde.
Emmanuel Laurentin : N’allons pas trop vite en besogne. Restons sur cette question, de ce moment cristallisant qui fait que chaque fois qu’une crise se développe on fait référence à cette mère des crises ou à cette reine des crises. Isaac Joshua, vous êtes avec nous au téléphone, c’est comme ça que vous l’appelez, « la reine des crises », d’ailleurs vous n’êtes pas le premier à le dire.
Isaac Johsua : Ce qui est paradoxal, c’est que cette crise est considérée comme exceptionnelle, étant exceptionnelle en principe elle est complètement à part et par définition, elle ne peut pas se renouveler, mais en réalité ça veut dire qu’elle est exemplaire dans la mesure où elle est un condensé de toutes les crises. Et chaque fois qu’on se pose la question d’une crise à dominante financière, économique ou internationale, on a des références dans la crise de 1929, celle des années 30. C’est un peu l’Himalaya. C’est un peu le sommet. Et en tant que telle, il est normal qu’elle soit en même temps une référence en même temps une crainte parce que, c’est du moins ce que je crois, elle est avant tout la manifestation de l’instabilité fondamentale du système avant de renvoyer à des causes qui sont toujours spécifiques, particulières et en tant que telles non renouvelables.
Emmanuel Laurentin : Oui, c’est ça. C’est-à-dire est-ce que c’est un modèle ? Ou est-ce que c’est une exception ? Ça sera une des questions que l’on posera tout au long de cette discussion.
Aurélie Luneau : En fait, il faut rappeler que c’est vrai qu’il y a un rythme naturel, on peut dire un rythme infernal, mais des cycles naturels de crises, il y a crise, dépression, reprise, prospérité. Alors, vous Gérard Marie Henry, je rappelle que vous êtes en duplex de nos studio à Reims, vous expliquez bien, dans votre livre, les crises au XXe siècle…
Emmanuel Laurentin : Chez Belin supérieur.
Aurélie Luneau : Que finalement, ne serait-ce qu’entre la période 1812 et 1920, il y a eu 15 fois, au cours de 110 ans, l’économie américaine est passée à travers plusieurs crises. Alors 1812, 1818, 1825, je ne vais pas faire toute la liste. Finalement ces autres crises, pourquoi on les a oubliées ?
Gérard Marie Henry : On ne les a pas oubliées en fait car la panique de 1907, qui est quand même très importante, qu’on devrait citer dans la même foulée que la crise de 29 puisqu’il va y avoir un effondrement boursier, des banques qui vont avoir extrêmement mal et le Congrès américain qui va décider de doter les États-Unis d’une banque centrale... Donc, c’est vraiment une chose très importante. Ce qui va être extraordinaire c’est que cette banque centrale, la Réserve fédérale américaine (Fed), qui est créée en 1914, a pour tache d’éviter que ne se reproduise justement ce type d’effondrement financier, boursier etc. Donc, il y a quelque chose qui est assez intéressant. Mais pour revenir à ce que les précédents intervenants ont évoqué, moi, ce que je vois sur cette crise de 29, ce qui est intéressant, c’est de regarder les commentaires de l’époque, par exemple les commentaires de la IIIe internationale. On a un bouquin extraordinaire d’un économiste d’origine hongroise, qui travaille à Moscou à l’époque, qui s’appelle Warga, qui va étudier cette crise de 29 qui va en déduire, ce qu’on lui demande en fait de faire dans son contexte politique, que c’est vraiment la crise qui va achever le capitalisme. C’est un peu comme ça que l’on peut la regarder également. Il se trompe bien sûr.
Emmanuel Laurentin : Pierre-Cyrille Hautcoeur, on a souvent l’impression effectivement que l’on ait qualifié la crise de 29 de reine des crises fait écran au reste. Elle est comme une sorte de trou noir qui a mangé tout ce qu’il y a autour, toutes les crises précédentes et même quelquefois les crises suivantes.
Pierre-Cyrille Hautcoeur : On voit en 1929 se combiner un ensemble de formes de crises dont on observe à d’autres moments seulement l’une ou l’autre des composantes.
Emmanuel Laurentin : Donnez nous des exemples.
Pierre-Cyrille Hautcoeur : La crise de 1907 que citait Gérard Marie. C’est une crise boursière et bancaire, principalement une crise bancaire, comme celle que nous connaissons actuellement, qui va être une composante majeure de la crise de 29 à tel point que certaines interprétations, comme celles de Friedman et Schwartz, encore reprises par le président actuel de la Federal Reserve, Bernanke, font de cette crise bancaire le cœur de la crise de 29. Mais il me semble que d’autres interprétations ont montré qu’il y avait d’autres dimensions essentielles qui étaient présentes en 1929 mais que l’on ne retrouve pas à d’autres moments ou alors que l’on retrouve mais isolées de la crise bancaire et financière, par exemple la situation de très forte tension internationale. On va trouver après la Deuxième guerre mondiale évidemment, avec la Guerre froide, de nombreuses périodes de tensions internationales extrêmement fortes mais qui n’auront pas les mêmes enjeux économiques, spécialement financiers, en particulier parce que l’URSS est dans un système où il ne risque pas d’y avoir une crise boursière, et ainsi de suite. Dans la crise de 29, on a une sorte de combinaison de causes en particulier bancaires et financières d’un côté et de type tensions internationales de l’autre, je rappelle que Peter ( ?) a qualifié toute la période 1914-1945 de guerre de 30 ans. Je crois que rappeler ça, c’est montrer que la crise n’est pour une partie qu’un élément de cette guerre et ne peut être comprise que dans l’ensemble des tensions internationales qui ont lieu à ce moment-là. Il y a encore d’autres dimensions, celles que soulignait Bernard Gazier sur la tension entre les pays du Nord et les pays du Sud, l’émergence du Tiers-Monde, toutes ces dimensions diverses qui se totalisent en un seul événement…
Emmanuel Laurentin : Qui se nouent en même temps.
Pierre-Cyrille Hautcoeur : Entre 1929 et 35, eh bien c’est quelque chose d’unique.
Aurélie Luneau : Bernard Gazier, pour rester sur ce côté mythique de la crise de 29, est-ce qu’on n’a pas eu tendance à trop noircir le tableau ? On a tous en tête les images ou les récits de ces gens qui se jetaient par les fenêtres, on parlait aussi d’hôteliers qui quand ils louaient une chambre se demandaient si c’était pour y dormir ou pour passer par la fenêtre justement.
Bernard Gazier : Les mythes des suicidés de Wall Street sont à la fois vrais et faux. Il est vrai qu’un certain nombre de spéculateurs se sont jetés par les fenêtres. En revanche, ils n’étaient pas nombreux. On s’est bien rendu compte, petit à petit, qu’il y avait comme une sorte de besoin de justice immanente. En fait, lorsqu’il y a eu l’effondrement boursier, les boursiers ont fini par sortir dans la rue, en se disant : eh ben dites donc, les cours sont en train de s’effondrer qu’est-ce qui se passe ? A ce moment-là, la foule a vu quelqu’un qui était très haut, dans un building, probablement un ouvrier en salopette en train de réparer une gouttière, ils ont dit : Il va se jeter. La foule attendait ça, une sorte de justice immanente. Je crois que l’on peut le dire encore aujourd’hui quand on entend parler de parachute doré, c’est quand même une envie que l’on peut avoir, c’est qu’il ne s’ouvre pas.
Emmanuel Laurentin : Effectivement l’image est assez bonne. Alors, si l’on avance justement sur la multiplicité des causes qui a permis le développement de cette crise de 29, avec nos quatre invités, on se pose souvent la question en histoire de savoir si en avançant, en s’éloignant d’un événement historique on comprend mieux cet événement historique. Est-ce que, Isaac Johsua, le fait que l’on soit maintenant à 70-80 ans de cette crise de 29 permet peut-être aujourd’hui d’avoir des analyses meilleurs que celles de Galbraith, que je citais au début, ou même celles des personnes qui étaient sur place au moment, des analystes à chaud pourrait-on dire ?
Isaac Johsua : Je pense que c’est le cas parce qu’on a le recul qui permet d’avoir une vision d’ensemble de l’événement. On finit par disposer de plus de données chiffrées, des séries sont reconstituées. Mais surtout, ce que je pense qui est très important, c’est que si on prolonge, ce que je disais à l’instant, sur cette crise qui est à la fois unique mais en même temps expression et manifestation de l’instabilité foncière d’un système, eh bien ce qui est intéressant à voir c’est que les développements futurs, le fait d’avancer dans l’histoire finit par confirmer ce point de vue. La crise dans laquelle nous sommes est à mes yeux une espèce de confirmation, le temps passant, des déséquilibres fondamentaux des systèmes et du fait que si la crise de 1929 ne peut pas se reproduire car elle est un événement historique unique, une grande crise majeure, elle peut avoir lieu parce que, comme disait Brecht, « Le ventre est encore fécond d’où est sortie la bête immonde. »
Emmanuel Laurentin : Justement en allant dans votre sens mais peut-être pas dans le sens des autres intervenants, vous expliquez dans un livre qui s’appelle « Une trajectoire du capital », chez Syllepse, qui a été publié il y a 2 ou 3 ans maintenant, bien avant la crise que l’on connaît aujourd’hui, qu’une crise capitaliste dans un monde qui l’est intégralement, c’est ce que vous disiez, c’est quelque chose que nous n’avons pas encore connu et qui recèle de terribles dangers. Parce qu’évidemment vous avez monté vous-même, vous avez construit une sorte de modèle, autour de cette crise de 29, qui repose sur 3 points. Vous dites la crise de 29, c’est l’homogénéisation du modèle économique américain de salariat, société etc. c’est la différenciation de fonctions en interne de ce modèle, avec la fonction financière qui se met à part, et puis c’est l’interconnexion des économies de ce moment-là. Évidemment, construisant ce modèle explicatif est le vôtre, vous dites, ensuite on peut l’appliquer à d’autres moments, d’autres crises qui sont celles qui vont venir ensuite. Je me trompe quand je dis ça ?
Isaac Johsua : Non. Je maintiens mon point de vue que j’avais exposé effectivement dans cet ouvrage datant d’avril 2006, qui est dans le prolongement, dans la logique de ce que j’avais dit sur la crise de 1929 en particulier américaine. Les trois points que vous évoquez sont essentiels. La question de l’homogénéisation sociale est essentielle, parce qu’à mes yeux les crises capitalistes dans le passé ont été freinées, amorties par le fait que le capitalisme était un système dominant mais n’occupait pas tout l’espace et qu’il y avait une part très importante de petits producteurs qui réagissaient différemment et en réagissant différemment freinaient l’extension de l’épidémie. Le fait que le système capitaliste soit un système conquérant et qu’il finisse par ramener tout au salariat, comme c’est le cas actuellement, crée une instabilité foncière du système qui se rajoute aux déséquilibres initiaux etc. et qui exige en quelque sorte une intervention style, par exemple, le modèle fordiste ou autre, parce que ce système ne peut pas tenir debout tout seul. Les autres aspects que vous avez soulignés sont essentiels. La différenciation financière, on l’a vue, elle a produit des ravages, non seulement la titrisation des créances, actuellement, mais surtout le fait que la consommation elle-même soit devenue fonction de la crise financière en s’appuyant sur le coût de l’immobilier etc. On a des mutations qui sont essentielles et qui font partie de cette différenciation de l’art financier. Et enfin le dernier point, c’est l’interconnexion qui augmente les périls d’une façon extraordinaire. Qu’est-ce qui se passera quand la crise actuelle touchera la Chine ?
Emmanuel Laurentin : Pour l’instant on n’en est pas encore là, donc ne faisons pas toujours des analogies, surtout ne soyons pas autant prospectifs que vous peut-être Isaac Johsua. Bernard Gazier - je donnerai la parole ensuite à Pierre-Cyrille Hautcoeur et à Gérard Marie Henry – vous dites : la crise de 29, c’est un peu le test de Rorschach pour les économistes ou les historiens de l’économie. En gros, on présente, comme dans le test de Rorschach, des figures d’encre et on dit : Qu’est-ce que vous voyez dedans ? On voit bien effectivement qu’il y a une multiplicité d’interprétations.
Bernard Gazier : Je crois que cette vision géopolitique systémique d’Isaac Johsua me paraît tout à fait intéressante mais je voudrais y ajouter une dimension, c’est la dimension réflexive. Il me semble qu’on ne parle, aujourd’hui, de la crise de 29 en fait qu’en parlant de soi, de soi-même. C’est-à-dire des problèmes qu’on a, des schémas que l’on a dans la tête. Alors, à partir de cette vision réflexive, on arrive à quelque chose d’un peu troublant. On arrive à une meilleure compréhension, c’est vrai, mais aussi à une sorte d’opacité puisqu’on est soi-même pris dans le paysage de l’explication.
Emmanuel Laurentin : Prenons un exemple.
Bernard Gazier : Je vais prendre un exemple très concret. Je vais prendre Milton Friedman. Milton Friedman, est quelqu’un qui, dans les années 50, a proposé une explication de la crise de 29. C’est une explication monétariste. Quel était le problème de Milton Friedman, de son époque ? C’était, il faut éviter l’inflation, il faut donc contrôler la création monétaire et laisser faire le marché. Voilà, en caricaturant, l’option monétariste. Qu’est-ce que ça devient en 1929, à une époque où les prix baissaient, s’effondraient, etc. ? Ça devient, il y a des responsables monétaires qui ont laissé la masse monétaire se contracter exagérément et en fait ils auraient du réinjecter beaucoup d’argent dans l’économie. Ce n’est pas faux, c’est terriblement partiel et évidemment minuscule par rapport à la mécanique d’ébranlement de 1929.
Emmanuel Laurentin : Pierre-Cyrille Hautcoeur, la difficulté est-ce que c’est la difficulté de s’extraire du contexte dans lequel chacun d’entre vous écrit aujourd’hui, ou ceux qui vous ont précédés ont écrit, pour pouvoir mettre l’objet à distance ? Ou est-ce qu’on est obligé tout de même de penser qu’on est dedans et dehors à la fois ?
Pierre-Cyrille Hautcoeur : Je crois que c’est normal d’être dedans et dehors. On étudie la crise de 29 parce que c’est quelque chose qu’aucune théorie économique ne réussit à maîtriser complètement. Les théories permettent d’expliquer des crises modérées, des crises avec un retour à l’activité ou alors l’effondrement total du capitalisme comme on voit dans une partie d’interprétation marxiste. Mais, cette espèce d’entre deux où l’on a une crise extrêmement grave qui dure plusieurs années, qui conduit à la contraction du PIB de l’ordre de 25 ou 30%, et dont ensuite on sort. Alors, il faut savoir pourquoi on sort. Est-ce qu’on en sort spontanément ? Est-ce que finalement l’économie s’en sort toute seule, ce que disent fondamentalement toute une série d’économistes libéraux ? Ou, est-ce qu’on doit réinventer un modèle social et un modèle économique, soit un modèle social et économique de type libéral modifié, qui est le coup de génie de Keynes, qui est de dire : on ne touche pas au comportement des individus mais au niveau de la société dans son ensemble on peut faire des gestions macro-économiques, on invente la macro-économie pour traiter ce type de choses. Ou alors, est-ce qu’il faut vraiment un contrôle beaucoup plus systématique, y compris des comportements individuels, ce qui est une solution plus institutionnelle, plus socialiste ? Chacun, face aux envies qu’il a d’intervenir aujourd’hui dans la société, dans la manière dont il pense qu’il faut régler les problèmes actuels, essaye de comprendre la crise de 29 à partir de ce type de points de vue initiaux, ensuite, il cherche à l’intérieur quels sont les éléments de la crise qui peuvent lui convenir.
Emmanuel Laurentin : Lui convenir et sérvir sa démonstration et sa thèse.
Pierre-Cyrille Hautcoeur : Ce qui n’empêche pas du tout évidemment la bonne foi et l’honnêteté.
Emmanuel Laurentin : Pas du tout. Il ne s’agit pas du tout de dire que c’est malhonnête. Il s’agit de dire qu’effectivement on écrit l’histoire à partir de l’endroit où l’on se trouve au moment où on y est.
Aurélie Luneau : Gérard Marie Henry, si l’on s’intéresse aux causes de la crise de 29 on cherche forcément des similitudes par rapport aux crises suivantes et notamment celle de 87 et puis celle d’aujourd’hui. En 29, vous signalez qu’il y a sur le marché de la bourse l’arrivée de nouveaux acteurs. Vous précisez, ce n’est pas sans intérêts, qu’aux États-Unis par exemple il y a même des magazines féminins qui publient des articles qui expliquent comment acheter des actions. Bernard Gazier rappelle aussi que ce sont les années folles et que c’est le crédit à la consommation, etc. Tout ça, ça résonne aujourd’hui fortement dans nos têtes par rapport à la période. Il y a comme ça ces similitudes que l’on recherche et que l’on peut effectivement expliquer ?
Gérard Marie Henry : Moi, je ne partirais pas de ces similitudes en termes de crédit à la consommation, de diffusion de l’information financière, des choses dans lesquelles nous sommes et qui vont continuer, à mon avis. Moi, je mettrais l’accent sur les grandes différences de l’environnement économique de l’époque et puis disons de l’environnement actuel. Première grosse différence, ce que Keynes appelle les menottes dorées. Les pays à l’époque sont dans un système monétaire international qui s’appelle l’étalon-or qui en fait contraint terriblement les banques centrales dans leur action.
Emmanuel Laurentin : Alors, justement expliquez-nous en quoi ce système contraint les banques centrales.
Gérard Marie Henry : Les banques centrales, on va prendre l’exemple de la banque d’Angleterre, à l’époque, elle est revenue à l’étalon-or, en 1925, pour redonner à la City un petit peu d’oxygène, pour permettre aux banques anglaises de retravailler à l’international. Le gouvernement anglais a choisi de revenir au taux de change de la livre d’avant la Première guerre, de reprendre une livre très forte pour montrer que c’est solide. Ça va avoir des conséquences que Keynes avait prévues. Ça va entraîner la Grande-Bretagne dans la dépression alors qu’il y a les années folles dans les autres pays comme les États-Unis. La Grande-Bretagne va se trainer un million de chômeurs jusqu’en 1931. La banque d’Angleterre est coincée parce qu’elle ne peut pas baisser ses taux directeurs, on aurait peur de cette livre, on se dit qu’elle va peut-être chuter. Donc, la banque d’Angleterre va être obligée de faire une politique monétaire extrêmement différente de ce que font les banques centrales en 2008. C’est-à-dire qu’elle va monter ses taux directeurs en asphyxiant encore plus l’économie anglaise jusqu’au moment où elle jettera l’éponge en septembre 31. En fait la crise de 29, c’est 1931. C’est là où l’on va avoir l’effondrement de la monnaie autrichienne, la fermeture de l’Allemagne, la Grande-Bretagne qui s’endette. Donc, c’est la première grande différence. Les menottes dorées qui vont entraver l’action des banques centrales. La deuxième différence, si vous me permettez de la noter, c’est qu’à l’époque il n’y a plus vraiment de pilote dans l’avion. On avait un personnage assez fabuleux qui s’appelle Benjamin Strong, qui était le Président de la Réserve fédérale de New-York, qui impulsait la Réserve fédérale dans son ensemble. Puis, il va disparaître en octobre 28 et ceux qui vont le remplacer, en particulier Georges Harrison, ce n’est pas un Beatles, c’est le nom du Président de la réserve fédérale de New York, a beaucoup moins d’influence sur ses collègues et va donc faire que la Réserve fédérale n’aura pas du tout une politique proactive, comme elle peut l’avoir en 1987 ou en 2008. Ça, c’est la deuxième grande différence. La troisième, je l’évoque également, qui est très grande par rapport à la situation actuelle, c’est la montée du protectionnisme. 1930, c’est le Président Hoover qui ne va pas mettre son véto à une loi du congrès qui s’appelle « Smoot-Hawley Act », qui fait que les barrières douanières américaines vont terriblement grimper.
Emmanuel Laurentin : Augmentation des droits de douanes…
Gérard Marie Henry : Tout à fait. Et le Canada qui est le pays qui a les plus grandes relations économiques avec les États-Unis va tout de suite répliquer.
Emmanuel Laurentin : Alors, justement puisque vous évoquez le Canada, Gislaine David, la réalisatrice de « La Fabrique de l’Histoire » de cette semaine a retrouvé une chanson, de 1930, de la Bolduc, écoutez-là jusqu’au bout parce qu’elle est vraiment très intéressante.
.Ça va venirMes amis, je vous assure que le temps est bien dur,Il faut pas s’décourager ça va bien vite commencerDe l’ouvrage y va en avoir pour tout le monde cet hiverIl faut bien donner le temps au nouveau gouvernementÇa va venir puis ça va venir mais décourageons-nous pasMoi, j’ai toujours le cœur gai et j’continue à turluterOn se plaint à Montréal, après tout on n’est pas mal.Dans la province de Québec, on mange notre pain bien sec.Y a pas d’ouvrage au Canada, y en a bien moins dans les ÉtatsEssayez pas d’aller plus loin vous êtes certains de crever d’faim.Ça va venir puis ça va venir mais décourageons-nous pasMoi, j’ai toujours le cœur gai et j’continue à turluterÇa coûte cher de c’te temps ici, pour se nourrir à créditFaut pas que ça monte à la grocery, je me tape aussi les biscuits.Mais j’peux pas faire de l’extra, mon p’tit mari travaille pasÀ force de me priver d’manger, j’ai l’estomac ratatiné.Ça va venir puis ça va venir ne décourageons-nous pasMoi, j’ai toujours le cœur gai et j’continue à turluterMe voila mal emmanchée, j’ai des trous dans mes souliers,Mes talons sont tout d’travers et pis l’bout qui trousse en l’air.Le dessus est tout fendu, la doublure toute décousue,Mes orteils passent à travers c’est toujours mieux que pas en n’avoir.Ça va venir puis ça va venir ne décourageons-nous pasMoi, j’ai toujours le cœur gai et j’continue à turluterLe propriétaire qui m’a loué, il est bien mal emmanchéMa boîte à charbon est brûlée et puis j’ai cin’ vit’ de cassées.Ma lumière dis-connectée puis mon eau est pas payéeY ont pas besoin v’nir m’achaler, m’a les saprer en bas d’l’escalierÇa va venir puis ça va venir ne décourageons-nous pasMoi, j’ai toujours le cœur gai et j’continue à turluter.
Emmanuel Laurentin : Ne nous décourageons pas de la Bolduc enregistrée en octobre 1930, on est à un an de cette crise économique qui va durer bien plus longtemps, Bernard Gazier, et on voit bien que les acteurs sociaux, ceux qui sont en bas de l’échelle, qui ne sont pas à Wall Street ou ailleurs, la bourse de Paris ou à Londres, se rendent bien compte de ce que c’est. Ils disent : Il n’y a pas d’ouvrage au Canada, il y en a encore moins dans les États, il ne faut pas se décourager, il faut quand même essayer de tenir malgré ce qui est en train de se passer. C’est important la mémoire des acteurs aussi. C’est ce que disait d’ailleurs Galbraith, dans le texte que j’ai lu en ouverture. Tout le monde se souvient de ce qui s’est passé, comme tout le monde se souvient de là où il était le jour de l’arrivée sur la lune, ou encore du 11 septembre 2001, tout le monde se souvient de cette crise et de ce qui a suivi.
Bernard Gazier : Oui, l’ébranlement est une sorte de psychologie collective. Galbraith a une formule très, très juste. Il dit : « Les gens avaient le sentiment que le sol se dérobait sous leurs pieds. » Oui, voilà, ça a duré trois, quatre ans, ce sol qui se dérobe. C’est ça qui est le trait caractéristique de cette crise. C’est cette espèce de dégringolade, d’écho en écho, de va et vient entre l’Europe et les États-Unis où petit à petit tout s’effondre puis ensuite ça devient sur une sorte de terrain nu, en 1932, eh bien deux choses qui vont se passer quasiment en même temps, Roosevelt et Hitler.
Emmanuel Laurentin : Vous insistez, Isaac Johsua, dans vos travaux sur la différence, la différenciation que l’on peut faire entre cette crise américaine du départ, de 29, et puis la crise européenne en écho, qui a déjà été évoquée à l’instant même par Bernard Gazier et tout à l’heure par Gérard Marie Henry. Vous insistez beaucoup sur le cas de l’Allemagne en particulier et vous dites qu’il y a une crise américaine et il y a une crise allemande.
Isaac Johsua : Oui, je pense que si l’on ne saisit pas que l’on a deux foyers de la crise, je crains vraiment que l’on ne comprenne pas l’origine de ce qu’on appelle la grande crise. Il y a deux centres. Ce n’est pas simplement une crise qui est partie des États-Unis avec le krach que l’on connaît, d’octobre, qui a ensuite frappé l’Europe, a fait retour etc. On a véritablement deux crises qui ont des racines différentes et qui vont additionner leurs effets et dont la conjonction va donner la grande crise. En Europe, ça a été évoqué tout à l’heure, je suis assez d’accord avec ça, la crise européenne est avant tout une crise allemande et en tant que crise allemande, elle est avant tout un prolongement de la guerre, des désastres de la guerre, des destructions de la guerre, des désordres qui ont suivis, de l’isolement dans lequel l’Allemagne s’est trouvée ensuite alors que la France qui était dans le camp des alliés vainqueurs a eu droit à une aide ce qui n’était pas le cas de l’Allemagne. L’Allemagne, pays créditeur avant la guerre est devenu le plus endetté ensuite, avec des structures bancaires qui ont été terriblement affaiblies par l’hyperinflation etc. Donc, tout ça fait la crise allemande. Vu la place qu’occupait l’Allemagne avant la guerre, qui était première en Europe, c’est la crise européenne. Du côté américain, alors là, on revient à ce que je disais tout à l’heure, à mon avis, une mutation sociale d’une très grande ampleur, un passage extrêmement brutale, concentré dans le temps entre un monde de petits producteurs avec la place des fermiers aux États-Unis, la colonisation etc. et la fin de la frontière, donc la fin de la multiplication des fermiers, la montée brutale du salariat et donc une instabilité nouvelle que l’on ne connaissait pas et une incapacité à maitriser cette instabilité nouvelle qui ensuite d’ailleurs a donné lieu à l’invention du fordisme etc. C’est l’addition de ces deux foyers qui a vraiment donné la grande crise avec des racines différentes. Il y a deux crises…
Emmanuel Laurentin : Vous vous inscrivez, là, dans la lecture de Marx en particulier sur la question de la conquête coloniale, pourrait-on dire, des États-Unis, telle qu’il l’avait lui-même analysée.
Aurélie Luneau : C’est vrai que l’on attribue souvent à la crise de 29 la montée en puissance d’Hitler, dans les mêmes moments, dans cette conjoncture, on a l’impression que l’URSS est, elle, valorisée et qu’elle apparaît comme une alternative presque au désordre capitaliste. Est-ce votre sentiment Gérard Marie Henry ? Puis après on pourrait peut-être demander à Pierre-Cyrille Hautcoeur.
Gérard Marie Henry : Oui, effectivement, c’est pour ça que je citais tout à l’heure, tout au début, le bouquin de Warga, cet économiste soviétique qui va insister, comme le font toutes les personnes qui défendent la IIIe Internationale à l’époque et qui peut-être ont encore un souvenir ému pour cette organisation. Donc, on va contraster aux désordres capitalistes les premiers plans quinquennaux, la construction du socialisme avec des statistiques qui évidemment sont mensongères, un désastre humain…
Emmanuel Laurentin : On découvrira plus tard les statistiques.
Gérard Marie Henry : On sait déjà, ceux qui veulent savoir savent déjà. Donc, c’est vrai que ça va avoir un aspect assez dissemblable de ce que l’on présente dans des sociétés ouvertes où l’on va avoir des reportages sur des fermetures d’entreprises etc. Moi, je pense qu’il faudrait revenir plutôt à cette différence de l’époque avec la période actuelle. Effectivement, on a un système soviétique qui se construit, qui va effectivement avoir une importance pour l’Allemagne puisque dans cette Allemagne de l’immédiate après-guerre on va avoir des foyers révolutionnaires, on va avoir des communes communistes, on va même avoir un gouvernement communiste en Bavière. Donc, peut-être que la montée des ces mouvements d’extrême droite, ces mouvements fascistes, nazis etc. est un peu la conséquence de cette création d’un modèle nouveau de société qui effraye un petit peu. On pourrait également parler du Japon. Dans la période qui nous intéresse, en 1931, le Japon va être gouverné par des militaristes. Il va y avoir un incident à Mukden, en Chine. Le japon va s’arrêter de respecter les traités internationaux sur la limitation des flottes de guerre etc. Tout ça part du même principe, c’est-à-dire une économie mondiale qui, à la différence de ce que disait mon collègue Johsua tout à l’heure, n’est pas intégrée parce qu’il y a effectivement des pays qui sont un peu des pays bizarres.
Pierre-Cyrille Hautcoeur : Je crois effectivement que l’émergence et la montée de l’URSS entre les deux guerres est une chose dont on commence à plus parvenir à le penser aujourd’hui. Nos étudiants n’arrivent plus à penser que l’URSS ait pu être un modèle…
Emmanuel Laurentin : Un contre-modèle ou un modèle, oui.
Pierre-Cyrille Hautcoeur : Un modèle extraordinairement prégnant dans l’imaginaire à la fois des politiques et des populations dans l’entre les deux guerres. Une grande partie des tensions politiques internes à chaque pays sont entre ceux qui pensent qu’il y a un modèle à suivre et ceux qui pensent qu’au contraire il faut revenir à la belle époque. Et toutes les tensions monétaires, toutes les tensions politiques entre pays sont aussi liées à ça. C’est pour ça que je dis que le modèle de la Guerre de Trente Ans, c’est aussi ça. De cette guerre, il y a, en partie, la réaction aux défauts de l’économie d’avant-guerre qui a débouché sur la création de l’URSS et en Europe, dans les années 20, on voit renaître par exemple les inégalités au niveau où elles étaient avant la Guerre de 14, niveau extraordinairement élevé, et on voit évidemment des gens qui essayent de dire : Si vous voulez sauver, restructurer, remettre en place l’économie, il faut faire quelque chose pour un modèle social.
Emmanuel Laurentin : D’où l’intérêt de faire l’histoire, Bernard Gazier, sur ces modèles qui pourraient être des modèles considérés comme éternels, il faut bien effectivement se replacer dans un contexte qu’on a un peu oublié. La place de l’URSS aujourd’hui est assez incompréhensible dans une époque où certains ne connaissent même plus, on peut le regretter, le mot communiste ou ne comprennent même plus ce que cela signifie par exemple.
Bernard Gazier : Oui, je pense que l’URSS, qui à l’époque était lancée dans une trajectoire d’industrialisation lourde, apparaît comme un îlot non seulement de stabilité mais de dynamisme visible. Alors, il y a derrière évidemment un mythe puisque cette industrialisation forcée s’accompagnait d’énormément, comme vous le savez, de violences sans même parler de totalitarisme. Mais je voudrais dire que ce mythe n’est pas le seul. Aux États-Unis, c’est un autre mythe finalement qui l’a emporté. C’est un mythe ruraliste, tout à fait étonnant, dans lequel il fallait refuser le progrès technique et dans lequel il fallait retrouver en quelque sorte la vérité de la terre. Ce n’était pas un mouvement pas Maurras, c’était à cette époque. Je vais prendre, par exemple, le film de King Vidor, qui s’appelle « Notre pain quotidien », c’est un film tout à fait intéressant. Ce sont des chômeurs qui arrivent à la campagne parce qu’ils sont ruinés, ils arrivent en voiture, - déjà, il faut voir ça, à l’époque des chômeurs ruinés qui arrivent en voiture – mais ils laissent leurs voitures et vont labourer à la main, en quelque sorte, avec seulement de vieilles charrues d’autrefois et puis ils discutent, ils disent : Est-ce qu’on va faire le communisme ou pas ? Ils disent : Non, on ne va pas faire le communisme mais on revient à l’ère des pionniers. Donc, le mythe du pionnier a été réactivé, c’était déjà l’idée de la nouvelle frontière.
Aurélie Luneau : Vous avez fait toute une étude, vous Bernard Gazier, sur la production culturelle dans l’immédiate après crise de 29 en montrant que c’est là le signe d’un profond ébranlement. Dans cette production culturelle, on trouve aussi beaucoup d’éléments ?
Bernard Gazier : Tout à fait. On peut penser par exemple à John Steinbeck…
Aurélie Luneau : « Les raisins de la colère ».
Bernard Gazier : Voilà, « Les raisins de la colère ». Alors ce qui est remarquable de cette époque avec Steinbeck et par exemple Dos Passos, c’est que ce sont des immenses écrivains, oui mais ils sont en rupture par rapport à la trajectoire de la littérature antérieure. Si vous prenez, je ne sais pas moi, Kafka, Proust, Joyce, vous obtenez un courant qui apparaît plus avancé en termes d’innovations, là, ça devient journalistique, ça devient plan-séquences. D’ailleurs, Steinbeck est très proche d’une écriture cinématographique. Il y a donc une forme de régression formelle, un retour au narratif parce que là aussi il y a une sorte d’exigence de revenir à une parole de témoignage. Donc, la littérature perd une partie de son élaboration, je dirais, de type surréaliste…
Emmanuel Laurentin : Vous voulez dire que l’on revient à Zola, une certaine écriture naturaliste de la fin du XIXe siècle ?
Bernard Gazier : Un peu. Tout coexiste. Prenez par exemple Faulkner. Faulkner qui est un immense romancier, lui tout à fait novateur sur le plan de l’écriture, eh bien Faulkner a écrit durant toute cette période son œuvre entière qui n’a aucun rapport avec 1929, n’en a pas dit un mot, pourquoi ? Parce qu’il était alimenté par le tragique esclavagisme du Sud des États-Unis au XIXe, ça lui suffisait et toute son élaboration s’est faite à l’extérieure. Mais c’est un cas tout à fait minoritaire. L’ébranlement en revanche a secoué les romanciers, les cinéastes.
Emmanuel Laurentin : On peut se poser la question, Isaac Johsua, de savoir si ce n’est pas naturel de vouloir revenir au réel dans ces années, effectivement extrêmement dures, que sont les années après 1929 ?
Isaac Johsua : D’abord, je voudrais dire que l’on s’étonnait tout à l’heure du fait qu’une crise finisse par se terminer, je pense que c’est dans la nature de la crise de finir par se terminer. La crise c’est en même temps, l’expression de choses qui ne vont pas, de contradictions énormes et en même temps une purge. La crise, en ce moment, on est en train de souffrir pour revenir à un équilibre, on ne sait pas lequel, quelconque. Ça, c’est important. Le deuxième point, pour me situer dans le prolongement de ce qui vient d’être évoqué, je pense qu’il y a aussi une façon, sur le plan culturel, de vivre la crise et le lendemain de la crise, il est intéressant de constater, dans le prolongement des propos de Bernard Gazier, que ça se situe de façon différente selon les acquis culturels de différents peuples. Même aux États-Unis, l’évolution qu’il vient d’évoquer me fait penser à Jefferson. Les États-Unis se sont orientés dans une voie industrielle puis ensuite financière, ça n’a pas été facile. Ça n’a pas été facile parce que c’était un pays profondément agraire et il y a eu tout un débat. Un débat très clair, très conscient sur : Est-ce que ce n’était pas dangereux de s’avancer dans une telle voie etc. Donc, le retour à la terre, le retour à l’agraire etc., c’est aussi une façon de renouer avec des racines. En ce qui concerne l’URSS, oui, tout à fait d’accord pour montrer l’importance que ça a eu etc. mais en même temps pour comprendre à quel point ça a pu fasciner il faut quand même comprendre que pour la plupart des gens, l’URSS se situait dans le prolongement d’une élaboration sur : Qu’est-ce que serait le socialisme qui s’était étalé sur des siècles et qui avait commencé en 89. Donc, c’était enfin la Jérusalem terrestre. La concrétisation sur le sol qui avait été débattue pendant des années et des années. On l’avait là. Donc, ça a un pouvoir d’aveuglement extraordinaire.
Emmanuel Laurentin : Oui, il ne faut pas oublier non plus que pour certains socialistes du XIXe siècle, les États-Unis, l’Amérique, pouvaient avoir été considérés comme une sorte de Jérusalem, en particulier pour des anciens communards, ou pour des anciens de la Révolution de 1848 qui sont allés là-bas en pensant qu’ils allaient créer le socialisme et créer une nouvelle Icarie etc., etc. Évidemment, ils ont été détrompés par la force du système qui n’allait pas exactement dans leur sens. C’est le propre de ce très beau livre publié, je crois, aux Les Éditions de l’Atelier, qui s’intitule « La sociale en Amérique », qui fait la bibliographie de tous ceux qui sont partis justement d’Europe pour s’installer aux États-Unis en pensant que c’était là-bas qu’ils allaient faire le socialisme.
Aurélie Luneau : On sait aussi que l’ampleur d’une crise tient au degré de confiance ou de méfiance qui s’établit et puis qui envahit toute une société d’opinion publique. Gérard Marie Henry, peut-être qu’on peut s’arrêter sur cet événement-là. En 1929 qu’est-ce qui a manqué pour donner la confiance ? Quelles ont été les interventions publiques qui ont été mises en œuvre tant dans le domaine politique qu’au niveau des banquiers ?
Gérard Marie Henry : On se remet toujours plutôt vers 1931 puisque je pense que c’est vraiment là que l’effondrement se précise. Premier problème, pas de pilote dans l’avion, une Réserve fédérale américaine qui n’a plus de dirigeant, moins de coopération entre les banques internationales, on a une réticence de la part de la banque de France à faire un prêt à l’Autriche…
Emmanuel Laurentin : On va prêter quand même.
Gérard Marie Henry : On va prêter quand même. Mais trop tard.
Emmanuel Laurentin : Trop tard et surtout on ne va pas remettre au pot ensuite quand il y aura besoin.
Gérard Marie Henry : Donc, évidemment ça ne crée pas la confiance. On va avoir les conséquences de ce protectionnisme américain, cette loi « Smoot-Hawley Act », tout le monde va réagir en mettant des barrières, ça ne renforce pas la confiance. Puis, cette confiance va se dégrader parce qu’un économiste de l’époque, que j’admire beaucoup, qui s’appelle Erwin Fisher, on va se moquer de lui parce qu’à la fin de l’année 29 il va dire que c’est reparti, que la crise est derrière nous et évidemment les choses vont s’aggraver mais il va sortir un excellent bouquin, en 1933, où il va parler de surendettement et déflation. Il va montrer que quand on est endetté, pour essayer de se renflouer on est obligé de vendre ses actifs. Ces actifs, on les vend à un prix cassé, donc on est encore plus mal. Ça montre que le système est en déclin puisque les prix des choses sont en train de tomber, donc ça dégrade encore plus la confiance et on a cet enchaînement assez catastrophique contre lequel on ne peut avoir que des ressources psychologiques. C’est un peu ce que va faire Roosevelt. Il ne va rien faire de particulier. Il va utiliser ce qu’a fait Hoover. Hoover avait déjà créé une sorte de super banque qui s’appelle la « Reconstruction Finance Corporation » qui est là pour aider les banques. Roosevelt va garder le cadre et va seulement dire : on peut le faire « We can wait », ça va marcher.
Emmanuel Laurentin : C’est effectivement cet argument très particulier que l’on entend encore aujourd’hui, l’argument de la confiance, cette vieille idée de la fides dont on a parlé tout au long de cette semaine, fides antique ou fides au Moyen-âge, la foi ou la confiance qui sont nécessaires pour faire marcher ces marchés.
Gérard Marie Henry : Je peux ajouter un tout petit mot sur cette histoire de confiance. On a un auteur du XIXe, Walter Bagehot, qui est l’auteur d’un livre fabuleux qui s’appelle « Lombard Street », la rue des Lombard à Londres. Il écrit son bouquin en 1873, il vient d’y avoir des crises financières en Grande-Bretagne, et il explique quel est le rôle de la banque centrale, de la banque d’Angleterre, de redonner la confiance de prêter sans défaillir, prêtant en dernier ressort à ces banques anglaises qui risquent de faire faillite. Il y aura une très grosse banque qui s’appelle la Baring qui va être piégée dans une affaire d’obligations d’Argentine et la banque d’Angleterre va venir la sauver.
Emmanuel Laurentin : Sur ce point et puis sur tous les autres points, Bernard Gazier et puis ensuite Pierre-Cyrille Hautcoeur.
Bernard Gazier : Je voudrais compléter ces appréciations en remarquant que la taille des États leur permettait très difficilement de restaurer la confiance. Si vous pesez 10% du PIB…
Emmanuel Laurentin : C’est ce que vous dites effectivement.
Bernard Gazier : Vous êtes important mais vous n’êtes quand même pas à la hauteur de la situation. On voit très bien qu’aujourd’hui les sommes que les États sont prêts à mettre sur les marchés, les liquidités, recapitalisation des banques etc. sont des sommes considérables, qui sont moins impressionnantes aujourd’hui relativement à leur poids. Je voudrais faire remarquer que Roosevelt, connu pour on activisme, pour son interventionnisme, il a vraiment modifié énormément de choses aux États-Unis, qui a plusieurs fois rencontré Keynes, n’a jamais voulu se mettre en déficit, pas plus que Hoover simplement parce qu’il pensait que cela détruirait la confiance compte-tenu de la taille de son budget.
Pierre-Cyrille Hautcoeur : Je crois que la confiance, il ne faut pas l’invoquer comme une espèce de mantra. La confiance, c’est quelque chose qui résulte d’organisations, d’institutions qui sont mises en place de manière à régler des problèmes quotidiens. Ce que fait Roosevelt ce n’est pas juste avoir du talent et de la volonté, c’est de mettre en place toute une organisation économique qui va avoir son plein développement pendant les 30 et 40 années suivantes. Évidemment, il ne l’a pas fait tout seul. Il a suivi aussi, et c’est ça aussi le coup de talent, certaines des tendances du capitalisme antérieur en les amenant vers une plus grande stabilité. Pour revenir par exemple à ce que disait Isaac Johsua. On avait une tendance qui été le repli agraire. En France aussi on a eu aussi une tendance au repli agraire. Les gens disaient : oh ! en France on ne souffre pas beaucoup de la crise de 29 parce que (manque deux mots) dans l’agriculture, ça nous protège. C’était un bel avenir que de revenir au XVIIIe siècle avec plus de 80% dans l’agriculture ! Ce qu’a trouvé Roosevelt, c’est trouver des moyens pour qu’un capitalisme de grandes entreprises, de très grandes organisations puisse émerger et fournir de la stabilité. Et c’est ça qui s’est passé durant les 40 années suivantes. Il les a aidés en séparant les banques d’affaires et les banques de dépôts, en aidant les très grandes entreprises à dégager les profits nécessaires pour qu’en fait elles n’aient plus autant besoin de recourir aux marchés financiers et ne soient plus dans cette situation de dépendance et d’empilement de dettes qu’on voit apparaître aujourd’hui. Donc, c’est cette institutionnalisation par Roosevelt à travers des institutions, comme « Securities and Exchange Commission », qui a permis le développement d’un nouveau capitalisme, un capitalisme de grandes entreprises, de grandes organisations qui a fonctionné pendant 30 ou 40 ans après et qui ensuite a pu avoir également ses difficultés.
Emmanuel Laurentin : Ce qui pose la question, Pierre-Cyrille Hautcoeur, que nous avons traitée, quasiment par accident mais au bout du compte ça a peut-être un sens, de la place des pouvoirs publics, des institutions, des États face à la question du marché. On en a parlé pour l’Antiquité, pour le Moyen-âge, hier encore évidemment pour le XVIIIe siècle, la crise de Law, c’est-à-dire la place que tient l’État dans le contrôle des marchés pas simplement par la loi mais aussi par son intervention directe.
Pierre-Cyrille Hautcoeur : Oui, absolument. La banque centrale américaine effectivement n’ose pas vraiment intervenir au début du de la crise de 29, elle est encore dans une logique pré-Lombarde Street, pour reprendre l’allusion que faisait Gérard-Marie. Mais après elle va se mettre à contrôler beaucoup plus ce que font les banques, elle va réunir des quantités d’informations considérables qui vont permettre d’avoir un suivi beaucoup plus étayé. Et ça va marcher pendant très longtemps tant que les banques ne vont pas se mettre à inventer de nouveaux types de produits que les banques centrales ne comprennent pas bien et n’arrivent pas à vraiment contrôler, ce qui s’est passé depuis 10 ans. Mais auparavant, pendant très longtemps, l’État est intervenu dans toute une série d’autres choses. Il y a eu une intervention majeure sur la sécurité sociale, donc la stabilisation des relations de travail, qui est quand même une chose dont on ne parle pas assez quand on parle de la crise de 29. C’est les conséquences, en termes de relations de travail pour les entreprises, qui ont très, très largement été bouleversées par le système de sécurité sociale, les lois sur le travail, la syndicalisation, qui a été favorisée extraordinairement par Roosevelt, ce n’est plus tellement à la mode mais c’est ça qui a finalement permis cette stabilisation.
Aurélie Luneau : Bernard Gazier, vous expliquez ça dans votre livre d’ailleurs, que le capitalisme va être mis sous surveillance et qu’en France il y a un retour de la pression politique, de la pression syndicale, de la pression ouvrière.
Bernard Gazier : Oui, on peut penser que l’ensemble des mouvements du Front populaire sont les héritiers directs de la crise. Ce n’est pas la perspective communiste, au contraire il y a de la part du Parti communiste la volonté de trouver des alliances plus larges et donc c’est sur une base de ce type là que le capitalisme est reparti. Moi, je voudrais faire remarquer que l’État, en 1929, est innocent, il est petit. Aujourd’hui, les États sont gros et ont été pris la main dans le sac parce que finalement la refinanciarisation du monde vient assez largement d’initiatives étatiques qui ont visé à créer un marché financier mondialisé, déterritorialisé, celui dont nous sommes aujourd’hui victimes.
Gérard Marie Henry : Oui, je ne suis pas vraiment d’accord avec ce que vient de dire Bernard Gazier…
Emmanuel Laurentin : Je m’en doute.
Gérard Marie Henry : Pour moi, l’État, en 29, a une place beaucoup moins importante, si on le prend en termes de rapports budget et PIB, mais les banques centrales peuvent agir comme elles le font maintenant. Comme j’ai cité mes exemples du XIXe, la banque d’Angleterre a les moyens, elle contrôle légalement la masse monétaire, elle peut renflouer les banques ou ne pas les renflouer. Donc, on n’a pas vraiment de grands changements. On a des techniques nouvelles, on a de l’échange, de la titrisation, mais on a une sphère financière qui est, et peut toujours être, contrôlée par les banques centrales, ce que j’espère qu’elles sont en train de faire maintenant. La grosse différence avec cette crise des années 30, c’est qu’elles ne vont pas pouvoir le faire parce que, je répète, il y a les contraintes de l’étalon-or, c’est seulement quand la Grande-Bretagne va en sortir, c’est seulement quand Roosevelt va décider de sortir également le dollar de l’étalon-or qu’on avoir dans ces pays une reprise qu’on n’aura pas en France qui va rester coincée avec son franc-or jusqu’au Front populaire, jusqu’à Blum face à la dévaluation. Donc, ça c’est une très grosse différence, je crois que c’est peut-être la plus marquante, et moins les évolutions structurelles sur lesquelles on a parlé. Pour revenir à l’aspect culturel, vous avez cité les exemples américains de présentation de cette crise, je crois qu’il faut lire le bouquin assez intéressant d’un historien américain, qui s’appelle Radosch, qui parle de l’étoile rouge d’Hollywood. Une étoile rouge ça veut dire qu’à partir du début des années 30 le parti communiste américain va vraiment faire des efforts pour être présent dans un lieu où l’on crée de la culture populaire, il va relativement réussir à faire passer des messages pour une société différente.
Emmanuel Laurentin : Un dernier mot, Isaac Johsua puisqu’on arrive au terme de cette émission ?
Isaac Johsua : Oui, je voudrais dire, très rapidement, qu’en ce qui concerne Roosevelt et le New Deal, c’est avant tout un interventionnisme. Même s’il a été brouillon, même s’il n’a pas été toujours efficace mais que se faisant il rompt complètement avec la tradition passée, pour moi c’est le début du fordisme, même si entre les deux il y a la guerre, et c’est la confirmation, si l’on avait besoin du fait que le système ne tient pas debout tout seul. Il a besoin de béquilles, il a besoin d’une lierre, il a besoin qu’on le soutienne etc. Une économie dans laquelle on laisse aller, dans laquelle le marché est dominant mène forcément à la catastrophe. En ce qui concerne les aspects financiers qui ont été évoqués, c’est-à-dire est-ce que les banques sont toujours capables de… etc. Je pense que : (1) ce n’est pas le cas parce que nous avons le développement, comme le disait Gazier, d’un système financier qui a été fait pas seulement avec l’autorisation des États mais sous leur impulsion et à leur décision, mais surtout, le point sur lequel je voudrais insister, c’est que l’histoire des crises montre qu’on est dans ce domaine en retard d’une guerre. En ce moment on dit qu’on va s’occuper de la titrisation, des pays dont lesquels il n’y a pas de contrôle etc. je ne sais si ça change quelque chose en tout cas on est en retard d’une guerre. Comme à chaque fois, si on laisse aller les choses la finance reprend le dessus, on avait des règles de base et avant même qu’elles soient appliquées ils avaient déjà trouvé les moyens de les contourner.
Emmanuel Laurentin : Merci, Isaac Johsua, on pourra vous lire en particulier chez Syllepse, « Une trajectoire du capital : de la crise de 1929 à celle de la nouvelle économie ». On peut lire également Gérard Marie Henry, « Les crises au XXe siècle », chez Belin, mais également son « Keynes », chez Armand Colin, ainsi que « La crise de 29 », chez Armand Colin. Et puis de vous, Bernard Gazier, « La crise de 1929 », au Puf.
Précisons, je le dis régulièrement mais on a des demandes de la part de nos auditeurs d’avoir des scripts des émissions, il y a des scripts de nos émissions faits par des auditeurs eux-mêmes, nous les remercions. Sur le site Fabrique de sens avec la dernière « Art et histoire », c’est un débat que nous avions ici dans La Fabrique de l’Histoire et puis également, c’est plus ancien, des émissions historiographiques mises en ligne sur le site Le thiboniste et puis un groupe qui a été crée, non pas à notre initiative mais auquel nous commençons à participer, sur Facebook des amis de La Fabrique de l’Histoire.
Merci encore à tous.
[Des livres à découvrir et des sites à consulter, recommandés sur le site de l’émission]
– John Kenneth Galbraith, « La Crise économique de 1929 : anatomie d’une catastrophe financière », Ed. Payot - Collection Petite bibliothèque, 1989.
Euphorie, spéculation, réductions d’impôts, innovations hasardeuses dans la finance d’entreprise : autant de similitudes importantes entre les causes de La crise économique de 1929 et celles du krach boursier de l’automne 1987. La lecture de l’essai classique de J.K. Galbraith sur la « grande dépression » (précédé d’une préface inédite en français sur la comparaison des deux crises) s’impose plus que jamais.
– Bernard Gazier, « La crise de 1929 », Ed. Puf, Que sais-je ?, 9 octobre 2007.
4e de couverture : La crise de 1929 fut avant tout un effondrement généralisé de la production dans la quasi-totalité du monde industrialisé. Violente et contrastée dans son déroulement et ses enjeux, elle a fait subir au monde occidental un recul comparable à celui des deux conflits mondiaux qui l’encadrent chronologiquement. À travers des événements convulsifs, c’est la démocratie occidentale qui est apparue en danger, puis victorieuse.
Cet ouvrage revient sur l’histoire de la « Grande Dépression », ses causes, ses effets. Il analyse les mécanismes économiques en jeu dans cet épisode traumatique du capitalisme contemporain. Il montre enfin comment chaque époque relit cette crise hors norme à l’aune de ses propres urgences comme avec ses acquis.
– Gérard Marie Henry, « Les crises au XXe siècle (1873-2003) », Ed. Belin, 15 août 2003.
Présentation de l’éditeur : Cette étude commence dès 1873 par la première crise internationale de l’économie capitaliste contemporaine et s’achève avec la récession américaine de mars 2001. Elle s’articule nationale de l’économie capitaliste contemporaine et s’achève avec la récession américaine de mars 2001. Elle s’articule autour de trois problématiques : l’histoire économique des cycles des affaires et des crises bancaires et financières ; l’analyse économique des politiques suivies lors des périodes de récession ; la théorie économique et les débats sur les origines de l’instabilité de l’économie capitaliste.
Deux conclusions s’imposent :
• la première n’est guère rassurante : des crises économiques et financières on peut dire que « plus ça change et plus c’est la même chose », comme le montre la comparaison entre les crises de 1890 et de 2001 en Argentine.
• la seconde est optimiste : nos institutions sont plus fiables, plus « intelligentes » qu’elles ne l’étaient entre 1914 et 1950. Il ne faut pas donc craindre, ou attendre, une nouvelle « Grande Dépression ».
Néanmoins le cycle économique n’est pas mort et sans doute est-il impossible d’empêcher les « phases récurrentes d’optimisme et de pessimisme qui se traduisent périodiquement par l’apparition (ou la disparition) d’excès spéculatifs ». (Alan Greenspan).
– Isaac Johsua, « Une trajectoire du capital : de la crise de 1929 à celle de la nouvelle économie », Ed. Syllepse, 6 avril 2006.
Présentation de l’éditeur : Ce livre est né d’un certain nombre d’interrogations sur un capitalisme pris entre mutations et continuité, entre capacité à survivre et mort annoncée. Il s’agit de désigner les écueils entre lesquels il navigue, qu’il peut éviter mais contre lesquels il peut aussi bien se briser. Que nous révèle, de ce point de vue, la trajectoire du capital, jetée comme un pont suspendu entre la crise de 1929 et celle, en 2001, de la « nouvelle économie » ? La grande crise américaine de 1929 est la première et spectaculaire manifestation de la foncière instabilité d’un capitalisme arrivé à maturité. Elle ouvre l’ère des crises majeures. Les « trente glorieuses » (1946-1974) y échappent, car ce sont celles d’une phase de rattrapage, après les destructions accumulées de 1914 à 1945. Toute parenthèse doit se refermer : la chute des taux de profit de la seconde moitié des années 1960 débouche sur la rupture du début des années 1970. L’après-guerre commence, non en 1946, mais en 1974. L’offensive néolibérale des années 1980 marque alors l’entrée dans une nouvelle ère, celle d’un capitalisme universel, celle aussi d’une mondialisation du salariat et d’une financiarisation grosse de périls nouveaux.
Dans l’Histoire, recommencement n’est pas redite, mais renouvellement. La crise de l’Asie du sud-est de 1997 nous apparaîtra à la fois comme un retour du passé (la réouverture de l’ère des crises majeures) et comme un énoncé sur la réalité d’aujourd’hui (une crise de la mondialisation du capital productif). De la même façon, la crise américaine de la nouvelle économie (2001) est la première crise grandeur nature du modèle néolibéral. Mais elle est aussi une façon de reformuler le passé : nous assistons à la mise en place d’un nouveau modèle de surconsommation financiarisée, une machine folle jetée dans la fuite en avant, avec de plus en plus de consommation, de moins en moins d’épargne, de plus en plus de dettes.
La conclusion générale de l’ouvrage décrit les sentiers escarpés que le système capitaliste est contraint de parcourir, cheminant tel un funambule entre divers abîmes, entre hyperpuissance incontestée et émergence d’un challenger, entre crises de l’intensivité et crises de l’extensivité, entre risque de l’étouffement et danger de l’effondrement.
– Michel Cordillot, « La Sociale en Amérique : dictionnaire du mouvement social francophone aux États-Unis (1848-1922) », Ed. l’Atelier, 13 février 2002.
Présentation de l’éditeur : Entre 1848 et la Première Guerre mondiale, quelques milliers de réfugiés et d’exilés de langue française, républicains, révolutionnaires, socialistes trouvent refuge aux États-Unis, où ils s’organisent pour tenter d’améliorer la vie des plus défavorisés et changer la société américaine.
Les 1 000 biographies de ce dictionnaire rendent compte de l’implantation géographique du mouvement social francophone à travers l’ensemble du territoire des États Unis et de la diversité de ses modes d’intervention. Ces militants sont ainsi à l’origine de la fondation d’une multitude de journaux, de clubs, de syndicats et de groupes politiques. Ils deviennent également les animateurs d’une vie communautaire très dense à travers la création de coopératives, de sociétés de secours mutuels, de sociétés fraternelles, culturelles, théâtrales, musicales et même horticoles qui rassemblent souvent localement l’ensemble des francophones.
Des notices thématiques fournissent les points de repères essentiels à la compréhension du contexte et des illustrations permettent de rendre un visage à quelques-uns de ces hommes et femmes qui ont emporté en Amérique leur vision d’une République démocratique et sociale.
Tout en prolongeant le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français de Jean Maitron, ce dictionnaire apporte une contribution totalement originale aux grands débats historiographiques actuels sur les migrations et l’ethnicité.
Fruit d’une douzaine d’années de travail et de recherches, ce dictionnaire a été préparé par Michel Cordillot, professeur de civilisation américaine à l’Université Paris VIII, avec la collaboration et l’aide d’une trentaine de chercheurs français et américains.
– La crise jusqu’où ? Dossier de franceculture.com Analyses, reportages, réactions et sélection de livres et de liens au sujet de la semaine qui a bouleversé la finance mondiale. Avec aussi les explications d’Olivier Pastré sur quelques mots clés de cette crise.