Sur fond de coups de feu nourris, rafales / « dégagez la rue ! » / « L’Algérie française ! L’Algérie française ! L’Algérie française ! / De Gaulle au pouvoir ! De Gaulle au pouvoir ! De Gaulle au pouvoir ! De Gaulle au pouvoir ! » / Sifflets / Déflagrations, coups de feu, bombardements / Hymne algérien.
Sixième émission : 1959, l’année des dupes
« Charles de Gaulle : Je vous ai compris ! »
[Ovations]
« Charles de Gaulle : Je sais ce qui s’est passé ici. [ovations] Je vois ce que vous avez voulu faire. Je vois que la route que vous avez ouverte en Algérie, c’est celle de la rénovation et de la fraternité. [ovations] Et bien de tout cela je prends acte au nom de la France. [ovations] Et je déclare qu’à partir d’aujourd’hui, la France considère que dans toute l’Algérie il n’y a qu’une seule catégorie d’habitants [ovations], il n’y a que des Français à part entière [ovations], des Français à part entière avec les mêmes droits et les mêmes devoirs. [ovations] Français à part entière dans un seul et même collège, nous allons le montrer, pas plus tard que dans trois mois, dans l’occasion solennelle où tous les Français, y compris les dix millions de Français d’Algérie, auront à décider de leur propre destin. Ah, puissent-ils participer en masse à cette immense démonstration, tous ceux de vos villes, de vos douars, de vos plaines, de vos djebels, puissent-ils même y participer ceux-là qui par désespoir ont cru devoir mener sur ce sol un combat dont je reconnais, moi, qu’il est courageux car le courage ne manque pas sur la terre d’Algérie, [ovations]qu’il est courageux mais qu’il n’en est pas moins cruel et fratricide. Moi, de Gaulle, à ceux-là, j’ouvre la porte de la réconciliation, jamais plus qu’ici et plus que ce soir, je n’ai senti combien c’est beau, combien c’est grand, combien c’est généreux la France ! [ovations] Vive la République ! Vive la France ! [ovations] »
Léon Delbecque : Tout est bien sauf que le général de Gaulle ne dit pas « Algérie française » et ne prononce pas le mot d’intégration. Cela a été relevé par beaucoup de membres du Comité de salut public et de nombreux militaires. Ces deux mots étaient les sésames de la réconciliation et beaucoup sont marris de voir que ces deux mots magiques n’ont pas été prononcés.
Marie Elbe : J’étais sous le balcon du Forum, au premier rang, là, et j’étais avec le capitaine de La Bourdonnais. Il était chef de cabinet du colonel Godard, qui avait été nommé chef de la sûreté nationale en Algérie. Nous étions là quand de Gaulle est arrivé. Vous dire ce que ça été, c’était du délire ! Pour de Gaulle, ça a été du délire ! Parce que dans l’esprit des Pieds-noirs, de Gaulle on n’empiète pas une partie du territoire national. C’est son grand truc. Donc, pour nous c’était le sauveur, c’était… Puis quand on a vu sa grande… puis enfin, c’était l’homme du 18 juin ! Il y a eu des gaullistes en Algérie, il y a eu des pétainistes mais il y a eu des gaullistes aussi, puis nous étions… mais enfin, on s’était battus pour la France et de Gaulle c’était la France, bon ! Alors quand il est arrivé et qu’il a levé ses grands bras et qu’il a dit : « Je vous ai compris », ouf ! Les pieds-noirs ont pris ça pour : « Je vous ai aimés », « Je vous aime ». « Je vous ai compris », pour eux c’est « Je vous aime ». Bon. Alors, on s’est regardés, avec de La Bourdonnais, on était contents. Moi, ce qui m’a frappé, lui aussi d’ailleurs, c’est qu’il a dit après : « Je sais ce que vous avez voulu faire ! », et là, ça m’a un peu chiffonné, ça, là, tout de suite. Je me rappelle, on s’est dit, si on a voulu, c’est qu’on n’y est pas arrivé, donc il y a des restrictions dans tout ça, voilà. Bon, puis alors après ça a été extraordinaire, je veux dire. Pendant un certain temps, ça a été l’état de grâce, et on a vraiment cru que l’Algérie était sauvée, là.
Jacques Roseau : Je me suis trouvé à un mètre cinquante du général de Gaulle quand il a prononcé son fameux discours, « Je vous ai compris », qui a d’ailleurs suscité en moi une terrible inquiétude, parce que je n’ai trouvé à aucun moment dans ce discours une dynamique réelle consacrant l’irréversibilité de la thèse de l’intégration de l’Algérie française. Quand le général de Gaulle est retourné dans le grand bureau du Forum, un de ses aides de camp est venu l’informer du fait que deux de ses ministres, Jacquinot et Lejeune, avaient été isolés dans un bureau de derrière, par des éléments durs du Comité de salut public, qui avaient estimé que des ministres de la IVème République, du système tel que nous l’appelions à l’époque, ne devaient pas apparaître sur le balcon du Forum. Et le général de Gaulle s’est mis dans une rage folle, et il a invectivé très durement le général Salan et le général Massu, en disant : « Moi, de Gaulle, je n’admets pas un seul instant qu’on puisse me priver de mes ministres, dès lors que moi de Gaulle, j’ai décidé de les avoir à mes côtés ! Avec de Gaulle ces choses-là ne se reproduiront jamais ! » J’ai été abasourdi de voir avec quelle violence le général de Gaulle s’en était pris à ces malheureux généraux d’Alger qui venaient de lui apporter sur un plateau d’argent le pouvoir, devant une immense messe de fraternisation, de paix retrouvée en Algérie.
Dès le 4 juin, sur le Forum, des partisans de l’Algérie française essayent de faire pression sur de Gaulle et séquestrent deux de ses ministres. Cette pression durera tout au long de son séjour en Algérie, du 4 au 7 juin 58.
« Ici Pierre-Olivier Martin qui vous parle d’Oran. Voici le cortège officiel, je ne le voie pas d’ici car c’est caché par la tribune et par la foule qui applaudit. [acclamations] Il salue la foule comme autrefois, les bras levés… »
À aucun moment, de Gaulle ne dit Algérie française, à aucun moment il ne parle d’intégration. Léon Delbecque, qui avait joué un rôle considérable en faveur du retour de de Gaulle pendant les événements de mai s’en inquiète. Il prend ses distances vis-à-vis du général, auquel il reproche le choix de ses ministres, provenant tous du sérail de la IVème République. « Nous n’avons pas franchi le Rubicon dit-il pour pêcher à la ligne » À Oran, le 6 juin, de Gaulle lui reproche ces propos.
Léon Delbecque : Après son discours à Oran où la foule passionnée qui s’y trouvait a crié un peu trop « Vive Soustelle » plutôt que « Vive de Gaulle », il était de très mauvaise humeur, et disant que j’en ai récolté certains fruits de cette mauvaise humeur. Il m’apostrophe assez durement, à la préfecture, et il me dit : « Je n’aime pas qu’on parle sur ce ton là au général de Gaulle ! » Je lui ai dit : mon général, j’ai essayé de calmer les esprits. « Vous auriez dû employer d’autres moyens ! Je ne suis pas d’accord avec ce discours ! Et puis je ne dirais pas « Vive l’Algérie française ! » Je ne le dirais pas ! » Voilà, et ça devant quatre-cinq cent personnes
À Oran vous êtes avec lui, il vous dit : Je ne dirais pas « Vive l’Algérie française » et à Mostaganem, il le fait.
Léon Delbecque : À Mostaganem, je suis derrière lui. Devant nous une population qu’on peut évaluer à 100-120 mille musulmans et rien que des Musulmans, plus que chaleureux, « Vive de Gaulle », bref un enthousiasme indescriptible.
[Sur fond de foule en liesse]
« Commentateur 1 : Mais alors, je vois quelque chose d’extraordinaire, vous avez vu ? Un musulman s’est précipité, a baisé la main du général de Gaulle, la lui secoue avec un (manque un mot) extraordinaire ! »
« Commentateur 2 : Actuellement le général de Gaulle franchit les quelques escaliers de l’estrade. Le voici, il s’approche, et la foule l’acclame. Il lève les deux bras en forme de V, qui est un signe historique, légendaire et qui est sa marque personnelle et je vous laisse entendre la foule l’acclamer follement. »
[Foule en liesse, en « délire » !]
« Général de Gaulle : […] m’a mandaté pour renouveler ses institutions et pour l’entraîner, corps et âme, non plus vers les abîmes où elle courait mais vers les sommets du monde.
[…]
Merci du fond de mon cœur, c’est-à-dire du cœur d’un homme qui sait qu’il porte une des plus lourdes responsabilités de l’Histoire. Merci, merci, d’avoir témoigné pour moi en même temps que pour la France !
Vive Mostaganem !
Vive l’Algérie française !
Vive la République !
Vive la France ! » [1]
Léon Delbecque : À ma grande stupéfaction le discours se termine après « Vive la France ! », « Vive la République ! », par « Vive l’Algérie française ! » Alors là, j’avoue que le ciel me serait tombé sur la tête à ce moment-là, je n’aurais pas été plus surpris. Comme j’étais juste derrière lui, avec Guichard, quand il passe obligatoirement devant moi, je le regardais en me demandant « c’est vrai ou ce ‘est pas vrai ? », j’en doutais presque encore, malgré que je l’eus entendu, il me dit : vous êtes content maintenant, hein ! Alors, s’agissait-il d’une comédie, de quelqu’un qui s’était laissé entraîner ? Ses plus proches ont essayé de dénaturer, ont commencé par dire il ne l’avait pas dit, on a supprimé ça sur des bandes, mais il y avait trop de témoins, et puis la véritable bande nous l’avions gardée. On a dit que c’était peut-être la chaleur qu’il avait rencontrée chez les Musulmans. Peut-être ai-je été peut-être pour quelque chose, mais il l’a dit.
Vincent Monteil : Il ne l’a certainement pas dit sur un coup de sang, comme on a prétendu qu’il l’aurait dit pour le Québec libre, non. C’était parfaitement concerté, il l’a dit parce qu’il prenait la température et qu’il a pensé qu’à ce moment-là il fallait qu’il tienne les gens dans sa main. D’ailleurs, il s’en est très bien expliqué dans ses mémoires en disant : si j’étais allé trop vite on n’aurait pas suivi.
« Ainsi, tenant pour une ruineuse utopie l’« Algérie française » telle qu’au début de mon gouvernement je l’entendais réclamer à grands cris, je comptais aboutir à ceci, qu’à l’exemple de la France, qui, à partir de la Gaulle, n’avait pas cessé de rester en quelque façon romaine, l’Algérie de l’avenir, en vertu d’une certaine empreinte qu’elle a reçue et qu’elle voudrait garder, demeurerait, à maintes égards, française. Pour accomplir cette politique, telle était ma stratégie. Quant à la tactique, je devrais régler la marche par étapes, avec précaution. Ce n’est que progressivement, en utilisant chaque secousse comme l’occasion d’aller plus loin, que j’obtiendrais un courant de consentement assez fort pour emporter tout. Au contraire, si de but en blanc j’affichais mes intentions, nul doute que, sur l’océan des ignorances alarmées, des étonnements scandalisés, des malveillances coalisées, se fût levée dans tous les milieux une vague de stupeurs et de fureurs qui eût fait chavirer le navire. Sans jamais changer de cap, il me faudrait donc manœuvrer, jusqu’au moment où, décidément, le bon sens aurait percé les brumes. »
Après Mostaganem, de Gaulle quitte l’Algérie. Pendant un an sa politique algérienne va rester ambiguë. Il semble d’abord donner satisfaction aux partisans de l’« Algérie française », lorsque, par exemple devenu Président de la République il choisi Michel Debré, ardant partisan de l’« Algérie française », comme Premier ministre. Mais en même temps, il s’entoure de conseillers, comme Bernard Tricot, qui sont convaincus d’aboutir à une solution politique en Algérie. Il demande aussi aux militaires de quitter les Comités de salut public, et surtout, rappelle Salan en Métropole. Celui-ci, depuis le 13 mai, cumulait en Algérie les pouvoirs civils et militaires. Les deux fonctions sont désormais séparées. Challe succède à Salan, comme commandant en chef, tandis que de Gaulle désigne, comme Délégué général en Algérie, Paul Delouvrier, qu’il avait envoyé auparavant en Algérie pour se rendre compte de la situation.
Paul Delouvrier : Je suis revenu en France, j’ai fait mon rapport au général de Gaulle. La première question qu’il m’a posée : « Eh bien, racontez-moi ce que vous pensez ? » J’ai commencé brutalement : l’Algérie sera indépendante mon général. Il m’a répondu : « Peut-être dans vingt ans. » Il ne pouvait pas me dire autre chose. Et ce « Peut-être dans vingt ans » m’a convaincu qu’il n’était pas au sens que le mot revêtait à ce moment-là, ce qu’on appelle « Algérie française ». À la fin de cet entretien, il ne m’a pas dit vous allez remplacer Salan. Ça s’est terminé : « Bien, je verrai si j’ai besoin de vous. Je vais réfléchir » Je crois qu’il a été choqué au fond par la brutalité avec laquelle je lui ai répondu et qu’il a dû se demander si j’aurais en quelque sorte la diplomatie nécessaire pour être là-bas. Ce n’est qu’après trois jours de réflexion qu’il m’a alors reconvoqué, pour cette fois, me dire qu’il me demandait d’aller remplacer le général Salan, qui allait recevoir une nouvelle mission en Métropole. C’est là que je me suis permis de lui dire : mais mon général, je ne sis pas de taille, ce n’est pas ma fonction, et qu’il m’a répondu brutalement : « Vous grandirez ! », puisque finalement, il s’était déterminé.
Bernard Tricot : Il m’a parlé, sommairement, globalement, de ce qu’il voulait faire en Algérie. Et ce qu’il m’a dit à l’époque, au fond, était surtout négatif. C’était, fondamentalement : aucun parti n’est encore prêt en ce qui concerne l’avenir de l’Algérie, pour la bonne raison que l’on ne peut pas prendre de parti en dehors de la volonté des gens. Or, comme nous ne savons pas dans la guerre actuelle ce que veux la majorité de la population algérienne, qui est d’ailleurs divisée en Européens et Musulmans, les Musulmans manquant eux-mêmes d’unité, eh bien il faut d’abord créer les conditions qui permettent à ces gens de s’exprimer d’une façon aussi libre que possible, et quand ça sera fait, on verra. Il m’a donné quelques autres indications mais pas fondamentales. J’ai tiré de cela l’idée qu’il voulait maintenir ouvert un éventail de solutions. Il ne repoussait pas l’intégration, du moins il ne m’a pas dit qu’il la repoussait. Mais il m’a dit que ce n’était pas la doctrine officielle, que pour le moment la doctrine officielle c’était d’aller vers une situation qui permettrait aux Algériens de s’exprimer. Et pour cela, de faire toutes sortes de réformes : économiques, sociales, administratives et politiques.
« Général de Gaulle : Pour l’Algérie, quelle est la vie auquel la France l’appelle ? Algériennes, Algériens, Je suis venu ici pour vous l’annoncer : C’est la transformation profonde de ce pays, si courageux, si vivant, mais aussi si difficile et souffrant qu’il faut réaliser. Cela veut dire qu’il est nécessaire que les conditions de vie de chacune et de chacun s’améliorent de jour en jour. […] Cela veut dire que l’Algérie toute entière doit avoir sa part de ce que la civilisation moderne peut et doit apporter aux hommes en fait de bien-être et de dignité. ». [2]
À la suite de ce discours, le 3 octobre 1958, dans l’Est algérien, le Plan dit de Constantine est mis en chantier. Il avait pour ambition de moderniser l’Algérie en cinq ans. Il prévoyait la création de quatre cent mille emplois, la distribution aux Musulmans de deux cent cinquante mille hectares de terres nouvelles, le développement de l’infrastructure routière, industrielle et scolaire du pays. Il s’agissait en fait d’essayer de détacher la population du FLN, qui, le 19 septembre 58, avait crée à Tunis le GPRA, Gouvernement provisoire de la République algérienne, et placé à sa tête le modéré Ferhat Abbas. Le 23 octobre 58, de Gaulle essaye de passer au-dessus du GPRA, d’entrer directement en contact avec les maquis de l’armée libération nationale, l’ALN, en proposant directement un cessez-le-feu aux combattants.
« Général de Gaulle : Que vienne la paix des braves ! et je suis sûr que les haines iront en s’effaçant. J’ai parlé de la paix des braves, qu’est-ce à dire ? Tout simplement ceci : que ceux qui ont ouvert le feu le cessent, et qu’ils retournent, sans humiliation, à leur famille et à leur travail. On me dit : mais comment peuvent-ils faire pour arranger la fin des combats ? Je réponds : là où ils sont organisés pour la lutte, sur place, il ne tient qu’à leurs chefs de prendre contact avec nos commandements. La vieille sagesse guerrière utilise, depuis très longtemps, quand on veut que se taisent les armes, le drapeau blanc des parlementaires. Et je réponds que dans ce cas, les combattants seraient reçus et traités honorablement. » [3]
Quelques jours après cette proposition, en décembre 58, les paras de Massu capturent un des officiers les plus célèbres de l’ALN, le commandant Azzedine.
Si Azzedine, Rabah Zerari, commandant de l’ANL, chef de la zone autonome d’Alger : J’étais à l’époque responsable militaire de la Wilaya IV. L’ennemi, je ne sais pas comment il a su, il est venu, il y a eu un ratissage monstre, et au cours de ce ratissage il m’a surpris, moi je n’étais pas avec mon unité, le commando Ali Khodja, j’étais dans une infirmerie, je faisais mon inspection. Donc, j’ai été surpris dans une infirmerie à la tête d’un groupe de mousseblines. J’ai fait évacuer l’infirmerie et les blessés et j’ai pris la crête avec un groupe de mousseblines. Le groupe de mousseblines a été décimé, moi j’étais blessé au bras gauche et j’ai été fait prisonnier. Dès que l’ennemi a su qu’ils avaient capturé Azzedine, ils ont crié victoire. Ils ont voulu me retourner.
Jacques Massu, commandant de la 10ème division de parachutistes, président du Comité de salut public : Il a été fait prisonnier au cours d’un combat par un de mes régiments, puis on me l’a présenté. Comme c’était le moment où le général de Gaulle parlait de « la paix des braves », j’ai essayé de le jouer dans « la paix des braves », je l’ai renvoyé chez lui. Je lui ai d’abord montré Alger, devenue une ville calme à l’apparence prospère, sans aucune explosion, sans un coup de fusil, car pendant toute cette période de mai 58. Le FLN n’a pas réagit du tout, il n’y a pas eu un coup de fusil pendant cette période, pas bougé. Il aurait pu faire exploser tout ce qu’il voulait, si vraiment il avait été puissant. Il a cru à ce moment-là que sa cause était foutue. Il a cru que le général allait faire une Algérie française. Il avait perdu, ça c’est certain. Je l’ai renvoyé chez lui, le commandant de la Wilaya IV, en lui disant : écoutez, le général vous offre la paix par la voie militaire, c’est-à-dire entendons-nous ensemble et cessons de nous entretuer. Azzedine, lui-même d’ailleurs, s’est conduit comme un petit salaud, parce qu’il est revenu une première fois, il m’a rendu compte qu’il avait eu du mal à toucher ses compagnons, je l’avais mis entre les mains d’un de mes officiers, que j’avais antérieurement, Marion. Je l’avais fait escorter, chez lui, par mon porte-fanion, qui a eu le courage, le culot de l’accompagner dans le bled pour qu’il retrouve les siens.
Si Azzedine, Rabah Zerari, commandant de l’ANL, chef de la zone autonome d’Alger : Vous savez, la révolution algérienne, c’est une révolution où tout le monde était en quelque sorte responsable de cette révolution, où tout le peuple était engagé. Azzedine soit arrêté ou pas arrêté, la révolution devait continuer son chemin, Azzedine ou pas Azzedine. Mais le devoir d’un révolutionnaire, c’est de retrouver sa liberté et de reprendre le combat. Massu m’a proposé la trahison. Moi, je n’ai pas respecté la parole donnée à Massu. Mais la parole d’Azzedine donnée vis-à-vis de la révolution, il l’a respectée. La parole donnée à tout un peuple, je l’ai respectée jusqu’à la fin, jusqu’à aujourd’hui. Massu a voulu faire de la politique, mais en ce qui concerne l’affaire Azzedine, lui l’a eue dans la baba, moi je suis retourné au combat.
Jacques Massu, commandant de la 10ème division de parachutistes, président du Comité de salut public : Sur le moment, il ne donnait pas du tout l’impression d’un type qui allait nous tromper, même s’il nous a trompés, eh ben ça le regarde. Nous étions parfaitement lucides et dans notre bon droit puisque je cherchais à arrêter la guerre, c’est le but je crois de la guerre, de s’arrêter un jour, non ?
Si Azzedine, Rabah Zerari, commandant de l’ANL, chef de la zone autonome d’Alger : La politique de « la paix des braves », qu’est-ce que ça voulait dire pour nous ? Une reddition tout simplement ! Imaginez un petit que je retourne au maquis, je rassemble mes hommes, et je leur dis : Ça y est, j’ai compris ! Ça y est, voilà le discours de Massu, maintenant on descend, c’est fini la guerre ! mais on m’aurait fusillé comme traître et ça aurait été juste parce que les gens qui étaient au maquis ne se battaient pas pour Azzedine, ou pour Si M’Hamed ou X ou Y, ils se battaient pour libérer le pays, pour une cause. C’est-à-dire qu’au lieu d’être mangés en méchoui on allait être mangés en ragoût. Qu’est-ce qu’il va y avoir de changer là-dedans ? Absolument rien ! Dans une guerre révolutionnaire, l’arme la plus importante contre l’adversaire, perfide, c’est la perfidie. On ne peut pas dire : Messieurs les Français tirez les premiers. Non, on dit : bonjour « Moussiou » et avec le petit couteau ou le petit calibre on tue celui qui a une mitraillette ou une mitrailleuse pour la lui enlever. À une question qui a été posée à Ben M’hidi, pourquoi utilisez-vous dans bombes dans des couffins ? Ben M’hidi a répondu, avant qu’il ne soit liquidé : « Donnez-nous vos avions et vos chars, on vous donnera volontiers nos couffins. »
« Aux chants de tant de sirènes, nous sommes restés sourds. Ils ne parvenaient pas à accrocher nos regards fuyants, et quand par hasard cela leur arrivait, c’était pour y lire des lueurs de haine. Alors, ils ont été déçus. Ils ont pensé que nous étions ingrats. Et puisque nous étions insensibles au charme, ils ne leur restaient plus qu’à employer l’autre méthode. Depuis trois ans, nous sommes recherchés, emprisonnés, battus, torturés, […] tués de toutes les manières, pour que nous nous rendions… à la raison ou à la force. Séduire ou réduire, mystifier ou punir, depuis que le monde est monde, aucun pouvoir n’a jamais su sortir de la glu de ce dilemme ; tous n’ont jamais eu à choisir qu’entre ces deux pauvres termes : l’opium et le bâton. » Mouloud Mammeri.
[Sur fond sonore de préparation d’opérations d’attaques militaires]
Après l’opium de « la paix des braves » la France choisit alors le bâton, c’est le plan Challe. Ratissant l’Algérie d’Ouest en Est, le général Challe, nouveau commandant en chef, inflige des pertes considérables à l’ALN.
[Sur fond sonore d’attaques militaires]
« ? commentateur, extrait d’archives sans doute filmées : Les alentours de la grotte sont nettoyés aux lance-flammes afin de pouvoir surveiller l’entrée de celle-ci et dès qu’il est possible d’attaquer la grotte au bazooka celui-ci entre en action, sous la protection de plusieurs PM car il faut couvrir le tireur au lance-roquettes qui travaille forcément à découvert et constamment un groupe reste près de l’half-track, prêt à toute éventualité. »
[Sur fond sonore d’attaques militaires, tirs, explosions, etc.]
« ? commentateur, extrait d’archives sans doute filmées : Au bout d’un petit moment, moment un groupe rebelle, probablement sonné par les explosions et les gaz lacrymogènes, tente une sortie massive. Pris en recueil par les éléments du 6ème BCA, passés en bouclage sud, une quinzaine sont abattus. En continuant, toujours tirs nourris au PM, par les éléments du 6ème BCA, et par l’adjonction de plusieurs charges explosives, nous investissant la grotte, les hors la loi sont trouvés complètement hagards,… »
Les opérations « Étincelles », « Pierre précieuses », et l’opération « Jumelle » en Kabylie déciment les maquis de l’ALN où se trouve Boualem Oussedik.
Boualem Oussedik À la venue du général de Gaulle, ma réaction en tant que maquisard, est celle-ci : les conditions de lutte sont devenues beaucoup plus dures. Il y a eu une intensification de la guerre. J’ai vécu les différents plan Challe, que ce soit le plan Challe en Oranie, à la lisière de l’ex Wilaya V, le plan « Couronne », j’ai vécu le plan « Courroie », « Jumellee », « Pierres précieuses », je peux vous dire qu’à ce moment-là la guerre a pris un caractère extrêmement difficile pour nous, et pour moi ça coïncidait avec la venue du général de Gaulle. C’est-à-dire qu’il y a eu dans une première phase, sur le terrain, je m’exprime en tant que maquisard, les conditions de lutte sont devenues terribles. Ça a été le rouleau compresseur du plan Challe, qui nous a occasionné beaucoup de difficultés.
Ahmed Ben Bella Ahmed, premier Président de la République Algérienne : Personne ne nous a fait la guerre autant que de Gaulle. Personne ! Personne ne nous a fait mal autant que lui avec les opérations « Précieuses », etc., les mines sur nos frontières qui tuent encore aujourd’hui, pour nous la guerre n’est pas terminée, il y a des enfants qui meurent à ce jour. Quand j’étais au pouvoir, tous les jours des enfants sautaient sur les mines, parce que les mines ont été posées sur des centaines et des centaines de kilomètres mais les mines se promènent sur le terrain, elles se baladent sur le terrain, elles évoluent sur le terrain. Donc, les plans que l’on peut vous donner, les cartes, etc., ne sont d’aucune utilité. Or, les enfants, tous les jours, tous les jours, moi quand j’étais au pouvoir, tous les jours je dis bien, j’avais des télégrammes des enfants qui sautaient sur les mines, etc. et les champs existent jusqu’à aujourd’hui, ce n’est pas terminé. Donc, il nous a fait la guerre, ce bonhomme, plus que les autres, mais enfin, c’est un homme qui avait une autre dimension. C’est un adversaire que personnellement, moi, je respecte beaucoup, je dois dire.
« Pourquoi donc traiter avec un ennemi dont on admet qu’il est vaincu ou qu’il va l’être ? Parce que dans une guerre civile les armes ne tranchent jamais un problème. Si la victoire d’un parti n’emporte pas l’adhésion profonde sans laquelle rien de durable ne s’établit. Notre collaboration avec l’Algérie doit reposer sur le principe d’un libre choix et non sur des obligations incompatibles avec la dignité d’un peuple. Et qu’est-ce qu’une victoire miliaire dans une guerre comme celle-là ? L’armée française entend mener une guerre subversive mais à en juger les résultats sur un plan traditionnel. Les barrages ont-ils jamais empêché les idées et les mots d’ordre de passer ? Le terrorisme et les attentas cesseront-ils aux barbelés ? Pour que cette guerre s’arrête, il faut aussi que le FLN veuille l’arrêter sinon dans un siècle devra maintenir encore quatre cent mille hommes en Algérie. » Jules Roy
Sur le terrain, en Algérie, la victoire de Challe est incontestable. Mais sur la scène internationale, le GPRA est en train de gagner la bataille politique engagée par le FLN dès le début de la guerre. À l’ONU, où s’active efficacement Mohamed Yazi, il peut maintenant compter sur le soutien d’un membre croissant de pays. D’autre part, le FLN décide de porter la guerre en France métropolitaine, il peut déjà compter sur une bonne partie des quatre cent mille Algériens qui y travaillent et qui versent au FLN une partie de leurs revenus. Le transfert en Algérie de ces fonds, via la Suisse, est difficile. Il est assuré par un réseau de soutien au FLN, « les porteurs de valises » de Francis Jeanson, chargés de transporter les billets récoltés.
Francis Jeanson Ils étaient rassemblés dans différentes villes où il y avait des Algériens, ils étaient rassemblés par des militants Algériens, et fourrés en vrac en général, très souvent en vrac, dans des valises, avec juste un petit papier indiquant le montant global. Et ces valises nous étaient amenées par des agents de liaison, en général Français mais qui ne dépendait pas du réseau mais qui avaient à retrouver des gens du réseau à Paris. Ils leur remettaient les valises en question. Et ce qui était pour moi toujours un émerveillement, c’est que la vérification des sommes contenues dans les valises montrait que ce vrac correspondait exactement à l’indication fournie sur le petit bout de papier qui y était joint. Cela étant, nous avions, nous, tout un travail qui consistait à remettre de l’ordre dans tout ça, à faire des liasses correctes et à fourguer ça à une filière, que je ne peux pas vous désigner, qui nous permettait d’obtenir un transfert en Suisse.
Le réseau Jeanson s’était en fait organisé un an plus tôt en 1957 lorsque Francis Jeanson avait été un des premiers en Métropole à aider activement le FLN.
Francis Jeanson Ça, ça a été une décision que nous avions prise ensemble, les Algériens et moi. Je dois dire que là il y avait deux possibilités : l’une, c’était que les responsables Algériens, chacun d’eux, reprennent un certain nombre d’aides fournies par des Français à leur compte et qu’ils organisent cette aide avec des Français correspondants, ce qui avait pour moi l’inconvénient de nous faire perdre la valeur symbolique d’un réseau français. Et moi, je souhaitais beaucoup que symboliquement il y ait un ensemble français qui travaille pour l’ensemble des responsables Algériens du FLN en France. Pour moi, il était important qu’on puisse dire que la France n’avait pas été uniquement ce qu’elle était sur le plan officiel et qu’il y ait un avenir, une suite, entre le peuple algérien et le peuple français. C’était ça, je ne pouvais pas supporter l’idée que ce que j’avais vu nous étions, nous Français, en train de le cautionner.
Cela dit, vous aidez, alors que la France est en guerre contre le FLN, le FLN. On peut dire, d’une certaine manière, vous trahissez…
Francis Jeanson On peut le dire et on doit le dire, j’en suis parfaitement conscient. J’en étais parfaitement conscient à l’époque mais ça me paraissait indispensable. Je veux dire que j’ai toujours pensé, mais ça s’est beaucoup précisé à la lumière de cette expérience algérienne, qu’il y avait deux sortes de trahison : une trahison que je dirais purement négative, parce que le traitre à ce moment là c’est quelqu’un qui cherche seulement à sauver sa peau ou acquérir des avantages à titre personnel. Et il y a une trahison positive. Je crois qu’aucune société, aucun groupe social n’a de chance de survie, d’avenir s’il n’y a pas en son sein des traitres, c’est-à-dire des gens qui l’obligent à contester ses propres valeurs ou son endormissement. Je crois que notre société actuelle et dans cette situation aussi, qu’elle aurait bien tort de rejeter des gens venus de l’extérieur qui la perturbent. Le problème est toujours le même, il faut que nous soyons perturber, c’est capital sinon on meurt sur pied. Moi je pense que nous avons tous ensemble, les gens du réseau, tous ceux qui les ont aidés, qui leurs ont permis de fonctionner, accomplis une espèce de trahison positive, du genre de celles qui me paraissent indispensables.
Oui mais Francis Jeanson, ce n’est pas seulement une trahison intellectuelle, je veux dire par là que vous contribuez à permettre au FLN, même si c’est modestement, de continuer à se battre, en Algérie, contre des soldats français qui meurent.
Francis Jeanson Je sais, on m’a reproché en particulier la mort de deux soldats français à un moment donné, de façon tout à fait particulière, précise. En tout cas, ça cela ne nous échappait pas, de toute manière je pense que le peuple algérien se serait battu sans nous, il y serait parvenu aussi. Pour nous le problème ce n’était pas de mettre en balance des soldats français et des millions d’Algériens, ce n’était pas de nous demander si nous avions raison ou tort de faire ça, c’était d’aider au maximum une lutte qui nous paraissait nécessairement juste. Il y a un moment où l’on ne peut plus se demander dans quel camp on se trouve du point de vue des structures, du point de vue de la carte d’identité ou de choses comme ça, il faut se demander dans quel camp on se trouve du point de vue humain.
En Algérie même, le FLN reçoit une aide inattendue, celle d’une partie du clergé derrière l’archevêque d’Alger, monseigneur Duval et l’abbé Scotto, Pied-noir, curé de Bab El Oued. C’est ainsi qu’un des premiers numéros du journal du FLN, El Moudjahid, est imprimé chez un prêtre, l’abbé Declerq
Duval, archevêque d’Alger : L’abbé Declerq était un prêtre extrêmement généreux, il recevait chez lui tout le monde, aussi bien les Musulmans que les Chrétiens, et dans un esprit de charité il avait accepté de prêter son appareil de polycopie pour imprimer les premiers numéros du Moudjahid.
El Moudjahid, ça veut dire le combattant de la foi.
Duval, archevêque d’Alger : Oui.
Mais ce n’est pas tout à fait la même foi que celle dont vous êtes le ministre ici ?
Duval, archevêque d’Alger : Il faut savoir que la guerre d’Algérie n’a pas été une guerre religieuse. Il n’y a pas eu la guerre de l’Islam contre l’église catholique. C’était une guerre d’ordre politique. Elle se situait sur le plan civique et politique. L’abbé Declerq a accepté d’imprimer ces numéros du Moudjahid parce que dans ces numéros il était question précisément de justice à promouvoir, d’évolution pour un peuple qui en avait besoin. Mais il n’y avait pas, dans ces numéros d’El Moudjahid, une prise de position strictement religieuse contre la religion catholique. D’ailleurs, les dirigeants du FLN l’ont dit maintes fois, notre guerre n’est pas une guerre contre les chrétiens.
Jean Scotto, curé de Bab El Oued : La Grande chance du diocèse d’Algérie, c’est qu’on a eu à notre tête, comme archevêque, monseigneur Duval, et je pense que cet homme était une conscience. Très vite, monseigneur Duval a pris position sur un plan humanitaire, avant les événements, mais pendant les événements pour la question de la condamnation de la torture, ça été très rapide. Cet archevêque, en plus, il a fait tout ce qu’il a pu pour éclairer son clergé. J’ai en particulier souvenir d’une rencontre. Un jour, tous les prêtres d’Alger sont convoqués à l’archevêché. On y va, ça es produisait de temps en temps, mais au lieu de nous faire rentrer au salon, on nous amène à la chapelle. Moi, j’ai dit : ah, celui-là il nous prépare quelque chose, hein ! Et de fait, on voit monseigneur Duval arriver, revêtu de sa mosette, la crosse à la main, et l’étole pastorale, donc vous voyez une certaine solennité et ce n’était pas pour faire les prières, on a fait les prières au début. Mais j’entends encore, dans mon oreille tinter le carillon qui était dans la chapelle, 3h, tinter : 1, 2, 3. On fait la prière, une petite prière, on s’assoit et pendant une heure, le cardinal nous a fait un exposé sur le thème suivant : « Il n’y a pas de d’étonnant plus néfaste que le blocage spirituel et du temporel » Il a développé ça avec une clarté, dans un silence de mort, et il a terminé, j’ai encore 4h tintait à mon oreille. Or, moi en sortant je n’ai pas pu m’empêcher de dire à mon voisin, qui n’est pas tout à fait de mon avis peut être : écoutez, si nous ne nous voyons pas clair, c’est que nous avons quelque chose aux yeux. Nos fidèles auront toujours des excuses, nous, non !
Duval, archevêque d’Alger : Ma position comme celle des évêques d’Algérie était que l’Algérie devait être la terre de la cohabitation. Cohabitation entre la population musulmane et la population chrétienne. Vous me direz, nous nous sommes trompés. Je crois que nous, ne nous sommes pas trompés car il est incontestable, on le reconnaît maintenant, que si la cohabitation avait été acceptée de part et d’autres, certaines difficultés d’ordre économique et sociales auraient été évitées à l’Algérie.
Mon seigneur, tout à l’heure vous nous parliez de la façon dont vous interveniez pour la clémence d’un certain nombre de condamnés à mort musulmans du FLN. Mais tout de même, là, c’est l’église qui défend des terroristes ?
Duval, archevêque d’Alger : Nous avons défendu des personnes et je demeure personnellement hostile à la peine de mort à l’égard de quiconque, même celui qui a commis des actes qui sont jugés sévèrement par la société la peine de mort est à exclure, car l’homme ne peut pas, ne doit pas disposer de son semblable, la vie de son semblable est à dieu.
C’est pourtant ce que fait quelqu’un qui pose une bombe ?
Duval, archevêque d’Alger : Je n’avais pas approuvé celui qui pose une bombe, j’ai même souvent condamné les actes de terrorisme proprement dit mais l’État doit défendre la justice, l’État ne doit pas moduler son action sur celle de ceux qu’il appelle des terroristes.
Jean Scotto, curé de Bab El Oued : Concrètement, moi, je ne peux pas dire que j’ai porté une haine réelle, concrète au FLN. D’ailleurs, je m’en suis expliqué un jour avec un responsable du FLN, qui à l’heure actuelle a une certaine place. Je lui ai dit, voilà ma position : moi, il y a des services que je ne vous rendrai jamais parce qu’ils sont contraire à ma conscience. Il m’a dit : mais on n’attend pas autre chose de toi – car il me tutoyait – que ce que tu es, prêche ce que tu prêche. Et on ne m’a jamais demandé de services que j’aurais dû refuser, à savoir dépôt d’armes, etc. Que j’aie hébergé des gens en danger, oui ! Et je ne m’en repends pas. Des contacts, j’en ai eus.
Avec qui par exemple ?
Jean Scotto, curé de Bab El Oued : Ça me gênerais de donner des noms. Je vous dis simplement, je vous le dis même à la radio, mais croyez-moi, j’en ai eus, oui, pas mal. Et je ne regrette pas non plus ces contacts, les échanges étaient vraiment loyaux et ne même temps fraternels. C’est pourquoi je refuse l’image qu’ont donnée un certain nombre de médias de droite, pour m’aplatir, ou de gauche, pour m’exalter, d’homme politique, non, je n’ai voulu qu’être prêtre. L’ai-je été suffisamment ? Je n’en sais rien. Et aujourd’hui je ne veux que ça, ça suffit à mon bonheur d’avoir donné sens à ma vie.
Beaucoup de Pieds-noirs, mon seigneur, vous ont reproché d’avoir été, disent-ils, trop complaisant avec le FLN, et certains même vous surnommaient Mohamed Duval.
Duval, archevêque d’Alger : Ce en quoi ils m’ont rendu un très grand service. Ce surnom de Mohamed Duval en fait m’a fait plaisir parce qu’il a prouvé une chose, c’est que l’église catholique n’est pas ghetto, elle n’est pas une chapelle fermée, elle est ouverte à tout le monde, elle doit être accueillante pour n’importe qui quelque soit sa position religieuse.
[Tarawla Chant berbère du groupe Djurdjura - Tarawla (1980)
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Le choix militaire du plan Challe ne débouchant pas sur la solution politique que recherche de Gaulle, l’opinion publique en France évoluant de plus en plus en faveur de l’indépendance, le général, qui veut se débarrasser du fardeau algérien, est désormais convaincu de la nécessité d’aller plus loin. Après avoir laissé publier dans L’Écho d’Oran de Pierre Laffont une déclaration dans laquelle il déclare : « l’Algérie de papa est morte », il suit les conseils de Bernard Tricot, qui lui conseille de passer à une autre étape de sa politique algérienne.
Bernard Tricot : Je me souviens qu’avec des amis, de la présidence de la République et d’autres aussi, vers le mois d’avril, mai, juin, je pense, 1959, nous avons réfléchi en nous disant est-ce que la voie dans laquelle nous sommes engagés, celle du plan de Constantine, que dirigeait remarquablement Paul Delouvrier, avec beaucoup de courage, beaucoup de ténacité, est-ce que cet effort va nous mener vraiment au retour à la paix ? Or, la paix nous en avions besoin parce que l’opinion publique allait se lasser, parce que notre armée s’usait dans une guerre qui n’était pas du tout une guerre moderne, et que si l’on voulait mettre notre défense à niveau il fallait changer complètement le structures et les idées directrices de l’armée et cela ne pouvait pas se faire avec une armée qui continuait à batailler dans les djebels. Il fallait aussi se dire que le général de Gaulle représentait pour notre pays une chance, c’était un homme âgé et qu’on ne pouvait pas compter sur dix ans de gouvernement du général de Gaulle pour faire une évolution lente en Algérie et mener ensuite à une solution qui nous donnerait satisfaction. Il y avait beaucoup de raisons, outre le fait que l’on tuait beaucoup de monde tous les jours, dans le deux camps, pour souhaiter la paix. Et je me disais que ce qu’il fallait, comme le général l’avait dit en 58, me l’avait dit en tout cas, une issue pour que les gens puissent s’exprimer. Et après avoir fait la critique de la continuation de ce qui avait été entrepris, je me souviens avoir écrit qu’il fallait envisager une autre étape mais je ne crois avoir pas prononcé le mot d’autodétermination, ni le mot de référendum, je parlais de consultation, etc. Mon idée était sans doute encore un peu floue alors que celle du général progressait, peut-être a-t-il utilisé ma note. Vous savez, ce n’est pas le genre de patron qui vous dit : j’ai lu votre papier c’est très intéressant, je le retiens. Quand il avait lu un papier il voyait ce qui lui paraissait bon, ce qui lui paraissait assez mauvais, il retenait ce qui était bon, il l’amalgamait avec ses propres idées et un jour on constatait qu’il avait adoptée telle solution. Alors, si on était un peu vaniteux on pouvait essayer de se dire : ah tout de même, cette idée c’est moi qui l’ai suggérée ! mais on n’en était jamais sûr et au fond ça n’avait pas d’intérêt, ce qui avait de l’intérêt c’était la décision prise. Alors, voilà, j’ai peut-être joué un rôle là, je ne le dissimule pas du tout et je n’en ai pas du tout honte car je crois que j’avais raisons, mais il est tout à fait possible que le général de Gaulle serait arrivé à la même solution sans ses conseillers.
En août 59, de Gaulle rend visite à l’armée d’Algérie. Au cours de cette tournée des popotes, avant de prendre la parole le 30 août à Tébessa, il rencontre le général Buis, alors colonel dans les Monts du Hodna, avec lequel il survole cette région en hélicoptère.
Georges Buis : On était tous les deux seuls dans l’hélicoptère parce que c’était ce que l’on appelait la « banane VIP », - c’étaient ces gros hélicoptères qui ressemblaient à des bananes et qui avaient deux retors, si vous vous rappelez – et là, de Gaulle qui somnolait un peu, c’était le début d’après-midi, regarde vers le bas, cette montagne triste et désertique, avec quelques villages disséminés là-dedans, et me dit : est-ce que vous pensez, - il venait d’y avoir les élections municipales – que ces maires élus pour cinq ans auront convaincu leurs électeurs d’être partisans de l’Algérie française et non plus d’autre chose, la rébellion ? Je lui ai dit : sûrement pas ! Il m’a dit : c’est bien mon avis. Puis au bout d’un moment il m’a dit : que pourrait-on faire, à votre avis ? Moi, je lui ai dit : il faudrait je crois donner l’autodétermination. Et là il m’a dit, à ma stupéfaction : « J’irais beaucoup plus loin ».
« Le général de Gaulle : Je suis sûr de rencontrer le sentiment de tous en disant que ce qui nous préoccupe d’abord, ce à quoi nous voulons d’abord, c’est à la paix. Ensuite, ensuite une ère nouvelle commencera. Elle a commencé pour la France. Elle commencera pour l’Algérie. Les Algériens feront leur destin eux-mêmes. »
quedch yatha
sali el maksod
rouh edfaa maa el djebha
ya (manqué un mot) barka ma tenbah
echi maakol mathatoch eslah
El harb etol
Hata ouin el kifah