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Jean Martin, signataire du Manifeste des 121

Brève biographie et synthèse des activités du comédien Jean Martin, par Taos Aït Si Slimane.

Attention, je ne suis pas biographe professionnelle. Je vérifie, multiplie et croise mes sources afin que les informations disponibles sur ce site soient les plus correctes possibles. Vos critiques et compléments d’informations, que j’intègre dès qu’ils me parviennent, sont les bienvenus, vous pouvez soit utiliser le cadre des commentaires soit m’écrire à : tinhinane[ate]gmailpoint]com.

Jean_martin

Jean Martin est né le 6 mars 1922 et vivait rue de Lille dans le 7ème arrondissement à Paris [1]. Il est mort, le lundi 2 février 2009, des suites d’un cancer, à Paris, et a été incinéré au cimetière du Père-Lachaise.

Jean Martin a débuté au théâtre sous la direction notamment du metteur en scène Roger Blin, dans des créations de pièces de Samuel Beckett, Arthur Adamov et Eugène Ionesco. Au cinéma il fut le Colonel Mathieu dans La bataille d’Alger dont il est le seul acteur professionnel du film. Il témoigne, avec beaucoup de simplicité et de sincérité, « Dans la peau d’un para », en 2004, de sa rencontre avec le cinéaste Gillo Pontecorvo dans le Bonus du DVD, réalisé par Jonas Rosales, chez Studio Canal. J’ai choisi de mettre le texte intégral de ma transcription de ce témoignage, en guise d’illustration de son engagement intellectuel et politique.

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« Jean Martin : J’ai rencontré Gillo Pontecorvo d’une façon très simple parce que j’étais surtout un comédien de théâtre, j’avais fait quelques films mais des rôles tout à fait secondaires et j’adore le cinéma en plus de ça, je dois dire, mais ma fonction première c’était de jouer la comédie. J’ai été appelé à jouer des pièces qui ont marqué le siècle, on peut dire parce que j’ai créé beaucoup de pièces de Ionesco, toutes les pièces de Samuel Beckett, les deux principales étant : En attendant Godot et « Fin de partie. Donc, j’avais un agent, qui était Lola Mouloudji, qui était à l’époque la femme du chanteur Mouloudji, et qui s’occupait de me vendre, si j’ose dire. Un jour elle m’a dit : Écoute, il y a un metteur en scène italien, - que je connaissais un peu parce que j’avais vu Kapo, qui avait précédé La bataille d’Alger, et j’avais entendu parlé de lui– il cherche un comédien qui soit un bon comédien de préférence, qui réponde à des critères physiques précis, un colonel de l’armée française pas « screu nieu-nieu », un type relativement ouvert et intelligent. Il était très décidé sur l’apparence extérieure du personnage. Je crois que je répondais à ce qu’il cherchait. En plus de ça, il ne voulait pas un type connu. Parce que comme c’est une histoire qui relate des faits réels, il ne voulait pas qu’on puisse mettre un visage qui avait déjà servi à beaucoup d’autres personnages fictifs et que le public éventuel fasse une confusion entre ce que disait le film et la présence d’un acteur connu. Donc, ces critères je les réunissais : Je n’étais pas connu, les gens ne disaient pas en me voyant paraître à l’écran, « ah, on l’a déjà vu dans… », et j’ai fait un bout d’essai dans les rues de Paris, la rue Saint Romain, dans le VIème arrondissement, à une époque où cela n’était pas très facile. Je suis rentré dans un café, où Pontecorvo m’avait apporté un uniforme de para, je me suis habillé dans les toilettes en para, je suis sorti du café en para, et j’ai déambulé dans la rue Saint Romain en colonel de para avec Gillo Pontecorvo, qui filmait devant moi. Puis, trois jours après, il m’a dit : c’est OK, on n’est pas en taule, ni toi ni moi, et tu fais le film.

« Extrait du film La Bataille d’Alger : Allez-y Martin. / C’est un ennemi anonyme, méconnaissable, mélangé à des centaines d’autres. »

Jean Martin : J’étais très au courant de la chose parce que mes convictions politiques m’avaient amené à être violemment contre la Guerre d’Algérie, contre l’incorporation des soldats français, contre tout ce qu’on a appelé la sale Guerre d’Algérie. Et j’ai fait partie de ce qu’on appelle « Les 121 ». Il y a eu un appel qui a été organisé par Jean-Paul Sartre au départ - (note ajouté par Taos Aït Si Slimane : pas vraiment, cf. la transcription de l’émission du 5 avril 1993, « Par Ouï-dire » de la radio belge RTBF, intitulée « L’esprit d’insoumission » par Jean-Marc Turine), je crois, qui demandait à plusieurs personnes de bien vouloir signer un manifeste, demandant à ce qu’on ne fasse pas la guerre. Je l’avais signé cet appel, ce qui m’a apporté beaucoup de déboires parce que je travaillais dans une troupe de théâtre subventionné, en l’occurrence le TNP, j’ai été foutu à la porte du TNP, j’ai travaillé beaucoup à la radio, comme comédien, j’ai été foutu à la porte de la radio, je n’avais plus aucune source d’existence. Je n’étais pas le seul, je ne me plains pas, mais enfin je veux dire que je savais très bien comment cela se passait. Je connaissais les tenants et les aboutissants de ce qui se passait en Algérie.

Ça a été un tournage très difficile, parce que Gillo Pontecorvo avait l’habitude de travailler avec - je ne parle pas pour ce film – des non comédiens. Il y a deux ou trois personnes, dans le film, sui sont des personnages qui ont eu l’action réelle qu’ils sont eue lors des « événements » d’Algérie.

« Extrait du film La Bataille d’Alger : Mais vous semblez bien satisfait de m’avoir capturé vivant. / En effet, je le suis. / J’aurais pensé que vous le regrettiez plutôt. Évidemment, je vous ai donné un avantage plus grand que je ne l’imaginais. / Non, disons que vous m’avez donné la satisfaction d’avoir eu une juste intuition. […] Laquelle de vous s’appelle Zakia ? »

Jean Martin : C’est un peu difficile parce qu’un acteur non professionnel a la justesse de la fausseté. Je m’explique, c’est-à-dire que n’ayant pas le souci de prononcer correctement quelque chose, comme lorsqu’on parle dans la vie, à la ville on ne prépare pas sa phrase, elle vient et elle est juste mais elle n’est pas forcément juste pour qu’on donne la réplique sur le ton de la personne qui vous a adressé la parole. Ça m’a posé des problèmes de temps à autre.

« Extrait du film La Bataille d’Alger : Oui, je sais très bien qu’Alger n’est pas toute l’Algérie. / Oui, bien sûr ! / Mais pour le moment, contentons-nous d’Alger. »

Jean Martin : La plupart de mes heurts avec Gillo Pontecorvo, c’est quand il avait un petit peu tendance à me donner les intonations du personnage. Je lui ai dit : Gillo, si tu fais ça avec moi, tu ne tireras rien de moi parce que je t’imiterai, mal. Toi, tu me donnes l’intonation avec un français d’Italien, donc, laisse-moi faire. Et il m’a dit : oui mais tu vas jouer le personnage en acteur. Je lui ai dit : laisse-moi faire comme j’ai envie de le faire et après si cela ne va pas du tout, tu feras marcher les assurances et tu prendras un acteur à ma place, pour me remplacer, mais laisse-moi au moins essayer. Et ça a été comme ça pendant tout le film, tout le film.

Le film a été originellement tourné en français. L’exploitation italienne est faite sur la base d’une postsynchronisation ultérieure. Mais, Gillo a trouvé, avec justes raisons, que la bande témoin, la bande son, il y avait des moments où il y a avait des bruits intempestifs, il y avait des choses… Donc, j’ai tout repostesynchronisé en français une fois que le montage a été terminé.

« Extrait du film La Bataille d’Alger : C’est inutile de jouer au héros, ça ne servirait à rien. Passez-moi le haut-parleur. »

Jean Martin : Ce qui est à la fois un avantage parce qu’on peut gommer des choses mais un handicap parce qu’on n’est plus dans l’émotion de l’instant de la prise de l’action et là, il faut faire très attention à ne pas succomber à ce que craignait Pontecorvo, c’est-à-dire jouer.

« Extrait du film La Bataille d’Alger : Écoutez-moi bien. Si vous vous rendez tout de suite, je vous donne ma parole qu’on ne vous touchera pas. »

Jean Martin : La séquence de l’entrée des paras dans Alger, c’est une séquence qui m’a posé problèmes parce que j’avais un petit peu peur quand même. Je n’avais jamais défilé à la tête d’un régiment de parachutistes. En plus de ça, c’était très impressionnant parce qu’il y avait dans la figuration tout ce qui était de peau blanche et de confession européenne, qui était dans les rues en train d’agiter des petits drapeaux français. C’est-à-dire qu’il y avait des Hollandais, des Suédois, des Allemands, tout ce qu’on veut, quelques rares Français, très peu nombreux. Donc, j’ai eu des problèmes. Mais pas des problèmes intellectuels. Comme on a dû faire 10 ou 12 prises, et qu’on a dû prendre la douzième prise, j’avais de l’entrain parce que je savais où il fallait mettre le pied, je savais où il fallait mettre l’œil, je savais où il fallait envoyer les bras, je savais de quel côté il fallait balancer ma Légion d’Honneur. J’étais devenu mécaniquement un colonel qui défile. Au cours d’une des prises, je me suis pris les pieds dans les rails du tramway, je me suis tordu la cheville, et, très discrètement et très rapidement j’ai fait « aïe » mais ça m’a beaucoup fait rire parce que j’ai pensé qu’un colonel de para en train de se casser la gueule et en train de faire « aïe », ce n’était pas possible d’autant plus qu’il y avait Pontecorvo qui était dans la voiture de caméra, devant moi, et quand j’ai fait « aïe », il était en train de me faire : « On la tient ! On la tient ! » Et quand j’ai fait « aïe », il m’a dit : « Ah, mierda ! »

« Extrait du film La Bataille d’Alger : Pour ma part, je peux seulement à vous dire que j’ai eu la possibilité d’apprécier la force morale, le courage et la fidélité de Ben M’Hidi en ses propres idéaux. Pour cela, sans oublier l’immense danger qu’il représentait, je me sens le devoir de rendre hommage à sa mémoire. »

Jean Martin : Le personnage était écrit sympathique mais j’ai fait tout ce que j’ai pu pour accentuer cette sympathie, parce que je trouve que cela aura été succomber à la faciliter que de faire une parodie de militaire, vous comprenez. Un militaire à la ville, c’est quelqu’un comme vous et moi. Il a des sentiments, il est ému, il est en colère, il est fâché, il est trompé par sa femme, il veut gagner la guerre, mais c’est un homme. Et je crois que si l’on ne prend pas en considération tous ces paramètres-là, on risque de tomber dans la caricature du personnage, surtout dans le cas de ce personnage tellement, tellement controversé. Le colonel Mathieu, il faut bien le répéter n’est pas l’image d’un colonel ayant existé pendant « la bataille d’Alger », c’est l’amalgame de tous ces personnages réels, confrontés à une situation exacte. Comme se sont déroulés les événements, se déroule le film.

Sur le plan émotif, on a tourné quand même dans la Casbah, c’est les derniers vestiges qui existent de la Casbah telle qu’elle a été depuis des centaines d’années jusque et y compris les premiers mois de l’indépendance algérienne, parce qu’on a tourné dans les endroits réels, dans les maisons réelles, enfin celles qui n’étaient pas démolies. Je vous assure que ça flanque quand même un coup parce qu’on est vraiment dans la situation de ceux qui ont vécu là au moment où ils ont vécu cette histoire-là, d’autant plus que les scènes reconstituées, les scènes de commissariats, de choses comme ça, on était - enfin si, tous les participants au film – j’étais dans des endroits dans lesquels on avait conservé toutes les archives françaises et j’avais encore tous les rapports de police, que je compulsais quand j’avais besoin d’accessoires, comme ça pendant le jeu, et sur lesquels on racontait toutes les exactions qui avaient été commises aussi bien par les Européens que par les Algériens. Il y avait, par le menu, le détail des massacres, des égorgements. Les Algériens, quand ils avaient piqué quelqu’un qui était un jaune ou un traitre, ils l’émasculaient, ils lui mettaient ses testicules dans la bouche et ils le pendaient à un arbre. Et il y avait le récit détaillé de toutes ces opérations, plus le récit de tous les moyens par lesquels on obtenait soi-disant la vérité, tous ces moyens employés par les civils français, pas seulement les militaires, les civils, les commissaires de police, toutes ces choses-là. Alors, ce n’est pas fréquent d’avoir le matériel de tournage qui ait cette densité-là, quand on fait un film.

Je l’ai revu, il y a un mois un mois et demi, quand il est ressorti à Paris, là. Objectivement, en le regardant comme un film dans lequel je ne serais pas présent, je trouve que le film a admirablement bien vieilli par le fait même qu’il est très strict, très simple. Il n’y a pas d’effets de mise en scène visibles. C’est admirablement bien mis en scène. C’est très, très bien photographié. Mais le choix de ce grain de pellicule, il n’y a pas un mètre pellicule de cinéma d’actualités dans le film. Tout est reconstitué, tout. J’ai vu des gens qui m’ont dit : ce n’est pas possible ! Je leur ai dit : écoutez, j’étais présent pendant tout le tournage, je sais ce qui s’est passé. Les gens m’ont dit : mais les scènes de foules ? Je leur ai dit : mais c’est des figurants ! Mais n’oubliez pas que quand le film a été tourné, le film a été tourné 8 mois après l’indépendance, donc ce qu’ils vivaient devant la caméra, ils l’avaient vécu vraiment. Donc, je trouve que c’est un film qui est plus beau que quand je l’ai vu pour la première fois. En plus de ça, il n’est pas sectaire. À mon avis ! Les personnages français sont très plausibles, très crédibles, pas caricaturaux. Les personnages algériens non plus. Le personnage que je trouve le plus bouleversant dans tout le film, c’est le petit ouvrier terrassier qui mange son sandwich dans la rue et qui tout d’un coup est pris pour un poseur de bombe. Je trouve que c’est à l’image du film. Tout est dit dans l’incompréhension dans le colonialisme, dans les mentalités, dans la hargne, dans la haine. »


Activités théâtrales de Jean Martin

 Pygmalion de George Bernard Shaw, mise en scène Etienne Hervier, Théâtre de l’Œuvre

 1950, Henri IV de Shakespeare, mise en scène Jean Vilar, Festival d’Avignon

 1951, La Calandria de Bernardo Dovizi da Bibbiena, mise en scène René Dupuy, Festival d’Avignon

 1951, Le Prince de Hombourg d’Heinrich von Kleist, mise en scène Jean Vilar, Festival d’Avignon

 1952, Parodie (La) d’Arthur Adamov, mise en scène Roger Blin, Théâtre de Lancry. Avec : Jean Martin, Pierre Leproux, Paul Chevalier, Jacques David, Jacques Butin, Catherine Damet.

 1953, En attendant Godot de Samuel Beckett, mise en scène Roger Blin, Théâtre de Babylone. Il interprète Lucky à la création de la pièce, le 4 janvier 1953, après que Pierre Louki, l’acteur devant jouer initialement Pozzo, ait fait défection et que Blin ait décidé de jouer son rôle, quittant celui de Lucky pour le confier à Martin.

 1954, Comment s’en débarrasser d’Eugène Ionesco, mise en scène Jean-Marie Serreau, Théâtre de Babylone. Avec : Lucien Raimbourg, Pierre Latour, Dominique Dullin, Jean Martin, Jacques David - Jeanine Souchon, Sergio Gerstein.

 1954, Mon colonel de Paul Gegoff, mise en scène Jacques Mauclair, Théâtre Oeuvre. Avec : R.J. Chauffard, Jacques Mauclair, Jean Martin, Tsilla Chelton, Frédérique Ruchaud, Pierre Marielli.

 1954, La Bonne Âme du Se-Tchouan de Bertolt Brecht, mise en scène Roger Planchon, Festival de Lyon, Théâtre de la Comédie Lyon. Et en 1958, toujours avec une mise en de Roger Planchon, au Théâtre de la Cité Villeurbanne.

 1954, Édouard II de Christopher Marlowe, mise en scène Roger Planchon, Festival de Lyon, Théâtre de la Comédie Lyon

 1954, Amédée ou Comment s’en débarrasser d’Eugène Ionesco, mise en scène Jean-Marie Serreau, Théâtre de Babylone

 1955, Le Ping-pong d’Arthur Adamov, mise en scène Jacques Mauclair, Théâtre des Noctambules. Avec : Xavier Renoult, Marcelle Géniat, R.J Chauffard, Jean Martin, Christiane Lénier, Jacques Mauclair, Pierre Leproux, Evelyne Rey.

 1957, Fin de partie de Samuel Beckett, mise en scène Roger Blin, Royal Court Théâtre, à Londres, Studio des Champs-Elysées. Jean Martin est le premier à jouer le rôle de Clov lorsque Roger Blin crée, en français, la pièce au Royal Court Théâtre, à Londres.

 1959, Tête d’or de Paul Claudel, mise en scène Jean-Louis Barrault, Odéon-Théâtre de France.

 1959, Les possédés d’Albert Camus, mise en scène d’Albert Camus, Théâtre Antoine. Avec : Tania Balachova, Pierre Vaneck, Pierre Blanchar, Michel Bouquet, Catherine Sellers, Roger Blin, Charles Denner, Nadine Basile, Alain Mottet, Michel Maurette, Jean Martin, Marc Eyraud, Edmond Tamiz, François Marié, Jean Muselli, Nicole Kessel, Georges Berger, Georges Sellier, Géo Wallery, Charlotte Clasis, Janine Patrick, Daniel Josky.

 1960, Rhinocéros d’Eugène Ionesco, mis en scène par Jean-Louis Barrault, Odéon-Théâtre de France. Avec : Marie-Hélène Dasté, Nicole Ionesco, William Sabatier, Jean-Louis Barrault, Jane Martel,Jean Martin, Robert Lombard, Jean Parédès, Yves Arcanel, Simone Valère, Michel Bertay, Gabriel Cattand, Régis Outin, Simone Paris, Marius Balbinot, Marc Halfort, Françoise Debray.

 1960, Lettre morte de Robert Pinget, mise en scène Jean Martin, Théâtre Récamier. Avec : Henri Virlojeux, Jean Martin, Paul Gay, Laurence Badie.

 1961, Les Nuits blanches de Fedor Dostoïevski, mise en scène Nicole Kessel, Théâtre de Lutèce.

 1961, Gardien (le) adaptation de Jacques Brunius (de son vrai nom Jacques Henri Cottance) de The Caretaker, une pièce en trois actes du dramaturge et prix Nobel anglais Harold Pinter, mise en scène par Roger Blin, Théâtre de Lutèce, avec Roger Blin (Davies), Jean Martin (Aston) et José Verela (Mick).

 1961, Arlequin, Valet de deux maîtres de Carlo Goldoni, Edmond Tamiz, Théâtre Recamier. Avec : Françose Bertin, Danielle Devillers, Marie Mergey, Edmond Tamiz, Paul Crauchet, Lucien Barjon, Jean Martin, Pierre, Elie Pressmann, Robert Rimbaud, Jean Darié.

 1961, Représentants (Les) de Mona, mise en scène par Jean Martin, Théâtre de La Bruyère. Avec : Liliane Kermadec, Georges Didier, Nicole Kessel, Syla Gregory, René Renot, Stéphane Fey, Nadia Vekov, Gérard Gubisch.

 1962, Témoins(Les) de Georges Soria, Mona, mise en scène par Roger Mollien, Théâtre du Vieux Colombier. Avec : Nelly Borgeaud, Pierre Debauche, Jean Martin, Jean Martinelli, Annie Monnier, René Renot, Bernard Verley.

 1963, Charles XII d’August Strindberg, mise en scène Gabriel Garran, Festival d’Art dramatique d’Aubervilliers

 1963, La Tempête de William Shakespeare, mise en scène Jacques Mauclair, Théâtre de l’Alliance française

 1964, Un jardin sur la mer de Claude Vermorel, mise en scène Jacques Mauclair, Théâtre de l’Alliance française

 1966, Le Plus Heureux des trois d’Eugène Labiche, mise en scène Yves Gasc, Théâtre des Mathurins

 1969, Le Concile d’amour d’Oscar Panizza, mise en scène Jorge Lavelli, Théâtre de Paris. Avec : Jean Martin, François Maistre, Paul Le Person, Gilles Guillot, Claudine Raffali, Juliette Villard, Gilles, André Cazalas, Claude Aufaure, Michel Puterflam.

 1971, Maître Puntila et son valet Matti de Bertolt Brecht, mise en scène Jacques Rosner, Théâtre du Lambrequin, Théâtre national de Strasbourg

 1972, Play Strindberg de Friedrich Dürrenmatt, mise en scène Yves Gasc, Théâtre des Mathurins

 1974, L’Odyssée pour une tasse de thé de Jean-Michel Ribes, mise en scène de l’auteur, Théâtre de la Ville

 1977, Jacques ou la soumission de Eugène Ionesco, mise en scène Lucian Pintilie, Théâtre de la Ville

 1978, Zadig ou la destinée de Voltaire, mise en scène Jean-Louis Barrault, Théâtre d’Orsay

 1981, L’Amour de l’amour de Molière, La Fontaine, Apulée, mise en scène Jean-Louis Barrault, Théâtre Renaud-Barrault

 1982, Antigone, toujours de Pierre Bourgeade, mise en scène par Jean-Louis Barrault, Théâtre du Rond-Point. Avec : Maïa Simon, Mireille Delcroix, Christine Guerdon, Michaël Lonsdale, Gérard Berner, Dominique Santarelli, Jean Martin, Michel Herbault, Geoffroy Thibaut, Robert Lombard, Dominique Virton, Gérard Lorin.

 1982, Strauss (les) de Georges Coulonges, mise en scène par Jean-Louis Barrault, Théâtre du Rond-Point. Avec : Pierre Arditi, Mireille Delcroix, Evelyne Granjean, Robert Lombard, Michel Herbault, Françoise Petit, Catherine Eckerlé, Jean Martin, Patricia Nivet, Philippe Coulonges, Jean-Paul Gonzenbach, Dominique Virton.

 1986, Regarde, regarde de tous tes yeux de Danièle Sallenave, mise en scène par Brigitte Jaques-Wajeman, Petit Odéon

 1991, Roberto Zucco de Bernard-Marie Koltès, mise en scène Bruno Boëglin, TNP Villeurbanne, Théâtre de la Ville.

 1994, Automne et hiver de Lars Norén, mise en scène Antoine Juliens, Scène Nationale de Fécamp.


Jean Martin au cinéma et à la télévision

 1942, La main du diable de Maurice Tourneur

 1943, Cécile est morte de Maurice Tourneur

 1955, Les assassins du dimanche d’Alex Joffé

– 1956 Notre dame de Paris de Jean Delannoy.

 1958 Paris nous appartient de Jacques Rivette.

 1960, Paris nous appartient de Jacques Rivette

 1960, Fortunat d’Alex Joffé

 1962, Ballade pour un voyou de Claude-Jean Bonnardot avec Laurent Terzieff

 1963, La foire aux cancres, Louis Daquin

 1956, Notre-Dame de Paris de Jean Delannoy

 1965, La battaglia di Algeri / La Bataille d’Alger de Gillo Pontecorvo, (Italie/Agérie, 1965. Scénario : Franco Solinas, d’après un livre de Saadi Yacef. Avec : Brahim Haggiag (Ali la Pointe), Jean Martin (Colonel Mathieu), Saadi Yacef (El-Hadi Jaffar), Samia Kerbash (Fatiha), Fusia El Kader (Hassiba),Ugo Paletti (Le Capitaine), Kelif Sanaani (Petit Omar). Image : Marcello Gatti. Musique : Ennio Morricone, Gillo Pontecorvo. Production : Antonio Musu, Saadi Yacef. Le film sortira sur les écrans algériens puis peu après sera présenté au Festival de Venise de 1966. Il remportera le Lion d’Or et le prix de la critique internationale. Il sera nominé aux oscars pour la catégorie « Meilleur film étranger », « Meilleur réalisateur » et « Meilleur scénario ». Il obtiendra un grand succès public et critique en dans de nombreux pays.
En France, le film obtient son visa d’exploitation en 1971 mais la polémique relancée par le journal Aspects de la France, les anciens rapatriés, les anciens militaires freinera sa diffusion dans les quelques salles qui le proposaient, certains propriétaires de salles de cinéma ont été menacés. Face à cette insécurité les exploitants retireront le film. En août 2003 le film sera diffusé au Pentagone. Dans un article du 8 septembre 2003, Le Monde révèle que le Pentagone américain a convié officiers d’état-major et civils à une projection privée du film. Selon Le Monde, « un responsable du ministère, dont les propos sont rapportés anonymement par le New York Times du 7 septembre, déclare que ce film donne une vision historique de la conduite des opérations françaises en Algérie et que sa projection était destinée à provoquer une discussion informée sur les défis auxquels les Français ont dû faire face ». Le 20 octobre 2003, La Bataille d’Alger est diffusée sur la chaîne câblée française Public Sénat, suivie d’un débat avec Yacef Saâdi. Le 9 janvier 2004 le film ressort aux USA avec un succès qui se chiffre à 500 000 $ de recettes. En mai 2004 il sera présenté au Festival de Cannes dans la collection « Cannes Classics ». Peu de temps après le Festival de Cannes le film sort sur les écrans français. La chaîne de télévision franco-allemande Arte, le diffuse en France, le 4 novembre à 20 h 45, une tranche de grande écoute, avec une rediffusion le lundi 8 novembre à 00h05. Lire, ci-dessous, en note de bas de page, ma transcription de la présentation du film dans le Bonus du DVD [2]) Lire également, toujours en note de bas de page ci-dessous, l’entretien avec Gillo Pontecorvo, une transcription faite par GD, [3]

 1966, La Religieuse de Jacques Rivette

 1968, Je t’aime, je t’aime d’Alain Resnais

 1968, Manon 70 de Jean Aurel

 1968, Les Compagnons de Baal, série TV, écrit par Jacques Champreux et réalisé par Pierre Prévert, diffusé l’été 1968 (du 29 juillet au 9 septembre) sur la 2ème chaîne de l’ORTF. Il était l’inquiétant Grand Maître Hubert de Mauvouloir, personnage central du feuilleton télévisé.

 1970, La Promesse de l’aube de Jules Dassin

 1973, L’Héritier de Philippe Labro

 1973, Chacal de Fred Zinnemann

 1973, Mon nom est personne un western spaghetti de Tonino Valerii et Sergio Leone. Dans le rôle de propriétaire d’une mine d’or chargé de tuer Henry Fonda dans. Un rôle de « Marie-salope » confiera-t-il dans le bonus du DVD du film, Nobody is perfect.

 1974, Glissements progressifs du plaisir d’Alain Robbe-Grillet

 1974, La moutarde me monte au nez de Claude Zidi

 1975, Rosebudd’Otto Preminger

 1975, Un génie, deux associés, une cloche de Damiano Damiani

 1975, Peur sur la ville d’Henri Verneuil

 1976, L’Aile ou la Cuisse de Claude Zidi

 1976, Le Messie de Roberto Rossellini

 1977, Le Juge Fayard dit Le Shériff d’Yves Boisset

 1980, Inspecteur la Bavure de Claude Zidi

 1980, Le Roi et l’oiseau de Paul Grimault

 1997, Lucie Aubracde Claude Berri, rôle de Résistant face à Daniel Auteuil.

notes bas page

[1Jean Martin, Le Monde du 07/02/2009, par Brigitte Salino

La dernière voix de la création d’En attendant Godot s’est tue. Le comédien Jean Martin, qui jouait le rôle de Lucky quand la pièce de Samuel Beckett a été présentée pour la première fois, en 1953, est mort d’un cancer, à Paris, lundi 2 février. Il avait 86 ans. Sa longue carrière, discrète et passionnante, traverse cinquante ans de théâtre (dont la riche période du théâtre d’avant-garde des années 1950), de télévision et de cinéma. Pour ce qui est du grand écran, Jean Martin restera, en particulier, comme le commandant Mathieu de La Bataille d’Alger, de Gillo Pontecorvo, en 1966, un film en phase avec les engagements politiques de l’acteur. Né le 6 mars 1922, Jean Martin était issu d’une famille berrichonne, mais il a passé une partie de son enfance à Biarritz, où son père était employé chez un fourreur chic. Pendant la seconde guerre mondiale, le jeune homme se cache pour échapper au STO (service du travail obligatoire), qui l’aurait conduit en Allemagne. En 1943, il tourne dans un premier film, Cécile est morte, de Maurice Tourneur. Dix ans plus tard, il entre dans l’Histoire en rejoignant Roger Blin, qui met en scène En attendant Godot au Théâtre Babylone, une salle parisienne de la rive gauche tenue par Jean-Marie Serreau. Dans ses mémoires, Roger Blin rapporte que le Babylone était en faillite, et que Serreau lui avait dit : « Je vais fermer boutique, autant finir en beauté. » Ce fut le cas, au-delà des espérances. Les réactions outrées de certains spectateurs, qui trouvaient qu’on se moquait d’eux avec cette attente sans fin de deux hommes au bord d’une route, ont créé un scandale qui a attiré le public. La bombe Godot était lancée. Elle allait changer la face du théâtre, en introduisant sur les scènes une vision du monde d’après Hiroshima. Tous les témoignages de l’époque s’accordent : Jean Martin était « hallucinant » dans le rôle de Lucky. Pendant son monologue, il tremblait de la tête aux pieds, créant un tel effroi que certains quittaient la salle. Jean Martin était cette présence singulière qu’il a conservée par la suite. Très grand, très mince, avec les yeux un peu exorbités qui lui conféraient une étrangeté parfois inquiétante, toujours lucide. Samuel Beckett l’appréciait énormément. La création de Godot a scellé entre l’auteur et le comédien le début d’une longue relation. En 1970, Beckett a dirigé lui-même Jean Martin dans La Dernière Bande. Il en fut de même avec Roger Blin, dont Jean Martin fut un indéfectible compagnon de route. Roger Blin a joué dans Le Gardien, d’Harold Pinter, que Jean Martin a été le premier à mettre en scène en France, en 1961. Il avait retrouvé Blin pour la création de Fin de partie, de Beckett, en 1957. Il y a des comédiens plus célèbres que Jean Martin. Mais rares sont ceux qui, comme lui, représentent un monde, aujourd’hui disparu : la mouvance de la deuxième génération des surréalistes, lisant André Masson, Georges Bataille, Paule Thévenin, Arthur Adamov... Beaucoup d’entre eux se retrouvent sur la liste du Manifeste des 121. Publié le 6 septembre 1960 dans le magazine Vérité-Liberté, ce texte rassemble 121 intellectuels, universitaires et artistes, qui réclament le « droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie ». Ils prennent le parti de l’indépendance, dénoncent la torture et la politique du général de Gaulle. Comme de nombreux signataires (Laurent Terzieff, Simone Signoret, Alain Cuny...), Jean Martin paie son engagement : il est de fait interdit de radio ou de télévision, sans que cela n’ait été notifié officiellement. Six ans plus tard, Jean Martin est le seul comédien professionnel de La Bataille d’Alger, tourné par l’Italien Gillo Pontecorvo. Son personnage de commandant rappelle le général Massu. La charge que représente le film contre les méthodes militaires françaises en Algérie vaut à La Bataille d’Alger d’être interdit en France, en 1966. Cette même année, le film reçoit le Lion d’or au Festival de Venise, et le Prix de la critique à Cannes. Quand il sort à Paris, en 1971, le cinéma Saint-Séverin est plastiqué. En province aussi, des troubles ont lieu. Le film est retiré des écrans. Il faudra attendre 2004 pour qu’il ressorte en salles. Homme de culture : Jean Martin n’avait pas la réputation d’un comédien facile. Il était exigeant. Au cinéma et à la télévision, son physique lui a souvent valu de jouer les prêtres, évêques, ou personnages officiels. Il aimait particulièrement se souvenir de Jacques Rivette, avec lequel il a tourné Paris nous appartient (1960), et La Religieuse (1966) ; d’Alain Resnais, qui l’a dirigé dans Je t’aime, je t’aime (1968), et de Sergio Leone (Mon nom est personne, réalisé avec Tonino Valerii, 1973). Mais il a aussi tourné avec Roberto Rossellini (il est Ponce Pilate dans Le Messie, 1975), Fred Zinnemann (Chacal, 1973), Otto Preminger (Rosebud, 1975). Au théâtre, il a travaillé aussi bien avec Jean-Louis Barrault (Les Nuits de Paris, 1975) que Bruno Boëglin, pour la création très mouvementée de Roberto Zucco, de Koltès, en 1991. Il a aussi fait beaucoup de radio. Jean Martin habitait un cinquième étage sans ascenseur, rue de Lille, dans le 7e arrondissement de Paris. Il n’a jamais déménagé, à cause des milliers de livres qu’il possédait. Homme de culture, il avait une passion pour la République de Weimar, le cabaret allemand et la musique de Kurt Weill, dont il était un fin spécialiste. Depuis des années, il travaillait à un livre sur Beckett à propos duquel il possédait beaucoup de documents inédits. Ce travail devrait être édité prochainement.

[211 Juin 1956, 11 mois après le premier tour de manivelle donné Gillo Pontecorvo, les Algérois peuvent enfin découvrir sur les écrans, cette « bataille d’Alger » dont ils sont les héros. La première tant attendue du film a eu lieu à Alger même, au cinéma l’Afrique, en présence du président Houari Boumédiène. Malgré la polémique déclenchée par l’image d’un enfant qui lèche une glace dans un bar avant qu’une bombe n’y explose, les Algériens sont fiers du film d’autant plus qu’ils savent déjà qu’il va être présenté dans le cadre prestigieux du Festival de Venise. À la Mostra, le film est ovationné lors de sa projection. En l’absence notable de la délégation française qui le boycotte, considérant qu’il s’agit là d’une injure à la France, ce qui n’empêche pas Gillo Pontecorvo de repartir avec le Lion d’or et le Prix de la critique international. La Bataille d’Alger devient immédiatement un succès mondial, critique et public, en particulier en Italie, en Angleterre, au Pays-Bas mais surtout aux Etats-Unis où l reçoit trois nominations aux Oscars : « Meilleur film étranger », « Meilleur réalisateur », « Meilleur scénario », et influence des cinéastes comme Peckinpah, Scorcèse ou Kubrick. Mais La Bataille d’Alger ne fait pas tout à fait le tour du monde car il reste invisible en France. Ni ouvertement censuré, ni véritablement interdit, le film ne reçoit tout simplement pas de visa d’exploitation pendant 4 ans, autrement dit, son statut reste dans les limbes. Ce n’est qu’en 1970 que la commission de contrôle des films donne le feu vert d’exploitation à trois salles parisiennes et quelques salles de provinces. Lorsque la sortie de La Bataille d’Alger est annoncée, le scandale éclate. Le journal royaliste Aspect de la France est le premier à donner le signal de la protestation, suivent des organisations d’Anciens combattants et de Rapatriés d’Afrique du Nord. La polémique fait rage dans les journaux. Pour certains, le sujet est encore trop sensible, la Guerre trop proche. Pour d’autres, il s’agit d’attaque inacceptable à la liberté d’expression. Le général Massu, responsable du démantèlement des réseaux du FLN pendant de la vraie « bataille d’Alger », juge la sortie du film inopportune et mauvaise. Avis qui sera partagé par le président Pompidou et son premier ministre Chaban-Delmas. Pontecorvo s’en trouve ému. Avec son habituel ton conciliateur, il déclare : « Mon film a été dernièrement projeté devant des anciens partisans de l’Algérie française et devant des militaires. Tous ont estimé honnête et sereine mon approche de cet épisode historique et sanglant de la Guerre d’Algérie. Le cinéaste tente en vain de faire comprendre qu’il a essayé de raconter cette histoire en toute objectivité. Les propriétaires des cinémas où doit être projeté le film reçoivent des menaces aussi nombreuses que violentes contre eux et leurs familles ainsi que des alertes à la bombe dans leurs salles. N’obtenant pas d’assurance de sécurité de la part de la préfecture de police, ils décident de reporter à une date non définie la sortie du film, qui restera encore invisible en France pendant des décennies. C’est une victoire pour les nostalgiques de l’Algérie française. L’histoire de La Bataille d’Alger rebondit le 27 août 2003, mais cette fois-ci de l’autre côté de l’Atlantique. Comme le révèle un article du Monde, en date du 9 septembre, le Pentagone a convié l’État major officiers et civils à une projection privée du film. Selon le quotidien, un responsable, dont les propos sont rapportés anonymement dans le New York Time, déclare que ce film donne une vision historique de la conduite des opérations françaises en Algérie et que sa projection était destinée à provoquer une discussion informée sur les défis auxquels les Français ont dû faire face. En clair, le Haut commandement américain tente d’étudier les erreurs de l’Occupation française en Algérie afin de trouver une issue au drame suscité par la présence des troupes américaines en Irak. Le 9 janvier 2004, La Bataille d’Alger connaît une ressortie triomphale aux États-Unis. Le film est montré à New York, Chicago, Washington et plus d’une douzaine de villes du pays et récolte plus de 500 000 dollars de recettes. Mai 2004 marque les retrouvailles entre Gillo Pontecorvo et Yacef Saadi, lors de la présentation, lors de la présentation du film au 57ème Festival de Cannes. Quelques jours plus tard, il sort sur les écrans français. Le public peut enfin l’applaudir, presque 40 ans après l’ultime clappe de tournage. Mais si la bataille d’Alger est devenue un classique, ce n’est pas un classique comme les autres. Au-delà de l’intention première de ses auteurs, le film a pris de nos jours un autre visage, toujours polémique, celui de sa possible instrumentalisation, quelque soit le camp, dans les nouveaux conflits du monde actuel.

[3Le souci de la vérité, toujours dans le Bonus du DVD [[Souvent on m’a demandé pourquoi j’avais choisi ce thème de la guerre d’Algérie.

Mais il faut se rappeler qu’à l’époque, tout le monde s’intéressait beaucoup plus qu’aujourd’hui, hélas, à la politique, en fait aux autres. Et les autres plus proches de nous, italiens, c’était la France avec ses problèmes algériens. Et donc, les faits se suivaient, je m’en souviens. Les jeunes, les moins jeunes suivaient la télévision allumaient les postes pour entendre les dernières nouvelles d’Algérie.

C’était donc quelque chose qui nous touchait. C’est pourquoi je m’en suis soucié.

Le scénariste Franco Solinas et moi avions, dans tous nos films, perdu plus de temps à nous renseigner, à circuler, à parler aux gens, plutôt qu’à écrire.

Pour La bataille d’Alger, nous sommes restés plus d’un an d’abord en Algérie, à la Casbah, aidés par Yacef Saadi, une sorte de chef local, connaissant tout le monde.

Nous sommes allés à Paris pour rencontrer le colonel des paras afin de nous faire nous-mêmes une idée précise de la vérité. Une idée précise est plus facile à exprimer.

En effet, après une année de recherche et d’information, nous avons écrit le scénario en moins de 2 mois. ll a vraiment coulé de source.

Le film a été plutôt difficile à financer parce qu’à ce moment-là, les producteurs m’offraient des films que je n’aimais pas, par ma faute, parce que j’ai du mal à aimer, à me décider et à me plonger dans un quelconque sujet. Malgré ces propositions, je ne trouvais rien.

Lorsque j’ai trouvé ce sujet, je l’ai présenté à ces mêmes producteurs qui m’offraient jour après jour des projets.

On m’a dit : « Comment veux-tu que ça intéresse les Italiens ? »

On m’a même dit : « Ces histoires de noirs intéressent pas les Italiens ? »

Je dis : « Écoute, en Algérie, ils sont aussi blancs que toi et moi ! »

Mis à part ce fait, il est vrai que cela ne présente pas un grand attrait.

En définitive, nous avons décidé de le faire presque en coopérative. Nous avons formé un groupe qui aimait l’histoire, le sujet. Renonçant au salaire pour le mettre dans le film comme notre participation. En effet, le film proportionnellement à ce que l’on voit de mouvements de masses, a coûté très peu. Tant et si bien qu’aux Etats-Unis, quand le film est allé aux Oscars, mes collègues m’ont demandé si le film avait vraiment coûté si peu.

Et puis... Ça m’amuse toujours de le raconter. Puisque nous avons essayé par tous les moyens de ressembler à quelque chose de volé à l’actualité, à un documentaire, mes collègues américains m’ont dit d’écrire au début : « Il n’y a pas une seule image d’actualité. »

On pourrait penser que ce film comporte beaucoup de montage. Et en effet, il n’y a aucune séquence de montage. Donc, tout est mis en scène. Mais en essayant d’éviter tout ce qui est exploitable au cinéma, comme les effets spectaculaires. Les écartant s’ils pouvaient ôter même une miette de vérité, qui est la clé de mon film. Je crois que la chance du film fut celle-là. Pour donner la sensation de vol, de vérité, il faut en revanche se creuser la tête pour préparer tout au millimètre près.

Par exemple, certaines scènes de foules qui semblent volées, ont nécessité des marquages au sol indiquant des chiffres, des lettres.

Groupe B, groupe A doivent arriver au 2ème claquement de doigts au point A, puis de là au point C.

En fait, tout pour que le vrai apparaisse à travers le faux, dans l’absolu.

La préparation du film a été très laborieuse. Le tournage a été moins difficile. Parce que nous avons trouvé sur place... une grande solidarité. Les gens de la Casbah savaient que nous racontions une histoire objective, pas toujours contre eux, comme à l’accoutumé. Une histoire qui essayait de raconter la vérité. Donc ils nous ont aidés de manière remarquable dans de nombreuses situations.

Il m’est arrivé pendant le tournage, qu’une vieille me dise à l’oreille : « Pas comme ça, la police venait de là. »

On ne tenait pas toujours compte de ces indications, mais parfois, elles nous ont été utiles. « Ce n’était pas ici, le groupe venait par là. »

Il y avait une vraie collaboration et une sympathie remarquable qui a aidé et rendu pas trop difficile et assez facile le tournage.

Le choix du noir et blanc est un choix auquel je n’aurais renoncé pour rien au monde. Naturellement, il y a des sujets où la couleur est décisive. Mais ici, la volonté de donner le sentiment d’assister à quelque chose, à un documentaire, imposait absolument le noir et blanc. Cela dit, je préfère de loin le noir et blanc à la couleur. Tous les goûts sont dans la nature.

Nous avons mis un mois et cinq jours pour trouver le genre de photos à utiliser. On a essayé différents clichés, diverses expositions, plusieurs filtres, ainsi de suite. Et seulement 4 jours pour le casting. Tellement l’image était importante à mes yeux. Je pense qu’elle donne le sentiment de vérité dont parle la télévision anglaise, en évoquant en général mon travail et en particulier La bataille d’Alger’, qu’elle appelle : « la dictature de la vérité ».
Le casting était particulier. Dans le film, les interprètes ne sont pas des acteurs. Ils sont choisis au hasard, sauf le colonel qui est un comédien de théâtre. Il n’a pas été choisi en tant qu’acteur, car avec la série de photos que mes assistants m’ont apportée j’ai vu ce visage qui me convenait. Il a été pris. Tous les autres étaient choisis par moi et mes assistants déployés pendant des semaines, à prendre des photos cherchant le bon visage dans la foule. Partant du principe, bon ou mauvais, mais bon pour moi, de préférer la ressemblance physique à ce qu’on imaginait en écrivant le scénario. La ressemblance avec le personnage dont on s’occupe à un moment précis, plutôt que ses talents d’acteur. On se disait : « Tant pis, il faudra plus de temps, nous allons gâcher de la pellicule, mais c’est le bon visage, même s’il est nul. » Parfois, on trouvait dans la rue, des gens qui avaient le parfait visage mais qui n’arrivaient pas à assembler 2 mots. Et là, il fallait de la patience... et de la pellicule.

La musique ! On m’a souvent demandé comment... Et justement à Venise, le jour où le film a reçu le Lion d’Or, un journaliste a demandé pourquoi la musique était attribuée au compositeur et au metteur en scène. C’est parce que je suis obsédé par la musique. Un grand chagrin de ma vie est de n’avoir pu devenir compositeur au lieu de metteur en scène. A cette époque, ma famille n’avait pas assez d’argent pour me permettre de faire 8 ou 9 années de conservatoire. Naturellement, j’ai compensé cette douleur. Quand j’ai commencé à faire des films, des documentaires, j’ai toujours composé, je dirais plutôt pianoté, le thème musical. Je l’ai donc aussi fait pour ce film. J’y tiens beaucoup et même je dirais, que je suis peu... préparé techniquement car j’ai fait peu de films. Avant de faire ces films, je n’avais pas de compétences techniques dans le cinéma. Quand j’arrive le matin sur le plateau, j’ai peur. Je ne sais pas où installer la caméra. Si en revanche, les jours précédents j’ai pianoté, composé, ou trouvé le thème musical d’une scène, comme le dit un collègue, je change de sexe. J’arrive très décidé et déterminé. Je connais le tempo, où installer la caméra, le chariot.

Comme je dis toujours : si on monte un escalier dans le noir et il n’y a pas de main courante, on risque de tomber, on monte doucement. S’il y a la main courante, c’est comme s’il y avait la lumière. Pour moi, la musique est la main courante de mon métier. Quand il y a de la musique, je suis tranquille.

La structure du film pourrait être synthétisée de cette façon : au début, un cadre de la situation, de l’oppression française en Algérie. De la situation des Algériens. Puis à un certain moment, pour des raisons théâtrales, il faut avancer. Les troupes arrivent, commandées par le Colonel Mathieu. Il y a une dialectique très forte entre ce que nous avons vu au début de la situation. L’organisation de la résistance envers un ennemi précis à combattre. Il est évident que les auteurs, Franco Solinas et moi-même, dans ce film, sommes partisans de ceux qui luttent pour leur indépendance. Non pour ceux qui défendent le colonialisme. L’ennemi est le colonialisme. Certaines fois, on m’a reproché, surtout l’extrême gauche, d’avoir fait un bon portrait des parachutistes et du colonel français.

J’ai toujours répondu que le problème n’était pas de montrer des parachutistes « dragons ». Mais simplement de condamner le commanditaire, le colonialisme. S’il faut faire un choix c’est la condamnation du colonialisme. Tout en étant du côté des Algériens car la France était l’occupant, le colonialiste, les Algériens se battaient pour leur légitime indépendance. Tout en étant dans cette position, nous n’avons pas hésité, quand les femmes algériennes vont poser les bombes dans un café, à montrer un enfant français qui mange une glace. Justement... pour tenter de reproduire la réalité dramatique telle qu’elle était.
Je ne sais pas si vous avez remarqué qu’après les morts algériens ou les morts français, il y a la même musique. Parce que le film tend, espère, veut parler de la... tragédie de la guerre. La mort d’un côté ou de l’autre est pareille. Naturellement, la mort n’est jamais montrée de manière très violente. C’est parce qu’il nous semblait essentiel, et je continue de penser qu’il est essentiel dans ce genre de film, de donner un parfum de totale vérité. Toute image, même banale, pouvait être utilisée, car considérée comme payante. Certains effets dans le cinéma sont payants. Mais dès qu’ils pouvaient porter atteinte à la vérité, ils étaient écartés.